Corps de l’article

La mondialisation a favorisé la multiplication des recherches sur l’internationalisation (Frenkel, 2008), y compris des flux d’idées et de biens culturels (Yousfi, 2014). Le souci d’uniformisation des pratiques éducatives et de recherche a permis le développement de systèmes de certification et classement (Wedlin, 2011; Cret, 2013). Ces tendances ont fait réagir des chercheurs se revendiquant des approches postcoloniales (Boussebaa et Brown, 2017; Siltaoja, et al., 2019), redoutant une forme de néo-colonisation voire d’américanisation (Thomas et al., 2016; Wanderley et al., 2021). L’Afrique subsaharienne francophone (ASS-F), et en particulier le Sénégal, est un théâtre privilégié de telles dynamiques. D’une façon particulière, les écoles de gestion (BS pour Business Schools) sont de plus en plus soumises à des critiques plus ou moins vives portant sur l’inadéquation entre l’enseignement offert et les réalités locales tant sur le contenu que les méthodes pédagogiques (Darley et Luethge, 2019; Zoogah, 2021).

Cette inadéquation résulte d’une duplication du système éducatif occidental (Clignet, 1970; Nkomo, 2017; Zoogah, 2021). Les systèmes ainsi hérités seraient un instrument impérialiste (Boussebaa et Brown, 2017) provoquant une (auto)soumission. En conséquence, les écoles africaines auraient développé le réflexe d’une reproduction mimétique des modèles occidentaux sous la pression des organismes internationaux (Bianchini, 2000). Il serait cependant trompeur de croire qu’elles se soumettent passivement aux injonctions des Organisations Internationales d’Accréditation, de Certification et de Classement (OIACC). Une telle conception occulterait le poids de certains phénomènes qui traversent des sociétés africaines : contestations visant à détruire les vestiges et symboles du (néo)colonialisme et à décoloniser mentalités et pratiques (Ngoutsop et Modiane, 2018); omniprésence du fait religieux (Berkley Center, 2016); quête identitaire (Sarr, 2016); longue tradition de l’enseignement dans les « daaras » (Gueye, 2014).

Comment donc une BS sénégalaise arrive-t-elle à évoluer dans un tel contexte ? Y répondre reviendrait à dégager l’espace qu’elle se crée entre la contrainte de légitimité propre à des champs hyper-institutionnalisés et des formes nécessaires d’émancipation. Ainsi, cette recherche met en exergue des comportements mimétiques et ambivalents d’une BS qui s’apparenterait à un tiers-espace avec des pratiques hybrides (Bhabha, 2007).

À la suite de cette introduction, nous présentons la littérature synthétisant l’évolution de l’enseignement du management en ASS-F, puis l’Institut Africain de Management (IAM) et le dispositif mis en oeuvre pour l’étudier, ensuite des initiatives phares dans son évolution et, enfin, une discussion qui met en exergue des accommodements opérés et un risque de « xessalisation »[1]. Cette notion traduit le premier des deux principaux apports du papier grâce à l’éclairage sur le risque lié à un processus d’hybridation dissonant. Le second apport concerne la façon dont la présence simultanée de deux dominants est de nature à faciliter l’enclenchement du processus d’hybridation.

L’évolution postcoloniale de l’enseignement de la gestion en ASS-F

Le système éducatif africain est un héritage colonial « juxtaposé à l’éducation africaine traditionnelle en l’ignorant et la méprisant » » (Dioffo, 2019 : 5). Aussi, la question de l’éducation n’a cessé de faire l’objet d’un vif débat. Initialement, il semblait épargner la Gestion. De fait, les postes de management étant exclusivement occupés par des (ex)colons, il apparaissait non nécessaire de développer une offre de formation au profit des indigènes (Nzelibe, 1986). En outre la vision hégémonique de la pensée managériale occidentale rendait superfétatoire la nécessité d’examiner sérieusement la pensée managériale africaine (Safavi, 1981).

Le départ des managers occidentaux et les médiocres résultats des organisations désormais gérées par des autochtones, subjugués par l’expertise managériale coloniale, rendent ce sujet digne d’intérêt à partir des années 1970 (Nzelibe, 1986; Guero et Gueye, 2020). Cela eut trois conséquences immédiates : ressortissants envoyés en formation en occident, lancement des dispositifs de formation calqués sur les modèles des puissances coloniales et réalisation des premières recherches en la matière (Jones, 1986). Ainsi les « années 70 et 80; [furent des] années au cours desquelles enseignement et recherche en gestion étaient presque totalement entre les mains des Français »[2] en ASS-F. La mission acculturatrice est donc restée le soubassement idéologique de la formation offerte (Clignet, 1970). Au Sénégal, il y eut la création de l’École Supérieure de Gestion des Entreprises délivrant un Diplôme Supérieur de Gestion des Entreprises pour les cadres […] recrutés avec un niveau de Bac+4/5 pour une formation de 18 mois et 6 mois de mission. Les recherches pionnières sur le sujet sont sans concession (Safavi, 1981; Jones, 1986; Nzelibe, 1986; Mbigi, 1994) : modèle inadéquat; méprise des réalités locales; méconnaissance de ces mêmes réalités par des enseignants majoritairement occidentaux; managers formés se révélant hors-sols et handicapés par une subjugation des modèles occidentaux, des dissonances cognitives et divers complexes.

Au milieu des années 1980, les situations économiques des pays africains ont été jugées suffisamment dégradées qu’il leur a été imposé des programmes d’ajustement structurel (PAS) sous l’égide des Institutions Multilatérales de Développement (IMD), particulièrement la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire international (FMI) (Dieng, 1996). Au Sénégal, les premières mesures liées aux PAS sont prises en 1979, et d’autres dans les décennies 1980 et 1990 avec comme « objectif déclaré, […], le rétablissement des grands équilibres : stabilité des prix, […], croissance économique, plein emploi » (Diouf, 1992 : 63). Ayant pour finalité l’émergence d’un secteur privé destiné à devenir son moteur économique, elles incitent l’État à réduire son investissement dans l’enseignement supérieur dans les années 1990 (Bianchini, 2000). Les reformes éducatives ainsi conduites ont favorisé l’émergence d’un secteur privé d’enseignement supérieur, matérialisée par la loi N° 94-82 portant statut des établissements privés et l’accord-cadre pour la promotion de l’enseignement supérieur privé signé par l’État et certains acteurs du secteur en mai 1995. Les BS devaient jouer un rôle moteur dans le cadre des PAS; leurs diplômés devant assurer aux entreprises locales nouvellement privatisées et celles naissantes une main-d’oeuvre de qualité, socialisée à l’idéologie capitaliste libérale.

Aussi, cette période a été marquée par la consécration de la logique de la « commodification des savoirs » (Rotta et Teixeira, 2019) et des efforts de formation et de recherche en gestion focalisés sur les conditions d’une meilleure applicabilité des modes et techniques gestionnaires promues par la BM et d’autres partenaires. Les BS sont les instruments plébiscités pour form(at)er les futurs diplômés en leur faisant accepter les règles du jeu d’un capitalisme et d’une mondialisation débridés (Baumann, 1998). Elles devenaient, par conséquent, de puissantes machines à « commodifier » et à réifier des étudiants considérés comme des pépites devant être polies pour en faire de perles à fournir à l’entreprise capitaliste.

Trois décennies après, certains analystes considèrent que les organisations en Afrique souffrent toujours de fortes insuffisances sur le plan managérial (Steyn et Bell, 2015). Les BS locales semblent avoir, à leur tour, échoué dans leur mission. Or cela se passe dans une ère où une certaine forme de mondialisation, caractérisée par une disponibilité de l’information, a tendance à rendre toutes les frontières désuètes. Ainsi, les BS locales sont exposées à la concurrence mondialisée qui règne dorénavant dans le domaine de l’enseignement supérieur (Pucciarelli et Kaplan, 2016). Par conséquent, les candidats aux différentes formations dans ce domaine peuvent comparer des établissements situés partout dans le monde pour faire leurs choix. De même, les organisations peuvent quant à elles comparer les profils types des diplômés des établissements de n’importe où dans leur processus de recrutement.

Cette même période a vu les OIACC s’affirmer comme garants de la qualité de l’enseignement (Ilie et al., 2020). Intégrant ces réalités, des écoles africaines s’engagent dans la conquête d’une légitimité internationale à travers des processus d’accréditation, de certification et de partenariats (Wedlin, 2011; Cret, 2013). Le passage par ces processus exigeant une meilleure prise en charge des problèmes endogènes (Darley et Luethge, 2019) entraine des changements dans les routines des BS (Lejeune et al., 2015), affectant inévitablement leur identité et leurs impacts dans la société (Elliott, 2013; Parker, 2018).

Sous l’effet combiné du poids des OIACC et de la compétition exacerbée, les BS agissent comme des entreprises et traitent les étudiants comme des consommateurs (Calma et Dickson-Deane, 2020). Elles promettent des diplômes garantissant l’employabilité, l’insertion, des revenus conséquents et une vie future aisée (Armstrong, 2003). Aussi les débats sur ces BS sont de plus en plus vifs (Nkomo, 2015). Ils font écho aux appels à réformer l’enseignement du management où les diplômés semblent davantage destinés à la perpétuation d’une vision élitiste plutôt qu’à une véritable transformation sociétale (Figueiró et Raufflet, 2015).

En ASS-F, l’un des enjeux essentiels est l’incohérence d’ensemble du système éducatif où s’affrontent deux modèles dominants : le modèle d’inspiration française et celui anglo-saxon qui tente de le supplanter. L’autre est la nécessité de défaire la réalité d’un enseignement de la Gestion comme extension de relations coloniales mettant l’accent sur les préoccupations des « partenaires occidentaux » (Darley et Luethge, 2019). Cela devrait pousser les BS à s’intéresser davantage à la créativité des autochtones, aux modes de transfert de connaissances dans les unités artisanales, au système d’apprentissage dans les ateliers « informels », aux modes d’échange social dans les organisations (Ndione, 1992); aux épopées des grands leaders traditionnels pour comprendre leurs logiques d’action (Abdulai, 2014).

Une analyse comparée des principaux enjeux entre l’Occident et l’Afrique permet d’illustrer toute l’ambivalence qui peut exister dans l’interprétation des différentes injonctions. D’ailleurs les BS en Afrique continuent, malgré tout, à se sentir obligées de s’inspirer des « meilleures pratiques » provenant des pays occidentaux soit dans le cadre des processus d’accréditation ou celui des partenariats divers et variés qu’elles auraient la propension de nouer. En cela, on peut donc considérer qu’elles usent de mimétisme en reproduisant des comportements observés chez d’autres pour réduire leurs incertitudes face aux OIACC (Cret, 2013; Claeyé, 2019).

En somme la pression subie par une BS africaine ne peut plus être considérée comme l’oeuvre exclusive d’IMD, ni celle d’un État perpétuant l’héritage colonial, ni même celle d’une ancienne puissance coloniale. Elle serait plutôt un agrégat d’éléments persistants liés aux forces ci-dessus énumérées et des injonctions des OIACC auprès desquelles une telle BS chercherait une légitimité internationale. Mais face à cette réalité existent des volontés d’émancipation clamées par certains acteurs essentiels des BS en Afrique (enseignants, dirigeants, personnels administratifs, étudiants). Il est nécessaire de noter une différence fondamentale d’avec la période postindépendance immédiate. Ces acteurs sont désormais principalement des Africains, mais pouvant avoir tendance à opérer un mélange de méthodes et de comportements managériaux importés et traditionnels et à combiner les influences culturelles traditionnelles avec les approches de management occidental, à travers une forme différenciée de paternalisme (Claeyé, 2019 : 178). Aussi, une BS d’ASS-F peut être considérée comme un tiers espace (Bhabha, 2007) car il s’y discute et s’y dispute, entre différents acteurs de positions différentes, de pratiques pouvant aboutir à d’éventuels accommodements donnant naissance à des pratiques hybrides (Claeyé, 2019).

En définitive, une présence effective et simultanée des trois éléments ci-dessus mis en lumière est de nature à provoquer une hybridation des BS (Siltaoja et al., 2019). Celle-ci s’articulerait autour de la persistance des effets de la logique acculturatrice du système éducatif hérité de la colonisation, de l’emprise de la logique « commodifiante » imposée par les IMD et des accommodements réalisés pour répondre aux injonctions d’assurance qualité des OIACC. Il s’agirait de la naissance de « Un Tout Autre », idéalement harmonieux, à partir de la rencontre entre « le Soi » et « l’Autre » (Giroux, 2016). Les travaux ci-dessus présentés ont le mérite de mettre l’accent sur le besoin de l’évolution de l’enseignement de la gestion en Afrique. Mais ils offrent, rarement, des illustrations empiriques précises et approfondies sur les actions singulières à l’intérieur des BS. Les rares études empiriques n’ont pu analyser en profondeur leur offre et leur positionnement global (Nkomo, 2015; Baba, 2018; Lee et al., 2018). Cette recherche se propose de réduire ce manque en étudiant le cas de l’IAM Dakar.

L’IAM Dakar comme cas (a)typique d’école de gestion « africaine »

L’IAM a été créé en 1996 par Moustapha Mamba Guirassy, rentré du Canada où il fit ses études supérieures et entama sa carrière professionnelle. Composé de quatre départements — IAM E-Learning Center, IAM Executive Education, IAM Grande École et IAM Tech — l’IAM compte environ trois-mille étudiants, IAMOIS, de vingt-huit pays. Divers programmes, dont certains accrédités et/ou reconnus par des organismes d’assurance qualité (Tableau 1), sont offerts.

L’IAM a aussi noué de multiples partenariats nationaux et internationaux. Parmi ses partenaires, on trouve des établissements d’envergure internationale comme le montre le Tableau 2.

La relative ouverture de l’IAM sur l’international et sa bonne position dans divers classements (sous)régionaux et/ou continentaux[3] ont été des critères déterminants dans son choix comme cas d’étude. Une autre raison expliquant ce choix est sa revendication explicite d’une forte identité et d’un fort ancrage africains, nos interlocuteurs rappelant constamment que « Le “A” pour “Africain” de l’IAM n’est pas fortuit ni gratuit ». Une telle revendication, doublée d’un engagement résolu dans une quête de légitimité internationale à travers des partenariats et des accréditations, donne tout son intérêt à l’IAM comme cas (a)typique à étudier.

Tableau 1

Diplômes reconnus et Programmes Accrédités de l’IAM[4][5]

Diplômes reconnus et Programmes Accrédités de l’IAM45
Source : auteurs à partir de la liste des diplômes reconnus par le CAMES générée le 14 avril 2021 à 17h34 (URL : http://www.lecames.org/diplome_cames/web/site/repertoire) et de la liste des programmes accrédités par l’ANAQ-Sup consultée le 14 avril 2021 à 18h07 (URL : http://anaqsup.sn/accreditation/prives/accredites ?page=3).

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Tableau 2

Partenariats significatifs de l’IAM[6]

Partenariats significatifs de l’IAM6

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Démarche auto-ethnographique multisituée et méthode d’analyse

Notre familiarité avec l’IAM, nous a poussés à adopter une démarche auto-ethnographique qui consiste à appréhender, d’une façon réflexive, une expérience qui touche directement la vie du chercheur (Rondeau, 2011; Liu et Pechenkina, 2016). La nature de l’objet de recherche, une école, et les pratiques qui s’y retrouvent l’amenant à se déployer sur plusieurs sites, nous a poussés à construire un dispositif de recueil de données inspiré de l’approche multisituée de Marcus (1995). Elle consiste à scruter, en premier lieu, les sujets/objets de recherche au niveau des multiples sites, ainsi que de leurs conjonctions et juxtapositions, qui les abritent (Marcus, 1995). En second lieu, elle renvoie « à la positionnalité du chercheur amené à se “multisituer” lui-même en occupant différentes positions » (Cortes et al., 2018).

Notre premier contact avec l’IAM remonte à 2015. À la suite d’une intervention médiatique, le second co-auteur est approché par le fondateur lui proposant d’être la « cheville ouvrière » et la « tête de gondole » de la transformation engagée par l’établissement. Le fondateur met en avant la convergence de points de vue qu’il aurait décelée dans les propos de ce co-auteur dont la volonté de développer une pensée managériale endogène. Comme il est en poste dans une université publique, cela a nécessité, outre son accord, l’aval de celle-ci sous la forme d’une convention signée en 2015. Depuis, il a occupé de hautes responsabilités[7] dans les instances dirigeantes de l’institut. Quant au premier co-auteur, en plus d’avoir été enseignant vacataire au sein de l’établissement, il a systématiquement participé aux manifestations scientifiques (co)organisées par l’IAM depuis 2015[8]. Ainsi, c’est en tant que chercheurs « multisitués » (Tableau 3) que nous avons examiné l’évolution de l’IAM (Girei, 2017; Cortes et al., 2018).

Les échanges (in)formels, l’observation et la documentation nous ont permis de mobiliser des données auprès des membres de la direction de l’IAM et de ses partenaires : rapports du processus EDAF (Annexe 1), vidéos en ligne (Annexe 2), articles de presse (Annexe 3). Une première étape de codage ouvert sur ces données secondaires nous a permis de repérer les principales initiatives en discussion et/ou négociation. Pour l’essentiel, ils se confondent aux missions confiées au second co-auteur (Tableau 4) auxquelles s’ajoutent deux éléments :

  • moderniser l’administration à travers formalisation et régula(risa)tion des pratiques;

  • opérer la refonte de l’organigramme et des instances de gouvernance de l’établissement.

Tableau 3

« Positionnalité » des auteurs

« Positionnalité » des auteurs

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Nous avons décidé de consolider ce corpus avec des données primaires à travers des entretiens avec du personnel enseignant et administratif — accessoirement diplômés de l’IAM — pouvant être assimilés à des managers intermédiaires, mieux à même de témoigner de l’évolution réelle de l’établissement (Perrenoud, 2014). Disposant des supports (audio)visuels préexistants qui ont pu capturer et consigner des significations liées aux éléments et évènements que ces thèmes traduisent (Siltaoja et al., 2019), nous avons préféré les exposer à nos interlocuteurs afin de provoquer et recueillir leurs réactions. Le Tableau 5 en dresse la liste.

Tableau 4

Synthèse des principales missions confiées à Co-auteur 2

Synthèse des principales missions confiées à Co-auteur 2

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Tableau 5

Liste des principaux supports retenus

Liste des principaux supports retenus

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Ce procédé a l’avantage décisif d’amener les interlocuteurs à se replonger dans l’ambiance et l’atmosphère du site où se produit l’évènement soumis à leur commentaire, ce qui leur permet de relater les faits et de les traiter avec le plus d’authenticité et de précision possibles (Siltaoja et al. 2019). Cela nous amène donc à suivre nos interlocuteurs dans une sorte de voyages qu’ils effectuent dans l’espace et le temps, donnant à notre enquête son caractère « multisitué » (Marcus, 1995). Pour réduire les biais éventuellement inhérents à toute position « privilégiée » du chercheur (Liu et Pechenkina, 2016; Girei, 2017), le recueil des données primaires a été intégralement exécuté par le co-auteur 1 qui a été le moins impliqué dans la vie de l’établissement. Onze (11) entretiens exploitables ont été réalisés et retranscrits (Tableau 6).

Tableau 6

Liste des entretiens réalisés

Liste des entretiens réalisés

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Pour les besoins de l’analyse, nous avons considéré ces données primaires et certaines données secondaires : les documents du processus EDAF (Annexe 1), les contenus retranscrits de huit vidéos avec des durées excédant dix minutes (Annexe 2) et les articles de presse (Annexe 3). Ces données ont fait l’objet d’analyse de contenu en trois étapes (Miles et Huberman, 2003; Paillé et Mucchielli, 2005). Nous avons d’abord repris un double-codage ouvert. Nous avons ensuite réalisé la catégorisation nous ayant conduits à répertorier les neuf initiatives les plus significatives sur la base de trois critères : leur reprise dans les différents entretiens, la débauche d’énergie qu’elles semblent induire et les ressources qui leur sont consacrées. La dernière étape a consisté à affiner l’analyse à l’aide des considérations inhérentes aux perceptions, réactions et ressentis des personnes concernées par rapport à ces initiatives. Cinq sont ainsi considérées comme exogènes avec des exigences par rapport auxquelles les acteurs internes consentent les efforts nécessaires pour s’y conformer. La finalité associée à ces efforts est l’obtention d’une légitimité internationale. Les quatre autres initiatives sont considérées comme étant façonnées par les acteurs internes pour les conformer aux réalités endogènes et aux traditions autochtones. Le tableau 7 récapitule le dictionnaire des thèmes ayant émergé au cours de cette recherche.

Tableau 7

Dictionnaire des thèmes ayant émergé pendant la recherche

Dictionnaire des thèmes ayant émergé pendant la recherche

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Une ambition, deux logiques potentiellement contradictoires

Deux points essentiels sur lesquels nous revenons successivement caractérisent ce qu’est l’IAM : quête de légitimité internationale et tropicalisation de certains principes universels.

Quête de légitimité internationale

Tropisme canadien d’origine

L’IAM a été créé pour contribuer à doter le Sénégal, et l’Afrique, de cadres de haut niveau formés sur le continent; ce que l’université d’inspiration française aurait échoué à faire. Cette situation est généralement admise comme étant une résultante de l’inadéquation entre les formations et les besoins des milieux économiques, en particulier le secteur privé. Ce dernier était censé, sous l’injonction de la BM à travers les PAS, prendre le relais de l’État comme principal pourvoyeur d’emplois dans le cadre d’une libéralisation et d’une intégration des économies africaines à l’économie mondiale. Aussi, le réflexe du fondateur était celui de créer un institut avec une philosophie calquée sur celle des établissements nord-américains jouissant d’une très bonne réputation en matière d’insertion professionnelle. L’ambition de base était de mettre en place une structure capable d’offrir des formations répondant aux normes et standards internationaux. La finalité de l’institut consistait à former des diplômés promis à de très hautes responsabilités dans de grandes entreprises priv(atis)ées.

De son expérience canadienne, le fondateur eut un tropisme sur un modèle dont il trouvait particulièrement intéressants le caractère « multiculturaliste » et la proximité avec le monde des affaires. Il le percevait comme étant « plus ouvert » que le modèle d’inspiration française. Il serait par conséquent plus adapté au contexte africain du fait du caractère multiethnique des pays artificiellement « construits ». Ainsi, dès le départ l’IAM fait le pari d’offrir des formations dont l’architecture est bâtie suivant le modèle anglo-saxon avec des Bachelors in Business Administration (BBA) et des Masters in Business Administration (MBA); et des partenariats avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et l’Université Laval (UL) dans le but de bénéficier de leurs savoir-faire et légitimité à travers un dispositif de co-diplomation, d’échange d’étudiants et d’enseignants et de dotation de l’IAM en documentation (Tableau 2). La décision de s’appuyer sur le modèle canadien semblait être d’une logique imparable. En effet, les grandes entreprises et organismes internationaux installés au Sénégal, employeurs rêvés dans les imaginaires collectifs, privilégiaient les diplômés socialisés dans de tels modèles.

Je dois avouer que nos formations souffraient il y a quelques années du complexe de l’Occident; mais c’était l’époque des formations très pompeuses de MBA destinées à accompagner les grandes multinationales.

PDG — Fondateur de l’IAM

Cette affirmation laisse entrevoir une remise en cause de l’orientation anglo-saxonne initiale. En effet, les grandes entreprises ont continué à accorder plus de crédit aux diplômes « internationaux ». L’IAM s’est donc retrouvé face à l’enjeu de l’insertion professionnelle contrairement au Canada où le quasi-plein-emploi permet une rapide absorption des diplômés. Par ailleurs, le coût des formations offertes et le profil des diplômés de l’IAM les destinant à des postes à responsabilité dans de grandes entreprises sont en décalage avec les besoins locaux : main-d’oeuvre polyvalente, peu chère et capable d’apprivoiser les pratiques du secteur informel. Deux défis sont alors à relever : convaincre les acteurs économiques préférant recruter à l’extérieur et former des talents correspondants aux besoins locaux.

L’assurance qualité comme étape fondatrice

Pour relever le défi de la dépréciation des diplômes locaux, l’IAM s’est résolu d’asseoir une légitimité internationale sur la base des mêmes accréditations et certifications que celles brandies par les BS de référence. Ainsi, il engage les démarches de la certification ISO 9001 en 2003. Le processus du renouvellement dans le cadre de la version 2008 conduit à formuler une vision à l’horizon 2020 libellée comme suit : Être la première Business School d’Afrique de l’Ouest et du Centre formant des global leaders adossés à l’Africanité et préparés à la gouvernance des nouvelles économies : numérique et verte.

Avec cette vision, l’IAM sollicite l’adhésion à l’EFMD, dont il organise la Conférence africaine de 2013 avec l’ambition d’obtenir l’« EFMD Programme Accreditation System » (EPAS) puis l’« European Quality Improvement System » (EQUIS). Sur la base des gages donnés, l’EFMD décide que l’IAM mérite l’accompagnement qu’elle offre aux BS des pays émergents dans le cadre de l’EDAF. Dans le rapport établi à l’occasion, il est proposé à l’IAM dix chantiers de développement à mettre en oeuvre pour espérer parvenir à ses fins. L’approbation du contenu de ce rapport par l’IAM lui a valu la récompense d’une admission à la phase de « Mentorat », consistant en un suivi régulier des éventuels progrès réalisés.

La refonte de la gouvernance et de l’organigramme en signe d’adhésion

Le remaniement de l’architecture organisationnelle de l’IAM a été l’une des injonctions fortes à laquelle il a été confronté dans le cadre de sa démarche d’assurance qualité sous la tutelle de l’EFMD. Les changements à opérer avaient deux objectifs : corriger un fonctionnement jugé globalement « aléatoire », « chaotique », « complexe », « nébuleux », « peu fiable », « peu transparent » (CR EDAF, 2015, 2016), et assurer une rentabilité financière qui doit être érigée comme une finalité à part entière et non pas comme une simple condition pour la survie et le développement avec une école qui « devrait être bénéficiaire » (CR EDAF, 2015). Cela conduit l’IAM à lancer une refonte de son organigramme. Les principales orientations en ce sens ont été validées par l’EFMD à travers le « Chantier 2 : La gouvernance, le management et la structure financière de l’école » et le « Chantier 3 : L’organisation interne de l’école » du document cadre du programme EDAF. Le processus de transformation ainsi entrepris a débouché sur la création de deux postes de Directeur Général Adjoint (DGA) et deux (02) services administratifs. Il s’agit des postes de Directeur Adjoint en charge des affaires académiques et de la production intellectuelle (DAPI) et Directeur Adjoint en charge des affaires administratives et financières (DAAF) d’une part; et des services Relations Internationales et Accréditations (SRIA) et Qualité (SQ) d’autre part. Ces nouvelles entités sont chargées de rendre lisible et transparent le fonctionnement de l’IAM aux yeux de l’EFMD.

Nous sommes totalement engagés à rendre les choses transparentes et claires pour eux, pour qu’ils les comprennent.

AQ

Dans la pratique, il devait s’opérer une remise à plat des pratiques et procédures administratives et financières de l’établissement dans le but d’améliorer son efficacité interne tant sur le plan académique que financier. Sur le plan financier, cela devait passer par « un effort vigoureux de recouvrement des frais de scolarité » (CR EDAF, 2016). Concernant l’aspect académique, l’amélioration recherchée devait s’obtenir à travers un meilleur suivi administratif des étudiants qui est l’un des volets essentiels du « Chantier 7 : Le pilotage des programmes et la pédagogie » du document cadre EDAF. Dans ce sens, l’IAM est tenu de prendre en considération « les remontées des étudiants et des parties prenantes (entreprises) suivant une logique qualité d’amélioration progressive » (CR EDAF, 2016). Par ailleurs, il est habituel qu’il y ait à l’IAM, pour un même programme et dans le cadre d’une même année académique, des rentrées par vagues successives en fonction des inscriptions. Il est ainsi encouragé à réduire progressivement l’amplitude des démarrages (CR EDAF, 2016).

Le positionnement international via des manifestations scientifiques

Tout autant que les volets administratif et pédagogique, l’EFMD a aussi mis en avant le volet scientifique dans le cadre de sa relation avec l’IAM. Jusque-là en effet, les enseignants de l’IAM étaient dans leur grande majorité des vacataires qui ne s’intéressent que très peu à la recherche scientifique. Ce changement qui serait radical devait s’opérer suivant deux axes : la constitution d’un personnel enseignant et de recherche permanent d’un certain niveau et la création d’un laboratoire de recherche. Concernant le premier, un dispositif en quatre niveaux fut alors établi :

  • Constituer un vivier de professeurs invités;

  • Encourager les « vacataires permanents » à faire la recherche;

  • Créer un vivier de jeunes doctorants et les engager après soutenance de leur thèse;

  • Fidéliser un vivier de professeurs associés expérimentés en poste localement.

La faible appétence des enseignants de longue date et des circonstances liées à l’éventualité des changements dans la structure actionnariale de l’IAM empêchent la mise en oeuvre du dispositif.

Par contre, il a été créé un laboratoire, le « Groupe de Recherche en Économie et Management Africain » (GREMA) en 2015, mais qui est loin d’être dynamique, faute d’un personnel de recherche permanent. L’IAM a quand même réussi à (co)organiser des manifestations scientifiques internationales[9]. Les thématiques abordées se veulent en phase avec les préoccupations actuelles et futures des sociétés africaines : « Religions et management », « Les défis de la pauvreté dans les BS », « Conseil en management : lien entre l’entreprise et l’université », « L’éducation au management en Afrique face aux incertitudes de l’environnement », etc. Certaines manifestations ont donné lieu à la valorisation des travaux sous forme d’ouvrages portés et/ou labellisés par l’établissement.

Parallèlement, l’IAM participe à des forums d’échange internationaux. Plusieurs membres de la direction de l’IAM, appartenant aux entités nouvellement créées dans le cadre de la refonte de l’organigramme, prennent régulièrement part à des rencontres internationales pour lesquelles il y aurait, parfois, des doutes quant à leur intérêt pour l’école. D’une certaine manière, l’enthousiasme dont l’IAM semble faire preuve et la nécessité de rendre visible ses efforts provoquent une débauche d’énergie et de ressources dont la rentabilité des investissements reste aléatoire tellement certains collaborateurs trouvent que les priorités sont ailleurs : production de supports pédagogiques, amélioration du dispositif d’accompagnement des étudiants, promotion d’initiatives dans le cadre du « Module de Pratiques d’Entreprise » (MPE).

Le Global Bachelor of Business Administration (GBBA) comme programme pilote

L’un des volets essentiels de l’accompagnement offert à l’IAM par l’EFMD est celui relatif à l’excellence académique. Dans ce cadre transparaît clairement une emphase mise par l’IAM sur un cursus en particulier : le GBBA. Le chantier 10 (Audit du programme Global BBA) lui est exclusivement consacré alors que l’ensemble des autres programmes ne sont concernés que par le seul chantier 7 (Pilotage des programmes et pédagogie). À la base, le GBBA était le seul programme retenu dans le cadre des opérations EPAS. Par la suite, il lui a été adjoint, non sans réserve, le BBA en co-diplomation avec l’UQAC. L’IAM a été enjoint de donner la priorité de traitement au GBBA dans le cadre du plan EDAF. Entièrement dispensé en anglais, ce cursus dispose d’un responsable dédié, de salles spécifiques et d’autres avantages matériels. Au-delà, le mentor suggère que des critères précis justifiant son caractère « global » et le distinguant de facto des autres BBA offerts par l’établissement doivent être établis. Ces éléments renvoient notamment au profil des diplômés de ce programme et aux carrières auxquelles ils seraient en droit de s’attendre : jeunes cadres maîtrisant parfaitement les outils digitaux et l’anglais, recrutés dans des multinationales, spécialistes fonctionnels potentiellement tournés vers le commerce international, etc. (DC EDAF). Le BBA en co-diplomation avec l’UCAQ est quant à lui, certes moins bien loti que le GBBA, mais mieux que les autres programmes. Le personnel administratif de l’IAM a aussi tendance à orienter intuitivement et spontanément la discussion vers le GBBA pour expliquer à quel point ce programme est essentiel pour l’accomplissement du premier voeu de la vision de l’IAM : celui de former des « global leaders ».

Les cinq initiatives évoquées jusqu’ici ont en commun la volonté institutionnelle manifeste de répondre aux injonctions de l’EFMD et de l’ISO par l’IAM. Elles sont de nature à offrir une grande visibilité à l’établissement. Des efforts colossaux et une débauche d’énergie et de ressources sont consentis pour satisfaire aux exigences de la façon qui soit la plus conforme aux attentes. Il n’en est cependant pas le cas pour toutes les initiatives.

Tropicalisation des grands principes « universels »

La « tropicalité » est un mouvement littéraire revendiqué par certains auteurs franco-africains dont le chef de file est le Congolais Sony Labou Tansi (1947 – 1995). Ces auteurs considèrent la tropicalisation comme une « licence créatrice, qui prend la forme et le sens d’une vraie provocation, car la liberté textuelle se manifeste comme un acte délibéré de subversion du code de la langue française » (Coulibaly, 2020 : 135). Elle représente un ensemble de « déformations, distorsions et perturbations de la langue, qui constituent autant d’écarts par rapport à la norme standard » et un moyen de couler cette langue française « dans le moule de la réalité congolaise, de l’approprier, voire de l’apprivoiser en quelque sorte » (Ngamassu, 2006 : 211). Dans le cadre de ce travail, nous la considérons comme toute tentative d’insertion des pratiques organisationnelles établies dans des logiques fondamentalement autochtones. À l’IAM, quatre initiatives retiennent l’attention en ce sens.

Le Module de Pratiques d’Entreprise (MPE) comme occasion de rencontres avec le réel

L’une de ses spécificités dont l’IAM se prévaut est le MPE. Quasi obligatoire, il est présenté comme étant en totale adéquation avec des réalités socioéconomiques africaines alors même qu’il a été développé dans une certaine indifférence, voire une forme de scepticisme.

J’avoue, quand E-PE avait commencé on ne comprenait pas, surtout que tout ce qu’on lui demandait, c’était de faire un cours normal de développement personnel.

RAC

À l’origine, le module de développement personnel (MDP) devait se limiter à mettre en avant des compétences non techniques universelles. E-PE considéra que « user du storytelling à base de poncifs psychologisants centrés sur “moi je”, avec des exemples sans aucun rapport avec des Africains n’est pas adapté » à une société collectiviste. Elle se décide alors de créer un module au carrefour de plusieurs autres. La responsabilité de l’animation du MPD est alors confiée à quelqu’un d’autre. E-PE mit en place un dispositif composé d’ateliers pédagogiques personnalisés (APP) et de la participation à la Foire Internationale de l’Agriculture et des Ressources Animales (FIARA). Les APP ont pour objectif « la consolidation du savoir être de l’apprenant tout en l’aidant à prendre conscience de ses potentialités et à mieux structurer ses projets d’avenir pour faciliter son insertion et son évolution professionnelles » (E-PE). Pour cela, cet apprenant doit être mis dans des conditions les plus similaires à celles de son environnement professionnel futur. Par conséquent, les APP se déroulent à l’air libre ou dans un espace ouvert, les apprenants assis sur des nattes (Annexe 4). Une telle pratique permet de dédramatiser les conditions inhabituelles auxquelles ils pourraient être confrontés et de créer une ambiance proche de celle des « daaras »[10], ou celle prévalant dans la quasi-totalité des entreprises au Sénégal.

Pourquoi par terre ? D’expérience, j’ai remarqué que cela crée de la convivialité et facilite le passage du sous-groupe au travail en Équipe. Et c’est un anesthésiant pour faire passer la pilule du changement de certains comportements.

E-PE

En termes de contenu, tout est articulé autour des présentations des apprenants, de leurs origines et de leurs éventuels projets. L’objectif visé est double : développer, chez eux, des talents et aptitudes nécessaires pour mieux interagir avec leur environnement immédiat; et les rendre capable de déceler, non seulement leurs potentialités, mais aussi la façon dont ils pourraient s’en servir pour proposer des produits innovants à base des matières premières disponibles dans leurs localités d’origine. À l’issue des ateliers les apprenants sont supposés avoir mis en place un procédé innovant, mais non industriel de transformation des matières premières locales. Ils sont alors encouragés, suivant une philosophie collectiviste, à mutualiser leurs efforts et à sélectionner les initiatives les plus pertinentes sur lesquelles ils travailleront en groupe. Tout au long du processus les apprenants sont qualifiés de « Petits Entrepreneurs Pédagogiques du Sénégal » (PEP’S) et les produits mis à jour sont appelés « Produits Innovants Naturels du Sénégal » (PINS) (Annexe 4). À la fin, les PEP’S participent à la FIARA où ils exposent leurs PINS. En définitive, ce dispositif tente donc de faire la promotion d’une insertion par l’économique qui s’appuie sur des ressources disponibles localement et des attentes spécifiques à l’environnement. Les objectifs visés consistent à amener les étudiants à pénétrer pour s’y familiariser l’environnement des Micro-Petites et Moyennes Entreprises (M-PME); et aussi à répondre à des besoins locaux spécifiques, notamment avec les PINS.

Le programme d’immersion (PI) comme moment d’initiation

Le PI a une place particulière dans le dispositif pédagogique de l’IAM. Il est systématiquement et spontanément évoqué comme étant un condensé des spécificités africaines de l’IAM. Il consiste à amener chaque étudiant en excursion, au moins une fois durant son cursus. Il s’approche en cela du « Global Immersion Field Trip » (GIFT) qui, dans la tradition de certaines BS anglo-saxonnes (Annexe 5), consiste à faire vivre une expérience, généralement internationale et de courte durée aux étudiants. Ses objectifs sont très souvent focalisés sur l’aspect ludique, la compréhension de l’environnement des affaires des locaux, la découverte des opportunités, des rencontres avec des chefs d’entreprise et le réseautage. Le PI s’en distingue de par son déroulement et les finalités qui lui sont assignées.

En ce qui concerne le déroulement tout d’abord, l’IAM qui a choisi d’ouvrir le PI et à le rendre obligatoire pour tous les étudiants, a décidé de le déployer dans une zone difficile d’accès et plutôt hostile : Kédougou, située à l’extrême Est du Sénégal à environ 740 Km de Dakar. Deux types d’activités rythment ce programme. Il y a d’une part, les ateliers pédagogiques préparatoires qui se déroulent dans le camp de base situé à Kenyoto. D’autre part, il y a cinq étapes « extramuros » mettant les IAMOIS en contact direct avec les populations autochtones : Iwol, Ethiolo, Ninéfécha, Sabodala et Dindéfelo. À chaque étape une charge pédagogique précise est assignée à un exercice pratique comme présenté dans le Tableau 8.

Par rapport aux finalités, le PI se consacre surtout à une formation visant à faire prendre conscience aux participants des dures réalités et de l’hostilité inhérente à la vie. C’est ainsi qu’il se donne pour objectif de faire acquérir aux participants un certain nombre de vertus à travers des « charges pédagogiques » de manière pratique pour les aider à surmonter ces dures réalités. Les « vertus » mises en avant dans ce cadre sont : la résistance, le dynamisme, l’empathie, l’humilité, la loyauté, la solidarité. Tout cela est supposé permettre d’enterrer, dans l’esprit des participants, l’image caricaturalement « universelle » du manager qui serait forcément habillé à l’occidental et qui donnerait des ordres à exécuter à ses « subalternes ».

Le premier point, c’est de casser ce cliché de l’étudiant qui sort de la grande école et qui entre dans son bureau climatisé en costume cravate et un bon salaire. Et ce cliché on le casse comment ? Bah on le casse avec le programme d’immersion déjà.

RSRIA

Tableau 8

Étapes, contenu et objectifs du programme d’immersion

Étapes, contenu et objectifs du programme d’immersion

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Malgré son succès et la forte adhésion des acteurs internes (personnels et étudiants), le PI a longtemps été soustrait à l’exposition médiatique. Cette volonté d’invisibilisation s’expliquerait par le caractère potentiellement polémique de certaines activités et conditions, notamment celles d’hygiène et de sécurité, dans lesquelles se retrouvent les participants, et qui seraient très éloignées des standards exigés par les institutions Étatiques et les OIACC. C’est d’ailleurs l’apriori qu’avaient eu certains fonctionnaires du ministère de l’Enseignement supérieur :

À Kédougou, y a deux ans. À 8 h, le gardien vient me dire : « y a des gens du ministère qui viennent pour voir ». Mais devant le camp on a écrit : « Bienvenue en enfer ! » Donc en rentrant ils ont dit : « Mais c’est quoi ça ? » Parce que tous étaient venus avec un état d’esprit comme quoi on est venu pour torturer les étudiants.

E-CPI

Pour les OIACC et les partenaires occidentaux, cette aventure pourrait être plus scandaleuse, car potentiellement assimilable aux « bizutages » considérés comme dégradants. L’IAM se la représente comme une revivification des traditionnels rites initiatiques de certaines sociétés sénégalaises[11]. Ces rites marquent l’accession des jeunes au statut d’adultes en leur faisant percer le mystère de la vie à travers l’acquisition de vertus spécifiques. Le mot « Immersion » a été privilégié à « Initiation » pour éviter de « scandaliser » davantage à l’extérieur. Paradoxalement, c’est au contact de ces partenaires que l’IAM finit par prendre conscience et assumer publiquement, de façon progressive, la place centrale que peut occuper le PI en termes de « spécificité africaine » dont l’IAM se prévaut. Il est même devenu un élément autour duquel les responsables de l’IAM communiquent. Cette communication a nécessité et/ou produit quelques changements plus ou moins importants. Le changement le plus significatif est probablement celui de la dénomination officielle du programme, désormais appelé « Green Camp » pour être en phase avec l’« urgence climatique ». Logiquement, les aspects relatifs à la sauvegarde de l’environnement ont été rajoutés aux finalités du programme. Il en est de même pour les actions humanitaires qui sont devenues partie intégrante du programme. On peut notamment citer la collecte des dons qui sont offerts aux malades lors de la visite de l’hôpital de Ninéfécha qui est la 3e étape du « Green Camp ». Ces actions visent surtout à justifier, auprès de l’EFMD et d’autres partenaires, de la prise en compte par l’IAM de son contexte spécifique dans le cadre de ses activités étant donné que le Sénégal est un pays à forte demande d’interventions humanitaires. Paradoxalement les participants sont, aujourd’hui encore, appelés à ne rien dévoiler de ce qui se passe durant certaines étapes (Annexe 6) perpétuant ainsi la dimension des rites initiatiques nécessitant que les initiés gardent le mystère.

L’écoute client sous « l’arbre à palabre »

Sur le plan administratif, les OIACC ont des exigences relevant d’un souci de traçabilité et de transparence érigées en principe absolu, ainsi que de la nécessité de réserver un traitement individualisé à chaque étudiant. Pour l’AQ, cela les oblige « à tout codifier et surtout à s’assurer que des traces écrites existent ». Un aspect fondamental de cette exigence est le recueil des appréciations des étudiants, considérés comme clients dans une logique marchande, par rapport au fonctionnement de l’établissement. Idéalement, cela se fait avec des fiches de réclamation individuelles (FCI) et des entretiens individualisés dans le cadre de l’écoute client. Parallèlement à ce dispositif, une initiative appelée « Le Petit Dej. des Classes » (PDC) a été développée par le fondateur et l’administration. Elle consiste à organiser une rencontre annuelle réunissant représentants d’étudiants, d’alumni, des enseignants, des parents d’élèves et des membres de l’administration. Elle reprend en cela l’ancestrale pratique de « la (l’arbre à) palabre ». L’arbre à palabre représente le traditionnel cadre convivial où les membres de toutes les couches de la société s’expriment librement et oralement, débattant des problèmes de la société pour les régler et pour décider des perspectives (Diangitukwa, 2014).

Le PDC est né de la constatation par les membres de l’administration de la réticence d’une grande majorité des étudiants à utiliser les FCI et donc à laisser des traces écrites.

Parce que les fiches de réclamations on les a, mais ce n’est pas suffisant. Ils viennent de temps en temps prendre, mais aussi, c’est de façon individuelle. Mais là vraiment tout le monde est là, c’est assez intéressant.

RSQ

Préalablement à cette rencontre, chaque catégorie de participants est appelée à se réunir pour arrêter les sujets problématiques qui lui tiennent particulièrement à coeur ainsi que les axes d’amélioration que les participants y voient. Les étudiants qui en représentent la principale catégorie sont donc appelés à se réunir par classe pour répertorier leurs préoccupations et retenir celles qui leur semblent être les plus pertinentes. Ils en profitent aussi pour désigner ceux qui porteront leurs voix et exprimeront leurs différentes préoccupations et suggestions.

Les figures emblématiques de la résistance pour servir de source d’inspiration

Le « storytelling » est une pratique très utilisée dans les BS (Benjamin, 2006; Miller, 2009). Il s’agit d’une manière particulière dont des récits (histoires) d’accomplissements ou d’échecs sont exposé(e)s de façon interactive afin de susciter l’imagination d’un auditoire et de l’encourager à agir. Les personnages choisis sont généralement ceux qui sont parvenus à se forger une réputation sur la base d’accomplissements dans le monde des affaires. D’ordinaire, il est plutôt fait recours à des figures qui sont accessibles à son auditoire et auxquelles les auditeurs n’auraient pas du mal à s’identifier. L’IAM, aussi, a choisi d’utiliser à sa manière cette technique. Sa démarche se distingue un peu de ce que l’on rencontre un peu partout par le profil des symboles retenus et le mode d’exposition de ces figures aux étudiants.

S’agissant du mode d’exposition, l’IAM a opté pour une méthode que l’on pourrait qualifier de « photographique ». Celle-ci consiste à orner les parois des entrées, des principaux halls et des allées de ses différents bâtiments avec des images représentant les parrains de l’IAM et d’autres personnages emblématiques ainsi que des citations qui leur sont associées. Pour ce qui est du profil des personnages mis en avant, un décalage net avec les pratiques habituelles est constaté. Ainsi sur vingt-huit photos qui ornent les parois de l’escalier principal donnant accès aux salles des cours et aux autres espaces à partir du hall d’entrée, vingt-deux représentent des figures de résistance et de libération des peuples africains et/ou noirs, voire d’anti-impérialisme (Annexes 7 et 8). En outre, seules quatre figures représentent le monde des affaires.

La surreprésentation de figures de diverses résistances vise à offrir des exemples susceptibles de redonner de la fierté et de l’assurance à une jeunesse africaine qui se sentirait humiliée et pourrait se laisser aller au désespoir. Cela participe de la volonté de promouvoir des symboles et des figures autochtones par une sorte de renversement de tout ce qui peut renvoyer aux vestiges même inconscients de la colonisation. La sous-représentation des figures provenant du monde des affaires, s’explique par le souci de laisser comprendre aux étudiants qu’il peut y avoir des accomplissements autres que ceux aboutissant à une accumulation du capital.

[…] des symboles qui poussent à se battre pour se libérer. Et aussi ils rappellent aux étudiants ou celui qui vient ici qui on est […]. Ils se sont battus pour libérer l’Afrique et même si ce ne sont pas des hommes d’affaires, ils ont leur place ici.

E-CFI

Discussion et conclusion : De la pratique d’accommodements et du risque de « xessalisation »

Cet article avait pour ambition d’appréhender l’espace que se crée une BS d’Afrique pour évoluer dans un contexte marqué par les contradictions d’une mondialisation écrasante et d’une envie clamée d’émancipation. Jusqu’ici, les rares études empiriques portant sur l’enseignement du management en Afrique se sont limitées à analyser les grandes tendances du passé, les angles morts du présent et les perspectives du secteur à un échelon national, continental ou global (Nkomo, 2015; Baba, 2018; Lee et al., 2018). De ce fait, la quasi-totalité des conclusions qu’elles tirent insistent sur des aspects généraux à considérer dans un contexte marqué par la nécessité de concilier les attentes locales et les exigences liées à la globalisation. Elles ne disent que très peu de choses par rapport aux contraintes que le contexte national et global fait peser sur les BS.

Notre travail montre que l’IAM est soumis à des influences exercées par plusieurs acteurs de positions différentes. Le tropisme canadien et les exigences de l’EFMD ont obligé l’IAM à adopter une architecture organisationnelle et un fonctionnement calqués sur les normes anglo-saxonnes : ouverture internationale, étudiants-consommateurs, développement de la recherche et démarche qualité (Wedlin, 2011; Calma et Dickson-Deane; 2020). Cette propension est renforcée par les récurrents commentaires des « analystes » et institutions (inter)nationales tendant à expliquer les écarts dans les organisations africaines par des carences managériales des responsables (Kuada, 2013), lesquels sont souvent formés localement dans des universités perfidement déclassées. Cela met en exergue le mimétisme auquel se livre l’IAM en ce sens qu’il procède à une imitation imposée, destinée à lui faire rejoindre la normalité des BS qui comptent sur l’échiquier international (Boussebaa et Brown, 2017; Claeyé, 2019).

Il faut cependant se rendre à l’évidence que même pour des principes qui semblent être totalement acceptés; certaines réactions laissent entrevoir, sinon une opposition factuelle, du moins des interprétations faites en fonction des positions occupées. Ainsi la promotion de la recherche à l’IAM consiste, à travers la proximité et la collaboration avec la communauté savante locale, à accueillir et/ou (co)organiser des manifestations scientifiques permettant la production de contenus exclusifs portant sur des objets singuliers et représentatifs des préoccupations du pays et à, éventuellement, les valoriser plutôt qu’à produire de la recherche en interne. Les étudiants sont officiellement considérés comme étant des clients et traités comme tel sur le plan administratif, mais ils sont traités comme des talibés et/ou apprentis dans le cadre du MPE ou préposés à l’initiation dans le cadre du PI. Le PI est, selon les circonstances, présenté soit comme rite d’initiation traditionnel ou comme un séjour d’immersion ou même comme un camp climatique. Ces trois exemples illustrent toute l’ambivalence avec laquelle les acteurs internes à l’IAM vivent leur rencontre avec les influences externes (Cret, 2013). Cette ambivalence des acteurs internes répond en fait à celle des porteurs des influences externes qui demandent à ce que, tout en se conformant aux normes qu’ils édictent, l’IAM garde et marque sa spécificité. Ils visent par conséquent à « normaliser » l’IAM qui se doit de ressembler, mais surtout pas totalement, aux meilleures BS anglo-saxo-américaines (Claeyé, 2019; Wanderley et al., 2021).

Fondamentalement, les ambivalences amènent chaque acteur à devoir (re)négocier et (ré)ajuster ses positions et/ou pratiques en fonction des positions des autres. Une telle situation encourage une réinterprétation des normes et standards et leur appropriation/déformation tout en maintenant une rhétorique uniforme, usuellement médiatisée par les organismes internationaux de certification et de classement. L’IAM serait ainsi ce tiers espace (Bhabha, 2007) de réinterprétation (Frenkel, 2008; Yousfi, 2014); où existent en même temps des choses qui s’opposent, mais qui se contaminent respectivement en favorisant des formes alternatives d’agencéité (Kothiyal et al., 2018); et « où les choses ne sont ni l’une ni l’autre, et sans doute l’une dans l’autre, où se joue entre les unités un rapport de négociation plutôt que de négation […]. Dans cet entre-deux, ce “ni-ni”, se forment des objets nouveaux. » (Giroux, 2016 : 40). On peut ainsi parler d’un processus d’hybridation d’une BS même s’il convient de dire que le modèle est encore loin d’avoir été stabilisé, car ne touchant que certaines pratiques. Dans des zones grises où règnent des ambivalences et se réalisent des accommodements, s’expérimentent aussi des pratiques nouvelles et hybrides (Tableau 9).

Il faut cependant éviter toute conclusion hâtive par rapport à un éventuel modèle totalement hybride qui naîtrait forcément d’un processus d’hybridation. En effet, un modèle hybride laisse espérer une harmonie et une cohérence interne qui caractériseraient ce « Un Tout Autre » car il serait une synthèse entre « Le Soi » et « L’Autre » (Giroux, 2016). En ASS-F, l’asymétrie des relations de pouvoir inhérentes à la situation coloniale et « l’arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation (néo)coloniale » (Fanon, 1952 : 24) sont de nature à entraver cette harmonie interne et conduire à la naissance d’un « l’Un à côté de l’Autre » via une simple juxtaposition et une superposition des différentes influences (Dioffo, 2019 : 5; Claeyé, 2019). Nous qualifierons cela de risque de « xessalisation ».

Tableau 9

Pratiques nouvelles et hybrides présentes à l’IAM

Pratiques nouvelles et hybrides présentes à l’IAM

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Au Sénégal, le « xessal »[12] est une pratique de dépigmentation cutanée volontaire. C’est un phénomène qui consiste, généralement chez des femmes (mais chez certains hommes aussi), à faire usage de substances chimiques pour se blanchir la peau. Certaines avancent qu’une telle décision tient uniquement à leur propre désir et plaisir. Il est cependant admis qu’elle est conditionnée par le « complexe postcolonial » né de l’intériorisation inconsciente d’une hiérarchie sociale, la volonté de satisfaire les canons de la beauté occidentale véhiculés par la publicité et l’obligation de séduire (Mahé et al., 2004). Ces auteurs montrent que le « xessal » exige un investissement conséquent en termes de discipline et de ressources financières sans pour autant garantir un résultat satisfaisant et soutenable, et tout en produisant plusieurs effets indésirables majeurs. Dans des cas extrêmes, cela peut conduire jusqu’à l’amputation ou à des complications au moment d’un éventuel accouchement (Ly, 2018). Tout cela est dû à une résistance d’ordre biologique face aux agressions que la peau subit des substances chimiques. De façon générale, le résultat du « xessal » est l’aspect bigarré qu’il donne à la peau à cause de l’hyperchromie. Dans son aspect visible, la peau donne l’impression que toute la mélanine qui lui donne son aspect noir se concentre désormais dans de toutes petites parties qui restent noires, voire se noircissent davantage, et qui se juxtaposent aux parties « xessalisées ».

L’IAM semble prendre le chemin de la situation ci-dessus exposée. Les pratiques hybrides sont peu nombreuses. Les moyens qui leur sont consacrés sont dérisoires par rapport aux ressources accordées aux exigences des OIACC que l’école s’oblige à séduire, à travers des actions ostensibles et l’allégeance de disciples convaincus par la supériorité du modèle anglo-saxon. En parallèle, des forces endogènes rendent difficile, sinon impossible, la reproduction des modèles d’éducation au management des BS du Nord : chômage de masse, tissu entrepreneurial différent, fortes inégalités sociales, pauvreté. Cela pousse quelques acteurs internes à se focaliser sur certaines dimensions de l’établissement qu’ils s’acharnent, très souvent dans l’ombre et avec de maigres moyens, à enraciner dans des spécificités locales y compris en acceptant des accommodements. La coexistence du MDP « normal » et du MPE et celle des FCI et du PDC illustrent ce dualisme symbolique et cette juxtaposition des modèles dont la soutenabilité pose question. L’arrivée d’investisseurs institutionnels, encore plus orientés rentabilité, dans le capital de l’IAM pourrait alourdir ce risque. L’introduction de la proposition de la « xessalisation » de l’IAM enrichit la discussion sur l’hybridation et l’hybridité en ce sens qu’elle permet de poser clairement le débat sur l’harmonie interne et la soutenabilité des modèles qui en seront issus. Des recherches supplémentaires devraient sans nul doute aider à mieux les caractériser pour mieux faire face au risque éventuel qui pourrait leur être inhérent.

Une autre particularité de notre travail est de constater que l’élément qui permet l’enclenchement du processus résulte, non pas d’une simple rencontre entre un dominé et un dominant, mais de la rencontre d’un dominé avec au moins deux dominants. Entre ces deux derniers existe une certaine forme de compétition dans laquelle l’un semble décliner. En effet, la volonté de récuser le modèle d’inspiration française ne s’est réellement affermie que par comparaison avec les modèles canadien et anglo-saxon. Cela fait d’ailleurs écho à la thèse des guerres dites mondiales, et en particulier la seconde, qui ont été des catalyseurs et des accélérateurs des mouvements de lutte pour les indépendances en Afrique (Khapoya, 2012). Ainsi, on peut considérer que les velléités d’émancipation s’affirment plus facilement et plus fermement en présence de deux modèles dominants qui s’opposent. Cette préoccupation est sans doute susceptible d’être mieux éclairée en la rapprochant de la littérature intersectionnelle.

Au-delà, il serait intéressant d’étendre cette recherche aux autres BS du Sénégal et/ou d’ASS-F pour vérifier s’il ne s’agit que d’un cas atypique ou si c’est un mouvement général qui touche toutes les BS de la zone. Les initiatives d’institutionnalisation des pratiques éducatives propres à l’Afrique se multipliant, il urge aussi d’analyser leur niveau d’adéquation avec les réalités africaines comme suggéré par Akoto et Akoto (2018).