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La bande dessinée québécoise contemporaine fait de Montréal un de ses sujets de prédilection. Le phénomène n’est pas nouveau; dès les débuts du neuvième art au Québec, la métropole est omniprésente, notamment dans Les aventures de Timothée et La famille Citrouillard. Dans son ouvrage BDQ : histoire de la bande dessinée au Québec, Michel Viau rappelle que ces premières bandes dessinées québécoises, publiées dans les journaux, convoquent de nombreux lieux iconiques montréalais et mettent en scène des personnages qui ont parfois peine à habiter la ville :

Les Citrouillard sont totalement inadaptés à la vie citadine : qu’ils tentent d’utiliser la technologie moderne (téléphones, fours au gaz, lanternes magiques, ampoules électriques) ou urbaine (voitures, bornes-fontaines, trappes à charbon, tramways), et voilà que les appareils les plus inoffensifs se transforment en objets meurtriers […][1].

Ainsi, depuis les balbutiements de la BDQ, la métropole se trouve au centre des bandes dessinées que l’on rencontre dans les périodiques et se taille progressivement une place dans les albums.

Depuis le xxe siècle, la publication de bandes dessinées de plus en plus nombreuses au Québec[2] a fait en sorte que l’imaginaire de la métropole dans ce domaine s’est étoffé. Si l’arrivée en ville est toujours un lieu commun exploité par le neuvième art[3], les visages de Montréal sont désormais plus diversifiés. La métropole est tour à tour la toile de fond d’intrigues amicales et amoureuses (Les petits garçons de Sophie Bédard; et Yves, le roi de la cruise de Luc Bossé et d’Alexandre Simard), réimaginée dans des versions dystopiques (Hiver nucléaire de CAB; Ab Irato de Thierry Labrosse) et vue au prisme de voyages à l’étranger (Occupez-vous des chats, j’pars d’Iris; Zviane au Japon de Zviane). La représentation de la ville est parfois mise en tension avec celle des régions (La petite Russie de Francis Desharnais; Jimmy et le Bigfoot de Pascal Girard), la vieille rivalité ville-campagne se voyant ravivée dans le discours de quelques personnages (Non-Aventures de Jimmy Beaulieu).

Parmi les artistes qui mettent en scène Montréal, s’en trouvent certains et certaines qui font d’un quartier précis la vedette incontestée de leur bande dessinée. Ces oeuvres se distinguent ainsi de celles qui font de Montréal le simple décor de leur intrigue ou qui, par l’incorporation de certains hauts lieux, de monuments emblématiques ou d’éléments architecturaux symboliques de la métropole, font référence à la vie urbaine. Il s’agit plutôt de raconter un quartier, d’en proposer une vision singulière et subjective. C’est le cas notamment de Skip Jensen qui, dans Lachine Beach, dépeint la vie terne et morose à Lachine dans les années 1960 et 1970, un arrondissement traversé par les tensions linguistiques et économiques. De son côté, Michel Hellman a contribué à circonscrire l’imaginaire du Mile End grâce aux différentes histoires qui composent Mile End, un album au ton le plus souvent humoristique et articulé autour des quatre saisons de l’année[4]. Publiée en 2014[5], la bande dessinée Chroniques du Centre-Sud de Richard Suicide et de William Parano se présente quant à elle comme « la toute première étude anthropologique sérieuse – sous forme de bande dessinée – sur la faune (houblonnée) et la flore (gastrique) du vénérable quartier[6] ». Si l’expression « étude anthropologique » laisse entendre que le portrait du quartier se fera depuis l’extérieur, c’est pourtant une expérience vécue de l’intérieur qu’on nous fera découvrir, loin du ton neutre et objectif auquel on pourrait s’attendre.

C’est précisément l’analyse de cette « étude anthropologique » de Centre-Sud qui sera au coeur de cet article. L’examen de la trajectoire de Richard Suicide permettra d’abord de voir en quoi Montréal et, plus précisément, le quartier Centre-Sud constituent l’un des points névralgiques de son oeuvre. Je proposerai ensuite une lecture plus approfondie de Chroniques du Centre-Sud qui mettra en lumière les stratégies narratives et graphiques qu’adopte le bédéiste pour raconter le quartier montréalais. Cette analyse s’appuiera notamment sur les réflexions de Jean-Didier Urbain à propos de la spatialité et des actes de discours qui en découlent ainsi que sur les notions de carte et de parcours, telles que conçues par Michel de Certeau. Il s’agira, en somme, de cerner l’imaginaire de quartier véhiculé par Richard Suicide, tant sur le plan spatial que sur celui des affects (nostalgie, appartenance, ironie, etc.).

Le centre du monde

Bédéiste underground ayant gagné en popularité pendant les années 1990, Richard Beaulieu évolue sur la scène littéraire et bédéistique sous plusieurs pseudonymes, dont le plus connu est Richard Suicide[7]. Les Chroniques du Centre-Sud, parues en 2014 chez Pow Pow, sont d’ailleurs signées par Richard Suicide et par William Parano, un autre de ses alias. L’oeuvre porte par conséquent doublement la signature de Beaulieu, geste surprenant qui signale une forme de clivage de l’artiste et qu’il est entre autres possible d’interpréter comme un clin d’oeil aux fameux duos de scénaristes et de dessinateurs ou dessinatrices qui signent conjointement des albums. On trouve en outre une boutade à propos du caractère factice de Parano dans le texte d’accompagnement de l’oeuvre : « William Parano n’existe pas. Mais ça ne l’empêche pas d’écrire des livres[8]. » Cette non-existence ne l’empêche vraisemblablement pas non plus, un an après la publication des Chroniques, de signer l’introduction de la bande dessinée Lachine Beach de Skip Jensen, publiée en 2015 aux éditions Trip. Dans ce texte intitulé « Une plage de béton », Parano souligne l’ironie du titre choisi par Jensen et ajoute que 

[l]’histoire d’un quartier a parfois plus de valeur racontée par ceux qui y ont vécu que décrite par quelconques historiens ou institutions. On y retrouve tous une partie de notre propre enfance : les ruelles infinies, les terrains de baseball et les pizzerias de coin de rue. Après tout, le quartier de notre enfance, on ne le choisit pas, il nous est imposé[9].

Ce parti pris pour une histoire des quartiers orale et subjective se révèle particulièrement intéressant, puisqu’il explicite, en quelque sorte, le projet derrière les Chroniques du Centre-Sud et semble un des fondements de la poétique du bédéiste.

Comme plusieurs artistes évoluant dans le milieu underground de la bande dessinée, Richard Suicide participe à des collectifs et crée des fanzines (productions artisanales, en marge des circuits commerciaux, tant du côté de la fabrication que de la distribution). Il est un auteur assez peu présent sur la scène littéraire, et ses oeuvres – à l’exception de Chroniques du Centre-Sud – sont parfois difficiles à trouver, ce qui est caractéristique de la bande dessinée underground qui fonctionne avec des réseaux de distribution alternatifs. En plus des Chroniques, sa production comprend des oeuvres comme My Life as a Foot (2007, Conundrum Press), Gonades cosmiques (1997, Zone Convective). L’artiste signe également une des nombreuses histoires de Lettres à Montréal, recueil publié par les Presses du Festival BD de Montréal. Enfin, on retrouve l’un de ses dessins dans Le Montréaler, un collectif issu d’une exposition qui s’est tenue à l’automne 2017 à la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal. Le projet de Montréaler était de rendre hommage aux célèbres couvertures du magazine américain The New Yorker en déplaçant le centre d’intérêt sur la métropole québécoise. Dans l’avant-propos de l’ouvrage, Nicolas Trost, le co-commissaire de l’exposition, explique que le projet était « de réunir un grand nombre de créateurs autour de la réalisation de la une d’un magazine imaginaire qui exprime leur vision subjective d’une ville, Montréal en l’occurrence[10] ». L’une des cinquante-deux illustrations réunies dans le collectif a été réalisée par Richard Suicide; il s’agit d’une vue de l’intersection des rues Ontario et Dorion, le même coin de rue où commence l’intrigue des Chroniques du Centre-Sud.

Il ne s’agit pas d’une coïncidence. En fait, la traversée de la production artistique de Richard Suicide permet de constater que Montréal et, plus précisément, le quartier Centre-Sud apparaissent comme un carrefour de sens, un lieu que l’artiste semble continuellement s’attacher à représenter. Une explication plutôt loufoque de cette force gravitationnelle est donnée dans l’incipit des Chroniques du Centre-Sud, qui se lit d’ailleurs comme un épisode presque indépendant du reste de l’album[11] et qui jette les bases du projet du narrateur. Dans cette première description du quartier qu’il offre aux lectrices et aux lecteurs, le protagoniste explique que le pouvoir d’attraction de celui-ci trouverait son ancrage au beau milieu du dépanneur du coin :

Donc, si le temps tourne en boucle autour du même endroit, c’est qu’il y a un point central pas loin, un pivot! Un point fixe qui attire le temps et l’espace, comme un trou noir mais en plus soft! Après tout ce temps, j’aurais dû m’en douter. Mais maintenant, je sais! Je sais que ce point fixe n’est rien d’autre que le centre de l’univers, et il est situé… entre les biscuits soda et la vinaigrette crémeuse de type « ranch » triple bacon[12]!

L’épisode se termine par la destruction, dans un moment de pure folie, du plancher du dépanneur et par l’internement éventuel du personnage que l’on voit partir sur une civière, le corps complètement immobilisé par une camisole de force.

Ce fameux Centre-Sud que s’attache à dépeindre Richard Suicide s’étend, d’est en ouest, entre la rue St-Hubert et le pont Jacques-Cartier et est délimité par le fleuve Saint-Laurent au sud et par la rue Sherbrooke au nord. Dans sa description du quartier, le narrateur des Chroniques se heurte toutefois aux limites réelles du lieu. L’avatar du bédéiste avoue, au début de la bande dessinée, que ses frontières sont plutôt la rue Ontario, entre Cartier et Dorion, proposant plutôt une version réduite du quartier. C’est dans cet étroit quadrilatère que l’intrigue de la bande dessinée est campée et que Centre-Sud est décrit comme une enclave d’où l’on ne sort pas réellement.

La vision que nous présente Richard Suicide du quartier Centre-Sud consiste en une communauté de laissés-pour-compte, de « weirdos[13] », de « fuckés[14] » et de « gens potentiellement dangereux[15] ». On y trouve une population marginalisée : travailleuses du sexe, junkies, punks, personnes trans, personnes en situation de pauvreté. Le quartier, poqué, endommagé, est à l’image de ses habitants et de ses habitantes. À partir de ses observations, le narrateur réfléchit aux motivations (ou plutôt au manque de motivations) qui ont incité les gens à s’établir dans Centre-Sud : « D’ailleurs, je m’étonnais toujours de constater le haut pourcentage de monde magané dans le quartier. C’est comme si tout ce monde-là s’enfargeait sur la rue Sherbrooke, déboulait la côte jusqu’à Ontario, finissait par se trouver un trou pas cher et décidait de vivre drette là[16]. » Dans l’imaginaire de la bande dessinée, Centre-Sud est un quartier que l’on habite par accident, et ce, dans les deux sens du terme : de manière involontaire, sans souhait particulier, mais aussi en raison d’un incident réel, littéralement en déboulant la côte.

Les seuls commerces qui y sont établis sont des salons de tatouage, des établissements de restauration rapide, des dépanneurs et des tavernes. Cette succession de magasins dépeinte par Suicide nous laisse à penser que l’on survit dans le quartier plutôt que l’on y vit.

Le narrateur pose ainsi un regard ironique sur son environnement, et cette vision subjective est l’un des fondements de l’humour de la bande dessinée. L’ironie déployée dans l’album se trouve non seulement dans le discours du protagoniste, mais également dans l’association du texte et de l’image et, le plus souvent, dans les décalages que provoquent ces associations. Par exemple, dans la planche ci-dessous (figure 1), le narrateur affirme que « ce qui [lui] plaisait avant tout de la rue Ontario, c’est la grande diversité de ses commerces. On trouvait de tout sur la rue Ontario[17] ». Pourtant, en examinant le décor derrière le narrateur, on comprend tout le sarcasme de ce commentaire, puisque l’on n’observe que des salons de tatouage et de piercing à l’arrière-plan. Le plan incliné de la case – la rue n’est pas au niveau – souligne et redouble le sarcasme du narrateur.

Sur le plan visuel, le trait de Richard Suicide est plutôt fin et souple, mais nous sommes ici très loin d’un dessin délicat. Alors que les infrastructures et les immeubles à logements sont représentés par des lignes droites, les personnages qui peuplent les Chroniques du Centre-Sud sont, quant à eux, dessinés à l’aide de lignes extrêmement tremblotantes. Si l’on se concentre sur le narrateur qui rêve de manger un saucisson de baloney dans la deuxième case de la planche ci-dessous (figure 1), on voit que tout tremble chez lui : jambes, bras, visage. Ces lignes courbes utilisées pour dépeindre les personnages créent énormément de mouvement dans l’image et sont peut-être un indice de plus du mal-être des habitants du quartier. On remarque également que le dessin, chez Richard Suicide, est très chargé, ce qui constitue un trait récurrent dans la bande dessinée underground[18]. Il y a peu d’espace libre dans la page, l’image est saturée de détails : des déchets jonchent le sol, les vitrines sont placardées d’affiches et les figurants sont nombreux dans les rues. La case mentionnée plus haut est représentative de l’oeuvre : le bédéiste dépeint un quartier où il n’y a pas d’espace, où il faut constamment naviguer entre les objets, les détritus, les immeubles et les gens pour se frayer un chemin dans le monde. Enfin, on peut commenter la palette de couleurs tout à fait réduite qu’utilise Suicide : hormis le noir du trait, le dessin est tout colorié en vert, teinte qui rappelle celle des bouteilles de bière que boivent les résidents et résidentes du quartier, ce qui donne un dessin presque monochrome.

Figure 1

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 39.

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Le quartier Centre-Sud est également le sujet de l’une des histoires de My Life as a Foot, intitulée « South-Center Chronicle », épisode que l’on peut considérer comme annonciateur de l’oeuvre de 2014. En plus de ce titre qu’ils partagent, le segment de My Life as a Foot et Chroniques du Centre-Sud entretiennent de nombreuses similarités. Tous deux mettent en scène des personnages qui vivent en marge de la société et qui évoluent dans un milieu urbain crasseux. Le protagoniste de « South-Center Chronicle », Roman P., est un ancien acteur de films pornographiques qui, au détour d’une allée, trouve un poulet rôti dans une poubelle et projette de le manger. Alors que le personnage s’apprête à rapporter le butin chez lui, la voix narrative explique son geste : « Seeing as how he’d been reduced to dining on noodles with yellow powder the last few months… He hustled homeward quickly, chicken in tow…[19] ». Les nombreux personnages dépeints dans les Chroniques vivent, quant à eux, dans des conditions souvent déplorables, comme le voisin du narrateur qui accumule toutes sortes d’objets, qu’il empile dans son appartement et dans sa cour. La question de la pauvreté traverse ainsi l’oeuvre du bédéiste, trouvant toutefois une expression plus onirique et violente dans My Life as a Foot que dans les Chroniques. Sur le plan graphique, le dessin de Suicide a sans contredit évolué entre 2007 et 2014, mais on retrouve dans les deux bandes dessinées la même propension de l’auteur à saturer les cases et l’utilisation d’une ligne fine, souple et tremblotante. La mise en page serrée et parfois intriquée de My Life as a Foot a laissé place à une mise en page un peu plus aérée dans les Chroniques. Le noir et blanc a quant à lui été troqué pour le dessin monochrome.

Raconter le lieu

La représentation du quartier Centre-Sud occupe ainsi une place primordiale dans la poétique de Richard Suicide. Cette volonté de saisir l’imaginaire d’un quartier a par ailleurs retenu l’attention des quelques critiques qui se sont penchés sur l’oeuvre du bédéiste. Anna Giaufret a notamment fait un rapprochement entre les oeuvres de Michel Hellman, de Skip Jensen et de Richard Suicide par le biais de la représentation du territoire, dans son livre Montréal dans les bulles : représentations de l’espace urbain et du français parlé montréalais dans la bande dessinée. Dans cet ouvrage, la chercheuse s’intéresse précisément au corpus de bandes dessinées québécoises contemporaines dans lesquelles la ville de Montréal est représentée. Afin de classer ces nombreuses oeuvres, elle propose une typologie des représentations urbaines qu’elle décline en trois catégories : les bandes dessinées fondées sur le territoire, celles fondées sur le lieu et, enfin, celles fondées sur les non-lieux[20]. C’est dans la première catégorie que Giaufret classe le type d’albums qui misent sur l’exploration d’un quartier précis, tels que ceux de Skip Jensen, de Michel Hellman et de Richard Suicide. Selon elle, ces oeuvres

visent la reconstruction d’un environnement quotidien, dans lequel le personnage (souvent autobiographique ou auto fictif) occupe une place primordiale. Il s’agit parfois de reconstructions mémorielles du quartier tel qu’il était autrefois, souvent pendant l’enfance du personnage, reconstruit à travers le souvenir qui sera confirmé ou modifié par un retour sur les lieux[21].

Les Chroniques du Centre-Sud se présentent effectivement comme un projet autofictionnel, le protagoniste étant un avatar du bédéiste en constante recherche d’inspiration et qui voit son élan créatif toujours mis en péril par ses lendemains de beuverie légendaires. De nombreux passages métaréflexifs montrent l’artiste à l’oeuvre, en proie aux difficultés qu’il éprouve dans sa recherche sur les gens du quartier. La présence d’un autre bédéiste québécois, Siris, avec qui le narrateur se plaint du milieu de la bande dessinée québécoise, scelle le pacte autofictionnel[22]. L’aspect mémoriel est lui aussi central dans la représentation du lieu. Déménagé dans les années 1980 dans le quartier, Suicide trace le portrait de cette enclave particulière de la métropole, qui connaît tour à tour son époque « deep-trash[23] », puis « crunchy-hardcore[24] » et enfin « nihilo-trash-hardcore[25] ». Centre-Sud est ainsi, dans l’univers de la bande dessinée, un quartier considéré dans son épaisseur temporelle.

Les balises proposées par Anna Giaufret pour rendre compte de la bande dessinée de Richard Suicide sont par conséquent convaincantes : le récit repose effectivement sur un projet autofictionnel et l’aspect mémoriel est l’une des pierres d’assise de l’oeuvre. Cependant, afin d’enrichir la lecture que je souhaite proposer des Chroniques, je m’appuierai davantage sur les travaux de Jean-Didier Urbain qui, de son côté, définit trois paliers de la spatialité : l’étendue, l’espace et le lieu. Alors que l’étendue serait une « matière brute[26] », « l’espace est un objet construit[27] », structuré par une intervention humaine. Le lieu, quant à lui, est intimement lié au récit qu’on en fait, et c’est cet arrimage entre lieu et narration qui me semble particulièrement fécond dans la lecture que l’on peut faire des Chroniques de Centre-Sud. En reprenant la terminologie établie par Urbain, je m’éloigne par conséquent des notions de non-lieu – notamment explorée par Marc Augé dans Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité – et de territoire qui, à la suite des réflexions de Foucault, sont arrimées aux questions de gouvernance et de souveraineté[28].

La suite de cet article visera donc à circonscrire les caractéristiques du Centre-Sud de Richard Suicide en tant que lieu, au sens où Urbain entend cette notion :

Le lieu est bien davantage qu’un fragment d’espace délimité. Bien davantage également que de l’étendue organisée. Il a partie liée avec l’événement, l’action, le rôle, l’histoire : history ou story, peu importe. Troisième palier de la spatialité, le lieu est un espace dramatisé. De l’anecdote à l’épopée, il va y advenir, il y advient ou il y est advenu quelque chose[29].

Urbain nous met donc en garde : bien qu’il soit le troisième palier de la spatialité, le lieu n’est pas qu’une version réduite ou limitée de l’étendue ou de l’espace. Ce qui le distingue des deux premiers est le processus de mise en intrigue qui l’anime. Cette distinction est primordiale, puisqu’elle assigne à l’espace et aux lieux des actes de discours spécifiques :

Par opposition à la description, dont l’espace procède, acte de discours ou d’aménagement qui relève du plan, de la topographie, de la perspective, du panorama, de l’organisation d’un état – un acte qui, somme toute, « plante le décor » –, le lieu relève du récit, de la diégèse, de l’action, qu’elle soit projetée, réalisée ou souvenue. C’est ce récit potentiel, actuel ou révolu inscrit dans un espace qui le sublime en lieu[30].

Le lieu serait donc cet espace sublimé par la mise en intrigue, portant en lui une historicité : passé, présent ou futur. On constate cette attention à la dimension historique du lieu dans les Chroniques, et ce, tout particulièrement dans les propos du narrateur. Richard Suicide ne se contente effectivement pas de décrire son quartier, il le raconte.

Dans une narration qui oscille entre l’ironie et la nostalgie, le narrateur relate différentes anecdotes qui mettent en scène les gens du quartier ainsi que leurs modes de vie et s’intéresse tout particulièrement à la succession des boutiques miteuses de la rue Ontario. Le marché Ami, dépanneur de quartier où le narrateur se procure ses fameux saucissons, retient tout particulièrement son attention. D’abord magasin de vêtements, le local abrite tour à tour un dépanneur-épicerie, un club vidéo, puis une galerie d’art :

À l’entrée, sur le sol, il y a le nom d’un ancien magasin de linge (cheap aussi) des années 60. Du coup, je me suis mis à m’intéresser à la série de commerces qui ont tous occupé le même endroit, qui se sont succédé dans le temps, tels les ingrédients d’un grand club sandwich temporel[31].

Cette volonté de retracer les mouvements du tissu urbain témoigne de l’attention que porte Richard Suicide à la ville qui grouille, se transforme et se transmute, bref, à ce que Daniel Laforest définit comme l’urbanisation, dans son livre L’âge de plastique. Laforest insiste en effet pour que l’on abandonne le terme de « ville » au profit de celui d’« urbanisation » :

[I]l faudra accepter d’abandonner le mot « ville » en chemin. […] L’urbanisation et la ville ne sont pas la même chose du tout. La première est un processus, la seconde est son résultat. L’urbanisation est vivante et mobile alors que la ville est morte, ou en tout cas figée, abstraite. Bref, l’une existe, et l’autre pas[32].

La représentation du Centre-Sud que Richard Suicide offre aux lectrices et aux lecteurs est en effet tout sauf figée. Le récit qu’en fait le bédéiste est traversé par les échos du passé et les inquiétudes quant à l’avenir. Cette tension entre une forme de nostalgie et la crainte des changements que l’avenir réserve au quartier est particulièrement frappante au début de la quatrième partie des Chroniques :

Le coin des rues Cartier et Ontario, le centre de ce qui fut jadis un important quartier ouvrier et qui a vu grandir de grands poètes comme « Pitou la Botte » à l’âge d’or des chics cabarets du Centre-Sud, est maintenant un coin de vie où essaiment une série de commerces nouveau genre, le dynamisme de la jeunesse et de l’économie mondialisée a profondément transformé l’essence de ce bout de ville[33]!

C’est cette longue phrase condensant à la fois le passé ouvrier du Centre-Sud et l’embourgeoisement que l’arrondissement subit désormais qui ouvre la partie intitulée « Reportage choc : Le monstre du Centre-Sud », récit du tournage d’un film de l’ONF – organisme rebaptisé par le bédéiste l’« Orifice National du Film[34] ». Le documentaire, réalisé par un avatar de Xavier Dolan (Mathieu Boudreau-Dolan), suit la vie d’un monstre récemment déménagé dans le quartier et son intégration progressive à la vie communautaire. Comme dans les autres parties de la bande dessinée, la voix narrative est très ironique et souligne à gros traits l’embourgeoisement qui transforme Centre-Sud. Après avoir déambulé dans les rues et avoir visité les commerces locaux, le monstre rentre chez lui, dans son « tout nouveau spacieux condo[35] », construit juste à côté du magasin Le Père de la scrap, voué, selon les principes de l’embourgeoisement, à disparaître.

Désormais assis dans son appartement, qui apparaît tout sauf spacieux – la toilette est installée à côté d’un électroménager qui fait à la fois office de réfrigérateur et de cuisinière – le monstre pense à la revente potentielle de son bien immobilier : « En plus, je pourrais affirmer qu’on fait de très bonnes pipes dans le coin. Un avantage[36]. » Le double sens est ici peu subtil puisque le narrateur affirmait, quelques pages auparavant, qu’il « y avait une pute par coin de rue[37] » lorsqu’il est arrivé dans Centre-Sud. Par l’entremise de ce faux documentaire, Suicide propose donc une réflexion critique et ironique sur les changements qui animent son quartier et qui menacent, selon lui, l’équilibre communautaire.

Si l’ironie est le principal mode d’expression de la voix narrative, il n’en reste pas moins que la nostalgie est l’un des affects qui prend une place importante dans les Chroniques du Centre-Sud. Dans la troisième partie de l’album, Suicide consacre une vingtaine de pages à ce qu’il nomme sa « tournée vintage ». Cette tournée se présente comme une déambulation dans le quartier au cours de laquelle il examine les vestiges d’une époque révolue. Le narrateur décrit son errance à travers les rues du quartier en ces mots : « Donc, voici ma tournée vintage. Juste pour puncher quelques images de ce qui est disparu, démoli, atomisé et oublié. Juste pour montrer que le temps bouffe les tas de briques et ceux qui vivent dedans[38]. » La gradation des termes « disparu », « démoli » et « atomisé » souligne le tragique et la violence des transformations qui ont modifié le visage de Centre-Sud, mais l’ajout final de « oublié » nous amène du côté de la nostalgie : c’est la question du souvenir qui est au coeur des préoccupations du narrateur. L’anthropomorphisation du temps, conçu comme une bête vorace qui avale tout, cristallise quant à elle la présentation des conséquences néfastes de l’embourgeoisement du quartier.

Figure 2

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 106.

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Entre les années 1980 et le moment présent, le visage de Centre-Sud s’est en effet modifié. Des commerces ont disparu et même des pans entiers du paysage urbain ont été démolis. C’est le cas, par exemple, de l’îlot Huron. Selon le narrateur, la ville, après avoir démoli l’îlot, a « fait semblant de décontaminer le terrain, [a] planté quelques arbres, placé une belle fontaine moche et appelé ça “le parc des Faubourgs”[39] ». On sent bien ici le reproche adressé aux autorités municipales, qui font semblant de s’occuper du quartier, mais qui n’ont d’autre but que d’enjoliver superficiellement l’espace urbain. D’ailleurs, ce genre d’accusations adressées aux urbanistes de la ville est courant dans les pages de la bande dessinée, soulignant – comme Michel de Certeau le disait déjà dans les années 1970 – à quel point la vision de la ville qu’ont les urbanistes n’est pas en adéquation avec la volonté de ceux et celles qui habitent un quartier.

Même si la promenade ravive la mémoire du narrateur et qu’elle nous offre une ribambelle de souvenirs ancrés dans les lieux qu’il nous fait visiter, c’est au présent que la déambulation dans le quartier se déroule : « On est toujours au coin Ontario-Dorion (côté nord-est), là où sévissait à l’époque la chic terrasse Bellehumeur, une institution night life trash Centre-Sud[40]. » Il y a par conséquent une actualisation du parcours : le narrateur nous propose de nous promener en sa compagnie dans les rues de l’ancien Centre-Sud. Il s’agit d’une véritable invitation à découvrir le quartier à partir de la vision toute subjective du narrateur, qui cartographie et parcourt le dédale des rues. Ces deux actes, parcourir et cartographier, sont selon Michel de Certeau au fondement de toute description de lieux. Dans L’invention du quotidien, le théoricien écrit :

Autrement dit, la description oscille entre les termes d’une alternative : ou bien voir (c’est la connaissance d’un ordre des lieux), ou bien aller (ce sont des actions spatialisantes). Ou bien elle présentera un tableau (« il y a »…), ou bien elle organisera des mouvements (« tu entres, tu traverses, tu tournes »…)[41].

Michel de Certeau propose cette distinction entre la carte et le parcours à la suite des travaux de C. Linde et de W. Labov, qui ont travaillé sur des descriptions d’appartements new-yorkais. Si, selon l’étude de l’auteur français, ce sont les actions spatialisantes qui sont le plus souvent utilisées dans les descriptions, c’est parce que c’est l’expérience du lieu qui prime quand nous décrivons :

Le tissu narratif où prédominent les descripteurs d’itinéraires est donc ponctué de descripteurs du type carte qui ont pour fonction d’indiquer soit un effet obtenu par le parcours (« tu vois… »), soit une donnée qu’il postule comme sa limite (« il y a un mur »), sa possibilité (« il y a une porte »), ou une obligation (« il y a un sens unique »), etc. La chaîne des opérations spatialisantes semble piquetée de références à ce qu’elle produit (une représentation des lieux) ou à ce qu’elle implique (un ordre local)[42].

La description d’un lieu serait ainsi en tension entre le parcours et la carte, l’aller et le voir, l’effet et la donnée. On retrouve effectivement cette alternance dans la tournée vintage de Suicide où le narrateur alterne entre le présent de la marche et le passé des souvenirs : « Parlant de cheapo stuff, on traverse Ontario, on marche jusqu’à Dorion et voilà! Juste sur le coin devant se dressait le Boniche, un mini-supermarché broche à foin série Z, le monument incontournable de l’alimentation centre-sudesque[43]. » Tel un fantôme du passé architectural de Centre-Sud, le Boniche surgit dans le présent de la déambulation. Le bédéiste offre ainsi un inventaire de ce qui n’est plus dans Centre-Sud et constate la disparition de ce qu’il considère comme l’essence du quartier.

Une affaire de cycle

Cette essence du quartier, ou son âme pour reprendre les mots de Maël Rannou[44], se trouve le plus clairement illustrée dans la seconde partie de la bande dessinée, la plus volumineuse de l’album. Cette partie rassemble à la fois les observations du narrateur et des constats ethnographiques acerbes à propos de son quartier, ceux-ci se développant autour d’un motif récurrent, celui du recyclage. C’est d’abord à un destin cyclique que l’auteur condamne les habitants et les habitantes de Centre-Sud lorsqu’il affirme « […] que toute cette populace vit, meurt et se réincarne au même endroit, comme pour jouer dans une pièce de théâtre qui ne se termine jamais[45]! » Ainsi, les résidents et les résidentes du quartier rejouent toujours les mêmes scènes, les soûleries sont, d’une fois à l’autre, identiques et les lendemains de veille aussi. La fatalité tient alors un rôle de premier plan dans la conception que le narrateur se fait de Centre-Sud, comme si tout y était joué d’avance. Comme on l’a mentionné plus tôt, le quartier connaît, selon le narrateur, plusieurs époques successives : « deep-trash », « crunchy-hardcore » et « nihilo-trash-hardcore ». Dans cette énumération des différentes époques qui marquent le territoire, on peut souligner que, s’il y a changements, ceux-ci sont assez minimes. La reprise des mêmes expressions, mais que l’on combine différemment, montre que l’on passe du pareil au même, que l’on est toujours en train de brasser les mêmes cartes.

Le personnage qui retient tout particulièrement l’attention du bédéiste est par ailleurs celui d’un voisin surnommé le bison bourré, un « ramasseux de junk[46] » et maître du « patentage[47] », qui partage sa vie entre boire de la bière et vendre les bouteilles vides pour acheter davantage d’alcool. Le narrateur poursuit donc, dans la deuxième partie de l’album, ce qu’il nomme sa « recherche anthropo-éthylo-bisonnesque[48] ».

Dans la planche ci-dessous (figure 3), on retrouve la « fiche d’identification » de ce personnage. On constate, dans la description du bison, l’emprunt d’un ton encyclopédique, mais tourné en ridicule : « Contrairement aux autres bisons (et à son beau-frère le bison d’Amérique), le bison bourré habite surtout pas loin du métro Papineau[49]. » Ce genre de portraits par fiche est récurrent dans les Chroniques du Centre-Sud et rappelle, de manière ironique, l’esthétique documentaire des grands reportages. La description du voisin se poursuit ainsi : « Essentiellement, le bison a deux fonctions spécifiques, ingérer du liquide houblonné et ramasser de la junk pour la revendre ensuite afin de se racheter ledit liquide. C’est comme qui dirait une affaire de cycle[50]! »

Figure 3

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 27.

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En fait, c’est toute la vie du bison qui est cyclique : ses soirées se déroulent toujours selon le même rituel et se terminent inévitablement par une intervention policière, comme on peut l’observer dans l’épisode intitulé « Nappelle-la, la police » (figure 4).

Figure 4

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 54.

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C’est d’ailleurs l’une des forces de la bande dessinée que d’insister sur cette langue particulière du quartier, sorte de dialecte qui fonctionne parfois aux sons. Lors de sa première rencontre avec le bison, le narrateur affirme même ceci : « Cette rencontre avait vraiment fait notre journée, comme si on venait de communiquer avec un extra-terrestre à l’aide d’un code universel hyper sophistiqué[51]! » Centre-Sud est ainsi dépeint comme un quartier où l’on a son propre langage et où l’on communique avec son propre code.

Mais le passage le plus représentatif du thème du recyclage est sans aucun doute la planche intitulée « Cycle de réinsertion bisonnique des objets perdus » et sous-titrée « tout re-rentre dans tout » (adage dans lequel on entend la célèbre phrase : « Tout est dans tout ») (figure 5). On peut y observer les différentes étapes de la récupération des objets par le bison, objets qui, par l’entremise de ventes de garage, circulent jusqu’au Plateau pour finalement atterrir de nouveau dans la cour du bison parce qu’ils sont inutiles.

Le bison subvertit ainsi le principe même du recyclage qui veut que ce que l’on se propose de recycler ait toujours une valeur et serve de nouveau. Dans une interprétation toute personnelle de la sentence de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », le bison s’est donné comme mission de recycler ce qui n’a plus d’utilité. Cette planche est particulièrement intéressante parce qu’elle montre aussi le Centre-Sud par comparaison avec un autre quartier limitrophe, celui du Plateau Mont-Royal. Les deux quartiers sont, tels qu’ils sont représentés sur la planche, séparés par la rue Sherbrooke et, dans l’imaginaire de Richard Suicide, les habitants et les habitantes du Plateau s’aventurent dans Centre-Sud par désir de « sensations fortes et d’une occase[52] » et rejettent les « objets inutiles[53] » qu’ils ont achetés en bas de la côte en se rendant compte de leur inutilité. Ils les repassent alors de l’autre côté de la frontière.

Devant ces multiples variations sur le thème du recyclage, on peut se demander si une sortie du cycle est possible. À cet égard, un épisode qui survient vers la moitié du récit est particulièrement frappant. Après un accident mystérieux et plusieurs jours d’agonie, le bison est amené de force en ambulance. Lorsqu’il revient quelques jours plus tard, il est complètement transformé : l’homme est propre, sobre et porte de nouveaux vêtements. Cependant, cette transformation n’est que de courte durée. En l’espace d’une planche (figure 6), le bison est revenu à son état initial, illustrant ainsi que les changements sont cosmétiques et que le cycle dans lequel vivent les habitants du quartier ne peut véritablement être brisé. Les différentes déclinaisons du motif du recyclage qui parsèment les Chroniques du Centre-Sud dressent ainsi le portrait d’une enclave où l’on est condamné à répéter les mêmes gestes.

Figure 5

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 30.

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Être de Centre-Sud

La traversée de l’oeuvre de Richard Suicide a permis de souligner à quel point la représentation de la métropole et, plus précisément, du quartier Centre-Sud apparaît comme un point névralgique du projet artistique du bédéiste. Raconter ce lieu, ce n’est pas seulement le décrire. C’est par le recours aux anecdotes et aux souvenirs ainsi qu’aux outils de la cartographie et du parcours que Suicide parvient à saisir l’essence de ce que fut jadis ce lieu. L’amalgame des différentes parties de la bande dessinée – celles plus ironiques et les autres plus nostalgiques – crée un album où, d’une part, on insiste sur le caractère cyclique de la vie du quartier et, d’autre part, où on fait le constat de la disparition de l’âme de Centre-Sud provoquée par son embourgeoisement.

Figure 6

Richard Suicide, Chroniques du Centre-Sud, Pow Pow, p. 64.

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La lecture des Chroniques soulève en définitive la question de l’appartenance. Dans la parodie du documentaire filmée pour le compte de « L’Orifice National du Film », le narrateur prend congé des spectateurs et des spectatrices sur une boutade : « C’est sur ces paroles d’une sagesse infinie que nous laissons notre monstrueux ami, maintenant partie prenante de la communauté, car dorénavant quand il entendra “Centre-Sud”, il pourra fièrement s’écrier “je!”[54] » Si l’on peut mettre en doute l’appartenance réelle de ce monstre à la communauté de Centre-Sud, c’est pourtant à un véritable habitant du quartier que les Chroniques sont notamment dédiées : « Au poète centresudesque Denis Vanier, qui habitait juste au-dessus du centre de l’Univers[55]. » Cette dédicace ne manque pas de faire sourire, puisqu’elle désigne le quartier comme le lieu d’origine du poète, comme on dit d’un auteur qu’il est français ou argentin. Avant même d’entrer dans l’univers fictionnel de l’album, la dédicace nous oriente déjà vers l’un des enjeux majeurs soulevés par l’artiste.