Corps de l’article

Pour les adultes qui présentent une déficience intellectuelle (DI), différents facteurs influencent l’expérience de deuil, tant sur le plan personnel (par exemple le niveau de compréhension face à la perte d’un être cher) (Dodd et al., 2005) que sociétal (par exemple la culture). À ce sujet, il existe des croyances tenaces sur la question, soit que les adultes présentant une DI ne seraient pas en mesure de comprendre ce que représente la mort et qu’ils ne vivraient pas de deuil. Ces croyances ont été démenties à maintes reprises en recherche (McEvoy et al., 2017; McEvoy et al., 2012; Harper et Wadsworth, 1993; Bihm et Elliott, 1982). Les constats tirés d’écrits scientifiques laissent sous-entendre que l’entourage de ces adultes (notamment le personnel professionnel) serait peu enclin à reconnaître la souffrance associée à la perte d’un être cher et, par conséquent, ne leur offrirait pas le soutien dont ils auraient besoin (Clute, 2017; Lord et al., 2017; McRitchie etal., 2014). Selon Clute (2017), les personnes présentant une DI sont souvent laissées à elles-mêmes lors des temps de crise. Elles seraient aussi exclues des décisions, recevraient peu ou pas d’information et ne bénéficieraient d’aucun accompagnement durant le deuil, et ce, de crainte qu’elles ne soient pas en mesure de comprendre la situation ou par souci d’éviter un processus difficile sur le plan affectif (Clute, 2017). Parallèlement, certains adultes endeuillés qui présentent une DI auraient tendance à éviter toute discussion entourant la mort avec leur entourage par peur de susciter un malaise ou des inquiétudes.

Selon McRitchie et collaborateurs (2014), il est primordial d’accroître l’accessibilité, la précision et la profondeur des informations entourant la mort et le deuil, et ce, afin de s’assurer que les personnes présentant une DI reçoivent le soutien souhaité. L’expérience concrète de situations liées à la mort et au deuil permettrait à ces personnes d’acquérir des connaissances nécessaires à une meilleure compréhension de situations de même nature (Dusart, 2008; Harper et Wadsworth, 1993). Des adultes présentant une DI qui ont participé à des études sur la question (McRitchie etal., 2014; McEvoy et al., 2012) relatent que d’être impliqués dans les rituels de deuil – comme assister aux funérailles, voir le corps de la personne défunte, visiter sa pierre tombale et se souvenir de moments vécus avec elle – contribuent positivement au processus de deuil.

L’ensemble des défis relevés nuisent à la mise en place de pratiques adaptées pour soutenir les personnes présentant une DI à travers le deuil et à leur possibilité de développer des mécanismes d’adaptation garants d’une expérience de deuil satisfaisante (Clute, 2017; Lord et al., 2017). Ainsi, ces dernières sont plus à risque de manifester des comportements qui peuvent sembler inadaptés ou perçus comme étant inappropriés par les membres de leur entourage (par exemple automutilation, blesser quelqu’un), ce qui peut exacerber le sentiment de solitude des personnes endeuillées présentant une DI et renforcer les fausses croyances à leur égard (Clute, 2017, 2010).

C’est donc dans le but de fournir des pistes de solutions intéressantes sur le sujet que les pratiques qui visent à soutenir les personnes présentant une DI vivant un processus de deuil ont été répertoriées à travers une étude de la portée (scoping review) (Tricco etal., 2018; Colquhoun et al., 2010).

Méthodologie

Stratégie de recherche

L’étude de la portée est une stratégie de recherche appropriée lorsque l’objet d’étude est peu documenté dans les écrits scientifiques et que les constats recueillis sont variés (Creswell et Creswell, 2018). La question de recherche qui a guidé l’étude de la portée est la suivante : « Quelles sont les pratiques visant à soutenir les personnes présentant une DI à travers leur expérience de deuil d’un être significatif? » En juin 2020, les principales bases de données en sciences sociales et en gérontologie ont été interrogées, soit PubMed, PsycInfo, Sociological Abstracts, Social Services Abstracts, AgeLine, Social Work Abstracts, Web of Science, Academic Search Premier et Érudit. Les concepts de déficience intellectuelle[1] et de deuil[2], des mots apparentés ainsi que leurs traductions en français ou en anglais ont été combinés dans ces bases de données. Les articles ainsi repérés provenaient de divers pays, mais seuls les articles en français et en anglais ont été retenus en raison des habiletés linguistiques de l’équipe de recherche. Le modèle conceptuel a été bonifié à la suite d’une consultation avec un spécialiste en recherche documentaire. La recherche documentaire dans les banques de données a été menée pendant deux jours consécutifs à l’été 2020. Une nouvelle recherche a été effectuée avant l’écriture de ce présent article, à l’été 2021, pour s’assurer que de nouveaux articles n’avaient pas été publiés entre-temps.

Sélection des articles

Les critères d’inclusion suivants ont guidé le premier tri des articles recueillis : 1) être publié dans une revue scientifique avec évaluation par les pairs (peer-reviewed); 2) porter sur les adultes (18 ans et plus) présentant une DI et vivant un deuil; et 3) décrire une pratique d’accompagnement de ces personnes dans leur deuil. Le critère d’exclusion était que l’article ne présentait pas de pratique reliée au sujet. Le terme « pratique » est utilisé ici au sens large. Il peut s’agir de stratégies, de programmes, d’interventions directes ou indirectes, d’outils ou d’activités de formation, d’éducation ou de sensibilisation visant à soutenir des personnes présentant une DI dans l’expérience du deuil. En lisant les titres et les résumés, un premier évaluateur a classé les articles selon le système suivant : 1 point s’il jugeait que l’article devait être exclu; 3 points en cas d’incertitude; et 5 points s’il jugeait que l’article devait être conservé. Par la suite, une deuxième personne a évalué à son tour les articles. Si elle jugeait qu’un article ayant obtenu 5 ou 3 points devait être exclu, elle devait enlever un point. Si elle croyait qu’un article exclu par le premier évaluateur devait être accepté, elle ajoutait un point. Ainsi, les articles dont les évaluations différaient affichaient un nombre pair de points (2 ou 4 points). Un troisième évaluateur a ensuite coté ces articles selon le même système de points afin d’arriver à un consensus. À ce moment, le troisième évaluateur a servi d’arbitre pour les articles qui faisaient l’objet d’un désaccord. Le coefficient Kappa () a été calculé afin de mesurer le niveau d’accord entre les évaluateurs. Le coefficient Kappa obtenu avait une valeur de 0,74, ce qui correspond à un fort accord selon l’interprétation de McHugh (2012).

Extraction des données

Pour chaque article retenu, les informations suivantes portant sur la pratique décrite ont été extraites et rassemblées dans un tableau Excel : (a) description sommaire de la pratique; (b) modalité ou structure; (c) caractéristiques principales (principes directeurs, fondements; thèmes abordés, etc.); (d) acteurs impliqués; (e) méthodologie; (f) retombées pour les personnes présentant une DI; (g) outils de mesure utilisés et (h) autres retombées. Les tableaux 1 et 2 présentent les éléments extraits des articles retenus.

Résultats

Articles recueillis

Les recherches dans les bases de données ont permis de répertorier 1 168 articles (voir figure 1). Après la suppression des doublons et la lecture du titre ainsi que du résumé, 738 articles sont passés à l’étape du premier tri. Par la suite, 26 articles sont passés à l’étape suivante, au cours de laquelle deux évaluateurs ont jugé de l’admissibilité des articles en parcourant l’ensemble des textes et en vérifiant si chacun des critères d’inclusion était respecté. Finalement, 17 articles ont été retenus pour cette étude de la portée.

Figure 1

Diagramme de flux selon la méthode PRISMA (Gedda, 2015; Moher etal., 2009)

Diagramme de flux selon la méthode PRISMA (Gedda, 2015; Moher etal., 2009)

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L’exploration des bibliographies des articles retenus n’a pas permis de trouver d’articles supplémentaires qui répondaient aux critères d’inclusion.

Caractéristiques des articles retenus

Parmi les 17 articles retenus, douze (71 %) proviennent du Royaume-Uni et les autres proviennent de l’Irlande (12 %), de l’Australie (6 %) ou du Canada (6 %). La plupart des articles (53 %) ont été publiés entre 2010 et 2019. Tous les articles décrivent des interventions auprès de personnes présentant une DI concernant le deuil d’un proche (parent, ami, fratrie). Dans trois articles (Read et Papakosta-Harvey, 2004; Read et al., 2000; Wark, 2012) les interventions mentionnées portent aussi sur d’autres types de deuils tels qu’un déménagement ou la perte d’un ami. Certains articles (Hoyle et McKinney, 2015; Burke et al., 2014; Read et Papakosta-Harvey, 2004; Read et al., 2000) mentionnent que les participants avaient les habiletés nécessaires pour s’exprimer verbalement.

Les pratiques répertoriées dans les écrits scientifiques en soutien au processus de deuil des personnes présentant une DI utilisent diverses modalités : certaines pratiques sont réalisées directement auprès de la personne, d’autres permettent d’outiller les intervenants qui oeuvrent auprès de la personne, et certaines s’inspirent d’une combinaison de ces deux modalités. Davantage d’informations sur les contenus pertinents des interventions décrites dans ces articles sont résumées au tableau 1.

Tableau 1

Résumé des articles inclus dans l’étude de la portée

Résumé des articles inclus dans l’étude de la portée

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Interventions directes

Plus de la majorité des pratiques (65 %) concernent l’intervention directe auprès de la personne présentant une DI (Young et Garrard, 2016; Hoyle et McKinney, 2015; Burke et al., 2014; Borsay et al., 2013; Wark, 2012; Tyas, 2010; Boyden et al., 2009; Read et Papakosta-Harvey, 2004; Summers et Witts, 2003; Stoddart et al., 2002; Read et al., 2000).

Interventions individuelles

Parmi les articles décrivant ces pratiques, quatre portent sur des interventions individuelles, utilisant l’activité comme modalité (Young et Garrard, 2016; Burke et al., 2014; Wark, 2012; Summers et Witts, 2003). Trois articles présentent une intervention effectuée dans le milieu de vie des participants, soit à la maison (Young et Garrard, 2016) ou dans un centre d’hébergement de longue durée (Wark, 2012; Summers et Witts, 2003).

Dans leur étude de cas auprès d’une jeune femme présentant une DI de modérée à sévère qui vivait alors le deuil de son père, Summers et Witts (2003) décrivent une intervention qui s’inspire d’une approche psychodynamique et psychoéducative tout en utilisant l’activité comme modalité. La lecture, l’écoute d’un film et le dessin permettent au thérapeute d’aider la personne présentant une DI à exprimer ses émotions ainsi qu’à comprendre ce que signifie la mort. Cette intervention d’une durée de 12 séances a eu comme retombées de diminuer la détresse psychologique de la personne présentant une DI, ainsi que son incontinence apparue à la suite du décès de son père (voir tableau 1 pour plus de détails). Ces améliorations ont été maintenues jusqu’au dernier suivi de l’étude, soit un an après la thérapie.

L’étude de cas a également été utilisée par Wark (2012), qui adopte une approche narrative. Il décrit le parcours de quatre personnes endeuillées, dont une présente une DI sévère avec d’importantes limitations verbales (Wark, 2012). L’approche narrative permet de « réécrire » le récit de la personne de manière à en accentuer les moments positifs. Des peintures représentant des moments heureux entre la personne présentant une DI et sa mère décédée ont été utilisées pour créer une boîte à souvenirs. Les auteurs rapportent que la personne endeuillée ne démontrait pas de signe témoignant d’un processus de deuil non résolu ou de comportements perturbateurs avant l’intervention et dans l’année suivant celle-ci.

Par ailleurs, l’intervention décrite par Young et Garrard (2016) a été réalisée auprès d’une personne présentant une DI profonde qui vivait le deuil de son frère. L’intervention fut effectuée à domicile et en collaboration avec la mère. Pour symboliser des moments agréables passés en la présence de la personne décédée, différents objets ont été placés dans une boîte à souvenirs multisensorielle. La boîte à souvenirs a été développée par la personne présentant une DI avec l’aide d’un intervenant. Considérant que cette intervention ne nécessitait pas d’échange verbal, son utilisation auprès de certaines personnes présentant une DI profonde apparaissait judicieuse (Young et Garrard, 2016). La boîte à souvenirs est devenue un objet significatif pour cette personne et lui a permis de mieux gérer ses émotions. Par exemple, lorsqu’elle devenait émotive, les intervenants lui montraient la boîte à souvenirs et cela semblait l’apaiser instantanément. Ainsi, les intervenants devaient être attentifs aux comportements de la personne présentant une DI afin de lui présenter la boîte au besoin.

Burke et al. (2014) présentent une intervention avec un jeu vidéo (A Game of Life) comportant cinq parties où deux personnages apprennent des concepts liés à la mort, incluant les causes de décès et le cycle de la vie. Les adultes présentant une DI sont invités à répondre à des questions ainsi qu’à jouer aux parties de jeu leur faisant remporter des points (Burke et al., 2014). Ces points permettent de quantifier leurs apprentissages puisque chaque épisode aborde un thème particulier, comme les concepts essentiels à la survie humaine, les raisons sous-jacentes au décès et la différence entre les objets inertes et ceux qui sont vivants. Dans le cadre de l’étude, les participants devaient jouer de façon quotidienne durant 4 jours et leurs performances étaient notées quotidiennement (Burke et al., 2014). Ils ne vivaient pas nécessairement un deuil au moment de leur participation. Les auteurs n’ont pas noté d’amélioration significative entre les performances puisque les connaissances des participants étaient déjà de niveau élevé.

Interventions de groupe

Cinq articles présentent des interventions de groupe (Borsay et al., 2013; Boyden et al., 2009; Read et Papakosta-Harvey, 2004; Stoddart et al., 2002; Read et al., 2000). Les cinq interventions de groupe se sont déroulées dans un lieu public qui n’était pas le milieu de vie des participants (par exemple un centre d’activités de jour). L’étude de Borsay et al. (2013) s’est grandement inspirée de celle de Boyden et al. (2009). Ces deux études utilisent les activités artistiques ainsi que le visionnement de vidéos afin d’aider les participants présentant une DI (de légère à modérée) à verbaliser leurs émotions et à en apprendre sur des concepts liés à la mort (Borsay et al., 2013; Boyden et al., 2009). Les deux études décrivent des interventions de groupe – quotidiennes pour l’étude de Boyden et al. (2009) et hebdomadaires pour celle de Borsay et al. (2013) – échelonnées sur une période de huit semaines et réalisées auprès de 4-5 personnes présentant une DI. Ainsi, bien que l’ordre des activités au fil des semaines ne fût pas le même, les deux interventions ont permis d’offrir un environnement sécurisant aux adultes endeuillés présentant une DI afin qu’ils soient à l’aise de verbaliser leurs émotions. Borsay et al. (2013) insistent sur l’importance d’assurer une certaine gradation dans l’intensité des activités afin de favoriser la création d’un sentiment de confiance et d’aisance au sein du groupe. Les participants des deux études ont mentionné avoir grandement apprécié les interventions. Toutefois, les quatre participants de l’étude de Borsay et al. (2013) ont trouvé le visionnement de la vidéo plus difficile à cause de l’intensité des émotions ressenties.

L’étude de Stoddart et al. (2002) décrit pour sa part une intervention de groupe hebdomadaire offerte à des personnes présentant une DI de légère à profonde. Les activités effectuées étaient similaires à celles mentionnées dans les deux autres études. Toutefois, la visite d’un salon funéraire et une discussion avec des membres d’une église catholique ont aussi été proposées. Les résultats, uniquement quantitatifs, ne montrent pas de changements statistiquement significatifs concernant le niveau d’anxiété ou de connaissances des participants concernant les concepts liés à la mort. Les participants ont tout de même globalement obtenu un score plus faible concernant les indices dépressifs à la suite de leur participation au groupe, sans toutefois démontrer la présence d’une dépression avant ou après l’intervention.

Les deux articles de Read et collaborateurs (2004, 2000) présentent une intervention de groupe d’une durée de 6 séances visant à soutenir les personnes présentant une DI dans leur processus de perte. Le terme « perte » est une importante distinction puisque les participants du groupe ne vivaient pas tous le deuil d’un être cher : certains vivaient une séparation, un changement de milieu de vie ou le déménagement d’un ami (Read et Papakosta-Harvey, 2004; Read et al., 2000). Malgré cette différence, les stratégies discutées dans le groupe s’appliquaient à tous les types de pertes puisqu’elles visaient la gestion des émotions. De plus, la structure du groupe permettait une certaine flexibilité afin que les intervenants puissent s’adapter aux besoins de chacun. Comme les retombées sont abordées de manière générale, il n’est pas possible de distinguer si celles référant aux personnes présentant une DI qui vivent le deuil d’un proche diffèrent des autres. En général, les participants ont mentionné avoir apprécié cette démarche en groupe (Read et al., 2000). Deux des participants étaient davantage en mesure de s’exprimer avec confiance en groupe à la suite de l’intervention, mais il n’est pas possible de savoir quel type de deuil ces deux personnes ont vécu (Read et al., 2000).

Finalement, deux articles décrivent des interventions de groupe utilisant la musicothérapie adaptée aux besoins des adultes présentant une DI (Hoyle et McKinney, 2015; Tyas, 2010). La pratique décrite par Hoyle et McKinney (2015) était destinée à trois adultes présentant une DI de modérée à profonde capables de s’exprimer verbalement. L’article de Tyas (2010) fournit peu d’information sur les participants. L’intervention a été réalisée par un musicothérapeute et un ergothérapeute et ses retombées ne sont pas présentées. L’étude de Hoyle et McKinney (2015) rapporte une diminution des comportements perturbateurs chez un seul des trois participants qui vivaient un deuil. L’intervention se déroulait dans le milieu de vie des participants (centre d’hébergement de longue durée).

En somme, les interventions décrites dans ces articles font appel à diverses modalités, telles que des interventions individuelles et de groupe ainsi que des pratiques axées sur l’art, incluant la peinture ou la musicothérapie.

Interventions indirectes

Seuls trois articles (18 %) rapportent des interventions indirectes visant à soutenir les personnes endeuillées présentant une DI (Watters et al., 2012; Reynolds etal., 2008; Bennett, 2003). Il s’agit de formations destinées aux intervenants oeuvrant auprès de cette clientèle. Les objectifs visés étaient d’élargir les connaissances de ces derniers concernant le deuil vécu par des personnes présentant une DI et de leur proposer des outils pour leur permettre d’offrir un accompagnement mieux adapté aux besoins de leur clientèle.

La formation décrite par Bennett (2003) a initialement été demandée par les intervenants travaillant auprès d’adultes présentant une DI, qui jugeaient que leurs connaissances au sujet du deuil étaient limitées. L’autrice rapporte que neuf intervenants sur douze (75 %) avaient peu de connaissances sur le processus de deuil. La modalité utilisée dans la formation développée misait sur l’animation de discussions ouvertes entre les participants, combinées à l’enseignement des étapes du processus de deuil. L’article ne mentionne pas si les stratégies proposées aux intervenants pour les outiller dans leur accompagnement de personnes présentant une DI vivant un deuil ont été utilisées à la suite de la formation.

La discussion de groupe autour de cas cliniques ainsi que la présentation de concepts théoriques ont également été utilisées dans la formation décrite par Reynolds et collaborateurs (2008). Les participants ont été divisés en deux groupes dont un seul recevait la formation (17 intervenants). Les participants ayant reçu la formation avaient, deux semaines plus tard, un sentiment de confiance plus élevé pour intervenir lorsqu’une personne présentant une DI vivait un deuil. Toutefois, les auteurs ne spécifient pas comment les intervenants prévoyaient modifier leur pratique en conséquence.

L’étude de Watters et collaborateurs (2011) porte sur une intervention s’inspirant de celles décrites dans les deux précédentes études examinées ici (Reynolds etal., 2008; Bennett, 2003). Toutefois, les auteurs ne mentionnent pas les modalités utilisées lors de la formation : seul le contenu de la formation est décrit (voir tableau 1 pour plus de détails). Tous les intervenants (n=48) travaillaient dans une organisation locale procurant des services aux personnes présentant une DI et n’avaient jamais reçu de formation sur le deuil vécu spécifiquement par celles-ci, alors que plus de la moitié avait déjà dû intervenir auprès d’une personne présentant une DI qui vivait un deuil. Les auteurs rapportent une augmentation des connaissances des participants concernant le deuil vécu par les personnes présentant une DI à la suite de leur formation (voir tableau 1 concernant les éléments abordés dans la formation).

En somme, ces articles portent sur la mise en place de formations visant à soutenir le développement de connaissances des intervenants afin qu’ils soient mieux outillés dans l’accompagnement de personnes endeuillées présentant une DI. Notons que les auteurs de ces articles ne décrivent pas comment ces savoirs ont été déployés sur le terrain.

Interventions mixtes

Trois articles (18 %) décrivent des interventions mixtes (Campbell et Bell, 2010; Dowling etal., 2006; Blackman, 2003), qui combinent des interventions directes et indirectes.

D’abord, Blackman (2003) présente l’intervention Resource Opportunity and Changes (ROC) comportant deux volets, soit une formation de deux jours offerte à des intervenants oeuvrant avec des adultes présentant une DI ainsi qu’une intervention thérapeutique menée par ces intervenants nouvellement formés auprès de personnes endeuillées présentant une DI. Bien que les auteurs mentionnent des retombées positives lors de l’implantation du projet pilote, celles-ci ne sont pas détaillées (Blackman, 2003). De plus, peu d’informations sont fournies sur le profil des intervenants ou sur celui des adultes présentant une DI. Par exemple, il est impossible de savoir si ces adultes demeurent en ressources institutionnelles ou non.

En plus de former les intervenants chargés de mieux soutenir la personne endeuillée présentant une DI, Campbell et Bell (2010) proposent de les amener à soutenir la famille, dans le cas où la personne en question demeure au domicile familial. Ainsi, les intervenants qui oeuvrent auprès de la personne endeuillée présentant une DI et participant à la recherche avaient reçu une formation, alors que la soeur de la personne recevait du soutien de leur part, et ce, dans l’optique que tous détiennent les connaissances nécessaires pour soutenir la personne présentant une DI. Cette intervention mixte a permis à la personne présentant une DI de mieux verbaliser comment elle se sentait à des intervenants et à son entourage ainsi que d’être mieux accompagnée dans la gestion de ses émotions.

Pour sa part, l’étude de Dowling et collaborateurs (2006) compare deux pratiques, soit le soutien offert par un conseiller en deuil (personne qui n’a pas d’expertise auprès de la clientèle présentant une DI, mais qui a les compétences nécessaires pour intervenir auprès des endeuillés) et celui fourni par la famille et les intervenants. L’intervention de soutien offerte par le conseiller en deuil se déroulait à domicile ou au centre d’activités de jour de façon hebdomadaire pendant une heure. Le conseiller en deuil recevait une formation préalable concernant les caractéristiques de la déficience intellectuelle et les adaptations nécessaires en matière de stratégies de communication. Ensuite, il utilisait des activités telles que dessiner, regarder des photos ou des livres et faire des recueils de souvenirs pour soutenir la personne présentant une DI dans son deuil. À l’instar des conseillers en deuil, les familles et les intervenants auprès des personnes endeuillées présentant une DI ont également reçu une formation préalable. Toutefois, celle-ci visait à les outiller concernant le processus de deuil de façon générale et les façons d’intervenir ou de soutenir la personne présentant une DI à travers son expérience de deuil. Les familles étaient ensuite invitées à s’engager dans des activités visant à se remémorer la personne décédée (par exemple regarder des photos ou visiter la pierre tombale). Les intervenants, quant à eux, devaient proposer des activités tournées vers l’avenir et accompagner toute expression de deuil. L’intervention offerte par un conseiller en deuil a eu des retombées plus positives sur la santé mentale des personnes présentant une DI que celle offerte par la famille et les intervenants. Dowling et collaborateurs (2006) attribuent cette différence au fait que l’intervention par les familles et les intervenants était très énergivore, ce qui faisait en sorte que plusieurs familles ne la priorisaient pas dans leur horaire quotidien.

Évaluation de la qualité des articles

Les informations concernant la méthodologie des recherches décrites dans les articles recensés se trouvent au tableau 2. La majorité des articles présentant une intervention directe ou mixte réfèrent à des recherches réalisées avec un échantillon de petite taille (1 à 8 personnes) (Young et Garrard, 2016; Hoyle et McKinney, 2015; Burke et al., 2014; Borsay et al., 2013; Tyas, 2010; Wark, 2012; Campbell et Bell, 2010; Boyden et al., 2009; Read et Papakosta-Harvey, 2004; Blackman, 2003; Summers et Witts, 2003; Read et al., 2000). Les articles présentant des interventions indirectes comportent des échantillons plus grands, variant entre 12 et 48 participants.

En outre, plusieurs articles proposent une description de la pratique (24 %) visant à soutenir la personne endeuillée présentant une DI (Tyas, 2010; Wark, 2012; Blackman, 2003; Summers et Witts, 2003) ou une méthodologie qualitative (35 %) (Boyden et al., 2009; Read et Papakosta-Harvey, 2004; Bennett, 2003; Read et al., 2000) incluant des études de cas (Young et Garrard, 2016; Hoyle et McKinney, 2015; Campbell et Bell, 2010). De plus, la majorité des articles ne présentent pas de résultats en lien avec un suivi au-delà de quelques semaines suivant l’intervention. De ce fait, il est impossible de savoir si les pratiques en question ont eu des effets qui ont perduré.

Tableau 2

Méthodologie et retombées des interventions présentées dans les articles

Méthodologie et retombées des interventions présentées dans les articles

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Discussion

Pour mieux connaître les pratiques en soutien aux personnes endeuillées présentant une DI, une étude de la portée a été réalisée. Parmi les 17 articles recensés, neuf portent sur une intervention destinée aux personnes endeuillées présentant une DI incluant des interventions individuelles et de groupe, trois articles détaillent des formations destinées aux intervenants et trois autres font état de pratiques mixtes, c’est-à-dire combinant des interventions directes et indirectes. Bien qu’il soit encourageant de noter le développement de pratiques qui impliquent tant les personnes endeuillées présentant une DI que leur entourage, cette synthèse des connaissances a permis de constater que les pratiques visant à soutenir les personnes présentant une DI qui vivent un deuil demeurent peu nombreuses et peu documentées. De plus, tous les articles recensés décrivent des interventions qui ont été effectuées dans des pays occidentaux, soit au Royaume-Uni, en Irlande, en Australie et au Canada. Ainsi, il y a de fortes chances que la conception de la mort qui a cours dans ces pays ait teinté les pratiques, ce qui limite la transférabilité des interventions auprès de personnes de cultures différentes.

L’intervention visant à favoriser le bien-être des personnes présentant une DI qui ont perdu un proche mérite une attention soutenue car un deuil non résolu peut engendrer des effets néfastes au quotidien tels que des troubles du sommeil, l’apparition de comportements perturbateurs et de la détresse psychologique (Clute, 2017; McRitchie et al., 2014; Brickell et Munir, 2008; Machale et Carey, 2002). Rappelons que l’entourage, étant souvent peu enclin à reconnaître la souffrance associée à une telle perte, n’offre pas toujours le soutien nécessaire pour vivre un deuil qui peut se révéler particulièrement éprouvant (Clute, 2017; McRitchie et al., 2014). De plus, une interprétation erronée des comportements perturbateurs suscités par un deuil peut amener les personnes présentant une DI à s’isoler davantage et à vivre une plus grande détresse émotionnelle. Les professionnels doivent donc se sentir outillés pour intervenir dès que le processus de deuil est enclenché et être en mesure d’identifier tout signe laissant présager un deuil non résolu. La collaboration avec des conseillers experts en deuil peut être une avenue intéressante à explorer, comme le soulignent Dowling et collaborateurs (2006).

Retombées pour la pratique

Cet état des connaissances démontre qu’un premier pas vers le développement de pratiques visant à soutenir les personnes endeuillées présentant une DI est franchi. Il sera par la suite primordial d’évaluer les retombées de telles pratiques afin de faire des choix éclairés en intervention. La diffusion de ces pratiques apparaît également primordiale : par exemple, l’utilisation de l’art est une avenue intéressante à explorer puisque l’expression des émotions est parfois plus difficile pour les personnes présentant une DI. McRitchie et collaborateurs (2014) mentionnent d’ailleurs que plusieurs intervenants souhaiteraient se sentir mieux outillés dans leurs interventions auprès des adultes endeuillés présentant une DI.

Forces et limites

Notre étude de la portée présente diverses forces. Les autrices ont utilisé un processus rigoureux afin de répertorier les articles et d’en extraire les données pertinentes. La consultation de diverses bases de données a favorisé le repérage d’un maximum d’écrits. Toutefois, cet état des connaissances comporte une limite à considérer, soit la simplification des caractéristiques des interventions répertoriées. Mentionnons aussi que peu de détails sur les pratiques déployées étaient fournis dans les articles retenus.

En outre, la transférabilité des résultats présentés dans les articles recensés suscite des questionnements compte tenu des limites attribuables aux devis méthodologiques. La majorité des articles retenus portent sur des études de cas, limitant ainsi la généralisation de leurs retombées. Également, toutes les études se sont déroulées dans des pays occidentaux et en fonction d’une conception de la mort prédominante dans ces pays. Ainsi, bien qu’elles aient documenté les retombées positives des interventions décrites, des travaux de plus grande envergure incluant des personnes de croyances variées seraient nécessaires.

En conclusion, cette étude de la portée offre un tour d’horizon général sur un thème peu abordé dans les écrits scientifiques. Dans un avenir rapproché, il serait important de multiplier les interventions en soutien aux personnes endeuillées présentant une DI et de documenter les effets de la mise en place de telles pratiques pour favoriser leur bien-être et outiller adéquatement les acteurs impliqués dans leur trajectoire de deuil.