Corps de l’article

INTRODUCTION

La stigmatisation basée sur le poids corporel, définie comme « des attitudes et des croyances négatives liées au poids qui se manifestent par des stéréotypes, du rejet et des préjugés à l'égard des personnes en raison de leur embonpoint ou de leur obésité » (traduction libre; Puhl et al., 2008, p. 347), est un phénomène répandu. Aux États-Unis, il est estimé que plus des deux tiers (68 %) des adultes vivant avec l’obésité ont vécu au moins une fois dans leur vie une expérience stigmatisante basée sur le poids (Prunty et al., 2020). Au Canada, les données sont tout aussi préoccupantes. Une récente étude, menée auprès d’adultes engagés dans un programme commercialisé de perte de poids dans six pays industrialisés (c.-à-d., Canada, Australie, France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), suggère que ce sont les Canadiens qui ont rapporté, dans une plus forte proportion, avoir vécu au moins une expérience de stigmatisation basée sur le poids (61,3 %; Puhl et al., 2021)

La stigmatisation basée sur le poids est non seulement fréquente, mais elle représente un enjeu sociétal important. Elle peut engendrer une exclusion sociale marquée, pouvant générer du stress et nuire à la santé physique et mentale des personnes qui en sont la cible (Blodorn et al., 2016; Jackson et al., 2016; Puhl et Suh, 2015). L’idée que la stigmatisation basée sur le poids représente une source de stress pouvant contribuer, en soi, à maintenir l’obésité, trouve de plus en plus d’appuis scientifiques (Hunger et al., 2015; Schafer et Ferraro, 2011; Sutin et Terracciano, 2013; Tomiyama, 2014). Ainsi, mieux documenter les attitudes et croyances négatives face à l’obésité revêt une importance capitale, afin d’améliorer notre compréhension des facteurs contribuant à l’adhésion à de telles croyances et ainsi, renseigner les initiatives de prévention. En ce sens, la présente étude a pour but d’explorer, au sein d’un échantillon d’adultes québécois, les facteurs sociodémographiques et individuels associés aux attitudes négatives face à l’obésité.

Les attitudes négatives et stéréotypes entretenus face à l’obésité sont variés. Les plus communs sont que les individus présentant de l’obésité sont paresseux, négligents et peu intelligents, manquent de volonté, d'autodiscipline et d'hygiène, n’ont pas de succès dans la vie et mangent trop (Puhl et al., 2008; Puhl et Brownell, 2001; Puhl et Heuer, 2009). Les principaux concepts étudiés en matière d’attitudes négatives à l’égard de l’obésité sont la dépréciation de l’obésité, la peur de prendre du poids et les croyances selon lesquelles le surpoids est une question de volonté et de contrôle de soi (Crandall, 1994; Ruggs et al., 2010). De façon générale, les attitudes de dépréciation de l’obésité sont corrélées positivement avec les croyances quant à la contrôlabilité du poids (Crandall, 1994), ces dernières ayant été désignées comme une attitude négative déterminante dans la compréhension des biais et préjugés entretenus à l’égard des personnes vivant avec l’obésité (Hilbert et al., 2008; Puhl et al., 2015; Sikorski et al., 2012). En effet, les modèles d’attribution de valeur (attribution-value model) stipulent que les préjugés envers un groupe d’individus peuvent naitre de la croyance qu’ils sont responsables de leur condition (Crandall et al., 2001). En ce qui concerne la peur de prendre du poids, elle reflète davantage des préoccupations personnelles à l’égard du poids et de l’image corporelle qu’une aversion pour les personnes présentant de l’obésité. En ce sens, la peur de prendre du poids est habituellement moins fortement associée aux autres types d’attitudes négatives qui ont davantage trait à une antipathie envers l’obésité (Crandall, 1994; O’Brien et al., 2020).

Afin de documenter les prédicteurs des attitudes négatives face à l’obésité auprès de la population générale, les caractéristiques sociodémographiques des répondants, ainsi que certaines caractéristiques individuelles, ont été étudiées. Plusieurs études ont examiné l’association entre le sexe des répondants et leur niveau d’attitudes négatives face à l’obésité. La majorité d’entre elles suggèrent que les hommes rapportent plus d’attitudes négatives face à l’obésité que les femmes (Elran-Barak et Bar-Anan, 2018; Hansson et Rasmussen, 2014; Kim et al., 2019; Puhl et al., 2015). En ce qui concerne l’âge des répondants, de façon générale, il semble qu’être plus âgé soit associé à un plus fort endossement d’attitudes négatives face à l’obésité (Hilbert et al., 2008; Kim et al., 2019; O’Keeffe et al., 2020), quoique des données issues de la population canadienne suggèrent une absence de lien entre ces variables chez les adultes canadiens (Puhl et al., 2015). Une méta-analyse s’est penchée sur les associations entre le niveau de scolarité atteint ou de revenu et les attitudes stigmatisantes basées sur le poids (Bernard et al., 2019). Les résultats montrent un patron incohérent pour ce qui est du niveau de scolarité, c.-à-d., certaines études observent qu’un niveau de scolarité plus élevé est lié à de plus hauts niveaux d’attitudes stigmatisantes, tandis que d’autres notent une association inverse et la majorité n’observe aucune association. Pour expliquer ces résultats divergents en lien avec le niveau de scolarité, certains auteurs avancent l’hypothèse de différences culturelles (Bernard et al., 2019). Pour ce qui est du niveau de revenu, aucune étude recensée ne rapporte de lien avec les attitudes stigmatisantes à l’égard du poids. D’autres variables, comme le milieu de vie d’une personne, ont été peu souvent étudiées. À notre connaissance, une seule étude l’a inclus comme prédicteur et a montré que d‘habiter dans un milieu semi-urbain (c.-à-d., zones industrielles et de taille moyenne) serait associé à de plus hauts niveaux d’attitudes négatives face à l’obésité, en comparaison au milieu urbain (Hansson et Rasmussen, 2014). De nouvelles études sont nécessaires afin de confirmer ce résultat.

Des caractéristiques individuelles liées au poids des répondants ont également été mises en relation avec le niveau d’attitudes négatives face à l’obésité. Le fait de présenter un statut pondéral plus bas, estimé à l’aide de l’indice de masse corporelle[2] (IMC), a été désigné comme un prédicteur significatif des attitudes négatives face à l’obésité (O’Keeffe et al., 2020; Puhl et al., 2015; Schwartz et al., 2006; Sikorski et al., 2012). Ceci peut être expliqué par le fait que les personnes ayant un IMC plus bas, se sentant elles-mêmes efficaces à contrôler leur poids (Knerr et al., 2016), sont moins sensibles aux personnes vivant avec l’obésité. Le fait d’avoir vécu des expériences de stigmatisation basée sur le poids a également été étudié comme prédicteur des attitudes négatives face à l‘obésité. Selon le principe de familiarité avec la condition stigmatisée (Corrigan et al., 2001), il est attendu que les personnes ayant été discriminées sur la base de leur poids puissent être sensibilisées à cette situation, et donc, moins enclines à entretenir des attitudes négatives face à l’obésité. De façon surprenante, une étude suggère que le fait de considérer avoir été désavantagé en raison de son poids prédit des réactions plus défavorables à l’égard de l’obésité chez les adultes américains (Kim et al., 2019). Une autre étude montre plutôt une absence de lien entre le fait d’avoir été stigmatisé sur son poids et l’endossement d’attitudes négatives face à l’obésité chez les adultes américains et canadiens, mais souligne que ce serait plutôt le fait d’avoir un membre de la famille ou un ami qui a été victime de stigmatisation, qui prédirait des niveaux d’attitudes négatives plus bas (Puhl et al., 2015). Les données actuellement disponibles sur le sujet sont donc insuffisantes pour tirer des conclusions claires quant aux liens entre les expériences passées de stigmatisation à l’égard du poids et l’endossement d’attitudes négatives face à l’obésité. Une caractéristique individuelle en rapport au poids des répondants qui n’a pas été étudiée en lien avec les attitudes négatives face à l’obésité jusqu’ici, à notre connaissance, est une prise de poids récente. Or, considérant qu’une importante peur de prendre du poids est observée dans les sociétés occidentales, telle que reflétée par des proportions de 46 % de répondants américains qui préféreraient renoncer à un an de vie plutôt que d'être « obèses » (Schwartz et al., 2006), il est possible de croire que le fait de gagner du poids puisse être un facteur contribuant à l’endossement d’attitudes négatives face à l’obésité.

Jusqu’ici, les prédicteurs des attitudes négatives face à l’obésité ont été explorés au sein d’échantillons provenant de différents pays, dont le Canada. Néanmoins, aucune étude ne s’est intéressée plus spécifiquement à la population québécoise. Dans le contexte où le Québec, à l’instar d’autres nations occidentales, présente des taux d’obésité élevés et où l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) prévoit une augmentation de ces taux dans les dix prochaines années (INSPQ, 2020), la pertinence d’améliorer nos connaissances quant aux facteurs contribuant à l’endossement d’attitudes négatives face à l’obésité chez les Québécois, est indéniable. L’objectif de la présente étude est d’explorer les associations entre les facteurs sociodémographiques et individuels liés au poids et les attitudes négatives face à l’obésité au sein d’un échantillon québécois. Sur la base des résultats obtenus par les études précédemment citées, il est attendu que l’IMC, ainsi que le genre, soient les prédicteurs les plus fortement associés à l’endossement d’attitudes négatives face à l’obésité. Plus spécifiquement, il est attendu qu’un IMC plus bas (hypthèse 1), ainsi que le fait d’être un homme (hypothèse 2), soient tous deux associés à des scores plus élevés d’attitudes négatives face à l’obésité (Elran-Barak et Bar-Anan, 2018; Hansson et Rasmussen, 2014; Kim et al., 2019; O’Keeffe et al., 2020; Puhl et al., 2015; Sikorski et al., 2012). Aucune prédiction n’est faite concernant les autres variables sociodémographiques et caractéristiques individuelles, puisque les données actuellement disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions claires.

MÉTHODE

Participants

Un échantillon de 1615 adultes québécois a été recruté en ligne entre avril et décembre 2019 à l’aide d’une annonce, intitulée « Attitudes et connaissances liées au poids et à l’alimentation », envoyée par courriel à la liste des employés et étudiants de l’Université Laval, ainsi qu’à des listes de volontaires de recherche issus de la population générale. Des annonces de recrutement ont également été publiées sur le réseau social Facebook. Les critères d’inclusion énoncés pour pouvoir participer à l’étude étaient : 1) être âgé de 18 ans ou plus, 2) résider au Québec, et 3) avoir une bonne connaissance de la langue française écrite. L’échantillon, composé en majorité de femmes (89 %), avait un âge moyen de 35,3 ans (É.-T. = 13,6 ans). La quasi-totalité (97 %) des participants a rapporté avoir pour langue maternelle le français et être caucasienne (96 %). Les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon sont présentées au Tableau 1. La répartition des participants par région administrative est présentée en annexe (voir Annexe A).

Procédure

L’annonce de recrutement dirigeait les participants vers un site de sondage sécurisé (LimeSurvey) sur lequel le sondage était hébergé. Les participants devaient d’abord répondre aux questions d’inclusion afin de confirmer leur admissibilité à l’étude, puis, le cas échéant, étaient dirigés vers le formulaire de consentement libre et éclairé préalablement approuvé par le Comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval. Les participants ayant consenti étaient dirigés vers le questionnaire. Ceux ayant complété la totalité du sondage et ayant accepté de transmettre leurs coordonnées ont été inclus dans le tirage de six cartes-cadeaux de 50 $ pour un commerce en ligne.

Matériel

Caractéristiques sociodémographiques

La première partie du questionnaire portait sur les données relatives au profil sociodémographique des participants, incluant le genre, l’âge, le niveau de scolarité complété, le type de milieu habité (c.-à-d., urbain/banlieue ou rural) ainsi que le revenu familial total.

IMC et prise de poids récente

Les mesures de la taille et du poids ont été autorapportées par les participants. La taille pouvait être rapportée en pieds et en pouces ou en mètre, et le poids en livres ou en kilogrammes, selon la préférence des participants. Les mesures étaient ensuite converties en mètre et en kilogrammes afin de calculer l’IMC [poids (kg) / taille2 (m)]. Dans le but d’évaluer la présence d’une récente prise de poids, il était demandé aux participants s’ils avaient pris du poids ou non depuis les trois derniers mois.

Expériences passées de stigmatisation basée sur le poids corporel

Le Stigmatizing Situations Inventory (SSI) est un questionnaire validé qui permet d’évaluer les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids corporel (Myers et Rosen, 1999). Il contient 50 items qui couvrent différents domaines et sources de stigmatisation (p. ex., commentaires négatifs provenant des membres de la famille, discrimination liée à l’emploi, barrières physiques, commentaires inappropriés provenant d’un médecin). Les items suivants constituent des exemples du type de situation évaluée : « Des enfants qui disent tout haut des commentaires aux autres à propos de votre poids. », « Perdre un emploi à cause de votre poids. » et « Un médecin qui blâme votre poids pour des problèmes physiques qui n’y sont pas associés. ». La fréquence de chaque situation est évaluée à l’aide d’une échelle de type Likert en 10 points allant de 0 (« jamais ») à 9 (« tous les jours »). Le score total du SSI est obtenu en calculant la moyenne de tous les items. Un score plus élevé reflète une fréquence plus élevée d’expériences de stigmatisation rapportées. Cet outil possède de bonnes qualités psychométriques, dont une cohérence interne très élevée pour l’échelle totale, autant dans l’échantillon de validation [α = 0,95 (Myers et Rosen, 1999)] que dans le présent échantillon (α = 0,93).

Attitudes négatives face à l’obésité

Le questionnaire Antifat Attitudes (AFA) sert à évaluer les attitudes négatives par rapport à l’obésité et aux personnes vivant avec l’obésité (Crandall, 1994). Validé auprès de plusieurs populations, il est l’un des outils les plus utilisés pour évaluer les biais liés au poids auprès de la population générale, ses qualités psychométriques ayant été les mieux démontrées (LaCroix et al., 2017; Ruggs et al., 2010). Il contient 13 items évalués à l’aide d’une échelle de type Likert en 10 points allant de 0 (« très fortement en désaccord ») à 9 (« très fortement en accord »). L’AFA comprend trois sous-échelles, soit la dépréciation de l’obésité (Dislike), la peur de prendre du poids (Fear of Fat) et les croyances quant à la contrôlabilité du poids (Willpower). La sous-échelle de dépréciation de l’obésité (7 items) évalue plus spécifiquement l’aversion pour les personnes présentant de l’obésité (p. ex., « Je n’aime vraiment pas les grosses personnes. »). La sous-échelle de peur de prendre du poids (3 items) évalue les préoccupations concernant son propre poids et son format corporel (p. ex., « L’une des pires choses qui pourrait m’arriver serait de prendre 25 livres. »). La sous-échelle de croyances quant à la contrôlabilité du poids (3 items) évalue, quant à elle, les croyances selon lesquelles le surpoids est une question de volonté et de contrôle de soi ou d'absence de contrôle (p. ex., « Certaines personnes sont grosses parce qu’elles n’ont pas de volonté. »). Un score total de l’AFA peut être obtenu, de même qu’un score pour chacune des trois sous-échelles, en calculant la moyenne des items correspondant à chaque sous-échelle. Des scores plus élevés reflètent un fort endossement des attitudes négatives. L’AFA possède de bonnes qualités psychométriques, dont une cohérence interne satisfaisante rapportée lors de la création de l’outil pour chacune des sous-échelles [dépréciation, α = 0,84; peur de prendre du poids, α = 0,79; contrôlabilité, α = 0,83 (Crandall, 1994)]. Pour le présent échantillon, les sous-échelles montrent également une bonne cohérence interne, respectivement α = 0,80, α = 0,86, α = 0,83.

Analyses statistiques

Des analyses descriptives et corrélationnelles ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS (version 26) afin de caractériser l’échantillon et d’examiner les associations entre les différentes variables à l’étude. Puis, des analyses acheminatoires avec estimateurs robustes (robust maximum likelihood; MLR) ont été réalisées à l’aide du logiciel MPlus (version 8.1; Muthén et Muthén, 2017). Afin de gérer les données manquantes, la technique de calcul du maximum de vraisemblance à information complète (full information maximum likelihood; FIML) a été utilisée. Dans ce modèle, les caractéristiques sociodémographiques et individuelles des participants ont été utilisées comme variables indépendantes (VIs) afin de prédire trois variables dépendantes (VDs) représentant les sous-échelles au questionnaire sur les attitudes négatives face à l’obésité (Antifat Attitudes), soit la dépréciation de l’obésité, la peur de prendre du poids et les croyances quant à la contrôlabilité du poids.

Afin de vérifier si le modèle s’ajustait bien aux données, plusieurs indices d’adéquation ont été utilisés, soit la statistique du chi-carré, l’indice d’ajustement comparatif (CFI), l’indice Tucker-Lewis (TLI), l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (RMSEA) et les résidus standardisés de l’erreur quadratique moyenne (SRMR). Le modèle s’ajuste bien aux données lorsque : la statistique du chi-carré est non-significative, les valeurs du CFI et du TLI sont de .95 et plus, la valeur du RMSEA est de moins de .06 et la valeur du SRMR est de moins de .08 (Hu et Bentler, 1999).

RÉSULTATS

Les postulats de base pour les analyses multivariées ont été testés préalablement aux analyses principales. Dans son ensemble, le jeu de données contenait, en moyenne, 2,86 % de données manquantes. Le test MCAR de Little a révélé que les données étaient manquantes de façon complètement aléatoire [missing completely at random; χ2(23) = 22,49; p = 0,491 (Little, 1988)].

Le Tableau 1 présente les moyennes et écart-types pour les variables continues à l’étude, ainsi que les fréquences pour les variables catégorielles et dichotomiques. Les coefficients de corrélation entre les variables à l’étude sont présentés au Tableau 2. Les analyses corrélationnelles ont permis de constater que chacune des caractéristiques sociodémographiques et individuelles (VIs) à l’étude était significativement associée à au moins une des trois attitudes négatives face à l’obésité mesurées par l’AFA (VDs), à l’exception de l’âge des participants (ps > 0,05). Par conséquent, l’âge n’a pas été inclus comme prédicteur dans le modèle d’analyses acheminatoires testé subséquemment par souci de parcimonie. De plus, compte tenu du fait que la scolarité était corrélée avec toutes les sous-échelles du AFA et que le revenu (significativement corrélé à la scolarité) l’était uniquement avec la sous-échelle de croyances quant à la contrôlabilité du poids, et ce, de magnitude similaire très faible, le revenu familial n’a pas été inclus dans le modèle d’analyses acheminatoires et seul le niveau de scolarité a été conservé. Ainsi, les six variables suivantes ont été incluses comme prédicteurs (VIs) dans le modèle : genre (femme = 1), milieu de vie (rural = 1), niveau de scolarité, expériences passées de stigmatisation basée sur le poids, IMC et prise de poids récente (oui = 1).

Les tests d’adéquation montrent que le modèle s’ajustait bien aux données, puisque le test du chi-carré était non-significatif [χ2(9) = 11,12, p = 0,268] et les indices d’ajustement étaient satisfaisants, au-delà des seuils d’adéquation recommandés [CFI = 1,00; TLI = 0,99; RMSEA = 0,01 avec IC à 90 % : 0,000 à 0,03; SRMR = 0,01 (Hu et Bentler, 1999)]. Les coefficients des analyses acheminatoires sont présentés au Tableau 3. Le modèle expliquait 6 % de la variance de la sous-échelle de dépréciation de l’obésité (R2 = 0,06), 17 % de la peur de prendre du poids (R2 = 0,17) et 3 % des croyances quant à la contrôlabilité du poids (R2 = 0,03).

Le Tablau 3 présente les résultats des analyses achemiatoires. Les prédicteurs significatifs de la dépréciation de l’obésité étaient, en ordre d’importance, les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids, l’IMC, le genre et une prise de poids récente. Pour la peur de prendre du poids, le prédicteur le plus important était les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids, suivi d’une prise de poids récente, du genre et du niveau de scolarité. Concernant les croyances quant à contrôlabilité du poids, les prédicteurs significatifs étaient l’IMC, le genre, les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids, le milieu de vie et le niveau de scolarité. En utilisant le poids de la régression standardisée (bêta) comme une mesure comparative de la taille d'effet, il est possible de constater que les caractéristiques individuelles liées au poids (c.-à-d., IMC, prise de poids récente et expériences de stigmatisation sur le poids) ainsi que le genre sont, de façon générale, les prédicteurs les plus fortement associés aux attitudes négatives face à l’obésité.

Tableau 1

Statistiques descriptives pour les variables à l’étude

Statistiques descriptives pour les variables à l’étude

Note. Les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids sont mesurées par le Stigmatizing Situations Inventory et les attitudes négatives face à l’obésité sont mesurées par le questionnaire Antifat attitudes. N varie entre 1256 et 1615.

† Poids insuffisant : IMC < 18,5; Poids normal : IMC compris entre 18,5 et 24,9; Embonpoint : IMC compris entre 25 et 29,9; Obésité : IMC ≥ 30.

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Tableau 2

Analyses corrélationnelles pour les variables à l’étude

Analyses corrélationnelles pour les variables à l’étude

Note. Les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids sont mesurées par le Stigmatizing Situations Inventory et les attitudes négatives face à l’obésité sont mesurées par le questionnaire Antifat attitudes. N varie entre 1256 et 1615.

*p < 0,05; **p < 0,01.

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Tableau 3

Analyses acheminatoires des prédicteurs des attitudes négatives face à l’obésité

Analyses acheminatoires des prédicteurs des attitudes négatives face à l’obésité

Note. Les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids sont mesurées par le Stigmatizing Situations Inventory et les attitudes négatives face à l’obésité sont mesurées par le questionnaire Antifat attitudes. N = 1615

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DISCUSSION

L’objectif de la présente étude était d’explorer, pour la première fois au sein d’un échantillon québécois, les facteurs sociodémographiques et individuels liés au poids associés aux attitudes négatives face à l’obésité. Dans leur ensemble, les résultats montrent que les caractéristiques individuelles liées au poids, ainsi que le genre des répondants, sont les prédicteurs les plus fortement associés aux attitudes négatives face à l’obésité dans le présent échantillon.

Parmi les variables étudiées, les expériences passées de stigmatisation basée sur le poids ressortent comme un important prédicteur des attitudes négatives face à l’obésité, et ce, pour les trois sous-échelles de l’AFA. Plus spécifiquement, plus les répondants rapportaient une fréquence élevée d’expériences stigmatisantes, plus ils présentaient des scores élevés aux échelles de dépréciation de l’obésité, de peur de prendre du poids et de croyances quant à la contrôlabilité du poids. Bien qu’il puisse paraitre surprenant que des individus ayant été victimes de stigmatisation basée sur le poids soient plus enclins à entretenir des attitudes stigmatisantes à cet égard à leur tour, ces résultats corroborent ceux obtenus par une étude récente menée auprès d’adultes américains (Kim et al., 2019). Ils peuvent possiblement être expliqués par la présence d’internalisation des préjugés à l’égard du poids chez les personnes ayant été discriminées sur la base de leur poids. En effet, des taux élevés d’expérience de stigmatisation à l’égard du poids ont été retrouvés chez les personnes présentant de hauts niveaux d’internalisation des préjugés liés au poids (jusqu’à 84 %; Puhl et al., 2018), ce qui suggère que les personnes qui sont victimes de stigmatisation puissent se blâmer face à de telles expériences, croyant que les stéréotypes sociétaux basés sur le poids s’appliquent à eux (Durso et Latner, 2008). Une telle internalisation des préjugés a par ailleurs été associée à la présence d’attitudes négatives face à l’obésité (Elran-Barak et Bar-Anan, 2018; Vartanian et al., 2005).

L’IMC des répondants ressort comme un important prédicteur des attitudes négatives face à l’obésité dans le présent échantillon, ce qui appuie notre hypothèse (1). Spécifiquement, l’IMC est associé négativement aux scores de dépréciation de l’obésité et de croyances quant à la contrôlabilité du poids. Ces résultats sont cohérents avec ceux de plusieurs autres études montrant que les personnes de statut pondéral plus bas rapportent des niveaux plus élevés d’attitudes négatives face à l’obésité (Elran-Barak et Bar-Anan, 2018; O’Keeffe et al., 2020; Puhl et al., 2015; Schwartz et al., 2006; Sikorski et al., 2012). Il est possible que les personnes plus minces tendent à croire que le poids est contrôlable puisqu’elles se sentent elles-mêmes efficaces à le contrôler (Knerr et al., 2016), laissant ainsi place à moins d’empathie face aux personnes vivant avec l’obésité.

Les résultats montrent aussi qu’une récente prise de poids rapportée par les répondants est associée positivement aux scores de dépréciation de l’obésité et de peur de prendre du poids. Il est possible de croire que le fait de gagner du poids puisse activer la peur d’en prendre et une certaine vulnérabilité à être plus critique envers l’obésité, l’individu voyant qu’il s’éloigne des standards de minceur promus par la société. La relation entre ces variables a d’ailleurs déjà été montrée (Wellman et al., 2018). Dans une période d’instabilité pondérale, il se peut que l’effet protecteur d’un IMC élevé sur l’endossement des attitudes négatives face à l’obésité n’opère pas, d’autant plus que la récente prise de poids peut concerner les participants de tout format corporel, pas uniquement les personnes avec un IMC élevé. Ces hypothèses devront bien sûr être testées dans de futures études, particulièrement dans le contexte où la présente étude est la première à explorer l’association entre une récente prise de poids et les attitudes négatives face à l’obésité.

Une autre variable ayant montré une bonne valeur prédictive pour les trois attitudes négatives étudiées face à l’obésité est le genre des répondants, conformément à notre hypothèse (2). Il est toutefois intéressant de noter que les associations ne sont pas les mêmes pour les différentes sous-échelles de l’AFA. En effet, le genre féminin est associé à des scores plus faibles de dépréciation de l’obésité et de croyances quant à la contrôlabilité du poids, alors qu’il est plutôt associé à une plus grande peur de prendre du poids. Ces résultats convergent avec ceux d’autres études, soutenant l’idée que les hommes présentent généralement de plus hauts niveaux d’attitudes négatives face à l’obésité que les femmes (Elran-Barak et Bar-Anan, 2018; Hansson et Rasmussen, 2014; Kim et al., 2019; Puhl et al., 2015). Le fait que le genre féminin soit toutefois associé à un score plus élevé de peur de prendre du poids est cohérent avec les résultats d’une étude montrant que les femmes ont davantage peur de prendre du poids que les hommes (Slof-Op ‘t Landt et al., 2017), et avec ceux rapportés par Crandall lors de la création de l’AFA, c.-à-d. qu’il avait montré que les hommes présentaient des scores plus élevés aux échelles de dépréciation et de contrôlabilité, tandis que les femmes avaient des scores plus élevés à l’échelle de peur de prendre du poids (Crandall, 1994). De plus, cette différence quant au genre sur l’endossement des différentes attitudes peut être interprétée à la lumière des pressions sociales à la minceur dont les femmes sont spécialement la cible (Grabe et al., 2008). En effet, une plus grande vulnérabilité chez les femmes à ce que leur corps soit jugé pourrait expliquer cette peur plus grande de prendre du poids retrouvée chez les femmes (Slof-Op ‘t Landt et al., 2017), celles-ci pouvant craindre de ne pas –ou de ne plus – rencontrer les standards de minceur promus par la société et, ainsi, s’éloigner de ce qui est perçu comme étant socialement acceptable en termes de format corporel.

Finalement, les variables sociodémographiques autres que le genre ont, de façon générale, montré une valeur prédictive plus faible des attitudes négatives face à l’obésité dans le présent échantillon. Néanmoins, le niveau de scolarité atteint et le milieu de vie ressortent comme des prédicteurs significatifs de l’échelle de peur de prendre du poids (pour la scolarité) ainsi que de l’échelle de croyances quant à la contrôlabilité du poids (pour le milieu de vie et la scolarité), bien que leur contribution au modèle soit plutôt modeste. Plus spécifiquement, un niveau de scolarité plus élevé est associé à des scores plus faibles de peur de prendre du poids et de contrôlabilité, ce qui soutient les résultats rapportés par deux études menées auprès de la population allemande (Hilbert et al., 2008; Sikorski et al., 2012). Des résultats contraires, ou une absence de lien, ont toutefois été rapportés dans plusieurs autres études auprès d’échantillons américains, mexicains et islandais (Bernard et al., 2019). Dans leur méta-analyse sur le sujet, Bernard et ses collaborateurs (2019) proposent que ces divergences puissent être attribuables à des différences d’ordre culturel. Les auteurs avancent que, dans certaines cultures, la santé (incluant la régulation du poids) est perçue comme étant sous le contrôle de l’individu, tandis que dans d’autres cultures, l’état de santé d’un individu est considéré comme étant sous l’influence de diverses variables. Dans de telles sociétés, les personnes particulièrement instruites peuvent ainsi être conscientes des barrières sociales qui incombent à l’état de santé des individus, ce qui pourrait expliquer qu’elles portent moins de jugement sur l’obésité. En ce qui concerne le milieu de vie, le fait d’habiter dans un milieu rural, en comparaison aux milieux urbains et de banlieue, est associé à un score plus élevé de croyances quant à la contrôlabilité du poids. C’est la première fois, à notre connaissance, que le fait de vivre en milieu rural est identifié comme un prédicteur des attitudes négatives face à l’obésité. D’autres études sont donc nécessaires afin de confirmer ce lien. En ce qui concerne l’âge des répondants, aucun lien n’a été trouvé avec les trois attitudes face à l’obésité à l’étude, ce qui appuie les résultats d’une étude menée auprès d’un échantillon canadien (Puhl et al., 2015). Il semble donc que l’âge des participants à l’étude ait peu à voir avec les attitudes qu’ils portent envers les personnes qui vivent avec l’obésité, ce qui demeure néanmoins à confirmer.

Globalement, le pourcentage de variance expliqué par notre modèle acheminatoire variait d’une attitude négative à l’autre. En effet, le modèle expliquait 6 % de la variance de la sous-échelle de dépréciation de l’obésité, 17 % de la peur de prendre du poids et 3 % des croyances quant à la contrôlabilité du poids. Il importe de rappeler que la statistique du R-carré représente une mesure du potentiel explicatif d’un modèle reflétant sa taille d’effet, et non une mesure de son adéquation aux données (Neter et al., 1985). Ainsi, le modèle testé semble expliquer dans une plus grande proportion les attitudes de peur de prendre du poids, comparativement aux sous-échelles de dépréciation et de croyances quant à la contrôlabilité du poids. Pour ces dernières, il est possible de croire que d’importants prédicteurs de ces attitudes n’étaient pas inclus dans la présente étude. Il pourrait ainsi être intéressant, dans de futures études, d’inclure d’autres variables individuelles, comme par exemple l’internalisation des standards de minceur et des préjugés liés au poids, en tant que variables prédictrices.

La présente étude apporte une contribution intéressante à la littérature existante en explorant, pour la première fois au sein d’un échantillon québécois, les prédicteurs associés aux attitudes négatives face à l’obésité. Elle comporte néanmoins certaines limites, qui se doivent d’être soulevées. La principale limite de la présente étude concerne la représentativité de l’échantillon recruté face à la population québécoise. D’abord, 89 % de l’échantillon était constitué de femmes, ce qui amène les hommes à être sous-représentés. Cette proportion élevée de femmes peut être potentiellement due au sujet de l’étude, ou encore à ses modalités de recrutement. En effet, les femmes semblent plus enclines que les hommes à se porter volontaires pour prendre part à la recherche portant sur le thème de l’alimentation (Andreeva et al., 2015) et le recrutement via Facebook semble également rejoindre les femmes dans une plus grande proportion (Thornton et al., 2016). De plus, le profil sociodémographique du présent échantillon n’est pas parfaitement représentatif de la population québécoise. La quasi-totalité des participants avait pour langue maternelle le français (97 %) et était caucasienne (96 %). Le présent échantillon semble également mieux nanti et avoir atteint un niveau d’éducation plus élevé que la population québécoise en général [54 % a atteint un niveau universitaire comparativement à 36 % de la population québécoise (Institut de la statistique du Québec, 2022a, 2022b)]. De futures études sont ainsi attendues afin de confirmer les résultats obtenus auprès d’un échantillon québécois représentant mieux la population du Québec, en portant une attention particulière à l’inclusion d’hommes, de personnes issues de minorités de genre et de différents groupes ethniques, ainsi que d’anglophones et allophones. Il importe toutefois de souligner que des efforts ont été déployés afin que des répondants de chacune des 17 régions administratives du Québec soient recrutés. Néanmoins, chaque région n’est pas représentée dans une proportion exacte de la population du Québec. Une autre limite de la présente étude concerne les mesures de la taille et du poids qui ont été autorapportées par les participants; cela peut mener à une sous-estimation des taux d’embonpoint et d’obésité (Mogre et al., 2015). Il appert néanmoins que le taux d’obésité retrouvé dans le présent échantillon (26,7 %) correspond assez bien à ce qui est observé au Québec (25,4 %; Statistique Canada, 2021). Toutefois, les personnes catégorisées comme ayant de l’embonpoint semblent quelque peu sous-représentées dans le présent échantillon (26,1 %) comparativement à ce qui est habituellement observé dans la population québécoise (36,8 %; Statistique Canada, 2021). L’utilisation de mesures recueillies de façon objective pourrait remédier à cette limite.

En conclusion, les présents résultats ont des implications en termes de prévention et d’intervention en matière de stigmatisation à l’égard de l’obésité. Ils permettent d’identifier des caractéristiques individuelles pouvant être ciblées afin de prévenir ou d’atténuer les préjugés négatifs concernant l’obésité, comme le fait d’être un homme, de présenter un IMC plus bas ou d’avoir un niveau de scolarité moindre. Ils suggèrent également que d’intervenir tôt puisse être nécessaire, puisque la fréquence des expériences passées de stigmatisation basée sur le poids, vécues au cours de la vie, s’est avérée être le prédicteur le plus important des attitudes négatives face à l’obésité. Les efforts de prévention gagneraient à sensibiliser les populations de tous âges à propos des causes multifactorielles de l’obésité qui ne sont pas sous le contrôle de l’individu pour la plupart, comme par exemple les facteurs d’ordre génétique (Vallis et Macklin, 2021). Tel que suggéré dans une déclaration commune proposant des recommandations pour éliminer les biais liés au poids d’un groupe multidisciplinaire d’experts internationaux (Rubino et al., 2020), nous devons poursuivre le travail pour diminuer l’écart entre les faits scientifiques et les fausses idées préconçues véhiculées dans le discours public à l’endroit des personnes vivant avec l’obésité, afin de contrer les effets néfastes de la stigmatisation basée sur le poids sur la santé et le bien-être des populations.