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Les troubles anxieux et les troubles de l’humeur affectent une proportion importante de la population. Au Canada, la prévalence sur 12 mois de la dépression majeure se situerait autour de 4 % et la prévalence à vie autour de 11 % (Knoll et MacLennan, 2017 ; Patten et coll., 2015). Pour les troubles anxieux, la prévalence se situerait entre 10,6 % (12 mois) et 16,6 % (à vie) selon une revue systématique d’études réalisées dans plusieurs pays, incluant le Canada (Somers, Goldner, Waraich et Hsu, 2006). Aux États-Unis, on estime la prévalence sur 12 mois de l’ensemble des troubles anxieux à 18,1 % (Kessler, Chiu, Demler et Walters, 2005). Les troubles anxieux et les troubles de l’humeur sont d’ailleurs les troubles de santé mentale les plus souvent observés dans les services de santé (Ansseau et coll., 2004 ; Mergl et coll., 2007 ; Roca et coll., 2009 ; Serrano-Blanco et coll., 2010). De plus, la coexistence de troubles en santé mentale est un phénomène très courant et ce serait davantage la règle que l’exception pour les troubles anxieux et de l’humeur.

Le National Comorbidity Survey – Replication, un sondage national américain effectué à l’aide d’entrevues auprès de près de 10 000 personnes adultes, a révélé que 55 % de celles qui avaient un trouble de santé mentale n’en avaient qu’un, 22 % avaient 2 diagnostics et 23 % en avaient 3 ou plus (Kessler et coll., 2005). De fortes associations ont été retrouvées entre plusieurs troubles, notamment entre l’agoraphobie et l’anxiété sociale et entre le trouble d’anxiété généralisée et la dépression (Kessler et coll., 2005). Ainsi, ces troubles de santé mentale sont susceptibles de se présenter ensemble. Parmi les participants qui ont rempli les critères pour une dépression majeure au cours de leur vie, près de 60 % remplissaient aussi les critères pour un trouble anxieux ou un trouble apparenté au même moment (Kessler et coll., 2003). Comparativement au reste de la population, les gens qui ont un trouble anxieux ont 5 à 6 fois plus de risque d’être également atteints d’un trouble dépressif (Huppert, 2009).

Considérant ces taux élevés, il est légitime de penser que beaucoup de gens vivent avec des conséquences de la comorbidité. En effet, elle est associée à une augmentation de la sévérité des symptômes et de l’altération du fonctionnement par rapport à ceux qui présentent 1 seul trouble de santé mentale (Angst, Vollrath, Merikangas et Ernst, 1990 ; Hofmeijer-Sevink et coll., 2012). D’ailleurs, la sévérité des troubles augmentait en fonction de la comorbidité : 9,6 % des répondants avec un diagnostic étaient classés comme ayant des troubles sévères, tandis que 25,5 % de ceux avec 2 diagnostics et 49,9 % de ceux avec 3 diagnostics ou plus l’étaient (Kessler et coll., 2005). La comorbidité a aussi été associée à plus de chronicité, un développement plus précoce des difficultés et plus de dysfonctionnement (Belzer et Schneier, 2004 ; Hofmeijer-Sevink et coll., 2012). Il semblerait donc que la comorbidité soit associée à des cas plus complexes et sévères.

Dans les dernières décennies, la thérapie cognitive-comportementale (TCC) a largement été démontrée comme étant efficace. Cette approche a reçu de nombreux appuis, et ce, particulièrement pour diminuer les symptômes des troubles anxieux et des troubles dépressifs (Australian Psychological Society, 2018 ; Katzman et coll., 2014). Toutefois, les études qui portent sur l’efficacité de la TCC pour traiter le trouble principal en présence de comorbidité(s) sont peu nombreuses (Abramowitz et Landy, 2013 ; Bauer, Wilansky-Traynor et Rector, 2012 ; Joormann, Kosfelder et Schulte, 2005).

Une méta-analyse portant sur la TCC et d’autres thérapies a montré une relation négative significative entre la comorbidité et les résultats au traitement chez des patients qui souffrent d’un trouble d’anxiété généralisée (Olatunji, Cisler et Tolin, 2010). De plus, une revue de la littérature a été effectuée sur l’efficacité de la TCC lorsqu’une dépression majeure s’ajoute à un trouble anxieux. Bien que les résultats obtenus varient selon le type de trouble anxieux principal, l’un des constats dégagés est que les participants qui ont un trouble d’anxiété sociale ou un trouble obsessionnel-compulsif, combiné avec des symptômes dépressifs, obtiennent des effets plus limités du traitement du trouble anxieux comparés aux participants qui n’ont pas de symptômes dépressifs (Bauer et coll., 2012). En somme, selon ces 2 revues de la littérature, des études laissent croire que la comorbidité a des effets négatifs sur le traitement spécifique des troubles anxieux et dépressifs. Toutefois, de nombreuses études en sont arrivées à la conclusion que la comorbidité n’avait pas d’effet sur l’efficacité d’une psychothérapie. Bien que la méta-analyse d’Olatunji et coll. (2010) a montré que la comorbidité avait un impact sur le traitement du trouble d’anxiété généralisée, les auteurs ont conclu que la comorbidité n’avait pas d’impact sur le traitement de tous les autres troubles anxieux. De même, tel que mentionné précédemment, la recension de la littérature effectuée par Bauer et coll. (2012) avait pour conclusion qu’une dépression comorbide n’avait pas le même impact sur l’efficacité du traitement du trouble anxieux principal selon quel était ce dernier. Dans cette étude, mis à part pour le trouble d’anxiété sociale et le trouble obsessionnel-compulsif, les symptômes dépressifs n’interféraient pas avec la TCC pour tous les autres troubles investigués. Par exemple, malgré quelques exceptions, les auteurs concluent que la TCC spécifique au trouble panique peut être appliquée avec succès, qu’il y ait présence d’une dépression comorbide ou non (Bauer et coll., 2012).

Il semble donc que la recherche sur l’impact de la comorbidité obtienne des résultats mitigés. La méta-analyse et la recension de la littérature présentées semblent conclure que de façon générale, la comorbidité n’affecte pas significativement l’efficacité de la psychothérapie pour traiter le trouble principal. Cette conclusion tient d’ailleurs compte du nombre et de la qualité des études recensées. Il n’en demeure pas moins que quelques études rigoureuses ont trouvé des liens significatifs entre la comorbidité et la diminution du succès thérapeutique. Ainsi, il semble difficile d’obtenir un consensus sur le sujet.

Alors que l’effet de la comorbidité sur la thérapie est un sujet encore peu étudié, les études qui abordent l’effet de la psychothérapie pour traiter les troubles comorbides à un trouble principal se font encore plus rares (Ollendick, Jarrett, Grills-Taquechel, Hovey et Wolff, 2008). Toutefois, quelques études portant sur la TCC pour le trouble d’anxiété généralisée, le trouble panique, le trouble d’anxiété sociale, le trouble obsessionnel-compulsif et le trouble de stress post-traumatique concluent qu’elle est efficace pour diminuer le nombre et la sévérité des troubles comorbides (Bauer et coll., 2012 ; Borkovec, Abel et Newman, 1995 ; Brown, Antony et Barlow, 1995 ; Craske et coll., 2007 ; Davis, Barlow et Smith, 2010 ; Newman, Przeworski, Fisher et Borkovec, 2010 ; Öst, Karlstedt et Widén, 2012 ; Provencher, Ladouceur et Dugas, 2006 ; Tsao, Mystkowski, Zucker et Craske, 2002). D’ailleurs, en ce qui concerne le trouble de stress post-traumatique, la revue de littérature de Bauer et ses collaborateurs (2012) conclut qu’il y aurait même une certaine proportion qui se remettrait complètement de la dépression majeure en suivant une TCC spécifique au trouble de stress post-traumatique. Il semblerait donc que, même si la TCC n’a pas d’emblée pour cible les troubles comorbides, traiter efficacement le trouble principal pourrait résulter en une diminution des symptômes des troubles secondaires (Payne, Ellard, Farchione, Fairholme et Barlow, 2014).

En somme, comme les taux de comorbidité sont importants et que celle-ci est habituellement associée à des cas plus complexes et sévères, il est important d’évaluer son effet sur l’efficacité de la TCC ainsi que la capacité de cette psychothérapie à diminuer les symptômes comorbides. Le constat actuel est que relativement peu de recherche a été faite sur le sujet et qu’il n’y a pas de consensus clair qui semble se dégager jusqu’à présent. Cela fait en sorte qu’il est difficile pour les psychothérapeutes de déterminer clairement si, comment et quand la comorbidité doit être ciblée dans leurs interventions. Des études additionnelles sont donc nécessaires pour permettre d’établir des lignes directrices basées sur les données probantes portant sur les façons de maximiser le succès thérapeutique dans ces conditions.

Le 1er objectif de la présente étude est de vérifier si la comorbidité est associée à des symptômes plus sévères chez les personnes. Il est attendu que les personnes ayant au moins un trouble comorbide auront un diagnostic principal ainsi que des symptômes anxieux et dépressifs plus sévères comparés aux personnes n’ayant pas de trouble comorbide. Il est aussi attendu que les personnes ayant au moins un trouble comorbide auront une moins bonne qualité de vie.

Le 2e objectif est d’évaluer si la présence de troubles comorbides affecte l’efficacité du traitement du trouble prédominant. Il est attendu que le traitement pour les personnes ayant au moins un trouble comorbide sera moins efficace pour diminuer la sévérité du diagnostic principal. Un sous-objectif est de vérifier si la présence de comorbidité affecte l’atteinte d’un changement cliniquement significatif (CCS). Il est attendu que les personnes ayant au moins une comorbidité atteindront un CCS dans une moins grande proportion que les personnes n’ayant pas de trouble comorbide.

Le 3e objectif est de vérifier si la TCC permet de diminuer la sévérité des troubles comorbides. Il est attendu que la sévérité des diagnostics comorbides diminue au post-test par rapport au prétest. Un sous-objectif sera de vérifier si le nombre de diagnostics comorbides diminue au post-test par rapport au prétest. Il est attendu que les diagnostics comorbides soient moins nombreux après la thérapie qu’avant celle-ci.

MÉTHODE

Participants. L’échantillon est composé de 293 adultes atteints de troubles de l’humeur, de troubles anxieux ou de troubles apparentés et qui ont consulté un intervenant (septembre 2007 à mai 2018) au Service de consultation de l’École de psychologie (SCEP) de l’Université Laval. Les personnes sont âgées entre 17 et 75 ans (M = 35 ans) et sont majoritairement des femmes (73 %). Les diagnostics les plus fréquemment posés sont les suivants : trouble d’anxiété généralisée (20,1 %), dépression majeure (13,9 %), trouble d’anxiété sociale (9,9 %), trouble panique (8,9 %) et phobie spécifique (5,5 %). Pour 40 personnes, le diagnostic est manquant, et ce, pour diverses raisons (un diagnostic n’a pas pu être posé, les informations n’ont pas été saisies par l’intervenant, etc.). Ainsi, l’échantillon utilisé pour effectuer les analyses est constitué de 253 personnes. La comorbidité est retrouvée dans une proportion importante de l’échantillon : 31,2 % des personnes ont plus d’un diagnostic (voir tableau 1).

Procédure. Le SCEP est un milieu universitaire de formation professionnelle à la psychologie clinique. Ainsi, les services sont offerts par des étudiants au doctorat en psychologie de différents niveaux (pratica ou internat) qui sont supervisés par des professeurs de l’École de psychologie de l’Université Laval (Québec, Canada), membres de l’Ordre des psychologues du Québec. Dans le cadre de cette étude, les services ont été dispensés dans une unité spécialisée dans l’évaluation et le traitement des difficultés psychologiques à partir des principes de base de l’approche cognitive-comportementale auprès d’une clientèle adulte, soit l’Unité de thérapie cognitive-comportementale (UTCC).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques, diagnostiques et cliniques des clients

Caractéristiques sociodémographiques, diagnostiques et cliniques des clients

1. Trouble d’anxiété liée à la maladie, insomnie, trouble somatoforme, trouble bipolaire, trouble dépressif non spécifié, trouble du contrôle des impulsions, trichotillomanie, trouble alimentaire, trouble psychotique.

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Après avoir été référée à l’UTCC pour un motif de consultation conduisant à cette unité (problème relatif à un trouble de l’humeur, un trouble anxieux ou une problématique apparentée), une entrevue de dépistage téléphonique est effectuée. Les personnes qui présentent des symptômes psychotiques ou maniaques non contrôlés, un trouble lié à l’utilisation d’une substance au premier plan ou une condition urgente comme un risque suicidaire élevé sont redirigés vers d’autres ressources plus appropriées pour traiter et prendre en charge ces difficultés. Si les besoins de l’individu correspondent aux services de l’UTCC, une première rencontre d’évaluation est fixée durant laquelle une évaluation globale des difficultés vécues, de la situation de vie actuelle et des antécédents familiaux est effectuée. Une batterie de questionnaires à remplir à la maison est remise au client. Lors de la seconde rencontre, une entrevue diagnostique structurée est effectuée et les questionnaires sont récupérés. Accompagnés par leur superviseur qui a accès aux enregistrements des séances, les thérapeutes posent le(s) diagnostic(s). Une psychothérapie cognitive-comportementale basée sur une analyse fonctionnelle des difficultés du client est par la suite entamée. À l’avant-dernière rencontre de psychothérapie, les questionnaires sont à nouveau remis à la personne et l’entrevue diagnostique est à nouveau effectuée afin de documenter l’évolution des symptômes à la suite du traitement.

Instruments de mesure. L’établissement du diagnostic principal et des diagnostics secondaires se fait à l’aide d’une entrevue semi-structurée, soit le MINI International Neuropsychiatric Interview 5.0 (M.I.N.I., Sheehan et coll., 1998). Cet instrument permet d’évaluer les principaux troubles de l’Axe I du DSM-IV, incluant les troubles anxieux et de l’humeur. Pour chacun des diagnostics effectués, une cote de sévérité de 0 à 8 est attribuée, 0 étant le moins sévère et 8 le plus sévère. Pour que le diagnostic puisse être porté, un point de rupture à 4 est nécessaire. Il possède une bonne convergence avec le Structured Clinical Interview for DSM Disorders (SCID ; First, Spitzer, Gibbon et Williams, 1997) pour l’établissement du diagnostic de la majorité des troubles de santé mentale.

Afin d’évaluer les symptômes dépressifs avant et après la psychothérapie, la version francophone du Beck Depression Inventory II (BDI-II ; Beck, Steer et Brown, 1996, 1998) est utilisée. Ce questionnaire autorapporté comprend 21 items mesurant l’intensité des symptômes dépressifs pour la dernière semaine avec des échelles de type Likert. Les scores obtenus varient de 0 à 63 : absence ou présence minimale de symptômes dépressifs (0 à 13) ; symptômes dépressifs légers (14 à 19) ; symptômes dépressifs modérés (20 à 28) ; symptômes dépressifs sévères (29 ou plus).

Afin d’évaluer les symptômes anxieux avant et après la psychothérapie, la version francophone du Beck Anxiety Inventory (BAI ; Beck, Epstein, Brown et Steer, 1988 ; Freeston, Ladouceur, Thibodeau, Gagnon et Rhéaume, 1994) est utilisée. Ce questionnaire autorapporté comprend 21 items mesurant l’intensité des symptômes somatiques de l’anxiété pour la dernière semaine avec des échelles de type Likert. Les scores obtenus varient de 0 à 63 : absence ou présence minimale de symptômes anxieux (0 à 7) ; symptômes anxieux légers (8 à 15) ; symptômes anxieux modérés (16 à 25) ; symptômes anxieux sévères (26 ou plus).

Afin d’évaluer la qualité de vie avant et après la psychothérapie, la version francophone validée du WHOQOL-BREF est utilisée (Baumann, Erpelding, Régat, Collin et Briançon, 2010). Ce questionnaire autorapporté comprend 26 items mesurant la santé physique, la santé psychologique, les relations sociales et l’environnement à l’aide d’échelles de type Likert. Les scores sont sous forme de percentiles et comparés à des normes. La cohérence interne de chaque sous-échelle est généralement bonne (α = .74, α = .59, α = .62 et α = .80).

RÉSULTATS

Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel SAS 9.4 et le niveau de signification a été établi à .05. Des analyses descriptives ont été effectuées afin de décrire l’échantillon (voir tableau 1). Afin de comparer le profil des personnes ayant au moins un trouble comorbide à ceux qui n’en ont pas au prétest, des tests t pour échantillons indépendants ont été effectués (voir tableau 2). Les 2 deux groupes ont été comparés sur leurs scores au prétest sur différentes mesures (sévérité du diagnostic principal, BAI, BDI-II et WHOQOL). Toutefois, en ce qui concerne la sévérité du diagnostic principal, un test non paramétrique a été utilisé, soit le test de Wilcoxon.

Tableau 2

Comparaisons entre les groupes au prétest

Comparaisons entre les groupes au prétest

* p < .05

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Les résultats révèlent que les personnes avec au moins un trouble comorbide ont un diagnostic principal significativement plus sévère (M = 5,12 ; ÉT = 1,35) que les personnes qui n’ont pas de trouble comorbide (M = 4,25 ; ÉT = 2,32) au temps prétest (z = 2,05, p < .05). Ils ont aussi des symptômes anxieux (M = 21,8 ; ÉT = 10,96) (t[245] = -4,14, p < .0001) et des symptômes dépressifs (M = 22,79 ; ÉT = 11,11) (t[247] = -3,16, p < .01) significativement plus sévères comparés aux personnes sans troubles comorbides (M = 15,35 ; ÉT = 10,27 et M = 18,26 ; ÉT = 10,29). En ce qui concerne le WHOQOL, seule la sous-échelle sur la santé psychologique ressort comme étant significative (t[220] = 4,08, p < .05). Les personnes ayant au moins un trouble comorbide seraient donc significativement moins satisfaits de leur santé psychologique (M = 41,94 ; ÉT = 17,18) que les personnes qui n’ont pas de trouble comorbide (M = 51,88 ; ÉT = 16,35) au prétest. Il n’y a toutefois pas de différence significative entre les 2 groupes sur les autres dimensions (voir le tableau 2).

Ensuite, afin de vérifier si l’efficacité de la thérapie diffère pour traiter le trouble principal entre les personnes qui ont au moins un trouble comorbide et les personnes qui n’en ont pas, les 2 groupes ont été comparés sur 2 variables : l’atteinte d’un changement cliniquement significatif et la sévérité du score clinique du M.I.N.I. En ce qui concerne la sévérité du score clinique du M.I.N.I., une ANOVA à 2 facteurs (comorbidité [absence-présence] et temps [pré-post]) à mesures répétées (temps) a été effectuée. Les résultats révèlent que l’interaction entre la comorbidité et le temps de mesure n’est pas significative (F[1, 223] = 1,28, p = .25). Cela signifie que l’effet de la thérapie est comparable pour les 2 groupes pour diminuer la sévérité du diagnostic principal. Toutefois, les effets principaux du temps (F[1, 223] = 255,87, p < .01) et de la comorbidité (F[1, 247] = 6,54, p < .05) sont significatifs. Cela signifie donc que, peu importe le temps, la différence entre les personnes avec au moins 1 trouble comorbide et les personnes qui n’en ont pas est significative et que, peu importe le statut de comorbidité, la diminution entre le prétest et le post-test est significative. Les personnes qui ont au moins un trouble comorbide ont en moyenne un diagnostic principal plus sévère que les personnes qui n’ont pas de trouble comorbide, et ce, autant avant qu’après la thérapie (voir figure 1).

Afin de mesurer le changement cliniquement significatif (CCS), l’indice C de Jacobson et Truax (1991) ainsi que le Reliable Change Index (RCI) ont été utilisés. Le RCI est un score standardisé qui permet de mesurer le changement. Il permet d’identifier si le changement dans les scores à l’entrevue est cliniquement significatif. Tel que proposé par Öst et coll. (2012), un changement d’au moins 2 points sur la cote de sévérité du M.I.N.I. est nécessaire pour obtenir un changement cliniquement significatif (RCI significatif). L’indice C est un point de rupture qui suggère qu’il est plus probable que la personne se retrouve près d’une distribution normale que d’une distribution clinique. Ce point de rupture est fixé à 3 et moins au M.I.N.I. En combinant l’indice C et le RCI, il est possible de classer les clients en 4 catégories : ceux qui se sont détériorés (RCI indique une aggravation) ; ceux pour qui aucun changement significatif n’a été observé (RCI n’indique pas d’aggravation ou d’amélioration) ; ceux qui ont obtenu un changement cliniquement significatif (RCI indique une amélioration) ; ceux qui se sont rétablis (RCI indique une amélioration et point de rupture franchi). Afin de vérifier s’il existe un lien entre la comorbidité et l’atteinte d’un CCS, un test de Fisher a été réalisé (tableau 3). Les résultats révèlent qu’il n’y a pas d’association entre la présence de comorbidité et la répartition dans les catégories de changement cliniquement significatif (p = .40).

Figure 1

Évolution de la sévérité du diagnostic principal entre le prétest et le post-test en fonction de la présence ou non de troubles comorbides

Évolution de la sévérité du diagnostic principal entre le prétest et le post-test en fonction de la présence ou non de troubles comorbides

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Finalement, afin de vérifier si une différence statistiquement significative existe entre le prétest et le post-test sur la sévérité du score au M.I.N.I. pour les diagnostics comorbides, c’est-à-dire si la TCC est efficace pour traiter les troubles comorbides, une ANOVA à mesures répétées a été effectuée. Les résultats révèlent un effet significatif du temps (F[1, 66,6] = 56,68, p < .01). La sévérité moyenne des diagnostics comorbides diminue donc significativement du prétest (M = 3,57 ; ÉT = 0,23) au post-test (M = 1,75 ; ÉT = 0,26). De plus, afin de vérifier si le nombre de diagnostics comorbides diminue au post-test par rapport au prétest, un modèle linéaire généralisé de poisson à un facteur (temps) à mesures répétées a été effectué. Les résultats révèlent encore une fois un effet significatif du temps (F[1, 83,43] = 57,44, p < .01). Le nombre de diagnostics diminue donc du prétest (M = 2,41 ; ÉT = 0,61) au post-test (M = 1,29 ; ÉT = 1,13).

Tableau 3

Nombre de clients (et pourcentage) ayant atteint un niveau de changement cliniquement significatif (CCS) au post-test en fonction de la présence ou non de troubles comorbides

Nombre de clients (et pourcentage) ayant atteint un niveau de changement cliniquement significatif (CCS) au post-test en fonction de la présence ou non de troubles comorbides

1Atteinte du CCS et du point de rupture. Il est à noter qu’aucun client n’a atteint un CCS sans atteindre également le point de rupture.

2Association entre l’atteinte d’un CCS et la comorbidité. p < .05.

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DISCUSSION

Le but de la présente étude était d’étudier l’influence de la comorbidité chez des personnes ayant des troubles anxieux, dépressifs ou apparentés. Le 1er objectif était de vérifier si la comorbidité est associée à un profil plus sévère chez les personnes. Bien qu’il y ait des exceptions, l’hypothèse est majoritairement confirmée. En effet, les personnes qui ont des troubles comorbides ont obtenu des scores plus sévères que les personnes qui n’en ont pas en ce qui concerne les symptômes anxieux et dépressifs, la sévérité du trouble principal ainsi qu’une dimension de la qualité de vie, soit la santé psychologique. Les autres aspects de la qualité de vie mesurés ne diffèrent toutefois pas entre les 2 groupes. Il demeure que dans l’ensemble, la comorbidité semble être associée à un profil plus sévère, surtout sur le plan psychologique. Ces résultats sont cohérents avec la littérature qui suggère des liens entre la comorbidité et des facteurs aggravants supplémentaires, dont une augmentation de la sévérité des symptômes, de l’altération du fonctionnement, de la chronicité et du risque suicidaire (Angst et coll., 1990 ; Belzer et Schneier, 2004 ; Hofmeijer-Sevink et coll., 2012 ; Nepon, Belik, Bolton et Sareen, 2010 ; Weissman, 1995). Il est également intéressant de souligner que, même si les 2 groupes ont bénéficié de la thérapie, après celle-ci, les individus qui ont des comorbidités avaient tout de même un trouble principal qui était toujours plus sévère comparés aux individus qui n’ont pas de trouble comorbide. Il semble ainsi que le fait d’être atteint de plusieurs troubles de santé mentale complexifie le portrait clinique.

Le 2e objectif était de vérifier si la comorbidité affecte l’efficacité du traitement du trouble principal. Contrairement à l’hypothèse posée, l’effet de la thérapie pour diminuer la sévérité du trouble principal est le même pour les 2 groupes et il n’y a pas de lien entre l’obtention d’un changement cliniquement significatif et la comorbidité. Ainsi, il semble que la présence de comorbidité n’affecte pas le traitement du trouble principal dans le cadre de cette étude. Toutefois, il est pertinent de préciser que les 2 groupes ne sont pas égaux au post-test. En effet, les personnes qui présentent au moins 1 trouble comorbide terminent la thérapie avec un diagnostic principal en moyenne plus sévère que les personnes qui ne présentent pas de trouble comorbide. Bien que cette différence soit de petite ampleur, elle est statistiquement significative. Cependant, dans les deux cas, la sévérité du trouble principal est nettement sous-clinique au post-test. Ces résultats sont donc partiellement concordants avec la littérature.

En effet, plusieurs études rapportent des résultats satisfaisants de la thérapie pour diminuer les symptômes des troubles principaux malgré la présence de comorbidité. Les méta-analyses et les recensions de la littérature semblent conclure que de façon générale, la comorbidité n’affecte pas l’issue du traitement (Bauer et coll., 2012 ; Olatunji et coll., 2010). Toutefois, il demeure que l’efficacité obtenue varie d’une étude à l’autre et que de nombreuses autres études rapportent des liens importants entre la comorbidité et la diminution du succès thérapeutique (Abramowitz, Franklin, Street, Kozak et Foa, 2000 ; Ledley et coll., 2005). Il semblerait que même si le portrait clinique est complexifié par la présence de comorbidité, le traitement du trouble principal demeure aussi bénéfique qu’en l’absence de comorbidité.

Le 3e objectif était de vérifier si la thérapie est efficace pour traiter les troubles comorbides. L’hypothèse est confirmée. En effet, les résultats révèlent que le nombre et la sévérité des troubles comorbides diminuent significativement suite à la thérapie. Il semble donc que même si la thérapie n’a pas d’emblée pour cible les troubles comorbides, elle permet une amélioration clinique significative de ceux-ci. Bien que la littérature à ce sujet soit plutôt limitée, les résultats sont concordants avec cette dernière. Des études portant sur le traitement du trouble principal, comme le trouble panique et le trouble d’anxiété généralisée, concluent que la TCC est efficace pour traiter les troubles comorbides, même s’ils ne sont pas spécifiquement visés (Bauer et coll., 2012 ; Craske et coll., 2007 ; Davis et coll., 2010 ; Newman et coll., 2010 ; Öst et coll., 2012 ; Provencher et coll., 2006). Certains suggèrent donc que de traiter le trouble principal adéquatement pourrait résulter en une diminution des symptômes des troubles secondaires (Payne et coll., 2014).

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour tenter d’expliquer les résultats observés. Il est d’abord possible que la flexibilité, c’est-à-dire basée sur l’analyse fonctionnelle, des thérapies prodiguées à l’UTCC aient permis de cibler les troubles comorbides. Le protocole d’évaluation rigoureux permet d’établir quel est le trouble prédominant et les plans de traitement sont généralement développés en fonction de celui-ci. Toutefois, l’analyse fonctionnelle approfondie permet également de considérer d’autres éléments, comme les troubles secondaires, et d’adapter le traitement selon une formulation de cas individualisée (Persons, 2012). Ainsi, sans avoir nécessairement suivi un protocole manualisé pour chacune des comorbidités, il est probable que certaines problématiques aient brièvement été ciblées.

Une autre hypothèse pour expliquer que les troubles comorbides se résorbent en traitant le trouble principal est que la thérapie puisse agir sur des mécanismes communs à l’ensemble des troubles anxieux, de l’humeur et apparentés. En effet, de nombreux chercheurs croient que ces troubles émotionnels sont en fait de simples variations dans la façon de manifester une même affection sous-jacente. Cette entité est souvent appelée l’affect négatif et peut se définir comme un tempérament ou un trait inné qui augmente la propension à vivre des émotions négatives (Norton et Philipp, 2008 ; Brown, Chorpita et Barlow, 1998). Il est ainsi possible que la thérapie agisse en réalité sur l’affect négatif, ce qui expliquerait la généralisation de ses effets aux différents troubles des individus. En effet, il est probable que la thérapie cible des facteurs de développement et de maintien communs aux troubles.

Dans cette perspective, il existerait des processus transdiagnostiques aux troubles émotionnels, tels que des stratégies d’adaptation ou des façons de gérer les émotions plus dysfonctionnelles (Harvey, Watkins, Mansell et Shafran, 2004). Il est notamment question d’évitement comportemental et cognitif et de rumination. Des processus de raisonnement, d’attention et de mémoire pourraient aussi être impliqués et expliquer que des distorsions cognitives soient souvent retrouvées à travers l’ensemble des troubles émotionnels (Bird, Mansell, Dickens et Tai, 2013 ; Harvey et coll., 2004 ; Mansell, Harvey, Watkins et Shafran, 2009 ; Moses et Barlow, 2006). Les processus transdiagnostiques pourraient donc maintenir plus d’un trouble à la fois (Harvey et coll., 2004). Ainsi, selon cette hypothèse, la thérapie pourrait intervenir sur des éléments communs et traiter plusieurs troubles simultanément. Une étude récente démontre d’ailleurs qu’un traitement transdiagnostic ciblant plusieurs troubles anxieux est efficace pour diminuer le nombre de diagnostics comorbides (Norton, Provencher, Kilby et Roberge, 2021), mais selon une autre étude, les traitements ciblant un diagnostic spécifique ont une efficacité comparable au traitement transdiagnostic sur la comorbidité (Steele et coll., 2018). Dans la présente étude, les hypothèses soulevées pour expliquer que les comorbidités se soient résorbées à la suite du traitement peuvent potentiellement coexister et pourraient également expliquer pourquoi la présence de troubles comorbides n’affecte pas le traitement du trouble principal.

Sur le plan clinique, les résultats de cette étude ont plusieurs implications. D’abord, comme la comorbidité est associée à un profil clinique plus sévère, il est pertinent d’en tenir compte et d’en rechercher les conséquences potentielles. En effet, tel que mentionné précédemment, les personnes qui présentent au moins 1 trouble comorbide ont en moyenne un diagnostic principal plus sévère que les personnes qui ne présentent pas de trouble comorbide, et ce, autant avant qu’après la thérapie. Ainsi, même si les personnes qui ont une comorbidité bénéficient de la thérapie, elles semblent davantage souffrir de symptômes résiduels. Comme les symptômes résiduels ont été associés à un risque accru de rechute (Bech, Lonn et Overo, 2010 ; Conradi, Ormel et de Jonge, 2011 ; Paykel, 2008), il pourrait être pertinent d’adapter le suivi, par exemple en le prolongeant de quelques rencontres lorsque nécessaire ou en effectuant des rencontres post-suivi. Cette suggestion clinique devrait par contre être évaluée dans des études rigoureuses futures.

Il ne semble toutefois pas nécessaire d’apporter des adaptations majeures à la thérapie lorsque la comorbidité est impliquée, puisqu’à la fois le trouble principal et les troubles secondaires ont obtenu une amélioration clinique, et ce, en ciblant principalement le trouble prédominant. Comme c’est souvent le cas dans les milieux naturels, il est difficile de connaître les détails exacts des thérapies prodiguées à l’UTCC, mais chose certaine, il est très peu probable que des protocoles manualisés entiers spécifiques à chacun des troubles aient été appliqués pour chacun des clients. Pourtant, le nombre et la sévérité des troubles comorbides ont significativement diminué au post-test. Ainsi, il est possible de penser qu’il soit judicieux de cibler le trouble principal malgré la présence de comorbidité, mais en ayant recours à une utilisation flexible des manuels de traitement. Plusieurs études démontrent d’ailleurs qu’une utilisation flexible du contenu découlant des manuels de traitement produit des effets comparables, voire supérieurs dans certains cas, à une adhésion stricte aux manuels (Truijens, Zühlke-van Hulzen et Vanheule, 2019).

La principale limite de cette étude est que l’effet de la comorbidité n’a pas été étudié en fonction du trouble principal, du trouble secondaire ou des différentes combinaisons possibles. En effet, tous les troubles prédominants ont été regroupés pour étudier le diagnostic principal. Ainsi, il est possible que les résultats diffèrent selon certains troubles sans que cela n’ait pu être décelé. Comme le traitement de certains troubles en particulier est ressorti comme étant moins efficace en présence de comorbidité dans certaines études, il est plausible que des différences auraient pu être retrouvées. Un échantillon plus grand aurait permis d’étudier la comorbidité sous cet angle en ayant une puissance statistique adéquate. D’un autre côté, la taille de l’échantillon représente une force de l’étude en soi avec ses 293 participants recrutés en milieu naturel.

Une autre limite de cette étude est en lien avec la validité interne. D’abord, il est difficile de connaître les détails exacts du contenu des thérapies effectuées à l’UTCC. Il est possible que les thérapies soient plus variées que ce qui est présumé, par exemple qu’il y ait des suivis plus manualisés alors que d’autres le sont moins. L’inverse est également possible : il se peut que les thérapies soient en fait très homogènes. De plus, certains facteurs limitent l’attribution du changement à la thérapie, dont l’absence de groupe contrôle, le fait que la prise de médication n’ait pas été contrôlée et le fait que les troubles de la personnalité n’aient pas été systématiquement évalués. De surcroît, les effets n’ont pas été mesurés dans un second temps de mesure après la thérapie, il n’est donc pas possible de savoir si les effets seraient maintenus dans le temps. Aussi, certains troubles sont moins bien représentés, notamment l’état de stress post-traumatique, ce qui limite la généralisabilité des résultats pour ceux-ci. Les conclusions tirées sur les implications cliniques sont donc à prendre avec précaution.

Finalement, la façon de mesurer la sévérité du diagnostic principal limite aussi la validité interne. En effet, le M.I.N.I. possède un bon accord interjuge et une bonne fidélité test-retest (Sheehan et coll., 1998), mais il demeure que les thérapeutes sont eux-mêmes les évaluateurs post-traitement, ce qui rend la mesure moins objective. Ils sont notamment sujets au biais de confirmation d’hypothèse, s’attendant à ce que la thérapie soit efficace. De plus, bien que les thérapeutes soient des étudiants qui bénéficient de supervision pour poser les diagnostics, il n’y a pas eu d’accords interjuges avec un 2e clinicien indépendant. D’un autre côté, la validité externe est une force de cette étude. En effet, de nombreuses caractéristiques de l’UTCC s’apparentent à celles d’un milieu clinique en milieu naturel. Par exemple, les individus consultent un intervenant sur une base volontaire, ils présentent des caractéristiques variées, les intervenants ont une certaine liberté sur les modalités du traitement, etc. Ainsi, les résultats de cette étude sont plus facilement généralisables à la pratique clinique en contexte réel.

En conclusion, cette étude suggère que la comorbidité aggrave le portrait clinique, mais que cela ne nuit pas à l’efficacité de la TCC pour traiter le trouble principal. De surcroît, les troubles comorbides tendent également à bénéficier de la thérapie. Il est ainsi recommandé de cibler le trouble principal malgré la présence de comorbidité. Bauer et coll. (2012) en sont d’ailleurs arrivés à des conclusions similaires : ils suggèrent de continuer à utiliser les protocoles spécifiques recommandés dans les lignes directrices tant qu’il n’y aura pas d’évidences qui démontrent qu’une approche alternative serait plus efficace pour tenir compte de la comorbidité. Il faut cependant tenir compte des limites de l’étude. À cet égard, davantage d’études seront nécessaires, surtout en étudiant la comorbidité par trouble principal et par combinaisons avec certains troubles comorbides. Si la recherche démontre clairement que la thérapie est en effet plus susceptible d’être influencée par la présence de comorbidité pour certains troubles de santé mentale et que les individus atteints de ces troubles bénéficieront moins des thérapies standards, il pourrait devenir pertinent d’effectuer certaines adaptations. Des recherches supplémentaires seront alors nécessaires pour statuer sur les modifications à adopter dans ces situations. Pour l’instant, la littérature actuelle et cette étude suggèrent de continuer à cibler le trouble principal, qu’il y ait présence de comorbidité ou non.