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Introduction

L’évaluation du risque de récidive criminelle de personnes contrevenantes est maintenant une pratique courante dans les systèmes correctionnels occidentaux (p. ex., Casey et al., 2011). L’intérêt des chercheurs pour la valeur prédictive de ces évaluations ne date cependant pas d’hier, particulièrement en ce qui concerne les outils de type actuariel (p. ex., Burgess, 1928). Plusieurs chercheurs, au fil des années, ont émis des recommandations pour améliorer la qualité de ces derniers, comme l’ajout de facteurs dynamiques et cliniques (Gendreau et al., 1996), et le recours à de nouvelles techniques d’analyse de la performance des outils (p. ex., les courbes ROC) (Rice et Harris, 1995). Ces innovations conceptuelles et méthodologiques avaient notamment comme objectif de minimiser les erreurs de prédiction (c.-à-d. les faux positifs et les faux négatifs). Cependant, plusieurs outils actuariels largement utilisés, comme le Level of Service and Case Management Inventory (LS/CMI) (Andrews et al., 2004), demeurent relativement méconnus en termes d’erreurs de prédiction (c.-à-d. faux positifs et faux négatifs).

Bon nombre d’études évaluatives se sont penchées sur le score total du LS/CMI pour en évaluer les qualités psychométriques. Les résultats de ces travaux montrent que le score total de cet outil présente l’une des capacités prédictives les plus élevées auprès des personnes contrevenantes adultes, et ce, indépendamment de la population cible (p. ex., femme, homme, Autochtone), de la durée de suivi (p. ex., 1 an, 2 ans, 5 ans et plus), du lieu géographique (p. ex., Canada, États-Unis) et de la nature et de l’indicateur de la récidive utilisés (p. ex., ré-arrestation ou nouvelle condamnation pour un crime sexuel, violent ou général) (Dyck et al., 2018 ; Guay, 2016 ; Lussier et Frechette, 2022 ; Olver et al., 2014 ; Wormith et al., 2015). Ces observations expliquent en bonne partie pourquoi le LS/CMI est l’un des outils d’évaluation du risque de récidive criminelle dont on fait le plus usage en milieu correctionnel à travers le monde (Wormith, 2011). Toutefois, ces résultats reposent uniquement sur l’analyse du score total de l’outil et non sur les erreurs de prédiction et les qualités psychométriques de ses composantes.

Malgré les résultats positifs concernant le LS/CMI, différents problèmes ont depuis été soulevés par la communauté scientifique[3]. Notamment, les utilisateurs ne s’entendent pas nécessairement bien sur les scores, leur signification ainsi que les stratégies d’intervention et de gestion du risque qui découlent des résultats de l’évaluation (Haas, 2004 ; Viglione et al., 2014). Qui plus est, des travaux de recherche récents axés sur les qualités psychométriques des items du LS/CMI ont permis de pousser davantage l’analyse et de remettre en question la validité de plusieurs items ainsi que la validité de l’outil sur des échantillons indépendants n’ayant pas servi à sa construction (Giguère et Lussier, 2016 ; Gordon et al., 2015). Parallèlement, d’autres chercheurs (p. ex., Hannah-Moffat, 2013) ont émis des doutes quant à la capacité d’un outil actuariel générique (c.-à-d. un outil visant à prédire la récidive générale pour toutes les personnes contrevenantes adultes, indépendamment de la nature de leur délit le plus récent ou d’éléments jugés problématiques dans leur dynamique délictuelle) comme le LS/CMI à évaluer adéquatement le risque auprès de sous-groupes de la population carcérale (Giguère et Lussier, 2016). De cette façon, ces études critiques – tant sur le plan méthodologique que conceptuel – ont mis en lumière l’importance de désagréger l’évaluation actuarielle afin de mieux rendre compte de l’hétérogénéité de la population de personnes contrevenantes.

Par conséquent, les travaux sur la performance globale et la validité prédictive du LS/CMI ont servi de pierres de gué pour une multitude d’études portant sur l’équité en matière d’évaluation du risque (c.-à-d. les erreurs de prédiction). Ces études proposant des analyses plus approfondies d’outils actuariels démontrent que certains sous-groupes de personnes contrevenantes sont plus (ou moins) susceptibles d’être l’objet d’une erreur de prédiction (p. ex., Angwin et al., 2016 ; Flores et al., 2016 ; Helmus et al., 2012). L’une des initiatives provient des travaux du Dr Skeem et de ses collègues qui ont examiné l’influence de facteurs individuels hors du contrôle de la personne contrevenante sur les qualités psychométriques de l’outil (Monahan et al., 2017 ; Skeem et Lowenkamp, 2016 ; Skeem et al., 2016). Ceux-ci ont mené trois études différentes, respectivement sur l’âge, le genre et l’ethnicité. Les résultats de leurs études réalisées à l’aide d’un outil actuariel (Post Conviction Risk Assessment) permettent d’observer une surestimation du risque de récidive des personnes contrevenantes adultes plus âgées (comparativement aux jeunes adultes) et des femmes (par rapport aux hommes), ainsi qu’une prise en charge différentielle pour les personnes noires. Ces résultats vont bien au-delà de la qualité de la prédiction et de la validité de l’outil puisqu’ils révèlent une répartition non aléatoire des erreurs de prédiction en plus d’engendrer potentiellement des conséquences importantes et réelles sur la prise en charge dans les services correctionnels.

Alors que les caractéristiques du genre et de l’ethnicité ont été l’objet d’examens sporadiques, celle de l’âge a été la cible d’analyses méticuleuses et répétées. En effet, à ce jour, la relation entre l’âge et la conduite criminelle est l’une des plus documentées en criminologie (p. ex., Farrington, 2003 ; Moffitt, 1993). Les tendances générales observées suggèrent que cette relation est négative à l’âge adulte (Farrington, 1986). Ces tendances centrales doivent toutefois être nuancées. Si ce ralentissement est relativement rapide et prononcé pour plusieurs personnes contrevenantes, il l’est beaucoup moins pour d’autres, celles-ci étant moins nombreuses au sein des milieux correctionnels (Lussier et McCuish, 2020). Bien qu’un bon nombre d’outils aient longtemps négligé cet aspect (Barbaree et al., 2007 ; Lussier et Healey, 2009), plusieurs équipes de recherche pondèrent maintenant les résultats de l’évaluation en fonction de l’âge de la personne contrevenante au moment de l’évaluation afin d’éviter de surestimer le risque de récidive criminelle des personnes contrevenantes plus âgées (p. ex., Wollert et al., 2010). Ces progrès furent largement initiés par les travaux de recherche précurseurs en délinquance sexuelle qui menèrent à des changements dans les outils de prédiction de la récidive sexuelle (Helmus et al., 2012). Encore aujourd’hui, la recherche est beaucoup plus avancée dans le champ de l’évaluation du risque de la récidive sexuelle que dans les outils actuariels génériques en ce qui concerne notamment le rôle et l’importance de l’âge dans le contexte de l’évaluation du risque.

Malgré l’importance de l’évaluation LS/CMI sur la trajectoire pénale des personnes contrevenantes dans les services correctionnels canadiens, l’approche actuarielle qu’emprunte cet outil pour prédire la récidive criminelle – en ne proposant aucun ajustement en fonction de l’âge – repose sur une perspective théorique statique et invariable de la conduite criminelle bien documentée en criminologie (Gottfredson et Hirschi, 1990 ; Hirschi et Gottfredson, 1983 ; Wilson et Herrnstein, 1985). Effectivement, Nagin et Paternoster (2000) qui se sont intéressés à l’évolution des théories étiologique de la conduite criminelle proposent que le pilier de la perspective théorique statique qu’est l’association entre les comportements criminels passés et futurs soit également au coeur de la prédiction actuarielle. Cette prémisse de la prédiction actuarielle a été fragilisée par des propositions théoriques et éventuellement des observations empiriques (p. ex., Farrington, 1986 ; Moffitt, 1993) réitérant l’importance de l’âge et de la notion de changement dans l’étiologie de la conduite criminelle. Ces travaux ont marqué l’émergence de la perspective théorique dite dynamique qui remet en question la rigidité de la perspective statique, mais également ceux-ci ont introduit la pertinence de l’âge et du changement intra-individuel dans l’explication et la prédiction de la conduite criminelle à l’âge adulte. Partie intégrante de la perspective théorique dynamique, l’approche des parcours de vie (Elder, 1994 ; Laub et Sampson, 1993) a permis de rendre compte à la fois de la continuité ainsi que du caractère imprévisible et variable de la conduite criminelle à l’âge adulte, notamment en utilisant l’âge et le contexte de l’âge (zigzag criminal careers) (Laub et Sampson, 2003). Ainsi l’utilisation de cette perspective théorique dans la présente étude offre un cadre d’analyse permettant d’examiner un outil actuariel comme le LS/CMI à partir d’un angle dynamique de la conduite criminelle. Ceci ouvre alors la porte à la réalisation d’une étude s’appuyant d’une part sur l’état des connaissances concernant l’âge et les parcours de vie à l’âge adulte, et, d’autre part, sur les erreurs de prédiction en fonction de caractéristiques de la personne contrevenante. Ce travail permet de combiner une littérature relativement étoffée avec une autre en émergence.

But de l’étude

La présente étude propose un examen des erreurs de prédiction d’un outil actuariel couramment utilisé dans les milieux correctionnels nord-américains, le LS/CMI. En particulier, il est proposé de revoir les erreurs de prédiction de cet outil à la lumière de l’âge des personnes contrevenantes au moment de l’évaluation. En effet, l’âge des personnes contrevenantes n’est pas pris en considération dans le calcul actuariel du risque de récidive criminelle de cet outil. Les travaux de recherche à ce jour ont été presque exclusivement axés sur les mesures de performances globales du LS/CMI (Shepherd et Lewis-Hernandez, 2016). Ces travaux n’informent donc pas sur la présence de biais, la nature des erreurs de prédiction, ni même le ou les profils des personnes contrevenantes ayant fait l’objet d’une surestimation ou d’une sous-estimation du risque de récidive criminelle par l’outil. Théoriquement, les erreurs de prédiction et les probabilités d’en faire l’objet, dans un contexte actuariel, devraient être relativement aléatoires, et pourtant, plusieurs études remettent en doute ce postulat, notamment en ce qui a trait à l’âge de la personne contrevenante (p. ex., Barbaree et al., 2007 ; Wollert et al., 2010). Ces constats sont d’autant plus inquiétants considérant que l’importance de l’âge est bien établie sur le plan théorique, empirique et maintenant pratique (Blokland et al., 2005 ; Laub et Sampson, 2003). Afin d’approfondir ce sujet, des analyses d’arbres décisionnels ont été utilisées auprès d’un large échantillon de personnes contrevenantes québécoises. Cette méthode s’arrime bien à l’objectif de recherche qui est de déterminer dans quelle mesure l’instrument LS/CMI comprend un biais (conscient ou inconscient) lié à l’âge de la personne contrevenante dans la prédiction du risque de récidive criminelle[4]. Pour ce faire, la présente étude vise à : a) mesurer le sens et la force de la relation entre les erreurs de prédiction et l’âge ; b) identifier le ou les profils, si profils il y a, d’individus qui sont plus ou moins susceptibles de faire l’objet d’une erreur de prédiction en fonction de l’âge.

Méthodologie

Échantillon

L’échantillon est composé d’une cohorte d’individus ayant été déclarés coupables et soumis à une peine provinciale au Québec entre 2008 et 2011. Ceci comprend tous les individus condamnés ayant reçu une peine d’incarcération d’une durée de six mois à deux ans moins un jour ainsi que ceux ayant reçu une peine de probation d’au moins six mois présentant des informations sur la nature du crime liées à la condamnation actuelle (n = 15 744). Ces individus ont été sélectionnés puisque l’intérêt de l’étude réside dans les pratiques en milieux correctionnels provinciaux liées à l’outil LS/CMI. Seulement les individus purgeant une peine provinciale de plus de six mois font l’objet d’une évaluation du risque à l’aide du LS/CMI, permettant ainsi d’examiner ces pratiques. Ceux assujettis à une peine de moins de six mois ne voient pas leur trajectoire pénale influencée par le LS/CMI, ce qui justifie leur omission dans l’étude. Parmi les cas constituant cet échantillon, les individus dont la récidive criminelle (n = 26) et l’âge au moment de l’évaluation (n = 1) ne figuraient pas au dossier au moment de l’extraction des données furent exclus. Enfin, comme les femmes représentent une faible proportion de l’échantillon (9,8 % ; n = 1 717) et que l’erreur de prédiction semble plus probable pour ce groupe (Skeem et al., 2016), elles furent retirées de l’étude. Pour ces raisons, l’échantillon comprend 14 000 personnes contrevenantes adultes de sexe masculin purgeant une peine provinciale au Québec.

Procédures

Pour la présente étude, un·e analyste du ministère de la Sécurité publique du Québec a regroupé et extrait les données anonymisées des dossiers informatisés de toutes les personnes contrevenantes évaluées à l’aide du LS/CMI à l’admission entre 2008 et 2011. Par ailleurs, il faut noter que les évaluations n’ont pas été réalisées dans le cadre d’un projet de recherche, mais bien dans le cadre des fonctions professionnelles des évaluateurs des services correctionnels québécois (généralement des agents de probation ou de libération conditionnelle).

Mesures

Le Level of Service and Case Management Inventory (Andrews et al., 2004) est un outil générique d’évaluation du risque élaboré selon les lignes directrices du modèle RBR. Ce dernier a été conçu pour évaluer le risque de récidive générale des individus de 16 ans et plus condamnés pour un crime. La version originale en anglais de cet outil a été traduite vers le français afin d’être utilisée dans le contexte québécois. C’est cette version francophone, validée empiriquement par Guay (2016), qui a été utilisée dans la présente étude. En ce qui concerne le contenu de l’outil, le LS/CMI est un instrument combinant deux volets, un premier visant à évaluer le risque et les besoins, et un second permettant de gérer et de planifier le risque en vue de la réinsertion sociale (Andrews et al., 2004). Cet outil comporte onze sections, mais seulement les informations de la première sont utilisées pour les fins de cette étude. La section 1 du LS/CMI (comprenant les huit composantes du Central Eight) est un outil actuariel à part entière qui a notamment pour fonction d’établir le risque de récidive criminelle générale (c.-à-d. tous types de comportements criminels) en communauté. Cette section est composée de 43 éléments répartis en 8 sous-échelles de facteurs de risque et de besoins : antécédents criminels (8 items) ; éducation ou emploi (9 items) ; famille et couple (4 items) ; loisirs et activités récréatives (2 items) ; fréquentations (4 items) ; problèmes d’alcool ou de drogues (8 items) ; attitudes et/ou orientations procriminelles (4 items) ; et type de comportement antisocial (4 items). Tous les items sont codés de façon dichotomique (0 = non/absent ; 1 = oui/présent). Par l’addition des scores aux 43 items de la section 1, on obtient un score actuariel s’étendant de 0 à 43. Plus le score est élevé, plus le risque de récidive est important. Les personnes contrevenantes de cet échantillon présentent un score total moyen au LS/CMI associé à la catégorie de risque élevé (M = 20,6 ; É.-T. = 9,2 ; étendue = 0-43).

Risque de récidive. Le LS/CMI repose sur un système de catégorie pour guider la gestion du risque et la trajectoire pénale des personnes contrevenantes. Ce système comportant cinq catégories de risque fait appel au score actuariel (section 1 de l’outil) de la personne contrevenante pour la classification (0-4 = très faible ; 5-10 = faible ; 11-19 = modérée ; 20-29 = élevée ; 30 ans et plus = très élevée). Dans le manuel de l’usager LS/CMI (Andrews et al., 2004, p. 37), les concepteurs de l’outil proposent des lignes directrices concernant l’interprétation des scores actuariels, incluant des options de supervision, mais également, et surtout, des probabilités de récidive pour chacune des catégories de risque selon le type de sentence purgé par la personne contrevenante (très faible : détenus = 0 %, probationnaires = 1 % ; faible : détenus = 6 %, probationnaires = 8 % ; modérée : détenus = 23 %, probationnaires = 28 % ; élevée : détenus = 44 %, probationnaires = 45 % ; très élevée : détenus = 61 %, probationnaires = 100 %). Compte tenu de ces probabilités différentielles d’une catégorie de risque à l’autre, la présente étude propose d’emprunter une logique relative en termes de prédiction de la récidive. En effet, il est juste, considérant les probabilités, d’attendre une récidive chez certaines catégories de risque par rapport à d’autres, et d’anticiper une non-récidive chez certaines catégories de risque comparativement à d’autres. De cette façon, pour les besoins de cette étude, les individus dont la catégorie de risque au dossier est très faible et faible furent affectés au groupe des personnes contrevenantes dont une récidive criminelle n’était pas anticipée (NÉGATIFS[5] ; n = 2 292 ; 23,4 %). Les personnes contrevenantes classées dans les catégories de risque élevé et très élevé furent affectées au groupe dont une récidive criminelle était anticipée (POSITIFS[6] ; n = 7 515 ; 76,6 %). L’utilisation de ces étiquettes – NÉGATIFS et POSITITFS – n’est pas aléatoire. Celles-ci font référence au jargon des erreurs de prédiction (p. ex., faux positifs, faux négatifs). À noter aussi que la présente étude tient compte des catégories de risque avant la dérogation clinique (si dérogation il y a) étant donné que l’objet d’étude est la section actuarielle du LS/CMI et non le jugement clinique des évaluateurs. Également, les données concernant les personnes contrevenantes assignées à la catégorie de risque modéré à partir du LS/CMI (n = 4 194) ne sont pas présentées dans cet article puisqu’elles ont été exclues de l’étude[7]. L’échantillon final comprend alors les 9 807 individus assignés aux groupes des NÉGATIFS ou des POSITIFS.

Récidive criminelle. Afin d’identifier les erreurs de prédiction sur la base du classement effectué à partir du LS/CMI, les données sur la récidive criminelle générale ont été colligées. La récidive criminelle générale fait référence à une nouvelle condamnation pour tout type d’infraction criminelle durant la période de suivi (incluant les non-respects de conditions). Cette période de suivi débute au moment du retour dans la collectivité pour les individus purgeant leur peine en détention et au début de la sentence pour les probationnaires. Ce même suivi prend fin lors de la collecte de données concernant la récidive criminelle en mars 2016. À noter que, durant le suivi qui s’étend jusqu’à 8 ans, 48 % de l’échantillon (n = 4 710) a fait l’objet d’au moins une nouvelle condamnation. L’inspection de la récidive générale pour les groupes des NÉGATIFS et des POSITIFS révèle des taux de récidive différentiels. Ainsi, il est possible de distinguer, autant pour les NÉGATIFS que les POSITIFS, des bonnes/vraies (0) et des mauvaises/fausses prédictions (1). Puisque les NÉGATIFS représentent un groupe dont le LS/CMI considère un faible ou très faible risque de récidive criminelle, les récidivistes (n = 246 ; 10,7 %) et les non-récidivistes (n = 2 046 ; 89,3 %) sont respectivement considérés comme des faux négatifs et des vrais négatifs. Pour leur part, les POSITIFS, un groupe de personnes contrevenantes dont la récidive criminelle est fortement anticipée par le LS/CMI, comprennent à la fois un sous-groupe de non-récidivistes (n = 3 051 ; 40,6 %) et un autre de récidivistes (n = 4 464 ; 59,9 %). Par conséquent, pour les fins de cette étude, ces non-récidivistes représentent les faux positifs alors que les récidivistes sont traités comme de vrais positifs. Compte tenu de la nature différentielle de la prédiction initiale pour les POSITIFS et les NÉGATIFS (c.-à-d. récidive anticipée ou récidive non anticipée), les analyses ont été réalisées séparément pour les deux groupes[8].

Les variables à l’étude

Des caractéristiques importantes à la contextualisation des comportements criminels de personnes contrevenantes colligées de façon systématique, mais ne figurant pas dans l’évaluation actuarielle du LS/CMI, ont été retenues afin de dégager les profils d’individus qui sont plus ou moins susceptibles de faire l’objet d’une erreur de prédiction. D’abord, l’âge de la personne contrevenante occupe une place prépondérante dans la présente étude. Bien que différentes modalités de l’âge aient été étudiées pour prédire la récidive criminelle (p. ex., l’âge au premier crime), la démarche actuelle propose d’inclure l’âge de la personne contrevenante au moment de l’évaluation LS/CMI (début de la peine). Cette variable a été retenue puisqu’il s’agit de peines provinciales et donc de courtes peines. En ce qui a trait à l’échantillon à l’étude, peu de personnes sont âgées de 56 ans et plus (n = 544 ; 5,5 %). La majorité (n = 4 035 ; 41,1 %) des personnes contrevenantes ont entre 26 et 40 ans au moment de l’évaluation LS/CMI, et près d’un quart ont entre 18 et 25 ans (n = 2 397 ; 24,4 %) et 41 et 55 ans (n = 2 831 ; 28,9 %).

D’autres caractéristiques des personnes contrevenantes ont été utilisées simultanément dans les analyses, soit la nature du crime et le type de peine. Tout comme l’âge des personnes contrevenantes, la nature du crime ainsi que le type de peine reflètent la situation de l’individu au moment de l’évaluation. Les deux variables s’ajoutant à l’âge sont ainsi liées à la condamnation actuelle[9]. Premièrement, cela inclut la nature du crime pour lequel l’individu a été condamné : 1) crime contre la propriété (24,9 %); 2) crime violent (31,5 %); 3) crime sexuel (3,4 %) ; 4) crime lié aux drogues (17,9 %) ; 5) autres crimes (22,4 %). Ce facteur ou des variations de celui-ci (p. ex., description du contexte ou de la victime du crime) sont généralement pris en compte dans la pondération d’outils actuariels (p. ex., Information statistique sur la récidive, Violence Risk Appraisal Guide, STATIC-99). Deuxièmement, les autres caractéristiques comprennent également le type de peine lié à la condamnation : 0) peine d’incarcération (45,7 %) ; 1) peine en communauté (54,3 %). Cette variable a été retenue, notamment, puisqu’une étude récente de Giguère et Lussier (2016) suggère que certains items du LS/CMI sont plus pertinents pour les individus purgeant une peine d’incarcération que pour ceux condamnés à une peine en communauté, créant ainsi un écart entre les profils de risque des deux groupes. Par ailleurs, les concepteurs de l’outil entrevoient des probabilités de récidive différentielle entre ces deux groupes dans le manuel de l’usager LS/CMI (Andrews et al., 2004). De cette façon, ces deux variables contextualisantes relevant de la condamnation, conjointement à l’âge, ont été l’objet d’analyses approfondies.

Stratégie analytique

Arbre décisionnel

Compte tenu de l’objectif poursuivi par la présente étude – c’est-à-dire déterminer dans quelle mesure le LS/CMI renferme un biais lié à l’âge de la personne contrevenante dans la prédiction de la récidive –, une série d’analyses de profils visant à désagréger les résultats de l’outil LS/CMI a été effectuée à l’aide d’arbres décisionnels (AD). Contrairement à la méthode de régression (méthode favorisée dans ce type de recherche) qui informe peu quant à la manière de combiner des prédicteurs en vue de la classification, les AD empruntent une méthode contingente (Steadman et al., 2000). Cela signifie que les relations entre les variables à l’étude ne résultent pas d’une simple addition, mais d’un processus plus complexe dépendant de la valeur des variables impliquées. Ainsi, les AD peuvent aider à identifier des tendances à partir de combinaisons de facteurs qui s’apparentent à des profils. Qui plus est, les AD représentent un ensemble de méthodes qui partitionne les observations en fonction d’un processus itératif et hiérarchique. Simplement dit, les observations sont partitionnées de façon répétitive par l’algorithme des AD en fonction de prédicteurs, en commençant par le plus discriminant. À chaque étape, les observations sont partitionnées en sous-groupes de plus en plus petits et homogènes. Le résultat final s’apparente à un arbre inversé où chaque branche représente une combinaison relativement distincte de prédicteurs. En somme, l’utilisation des AD apparaît plus intuitive que les régressions dans le cadre d’une étude visant précisément à cerner des cas isolés et non des tendances centrales/générales.

Méthode de croissance. Plusieurs méthodes de croissance impliquant des règles particulières ont été développées afin d’ériger des AD (p. ex., le Quick Unbiased Efficient Statistical Tree [QUEST], de Loh et Shih, 1997 ; le Classification and Regression Tree [CART] de Breiman et al., 1984 ; le Chi-squared Automatic Interaction Detection [CHAID] de Kass, 1980). Chacune d’elles comporte des particularités qui justifient leur utilisation dans des circonstances différentes. À cet égard, les travaux de recherche indiquent qu’il n’y a pas une méthode supérieure à l’autre, mais plutôt des méthodes mieux adaptées dans certains contextes de recherche (Herzog, 2006). Dans la présente étude, le QUEST semble se démarquer de deux autres algorithmes souvent utilisés dans la réalisation des AD (c.-à-d. le CART et le CHAID) compte tenu de : a) la visée descriptive de la démarche ; b) la taille importante de l’échantillon s’exposant au surajustement avec d’autres algorithmes (p. ex., le CHAID) ; et c) la nature des données et la façon dont elles sont codifiées (l’algorithme CART – en raison du coefficient Gini – s’expose à un biais concernant les variables ayant davantage de valeurs distinctes, comme c’est le cas de la nature de la condamnation au moment de l’évaluation LS/CMI dans la présente étude [Loh et Shih, 1997]).

Choix méthodologiques. Les AD ont été réalisés à l’aide du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (version 27). La profondeur maximale des AD a été limitée à trois noeuds afin d’éviter le surajustement. En effet, compte tenu de la taille de l’échantillon, que la limite soit de trois, cinq ou dix noeuds, l’algorithme trouvait constamment des divisions des variables permettant d’optimiser la solution.

Validation croisée. L’utilisation d’une procédure de validation croisée a été préférée à la fonction d’élagage des AD. La validation croisée permet d’établir la confiance et la stabilité d’un modèle. La procédure de validation croisée a été menée à l’aide de sous-échantillons de validation (k = 5) de taille égale (n ≈ 1 961 ; 20 % de l’échantillon total). Ces sous-échantillons ont été sélectionnés au hasard et ont été traités, tour à tour, comme des échantillons indépendants afin de valider les résultats des analyses d’AD avec les 80 % d’observations restantes. Cette procédure a été répétée jusqu’à ce que chaque sous-échantillon partitionné agisse une fois comme groupe-test. Ces cinq AD ont ensuite été combinés pour produire un arbre final validé qui a été rapporté et analysé.

Résultats

L’âge, la condamnation et les erreurs de prédiction

Des analyses bivariées ont été réalisées afin d’évaluer le degré d’association entre les variables du modèle à l’étude et les erreurs de prédiction. Les tailles d’effet ont été mesurées et interprétées à l’aide du d de Cohen (Cohen, 1988). Un coefficient de 0,2 est considéré comme faible, alors que les coefficients 0,5 et 0,8 sont respectivement estimés modéré et grand. Rappelons que les analyses ont été effectuées en traitant séparément les POSITIFS (n = 7 515) et les NÉGATIFS (n = 2 292).

Les résultats au test t pour échantillons indépendants révèlent des différences statistiquement significatives de force faible concernant l’âge des personnes contrevenantes ayant été l’objet ou non d’une erreur de prédiction (Tableau 1). D’abord, les POSITIFS qui ont été l’objet d’une erreur de prédiction sont en moyenne plus vieux que leurs homologues n’ayant pas été l’objet d’une erreur de prédiction [t (6 156,04) = 13,68, p < 0,001, d = 0,33]. L’inverse est observé chez les NÉGATIFS [(332,36) = -5,86, p < 0,001, d = 0,35]. La Figure 1 permet d’illustrer la distribution des erreurs de prédiction selon l’âge des personnes contrevenantes au moment de l’évaluation. Il appert que les proportions d’erreurs de prédiction augmentent constamment et graduellement avec l’âge pour ensuite se stabiliser vers la cinquantaine. Le déclin subséquent des proportions d’erreurs de prédiction passé l’âge de 60 ans est probablement attribuable au nombre plus limité de personnes contrevenantes ayant ces âges.

Figure 1

Distribution des proportions d’erreurs de prédiction selon l’âge de la personne contrevenante

Distribution des proportions d’erreurs de prédiction selon l’âge de la personne contrevenante

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Tableau 1

La prévalence des erreurs de prédiction selon les variables catégorielles du modèle conceptuel à l’étude

La prévalence des erreurs de prédiction selon les variables catégorielles du modèle conceptuel à l’étude

Note : ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

Le postulat d’homogénéité de la variance des tests t n’est pas respecté (test de Levene : p < 0,05). Les résultats sont donc moins robustes

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En ce qui a trait aux relations entre l’erreur de prédiction et la nature du crime au moment de la condamnation ainsi que le type de peine lié à la condamnation, des tests d’indépendance du chi-carré ont été effectués. Selon les résultats présentés au Tableau 1, toutes les différences entre les résultats théoriques et ceux observés étaient statistiquement significatives, excepté pour le couple de variables de l’erreur de prédiction et le type de peine lié à la condamnation chez les POSITIFS [X2 (1) = 0,21, p = 0,647]. À l’opposé, il appert que la proportion de chaque type de peine varie dans les erreurs de prédiction chez les NÉGATIFS [X2 (1) = 7,47, p = 0,006, d = 0,11]. Par ailleurs, au sein de ce groupe, des analyses plus approfondies à partir des scores résiduels standardisés[10] laissent entendre que les détenus ayant été l’objet d’une erreur de prédiction sont largement tributaires de cette observation (z = 2,4), bien que la taille d’effet soit très faible.

Également, la nature du crime au moment de la condamnation de la personne contrevenante s’avère pertinente pour distinguer les bonnes des mauvaises prédictions autant pour les POSITIFS [X2 (4) = 349,19, p < 0,001, d = 0,44] que les NÉGATIFS [X2 (4) = 40,87, p < 0,001, d = 0,27]. La force des observations est toutefois relativement faible, mais tout de même plus importante chez les POSITIFS. Chez les NÉGATIFS, les auteurs de crimes violents et de crimes contre la propriété étaient plus prévalents parmi les erreurs de prédiction. En revanche, il semble que ce sont particulièrement les individus condamnés pour un crime contre la propriété qui contribuent aux résultats obtenus (z = 2,4 chez les mauvaises prédictions). En ce qui concerne les POSITIFS, les individus ayant été condamnés pour un crime lié aux drogues sont largement responsables de la relation, que ceux-ci aient été l’objet d’une bonne (z = 9,2) ou d’une mauvaise (z = 11,1) prédiction. Par ailleurs, seulement les auteurs de crimes liés aux drogues ou de crimes sexuels sont plus prévalents chez les erreurs de prédiction pour le groupe de POSITIFS. Pour les autres types de crimes, les bonnes prédictions sont plus probables.

Les agencements de l’âge et de la condamnation menant à une erreur de prédiction

Afin de détecter les profils de personnes contrevenantes les plus susceptibles de faire l’objet d’une erreur de prédiction, des analyses d’AD ont été effectuées. Par ailleurs, selon les résultats des AD, le type de peine lié à la condamnation ne semble pas suffisamment discriminant par rapport aux erreurs de prédiction pour apparaître à un moment ou à un autre dans les AD.

Les erreurs de prédiction chez les NÉGATIFS

Les résultats de l’arbre concernant les erreurs de prédiction auprès de personnes contrevenantes pour lesquelles une récidive criminelle n’était pas anticipée (n = 2 292) sont présentés à la Figure 2. Si le taux de base d’erreurs de prédiction pour ce groupe est de 10,7 %, il varie entre 5,6 % et 19,5 % selon les partitionnements obtenus à partir de l’AD. En effet, les résultats de l’analyse montrent la présence de trois niveaux de partitionnement au sein desquels l’âge et la nature de la condamnation ont contribué à identifier six profils distincts. Deux profils retiennent l’attention. Premièrement, les individus ayant été condamnés pour un crime lié aux drogues, un crime sexuel ou un autre type de crime (autre que violent et contre la propriété) ayant plus de 49 ans au moment de l’évaluation sont moins susceptibles (5,6 %) d’être l’objet d’une erreur de prédiction. Le LS/CMI reconnaît que ce groupe d’individus est peu susceptible de commettre une récidive criminelle et le comportement de ces derniers s’inscrit en continuité avec cette prédiction. Deuxièmement, les individus ayant été condamnés pour un crime contre la propriété, indépendamment de leur âge, sont plus susceptibles d’être l’objet d’une erreur de prédiction (19,5 %), présentant pratiquement deux fois plus d’erreurs de prédiction que l’ensemble des NÉGATIFS. Ainsi, ce type d’individu est plus susceptible de commettre une récidive criminelle bien qu’il ait été identifié par le LS/CMI comme un individu à faible ou très faible risque d’un tel comportement. Notons cependant que ce taux d’erreurs de prédiction demeure faible, voire très faible.

Figure 2

Arbre décisionnel traitant des erreurs de prédiction chez les personnes contrevenantes dont une récidive n’était pas anticipée

Arbre décisionnel traitant des erreurs de prédiction chez les personnes contrevenantes dont une récidive n’était pas anticipée

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Figure 3

Arbre décisionnel traitant des erreurs de prédiction chez les personnes contrevenantes dont une récidive était anticipée

Arbre décisionnel traitant des erreurs de prédiction chez les personnes contrevenantes dont une récidive était anticipée

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Les erreurs de prédiction chez les POSITIFS

Les résultats de l’arbre concernant les erreurs de prédiction auprès de personnes contrevenantes pour lesquelles une récidive criminelle était anticipée (n = 7 515) sont présentés à la Figure 3. Ces résultats contrastent avec ceux obtenus auprès des NÉGATIFS. En effet, l’erreur de prédiction est beaucoup plus commune, comme le démontre le taux de base qui se situe à 40,6 %. Ce taux varie toutefois entre 31,3 % et 75,6 % selon les partitionnements obtenus. Les résultats de l’analyse montrent également la présence de trois niveaux de partitionnement au sein desquels l’âge et la nature de la condamnation ont contribué à l’homogénéisation de sept profils distincts. Parmi ceux-ci, trois profils de POSITIFS sont particulièrement intéressants puisqu’ils s’éloignent considérablement du taux de base. Premièrement, parmi les POSITIFS plus âgés au moment de l’évaluation (plus de 48 ans), ceux ayant été condamnés pour un crime lié aux drogues ou un crime sexuel présentent un taux d’erreurs de prédiction dépassant 75 %. Dit autrement, les trois quarts des individus de ce groupe identifiés par le LS\CMI comme étant à risque élevé et très élevé de récidive n’avaient toujours pas récidivé au moment de la collecte des données sur la récidive criminelle. Il s’agit du groupe présentant le plus haut taux d’erreurs de prédiction de l’étude. Deuxièmement, parmi les POSITIFS moins âgés (21 à 48 ans), ceux ayant été condamnés pour un crime lié aux drogues ou un crime sexuel présentent un taux d’erreurs de prédiction (60,0 %) significativement supérieur à la moyenne des POSITIFS. De toute évidence, le taux d’erreurs de prédiction pour les individus condamnés pour ces deux types de crime, indépendamment de l’âge au moment de l’évaluation, est important. Un troisième profil parmi les POSITIFS retient l’attention, car le taux d’erreurs de prédiction est moins important. Parmi les POSITIFS plus jeunes (moins de 32 ans), ceux ayant été condamnés pour un crime violent ou contre la propriété présentent le plus faible taux d’erreurs de prédiction (31,3 %). D’ailleurs, il s’agit du profil dont le taux de prévalence est le plus important chez les POSITIFS (n = 2 891).

Discussion

Dans le cadre de la présente étude, les résultats indiquent clairement que la répartition des erreurs de prédiction n’est pas aléatoire. En effet, des analyses d’AD ont permis de mettre en lumière, au-delà de l’observation répandue que les erreurs de prédiction sont plus fréquentes dans les catégories de risque plus élevé, que celles-ci sont, dans une certaine mesure, associées à l’âge des personnes contrevenantes, à la nature du délit ayant mené à leur condamnation, ainsi qu’à l’agencement de ces deux facteurs. Ces résultats illustrent bien les limites d’un outil actuariel générique comme le LS/CMI utilisé auprès de personnes contrevenantes adultes de tout âge ayant été condamnées pour une panoplie de crimes. Ces limites, leurs implications et leurs potentielles origines seront discutées en profondeur dans les paragraphes qui suivent.

Les résultats de la présente étude réitèrent l’importance de prendre en considération l’âge des personnes contrevenantes au moment de l’évaluation. À cet effet, le LS/CMI est en contraste avec d’autres outils actuariels (p. ex., Violence Risk Appraisal Guide, STATIC-99R) puisqu’il n’inclut pas d’ajustement du risque de récidive en fonction de l’âge. Plus précisément, les résultats de l’étude montrent que l’âge est significativement associé aux erreurs de prédiction du LS/CMI. Ces constatations viennent s’ajouter à la littérature scientifique concernant le dynamisme de la conduite criminelle (p. ex., Farrington, 2003 ; Laub et Sampson, 2003). Même si l’importance de l’âge est bien reconnue en criminologie à travers l’étude des parcours de vie (et des carrières criminelles), ces connaissances n’ont pas été systématiquement transposées dans les outils d’évaluation du risque de récidive et les travaux de recherche sur ceux-ci (Lussier et al., 2010 ; Lussier et Healey, 2009). Il n’en demeure pas moins que certains chercheurs ont insisté sur l’effet de l’âge dans l’évaluation et la prédiction du risque et ont proposé différents ajustements (p. ex., insérer un item lié à l’âge, pondérer les résultats de l’outil selon l’âge) afin d’en minimiser les effets sur la qualité de la prédiction (Barbaree et al., 2007 ; Helmus et al., 2012 ; Monahan et al., 2017 ; Wollert et al., 2010). Ces ajustements sont nécessaires et importants puisqu’ils reflètent le ralentissement de l’activité criminelle à l’âge adulte pour la plupart des personnes contrevenantes (Farrington, 1986). Or, il appert que les outils actuariels sans ajustement lié à l’âge, comme le LS/CMI, ont tendance à surestimer le risque de récidive criminelle de certains sous-groupes de personnes contrevenantes, en particulier les individus plus âgés.

Selon Barbaree et al. (2007), le processus d’actuarialisation des données permettant de concevoir les outils – et par extension d’établir le calcul des probabilités de récidive criminelle – est potentiellement responsable de ce résultat. À leur avis, la sélection des items qui composent les outils actuariels comprend des caractéristiques psychosociales plus représentatives de la dynamique délictuelle des jeunes (adultes) récidivistes. Trois éléments complémentaires expliqueraient cette observation. Premièrement, les jeunes adultes sont surreprésentés dans le système de justice pénale (p. ex., Reitano, 2017). Deuxièmement, ces jeunes adultes présentent des taux de récidive criminelle plus élevés que leurs homologues plus âgés (Langan et Levin, 2002). Troisièmement, cette surreprésentation de jeunes récidivistes dans les études servant à construire des outils actuariels fait en sorte que les caractéristiques de ceux-ci sont identifiées comme des prédicteurs de la récidive et ensuite généralisées à l’ensemble des personnes contrevenantes adultes. Ce processus aurait pour effet d’accentuer les biais liés à l’âge de la personne contrevenante dans la prédiction (Barbaree et al., 2007 ; Lussier et Healey, 2009). Cette logique a d’autant plus de sens sachant que plusieurs outils actuariels comme le LS/CMI sont développés à l’aide d’analyses statistiques misant sur des tendances centrales (Lussier et Davies, 2011 ; Maltz, 1984). Ces types d’analyses sont sensibles à l’homogénéité, celle-ci étant fortement probable compte tenu de la surreprésentation des jeunes et de leurs caractéristiques dans les échantillons de conception des outils, comme c’est le cas du LS/CMI (Andrews et al., 2004, p. 96-97).

Dans la présente étude, les observations de Barbaree et al. (2007) semblent se manifester par des taux d’erreurs de prédiction respectivement plus élevés et plus faibles chez les personnes contrevenantes plus âgées du groupe des POSITIFS et des NÉGATIFS. Cependant, la présente étude va au-delà des observations de Barbaree et al. (2007) en montrant la pertinence de l’agencement entre l’âge et la nature du crime au moment de la condamnation. Effectivement, les résultats indiquent que les erreurs de prédiction pour les personnes contrevenantes plus âgées sont particulièrement marquées pour celles ayant été condamnées pour un crime sexuel ou pour un crime lié aux drogues (POSITIFS = 75,6 % ; NÉGATIFS = 5,6 %)[11]. Inversement, les taux d’erreurs de prédiction chez les POSITIFS et les NÉGATIFS plus jeunes ayant commis un crime violent ou contre la propriété sont plus faibles, s’approchant du taux de base de l’échantillon. Ces résultats appuient ainsi l’idée selon laquelle il existerait des trajectoires de délinquance différentielles. Ces trajectoires identifiables, notamment par l’agencement de l’âge et de la nature du crime, indiquent non seulement la présence d’un ralentissement, mais également – et surtout – que ce ralentissement faisant partie du processus de désistement des comportements criminels est asymétrique et inégal chez les personnes contrevenantes adultes (Laub et Sampson, 2005 ; McCuish, Lussier et Corrado, 2021). Étant donné la faible représentation des personnes contrevenantes d’âge plus avancé condamnées pour un crime sexuel ou lié aux drogues, ces trajectoires spécifiques à la délinquance sont potentiellement plus difficilement détectables par le LS/CMI. Bien que des travaux sur le dynamisme de la conduite criminelle aient largement documenté de telles trajectoires du comportement criminel à l’âge adulte (p. ex., Blokland et al., 2005 ; Lussier et al., 2010 ; Sampson et Laub, 2003), il n’en demeure pas moins que cet instrument, dans sa forme actuelle, ne les reconnaît pas. Il est possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle le LS/CMI serait davantage un outil conçu pour évaluer et prédire la récidive des jeunes adultes ayant été condamnés pour un crime contre la propriété et dans une moindre mesure un crime violent.

Au-delà de la présence d’un biais lié à l’âge, ces constats sont inquiétants, considérant que les évaluateurs notent immanquablement l’âge de la personne contrevenante (et des détails quant à la nature du crime) lors de l’évaluation LS/CMI. L’absence de l’âge ou de toute autre variable interagissant avec celui-ci dans le calcul actuariel du LS/CMI s’explique possiblement par l’orientation théorique des concepteurs de l’outil (Andrews et al., 1990). En effet, le LS/CMI ne s’inscrit pas dans la perspective de la criminologie des parcours de vie, mais plutôt dans une démarche visant à mesurer la propension criminelle (notamment la personnalité antisociale) comme un facteur latent relativement fixe et stable. Pour sa part, la criminologie des parcours de vie reconnaît l’importance du dynamisme de la conduite criminelle à travers le temps par l’entremise des points tournants, des stades et des événements de la vie, ceux-ci étant étroitement liés à l’âge (Laub et Sampson, 2003). La vision dynamique de la conduite criminelle propose ainsi que la participation criminelle (incluant la récidive) et l’intensité de celle-ci peuvent varier au cours de la vie pour des raisons différentes (c.-à-d. que la nature même des facteurs de risque peut changer entre les adolescents, les jeunes adultes, les adultes d’âge moyen et les adultes plus âgés), et non pas en raison de facteurs de risque dynamiques, soit des aspects de la personne contrevenante qui peuvent changer, mais qui demeurent relativement stables à travers le temps et d’un stade de développement à l’autre (p. ex., l’émotivité, l’hostilité, et la régulation à l’adolescence versus à l’âge adulte[12]). De cette façon, bien que le LS/CMI inclue des facteurs dynamiques, il n’emprunte pas pour autant un regard dynamique de la conduite criminelle qui reconnaît la spécificité des stades de vie et des facteurs contributifs à cette conduite pouvant varier d’un âge et d’un stade à l’autre.

Les limites de l’étude

Malgré les observations intéressantes, il importe de souligner certaines limites de la présente étude qui ont potentiellement eu une influence sur les résultats obtenus. Par souci de concision, seulement les plus importantes seront étalées. D’abord, bien qu’il s’agisse d’un échantillon important et représentatif de personnes contrevenantes purgeant une peine provinciale au Québec, il n’est pas possible de déterminer si les résultats observés sont généralisables à d’autres contextes (p. ex., peine fédérale). Ensuite, les écrits scientifiques concernant l’évaluation du risque recommandent fortement la communication du risque de récidive en termes probabilistes ou catégoriels (p. ex., Monahan et Steadman, 1996). Or, dans le cadre de la présente étude, les erreurs de prédiction sont analysées séparément (faux positifs, faux négatifs) en passant d’une logique probabiliste (probabilité de récidive) à une vision dichotomique (récidive, non-récidive). La logique dichotomique porte son lot d’inconvénients découlant du fait que l’outil en cause n’a pas été conçu pour rendre des prédictions absolues (récidive, non-récidive) quant à la récidive d’une personne contrevenante (Flores et al., 2016). Enfin, il est important de souligner qu’avec une durée de suivi plus longue, il est possible que le statut de certains individus, qualifiés de non-récidivistes dans la présente étude, soit modifié en celui de récidiviste.

Conclusion

L’étude avait pour but de faire la lumière sur le rôle de l’âge, une information colligée systématiquement par le système de justice pénale québécois, mais qui n’est pas utilisé dans l’outil LS/CMI pour les fins de l’évaluation et de la prédiction du risque de récidive des personnes contrevenantes adultes purgeant une peine provinciale. Les résultats des analyses d’AD suggèrent qu’il existe des profils spécifiques de personnes contrevenantes sur la base de l’âge (mais également de la nature du crime au moment de la condamnation) qui sont plus (ou moins) susceptibles de faire l’objet d’une erreur de prédiction par l’outil. Tout porte à croire que les erreurs de prédiction dans le LS/CMI sont le résultat d’un processus contingent. D’abord, les concepteurs de l’outil ont omis l’âge, employant ainsi une vision stable et fixe du comportement criminel à l’âge adulte. Ensuite, l’omission de l’âge est devenue un biais à partir du moment où le processus d’actuarialisation des outils a favorisé l’utilisation de prédicteurs de la récidive pertinents seulement pour un sous-groupe relativement homogène de personnes contrevenantes – en l’occurrence les jeunes (particulièrement ceux ayant commis un crime violent ou contre la propriété). Cet écart entre ce qui est mesuré (la propension criminelle chez les jeunes[13]) et ce qui est prédit (les comportements criminels à l’âge adulte) générerait alors des erreurs de prédiction dans des cas particuliers. Ainsi, dans un contexte où les taux de récidive varient considérablement d’un groupe d’âge (et d’une nature de crime) à l’autre, les résultats de la présente étude remettent en question la pertinence d’un outil d’évaluation du risque générique (one-size-fits-all) pour prédire la récidive criminelle des personnes contrevenantes plus âgées, surtout celles ayant commis un crime sexuel ou un crime lié aux drogues. De prochaines études pourraient compléter les présents résultats en explorant d’autres facteurs (p. ex., l’ethnicité, le statut autochtone, le genre), hors du contrôle de la personne contrevenante, qui sont omis par des outils d’évaluation du risque de récidive criminelle.