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Le témoin ne formule pas un avis personnel, mais une sentence, il n’espère pas un débat, mais une ratification. Son public ne sollicite pas une appréciation des choses indépendantes de leur constat, mais une conclusion reflétant l’appréhension humaine d’un événement vécu de l’intérieur, et digne d’être raconté pour les enseignements moraux que tout un chacun peut en tirer.

Dulong 1998, 136

Les néo-pentecôtismes congolais accordent une importance particulière au témoignage. Dans cette ligne, le litatoli (témoignage en lingala) constitue un moment important du dispositif liturgique des assemblées de réveil. Il promeut une interaction entre le témoin et son auditoire et rend visible et lisible, dicible et tangible de la toute-puissance et la miséricorde de Dieu (Amiotte-Suchet 2017, 125-129). Il sous-tend aussi une performance qui livre la (re)présentation de soi du témoin dans un contexte communautaire qui privilégie le registre émotionnel. Le témoignage apparaît donc comme un récit construit, qui inscrit le témoin dans la reconstruction individuelle – à partir d’une expérience personnelle – proposée au vécu collectif. Cette mise en intrigue dans le contexte religieux est porteuse d’un potentiel émotionnel avéré qui, suivant les cas, amplifie les affects, livre une image de soi et édifie la communauté des croyants. Elle participe à la construction identitaire, notamment religieuse, des adeptes des Églises de réveil.

Le présent article porte sur un témoignage médié par les réseaux sociaux. En effet, depuis la démocratisation des médias sociaux, émerge ici et là un champ religieux virtuel qui impacte fortement et durablement l’habitus religieux. On comprend l’empressement de nombreux Congolais à mobiliser les réseaux sociaux (internet, YouTube et Facebook) avec des sites Web personnels et des vidéos qui relatent leurs parcours spirituels (Frère 2007, 47-54)[1]. Cette prolifération de mise en scène de soi grâce aux pratiques virtuelles de la croyance (Capone 1999, 47-74) revêt les allures d’une autobiographie édifiante. La performance discursive qui émerge des néo-pentecôtismes médiatiques connaît plusieurs formats (Millet-Mouity 2018, 11-12). Celui qui nous intéresse est le témoignage qui promeut le charisme du leader religieux à travers l’image que ce dernier construit dans un témoignage mis en ligne pour un large public[2].

L’article porte donc sur le témoignage d’un sataniste converti dont la réputation sur la toile est avérée[3]. Il est consacré à la spectacularisation, à la dramatisation ou à la libération de la peur des esprits et des démons à travers le témoignage. Nous nous y lançons en avançant l’hypothèse suivante : le litatoli comme témoignage-narration est un témoignage-confession qui recèle les potentialités pour une libération effective de la peur du diable, des démons et autres suppôts de Satan. Pour traiter cette hypothèse, nous proposons une analyse de discours basée sur un corpus de 13 témoignages mis en ligne entre juillet et août 2020 sur la chaîne de télévision YouTube de Jonas Lunkutu Mpala[4]. À la différence des quelques travaux ayant pour objets les (néo-) pentecôtismes africains à l’heure du numérique (Millet-Mouity 2018, 11-12 ; Kaboré 2018, 23-35 ; Gosselin 2018, 71-86, Pype 2018, 135-144), nous nous intéressons à l’ethos des registres discursifs des récits du pasteur Jonas, particulièrement celui affiché dans son témoignage audiovisuel. Parmi les questions abordées dans cet article, nous retenons celles-ci : quels sont les mécanismes et les stratégies qui inscrivent ou exorcisent la peur dans les mots et les symboles du témoignage ? Quelle place la peur occupe-t-elle dans ce dispositif d’énonciation ? Dans quelle mesure l’image de soi du témoin concourt-elle à l’adhésion de l’auditoire ? La réponse à ces questions procède en quatre étapes. Tout d’abord, nous évoquons la trajectoire du pasteur Jonas. Nous présentons ensuite le corpus retenu avant de développer l’ancrage théorique et la méthodologie d’analyse des données. Nous analysons enfin la persuasion émotionnelle du pasteur Jonas afin de dégager l’image de soi qu’il construit.

1 Trajectoire spirituelle du pasteur Jonas

Né Mpala Lunkutu, Jonas Jedidiah est, selon ses dires, descendant d’une famille de chefs coutumiers. Il est issu d’une famille catholique. Troisième d’une fratrie de onze enfants composée de six garçons et de cinq filles, il a grandi à Kansenya, à 190 kilomètres de Likasi dans le Haut-Katanga en RD Congo. Le pasteur Jonas se présente comme un ex-sataniste, repenti et converti à Jésus-Christ. Il exerce son ministère à Lubumbashi, ville de la province du Katanga en RD Congo[5]. Dans la mise en récit de son parcours qu’il présente comme exemplaire, il rend compte de ses performances magiques, religieuses et spirituelles ainsi que de ses prouesses de sorcier. Il explique, dit-il, « les choses que j’ai vues de mes propres yeux, parce que j’étais là-bas[6] ». Là-bas, c’est le monde invisible, le monde surnaturel « habité par les sorciers, le diable et les démons ». À l’en croire, c’est depuis l’âge de deux mois que malgré lui, encore bébé, il est entré dans le monde mystique par la voie de la sorcellerie. Pendant 25 ans, il aurait été au service du diable, occupant la fonction de représentant du 3e degré dans le mystère de l’air. Il maintient avoir eu à son service 406 démons[7]. À ce titre, il a participé à toutes les réunions des sorciers africains au désert du Kalahari. Selon lui, Hindu Sankara, un démon de haut rang, transmettait les rapports de ces réunions à Lucifer Satan. Mpala reconnaît avoir possédé 24 yeux qui lui permettaient de tout voir.

Après la sorcellerie, il s’est converti au sport en devenant catcheur[8] à Kolwezi. Il avait, dit-il, le pouvoir de Tarzan moteur. Après quoi, il apprit les rudiments de la magie indienne. Celle-ci est, selon lui, une fusion de la magie égyptienne et de l’ancienne magie indienne (magie hindoue). La rencontre d’un prêtre catholique espagnol va lui donner la clé de la magie sainte (magie catholique). Le même prêtre l’initiera à la magie blanche. Le passage par la Rose-Croix va clôturer ses pérégrinations mystiques dont le sommet demeure le voyage en Inde. C’était sur convocation du premier ministre de Satan. Ce sera l’occasion pour lui non seulement d’y travailler, mais aussi de faire un autre voyage vers le monde mystique, le monde de Pandémonium. C’est là que Mpala se marie avec une femme blanche, Hélène. C’est aussi en Inde qu’il apportera quatre fûts remplis de sang, fruits des sacrifices humains qu’il avait offerts au Congo-Kinshasa. Sa randonnée mystique le conduira ensuite dans le monde Tartarus à la rencontre de Lucifer. Celui-ci est, à ses dires, un bel homme. Son gouverneur habite dans le sous-sol d’un temple en Grande-Bretagne[9]. Lucifer qui lui interdit de le nommer Lucifer ou le diable lui aurait commandé de l’appeler papa[10]. Il l’avait autorisé à siéger à toutes les réunions satanistes du monde entier. Les réunions se tenaient « dans les eaux profondes, au croisement de l’océan Atlantique et l’océan indien, précisément au triangle des Bermudes[11] ». C’est en ce lieu que se trouve « la maison blanche de Lucifer ». C’est là qu’il recevra de Lucifer le pouvoir de métamorphose. Il pouvait se muer en moustique, grenouille, hibou, épervier, crocodile, serpent, et même en femme. À son actif, Mpala – qui se souvient « être devenu “Shiva”, le dieu de la destruction[12] » – déclare être responsable de plusieurs accidents de circulation, de décès inexpliqués et de diverses infortunes.

Le 20 décembre 2003, Mpala décède. Alors que son enterrement est fin prêt, et que selon lui, il est déjà enchaîné par le diable dans le monde astral, il revient à la vie grâce à Jésus, celui qui a la clé du séjour des morts. Ce retour à la vie consacre une rupture sociale et personnelle, un événement miraculeux qui transforme sa vie dans toutes ses dimensions, comme cela arrive aux convertis au pentecôtisme (Pédron-Colombani 1998, 191-199). Cette transformation (conversion) significative le conforte dans son désir de servir Dieu et de témoigner de la vérité. Il affirme ne pas avoir peur de rendre témoignage pour affranchir le peuple de Dieu[13]. Comme il le dit, « si toi aussi tu te retrouves dans ces choses, donne ta vie à Jésus […] ce qu’il a fait pour moi, il veut le faire aussi pour toi[14] ». Le pasteur Jonas invite l’auditoire « à prendre ce témoignage très au sérieux[15] ». Le témoignage est à ses yeux une forme de reconnaissance à Jésus qui « l’a tiré de loin[16] ». En conséquence, il va sillonner les Églises méthodistes puis pentecôtistes pour témoigner. Il le fait pour obéir à Dieu qui le lui a demandé, et « pour la gloire de Dieu[17] ». Au-delà de cette noble mission, l’initiative testimoniale décline une perception de soi. Comme nous allons l’illustrer plus loin, nonobstant le fait que le pasteur Jonas déclare « je ne suis pas spécial, je ne suis pas extraordinaire[18] », il construit un récit qui atteste la manière dont il se perçoit en réalité : un croyant qualitativement et axiologiquement hors du commun, prodigieux. Rien d’étonnant qu’il revendique les titres d’évêque et de pasteur comme forme d’identification. Il préfère cependant être désigné par le titre « Pasteur Jonas[19] ». Il légitime ses titres par le fait qu’il est représentant légal de l’Église Christ notre salut. Il se présente aussi comme « visionnaire de l’Église Christ notre salut » et de « Christ grâce sur grâce ». Il est aussi visionnaire du « ministère international Prions pour le monde[20] ».

2 Présentation du corpus

Cet article s’intéresse à un « moment discursif », un dispositif communicationnel précis (Charaudeau 2005, 86-87)[21]. Le corpus retenu est une collection ordonnée d’enregistrements de productions linguistiques orales et multimodales (Baude 2007). Il est constitué de 13 témoignages en français enregistrés dans le cadre de l’émission « Va et dis-leur[22] ». L’émission relate le parcours spirituel du pasteur Jonas, particulièrement son commerce avec les forces du mal et sa découverte des merveilles de la puissance libératrice de Jésus-Christ.

La trame est stéréotypée, organisée linéairement et structurée de manière homogène. Élaborés en français, les témoignages sont introduits par un journaliste qui joue le rôle de l’interlocuteur du pasteur. Ils s’ouvrent par la prière de recommandation de l’émission au Seigneur présidée par le pasteur. Puis, le journaliste pose une question d’entame au pasteur ou fait le lien avec l’émission précédente avant de laisser le pasteur s’exprimer librement. Il l’interrompt rarement. De manière générale, les témoignages s’achèvent par une prière du pasteur Jonas suivie de la conclusion du journaliste qui annonce le thème du prochain témoignage. D’un témoignage à un autre, les « unités » d’analyse sont la parole publique du pasteur, les détails sur son commerce avec les principautés de l’autre monde et la puissance de la grâce de Dieu sur le Mal. Chaque témoignage est orchestré sous forme de confidence. La durée des témoignages varie entre une heure et deux heures.

3 Ancrages théoriques et cadre méthodologique

Nous situons les développements qui suivent dans le cadre théorique de l’analyse du discours (Plantin 2011 ; Perelman 2008), des interactions verbales (Kerbrat-Orrecchioni 1990, 1992, 1994), plus précisément dans celui de la construction de l’ethos (Amossy 2010 ; Charaudeau 2005). La narration telle qu’elle se donne à l’analyse apparaît comme un moyen de « présentation de soi » qui confirme un rôle autoattribué ou reconnu et ratifié. Elle se présente comme un rite d’institution. Il y a donc une performativité du témoignage (Goffman 1973, 238-239). La représentation concerne l’image de soi que le narrateur cherche à projeter sur les autres. Elle donne à voir une image de soi, sa propre image, qui légitime ou délégitime son discours. En analyse de discours, cette image est dénommée ethos.

Selon Amossy, « toute prise de parole implique la construction d’une image de soi » (Amossy 1999, 7). C’est dire combien la manière de s’exprimer donne à voir ce que l’orateur prétend être (Maingueneau 1993, 138). Dans cette ligne, Barthes estime que « l’orateur énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela » (Barthes 1985, 315). Peu importe que cela soit crédible ou non, il convient de retenir que l’image projetée par le locuteur peut être en accord ou en désaccord avec les représentations que l’on se fait de lui.

Dans cet ordre d’idées, Charaudeau corrèle l’ethos avec la question de l’identité et le met en rapport avec des représentations sociales configurées en imaginaires sociodiscursifs (Charaudeau 2009, 15-28). Il distingue l’identité sociale de l’identité discursive. Le déploiement des figures identitaires du discours politique se regroupe selon lui en deux catégories d’ethos : les ethos de crédibilité et les ethos d’identification (Charaudeau 2005, 91-98). Les premiers se rapportent aux conditions de sincérité ou de transparence, de performance et d’efficacité. Entre dans cette catégorie l’ethos de « sérieux », de « vertu » et de « compétence » (Idem, 91-96). Les seconds charrient l’ethos de « puissance », de « franchise », de « caractère », d’« intelligence », d’« humanité », de « chef » et de « solidarité » (Idem, 105-128).

Charaudeau soutient que l’identité sociale est « ce qui donne au sujet son "droit de parole", ce qui le fonde en légitimité » (Idem, 19). Reconnue par les autres, elle est un « attribué-reconnu », un « construit par avance » qui, s’agissant du pasteur Jonas, recouvre la connaissance socialement construite à son propos avant même qu’il ne prenne la parole. Au reste, elle est charriée par l’identité professionnelle, la fonction sociale ou ecclésiale (évêque, pasteur) et l’identité personnelle (ex-sataniste, ancien catcheur). Dans le cas du pasteur Jonas, la présentation de soi à travers le discours émerge du savoir commun partagé par les auditeurs de ses témoignages antérieurs. Charaudeau précise que l’ethos « est affaire de croisement de regards : regard de l’autre sur celui qui parle, regard de celui qui parle sur la façon dont il pense que l’autre le voit » (Idem, 88). Mais comme le signale judicieusement Maingueneau, « l’ethos visé n’est pas nécessairement l’ethos produit » (Maingueneau 2002, 59). Il est bon dès lors de distinguer l’image qui préexiste à la prise de parole, l’ethos préalable de l’ethos discursif. Amossy qui qualifie de surcroît les représentations extralinguistiques d’ethos préalable ou prédiscursif (Amossy 2010, 73-93) souligne que l’image prédiscursive qui circule peut être confirmée, modifiée, transformée, voire invalidée au cours de la présentation de soi (Amossy 1999, 149).

À suivre Charaudeau et Amossy, dont les études sur l’ethos semblent les plus élaborées, nous pouvons soutenir que l’image développée par le pasteur (l’image projetée ou affichée) entend persuader l’auditoire que le locuteur légitimé au nom de la transcendance divine est porteur d’une parole qui fait sens. À ce titre, il peut être cru et avoir la confiance de l’auditoire sur base de cette image qui construit une scène d’énonciation dans laquelle s’inscrit son témoignage. Cette image est confrontée à celle qui lui est attribuée par l’auditoire. Cette co-construction d’images par les uns et les autres fait du pasteur Jonas un homme illustre, un ancien sataniste converti au Christ.

On soulignera que le stock de savoirs relatif à l’importance de cette présentation de soi fait partie du savoir partagé, des représentations collectives, des opinions consensuelles et des évidences de l’espace discursif des Églises néo-pentecôtistes. Il constitue la doxa ou opinion commune (Amossy 2006, 54 ; cf. Meyer 1988, 63-84)[23]. Dans la perspective d’Amossy, c’est « le savoir partagé d’une communauté à une époque donnée » (idem, 89) ; l’espace du plausible qui modèle le discours et facilite autant sa compréhension que sa réception commune (Idem, 113). Il faut ajouter que comme le discours social organise ce qui est dicible et énonçable dans une société (Angenot 1989), le pasteur doit s’astreindre à construire son témoignage, d’une part, dans le sens de ce qui est cru, admis et reçu par son auditoire, et d’autre part, dans la ligne des récits normatifs qui circulent dans la tradition religieuse des Églises néo-pentecôtistes. On s’attachera donc, dans le discours à visée persuasive ici à l’étude, à mettre en relief le cadre de référence partagé et les prémisses entérinées conjointement par le pasteur et par son auditoire[24]. Car le témoignage du pasteur est le lieu d’articulation de son expérience, de sa logique, de ses croyances avec des matériaux préexistants, des lieux communs, qui relèvent de l’espace doxique de l’auditoire ciblé. Son témoignage ne peut délibérément ignorer ni contredire le savoir de son auditoire sur le monde des esprits et sur la grâce de Dieu.

Le recours aux réseaux sociaux comme scène publique permet au pasteur Jonas de partager son témoignage à un large auditoire. Entendu comme « l’ensemble de ceux sur lesquels l’orateur veut influer par son argumentation » (Perelman 2008, 25), l’auditoire du pasteur est constitué de quiconque accède à son émission, notamment à l’auditoire universel, c’est-à-dire à tout être de raison (Idem, 41). L’auditoire universel correspond à « l’image que l’orateur se fait de l’homme raisonnable, de ses modes de pensée et de ses prémisses » (Amossy 2006, 66). Le pasteur Jonas désigne souvent de manière affectueuse les destinataires naturels de son témoignage. Les appellatifs qu’il affectionne sont déterminés par l’adjectif substantivé « mes bien-aimés », les « bien-aimés ». Ce sont eux, les habitués de son émission, avec qui il partage un ensemble de croyances et de valeurs communes. Ils sont à distinguer des destinataires latéraux (Ossipow 1979, 63), à savoir tout individu ne faisant pas naturellement partie de ses destinataires, mais qui accède librement à son témoignage. On compte parmi ces destinataires latéraux, ceux qui ne partagent pas les croyances du pasteur.

Notre démarche méthodologique reconstruit la formation discursive en dégageant les éléments constitutifs des textes retranscrits. Elle entend rendre compte de la manière dont le pasteur Jonas construit son image (Fortin 2007 ; Seignour 2011). Aussi dégage-t-elle le programme de la persuasion émotionnelle, fixe les mécanismes et les stratégies qui inscrivent ou exorcisent la peur dans les mots et les symboles du témoignage.

4 Un témoignage qui exorcise la peur

Le pasteur Jonas construit son témoignage sur un fond doxique comprenant la croyance en l’omniprésence du Mal dans le monde, en l’existence des entités surnaturelles, à la puissance maléfique de la sorcellerie, à l’emprise nuisible de la magie et la foi en la puissance salvatrice de l’amour de Dieu. Ses actes d’énonciation actualisent son ethos, et imprègnent aussi les auditeurs de son témoignage. Libéré de toute peur du diable et de ses démons, le pasteur Jonas entend affranchir son auditoire de la peur de la sorcellerie et de la magie. Certes, il n’est pas possible de relever avec précision le ressenti de l’auditoire (Charaudeau 2000, 135), celui-ci interprétant le témoignage en fonction de son parcours, de ses références, représentations, valeurs et attentes. Mais l’on est en droit, en s’en tenant au discours élaboré, d’inférer à partir des indices référentiels et organisationnels que le litatoli comme narration-témoignage s’assigne entre autres buts d’exorciser la peur des « bien-aimés[25] ».

Partons d’une question : qu’est-ce que le litatoli ? Considéré du point de vue du contrat de communication (Idem, 134-138), le litatoli est un terme englobant qui renvoie à un type de narration appartenant au genre témoignage. C’est une pratique narrative qui génère d’autres sous-genres « irradiants » de production verbale (Starobinski 1986, 427)[26]. D’un point de vue théologique, et pour reprendre la typologie de Brandt, c’est un récit de soi au service d’un changement identitaire (Brandt 2017, 8-9). En l’occurrence, il s’agit de la conversion du sataniste à l’Évangile de Jésus. Procédant par contraste, le litatoli est une forme de publicisation de l’amour de Dieu. Il exacerbe la mauvaise vie antérieure et les faiblesses passées du témoin pour dire l’action puissante, passée, présente et future de Dieu. C’est une autopromotion, une surreprésentation de soi qui, qui – par l’intermédiaire du récit des turpitudes, des extravagances et des péchés du témoin – exalte l’action divine et édifie l’auditoire. Sa dynamique testimoniale est constituée par l’expérience dont la narrativité relève des affects et du pathos. Son protocole communicationnel est donc émotionnel. S’inscrivant dans une doxa et un régime de croyances (Weissberg 1999, 170), sa visée n’est pas informative, mais plutôt persuasive ; ses stratégies plus émotionnelles que rationnelles. Le témoignage public est ordonné autour d’une stratégie argumentative centrée sur un enjeu de véridiction. Il demeure à la fois un dictum et un dicendum conçus sous forme de narration à visée persuasive. Il est régulé par certaines règles précises (Amiotte-Suchet 2009). Le témoin est encadré par les autorités de validation (anciens) qui cautionnent la pertinence de son témoignage[27]. Il ne s’écarte pas du récit exemplaire qui l’inscrit dans la lignée des témoins qui le précèdent. Le témoignage s’accommode néanmoins des distorsions significatives, des gloses d’interprétation, des réécritures de l’histoire et de brouillages des limites entre le registre de la fabulation, de la fiction et le registre de la réalité (Westphal 2007, 171-172). Tournée vers la construction d’une image de soi, cette narration a pour finalité l’édification de la communauté des croyants et la conversion de l’auditoire. Elle est constitutive des communautés émotionnelles (Rosenwein 2006, 79-100) et discursives (Swales 1990, 24).

Le litatoli relève des argumentations oratoires propres au discours religieux, plus précisément celles qui sont monologales et non pas confrontationnelles. C’est donc un rituel d’énonciation qui n’accorde pas aux destinataires l’occasion de réagir verbalement sauf lorsque le témoin interroge l’auditoire. Cependant, relu dans la perspective interactionniste, le litatoli est une narration interactive et intersubjective dont la composante relationnelle ne laisse pas l’auditoire passif. Celui-ci participe à son copilotage même s’il ne dialogue pas verbalement avec le témoin. L’auditoire qui ne peut lui poser des questions participe à son témoignage de diverses manières : acclamations, applaudissements, rires généreux, sifflets, marques d’approbation ou de désapprobation, marques d’adhésion, chants, bravos, slogans, hilarité prolongée, murmures, soupirs, cris, youyous, comportements kinésiques ou tactiles, etc. Suivant la lecture qu’il fait de ces acclamations, le témoin peut consolider la proximité avec l’auditoire, réduire la distance existant entre eux, tempérer ou densifier les propos de son témoignage. Ces différentes modulations ont pour but de créer une connivence qui concourt à la persuasion.

Il sied de préciser qu’avec YouTube, le site (setting) comme cadre spatio-temporel diffère du cadre d’une co-présence dans l’espace physique, le cadre participatif de l’interface ne permettant pas le face-à-face. La narration du sataniste converti est un monologue sans participation immédiate de l’auditoire. Destinée à des auditeurs absents, présumés croyants, elle développe une interaction différée avec le public qui prend connaissance du témoignage fixée sur le support audiovisuel. Ce monologue qui ne bénéficie pas de retour direct de l’auditoire se satisfait néanmoins de ses réactions différées. En effet, l’auditoire a la possibilité d’intervenir après coup sur la page YouTube de l’émission[28]. Cela noté, les commentaires sur le litatoli reçoivent apostériori la réponse du pasteur Jonas sur son blog[29]. Le litatoli sur le Web rompt l’interaction et le rapport d’immédiateté entre le témoin et son auditoire (Sandré 2013).

Le dispositif du témoignage du pasteur Jonas accrédite l’histoire qu’il raconte et l’institue témoin attitré. Jonas n’a pas été formé à la tâche de pasteur. Ses différents matatoli (pluriel du litatoli) légitiment néanmoins sa fonction de pasteur (Amiotte-Suchet 2017, 124 ; 2009, 113). Lors de ceux-ci, Jonas décline les différents rôles qu’il a assumés, nommant au passage les personnes et les entités surnaturelles qu’il a croisées pendant ses pérégrinations tant sur terre que dans le monde invisible. Son témoignage assigne à son itinéraire religieux une dimension de trajectoire sociale exemplaire. Tenant compte de l’enjeu de captation, le pasteur Jonas tente de persuader son auditoire en prenant des postures discursives qui vont de la polémique (mises en cause des croyances de l’auditoire), la séduction (valorisation de l’imaginaire de l’auditoire) à la dramatisation (suscitation des émotions de l’auditoire) en passant par la repentance (aveu de ses forfaitures), sans oublier des rapports agonistiques (conflit avec le monde mystique).

Le cadre de référence du litatoli garantissant une cohérence discursive à la narration est la mémoire collective des Églises néo-pentecôtistes (Bible), la cosmogonie des adeptes (leur univers est peuplé d’êtres surnaturels qu’il convient de dompter) et l’expérience du témoin (visitation par la grâce transformatrice de Dieu). Le modèle de référence, celui que la communauté approuve (Singleton 2001, 178), livre les matrices narratives qui informent, conforment et transforment l’expérience individuelle ou collective. Le registre est celui de la monstration de l’inanité des forces surnaturelles et de la puissance de Dieu. Aussi, le cadre communicationnel est-il la publicisation de l’amour et de la puissance de Dieu. Il répond aux enjeux de la mission de l’assemblée de réveil. Le noyau de l’argumentation est la puissance de Dieu sur Satan[30], le pouvoir concédé au croyant par l’armée de Jésus, celui de marcher sur « les sorciers, sur les magiciens, sur les catcheurs, sur les rosicruciens, sur les eckankars, sur les démons et même sur le diable[31] ». Il prend autant appui sur la Bible que sur l’expérience du pasteur et la doxa de l’auditoire.

Le fonctionnement global de la narration du pasteur Jonas est en consonance avec les récits-types et les modèles promus par les Églises néo-pentecôtistes. Il recourt à cinq procédés discursifs qui sous-tendent l’argumentation et la persuasion :

1) L’énonciation qui met le pasteur en scène est élocutive. Jonas fait oeuvre de narrateur-témoin (autodiégétique). Sous le mode du JE, s’exprimant à la première personne, il raconte une histoire dont il a été témoin et dans laquelle il tient le rôle principal (Fortin 2007, 43). C’est lui le héros de l’histoire qui relate ses prouesses. Le pasteur Jonas livre une expérience qui l’incorpore par moments à l’auditoire avec lequel il reconnaît partager une histoire et des conditions communes. L’évocation de la doxa des adeptes des Églises néo-pentecôtistes, le rapport de solidarité et d’égalité construit avec les destinataires ainsi que les usages du « nous »/« notre » expriment une subjectivité collective. Jonas fait de l’auditoire des quasi-témoins qui peuvent à rebours s’approprier son histoire et s’identifier à sa personne[32]. De cette manière, il crée une homonoïa, une communauté affective entre lui et l’auditoire.

2) La progression thématique est linéaire. Elle recourt souvent à l’analepse. Ce qui permet au pasteur d’« établir des parallèles (de causalité, d’analyse, d’opposition, etc.) entre les événements distants dans le temps » (Fortin 2007, 53). Ayant une propension pour la démesure, le pasteur Jonas excelle dans l’intensification de la peur en usant de la répétition.

3) Le procédé argumentatif que le pasteur privilégie est une approche qui construit la réalité de manière duale. Il oppose de façon dyadique le monde du diable au Royaume de Dieu. Le pasteur qui établit une contradiction entre l’avant et l’après articule la labilité du récit à la cohérence du projet de Dieu. Il se sert de son errance passée pour évoquer l’irruption inattendue de la grâce de Dieu. L’aveu de son indigence est un non-savoir qui construit le savoir adossé à la Bible et à la doxa de l’auditoire. Ce savoir conjure la peur.

4) Le recours à des situations agonistiques, à une interaction de type conflictuel avec les êtres surnaturels. La narration prend les contours d’une énonciation polémique qui déconstruit le système du Mal, les principautés et les sbires des Ténèbres au profit de la grâce que Dieu donne en surabondance en Jésus. L’événement initial est improbable : la mort du pasteur. C’est au moment où son destin est scellé et que Mpala est en train de passer dans l’au-delà que Jésus intervient. La mise en scène de son retour à la vie est un combat qui projette une image de miraculé résultant de la grâce de Dieu. De ce combat, Mpala est transformé en une créature nouvelle et devient Jonas. La victoire de la vie sur la mort disqualifie les suppôts de Satan dont les armes, ne résistant pas aux armes spirituelles (Alvarado 2012, 150)[33], font piètre figure face à l’armée des cieux.

5) La construction argumentative de la peur se fait par le biais de l’émotion inférée, indirectement signifiée. Elle utilise avec parcimonie les termes déclarant l’émotion. Le pasteur n’emploie pas les syntagmes renvoyant au processus de production de la peur. Il n’use pas de la forme verbale « apeurer » ni des autres dénominations de la peur[34]. Les occurrences du terme ont pour sujet Dieu qui n’a pas peur des sorciers, les enfants de Dieu qui ne doivent plus avoir peur de combattre le diable, les sorciers qui ont peur des enfants de Dieu, l’Afrique qui fait peur au diable, et enfin, les films nigérians qui font peur aux croyants. Appliqué au pasteur Jonas, le lexème peur a pour objet le témoignage (Jonas n’a pas peur de témoigner). Aucun syntagme, en ce qui le concerne, n’évoque la peur du diable ou du démon. Et pourtant, sans nommer explicitement la peur ni recourir à des indices de sémiotisation de la peur dans l’interaction, le pasteur Jonas l’exprime à travers des processus de dramatisation et une narration glaçante. La narration, formatée en amont par la peur des sorciers, des magiciens et des esprits mauvais, a ses personnages (diable, démon, sorciers, magiciens), ses lieux (souterrains, cimetières, eaux profondes, océans), ses époques (nuit, crépuscule, matin) et ses heures (1 h à 5 h ; de 23 h à minuit). Elle se déploie dans une situation émotionnante portée par la doxa des Églises néo-pentecôtistes. Dans cette ligne, l’évocation de certains noms et lieux a des effets axiologiques et idéologiques sur fond de surenchère sur la peur.

S’il est vrai que « chaque genre du discours comporte une distribution des rôles préétablie qui détermine en partie l’image de soi du locuteur » (Amossy 2002, 239), le positionnement énonciatif du pasteur Jonas dans le litatoli procède d’une stratégie qui met en présupposé la majeure : ceux qui ont excellé dans la sorcellerie, la magie, mais qui ont cru en Jésus-Christ sont libérés de la peur des mauvais esprits. À la peur des sorciers, des magiciens, du diable et de ses démons, le pasteur Jonas substitue la peur de l’enfer. La portée suggestive du mot n’est pas moindre. L’enfer, c’est le lieu des tourments du feu indescriptible, des châtiments où l’on est cruellement torturé[35]. Pour y avoir séjourné, Jonas désigne nommément certains Congolais, et non des moindres, qu’il y a croisés : l’ancien président congolais Mobutu, les musiciens Luambo Makiadi et Pépé Kallé[36]. Afin d’en rajouter à la dramatisation, il poursuit : « Tous ces gens-là sont enchaînés dans le monde astral avec des cadenas[37] ». En concluant que l’enfer est réel, il appelle l’auditoire à ne pas préférer l’enfer au Dieu vivant[38].

Il appert de ce qui précède qu’à travers une autopromotion, le litatoli garde une visée de captation et de persuasion de l’auditoire. Il procède par une mise en scène de la situation discursive qui est à la fois mise en forme et mise en sens (Hall 1980, 57-72). Par la mise en scène du JE, le pasteur Jonas construit les ethos de crédibilité et les ethos d’identification (Charaudeau 2005, 91-98). Il a une prédilection pour l’ethos de celui qui sait, l’ethos de témoin véridique, sincère, authentique et fiable. Il projette l’image d’un homme conscient des perversions de son parcours passé et des grâces reçues de Dieu. Il construit un ethos de reconnaissance. Dans l’évocation de sa relation privilégiée avec Dieu et Jésus Christ, il affiche à la fois, un ethos d’engagement et de responsabilité, un ethos de fidélité, un ethos de témoin et un ethos prophétique. Ces ethos le situent dès lors dans la ligne des prophètes et des pasteurs qui ont reçu une mission particulière de Dieu. Le pasteur Jonas construit aussi un sentiment d’appartenance par son expression de proximité et d’affectivité – un ethos de fraternité qui implique l’auditoire et crée une homonoïa. On découvre aussi dans son litatoli un ethos de talents intellectuels. Le pasteur Jonas étale un savoir éclectique sur le monde invisible, sa hiérarchie, sa toponymie et son organisation. Fort de ce savoir, il prévient l’auditoire sur les ruses, les pièges et les stratagèmes du diable. Il fait preuve d’un ethos d’initié et de l’ethos d’humanité. Il exhibe aussi un ethos de justicier qui disqualifie le monde satanique, émascule les sorciers et neutralise les magiciens. Ce faisant, il déploie une image de puissance, de courage, de maîtrise, un ethos combatif et engagé, exempté de la peur.

À l’évidence, l’acte de narration dans le litatoli décline l’identité du pasteur. Il actualise l’image que le pasteur Jonas construit de lui-même, celle d’un témoin qui a dompté la peur. Ainsi libéré de la peur, il se révèle capable d’exorciser la peur de l’auditoire. Cette capacité est imputable à une grâce de Dieu. De manière habile, le pasteur inscrit la peur dans sa narration, particulièrement dans l’usage de certains noms propres et noms de lieux qui ont une valeur pathémique (Satan, démon, diable, Lucifer, incubes, succubes, Pandémonium, triangle de Bermudes). Une fois prononcés, ces dénominations du diable et ces lieux hantés renvoient à des réalités effrayantes. Ce sont des mots qui ont une mémoire : ils « transportent avec eux les sens qu’ils ont acquis lors des moments discursifs antérieurs et des associations avec d’autres mots » (Moirand 2007, 51). Ils réveillent dans la mémoire discursive de l’auditoire une peur implicite. Le pasteur Jonas les choisit à dessein pour activer des pulsions émotionnelles. Il les pose comme des clous auxquels il accroche des faits et des événements à travers une nomination qui provoque un effet d’objectivité. C’est l’occasion pour lui d’étaler ses connaissances du monde des esprits et de l’arcane ainsi que de relater sa proximité, passée, mais rompue avec le diable et ses démons, en déployant une argumentation fondée sur l’expérience. Par le litatoli, le pasteur Jonas construit son image en déconstruisant celle du diable, de ses démons et de ses acolytes (sorciers, catcheurs et magiciens). Il dépasse l’effroi fantastique suscité par les principautés de l’enfer et l’armée des Ténèbres par la grâce et la confiance apportées par la proximité avec Dieu. La narration fantastique et le merveilleux féérique qui l’accompagne gardent donc un cadrage émotionnel spécifique en phase avec la doxa de l’auditoire. Le litatoli exerce plusieurs fonctions : évangélisatrice, cathartique, libératrice, intégratrice et thérapeutique. Les procédés discursifs qui participent à la construction de l’image du pasteur Jonas font de celui-ci l’exemple, le modèle de ce que Dieu peut réaliser dans la vie des convertis. Ainsi qu’il le dit, « si toi aussi tu te retrouves dans ces choses, donne ta vie à Jésus […] ce qu’il a fait pour moi, il veut le faire aussi pour toi[39] ». Jonas n’a pas peur du diable, de ses démons, ni de ses épigones. Il veut transmettre la même assurance à son auditoire.

La macro-argumentation qui sous-tend le témoignage vise à convaincre l’auditoire que Dieu peut faire autant dans la vie des croyants que ce qu’il a réalisé avec le pasteur Jonas. L’espace herméneutique déployé par la narration vise à conforter la foi des « bien-aimés » et à bannir la peur des sorciers et des magiciens de leur coeur. Il conjure la peur du diable, du démon et de l’enfer. L’auditoire est dès lors convié et même contraint à se positionner : soit la dépendance à des forces que Dieu a pourtant déjà vaincues ou l’adhésion à Dieu qui libère de la peur. Il y a ici un verrouillage herméneutique qui, d’une part, disqualifie les principautés des Ténèbres, et d’autre part, atteste la puissance de Dieu. Ce qui permet à l’auditoire de surmonter et de vaincre la peur, de guérir de la peur des sorciers, des magiciens et du démon ainsi que de se soustraire de la crainte des épigones du diable.

Conclusion

Cet article entendait dégager la place de la peur dans l’image de soi que le pasteur Jonas construit dans ses témoignages. Il s’est penché sur les mécanismes et les stratégies qui inscrivent ou exorcisent la peur dans les mots et les symboles employés. Notre propos était aussi modeste que simple : vérifier dans quelle mesure le litatoli comme témoignage-narration est un témoignage-confession qui recèle les potentialités pour une libération effective de la peur. L’usage du Web place le litatoli de l’ex-sataniste Jonas Mpala dans une posture qui rompt l’interaction immédiate avec l’auditoire. Si la foi en la grâce de Dieu habille la construction pathétique de la narration, celle-ci demeure une histoire glaçante d’une mise en relation avec les instances supranaturelles. Corrélée à la puissance de Dieu dont le pasteur est bénéficiaire, cette mise en relation est une monstration de l’inanité du diable et de ses suppôts, une démonstration de la victoire du pasteur sur la peur, et une sorte d’argumentation qui exorcise la peur de l’auditoire[40].

Pour revenir à la question qui sert de titre à cet article, « Le litatoli, une narration qui exorcise la peur ? », la réponse est assurément positive. En développant des thématiques émouvantes qui sollicitent les affects, le litatoli du pasteur Jonas permet de le vérifier. Nous n’ignorons cependant pas qu’en rupture avec la visée des témoignages, certains matatoli génèrent, instrumentalisent et exacerbent la peur. Néanmoins, il demeure que le témoignage-narration de l’ex-sataniste congolais est une variante du genre litatoli : un témoignage-confession. À ce titre, c’est un témoignage qui participe à la socialisation des adeptes dans une communauté discursive assurée de la victoire de Dieu sur le diable, ses démons et ses épigones.