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Je signe aujourd’hui mon dernier numéro à titre de directeur de Francophonies d’Amérique. Et le hasard fait parfois bien les choses, puisque que j’ai le privilège de présenter un numéro thématique qui nous invite à élargir notre conception de la francophonie des Amériques. Le présent numéro est en effet le fruit d’une belle et fructueuse collaboration avec le Centre de la francophonie des Amériques. Je remercie d’emblée le Centre pour cette initiative qui remonte à plus de deux ans et, surtout, les trois directeurs et directrices du présent numéro, soit Janaína Nazzari Gomes, Haydée Silva Ochoa et Christophe Traisnel, pour leur générosité et leur soutien nécessaires durant les différentes étapes de la préparation du numéro.

L’idée à la base de cette collaboration était d’ouvrir les pages de la revue à de nouvelles voix, notamment à des chercheuses et des chercheurs issus de l’hémisphère sud, ainsi que d’élargir notre conception de la francophonie des Amériques pour y inclure le Mexique, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Le nombre important d’articles et de notes de recherche reçus a confirmé tout l’intérêt de concevoir notre objet d’étude dans le sens le plus large possible. Au fait, l’intérêt pour un tel numéro était si grand que Francophonies d’Amérique envisage de préparer un deuxième numéro thématique en collaboration avec le Centre de la francophonie des Amériques. En ce qui me concerne, je suis rassuré de constater que la francophonie et le français continuent d’inspirer et de mobiliser malgré le poids des réseaux américains et de la langue anglaise au sein de plusieurs disciplines.

Je profite aussi de ce dernier texte de présentation pour partager quelques observations et réflexions sur le champ de recherche sur les francophonies nord-américaines et le milieu universitaire plus généralement. En premier lieu, notre champ de recherche est dynamique, profondément pluridisciplinaire et reste des plus motivants. De nombreux collègues d’un bout à l’autre du pays, pour ne pas dire d’un bout à l’autre des Amériques, sont dévoués, attachés aux enjeux touchant aux milieux francophones et rigoureux dans leurs recherches. Autant à Francophonies d’Amérique que dans d’autres revues, je ne cesse de voir passer de nouvelles recherches sur les milieux francophones mobilisant des approches de l’ensemble des sciences sociales et humaines. Le défi de notre champ de recherche n’est pas le manque d’enjeux ou d’intérêt, mais plutôt le manque de postes permanents ou menant à la permanence, ainsi que le manque de fonds pour mener ses recherches. Les universités et les agences de financement doivent mieux appuyer les chercheurs et les chercheuses qui travaillent sur et dans la francophonie canadienne.

En deuxième lieu, je retiens de mon mandat à la revue que derrière les institutions se cachent des personnes sans lesquelles ces institutions s’écrouleraient. Cela est d’autant plus vrai dans nos milieux francophones où nos institutions sont petites et souvent fragilisées. À Francophonies d’Amérique, il y a une direction, un comité éditorial, mais plus important encore, il y a l’équipe du CRCCF et, surtout, Olivier Lagueux sans qui rien de tout ça ne serait possible. En tant que politologue et professeur de sciences politiques, je ne suis pas sans apprécier l’importance des institutions, notamment pour le développement des minorités nationales et linguistiques. La théorie de la complétude institutionnelle, par exemple, postule que le nombre d’institutions que possède une minorité a une incidence directe sur son développement. Mon expérience à la direction m’incite à penser que notre champ de recherche doit s’intéresser davantage aux hommes et aux femmes qui travaillent dans ces institutions, à celles et à ceux qui orientent l’action des institutions, qui leur donnent leur saveur et leur dynamisme.

Je constate, en troisième lieu, que le monde de la recherche et surtout des publications est en manque de collégialité et de bienveillance. Dans mon expérience, nos milieux sont trop souvent traversés de conflits entre les disciplines, entre les champs, entre les méthodes et peut-être surtout, entre les paradigmes. L’idéologie du publish or perish alimente ces conflits et oppose les uns aux autres. De plus, les ressources pour mener ces recherches sont rares, parfois inexistantes, une réalité qui exacerbe la compétition. Or, un autre monde est possible, un monde à construire où les collègues acceptent que toutes et tous, peu importe la formation disciplinaire ou les ancrages épistémologiques, travaillent à mieux comprendre nos sociétés dans toute leur diversité. Un monde où un financement de base en recherche est garanti à tous et à toutes. Francophonies d’Amérique ne peut pas à elle seule renverser la donne, mais en tant que son directeur pendant cinq ans, je considère avoir fait une petite contribution à l’émergence de ce monde en effectuant le travail requis à la fois avec rigueur et générosité. On peut demander des modifications à un article, même des modifications majeures, sans dénigrer ni rabaisser. On peut aussi épauler la nouvelle génération de chercheurs et de chercheuses, notamment les doctorants et les doctorantes, en les accompagnant dans le processus de révision d’un article. Bref, on peut faire émerger la collégialité et le respect au détriment de la compétition et de l’antagonisme.

En quatrième lieu, et plus personnellement, ce mandat à la direction de Francophonies d’Amérique m’a permis de renouer avec le côté humain du milieu universitaire et, surtout, du champ de recherche sur les francophonies nord-américaines. La revue publie plusieurs numéros thématiques et chacun de ces numéros est l’occasion de côtoyer et d’apprendre à connaître des collègues d’un bout à l’autre du pays, voire des Amériques. Durant mon mandat, la revue a publié sept numéros thématiques dirigés ou codirigés par quinze collègues rattachés à huit universités différentes. Chaque numéro a son histoire, ses anecdotes, comporte son lot de défis et, surtout, marque les réussites et les succès des personnes impliquées. Une revue universitaire ne peut fonctionner sans des évaluateurs et des évaluatrices et le processus d’évaluation par les pairs m’a permis de mieux apprécier les expertises des uns et des autres et d’en apprendre davantage sur les spécificités des disciplines, des champs et des approches. J’ai eu la chance de collaborer avec plusieurs collègues généreux de leur temps et dans leur soutien aux auteurs et aux autrices des articles et des notes de recherche soumis à la revue. Malgré les défis qui guettent le milieu universitaire et, surtout, la recherche en français au pays et à l’international, cela est rassurant de savoir que notre champ de recherche peut compter sur plusieurs collègues investis qui sont prêts à mettre l’épaule à la roue.

Dans cette optique, je tiens ici à exprimer ma gratitude et mes remerciements à quelques personnes en particulier. Tout d’abord, je remercie chaleureusement le conseil d’administration de la revue de m’avoir offert cette chance. La décision de nommer un « jeune » chercheur à la direction de la revue n’était pas sans risque, mais cette décision m’a mis en confiance et m’a motivé à m’investir pleinement dans les responsabilités qui m’étaient attribuées. Pour leur soutien indéfectible et leurs conseils avisés, je remercie Jimmy Thibeault et Lucie Hotte, respectivement président du conseil d’administration et directrice du CRCCF pour la majeure partie de mon mandat. Martin Normand était sur papier le responsable des comptes rendus, mais, dans la réalité, il fut l’équivalent d’un codirecteur, surtout pendant les premières années où plusieurs décisions importantes ont été prises pour reconstruire la réputation de la revue. Je le remercie pour son écoute attentive, son jugement et sa grande disponibilité. Mille mercis à Olivier Lagueux qui est le véritable maître d’oeuvre de la revue. Une revue ne peut fonctionner sans comité éditorial et j’ai eu le plaisir de travailler avec plusieurs collègues hors pair depuis 2017. Je dois souligner les apports indispensables de trois membres en particulier, soit Laurence Arrighi, Valérie Lapointe-Gagnon et Nicole Nolette. Et un merci tout spécial à cette dernière qui a pris la direction intérimaire de la revue durant mon congé parental, à l’hiver 2019. Enfin, il ne me reste qu’à offrir mes meilleurs souhaits et toute ma solidarité à la nouvelle directrice de la revue, la professeure Karine Gauvin de l’Université de Moncton. J’espère que son mandat à la revue sera tout aussi heureux et enrichissant que le mien l’aura été.