Corps de l’article

Introduction

Les personnes enseignantes associées (PEA) sont généralement des enseignants d’expérience à qui on demande de porter un regard critique et constructif sur les pratiques des stagiaires qu’ils accompagnent, de les observer en situation d’enseignement et de leur offrir de la rétroaction. Membres du triptyque qu’elles forment avec le stagiaire et le superviseur universitaire, les PEA constituent une pièce maitresse du système de formation en milieu de pratique. Assurée à la fois par les universités et les différents acteurs des milieux de pratique, cette formation prend la forme d’une démarche réflexive sur les apprentissages réalisés en stage au cours de la formation initiale à l’enseignement (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001). Bien que l’essence générale de la formation en milieu de pratique soit sensiblement la même pour tous les secteurs d’enseignement, il existe tout de même des aspects uniques qui la caractérisent lorsqu’elle se destine aux stagiaires évoluant au baccalauréat en enseignement professionnel (BEP). Il importe donc de s’y intéresser davantage afin de mieux circonscrire l’identité des PEA de l’enseignement professionnel et de préciser le rôle qu’elles exercent auprès des stagiaires.

1. Problématique et objectifs de recherche

Avant de chercher à comprendre les spécificités liées au rôle des PEA du secteur professionnel, il convient d’abord de s’intéresser à la réalité particulière des stagiaires qu’ils accompagnent.

1.1 L’accompagnement de stagiaires au secteur professionnel : une posture unique pour des stagiaires à la réalité tout aussi unique

Les enseignants de la formation professionnelle (FP) au Québec, contrairement à leurs homologues des secteurs primaire et secondaire qui s’initient graduellement à l’exercice de la profession dans le cadre de leur formation initiale à l’enseignement avant d’intégrer le milieu de travail, sont embauchés dans les centres de formation professionnelle (CFP) sur la base de leur expertise de métier (en mécanique automobile, en horticulture ou en dessin industriel, par exemple), sans avoir reçu au préalable de formation en pédagogie. Ce n’est qu’une fois qu’ils assument la responsabilité d’une classe qu’ils s’inscrivent dans un programme de baccalauréat en enseignement professionnel (BEP) leur permettant de se former à l’enseignement professionnel. Ce parcours d’insertion professionnelle atypique impose aux enseignants de la FP une posture particulière lors de leur stage : celle d’une double identité où ils sont simultanément enseignants et stagiaires en enseignement. Ayant un parcours professionnel dans un métier antérieur à l’enseignement, la formation en milieu de pratique des étudiants du BEP se démarque par des caractéristiques fondamentales :

une formation pratique axée sur le passage de l’exercice du métier à celui de l’enseignement, une pédagogie partagée entre formation initiale et formation continue, une multiplicité des disciplines intégrées à l’enseignement, une reconnaissance des acquis centrée sur la composante métier

Gagnon et al., 2016, p. 8

Dans ce contexte, le rôle des PEA qui oeuvrent auprès de ces stagiaires ne peut qu’être, lui aussi, distinct de celui de leurs homologues des autres secteurs d’enseignement. Au secteur général des jeunes, les PEA accueillent dans leur classe les étudiants en formation afin qu’ils y réalisent leurs stages. Or, c’est rarement le cas en enseignement professionnel où la majorité des stagiaires exerce déjà un emploi en enseignement. Étant généralement les collègues des stagiaires qu’ils accompagnent, les PEA du professionnel « agissent alors davantage comme des ‟mentors” » (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2008, p. 14). Cette particularité commande « que s’installe une relation d’accompagnement empreinte d’égalité qui permet aux stagiaires de construire leurs propres stratégies d’apprentissage et de développer leurs compétences professionnelles » (MELS, 2008, p. 14). Cependant, si les recherches sont nombreuses à s’être intéressées aux PEA de la formation générale, la posture des PEA de l’enseignement professionnel, qui s’apparente davantage à celle du mentor que du formateur comme entendu généralement, ne peut être totalement comprise à la lumière de ces études qui ne prennent pas en compte les enjeux spécifiques à leur contexte d’exercice. Comme le stipule De Simone (2021), « les postures de tutorat et de mentorat à l’enseignement sont constituées de manières de penser, d’agir et de concevoir le métier en fonction du contexte enseignant dans lesquelles elles sont exprimées par les formateurs » (p. 39).

1.2 Les PEA de l’enseignement professionnel : ce que l’on en sait

D’emblée, notons que des études indiquent que 70 à 80 % des étudiants du BEP reconnaissent la pertinence des stages pendant leur formation, bien que le niveau d’appréciation envers ceux-ci demeure parfois mitigé (Deschenaux et al., 2012; Gagnon & Mazalon, 2016). Il n’en demeure pas moins que 82 % de ceux-ci s’accordent pour dire que l’apport des PEA a été très important pendant cette période de formation, plus encore que les superviseurs universitaires (Deschenaux et al., 2012). Mais que savons-nous de ces intervenants qui jouent un rôle aussi significatif pour les stagiaires en enseignement professionnel?

1.2.1 Les documents de référence

À priori, il semble pertinent de voir ce qu’en disent les documents et les référentiels de la formation en milieu de pratique. Soulignons d’entrée de jeu que le document sur l’encadrement des stagiaires en formation à l’enseignement (MEQ, 2002) ne prend pas en compte le rôle des PEA du secteur professionnel, puisque le BEP a été instauré en 2003, un an après sa parution. Quant à l’avis du Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (2005), il précise qu’en « formation à l’enseignement professionnel, là où la tradition d’encadrement de stagiaires est encore jeune, tout est à définir et à mettre en oeuvre » (p. 30), en plus d’affirmer que les PEA de ce secteur « doivent bénéficier d’un programme de formation enrichi d’une composante qui leur est propre » (p. 19), sans toutefois la définir. Dans le même ordre d’idées, les orientations relatives à la formation en milieu de pratique (MELS, 2008) stipulent que des dimensions, sans nommer lesquelles, restent à préciser, particulièrement dans les programmes de formation à l’enseignement professionnel. De son côté, le Cadre de référence pour la formation des enseignants associés et des superviseurs universitaires de Portelance et al. (2008), seul cadre de référence disponible au Québec définissant des orientations pour l’élaboration d’un profil de compétences pour les formateurs de stagiaires, s’appuie sur un dispositif méthodologique faisant appel à des groupes hétérogènes comprenant notamment des intervenants des programmes préscolaire-primaire, secondaire, d’adaptation scolaire et sociale ainsi que de différentes spécialités (Portelance, 2009). Cependant, rien n’indique que les PEA de l’enseignement professionnel aient été consultés. À la lumière de ces constats, il est aisé de voir que l’identité et l’expérience propres aux PEA de l’enseignement professionnel restent encore à préciser.

1.2.2 Les études scientifiques

À différents moments, des chercheurs se sont employés à dresser, en totalité ou en partie, le portrait des différents intervenants du secteur professionnel. Ainsi, Balleux décrit, en 2006, un premier portrait général des enseignants de la FP. À partir de données quantitatives et qualitatives, il y décrit le genre, l’âge moyen d’entrée en fonction dans la profession, le secteur d’activité, le niveau de scolarité, le statut d’emploi, l’expérience dans le métier et dans l’enseignement ainsi que les motivations professionnelles. Ce n’est toutefois qu’en 2008 que Rousseau présente, dans son essai, les premières données sociodémographiques relatives aux PEA de l’enseignement professionnel, ceux-ci provenant uniquement de l’Université de Sherbrooke. Les résultats proviennent d’une partie d’un questionnaire constitué principalement de questions fermées et l’étude porte sur leur motivation à accompagner des stagiaires. En plus des éléments déjà énumérés dans le portrait de Balleux (2006) sur leur statut d’enseignant en FP, la portion descriptive des résultats s’intéresse également à l’expérience d’accompagnement vécue en tant que PEA, le nombre de stagiaires accompagnés et les intentions de poursuivre les fonctions de formateur de stagiaires.

En 2012, Deschenaux et ses collaborateurs précisent les profils de plusieurs intervenants du secteur professionnel, dont un groupe composé des superviseurs universitaires et des PEA (Deschenaux et al., 2012). Leur rapport sur la situation de la formation à l’enseignement professionnel au Québec repose majoritairement sur des questions fermées. Recoupant plusieurs thématiques précédemment soulevées, ils y abordent aussi la pertinence et la qualité du programme de formation, les compétences à l’enseignement, les stages, le recrutement des accompagnants, la collaboration dans les milieux de pratique, la reconnaissance d’acquis disciplinaires et les facteurs liés à la poursuite des études.

Plus récemment, Gagnon et Mazalon (2016) avancent d’autres résultats sur l’apport des intervenants de la formation pratique (superviseurs et PEA) aux étudiants du BEP de l’Université de Sherbrooke. L’étude exploratoire s’appuie sur un questionnaire destiné aux étudiants du programme de BEP, principalement composé de questions fermées auxquelles les répondants peuvent ajouter un commentaire. Les résultats apportent un éclairage nouveau concernant l’appréciation des activités de stage ainsi que de l’accompagnement reçu.

1.3 Un portrait encore incomplet

Si le premier portrait brossé par Balleux en 2006 permet de saisir qui sont les enseignants de la FP, il n’aborde pas les caractéristiques de ceux qui accompagnent des stagiaires. Le deuxième portrait (Rousseau, 2008) s’intéresse bien au groupe des PEA, quoiqu’au moment de l’étude, l’articulation des stages dans la formation initiale demeure relativement récente et que le portrait se concentre sur les PEA de l’Université de Sherbrooke. Le troisième portrait (Deschenaux et al., 2012), réalisé une décennie après la réforme de la formation des maitres de 2001, vise quant à lui une description large et s’intéresse à plusieurs acteurs du secteur professionnel : étudiants, membres de la direction de CFP, professeurs universitaires, personnes chargées de cours, conseillers pédagogiques, superviseurs de stage et PEA. Comme les rubriques du questionnaire regroupent les réponses de ces différents acteurs sans toutefois les distinguer, cela limite les interprétations possibles par rapport à un groupe spécifique d’intervenants comme les PEA. Enfin, en ce qui a trait à l’étude exploratoire de Gagnon et Mazalon (2016), elle porte, à l’instar des travaux de Rousseau (2008), exclusivement sur les PEA de l’Université de Sherbrooke, arborant ainsi des limites similaires.

Force est de constater que l’on connait encore peu de choses à propos des PEA en enseignement professionnel. Pourtant, ils occupent un rôle crucial, apparenté à une activité mentorale, dans la formation des stagiaires (Comité-conseil sur la formation du personnel enseignant, 2006; Deschenaux et al., 2012; Gagnon, 2013; Gagnon & Rousseau, 2010). Plusieurs questions subsistent alors : qui sont les PEA de l’enseignement professionnel au Québec? Quel rôle d’accompagnant s’attribuent-elles? Pour y répondre, il apparait pertinent de chercher à détailler le portrait de ces PEA et de tenir compte de leur réalité et de leurs expériences spécifiques. Ce faisant, ce texte présente une partie des résultats issus d’une recherche doctorale portant sur la dynamique identitaire des PEA en enseignement professionnel (Gagné, 2019) qui, en réponse aux constats précédemment mentionnés, s’est penchée sur leurs interprétations à l’égard de leur rôle professionnel, lesquelles ont mis en évidence une activité de type mentorat.

2. Considérations théoriques

Dans cet article, les notions d’identité professionnelle et de mentorat interviennent comme cadre de référence principal. En effet, puisque l’objectif poursuivi est d’offrir une réponse plus complète à la question « qui sont les PEA du secteur professionnel? », les fondements théoriques de l’identité semblent ici des assises incontournables. De même, il a été mentionné que les PEA du secteur professionnel détiennent un rôle davantage associé à celui du mentor. Il est ainsi tout indiqué de s’appuyer sur le concept de mentorat, l’une des plus anciennes formes d’accompagnement (Paul, 2020), afin de mieux circonscrire l’identité des PEA de l’enseignement professionnel et les caractéristiques de l’accompagnement qu’ils prodiguent.

2.1 La notion d’identité

D’emblée, précisons que l’identité peut être appréhendée sous l’angle de l’individu unique ou du groupe d’individus; l’identité professionnelle comprend donc une dimension éminemment personnelle ou individuelle et une dimension sociale ou collective (Gagné, 2015; Perez-Roux, 2011; Vignoles et al., 2011). Ultimement, ces deux dimensions renvoient au fait de se définir en tant que professionnel et de se sentir reconnu comme tel. Autrement dit, l’identité professionnelle de la PEA se compose « d’engagements choisis ou attribués à la personne, de caractéristiques personnelles et de croyances sur elle-même »[1] [traduction libre] (Vignoles et al., 2011, p. 4). Il s’agit également « des rôles et positions signifiants en relation avec autrui et de son appartenance à des groupes et des catégories sociales »[2] [traduction libre] (Vignoles et al., 2011, p. 4). Ce texte aborde d’ailleurs principalement les caractéristiques des PEA et le rôle qu’elles s’attribuent.

2.1.1 Les origines épistémologiques de l’identité sociale

L’identité correspond aussi à une position sociale, notamment un rôle professionnel intériorisé qui dicte la conduite, c’est-à-dire les comportements et les décisions (Serpe & Stryker, 2011). Épistémologiquement, cette posture s’inscrit dans la perspective sociologique de l’interactionnisme symbolique (Carter & Fuller, 2015). Nous retenons les travaux de Stryker qui soutiennent l’idée que les significations dégagées dans l’interaction mènent à des comportements relativement stables. Selon cette perspective, l’interactionnisme symbolique structurel, la continuité dans les interprétations des acteurs suffit pour justifier une recherche empirique menant à des conclusions sur un groupe particulier, voire à des constats transférables dans d’autres situations semblables (Serpe & Stryker, 2011). De manière large, Serpe et Stryker (2011) traitent l’identité partant de la prémisse que la société a une incidence sur la construction de soi, laquelle a, par conséquent, un impact sur le comportement. Ils enjoignent d’ailleurs à préciser les entités que sont la société, le soi et le comportement. De ce fait, le soi professionnel réfère ici plus spécifiquement à la manière dont la PEA se définit. C’est la société qui balise cette manière de se percevoir puisque les contraintes sociales (normes, règles, valeurs, etc.) intériorisées par l’individu limitent sa créativité ; les actions inédites se font donc assez rares. Serpe et Stryker (2011) nomment « engagement » le lien qui lie l’individu et son groupe professionnel. Ainsi, plus un individu s’engage auprès de son groupe, plus il en intériorise les différents aspects, plus sa manière de se définir s’en voit influencée. Enfin, les comportements découlent de cette dynamique entre l’intériorisation du système que forme le groupe professionnel et la définition de soi en tant que professionnel. Ils correspondent donc à la conduite par rapport à un rôle professionnel occupé.

Pour en revenir aux questions initiales, à savoir « qui sont les PEA en enseignement professionnel au Québec? » et « quel rôle s’attribuent-elles? », l’éclairage apporté par la perspective interactionniste symbolique structurelle (Serpe & Stryker, 2011) permet de réfléchir sur comment le fait d’appartenir au groupe des PEA et de se définir comme tel oriente la manière d’accompagner les stagiaires.

2.2 Le concept de mentorat

Les expressions mentor et mentorat sont fréquemment employées pour désigner les formateurs de terrain dans les écrits francophones et anglophones et ils réfèrent à une posture d’accompagnement adaptée au contexte d’adultes en formation (De Simone, 2021). Le mentorat est donc une forme d’accompagnement bien particulière possédant ses propres caractéristiques, relevant principalement du type de relation qui s’établit entre le mentor et le mentoré (ici la PEA et l’enseignant stagiaire) : en plus d’assurer le développement de la compétence du mentoré, le mentorat a aussi pour but de conforter son développement personnel par une relation humaine de qualité qui s’inscrit dans un désir volontaire d’accompagner une personne moins expérimentée, mais partageant des rôles similaires (Houde, 2011; Paul, 2004). Ce type d’accompagnement sied particulièrement bien à la relation entre les PEA et les stagiaires de l’enseignement professionnel, ces derniers partageant des fonctions semblables au sein du CFP, ce qui n’est pas le cas dans les autres secteurs d’enseignement.

2.2.1 La relation mentorale et les fonctions du mentor

On définit le mentorat comme une relation interpersonnelle de soutien, d’échanges et d’apprentissage dans laquelle une personne d’expérience, le mentor, offre son expertise à une autre personne, le mentoré, dans le but de favoriser son développement professionnel, d’assurer son soutien émotionnel et affectif et de faciliter l’acquisition de compétences (Cuerrier, 2003; Demeyer, 2022). Selon Gagnon (2017), c’est une relation de réciprocité volontaire profondément dynamique et interactive dans laquelle les actions et l’engagement des membres de la dyade permettent la coconstruction de savoirs et de solutions répondant aux besoins, aux défis et aux objectifs personnels et professionnels du mentoré.

Quant à elle, la relation mentorale peut se comprendre comme une « tension entre trois pôles primordiaux : le soutien, le défi et le projet » (Houde, 2011, p. 94). Elle est d’abord une relation de soutien puisque le mentor a pour rôle d’accueillir le mentoré, de l’écouter, de lui donner le sentiment qu’il est compris en tant que personne unique vivant des situations uniques. La responsabilité première de l’accompagnant est donc de reconnaitre les besoins de l’accompagné et d’y répondre. Le mentor tente également de comprendre le langage intérieur du mentoré et sa vision du monde. Enfin, il participe à la construction de l’estime de soi de son protégé, favorise chez lui le développement d’une identité positive et tisse avec lui une relation de confiance où règnent le non-jugement et la confidentialité. La relation mentorale permet aussi de présenter au mentoré de nouveaux comportements, de vivre de nouvelles expériences, de s’ouvrir à des situations moins familières et de prendre conscience de nouvelles façons d’entrevoir le monde. À travers ce pôle de défi, le mentor doit être capable de « confronter de manière aidante; recadrer ce qu’apporte le mentoré; amener de nouvelles informations pertinentes, à la demande du mentoré; fournir des idées; apporter des suggestions quand le mentoré le demande » (Houde, 2011, p. 95). Finalement, le mentor a pour objectif de permettre au mentoré d’atteindre ses objectifs personnels et professionnels, de mettre à jour son projet, de l’affiner et de l’ajuster; c’est le pôle projet. Il requiert que le mentor puisse discuter des attentes et des objectifs que s’est fixés le mentoré, le guider vers les moyens de les atteindre et, finalement, ajuster les défis proposés.

3. Considérations méthodologiques

Les choix méthodologiques effectués dans le cadre de la démarche de recherche ayant permis de recueillir les résultats exposés dans cet article ont visé à saisir le point de vue des PEA par rapport au rôle d’accompagnement qu’elles remplissent auprès des stagiaires. Comme le souligne la problématique exposée, très peu d’informations sont disponibles en ce qui les concerne et, ainsi, une enquête par questionnaire a permis de dégager un portrait plus détaillé concernant ce groupe professionnel (Roy, 2009). Comme stipulé par Fenneteau (2015), en prévision de l’activité de collecte, une liste des informations à recueillir par le questionnaire a été élaborée à partir des éléments théoriques et empiriques consultés. Le questionnaire comprend ainsi quatre blocs : a) les données sociodémographiques; b) la carrière initiale des PEA; c) la période de l’enseignement et d) celle de l’accompagnement.

Dans une perspective complémentaire aux portraits déjà réalisés (Balleux, 2006; Deschenaux et al., 2012; Gagnon & Mazalon, 2016; Rousseau, 2008), le questionnaire se compose principalement de questions ouvertes et a été envoyé aux PEA collaborant avec l’ensemble des universités québécoises offrant un programme de BEP. Seule la question des responsabilités présentée subséquemment utilise une échelle (de très fréquemment à pas du tout fréquemment). Pour les autres questions, les répondants ont été invités à inscrire eux-mêmes la réponse, en chiffre ou en lettre. Cette approche répond en partie à la suggestion de Deschenaux et al. (2012), c’est-à-dire de s’employer à « connaitre la perception des différentes personnes intervenant dans ce programme » (p. 55).

Quant au mode d’administration, considérant l’étalement géographique des participants, il a été décidé d’entreprendre la collecte de données par questionnaire électronique pour plus de flexibilité, d’espace et de temps, ainsi que pour le faible cout de cette méthode. Les institutions universitaires ayant accepté de faciliter la collecte de données, une invitation a été envoyée aux PEA ayant collaboré à la formation des stagiaires au cours des deux à cinq dernières années. C’est donc 1100 invitations qui ont été distribuées lors d’un premier envoi, suivi d’une relance dans les semaines suivantes. Toutefois, il demeure impossible de savoir précisément combien de PEA ont été joints initialement puisque certaines invitations ont été adressées plusieurs fois aux mêmes PEA, ceux-ci ayant accompagné des stagiaires de plusieurs universités.

En termes de limites, le questionnaire à remplir par voie électronique revêt l’inconvénient de permettre aux répondants d’éviter certaines questions jugées gênantes ou inintéressantes (Fenneteau, 2015). De plus, même lorsque les répondants s’expriment par rapport à une question, une fraction des réponses se révèlent inutilisables puisqu’elles ne répondent pas à la question ou qu’elles s’avèrent trop courtes pour être interprétées convenablement. En ce sens, le choix de formuler des questions ouvertes et de laisser le participant libre d’y répondre a créé une disparité dans le nombre de réponses, lequel varie de 125 à 186.

En ce qui concerne l’analyse des données du questionnaire, il va sans dire que les questions ouvertes exigent plus de temps (Fenneteau, 2015). Toutefois, l’appropriation du corpus de données qui en résulte permet de s’imprégner des perceptions des répondants et de donner du sens aux données recueillies. Pour ce questionnaire, l’analyse, réalisée directement dans Excel, a suivi une logique inductive modérée, au sens où le cadre théorique a servi de fondement lors de l’analyse. Ainsi, puisqu’aucune catégorie d’analyse spécifique n’avait été élaborée préalablement, celles présentées dans la section des résultats constituent le fruit d’interprétations, il s’agit donc de catégories émergentes (Blais & Martineau, 2006), au fil des lectures, des relectures et de la codification (Paillé, 2009).

4. Résultats

Cette section présente les principales caractéristiques des PEA en enseignement professionnel au Québec. Les résultats présentés couvrent les quatre blocs du questionnaire mentionnés antérieurement et abordent notamment le genre, la formation, l’expérience, les circonstances d’entrée en fonction et les motivations associées aux principales périodes du parcours professionnel. Une autre section, s’intéressant au rôle professionnel qu’ils s’attribuent, s’attarde au soutien, à la reconnaissance et à la légitimité perçus par les PEA.

4.1 Le genre et l’âge

En ce qui a trait au genre, comme le montre la Figure 1, 63 % des PEA consultées sont des femmes (37 % des hommes). Dans l’étude de Rousseau (2008), c’est 49 % des PEA qui étaient des femmes. Cette proportion de femmes chez les PEA, bien que moins élevée dans cette dernière étude, demeure tout de même plus importante que celle des femmes chez les enseignants en FP. En effet, Balleux (2006) relevait 38 % d’enseignantes dans la profession et Deschenaux et al. (2012), 43 %. À la lumière des informations obtenues à la suite de ces deux études, il semble donc que l’intervention auprès des stagiaires interpelle davantage les femmes que leurs homologues masculins.

Par rapport à l’âge (Figure 1), 13 % des répondants appartiennent à la tranche d’âge des 30-39 ans, 37 % aux 40-49 ans, 39 % aux 50-59 ans et enfin, 11 % ont 60 ans ou plus. En comparaison, le groupe s’avère un peu plus âgé que celui de Rousseau (2008) qui relevait 19 % pour les 30-39 ans, 40 % pour les 40-49 ans et 41 % pour les plus de 50 ans. Cette augmentation s’explique potentiellement par le fait que les PEA persistent dans leur rôle auprès des stagiaires.

Figure 1

Répartition des répondants selon le genre et l’âge.

-> Voir la liste des figures

4.2 La diplomation et l’expérience en lien avec le métier

Les PEA ont été invités à spécifier le plus haut diplôme obtenu en lien avec leur carrière initiale, soit avant leur formation en enseignement. Comme le montre le Tableau 1, 55 % d’entre elles avaient complété, pendant leur carrière initiale, un diplôme d’études collégiales ou universitaires.

Du côté des enseignants en FP, Balleux (2006) indique que c’est 55 % d’entre eux qui détiennent une formation collégiale ou universitaire, un chiffre qui, selon l’auteur, s’explique par la forte proportion d’enseignants dans le domaine de la santé dans leur étude. Sans être clairement précisé, le taux indiqué dans l’étude de Balleux semble comprendre la formation en enseignement, soit le certificat en enseignement professionnel effectif jusqu’à 2003. La présente étude incite donc à penser que les individus ayant poursuivi des études postsecondaires dès leur carrière initiale auraient plus d’intérêt à devenir PEA.

Tableau 1

Plus haut diplôme obtenu en lien avec le métier

Plus haut diplôme obtenu en lien avec le métier

-> Voir la liste des tableaux

Par ailleurs, les PEA interrogées détiennent en moyenne un peu plus de 17 années d’expérience en lien avec leur première carrière, dont 76 % disent posséder plus de dix ans d’expérience. Cette moyenne s’avère plus élevée que celle de l’ensemble de leurs collègues enseignants qui se situe à un peu plus de 13 ans d’expérience (Balleux, 2006). Le groupe des PEA semble donc constitué d’anciens travailleurs davantage formés et plus expérimentés.

4.3 Les circonstances et les motivations menant vers l’enseignement

Dans son étude, Balleux (2006) énonce les raisons pour expliquer le passage du métier vers l’enseignement. Ces raisons évoquent à la fois la manière dont l’occasion s’est présentée et les motifs derrière le choix de bifurquer vers l’enseignement. Le questionnaire administré dans la présente étude distingue ces deux aspects afin d’apporter des précisions. Ainsi, pour 23 % des PEA, « c’est un choix personnel » (PEA48), même un « choix numéro 1 » (PEA38) et, qui plus est, « prévu au plan de carrière » (PEA64). Aux démarches personnelles peuvent sans doute s’associer les offres d’emplois (13 %), puisque ces dernières exigent également une mise en action volontaire. Par la suite, ce sont les sollicitations directes d’acteurs de la FP (17 %) ou du réseau de contacts (17 %) qui ont mené les PEA à considérer l’enseignement comme une avenue possible.

En ce qui a trait aux raisons de ce nouveau choix de carrière, les PEA souhaitent d’abord transmettre leur passion et leur expertise, mais manifestent également d’autres motivations : ils veulent s’accomplir, améliorer leurs conditions de travail, former la relève et expérimenter l’enseignement. Ces réponses des PEA semblent coïncider avec les principales raisons désignées par l’ensemble des enseignants de la FP (Balleux, 2006), soit l’impression d’avoir fait le tour du métier et donc le besoin de vivre autre chose, l’envie de partager et de transmettre ses connaissances, de même que le réseau de contacts et les opportunités d’emploi.

4.4 Le diplôme, le statut d’emploi et l’expérience en lien avec l’enseignement

Une question a permis de spécifier le plus haut diplôme obtenu en lien avec l’enseignement (Tableau 2). Les résultats révèlent, conformément au fait que le BEP existe depuis 2003, la présence simultanée de détenteurs du certificat et du baccalauréat.

Tableau 2

Plus haut diplôme obtenu en lien avec l’enseignement

Plus haut diplôme obtenu en lien avec l’enseignement

-> Voir la liste des tableaux

Chez les PEA de sexe féminin, c’est 65 % qui détiennent le BEP alors que le pourcentage est moins élevé chez les hommes (42 %). De plus, 20 % d’entre eux sont toujours inscrits au BEP même s’ils accompagnent déjà des stagiaires, alors que ce nombre est beaucoup moins élevé chez les femmes (2 %). De manière générale, les résultats au questionnaire témoignent d’un nombre croissant de PEA diplômées du BEP, soit 56 %, alors que Rousseau (2008) relevait 48 % de bacheliers de toutes disciplines universitaires confondues. Du côté des PEA possédant le certificat en enseignement professionnel, leur proportion représente 26 %, alors qu’une dizaine d’années plus tôt, c’était 34 % qui détenaient un certificat universitaire, et pas nécessairement en enseignement (Rousseau, 2008).

À propos du statut d’emploi des PEA, Rousseau (2008) mentionne que 73 % occupaient un poste permanent. D’après le questionnaire de la recherche, ce taux est passé à 62 %. Conformément aux observations relatives aux enseignants en FP dont les statuts précaires ne cessent de croitre (Deschenaux et al., 2012), 37 % des PEA consultées relèvent d’un contrat à temps plein ou à temps partiel. Néanmoins, il demeure qu’elles possèdent une expérience conséquente en enseignement. En effet, 9 % d’entre elles possèdent de 5 à 9 ans d’expérience, 38 % de 10 à 14 ans, 28 % de 15 à 19 ans et 25 % plus de 20 ans. Ces chiffres témoignent de leur persistance en emploi au fil du temps puisqu’en 2008, Rousseau signalait que 28 % des PEA possédaient de 0 à 9 ans d’expérience en enseignement, 30 % de 10 à 14 ans, 23 % de 15 à 19 ans et 10 % de 20 ans et plus.

4.5 L’expérience en accompagnement

Pour ce qui est de l’accompagnement, un peu plus de la moitié des PEA consultées (54 %) étaient actives auprès de stagiaires au moment de l’enquête. Celles qui ont mentionné un statut inactif ont déclaré avoir accompagné leur dernier stagiaire au plus loin 3 ans avant la collecte des données. Les PEA ont été invitées à préciser le nombre d’années d’expérience détenues en accompagnement (Tableau 3).

Tableau 3

Expérience en accompagnement

Expérience en accompagnement

-> Voir la liste des tableaux

Ainsi, 51 % des PEA de l’étude possèdent plus de trois années d’expérience alors que cette proportion était de 40 % selon le rapport de Deschenaux et al. (2012). Il est ainsi possible de voir qu’une certaine expertise sur le plan de l’accompagnement en enseignement professionnel prend forme au sein des CFP. Cette expertise se trouve également dans le nombre de stagiaires accompagnés (Tableau 4).

Tableau 4

Nombre de stagiaires accompagnés

Nombre de stagiaires accompagnés

-> Voir la liste des tableaux

En 2012, c’était 60 % des PEA qui avaient accompagné 4 stagiaires ou moins et 21 % qui en avaient accompagné de 5 à 9 (Deschenaux et al., 2012), contrairement à 51 % pour 4 stagiaires ou moins et 32 % pour 5 à 9 stagiaires dans l’étude actuelle.

4.6 Les circonstances et les motifs menant vers l’accompagnement

Tout comme pour l’enseignement, les circonstances qui ont mené vers l’accompagnement et les motivations des PEA à accepter ce rôle auprès de stagiaires ont été repérées distinctement. En ce qui concerne la manière dont l’opportunité d’accompagner s’est présentée, les principaux acteurs qui en sont responsables ont également été répertoriés (Tableau 5).

L’accompagnement se présente donc par l’entremise d’une demande explicitement formulée par un collègue inscrit au BEP et devant réaliser un stage, ou par la direction du CFP. Dans plus de la moitié des cas, c’est le stagiaire qui recrute lui-même sa PEA. Beaucoup plus rarement, c’est l’université qui fait l’approche. Néanmoins, une PEA sur dix réalise des démarches personnelles auprès de la direction ou d’un stagiaire pour agir auprès de ce dernier. Deschenaux et al. (2012) indiquent que « plusieurs responsables [des stages dans les universités] interrogés saluent la bonne collaboration vécue avec les directions de centres de formation qui participent au recrutement des PEA au regard de critères fournis par l’université » (p. 37). Il appert pourtant que dans 15 % des cas, les PEA acceptent parce que les circonstances les poussent à le faire, bien qu’elles mentionnent très rarement le faire par obligation.

Tableau 5

Manière dont l’opportunité d’accompagner des stagiaires s’est présentée

Manière dont l’opportunité d’accompagner des stagiaires s’est présentée

-> Voir la liste des tableaux

En ce qui concerne les raisons incitant les PEA à accompagner des stagiaires qui, il faut le rappeler, s’avèrent des collègues enseignants pour la plupart, trois principales raisons sont évoquées : d’abord parce qu’elles souhaitent aider les collègues (27 %), ensuite dans le but de former la relève ou de meilleurs enseignants (17 %), enfin, par souci de se développer professionnellement (13 %). D’autres raisons recoupent ces dernières, mais les PEA les ont exprimées de manières différentes, comme le besoin de s’accomplir professionnellement (8 %), l’envie de donner au suivant (8 %) ou le désir de favoriser l’insertion professionnelle des enseignants (7 %). Très rarement, les PEA affirment accompagner les stagiaires pour être rétribués (2 %).

4.7 Les responsabilités des PEA

Sur la question des principales responsabilités qu’estiment accomplir les PEA, les répondants se sont exprimés à propos de 16 éléments (Gagné, 2019). L’Encadré 1, qui résulte de l’inventaire des documents remis par les universités québécoises aux PEA, les présente sous forme de verbes d’action.

Dans l’ensemble, parmi les responsabilités que 50 % ou plus des répondants considèrent occuper très fréquemment se retrouvent le partage de l’information, l’interaction, le soutien, la stimulation, la rétroaction et la guidance auprès du stagiaire, ainsi que l’assurance de la conformité des activités de stage et la collaboration avec le superviseur universitaire. Par la suite viennent les responsabilités d’accueillir le stagiaire, de favoriser par le stagiaire une approche différenciée auprès des élèves, de lui fournir des ressources, de l’observer, de l’évaluer et de favoriser une approche réflexive, ainsi que de planifier pour aider le stagiaire à s’organiser.

Tout comme dans l’étude de Gagnon et Mazalon (2016) qui met en évidence le point de vue des stagiaires, les aspects relationnels occupent une place importante dans le rôle que s’attribuent les PEA. Ils considèrent devoir mettre en place les conditions pour établir une relation favorisant les échanges, notamment par des encouragements et des commentaires positifs. Les points de vue des stagiaires et des PEA semblent néanmoins diverger sur certains points : alors que la collaboration apparait primordiale chez les seconds, les premiers ne l’abordent pas suffisamment pour en tirer des conclusions. De même, la rétroaction semble un élément mitigé du côté des stagiaires, alors que les PEA en font une priorité. Enfin, la seule responsabilité que près de 70 % des PEA ne considèrent que peu ou pas du tout devoir assumer s’avère de se former à l’accompagnement.

4.8 La formation en accompagnement

Parmi les répondants, 72 % stipulent avoir suivi au moins une formation relative à l’accompagnement, ce qui indique que près de trois PEA sur dix ne sont toujours pas formées au Québec. En ordre, les principaux thèmes de formation soulevés sont les rôles et les responsabilités des acteurs, les stratégies d’accompagnement en général, l’observation et l’évaluation du stagiaire, les outils (guides et travaux) et le déroulement du stage. De façon anecdotique, les répondants ont aussi rapporté les plateformes numériques, la planification, l’éthique et les difficultés rencontrées en stage comme sujets traités en formation.

De son côté, le Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (2005) préconise trois composantes de formation : l’observation, la rétroaction et l’évaluation. Bien qu’importantes, ce ne sont pas celles qui ont le plus marqué les PEA consultées. Quant à Portelance (2009), elle rapporte également les rôles et fonctions, les stratégies générales d’accompagnement, les objectifs de stage et l’évaluation des apprentissages du stagiaire, ce qui rejoint davantage les résultats obtenus.

4.9 Le soutien, la reconnaissance et la légitimité

Dès le début des années 2000, le besoin de soutenir la formation des PEA, celui de reconnaitre leur contribution et de favoriser l’accompagnement offert aux stagiaires émergent en enseignement général (MEQ, 2002). Par la suite, des montants sont accordés afin de former et de reconnaitre leur contribution (MELS, 2008). Toutefois, en 2012, les enseignants hésitent encore à devenir PEA parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment reconnus ou rétribués pour ce rôle (Deschenaux et al., 2012). Devant ce constat, les PEA ont été invitées à s’exprimer à propos de cette réalité. Les résultats (Tableau 6) mettent en évidence les acteurs clés de la reconnaissance et du soutien des PEA.

Tableau 6

Acteurs mentionnés comme étant reconnaissants ou soutenants

Acteurs mentionnés comme étant reconnaissants ou soutenants

-> Voir la liste des tableaux

Il appert que les acteurs mentionnés comme étant plus reconnaissants ne correspondent pas à ceux qui offrent le plus de soutien, et inversement. Alors que le CFP en général et les stagiaires se montrent particulièrement reconnaissants auprès des PEA, ce sont les universités et les superviseurs de stage qui les soutiennent davantage, sans toutefois se montrer reconnaissants.

Pour les répondants, le soutien se rapporte principalement à la disponibilité des personnes, aux encouragements et à l’entraide. Il touche la formation offerte, la latitude pour agir ou l’absence de pression, ainsi que les libérations et le partage des ressources ou de l’information. Les acteurs les moins fréquemment associés au soutien s’avèrent les collègues enseignants et, plus encore, les collègues qui sont eux aussi PEA. Il s’avère même que 16 % des PEA ne se sentent pas du tout soutenues. Elles affirment qu’elles font face à des refus lorsqu’elles demandent que les rencontres avec le stagiaire et la personne superviseure soient effectuée durant les heures normales de travail ou qu’il s’agit d’un rôle « pour lequel le soutien vient à peu près juste d’[eux-mêmes] » (PEA220). Au mieux, ces dernières parlent d’indifférence : « […] je n’ai pas senti d’appuis positifs ou négatifs. Bref, aucune interaction à ce sujet » (PEA31). Même celles qui se disent soutenues y voient des limites, comme l’explique un répondant : « […] j’ai l’impression qu’on est tout au sommet de la pyramide et qu’il n’y a personne d’autre pour nous assister » (PEA57). Force est de constater que le sentiment d’être soutenues demeure partagé parmi les PEA. Et, même si « les intervenantes et les intervenants ont demandé un meilleur soutien et davantage de formation pour les enseignantes et les enseignants associés et les mentors » (Deschenaux et al., 2012, p. 50), la situation n’a guère évoluée au cours des cinq dernières années.

Les PEA définissent la reconnaissance par de nouvelles demandes d’accompagnement qui proviennent des stagiaires, par le sentiment d’être appréciées et crédibles au sein de leur CFP, par les commentaires positifs et les nouvelles tâches confiées. Ce qui retient davantage l’attention, ce sont les motivations derrière les marques de reconnaissance perçues. Les répondants déclarent que « [les] stagiaires apprécient le support. Les collègues, eux, sont heureux de ne pas avoir à s’en mêler! » (PEA160). S’ils se sentent reconnus, c’est parce qu’ils prennent en charge une tâche moins désirée. Pourtant, d’autres PEA parviennent à faire ressortir des manifestations qu’elles considèrent être de la reconnaissance, comme l’illustre cet extrait : « […] plusieurs de mes confrères me recommandent aux nouveaux enseignants, et ce, même dans d’autres départements. Ma direction m’appuie dans cette démarche et apprécie mon implication » (PEA68). Il reste donc un travail de valorisation important à faire.

En dernier lieu, les répondants ont pu s’exprimer à propos de la question suivante : « Diriez-vous que vous vous sentez légitime dans votre rôle de formateur d’enseignants? Expliquez. » L’expression « formateur d’enseignants » employée par Portelante et al. (2008) a été utilisée afin de saisir la manière dont les répondants interprètent leur rôle. Or seulement 45 % des PEA disent se sentir légitimes comme personnes formatrices d’enseignants, alors que d’autres parlent simplement d’un rôle de travailleur ou d’une identité d’enseignant. Voici par exemple ce qu’en dit une PEA : « […] être enseignante associée, ça fait partie d’une continuité de ce que je suis : une enseignante. Cela fait partie de nos compétences en enseignement » (PEA166). Un autre répondant rapporte : « […] je ne fais pas de distinction entre un élève de ma classe ou une stagiaire de l’université, mon travail est le même » (PEA71).

Parmi les 55 % de répondants ayant mentionné ne pas se sentir légitimes comme formateurs d’enseignants, 25 % déclarent plutôt se percevoir comme des accompagnants. D’autres soutiennent des idées connexes comme celles d’être des aidants, des collaborateurs, des guides, des mentors, des acteurs de soutien ou des facilitateurs. À ce propos, un répondant affirme : « […] je me sens plus accompagnateur que formateur. Les activités durant le stage sont très encadrées par les cours universitaires et ne laissent pas de place au formateur » (PEA221). Un autre dit :

[…] je me perçois plus comme un accompagnant qu’un formateur. La plupart de mes stagiaires sont déjà enseignants. Ils ont des connaissances, de l’expérience et des compétences. Je ne fais que les accompagner et les guider pour atteindre une diplomation

PEA70

Les PEA parviennent donc difficilement à légitimer le rôle de formateur puisque les stagiaires, souvent leurs collègues, exercent déjà la profession. Elles se positionnent plutôt comme des mentors ou des accompagnantes pour faciliter le déroulement du stage et, surtout, pour apporter le soutien moral nécessaire pendant l’exigeante période des études universitaires.

5. Discussion

Deux questions ont émergé de la problématique concernant le groupe professionnel formé par les PEA en enseignement professionnel et le rôle d’accompagnement qu’elles s’attribuent auprès des stagiaires. La discussion permet d’y apporter des éléments de réponse en plus de tisser des liens avec la dynamique identitaire des PEA.

5.1 La réponse à la question « qui sont les PEA? »

Les résultats ont mis en lumière différentes caractéristiques du groupe des PEA en enseignement professionnel au Québec. En comparaison des proportions d’enseignants et d’enseignantes de la FP, le groupe de PEA se compose d’un nombre plus important de personnes s’identifiant comme des femmes. La moyenne d’âge est de 50 ans et l’expérience acquise est d’environ 17 années dans le métier et de plus de 14 ans dans l’enseignement. Au cours de leur première carrière, près de la moitié ont complété un diplôme professionnel ou ont obtenu seulement un diplôme d’études secondaires, alors que les autres possèdent un diplôme technique ou universitaire de premier ou de deuxième cycle. Si les PEA ont choisi la profession enseignante, c’est par désir d’enseigner ou de transmettre leur passion et leur expertise, de sorte que plusieurs ont effectué des démarches personnelles pour y accéder. Ces raisons, ainsi que le besoin de s’accomplir professionnellement et de relever de nouveaux défis, ont donné un sens à la possibilité d’enseigner leur métier qui s’est présentée sous forme de recrutement ou d’affichage. Par rapport à l’enseignement, la majorité des PEA occupe un poste permanent. Enfin, un peu moins du tiers possèdent un certificat en enseignement alors que les autres ont complété leur BEP ou y sont toujours inscrits.

En ce qui concerne spécifiquement l’accompagnement, les PEA possèdent environ cinq années d’expérience et la moitié d’entre elles ont accompagné cinq stagiaires ou plus. La plupart ont accepté de devenir PEA à la suite d’une demande adressée par un collègue qui devait réaliser un stage. Aider ce collègue et former la relève enseignante sont les raisons qui les motivent particulièrement à remplir cette fonction. D’ailleurs, les PEA s’attribuent avant tout un rôle d’accompagnement du stagiaire, et ce, en lui transmettant les informations, le soutenant, le stimulant, lui offrant des rétroactions et le guidant, de même qu’en s’assurant qu’il réalise les activités de stage en collaboration avec le superviseur universitaire. Les responsabilités relatives à la mise en oeuvre d’une approche différenciée ou favorisant une approche réflexive, de même que l’observation du stagiaire et son évaluation arrivent au second plan, ces dernières s’avérant possiblement trop confrontantes dans un contexte de collégialité.

Il appert également que plusieurs PEA sont formées en accompagnement, sans pouvoir préciser le moment et le lieu de formation. Celles qui ont été formées l’ont été principalement par rapport au rôle et aux responsabilités, ainsi qu’à l’accompagnement inhérent aux fonctions des PEA, ce qui ne les empêche pas d’éprouver encore des difficultés à légitimer leur rôle auprès des stagiaires. De plus, la formation à l’accompagnement semble ne s’intégrer à aucun plan de formation continue et le tiers des PEA n’ont toujours reçu aucune formation.

5.2 La réponse à la question « quel rôle les PEA s’attribuent-elles auprès des stagiaires? »

Les PEA définissent leur rôle de nombreuses manières, ce qui témoigne d’un besoin de clarification et de cohésion. Soulignons que ce groupe se compose de professionnels qui se sentent partiellement soutenus et reconnus. Leurs propos expriment encore des besoins, des manques et des défis, et ce, au-delà du manque de temps pour accompagner les stagiaires. Les PEA abordent chacune des questions en mentionnant très peu les autres PEA auprès de qui elles pourraient se former, s’approprier leur rôle, se sentir soutenues et reconnues. Enfin, leur rôle en enseignement professionnel ne peut vraisemblablement pas se résumer à former des enseignants. Il s’agit plutôt d’un rôle d’accompagnement qui relève principalement du soutien professionnel, affectif et moral apporté à un collègue enseignant. Ce statut de collègues limite encore aujourd’hui, et possiblement plus que jamais, la consolidation d’une identité forte d’accompagnant. Assumer toutes responsabilités qui exigent de faire appel à la confrontation des idées, au positionnement critique ou à l’analyse des pratiques demeure périlleux pour les PEA. Dans une relation où les frontières entre formateur et formé, PEA et collègue stagiaire, mentor et mentoré demeurent floues, il apparait nécessaire de (re)définir ce rôle et d’en partager une vision commune.

5.3 Explication de la dynamique entre l’identité et le rôle d’accompagnant

La perspective explicitée précédemment (Serpe & Stryker, 2011) permet d’illustrer cette dynamique entre l’identité des PEA, leur groupe professionnel et la manière dont elles accompagnent les stagiaires (Figure 2). En résumé, la manière d’accompagner ou les comportements de la PEA constituent la manifestation de son choix de répondre aux attentes qu’elle associe à son rôle. Pour remplir le mandat qui lui est confié, elle doit le connaitre, le comprendre et l’intérioriser, or ce rôle semble encore à définir pour s’arrimer au contexte de l’enseignement professionnel. Parallèlement, l’engagement se comprend comme le lien interactif et affectif de la PEA avec ses homologues.

Figure 2

Adaptation de la figure « basic identity theory » de Serpe et Stryker

2011, p. 23

-> Voir la liste des figures

Par la manière dont les PEA s’expriment, cet engagement apparait encore ténu, voire inconsistant. Les PEA n’emploient que rarement le « nous » pour parler du groupe professionnel qu’elles forment avec les autres PEA, car ce groupe n’existe pas de manière concrète. Souvent seules dans leur programme de formation, elles ont peu de contacts avec les autres PEA en dehors des formations sur l’accompagnement, ce qui reste peu fréquent. Enfin, pour ce qui est de l’identité d’accompagnant, cette entité tend à combler le fossé entre l’engagement et la conduite (Serpe & Stryker, 2011). Autrement dit, cette identité résulte d’un construit arrimant les caractéristiques qui devraient être intériorisées au contact du groupe des PEA avec la manière dont elles choisissent d’exercer leur rôle professionnel auprès des stagiaires, ce qui explique la difficulté à légitimer leur pratique d’accompagnement.

Conclusion

Les quelques portraits des enseignants en FP et de leurs formateurs en enseignement professionnel brossés au cours des dernières décennies ont contribué à caractériser ces différents groupes. Toutefois, aucun d’entre eux n’avait permis de saisir dans son ensemble, de façon actuelle et selon leur contexte propre, le groupe des PEA. L’étude menée a permis de dégager leurs caractéristiques ainsi que le rôle qu’elles s’attribuent auprès des stagiaires. Les résultats ont mis en évidence des défis par rapport à la définition de ce rôle, de même qu’à son appropriation.

Le rôle des PEA en enseignement professionnel au Québec, tel qu’il est défini dans les documents et les référentiels consultés, interpelle peu ce groupe d’intervenants. Certes, ceux-ci remplissent nombre des fonctions énumérées par ces documents et assurent, à leur façon, le bon déroulement des activités de stage, mais ils ne se perçoivent pas comme des formateurs d’enseignants. À ce titre, répondent-ils vraiment au mandat qui leur est confié par les instances de formation initiale en enseignement? Ce mandat répond-il aux besoins des stagiaires? Ne devrait-on pas davantage insister sur une conception de leur rôle qui s’apparente plus à celle du mentor que du formateur? Est-il vraisemblable de concilier le rôle de formateur et d’accompagnant dans un contexte de collégialité? Dans le contexte où les PEA ont peu de contact entre elles, qu’elles n’inscrivent pas l’accompagnement dans une démarche de formation continue et que la valorisation et la reconnaissance de leur rôle n’incombent à personne en particulier, il semble nécessaire de préciser, voire de redéfinir ce rôle en vue d’une réappropriation.

Des actions sur différents plans peuvent sans doute être mises en oeuvre. Sur le plan professionnel, les PEA bénéficieraient d’être mieux informées de l’offre et des formules employées en formation, qui devraient notamment faire appel à la collaboration et aux situations authentiques issues du terrain, ainsi que des avantages de se retrouver entre pairs pour échanger. Les directions et les conseillers pédagogiques devraient également être sensibilisés à l’importance de leurs interventions pour la reconnaissance et la valorisation du rôle des PEA. Sur le plan universitaire, des activités de réflexion, possiblement sous forme de consultation, invitant l’ensemble des intervenants des universités offrant un programme de BEP à s’exprimer sur le rôle attendu et rempli par les PEA, permettraient d’en dégager une définition mieux adaptée au contexte de ce secteur. Sur le plan scientifique, ce portrait invite d’abord à un approfondissement de la compréhension du rôle des PEA avec des entretiens individuels ou de groupe afin d’explorer les points cruciaux soulevés dans ce questionnaire. De plus, il ouvre la voie à des recherches collaboratives avec des PEA, notamment pour coconstruire autour des pratiques d’accompagnement auprès des stagiaires, explorer des pistes de développement professionnel et favoriser l’émergence d’idées innovantes pour contrer les obstacles et les difficultés rencontrées dans l’accompagnement des stagiaires. Par leur engagement dans la recherche, les PEA et les chercheurs favoriseraient ainsi la construction et la consolidation de l’identité professionnelle d’accompagnant en enseignement professionnel.