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Introduction

Le coaching est une pratique protéiforme (Grant et al., 2010) parmi les multiples formes d’accompagnement professionnel (Paul, 2004). L’accompagnement professionnel s’exerce généralement en contexte de rupture consistant en un « accident ou altération ou problème, à partir duquel la vie se trouve réinterrogée [et tend] à une prise en compte des revers existentiels » (Paul, 2004, p. 241). L’accompagnant ne connaît pas où le mènera cette « rupture » ou cette situation de passage, mais, à tout le moins, il connaît ce vers quoi tend l’accompagnement, soit vers un raffermissement du lien à soi, vers l’individuation, vers la maturation (Paul, 2004).

Comme le souligne Paul (2004), dans le contexte culturel actuel valorisant l’autonomisation, les individus en sont venus à nier et à exiger la transformation de l’autorité issue d’une culture où règne le pouvoir de l’expert. Ils exigent désormais une posture chez le professionnel non plus orientée uniquement sur la maladie à traiter ou sur un savoir à fournir, mais plutôt orientée sur l’humain qui cherche à guérir, à se construire, à se lier. Cette dialectique implique des tensions, parfois des paradoxes, mais également des réflexions sur l’éthique de l’accompagnement du point de vue des coachs. Mais comment être en relation comme coach en facilitant ces passages aux visées identitaires?

Les travaux sur le coaching développemental n’apportent que peu de réponses à cette question pourtant cruciale d’un point de vue managérial, pratique et théorique. Cette question constitue le fil d’Ariane de cette démarche de recherche de type heuristique portant sur la dynamique relationnelle de l’autorité telle que vécue en coaching et valorisant le savoir praticien, dont celui de la première autrice, elle-même coach. Cette recherche contribue à une meilleure compréhension du coaching organisationnel de type développemental auprès des gestionnaires et entrepreneurs. D’un point de vue théorique, nos résultats contribuent à documenter et à comprendre les tensions relatives à la dynamique de l’autorité en coaching et informent la pratique sur les moyens utilisés par les coachs d’expérience pour les gérer et favoriser le développement identitaire des coachés.

Dans la prochaine section, des connaissances scientifiques et non scientifiques variées de même que des vécus mobilisés pour identifier les enjeux relatifs à la pratique du coaching organisationnel de type développemental sont exposés. Les objectifs de cette recherche et la méthodologie sollicitée pour les atteindre sont ensuite présentés, suivis de l’analyse, d’une discussion et d’une conclusion.

1. Problématique

Dans la problématique exposée ici, il est question de la nécessité, au 21e siècle, d’outiller les coachs faisant face, dans leurs fonctions, à des défis relationnels. Cela nous incite à explorer un angle nécessitant plus de recherche soit la dynamique relationnelle de l’autorité en coaching.

1.1 Défis relatifs au coaching organisationnel et à la dynamique relationnelle du XXIe siècle

Le coaching organisationnel désigne un coaching réalisé dans le monde du travail et non nécessairement destiné aux cadres supérieurs (exécutifs), comme c’était le cas au début de son implantation dans le monde organisationnel (Bachkirova & Borrington, 2019). Le coaching développemental, plus particulièrement,

[…] a pour but d’aider le coaché à développer une compréhension de plus en plus complexe du soi, des autres et des systèmes dans lesquels il est impliqué, cela afin de lui permettre de relever plus efficacement les défis actuels et futurs (Bachkirova et al., 2010, Standards Australia, 2011)[1] [traduction libre]

Susing & Cavanagh, 2013, p. 58

Parmi les problèmes entourant le coaching, Bachkirova et Borrington (2019) dénoncent une tendance forte à valoriser la neutralité du coach, ce qui correspond à une vision possiblement trop étroite et utilitariste du coaching. Ces auteurs invitent plutôt à requestionner le but du coaching dans une attitude pragmatique au sens de Dewey, et non au sens utilitariste tel qu’utilisé dans le langage commun. Persson et al. (2011), eux, observent que certains praticiens du coaching ont tendance à suralimenter chez les clients des rêves plus ou moins réalistes, et invitent à habiliter les coachs en matière de vigilance et d’éthique. Bachkirova et al. (2017) considèrent le coach comme le principal instrument du coaching et insistent sur l’importance de développer le coach sur le plan moral, en soulignant parallèlement la difficulté à le faire, notamment à cause de la diversité en matière de maturité des personnes formées au coaching.

Drake (2011) souligne que d’un coach à l’autre, les niveaux d’intégration et d’intérêt à l’égard des trois types de connaissances décrites par Platon varient, à savoir l’épistémè (connaissance du monde), la technè (technologie) et la phronésis (prudence, sagesse ou éthique de l’action). Aussi, il soulève la nécessité de développer des praticiens maîtrisant « l’art » du coaching sur ces trois formes de connaissance, ce qui implique un travail réflexif. Pour Shoukry (2016), le coaching comme médium de développement et d’apprentissage peut assumer un rôle propice à l’émergence d’une culture favorable au mieux-être individuel, organisationnel et social. Selon lui, il est temps que les chercheurs en coaching s’impliquent davantage dans des recherches visant l’émancipation face à l’oppression parfois injuste, même violente, dans un environnement donné.

La première autrice de la recherche dont il est question dans cet article est coach de gestionnaires de différents niveaux hiérarchiques et formatrice de coachs de gestionnaires. Elle observe dans sa pratique cette disparité de maturité chez les apprenants-coachs, tel que cela a été mentionné dans la littérature précédemment citée. La question de l’autorité la touche particulièrement à cause des différences qu’elle perçoit entre sa propre relation à l’autorité et celle qu’elle observe chez certains apprentis coachs et certains coachés. Le style d’autorité qui l’a contaminée à l’enfance est celle de son père, chef d’entreprise, ancien professeur, qui a été son patron et mentor, et dont le style était fortement influencé par la pédagogie développée par les salésiens. Pour Jean-Marie Petitclerc, lui-même éducateur et père salésien, « nouer une relation d’autorité, c’est permettre au jeune de révéler ses talents » (2016, p. 19). Il décrit l’autorité en rappelant ses racines étymologiques :

Le mot autorité vient du latin « augere », qui signifie « croître ». Une relation d’autorité, c’est la relation qui fait grandir. « Autorité » et « auteur » ont la même étymologie. Une relation d’autorité, c’est une relation qui permet à l’enfant, à l’adolescent qui grandit à devenir auteur de sa vie. […] On ne peut « avoir » l’autorité. On fait, ou on ne fait pas autorité. L’autorité c’est une relation

Petitclerc, 2016, pp. 14-15

Pour lui, de nos jours, l’autorité repose désormais sur la crédibilité du détenteur de l’autorité et de la création de l’« espace potentiel » (p. 25) propice au développement qu’il sait installer dans une conjugaison juste entre affectivité et autorité et où une juste distance relationnelle est à définir en prenant en compte la singularité de l’histoire et du contexte de chaque jeune. Robbes (2006), pour sa part, définit l’autorité pédagogique selon une perspective où elle est continuellement négociée :

l’autorité est une relation statutairement asymétrique dans laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifié, manifeste la volonté d’exercer une influence sur l’autre reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa part et sans recours à la contrainte physique une reconnaissance que cette influence lui permet d’être à son tour auteur de lui-même

Robbes, 2006, p. 7, c’est l’auteur qui souligne

Mais qu’en est-il particulièrement en coaching organisationnel de cette juste distance, de cette autorité dans un contexte où il ne s’agit pas d’accompagner un enfant, mais un adulte à révéler son potentiel et, ultimement, de sa propre autorité dans un contexte professionnel spécifique? Cette tâche, définir l’autorité en coaching, reste à faire, nous l’approfondissons dans ce qui suit.

1.2 Autorité et coaching

« L’autorité est un fait de relation » (Mucchielli, 1976, p. 5). Ses mécanismes se manifestent chaque fois qu’il y a recherche de structuration, soit lorsqu’entre en relation « un groupe humain ayant des buts » (Mucchielli, 1976, p. 4). Puisque le coaching poursuit des buts et qu’il implique au moins le coach et le coaché, le phénomène de l’autorité prend forme.

Les mots autorité et pouvoir sont souvent utilisés indifféremment. Une façon de les distinguer est que plus un chef a d’autorité, moins il a besoin d’utiliser la contrainte (son pouvoir), et moins il a d’autorité, plus il a besoin de contraindre (Mucchielli, 1976). La dynamique de la relation de pouvoir en coaching a été étudiée dans une perspective des relations au sein du système (Fatien-Diochon & Louis, 2015; Louis & Fatien-Diochon, 2018). Néanmoins, peu de recherches sur le coaching ont porté sur la dynamique relationnelle en coaching et encore moins sur la dynamique relationnelle de l’autorité dans ce contexte, alors qu’elle est pourtant au coeur de celle-ci.

Bayad et al. (2010), qui s’intéressent à l’accompagnement entrepreneurial (non spécifiquement au coaching), mettent en perspective que la dynamique de l’accompagnement repose en grande partie sur le savoir évolutif des individus qui interagissent et qu’il est inséparable de la relation. Par ailleurs, le savoir de l’accompagnant ne prend pas la même place ni la même forme selon son positionnement sur le continuum dialogique du développement décrit par Rolfe (2015), entre le pôle « enseigner » des compétences pour que l’apprenant réalise des tâches spécifiques, et celui de « faciliter », ce qui est davantage en lien avec le développement de capacités nécessitant des prises de conscience.

Passer d’un pôle à l’autre pour l’intervenant n’est pas si facile. La première autrice l’observe chez les coachs qu’elle forme. Pour leur part, Fatien-Diochon et Otter (2015) observent cette difficulté chez les dirigeants apprenant à coacher et qui sont appelés à faciliter plutôt qu’à fournir des instructions. Ils font état de facteurs clés pour qu’ils y parviennent, ceux-là allant au-delà de

l’acquisition de compétences spécifiques en coaching, [soit] une meilleure conscience de soi (McLean, Yang, Kuo, Tolbert, & Larkin, 2005), l’auto-efficacité (Bandura, 1977) et des changements dans les valeurs et les mentalités, qui reflètent tous des « ordres de conscience plus complexes » (Hall, 1994; Kegan, 2000; McCauley, Kanaga, & Lafferty, 2010)[2] [traduction libre]

Fatien-Diochon & Otter, 2015, p. 29

Stein (2009), de son côté, s’explique mal les patterns conversationnels en coaching, et considère les tendances qu’elle observe comme pouvant varier en fonction des antécédents professionnels des coachs. Par exemple, parmi les postures conversationnelles (qu’elle nomme « identités conversationnelles »), qu’est-ce qui explique qu’un coach va combiner une intervention informationnelle pour guider avec une posture relationnelle en étant soit soutenant, challengeant, encourageant ou amical? Et si leur relation à l’autorité était en cause? Cette piste nous semble pertinente à examiner.

De plus, certaines des identités conversationnelles que Stein (2009) évoque représentent, les unes par rapport aux autres, des polarités quasi paradoxales à utiliser, dont les trois suivantes, identifiées par Glunk et Follini (2011). Elles se situent entre ces extrêmes : 1) favoriser la sécurité et confronter; 2) encourager l’acceptation de soi et favoriser des changements; 3) approfondir davantage les apprentissages et encourager à l’action. Puisque le coach peut être piégé entre ces paradoxes, il est susceptible d’adapter inadéquatement sa posture s’il ne développe pas sa propre vigilance ou sa conscience (awareness) par rapport aux choix d’identités conversationnelles qu’il va privilégier. Cela soulève encore une fois l’importance de mettre au jour davantage de connaissances sur le coaching pour soutenir la formation et le travail réflexif des coachs.

2. Objectifs

Le but de cette recherche est de mieux comprendre le phénomène social de la dynamique intersubjective de l’autorité en coaching et plus spécifiquement, de répondre à cette question : en coaching organisationnel, comment est vécue et comment évolue la dynamique intersubjective de l’autorité impliquant un travail identitaire émancipateur, engageant et transformant les interactants?

Nous visons également à valoriser le vécu et le savoir des praticiens de même, que la subjectivité engagée du chercheur. Il s’agit ici particulièrement de la subjectivité de la première autrice, elle-même praticienne, d’où le choix de la méthodologie adoptée et décrite ci-après. Au terme de cette démarche, nous serons à même de proposer une nouvelle définition de l’autorité en coaching organisationnel.

3. Méthodologie

La recherche heuristique choisie comme méthodologie est décrite dans ce qui suit, de même que la documentation, le protocole d’entrevue et les participants sollicités.

3.1 La recherche heuristique

Pour atteindre les objectifs de recherche, une approche d’affiliation phénoménologique a été privilégiée, soit la recherche heuristique établie par Clark Moustakas. Le mot eurêka est un cousin du terme heuristique désignant le phénomène « ahah » de la découverte. Un dispositif réflexif subjectif fait partie intégrante de la méthode pour favoriser l’émergence de ce « ahah » chez le chercheur qui vise à élucider le sens et l’essence d’une expérience humaine (Douglass & Moustakas, 1985). Comme les biais et les modèles mentaux sont considérés comme servant, de façon transparente, à la construction de la connaissance (Sultan, 2018), cette méthodologie se situe dans une ontologie interprétativiste.

Cette méthodologie se caractérise par une question de nature autobiographique qui met au défi personnellement le chercheur. Cette question n’est pas que personnelle, elle est aussi de portée sociale et même parfois, universelle (Sultan, 2018). Comme aboutissement, il ne s’agit pas d’identifier les causalités, mais plutôt de comprendre et d’expliquer comment existe un phénomène dans l’expérience humaine (Douglass & Moustakas, 1985).

Ce type de recherche repose sur des principes empruntés à Michael Polanyi pour stimuler l’imagination du chercheur, de même que sur un processus en six phases culminant en une synthèse créative. Ces principes sont : la connaissance tacite, l’intuition, l’indwelling, le focusing et le cadre interne de référence (Moustakas, 1990; Sultan, 2018). Les six phases de l’approche heuristique sont : l’engagement initial, l’immersion dans le sujet et les questions, l’incubation, l’illumination, l’explication et une culmination par une synthèse créative (Moustakas, 1990).

Pour accroître la richesse des connaissances mises en lumière, le chercheur peut faire appel à des participants, considérés comme des co-chercheurs (Sultan, 2018), ce qui est le cas ici.

3.2 Documentation

La recherche heuristique n’est pas conventionnelle. Aussi, il est requis que le chercheur s’offre la liberté de considérer plusieurs méthodes et stratégies pour dénouer l’intrigue de sa recherche (Douglass & Moustakas, 1985). Il peut inclure différentes sources d’information, dont la littérature, les individus, les groupes, les documents ou artéfacts (Sultan, 2018). Les principales sources sollicitées ici ont été des entrevues semi-dirigées auprès de coachs-praticiens de même que la littérature académique et non académique, et particulièrement, la littérature salésienne, source d’intrigue stimulant cette recherche.

En effet, en consultant les nombreux ouvrages que lui a fournis sa tante, religieuse salésienne, la première autrice a pris conscience de la grande influence de cette pédagogie sur sa propre façon de voir l’autorité et le coaching. Comme il a été souligné précédemment, cette pédagogie lui a été inculquée par son père, lui-même éduqué chez les salésiens; elle est caractérisée par un système éducatif préventif et non répressif (Bouchard, 2008). Pour l’autrice, dénouer et comprendre cette intrigue de l’autorité, enrichie par la lunette salésienne, et cela dans un domaine où elle exerce le coaching, étaient fortement porteur de sens.

Comme stratégie complémentaire, elle a usé d’un journal du chercheur, considérant l’importance de sa subjectivité pour cette recherche. Cet outil lui a permis de déposer ses réflexions et de faire évoluer sa pensée tout au long de la recherche.

3.3 Protocole d’entrevue semi-dirigée

Aux fins de collectes de données, parmi trois formes principales d’entrevues, soit la conversation informelle, le guide d’entrevue et des questions prédéterminées et formulées mot à mot aux participants, Moustakas (1990) considère que la conversation informelle est la forme qui respecte le mieux le rythme et la fluidité que requiert l’approche heuristique. Le confort et l’empathie que sait créer le chercheur ont aussi un impact sur la qualité, la précision et la complétude des données collectées en entrevue (Moustakas, 2015). Ainsi, suivant les conseils de Moustakas (1990), les entrevues ont été réalisées avec une grande flexibilité et en faisant abstraction le plus souvent de la prérogative de temps. Parfois, non pas une, mais deux entrevues ont été réalisées. Ainsi, avec certains participants, deux rencontres d’une heure trente environ ont eu lieu, suivi en plus d’une autre rencontre aux fins d’enrichissement et aussi pour s’assurer de la concordance (adéquation) entre les synthèses proposées par la chercheuse et les idées recueillies auprès d’eux.

Le fait que l’interviewer pour cette recherche soit une coach et qu’elle soit entraînée en quelque sorte à créer un climat de confiance était un atout indéniable pour offrir de la richesse aux données. Ce climat empathique habitait bel et bien les entrevues. Nous percevons également que de partager leur vécu avec une semblable, une praticienne du coaching tout comme eux, a contribué à la richesse de l’essence de ce qui a été partagé, exploré, livré. Par ailleurs, un protocole d’entretien semi-dirigé a été développé et utilisé, puis allégé au fur et à mesure de son usage. À l’instar de ce que suggère Sultan (2018), il nous a été utile comme aide-mémoire et pour guider la création d’une ambiance propice.

3.4 Les participants

Le nombre de répondants pour ce type de recherche est davantage un choix de chercheur, certaines recherches heuristiques n’en ayant qu’un seul (Sultan, 2018). Ici, sept coachs formés au coaching ont participé à des entretiens tenus en personne ou en ligne, selon ce qui était le plus facile sur le plan logistique. Après avoir rencontré le septième coach, le sentiment d’avoir suffisamment de matériel pour atteindre les objectifs de cette recherche est survenu, ce qui se rapproche du critère de saturation utilisé par une autre méthodologie d’affiliation phénoménologique, la théorisation enracinée (Luckerhoff & Guillemette, 2012).

La première autrice a recruté ces coachs depuis son réseau professionnel et via LinkedIn. La présente recherche étant réalisée dans le domaine de la gestion, les co-chercheurs retenus sont des coachs organisationnels (coachs de gestion) internes ou externes, intervenant auprès de gestionnaires, d’entrepreneurs ou de professionnels. Les coachs internes ont un poste au sein d’une organisation dont la tâche est de coacher des personnes de leur organisation qui n’ont pas de lien de supervision avec eux. Les coachs externes sont des fournisseurs sans lien d’emploi avec l’organisation des coachés.

La généralisation n’étant pas visée, notre échantillon n’est pas représentatif de la composition démographique des coachs. La richesse étant cependant visée, les coachs recrutés possèdent des caractéristiques démographiques variées. Elles sont déclinées dans le Tableau 1 où apparaissent, pour chacun des participants, un nom fictif, le genre, la tranche d’âge, le nombre d’années d’expérience en coaching et l’organisme de certification de la formation dont, pour plusieurs, l’International Coaching Federation (ICF). Pour le lecteur, ce tableau aide à voir brièvement les caractéristiques teintant le vécu rapporté dans les résultats.

Tableau 1

Description des coachs ayant participé à la recherche

Description des coachs ayant participé à la recherche

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4. Analyse des données et de la documentation

Tel que le propose Moustakas, « comme processus essentiel à l’analyse, le chercheur doit développer une connaissance intime du matériel de chaque participant et pour l’ensemble des participants »[3] [traduction libre] (Moustakas, 2015, p. 314). De plus, ce processus qu’il adapte rend unique sa recherche et sollicite grandement sa créativité (Douglass & Moustakas, 1985). Parmi les stratégies utilisées pour assurer la rigueur de la méthode et pour développer cette connaissance intime du matériel, la première autrice de ce travail de recherche a personnellement réalisé chaque entrevue. Elle a aussi réalisé la transcription intégrale de plus de 50 % des entretiens, l’autre 50 % ayant été confié à un tiers professionnel. De plus, peu après l’entrevue, elle a effectué une première synthèse créative de celle-ci sous forme d’illustration. Elle a ensuite reconstruit un par un, à l’aide des retranscriptions de chaque entretien, un abrégé de l’entrevue en l’organisant par sous-thèmes et en usant d’un mode d’écriture situé dans l’esprit de la phénoménologie, tel que la décrit Van Manen (2016), et visant à montrer l’émotion et le vécu de façon sensible et vive. Dans tous les cas, cette première analyse, sous forme de texte et d’illustration, a été soumise aux co-chercheurs (les coachs). Dans la majorité des cas, en plus d’échanges de courriels, un entretien supplémentaire a eu lieu où chacun a pu améliorer le contenu pour le rendre plus riche et confirmer la concordance des synthèses réalisées relativement à son propos. De plus, chaque co-chercheur a pu donner son aval sur la façon de masquer son identité.

Avant d’en arriver à une explication du phénomène et à une synthèse créative, la première autrice a continué son « immersion » et son incubation dans les données en comparant ses notes, en les retravaillant et en comparant les illustrations individuelles, et cela, en gardant à l’esprit de traduire sa compréhension à un public de coachs en perfectionnement. À un moment non planifié, une « illumination » lui est venue en esquissant une synthèse. Cette esquisse du phénomène l’a satisfaite, car elle la percevait représentative et utile aux praticiens. Son allure a été affinée grâce à des échanges avec le co-auteur de cet article. Un peu plus tard, elle en est venue à une synthèse sous forme de poème, puis à une définition de l’autorité en coaching.

5. Résultats de recherche

Pour les recherches heuristiques, les résultats présentés comprennent différentes synthèses, dont une représentation globale des thèmes observés où sont insérés quelques extraits de verbatims, deux ou trois portraits individuels et une synthèse créative (Moustakas, 1990, 2015). Dans ce qui suit, nous débutons par une synthèse très sommaire de notre analyse, suivie d’une analyse des sous-thèmes observés selon trois tensions. Nous illustrons ensuite notre compréhension sous forme de représentation globale, suivie de deux portraits individuels, puis de deux synthèses créatives finales, l’une sous forme de poème, l’autre sous forme de définition.

5.1 Thèmes observés et représentation globale

Tout d’abord, le mot autorité génère différentes positions et émotions chez les participants, dits « co-chercheurs », considérant l’approche scientifique choisie. Ce mot « autorité » est associé chez plusieurs à l’idée d’autoritarisme. Par exemple, Catie parle avec dégoût de l’autorité comme « la force des faibles ». Par contre, elle se rend compte pendant la discussion que bien qu’elle déteste le cadre, elle est très encadrante et structurée dans son approche de coaching. Pour Lorrie, le mot « autorité » lui rappelle sa peur des punitions comme enfant à qui ses parents exigeaient de performer et d’être sage. Par contre, chez Marc, l’autorité est plutôt associée à la grandeur, à la beauté, au calme du lever du soleil, à l’autorité « absolue ». Rosanne, pour sa part, distingue l’autorité entre « pouvoir sur » et « pouvoir de », conceptualisation qu’elle emprunte à Marilyn French (La fascination du pouvoir, 1985). Selon Rosanne, le coach n’a pas le « pouvoir sur », soit le pouvoir d’obliger. Il a plutôt le « pouvoir de », soit celui d’influencer. Alex, lui, en parle comme suit :

J’aimerais croire qu’on pourrait en venir à bannir cette notion d’autorité et en venir à une espèce de rapport beaucoup plus rationnel où on arrive finalement à faire les choses qui doivent être faites, sans imposer une autorité quelconque… une espèce de main invisible qui permet d’éviter toutes ces relations d’autorité. Et, en même temps, je n’y crois pas, mais… je garde mon rêve

Alex

Cette dichotomie par rapport au mot « autorité » était anticipée et c’est en partie ce qui nous a incités à aborder ce phénomène mal aimé, mal connu et presque tabou chez les coachs. En effet, en coaching, selon notre expérience du terrain, on ne parle pas de l’autorité du coach, mais plutôt de sa neutralité.

À travers l’analyse des récits reconstruits des co-chercheurs, nous observons que l’expérience de l’autorité en coaching est vécue à travers trois grandes « tensions » caractérisant la relation coach-coaché, faisant résonance au processus d’émancipation en coaching. Sans qu’elles soient parfaitement distinctes et mutuellement exclusives les unes des autres, nous identifions les tensions suivantes où, idéalement, la relation participe à lier, délier-relier et ultimement rallier, soit :

  1. La tension de l’incertitude entre le doute et la confiance, résolue en liant les interactants;

  2. La tension de la révolution cognitive visible par la crise entre incohérence/cohérence ou encore les mensonges/vérités, puis résolue en déliant et en reliant les idées;

  3. La tension de l’émancipation structurante, visible par la fermeture ou l’ouverture, soit par l’expression d’un ralliement par l’accueil du sens et de la notion d’interdépendance.

Selon cet angle des tensions, l’autorité en coaching peut être vue comme un phénomène structurant enacté dans une dynamique visant à rétablir l’incertitude où se vivent des révolutions et où agissent (l’inaction étant aussi un acte) les interactants aboutissant à du développement et des résultats.

Dans ce qui suit, chacune de ces tensions est examinée. Les extraits rapportés sont issus de la reconstruction des entretiens et ne correspondent pas au mot à mot exact.

5.1.1 La tension de l’incertitude, dite aussi de « doute/confiance »

Notre analyse révèle que la relation entre le coach et le coaché en est une qui peut osciller entre le doute et la confiance, cette dernière n’étant pas accordée d’emblée. Des stratégies favorisant le lien de confiance entre coach et coaché sont mises en évidence ci-après dont celles utilisées par le coach pour montrer ou démontrer sa crédibilité et son savoir-être. Il est aussi question des manières selon lesquelles le coach propose ou entretient un cadre protecteur.

Entre le coach et le coaché, la tension intersubjective doute-confiance commence à être vécue avant même la signature du contrat de coaching et influe sur le maintien du processus. Alex souligne l’impact de la confiance accordée, basée sur son histoire professionnelle d’expert. Rosanne, quant à elle, nous parle de la perception du coaché telle qu’il la comprend, lui et sa culture. Dans le cas d’un coaché d’origine autochtone, Rosanne nous raconte que cela a pris deux rencontres pour tisser ce lien qui a fait qu’il la choisisse. Clodine, elle, ajoute la notion du savoir-être.

Mon autorité comme coach me vient de ce que je prétends être, de mes diplômes, de ce que je fais sur les réseaux sociaux, de mon implication. J’imagine… de qui je suis aussi. Tu sais, de mon être profond. De ma volonté, de ma vision stratégique aussi, d’une certaine cohérence, j’imagine. Malgré que j’aie des incohérences comme tout le monde

Clodine

Par ailleurs, considérant que la confiance n’est jamais totalement acquise ou assurée, plusieurs coachs racontent attendre le bon moment et que la relation soit assez solide pour émettre certaines idées, questions ou observations qui confrontent, bien que constructives. L’humour et l’atmosphère dans laquelle les choses sont dites courageusement et avec respect participent aussi, selon Clodine et Rosanne, à maintenir la confiance et le mandat. De plus, la confidentialité que le coach sait préserver en regard des propos du coaché fait partie de cette confiance nécessaire, comme en témoigne Lorrie, coach interne. Elle raconte même qu’elle se sent parfois testée à cet égard par certains coachés.

Néanmoins, tous s’entendent sur l’importance de la confiance et cet extrait en fait foi :

En coaching, tu sais, plus la relation de confiance est solide, plus tu peux exercer une certaine forme d’autorité. […] Tu sais, c’est souvent dans notre discours de coach de dire cela : « Fais-moi confiance, tu vas atteindre tes objectifs plus vite. Tu vas voir, on va y arriver. » C’est une forme d’autorité qui passe d’abord par le lien de confiance

Rosanne

Par contre, le coach aussi, de son côté, peut avoir des doutes. Il peut retenir son intervention par manque de confiance dans le potentiel du coaché. Alex rapporte un coaching où les résultats étaient moins bons et où il avait omis d’explorer un aspect pourtant utile au leadership de son coaché, la barrière de la langue. Il ne croyait pas en la capacité du coaché à développer l’apprentissage de l’anglais. Aussi, il n’a pas abordé ce thème et il souligne même que c’est en en parlant, dans cet entretien, qu’il en a pris conscience.

Catie, pour sa part, raconte le doute à l’égard des intentions du prescripteur du mandat. Elle donne l’exemple d’une rencontre qu’elle a sollicitée avec celui-ci, car elle doutait de l’objectif de coaching énoncé pour son futur coaché. Par cette discussion en amont du mandat, le vrai problème a été mis à jour et a été abordé hors coaching. Le mandat de coaching ne s’est pas matérialisé puisqu’il était non fondé. Comme stratégie, Catie souligne que, dans son approche, elle est très soigneuse dans l’énoncé des objectifs encadrant le mandat. Cela constitue une autre forme de la dynamique relationnelle, soit poser un cadre clair régissant le mandat entre les interactants du coaching, soit le prescripteur, le coach et le coaché.

5.1.2 La tension de la révolution cognitive et des attitudes

La seconde tension identifiée est de l’ordre plus existentiel d’un passage, d’une crise de valeurs, voire d’une révolution relative à un aspect voilé, méconnu ou même nié chez un individu. Une telle révolution, souvent douloureuse, nous est racontée comme faisant partie du développement de plusieurs coachs participants, qui doivent développer des attitudes les aidant aujourd’hui à soutenir les coachés vivant de telles crises. Ils ont développé l’humilité, la connaissance de soi, l’empathie, la capacité à convaincre sans apeurer et aussi à transformer leur relation à la performance, ce qui invite au sens.

Au sujet de l’humilité, Rosanne nous raconte sa « chute », tant au plan littéral qu’au plan figuré, vécue dans le contexte d’un déménagement temporaire à l’étranger. En plus de tomber et de se blesser, elle a réalisé qu’elle ne se connaissait qu’à travers son statut de dirigeante, ce qu’elle n’était plus à l’étranger. Elle a fait toutes sortes d’activités pour guérir et se connaître, ce qui fut long et douloureux. Cela l’a emmenée à l’apprentissage de l’humilité, une attitude qu’elle juge indispensable pour l’aider à aimer sa posture de coach moins visible. Elle mentionne : « Tu sais, comme dans les cahiers d’école, le coach est dans la marge, pas au centre de la page comme un dirigeant. » De plus, se connaissant mieux et assumant pleinement ses valeurs, lorsqu’elle voit des écarts entre ce que font ses coachés et ses valeurs ou son éthique, elle dit savoir oser dire sa désapprobation, ce qu’elle a fait avec un coaché qui est de culture plus « autoritariste », ayant un comportement très proche du harcèlement psychologique avec son personnel. Elle l’a ensuite aidé à le corriger.

Catie traite de la question de se connaître en évoquant le courage nécessaire pour cesser de se mentir à soi-même et pour devenir apte à aider l’autre à être honnête avec lui-même. Elle attribue sa capacité à solliciter l’authenticité chez l’autre au travail qu’elle a fait sur elle. Pour imager, elle dit avoir retiré les pelures d’oignon pour saisir ce qui est au coeur d’elle-même; les avoir retirées l’a libérée de ce qui l’emprisonnait. Dans sa pratique, comme stratégie, elle dit user de sa grande capacité à faire nommer ce qui est vraiment en jeu, en alignant ce questionnement sur ce qu’elle a entendu et en posant des questions invitant à en dire plus.

Aider à sortir un client de l’aveuglement du ronchonnage est un autre exemple recensé en lien avec l’authenticité et qui repose aussi sur le courage. Clodine dit : « Je sais, comme immigrante, j’en ai beaucoup de courage! » Elle fait un peu sa marque de commerce de savoir « virer le vent de bord » et sortir ses clients de la prison du ronchonnage. Quand le coaché se plaint et tourne en rond, elle lui dit avec un humour bienveillant « continue de même! » et cela l’aide.

A contrario, la crédulité du coach peut nuire. À ce sujet, Alex raconte :

Il y a un coaching où tout le long du mandat, le coaché a un peu joué avec moi. Il m’emmenait dans des directions où lui-même, il faisait semblant d’avancer. Moi, je le laissais un peu aller en me disant « oui, cela avance… » sans en être totalement sûr. Reste qu’à la rencontre tripartite de fin, il m’a dit ceci : « Je comprends maintenant ce que le coaching peut apporter, cela aurait été bien si je l’avais su avant. […] Et reste que je n’ai jamais eu l’occasion de le recoacher après »

Alex

Dans cette idée de mieux se connaître, il y a aussi cette remise en question de la relation à la performance qui apparaît dans les récits recensés. L’empathie ressort aussi parmi les attitudes racontées et apprises par Clodine pour mieux coacher. Le déclic pour elle s’est fait avant d’être coach, lorsqu’elle a réalisé que son expertise effrayait sa patronne. À la suite de ce constat, elle a changé d’approche. Elle s’est mise à utiliser des moyens ludiques, plus simples, moins en posture d’experte, pour expliquer. Elle a réalisé après qu’elle avait développé une approche « coach », du moins c’est ce que les gens voyaient chez elle et lui disaient. Elle nous partage aussi que parfois elle retombe dans l’usage trop excessif de son expertise, ce qui fait sentir son client « en moins ». Elle raconte :

Cela ne passait pas et le coaché ne faisait pas ce qui était convenu. J’ai alors lâché la posture plus. Je suis allée plus soft, plus dans des détails. Je me suis adaptée à son rythme […] Le point de bascule a été d’explorer « qu’est-ce qui est important pour toi en fin d’année ou le soir quand tu te couches? »

Clodine

Pour Jeanne, la crise transformatrice s’est passée lorsqu’elle a pris conscience que son perfectionnisme nuisait à ses enfants, qui souffraient en plus d’un contexte familial où un membre avait une lourde maladie. Voulant les soutenir et les « coacher », elle a appris l’écoute et l’empathie. Elle est ainsi sortie de la performance épuisante et hyper contrôlante apprise à l’enfance et nuisant à sa capacité à se relier aux autres en famille et au travail. Le travail avec ses enfants est beaucoup passé par le dessin, qu’elle s’est ensuite réapproprié comme médium pour relier les idées et les gens comme coach et facilitatrice dans des contextes de réorganisation.

En lien aussi avec la performance, Rosanne raconte que lorsqu’il s’agit de coacher des gestionnaires qui déjà sont très performants (souvent des femmes), elle déteste le coaching par objectifs. Elles n’ont pas besoin d’être plus performantes, dit-elle, « elles sont déjà performantes! ». Aussi, elle les questionne alors plutôt sur le sens et les éveille à une approche plus respectueuse d’elles-mêmes. Pour déceler cette tendance à la surperformance et aider à s’en libérer, elle s’appuie sur sa propre tendance à la surperformance qu’elle a su dépasser.

5.1.3 La tension de l’émancipation

Nous abordons ici comment la relation peut nuire ou aider à l’émancipation.

5.1.3.1 Ce qui nuit

Les éléments qui nuisent se rapportent à l’obéissance, au gourouisme et aussi à l’intention plus ou moins consciente du coach relativement au sens qu’il donne à sa pratique.

Lorrie invite à la vigilance sur l’ampleur de ce qu’un coach propose comme activités à ses coachés, car certains « obéissent » au coach sans contredire ou négocier. Ce commentaire suit son récit d’un coaching où, par enthousiasme et par manque d’empathie aussi, elle en avait trop demandé au coaché qui ne lui a pas dit tout de suite que c’était trop. Il vivait durement son coaching, pas à cause de sa relation avec elle, mais parce que ce qui était mis au jour par les différentes réflexions qu’il faisait était douloureux. Le rythme ne convenait pas. Ils ont interrompu le coaching,

Clodine, elle, critique le discours de certains coachs lorsqu’ils tendent à glisser vers le gourouisme en devenant trop affirmatifs sur ce qu’est « la vérité » sur le plan spirituel. Pour elle, le coaché doit construire sa pensée et n’a pas à se faire dire par un coach c’est quoi « la vérité ». Cela, pour elle, va a contrario de l’autonomisation. Elle souligne que trop de personnes au Québec ont souffert des abus du pouvoir des organisations religieuses, aussi elle évite d’afficher sa spiritualité.

Clodine invite les coachs à être sensibles à ce qui stimule leur goût du coaching, le pour qui et le pourquoi ils coachent. Coachent-ils en entretenant chez le coaché un besoin du coach, ce qui les valorise? Coachent-ils vraiment pour soutenir l’autonomisation du coaché? Un lâcher-prise par rapport à son coaché, c’est ce qu’elle s’exige, ce qu’elle ne perçoit pas chez tous les coachs.

5.1.3.2 Ce qui soutient

Comme leviers aidant, il est question d’éléments soutenant l’ouverture et le sens versus la rigidité sclérosante. Ces leviers recensés, appuyés d’exemples; ce sont le climat d’intimité, le mode appréciatif, le savoir prendre soin et le silence.

Rosanne perçoit que l’intimité qui s’est créée entre le coach et le coaché est souvent importée en rencontre tripartite avec le patron. Ces rencontres sont d’autant plus porteuses lorsque le coach facilite un dialogue en mode « appréciation » et non en mode « évaluation ». Cette nuance fait la différence pour l’ouverture et la confiance. L’intimité et le mode appréciatif peuvent faire qu’il émerge lors des rencontres à trois des éléments aidants au développement qui sortent de ce qui est habituellement discuté entre le coach et son patron.

La reconnaissance de la complémentarité des savoirs est un autre levier pour libérer.

Dans le fond, la relation de coaching est basée sur la notion de complémentarité. Le coaché, c’est lui qui est expert de son organisation. On n’est pas égal. Mais le coach aussi a des savoirs. Comme coach, quand on arrive à distinguer quand [il faut] être dans le partage, on n’a plus le sentiment de dénaturer le coaching lorsqu’on partage nos savoirs. Tu sais, le coaching [ce n’est] jamais à sens unique. J’apprends de chaque coaché et je continue à me développer comme personne en coachant

Rosanne

Marc, quant à lui, parle de l’importance de « prendre soin » en coaching, qu’il associe au sens, à la spiritualité et à l’autorité, mais aussi à la bienveillance pour soi. Il souligne également l’impact de l’écoute pour laisser la place à l’autre :

Je te parle d’autorité en parlant d’abord du rapport à moi. […] Si je prends soin de moi, eh bien, quand je me tourne et que je regarde l’autre, ce que cela fait, c’est que je prends soin de l’autre. […] Quand j’ai le sentiment net que je suis en train d’être avec l’autre, que je suis en écoute de l’autre, je l’aide […] Prendre soin, c’est être beaucoup, beaucoup dans l’écoute de l’autre […]. Je dis souvent à ma conjointe à la blague : « Moi, il faut que je disparaisse pour que toi tu apparaisses. Si je réussis à disparaître, toi tu apparais. » C’est ça pour moi, l’autorité. Je disparais. […] Prendre soin, c’est même pas un geste, il n’y a rien… C’est être dans cette écoute. C’est une disponibilité. Pour moi, l’autorité suprême, c’est la conscience de soi, c’est dans le silence absolu […] Pour moi, l’autorité, c’est comme quand [j’étais] adolescent [et que] je partais très tôt avec mon bateau pour aller voir le lever de Soleil sur le fleuve et voir le million d’étoiles apparaître. C’est dans ces moments, seul avec moi-même, à contempler le ciel, c’est là que cela commence, l’autorité

Marc

Aussi, dans sa préparation mentale avant un coaching, Marc dit fermer les yeux, respirer profondément, puis pratiquer ce qu’il appelle le vide. « Je me débarrasse de tout, du plan, des objectifs… Puis, je me rends complètement disponible et j’entre dans cette posture-là où il n’y a rien, il y a juste l’autre. Moi, je ne suis rien. » À travers ces propos, atterrit cette idée que soutenir l’émancipation, c’est prendre soin dans l’ouverture qui nous rallie au tout. Nous poursuivons notre analyse en illustrant les différentes dynamiques et tensions observées.

5.1.4 Représentation globale du phénomène étudié

Comme résultat de notre analyse, nous illustrons, à la Figure 1, les thèmes et les idées maîtresses auxquels nous aboutissons. Le mécanisme du travail identitaire est illustré au centre de cette illustration comme passant par les dynamiques de se lier, de délier-relier et de rallier. Les tensions intersubjectives figurent à gauche et les stratégies interactionnelles pour y répondre figurent à droite, alignées et dans un cadre du même ton de gris que la tension concernée. Ainsi, d’abord, par rapport à la tension de 1) l’incertitude, les stratégies recensées relèvent du domaine de montrer-démontrer; pour dissiper le doute et installer la confiance dans la relation, il est question de crédibilité, de savoir-être et de cadre protecteur à installer, notamment du contrat. Face à la tension de 2) la révolution, considérant les flous entre incohérence et cohérence, entre mensonge et vérité, il est question de favoriser l’éveil dans une perspective éthique; l’humilité et le courage font partie des attitudes aidant à relier les idées pour éveiller l’autre à agir ou à se montrer différemment. Finalement, face à la tension 3) d’émancipation, où il y a oscillations entre fermeture (rigidité/ douleur) et ouverture (pour l’adaptation), il est question de moyens pour créer l’espace de transformation; le coach y arrive par l’écoute, avec une attitude et une intention de prendre soin, en valorisant la complémentarité, en reconnaissant l’interdépendance et aussi, en facilitant l’intégration du sens.

Figure 1

Représentation globale de la dynamique intersubjective de l’autorité vécue en coaching.

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5.2 Portraits individuels (synthèses créatives individuelles)

Comme il a été annoncé, nous présentons et analysons brièvement ici deux synthèses individuelles créatives représentatives des échanges, soit celles des entretiens avec Lorrie (Figure 2) et Catie (Figure 3).

Chez Lorrie, l’illustration est relative à une approche cognitivo-comportementale où un programme (un plan) est proposé et construit avec le coaché, représentatif des réflexions, des besoins et des objectifs. Elle raconte qu’un des défis du coach est de doser ses propositions d’actions et non de noyer son coaché par des activités. Aussi, elle invite à être sensible à la capacité d’absorption du coaché dans sa découverte de qui il est comme leader (son identité), car la démarche peut lui faire vivre de façon trop intense sa vulnérabilité à certains moments. Le mot libérer figure en arrière-plan de cette illustration, le but étant de libérer le potentiel (Figure 2).

Figure 2

L’autorité en tant que bon dosage, ne noyons pas le coaché!

Lorrie

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Dans l’illustration suivante, celle de l’entretien avec Catie (Figure 3), il est aussi question de trouver la liberté par rapport particulièrement à ce qui enchaîne, dont la trahison à soi et le manque d’authenticité. L’accès à soi, à sa vérité, à son autorité, prend ici la forme d’un oignon avec plusieurs pelures à retirer avant d’atteindre le coeur. Que ce soit pour soi ou comme coach, l’accès est facilité par la rigueur, et parfois pollué de jeux de pouvoir. Catie fait mention aussi de ses propres paradoxes dans sa façon d’être et d’accompagner, où il y a co-habitation de rigueur et de lâcher-prise, et un tiraillement entre user du pouvoir du sachant ou du non-sachant. En effet, bien qu’elle dise détester l’autorité, elle se dit très encadrante comme coach, ce qui souvent est aidant, apprécié et fait sa marque de commerce. De plus, pour Catie, l’attitude du non-sachant favorise la joie, l’allégresse, la liberté et la récolte. Elle ajoute que dans sa réalité d’autodidacte, elle est fière de cette rigueur, mais aussi de ce qu’elle lègue et transmet; c’est une vocation…

Figure 3

L’autorité, un paradoxe entre liberté et savoir

Catie

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5.3 Synthèse créative

Les résultats finaux d’une recherche heuristique prennent la forme d’une création, ce qui ici est un poème. Il y est question de la dynamique relationnelle structurante de l’autorité, mais aussi de la démarche de recherche et de la relation au savoir. Nous l’intitulons Qui sait… (Encadré 1).

Nous soulignons un lien étroit entre la méthode de la recherche heuristique et le coaching où les clés révélant le qui émergent en passant par des acteurs concernés par la quête, intentionnelle et curieuse, pour dévoiler l’humain et l’aider à pleinement l’exprimer.

5.4 Définition de l’autorité en coaching (synthèse complémentaire)

Pour terminer, en reprenant les idées porteuses de ce qui précède et en nous inspirant aussi de la définition de Robbes (2006) à propos de l’autorité pédagogique, nous en venons à proposer la définition suivante porteuse du vécu des coachs :

L’autorité en coaching est une relation intersubjective, dynamique et souvent asymétrique, visant le développement du coaché dans un contexte donné vers son autonomisation et son émancipation. Cette relation est légitimée par la confiance mutuelle coach-coaché-prescripteur et peut être sécurisée et clarifiée par un contrat entre les parties prenantes du coaching. Dans cette relation, le coach et le coaché disposent de savoirs complémentaires et s’influencent mutuellement. Aussi, le processus de coaching et la relation qu’il appelle pour avoir de l’impact, transforment aussi le coach. Le parcours du coach et son développement sont parties intégrantes et subtiles du « comment » est vécue cette relation dynamique.

5.5 Discussion

Par rapport aux écrits antérieurs, les situations recensées font écho à la présence d’une maturité inégale des coachs en formation (Bachkirova et al., 2017). La documentation des défis transformationnels vécus par les coachs informe de la pertinence d’outiller les coachs et les formateurs de coachs pour une meilleure compréhension des dynamiques en jeu. Notre recherche fournit effectivement des exemples de vécus sur la possible crise transformationnelle que vivront certains coachs en devenir. De plus, l’autorité étant une relation, il en ressort que devenir et agir comme coach peut passer par une remise en question de la manière dont eux-mêmes sont en relation avec l’autre.

Dans ses interventions, un coach est à risque d’être instrumentalisé, surtout lorsqu’on fait une interprétation limitée du discours selon lequel le coach doit être neutre (sans opinion) (Bachkirova & Borrington, 2019). Parmi les qualités et les attitudes à développer et jugées utiles pour agir avec justesse comme coach sur le plan relationnel, nos co-chercheurs mentionnent notamment l’humilité, l’empathie, le courage éthique et aussi l’authenticité envers soi. De tels résultats rappellent cette idée que la présentation de soi peut être influencée par le contexte et les attentes, qu’elle peut différer s’il s’agit de produire ou de collaborer, ce qui inclut aussi comment le co-chercheur se présente au chercheur et vice-versa (Gergen & Taylor, 1969). De plus, notre nouvelle définition de l’autorité s’avère porteuse pour aider les coachs à comprendre et éventuellement consciemment légitimer et installer une dynamique relationnelle porteuse pour le développement. Cette définition se veut un matériel utile à la formation et à la réflexion des coachs pour soutenir leur capacité à exprimer un art du coaching empreint de sagesse et de maturité, ce qui répond à la nécessité que nous avancions parmi les problématiques managériales – enseigner la phronésis, tel que le recommandait Drake (2011).

La présente recherche possède des limites. Parmi celles-ci, les coachés n’ont pas été interrogés sur leur façon de vivre la relation en coaching. L’étude de leur point de vue serait un angle de recherche complémentaire à considérer pour des recherches futures. Par ailleurs, notre recherche a été faite en français, auprès de coachs résidant au Canada. Des recherches semblables pourraient être réalisées auprès d’autres publics, dont des coachs anglophones ou des coachs ne résidant pas au Canada, ce qui offrirait des nuances liées possiblement aux couleurs locales et linguistiques.

Conclusion

Le coaching est un domaine où il est difficile de voir le vécu pour mieux le comprendre. L’approche heuristique, choisie pour l’examiner, s’est avérée riche pour mieux connaître un phénomène qui s’y exprime et qui nous intriguait, soit la dynamique intersubjective de l’autorité. Elle nous a permis de valoriser grandement le savoir praticien, incluant celui de la première autrice, ce qui rend uniques nos résultats. Elle nécessite un optimisme confiant, même déstabilisant, pour le chercheur, mais la richesse et l’originalité des résultats encouragent son usage pour de futures recherches en coaching et, plus largement, en gestion.

La dynamique intersubjective de l’autorité en coaching est mue par des tensions d’incertitude, de révolution et d’émancipation où se lient, se délient-relient et se rallient des identités en transformation. Le processus de coaching ne transforme pas que les coachés, mais aussi les coachs. Nous trouvons que ces derniers se transforment, en quête de justesse pour favoriser le développement humain. Les résultats de cette recherche incluent une nouvelle définition de l’autorité en coaching. Cette dernière peut nourrir la sensibilité des coachs à son égard.

Ajoutons que, de nos jours, l’autorité est toujours en déséquilibre. Contribuer, par notre recherche, à mieux la comprendre et à l’exprimer comme une ressource préventive et constructive se veut utile plus largement à l’humanité. Pour nous, mieux comprendre la relation à l’autorité, c’est aussi comprendre ce qu’est la liberté. S’émanciper, c’est aussi comprendre que l’autonomie n’est pas l’indépendance, mais bien une interdépendance respectueuse, mouvante et vivante.