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La gestion de l’eau douce et les cadres juridiques élaborés à cet effet présentent des visages différents[1] dans diverses régions du monde. De fortes similarités entre les régions existent. Toutefois, les organisations internationales intervenant en la matière ne sont pas non plus les mêmes. À l’intérieur même des régions, ces organisations internationales reflètent, au niveau infrarégional, leurs propres aspirations et finalités. Produit de leurs contextes historiques, géographiques ou sociaux, les organisations sous-régionales agissant dans le domaine de l’eau douce, au niveau ouest-africain ou de l’Afrique centrale, se distinguent, à titre d’illustration, les unes des autres. Cette distinction s’accompagne, d’une part, de divergences[2] dans l’approche de gestion et les modalités de leur mise en oeuvre. D’autre part, elle révèle de nombreuses similarités dans la gestion régionale de l’eau douce.

Quelles que soient les régions du monde considérées, plusieurs sujets[3] interviennent dans le domaine de l’eau douce. Si la place de l’État reste la plus prépondérante en raison de sa position en droit international et, notamment, en droit international des cours d’eau, d’autres acteurs jouent un rôle loin d’être négligeable concernant les problématiques liées à l’eau douce. Il existe, ainsi, nombre d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales qui contribuent sur le continent africain à la protection et la gestion des ressources en eau. Leurs implications dans le domaine de l’eau douce démontrent la place stratégique qu’occupe l’eau douce dans le développement de la coopération en Afrique.

On aurait pu être tenté de circonscrire, face à ce constat, l’appréhension de l’eau douce strictement dans le cadre des organismes extérieurs au continent africain. Pourtant, des organisations africaines interviennent, à des degrés plus ou moins différents, dans le domaine de l’eau. En dehors des organisations fluviales et lacustres exclues volontairement[4] de cette étude, la présente contribution vise à mettre en discussion le cadre d’action des organisations africaines dans le domaine de l’eau douce. Le but de l’étude n’est pas d’en évaluer les apports. Cette contribution se fait également au demeurant d’une analyse des enjeux financiers et matériels des organisations africaines.

Cette étude répond à l’objectif de recherche des assises juridiques de l’intervention des organisations africaines en matière d’eau douce. Les fondements juridiques de l’action des organisations africaines dans le domaine de l’eau douce deviennent ainsi un objet d’étude se justifiant doublement par le fait qu’ils n’ont pas ou sinon très peu été traités dans la littérature juridique et par la contribution de l’étude au droit des organisations internationales dans le domaine de l’eau douce.

La présente étude prend également tout son sens au regard de la place centrale de l’eau douce au sein du nouveau cadre stratégique pour l’Afrique porté par l’Agenda 2063[5]. La relation entre l’eau douce et l’Agenda se matérialise dans l’aspiration 1 visant « un développement inclusif et durable de l’Afrique ». Ce fondement sur lequel repose l’Agenda 2063, dans le domaine de l’eau douce, réactualise la question de l’eau douce en la repositionnant dans une logique nouvelle appelant des réponses juridiques à l’échelle globale du continent africain. Le plan décennal 2013-2023 de mise en oeuvre de l’Agenda 2063 sert ainsi de base, aux États membres de l’Union africaine (UA), à l’élaboration de leurs politiques de développement à l’échelle régionale.

Facteur d’intégration exigeant une unité africaine des États[6], les ressources en eau douce cristallisent l’attention des organisations africaines qui l’intègrent dans leur cadre juridique en faveur du développement du continent. Il existe ainsi un effort d’encadrement de l’eau douce mené dans le cadre des organisations africaines qui s’accompagne d’incidences sur le droit international de l’eau de manière spécifique et, d’une manière générale, sur la coopération africaine. L’intérêt d’une réflexion sur les cadres de coopération régionale en matière d’eau douce s’inscrit donc dans une logique de recomposition du cadre institutionnel en constituant le prélude à un dépassement du cadre actuel de coopération par lequel les souverainetés étatiques s’expriment, directement ou indirectement, au détriment d’autres acteurs étatiques moins privilégiés en la matière.

Si la recherche d’un régime juridique cohérent permettait de donner plus d’efficacité à l’action des organisations africaines, la création d’une organisation internationale africaine conçue spécialement pour appréhender l’eau douce dans sa globalité pourrait se concevoir comme l’évolution escomptée. En attendant ces évolutions, l’action des organisations africaines dans la régulation internationale dans le domaine de l’eau douce s’appuie sur une assise juridique régionale fragmentée (I) à laquelle viennent s’ajouter des fondements juridiques sous-régionaux tout aussi fragmentés (II).

I. Le cadre juridique fragmenté d’intervention des organisations régionales africaines dans le domaine de l’eau douce en Afrique

Les évolutions institutionnelles dans les diverses régions du monde questionnent l’impact des droits régionaux sur la gestion des ressources en eau douce. Empreint du phénomène régional[7], le droit des cours d’eau, dans son application au niveau régional africain, est une contribution au développement de l’oeuvre internationale et le reflet d’une tentative de régionalisme africain[8] en matière de gestion d’eau douce. À la question de savoir s’il existe des éléments permettant d’établir un régime juridique cohérent à l’action des organisations africaines en la matière, la réponse est, d’emblée, négative. Certes, l’impératif de la gestion de l’eau douce se traduit dans les assises juridiques des organisations régionales et s’exprime dans leur cadre juridique. Mais ce dernier s’appuie sur une construction juridique institutionnelle empreinte de fragmentation fragilisant l’efficacité qui aurait pu être atteinte.

Compte tenu de la place qu’elles occupent dans les institutions africaines et du rôle important qu’elles jouent en matière d’eau douce en Afrique, on présentera, d’abord, les assises juridiques de l’Organisation panafricaine en matière d’eau douce (A). Ensuite, le cadre juridique fondant l’oeuvre des institutions économiques africaines méritera une attention tout aussi particulière en matière d’eau douce (B)

A. Les fondements juridiques de l’oeuvre de l’Organisation panafricaine en matière d’eau douce en Afrique

L’UA est créée pour répondre à des objectifs qui dépassent de loin la question de l’eau. Au-delà de sa préoccupation générale et sans remettre en cause sa raison d’être, l’Organisation panafricaine est amenée à se préoccuper, à l’instar des autres organisations africaines, des questions liées aux ressources en eau douce en Afrique. L’importance de l’eau douce pour l’institution panafricaine justifie qu’elle soit intégrée dans les objectifs[9] et domaines[10] prioritaires de l’Agenda 2063 dont l’objectif des objectifs est d’atteindre le développement inclusif et durable du continent africain. Ainsi, l’Agenda 2063 appelle un repositionnement nouveau sur la gestion des ressources en eau douce et des réponses panafricaines. On comprend aisément que l’impulsion donnée dans le cadre de l’Agenda 2063 s’inscrit dans une logique appelant à plus d’unité dans le régime applicable à l’eau douce à l’échelle continentale.

S’il n’existe pas dans le cadre panafricain un cadre juridique spécifique à la question de l’eau douce, en revanche, il existe des dispositions juridiques parcellaires qui permettent de définir les bases juridiques de l’action de l’institution dans le domaine de l’eau douce. Un tel constat invite définitivement à dépasser l’idée d’une conclusion hâtive qui aurait pu être d’entériner l’existence d’un vide juridique concernant la question de l’eau dans le cadre panafricain. On retrouve, bien au contraire, dans le cadre panafricain, des assises juridiques dont l’analyse permettra de rechercher les déclinaisons juridiques de la préoccupation des ressources en eau douce. Trois directions sont à privilégier. Les fondements juridiques de l’action de l’UA dans le domaine de l’eau douce se reflètent dans son Acte constitutif[11] (Charte constitutive) et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[12] (CADHP) (1) et dans la Convention africaine règlementant la nature et les ressources naturelles[13] (Convention d’Alger) (2).

1. La détermination des assises juridiques applicables à l’eau douce dans la Charte constitutive de l’Union africaine et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

Le but de la création de l’UA est de promouvoir « l’intégration africaine »[14] et le regroupement des États au sein d’une entité commune. L’UA[15], qui succède à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), se fixe pour mission de relever les défis multiformes auxquels sont confrontés les États africains par le renforcement des partenariats, de la solidarité et de la cohésion entre les peuples. Elle apparaît ainsi, à l’instar de l’organisation d’intégration africaine à laquelle elle a succédé, comme

un cadre politique très souple visant à renforcer la cohésion et la solidarité des États africains, à intensifier leur coopération ainsi que leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples d’Afrique[16].

Elle est ainsi une organisation de coopération interétatique. Il convient de rechercher, par ce prisme, les fondements juridiques de son action de l’UA dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1.1) et dans sa Charte constitutive[17] (1.2).

a) L’eau douce et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[18] a été adoptée à Nairobi le 28 juin 1981 par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’OUA. Elle est entrée en vigueur le 28 octobre 1986. D’emblée, il y a lieu de faire remarquer que la CADHP ne comporte pas de dispositions juridiques encadrant nommément l’eau douce.

Si l’eau douce est absente de la Charte, on retrouve quelques dispositions juridiques dans lesquelles la question de l’eau douce pourrait aisément s’insérer. C’est donc de manière indirecte que l’eau douce est réceptionnée dans la CADHP. Les effets juridiques de ces dispositions sont ainsi déployés en intégrant l’eau douce dans le cadre global des ressources naturelles et dans la consécration de droits dits de « troisième génération »[19]. Trois dispositions juridiques constituent ainsi les fondements juridiques de l’eau douce dans le cadre de la CADHP.

Le premier fondement juridique de l’eau douce dans le cadre de la Convention africaine règlementant la nature et les ressources naturelles résulte de l’article 21 de la CADHP qui dispose que :

Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles (…). La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s'exerce sans préjudice de l'obligation de promouvoir une coopération économique internationale fondée sur le respect mutuel, l'échange équitable, et les principes du droit international. Les États parties à la présente Charte s'engagent, tant individuellement que collectivement, à exercer le droit de libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, en vue de renforcer l'unité et la solidarité africaines[20].

Puisque l’eau douce fait partie des ressources naturelles, on en déduirait qu’elle doit être gérée, sur la base de la règle de la libre disposition, dans l’intérêt des populations afin de réaliser, d’une manière renforcée, l’intégration panafricaine. Si la libre disposition est ici conçue comme la clé de voûte de cette disposition, la valeur de principe et de droit qu’elle acquiert dans la Convention peut suffire à s’apprécier, entre autres, à trois niveaux en matière de gestion des ressources en eau. D’abord, au regard de son bénéficiaire, à savoir les peuples. Bien que le terme « les peuples » ne soit pas défini dans la Convention, et nous écarterons toute discussion autour de la question et sur le fait qu’il soit au pluriel et non au singulier, il semble être employé, au regard de la Convention même, pour désigner les populations africaines. Ensuite, elle poursuit une finalité, celle de l’intégration africaine exprimée dans les idées « unité et solidarité africaines ». Enfin, la libre disposition est appréhendée, non pas comme un obstacle au devoir de coopération économique international. Le droit de libre disposition et l’obligation de coopération devront donc coexister pacifiquement. La première assise juridique découle donc de l’article 21 en s’exprimant à travers le droit à la libre disposition des ressources en eau.

Le second pilier juridique est consacré dans l’article 22 de la CADHP qui dispose que :

Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l'humanité. Les États ont le devoir, séparément ou en coopération, d'assurer l'exercice du droit au développement[21].

Si le paragraphe premier de cette disposition juridique met au bénéfice des peuples un droit au développement en déclinant les trois éléments qui le compose, les rédacteurs de la CADHP formulent, dans le second paragraphe, un droit au développement en tant qu’une résultante d’une obligation pesant essentiellement sur les États, soit individuellement, soit collectivement. On en conclut que l’utilisation des ressources en eau, entre autres, doit concourir à la réalisation du droit au développement appartenant aux populations africaines.

Le troisième pilier de l’action de l’institution panafricaine dans ce cadre conventionnel s’exprime dans l’article 24 de la CADHP disposant que : « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement »[22]. Cette disposition conventionnelle est riche en enseignements à double titre. D’une part, la préoccupation de l’environnement qui, d’ailleurs, est ancrée[23] en droit international des cours d’eau rentre par la grande porte de la Charte au titre d’un droit de l’homme. On retrouve aussi, dans la Charte, la volonté affichée par les rédacteurs d’affirmer un droit à l’environnement de qualité par l’utilisation de l’adjectif « satisfaisant » et un droit à un environnement unitaire, défragmenté, par l’utilisation de l’adjectif « global ». Si l’affirmation d’un droit à l’environnement est sans ambages dans le cadre de la CADHP, la force de la consécration conventionnelle de ce droit se mesure sur un autre plan, et notamment sa portée juridique, par son caractère pionnier en matière de conventions internationales. Selon Alexandre Kiss, « [l]a première formulation de ce droit [à l’environnement] dans un traité international est due à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 »[24]. D’autre part, le droit à l’environnement est conçu dans une perspective d’interconnexion avec la finalité de développement. La relation entre les deux dimensions inhérentes à l’environnement et au développement se matérialise par la propension à faire du droit à l’environnement, en définitive, un élément de réalisation d’un droit au développement des populations africaines.

On comprend aisément alors pourquoi les ressources naturelles, d’une manière générale, et l’eau douce spécifiquement, s’intègrent dans le cadre d’un droit à un environnement favorable au développement. Cependant, en dehors de cette proclamation, des interrogations, somme toute légitimes, sont soulevées par des auteurs sur le contenu et la mise en oeuvre de ce droit. C’est notamment le cas de Fatsah Ouguergouz pour qui « l’article 24 de la Charte africaine n’assigne en effet aucun contenu précis au droit qu’il proclame »[25] et d’affirmer relativement à la mise en oeuvre de ce droit que « l’article 24 ne met aucune obligation précise à la charge des États »[26].

Le cadre juridique de la CADHP appréhende donc la question de l’eau douce à travers les trois catégories de droits que sont le droit au développement, le droit à un environnement satisfaisant et le droit des populations à la libre disposition. Il établit ainsi une relation indissociable entre l’eau et ces droits, en faisant des ressources naturelles une condition de réalisation des droits de l’homme. Si les dispositions juridiques contenues dans la CADHP ne permettent pas, en réalité, de définir les fondements d’une politique de gestion de l’eau douce à l’échelle africaine, elles constituent, en revanche, du point de vue juridique, une avancée majeure dans la consécration conventionnelle d’un droit de l’homme à l’eau. Cette consécration reste toutefois fragile si elle ne s’accompagne pas de conditions visant à garantir l’effectivité de ce droit.

b) L’eau douce et la Charte constitutive de l’UA

Deux bases juridiques fondent l’intervention de l’institution panafricaine dans le domaine de l’eau. La première approche juridique élaborée dans le cadre de l’institution pour appréhender l’eau douce se reflète dans les objectifs généraux de l’institution qui dépassent les enjeux liés à l’eau douce. Les préoccupations hydriques sont donc invoquées indirectement au sein des enjeux d’intérêt commun pour le continent.

L’institution panafricaine aborde la préoccupation de l’eau douce dans sa Charte constitutive sous l’angle du développement durable, de la coopération et de l’intégration africaine. L’article 3 (d), (j) et (k) de l’Acte portant création de l’Union africaine en est le texte de base. Cette disposition juridique décline trois objectifs spécifiques dans lesquels s’intègre la question de l’eau douce. Le point (d) fixe l’objectif de « promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples »[27]. Le point (j) concerne l’objectif de « promouvoir le développement durable aux plans économique, social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines »[28]. Quant au point (k), il vise à « promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains »[29]. On constate que l’eau douce s’intègre dans des objectifs formulés de manière diversifiée et élargie.

Toutefois, il résulte de ces points juridiques que le fondement juridique de l’action de l’institution dans le domaine de l’eau s’exprime dans un cadre limité. Cette limite est double. D’une part, si recourir aux objectifs pour fixer le cap dans la prise en compte de l’eau ne savait suffire, encore est-il que les finalités ne s’expriment que de manière déductible et indirecte. D’autre part, la réception de l’eau douce dans le cadre juridique semble se diluer et se noyer dans les objectifs politiques faisant de l’institution une organisation à essence globalement politique.

Par ailleurs, si l’approche choisie n’est pas spécifique à l’eau douce, le choix opéré ici ne répond pas à une logique visant à tirer, exclusivement et uniquement, un avantage économique de la ressource en eau. Elle ne répond pas clairement à l’optique pourtant nécessaire pour le continent africain d’encadrement des logiques de mise en valeur des ressources en eau. Elle ne répond pas non plus à une approche globale de l’eau douce. Elle revient, au contraire, à faire coexister à la fois une approche visant à permettre un développement par l’usage de l’eau douce et une intégration ou une coopération prenant appui sur l’eau douce et servant de pendant nécessaire à l’expression d’une logique intégrationniste dans des domaines autres que les ressources naturelles.

La seconde base juridique s’exprime dans les dispositions de l’article 13 de l’Acte portant création de l’UA. À la différence du fondement juridique précédent, le cadre juridique de l’institution panafricaine fait une référence directe aux ressources en eau. Cette disposition juridique n’est, toutefois, pas spécifique à la question de l’eau douce. Elle ne s’exprime pas non plus dans le cadre d’une entité incorporée à l’institution panafricaine. Elle s’exprime dans le cadre des attributions générales du Conseil exécutif assurant, entre autres, « la coordination et [décidant] des politiques dans les domaines d’intérêt commun pour les États membres »[30], notamment ceux des ressources en eau et de l'irrigation.

Limité du point de vue formel dans son expression juridique, car très succinct et réducteur, ce cadre d’intervention de l’UA apparaît, dans le fond, en application de l’article 13 de la Charte constitutive, élargi, en exprimant une sorte de « supranationalisme »[31] dans le domaine des ressources en eau vis-à-vis des États. Sur ce fondement, la compétence exclusive dévolue à l’Union dépasse alors, concernant la question de l’eau, les intérêts individuels des États. Il y a là une distinction fondamentale entre l’UA et les organisations africaines de coopération en matière d’eau douce.

Par le biais de la Charte constitutive, le fondement juridique de l’action de l’UA dans le domaine de l’eau douce se reflète dans ce dualisme juridique sous-tendant une finalité économique et une finalité politique. En dehors de cette distinction, les approches juridiques dans le cadre de la Charte constitutive s’appuient sur un même dénominateur commun : celui de réduire les bases juridiques fondant l’eau douce à une simple expression d’objectifs, sans en définir les modalités juridiques et les déclinaisons pratiques. Les dispositions en matière d’eau douce restent affirmées dans la Charte en des termes généraux et insuffisamment détaillés. On voit bien que la question de l’eau n’a pas encore suffisamment pénétré la Charte constitutive de l’UA.

Cette limite pourrait, en définitive, peut-être, se révéler volontaire. Elle pourrait se relativiser par un partage de responsabilité mû par une logique volontariste de l’institution de confier le rôle primordial aux États dans la définition des politiques communes et des projets de développement communs dans le domaine de l’eau et de s’auto-confier in fine un rôle de coordinateur des politiques de l’eau entre les États. Par ailleurs, on constate, dans le cadre africain, l’émergence d’un multilatéralisme porté par l’adoption d’une Convention spécifique applicable aux ressources naturelles dont il faudra définir le champ juridique d’application en rapport avec la question de l’eau.

2. La Convention africaine spécifique aux ressources naturelles face à la gestion de l’eau douce en Afrique

L’une des innovations[32] majeures est l’adoption dans le cadre africain d’un mécanisme conventionnel de portée multilatérale de protection de la nature et des ressources naturelles. Elle constitue un exemple d’application régionale d’une convention internationale[33]. Cette initiative, l’oeuvre de l’Organisation de l’unité africaine, est conçue comme un cadre de réponses aux préoccupations et problématiques environnementales[34]. Elle est considérée dans la littérature juridique comme « la base d’un droit international régional africain […] de l’environnement »[35] ou comme « le point de départ d’un droit international africain de l’environnement »[36]. Avant de rechercher les bases juridiques applicables à l’eau douce issues de cette Convention et afin de comprendre l’essence des règles juridiques, il convient de préciser les évolutions juridiques ayant précédé et abouti à sa consécration.

Plusieurs initiatives ont précédé la consécration de la Convention d’Alger. En 1964, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’OUA tenait une conférence à Lagos sur la question de la recherche et de la formation du personnel en Afrique dans le domaine de l’étude, la conservation et l’utilisation des ressources naturelles. Cette conférence visait à répondre à la problématique du manque et de la rareté d’expertise en matière de protection de l’environnement. À la suite de cette conférence, se posait la nécessité d’un projet de convention « sur non seulement la conservation de la faune et de la flore, mais encore sur toutes les ressources naturelles renouvelables »[37]. Chargée de l’élaboration de ce projet, l’Union internationale pour la conservation de la nature rédigeait, en 1966, un projet de convention à destination de l’organisation panafricaine.

En 1967, les Chefs d’État et de gouvernement de l’OUA se réunissaient à Kinshasa dans le but d’examiner le projet de convention. En 1968, lors d’une réunion à Rouen, les représentants de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) s’entendaient et formulaient des recommandations débouchant sur un document unique soumis à l’OUA pour approbation. En février 1968, le Conseil des ministres de l’OUA approuvait le texte par une résolution soumise à l’approbation de la Commission. Le 15 septembre 1968, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement signe, à Alger, la Convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles[38].

Ce rappel historique permettant de mieux contextualiser le cadre conventionnel d’Alger, il convient dès lors de cerner les bases juridiques encadrant la gestion de l’eau douce. Les réponses juridiques relatives à la question des eaux se retrouvent dans deux dispositions juridiques issues de la Convention.

D’une part, l’article II intitulé « Principe fondamental » concernant les ressources naturelles et incorporant les ressources en eau dispose :

Les États contractants s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation, l’utilisation et le développement […] des eaux, en se fondant sur des principes scientifiques et en prenant en considération les intérêts majeurs de la population[39].

L’obligation qui pèse sur les États dans la gestion juridique et politique des ressources en eau se renforce par l’affirmation de deux restrictions générales : la certitude scientifique et la prise en compte primordiale des besoins essentiels de la population.

D’autre part, l’article V de la Convention s’applique spécifiquement aux eaux. Le paragraphe 1 de l’article V dispose : « les États contractants institueront des politiques de conservation, d’utilisation et de développement des eaux souterraines et superficielles »[40]. À cet égard, ils procéderont

à l’étude des cycles de l’eau et aux inventaires par bassin de drainage, à la coordination et la planification des projets de développements des ressources en eau, à l’administration et au contrôle de toutes les formes d’utilisation des eaux, à la prévention et au contrôle de leur utilisation[41].

Ces stipulations juridiques expriment l’idée d’une approche concertée des États en faveur d’une gestion intégrée des ressources en eau. L’eau est ici appréhendée comme un ensemble interconnecté et sa gestion appelle une mise en synergie des efforts afin qu’elle soit gérée durablement. Quant au paragraphe 2, il stipule que :

Lorsque les ressources en eau intéressent deux ou plusieurs États contractants, ceux-ci se consulteront et, le cas échéant, constitueront des commissions inter étatiques pour étudier et résoudre les problèmes nés de l’utilisation commune de ces ressources, et pour assurer conjointement leur développement et la conservation de celle-ci[42].

La volonté des États de coopérer dans la gestion des ressources en eau découle donc du devoir de consultation et d’institutionnalisation d’une approche de « gestion concertée »[43].

D’une manière générale, le cadre conventionnel d’Alger recèle, sur la question de l’eau, des enseignements intéressants du point de vue juridique. Le cadre d’Alger affirme clairement la logique de valorisation des ressources en eau douce par la mise en oeuvre des projets de développement. Ce cadre conventionnel privilégie une « approche globale »[44] de mise en valeur des ressources en eau en consacrant une évolution notionnelle à travers le concept de « bassin »[45] et en mettant à la charge des États une obligation de consultation, d’information et d’études préalables. On passe d’une compétence de coordination des politiques communes des États assignée aux organisations africaines à une obligation juridique collective des États de bassin de préserver et veiller à leur mise en valeur rationnelle des ressources en eau.

En dépit de ces innovations juridiques apportées dans le domaine de l’eau douce notamment, la Convention d’Alger n’a pas eu de portée pratique significative. Elle a certes contribué à l’évolution du droit international de l’environnement[46] en constituant, dans l’histoire du droit international de l’environnement, « le premier accord environnemental régional de l’ère moderne, qui de façon pionnière, a intégré et articulé tous les aspects de la conservation du milieu naturel »[47].

Cependant, la Convention d’Alger présentait des faiblesses intrinsèques sur d’autres aspects de fond. Elles se révèlent, au moins, à un double niveau.

En premier lieu, la Convention d’Alger semblait en inadéquation avec « le progrès rapide des connaissances scientifiques en matière d’environnement et les évolutions subséquentes du droit »[48]. Comparés aux autres instruments internationaux réglementant les ressources naturelles et l’environnement, ces derniers apportaient des contributions nouvelles, par exemple, la traduction des manifestations du « développement durable »[49] dans leurs dispositions juridiques. L’évolution des conventions internationales de protection et de conservation de l’environnement qui s’est matérialisée par la réception juridique et la définition des contours du concept de « développement durable » en leur sein, traduit le décalage avec la Convention d’Alger. À titre d’exemple, la Convention relative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau, adoptée à Ramsar, le 2 février 1971, dispose que :

Les Parties contractantes se consultent sur l'exécution des obligations découlant de la Convention, particulièrement dans le cas d'une zone humide s'étendant sur les territoires de plus d’une Partie contractante ou lorsqu’un bassin hydrographique est partagé entre plusieurs Parties contractantes. Elles s’efforcent en même temps de coordonner et de soutenir leurs politiques et règlementations présentes et futures relatives à la conservation des zones humides, de leur flore et de leur faune[50].

D’autres conventions intègrent également le concept de « développement durable » dans leurs dispositions juridiques. C’est le cas, sans en être exhaustif, de la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets du 29 décembre 1972 qui dispose que :

Le milieu marin et les organismes vivants qu’il nourrit sont d’une importance capitale pour l’humanité et que l’humanité tout entière a intérêt à veiller à ce que ce milieu soit géré en sorte que ses qualités et ses ressources ne soient pas altérées[51].

Les actes déclaratoires internationaux en matière environnementale ont tout aussi entériné ce processus. La Déclaration de Johannesburg sur le développement durable du 4 septembre 2002 précise que :

Nous assumons notre responsabilité collective, qui est de faire progresser, aux niveaux local, national, régional et mondial, le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement, piliers interdépendants et complémentaires du développement durable. Nous assumons, au moyen du Plan d’application du Sommet mondial pour le développement durable et de la présente Déclaration, notre responsabilité les uns envers les autres, envers tous les êtres vivants et envers les générations futures[52].

En second lieu, la Convention présentait des limites[53] au niveau des mécanismes de mise en oeuvre. Ce défaut d’effectivité de la Convention s’explique par l’absence d’outils efficaces d’application du droit substantiel issu de la Convention.

Ces faiblesses semblent expliquer le faible mouvement d’adhésion des États à la Convention. Son bilan d’adhésion, après quarante décennies d’existence, n’est pas éloquent. Elle n’a recueilli qu’une trentaine de parties contractantes[54]. La force juridique de la Convention se trouve ainsi fragilisée et limitée par le faible niveau d’engagement des États à être liés par la Convention.

C’est pour corriger ces faiblesses que la nécessité d’une révision s’imposait. La Convention d’Alger est révisée le 11 juillet 2003 à Maputo par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’UA. Plusieurs auteurs voyaient là un élément du renforcement[55] du cadre juridique de protection et de conservation des ressources naturelles.

La question que l’on se pose ici concerne les apports de la Convention africaine révisée sur la conservation de la nature et des ressources naturelles[56] (Convention de Maputo) en rapport avec les cours d’eau. Le régime juridique découlant de la défunte Convention réceptionne les apports théoriques résultant de la réglementation des usages de l’eau de la précédente Convention. La Convention maintient l’élargissement du champ d’application de l’eau. L’article XIV relatif « au développement durable et aux ressources naturelles » et l’article VII relatif « aux eaux » sont les fondements juridiques de référence.

La prise en compte de la question de l’eau dans le cadre de la Convention de Maputo se reflète également par la reconduction des principes de conservation, d’utilisation, de développement et de gestion concertée issus de l’article V de la Convention d’Alger. En dehors de ces similarités, et concernant ces principes, la Convention de Maputo va plus loin en apportant des règles juridiques nouvelles dans la gestion des eaux. Ces évolutions nouvelles apparaissent intéressantes du point de vue juridique. Elles permettent de conférer et surtout de renforcer les spécificités juridiques de la Convention qui se traduisent par la mise en oeuvre d’un cadre juridique spécifique imposant, aux États contractants, des obligations juridiques renforcées de gestion, de conservation, de planification et de mise en valeur de la ressource en eau. L’article VII de la Convention de Maputo relatif « aux eaux » est ainsi constitué de quatre obligations juridiques générales opposables aux États parties à la Convention.

La première obligation générale découlant du paragraphe 2 de l’article VII du cadre conventionnel de Maputo consacre à l’égard des États un devoir de « maintien de la quantité et de la qualité des ressources en eau »[57] en ces termes : « Les parties gèrent leurs ressources en eau de manière à maintenir la quantité et la qualité de ces ressources aux plus hauts niveaux possibles »[58]. Les États prennent ainsi, au regard de l’article VII.1 de la Convention de Maputo, trois séries de mesures : protection de la santé publique contre les maladies liées à l’eau et les polluants et de maintien des « processus hydro-écologiques essentiels »[59]; prévention contre les dommages susceptibles d’avoir des effets nocifs sur les êtres humains et espèces animales; protection contre les prélèvements excessifs des ressources en eau aux bénéfices des communautés et des États d’aval.

Sur cette obligation, l’influence de l’article 21, alinéa 2 de la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation[60] (Convention de New York) sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation est ici parlante. Cette disposition juridique est, à bien des égards, un élément d’enrichissement du régime juridique du bassin du fleuve Niger. En effet, l’article 10 de la Charte de l’eau du Bassin du Niger[61] en est fortement influencé, tant dans sa rédaction que dans son contenu juridique.

La seconde obligation générale se décline, dans les termes du paragraphe 2 de l’article VII de la Convention de Maputo, comme suit :

Les parties instituent et mettent en oeuvre des politiques de planification, de conservation, de gestion, d’utilisation et de mise en valeur des eaux souterraines et de surface. Ainsi que de collecte et d’utilisation des eaux de pluie et s’efforcent de garantir aux populations un approvisionnement suffisant et continu en eau appropriée[62].

Pour atteindre cet objectif, les États sont liés à des obligations spécifiques précisées dans la Convention. Ces obligations semblent avoir joué une influence sur d’autres régimes juridiques à l’échelle d’autres bassins fluviaux. L’illustration topique, parmi tant d’autres, en est le Bassin du fleuve Niger. L’article 11 relatif aux « Politiques de planification, de conservation, de gestion et de mise en valeur des ressources en eau » reprend, mot pour mot, les mêmes termes de l’article précité de la Convention de Maputo. Cette exportation de la présente disposition juridique dans le cadre du régime juridique du Bassin du fleuve Niger n’étonne guère. Elle s’explique par le fait que la Charte de l’eau du Bassin du Niger s’inspire clairement, dans son préambule, de la Convention de Maputo. Les obligations spécifiques permettant de réaliser l’obligation issue du paragraphe 2 de l’article VII sont au nombre de cinq et prennent la forme de mesures exigées par les rédacteurs de la Convention.

La première catégorie de mesure incombant aux États engage leur responsabilité à prendre des mesures d’étude « des cycles de l’eau »[63] et à procéder à des inventaires de ces cycles par « bassin versant »[64]. Une remarque s’impose. Bien que l’article VII.2a de la Convention de Maputo est un copier-coller de l’article V.1.1 de la Convention d’Alger, le concept « bassin de drainage » est remplacé dans la Convention de Maputo par celui de « bassin versant ». Ce changement de qualification n’appelle pas plus de commentaires qu’il n’en faut. Il n’a d’intérêt que sur un plan strictement formel, puisqu’en réalité, « le bassin versant » et « le bassin de drainage » ont la même signification et les mêmes implications. Ainsi, par souci de clarté, les développements qui suivront écarteront l’appellation « bassin versant » au profit de celle de « bassin de drainage ».

Cette précision terminologique faite, on aperçoit déjà, par la simple référence à ces notions dans la Convention de Maputo, une volonté de représenter l’unité physique de l’eau dans l’unité de son régime juridique. Bien que ces obligations d’étude et d’inventaire des cycles de l’eau n’existent pas dans la Convention de New York de 1997 et dans la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux[65] (Convention d’Helsinki) de 1992, elles sont pourtant bien présentes dans le paragraphe 2 de l’article VII de la Convention de Maputo. L’analyse séparée de ces deux notions permettra de cerner leur place au sein de la Convention de Maputo. Mais c’est surtout la signification qui leur est donnée qui sera déterminante pour mesurer leurs contours juridiques.

Si l’on suit la définition donnée par Julia Gudefin, le « cycle de l’eau » s’entend comme : « un mouvement naturel […] un processus naturel constitué par des transferts incessants entre les cinq réservoirs de la planète qui sont interconnectés »[66]. La réception de cette notion de « cycle de l’eau » dans la Convention de Maputo traduit un changement majeur d’approche dans la gestion juridique de l’eau. L’on n’a aucun mal à envisager la prise en compte de cette notion comme une innovation majeure en droit international des cours d’eau. L’intégration de la notion de « cycle de l’eau » dans le cadre conventionnel de Maputo reflète la perspective d’une approche unitaire du système hydrographique beaucoup plus poussée visant à « protéger la ressource et son mouvement »[67].

Concernant la notion de « bassin de drainage », des précisions terminologiques doivent être faites afin de donner le sens et la portée de la notion en droit international des cours d’eau. L’expression « bassin de drainage » n’existant pas dans les conventions internationales multilatérales réglementant les cours d’eau en droit international, d’autres expressions ont été privilégiées. Si donc les expressions juridiques diffèrent au regard de leur appellation d’une convention[68] à une autre, la qualification « cours d’eau »[69] utilisée dans la Convention de New York ou celle de « bassin versant hydrographique »[70] utilisée dans la Charte de l’eau du Bassin du Niger ne traduit pas la même approche unitaire dans l’appréhension juridique de l’eau. Il y a, ainsi, dans ce concept juridique découlant de la Convention de New York, par exemple, une fragilisation de la portée qu’implique la notion de bassin versant hydrographique. Toute chose qui contraste avec la portée juridique renforcée de la notion de « bassin versant hydrographique » dans le cadre du bassin du fleuve Niger. Rana Kharouf-Gaudig résume, d’ailleurs, très bien cette situation en ces termes :

[E]n excluant les eaux souterraines captives (non reliées aux eaux de surface, ou au bassin ou au système hydrographie), la Convention de New York a privilégié la notion de bassin hydrographie limité[71].

Bien qu’il existe en droit international plusieurs catégories de bassins, elles ne reflètent pas toutes les mêmes logiques et ne recouvrent pas les mêmes acceptions. Les définitions données par Hailou Wolde-Giorghis permettent ainsi de cerner les différences conceptuelles. Selon l’auteur, le « bassin fluvial » se définit comme « l’ensemble hydrographique formé par un fleuve et ses affluents »[72] ou d’une manière plus détaillée comme

une Zone géographique déterminée par les limites du bassin versant d’un système hydrologique, y compris les eaux de surface et les eaux souterraines. La limite du bassin versant d’un plan d’eau ou le périmètre de réapprovisionnement de la nappe souterraine, ou les deux à la fois, peuvent définir la limite du bassin versant[73].

Le « bassin intégré » se distingue en ce sens qu’il

combine une utilisation nationale et une coopération internationale dans le but d’assurer une exploitation complète des ressources hydrauliques du bassin : les cours d’eau et les lacs qui constituent une aire de drainage doivent être considérés, non pas isolément, mais comme un tout intégré[74].

Quant au « bassin de drainage », il représente

une zone géographique s’étendant sur deux ou plus États et déterminée par des limites de l’aire d’alimentation du système des eaux s’écoulant dans une embouchure commune. L’aire de drainage désigne une région couvrant le territoire de deux ou plusieurs États, dans laquelle tous les cours d’eau de surface, y compris les canaux et les glaciers, les eaux souterraines captives ainsi que le territoire terrestre qui les renferme, drainent les eaux d’une même aire d’alimentation vers une embouchure unique aboutissant à la mer ou à un lac[75].

L’approche par « bassin de drainage »[76] de la Convention de Maputo correspond à l’approche par « bassin versant hydrographique » de la Charte du Bassin du Niger. L’influence de cette conception par sa réception dans le Charte de l’eau du Bassin du Niger en est l’illustration parfaite. Pourtant, cette notion révèle une conception juridique de l’eau totalement différente de l’approche finalement retenue dans la Convention de New York, alors même que le concept de « bassin de drainage » avait été proposé et discuté[77] dans le cadre de la Convention de New York concernant l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation.

On peut en conclure, sans risque de se tromper, que la conception de « bassin de drainage » issue de la Convention de Maputo consacre, en définitive, une évolution notionnelle fondamentale puisqu’elle va beaucoup plus loin dans la représentation juridique de l’unité physique de l’eau à travers les relations qu’elle entretient naturellement avec l’espace terrestre concerné. Le trait distinctif de la réception de cette notion est, pour ainsi dire, sa tendance à la globalisation dans la représentation de l’unité physique de l’eau et l’impulsion qu’elle engendre visant le renforcement dans la gestion juridique de l’eau.

La seconde catégorie de mesures imputables aux États et permettant de matérialiser l’obligation découlant de l’article VII.2 de la Convention de Maputo est en rapport avec « la gestion intégrée des ressources en eau »[78]. La prise en compte de « la gestion intégrée des ressources en eau » (GIRE) dans le cadre conventionnel de Maputo est révélatrice d’une évolution notionnelle en matière de règlementation des eaux. L’importance de cette notion est aussi à souligner afin de mettre en exergue les apports juridiques.

La GIRE, dans le cadre de Maputo, traduit, de manière encore plus poussée, l’approche globale choisie dans la gestion des ressources en eau. Cette dynamique globale de gestion des ressources en eau se reflète dans l’acception donnée au concept GIRE. La GIRE est définie par la Charte de l’eau du Bassin du Niger comme : « un processus qui favorise le développement et la gestion coordonnés de l'eau, des terres et des ressources connexes, en vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans pour autant compromettre la pérennité d'écosystèmes vitaux »[79]. La GIRE est encore définie comme

une approche globale dans la gestion des ressources en eau considérant celle-ci comme une ressource unique ayant des utilisations concurrentes et des interactions avec les systèmes écologiques, sociaux et économiques[80].

La troisième catégorie de mesures pesant sur les États et permettant de donner corps à l’obligation issue du paragraphe 2 de l’article VII concerne le devoir de conserver « les zones forestières et autres aires des bassins versants ainsi qu’à la coordination et planification des projets de mise en valeur des ressources en eau »[81].

Deux aspects découlent de cette disposition juridique. Le premier aspect prône une obligation de conservation de l’ensemble des aires du bassin versant qui, d’ailleurs, est similaire, dans son expression au fond, à l’obligation de protection et de préservation des écosystèmes des cours d’eau internationaux consacrée à l’article 20 de la Convention de New York. Le second aspect concerne l’obligation de planifier et de coordonner les projets de mise en valeur des ressources en eau. La parenté de cette obligation avec celle exprimée dans la Convention de New York se reflète dans l’obligation générale de coopérer consacrée à l’article 8 de la Convention de New York. Il s’agit là d’obligations classiques du droit international conventionnel des cours d’eau qu’exprime l’obligation de préservation et de coopération dans l’utilisation des ressources en eau, alors qu’aucune référence n’est faite dans le préambule de la Convention aux instruments juridiques internationaux de gestion des ressources en eau. Cette dernière correspond pleinement à l’objectif beaucoup plus général d’harmonisation et de coordination des politiques porté par l’article II.3 de la Convention de Maputo.

La quatrième catégorie de mesures matérialisant l’obligation portée par l’article VII.2 de la Convention de Maputo concerne « l’inventaire et la gestion de toutes les ressources en eau, y compris l’administration et le contrôle de toutes les formes d’utilisation des eaux »[82]. Si la répétition du terme « inventaire » est à souligner au regard de l’article II.2.a, sans doute pour insister sur la nécessité d’obtenir une maîtrise préalable des eaux, tant du point de vue de leur quantité que de leur qualité, cette exigence de même que l’administration et le contrôle des formes d’utilisation des eaux figurent au titre des obligations traditionnelles de planification et de gestion coordonnée des ressources en eau en droit international des cours d’eau. Il y a dans la formulation de ces dernières obligations une réitération de la volonté des rédacteurs de la Convention de donner plein effet à l’objectif de « promouvoir la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles »[83] préalablement précisé dans les termes de l’article II(2) de la Convention de Maputo.

La cinquième et dernière catégorie de mesures opposables aux États permettant de donner corps à l’article VII.2 de la Convention de Maputo concerne « la prévention et le contrôle de la pollution des eaux »[84]. Une double obligation est ici proclamée. Cette proclamation trouve ses racines dans des phénomènes de pollution des mers et des eaux continentales antérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention de Maputo et même, à celle de la Convention d’Alger. On comprend donc que la lutte contre la pollution des eaux soit exigée dans la Convention de Maputo pour répondre à un double objectif préventif et curatif. Cette exigence de prévention et de contrôle de la pollution est consacrée à l’article 21 de la Convention de New York sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation de 1997 et à l’article 3 de la Convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux de 1992. Cette obligation donne tout son sens à l’objectif « d’améliorer la protection de l’environnement »[85].

En ce qui concerne la troisième obligation générale, elle est consacrée à travers un devoir général de coopération interétatique. En effet, les États coopèrent lorsque les eaux de surface, souterraines et les écosystèmes ont un caractère transfrontalier à au moins deux parties. La référence aux « eaux transfrontières » définies comme

toutes les eaux superficielles et souterraines qui marquent les frontières entre deux États ou plus, les traversent ou sont situées sur ces frontières; dans le cas des eaux transfrontières qui se jettent dans la mer sans former d'estuaire, la limite de ces eaux est une ligne droite tracée à travers leur embouchure entre les points limites de la laisse de basse mer sur les rives,[86]

traduit l’influence notionnelle de la Convention d’Helsinki de 1992.

Au regard du contenu de cette disposition juridique, la Convention de Maputo s’inspire fortement des dispositions et des principes juridiques issus de la Convention d’Helsinki de 1992. En effet, la gestion de ces eaux dans le cadre de Maputo obéit aux règles procédurales de consultation et à un droit institutionnel d’établissement de commissions interétatiques, avec pour responsabilité la gestion rationnelle et équitable et le règlement des différends[87]. L’influence des articles 2.2c, 9, 10 et 22 de la Convention d’Helsinki est ici patente. Cette disposition reprend, tout aussi, le contenu normatif conjugué des articles 8 et 20 de la Convention de New York sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation. Il y a, dans cette disposition juridique, la consécration juridique des grands principes traditionnels de gestion concertée des cours d’eau en droit international public.

La quatrième et dernière obligation générale issue du paragraphe 2 de l’article VII de la Convention de Maputo est ainsi libellée :

Les parties s’engagent individuellement ou dans le cadre d’arrangements sous régionaux, à coopérer dans la gestion rationnelle et la conservation des eaux dans l’agriculture irriguée, en vue d’assurer une plus grande sécurité alimentaire et une agro-industrialisation durable[88].

La Convention semble exiger une obligation de coopération pour une utilisation et un besoin spécifique de l’eau. Sur ce point, la Convention semble se démarquer des autres conventions multilatérales, en l’occurrence la Convention de New York[89] et la Charte de l’eau du Bassin du Niger[90] qui consacrent la valeur identique des utilisations possibles des eaux. Il y a, dans cette stipulation conventionnelle, un rapprochement à faire avec l’article II de la défunte Convention d’Alger exigeant la prise en compte des intérêts des populations. On pourrait ainsi voir, dans ce croisement des dispositions juridiques et, en tout cas, dans cette présente affirmation, la consécration d’un intérêt majeur que représente, pour les États africains, la satisfaction des besoins essentiels d’alimentation des populations. La finalité de sécurité alimentaire pour tous devient ainsi, au regard de la Convention, le fondement à l’exigence de coopération entre les États riverains d’un cours d’eau.

Finalement, les fondements juridiques de la gestion de l’eau dans la Convention de Maputo consacrent, au niveau régional, pour l’essentiel et en grande majorité, les principes[91] fondamentaux portés par la Convention de New York sur le droit à l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation et celle d’Helsinki sur les fleuves et lacs transfrontières. La Convention de Maputo est ainsi l’expression d’une adaptation régionale du droit international conventionnel de l’eau douce. La rénovation du cadre conventionnel d’Alger s’est accompagnée d’impacts juridiques dans le domaine des ressources naturelles et de l’eau douce. S’inscrivant dans le prolongement des principes de gestion des eaux édictés par la Convention d’Alger sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, elle est venue consolider et renforcer le rôle des États riverains de bassin dans la responsabilité qui est la leur de gérer les ressources en eau d’une manière coopérative et rationnelle.

Cependant, la spécificité de la Convention de Maputo réside dans la consécration d’un « droit de l’homme à l’eau »[92] qui met à la charge des États des obligations juridiques et qui leur impose le devoir de gestion des ressources naturelles au profit des peuples[93]. Si l’expression « droit de l’homme à l’eau » n’est pas utilisée dans les dispositions juridiques issues de la Convention de Maputo, elle se traduit dans l’article V (1) de la Convention qui dispose : « Les États contractants […] s'efforceront de garantir aux populations un approvisionnement suffisant et continu en eaux appropriés »[94].

Cette disposition juridique et le droit qu’elle consacre constituent un vrai tournant et c’est sans aucun doute, en tout cas, du point de vue formel, un véritable pas vers une gestion de l’eau dans l’intérêt des peuples. D’autres instruments juridiques conventionnels d’encadrement de la gestion de l’eau à l’échelle de bassin au niveau africain ont également consacré « le droit à l’eau » au titre d’un droit de l’homme. Ainsi, dans le cadre du bassin du fleuve Niger, la Charte de l’eau du Bassin du Niger du 13 avril 2008 consacre le droit à l’eau dans son article 1 en ces termes :

le droit fondamental à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d'une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun[95].

Toutefois, les limites d’une telle disposition résident principalement dans l’absence de définition des conditions de mise en oeuvre de ce droit permettant d’assurer ou de poser les jalons d’une garantie de l’effectivité[96] de ce droit sur le continent africain.

B. L’assise juridique de l’action des organisations économiques africaines en matière de cours d’eau en Afrique

Plusieurs organisations économiques africaines s’intéressent à la question de l’eau douce en Afrique. Cet intérêt s’explique par le fait que leur finalité économique peut se réaliser par l’utilisation des ressources en eau à des fins de mise en valeur économique. Elles ont élaboré des systèmes juridiques qui appréhendent l’eau douce à des niveaux plus ou moins différents. Le fait d’occulter de cette étude l’analyse des assises juridiques des autres organisations économiques en matière d’eau douce ne signifie pas qu’elles ne méritent pas une attention détaillée ou que leur contribution est minorée en droit international de l’eau douce sur le continent africain.

A contrario, le choix de détermination des assises juridiques des organisations africaines en matière d’eau douce par le prisme des organisations économiques s’explique par leur originalité résultant de la propension à instaurer un ordre économique en Afrique et à coller, en principe, aux réalités économiques africaines. On étudiera, dans un premier temps, les fondements juridiques de l’oeuvre de la Communauté économique africaine (1) et, dans un second temps, les bases juridiques fondant l’intervention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) dans le domaine de l’eau douce (2).

1. La traduction juridique de l’oeuvre de la Communauté économique africaine en matière d’eau douce

La Communauté économique africaine[97] est instituée par un traité adopté lors de la Conférence des Chefs d’État le 3 juin 1991 et entrée en vigueur le 12 mai 1994 pour renforcer l’intégration économique des États africains[98]. L’objectif général rappelé, d’ailleurs, dans le préambule du traité l’instituant, en fait une organisation principalement économique, même si la finalité qui lui est assignée englobe, à bien des égards, l’intégration sociale et culturelle. Elle est alors conçue comme un pendant nécessaire à la réalisation des objectifs de l’institution panafricaine. À ce titre, la Communauté économique n’est pas une institution distincte de l’Organisation panafricaine. Elle est dès lors créée, conformément à son préambule, pour être une entité faisant partie intégrante de l’Organisation panafricaine. Le fondement juridique de l’action de la Communauté économique africaine dans le domaine de l’eau douce doit ainsi être recherché dans son acte constitutif.

Bien que le cadre juridique englobe des questions d’ordre général pour le développement du continent africain, des dispositions en matière de gestion des ressources naturelles sont expressément définies pour en faire « un cadre essentiel pour la protection des ressources naturelles »[99]. C’est sous l’angle des ressources naturelles, et surtout par le prisme environnemental, qu’est traitée, dans le cadre conventionnel de la Communauté économique africaine, la question liée à l’eau douce. Le cadre juridique en la matière ne règlemente pas nommément les ressources en eau douce; il les appréhende par leur incorporation au sein des ressources naturelles et environnementales. Le chapitre IX relatif à la science, la technologie, l’énergie, les ressources naturelles et l’environnement en est le pilier juridique fondamental.

Parmi les nombreuses dispositions traitant des préoccupations de protection des ressources naturelles et environnementales, l’article 56 est véritablement la seule disposition présentant un rapport direct avec la question des ressources en eau. Cette disposition impose aux États toute une série d’obligations pour promouvoir la coopération dans les domaines des ressources naturelles en ces termes :

[L]es États s’engagent à coordonner leurs programmes de développement et d’utilisation des ressources hydrauliques; à élaborer et mettre en oeuvre des programmes communs de formation et de perfectionnement des cadres afin de mettre en valeur les ressources humaines et les capacités à l’exploration, à l’exploitation et à la transformation des ressources minières et hydrauliques.

Le fondement juridique de l’action de la Communauté économique en matière d’eau douce reste assez proche du premier aspect juridique précédemment développé fondant l’intervention de l’UA dans le domaine de l’eau douce.

Les autres dispositions, notamment les articles 57 et 60, se contentent seulement d’inciter au développement d’une coopération entre les États. L’article 58 encourage à promouvoir un environnement sain dans la gestion des ressources naturelles.

Le cadre juridique qui fonde l’action de la Communauté économique africaine en matière d’eau douce se caractérise par l’expression d’une volonté commune des États dans la mise en synergie des programmes d’utilisation des ressources en eau et dans la nécessité d’une formation commune des ressources humaines en matière de mise en valeur des ressources en eau. Cette vision exprime l’idée que les ressources en eau constituent un bien commun à l’ensemble des États d’un même bassin devant ainsi être gérées dans l’intérêt commun des États.

Si la formulation d’une logique commune dans l’appréhension des ressources en eau correspond donc à la nature même de l’eau qui se joue des frontières et qui exclut les logiques individualistes et absolutistes dans la gestion des ressources en eau, le cadre juridique de la Communauté économique est formulé en des termes qui ne définissent pas les conditions permettant de décliner ces objectifs généraux en objectifs pratiques. Il faudra préciser et compléter le cadre juridique par la définition de moyens permettant d’atteindre l’objectif recherché. Tel que formulé, le cadre juridique de la Communauté économique africaine reste encore limité. C’est aussi l’occasion de voir, dès à présent, quel est le fondement juridique qui sous-tend l’action de la Communauté économique des Nations Unies dans le domaine de l’eau douce en Afrique.

2. La traduction juridique de l’intervention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique dans le domaine des ressources en eau en Afrique

À la fois doté du statut d’organisme régional de l’ONU et d’institution régionale africaine, la création de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique répond à la nécessité de « doter l’Afrique d’un organisme de coopération économique identique à ceux qui existaient déjà pour l’Europe, l’Asie et l’Amérique depuis au moins dix ans »[100]. Elle est ainsi créée pour jouer un rôle moteur dans le développement économique et social, l’intégration régionale et la promotion de la coopération internationale pour le développement des États africains. Elle est active dans les domaines de l’économie et de la croissance en Afrique[101].

Créée par la résolution 671 (XXV) du Conseil économique et social des Nations Unies adoptée le 29 avril 1958, la CEA est conçue pour intervenir dans plusieurs domaines en faveur du développement économique de l’Afrique. L’action de la CEA dans le domaine de l’eau douce s’intègre dans le cadre général des questions liées aux ressources naturelles. Ces questions font partie des domaines prioritaires de la CEA. Le fondement juridique de l’action de la CEA dans le domaine des ressources naturelles, d’une manière générale, et de l’eau douce, d’une manière spécifique, s’appuie sur les attributions de la Division de la technologie, des changements climatiques et de la gestion des ressources naturelles comprenant trois grandes sections : la Section des changements climatiques, la Section de l’économie verte, des innovations et de la technologie, et la Section de la gestion des ressources naturelles.

D’une manière générale, la politique de l’institution en matière d’eau douce s’appuie sur l’idée d’une bonne gestion des ressources en eau. La préoccupation de l’institution s’oriente davantage vers la constitution d’un cadre de recherche à la promotion des politiques de soutien aux cadres juridiques pour une gestion rationnelle des ressources en eau. Sa contribution porte également sur le renforcement des capacités humaines et institutionnelles pour la protection de l’environnement et la gestion des ressources en eau.

Le cadre juridique de l’intervention de la CEA dans le domaine de l’eau douce en particulier se limite à une action de promotion de la valorisation des ressources en eau par la prise en compte des enjeux climatiques et par la promotion d’une économie verte et bleue[102]. Toutefois, le cadre juridique de la CEA s’intègre dans le cadre plus large des Nations Unies approuvé par l’Assemblée générale dans le contexte des Objectifs du millénaire pour le développement durable (ODD) à l’horizon 2030. L’ODD, intitulé « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau »[103], est donc le fil d'Ariane de l’action de la CEA dans le domaine de l’eau douce en Afrique. Parmi les actions de la CEA sur le continent africain, il faudra noter sa participation avec d’autres partenaires tels la Banque africaine de développement (BAD), à l’adoption en 2000 de la Vision africaine de l’eau pour 2025 par laquelle

les ressources en eau du continent sont mises en valeur et utilisées de manière équitable et durable pour la réduction de la pauvreté, le développement socio-économique, la coopération régionale, et la protection de l’environnement[104].

S’il est bien établi que l’oeuvre des deux organisations africaines en matière d’eau douce ne souffre pas de vide juridique et qu’elle est, au contraire, encadrée par une assise juridique conventionnelle, force est de constater que leur contenu apparaît encore embryonnaire et succinct. Sans doute, l’évolution des consciences collectives dans la prise en compte de l’importance de l’eau douce s’accompagnera d’incidences plus marquées sur le régime juridique de l’eau douce dans le cadre de ces institutions.

En définitive, les organisations régionales continentales en matière d’eau douce s’appuient sur des cadres juridiques sans aucun lien les uns des autres. L’action des organisations régionales africaines se circonscrit ainsi sur le plan juridique à une vision restreinte dans l’appréhension de l’eau douce. Cette limite posant la nécessité d’une mise en cohérence de l’action des organisations africaines en matière d’eau douce présente une connexité encore plus grande lorsqu’il est question d’appréhender les fondements juridiques de l’action des organisations sous-régionales africaines en la matière. Ces organisations ne présentent pas moins d’intérêt au regard de l’essence juridique de leurs interventions. C’est pourquoi l’oeuvre de ces organisations mérite une attention détaillée.

II. La fragmentation de l’assise juridique de l’action des organisations sous-régionales en matière de gestion des cours d’eau en Afrique

Les organisations sous-régionales jouent un rôle dans la gestion des ressources en eau en Afrique. Bien que leurs actions dans le domaine de l’eau douce prennent appui sur le cadre juridique propre à chaque institution, le fondement juridique de leurs actions est l’expression de l’influence des régimes juridiques des États riverains des cours d’eau ouest-africains.

Ce lien de parenté juridique s’explique par le fait que les États à l’origine de ce sous-régionalisme sont à la fois membres des organismes de bassins et membres des institutions sous-régionales. Ce droit est ainsi la traduction et le prolongement des efforts juridiques autour des bassins du Niger, du Sénégal et de la Volta. Le cadre juridique des organisations sous-régionales de l’Afrique de l’Ouest consolide les approches spécialisées des institutions de bassin de l’Afrique de l’Ouest. Il nous paraît nécessaire de réfléchir à la légalité de l’action des organisations sous-régionales en recherchant les fondements juridiques à travers l’exemple de deux organisations d’intégration en Afrique de l’Ouest[105] : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) (A) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) (B).

A. La réception de l’eau douce dans le cadre juridique de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

Le 28 mai 1975, à Lagos, au Nigeria, est créée, par acte conventionnel[106] la CÉDÉAO. Seize États en sont membres. L’objectif principal de la CÉDÉAO est de

promouvoir la coopération et l'intégration dans la perspective d'une Union économique de l'Afrique de l'Ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain[107]

dans les domaines de l’activité économique, entre autres, l'industrie, les transports, l'énergie, l'agriculture et les ressources naturelles[108]. Le Traité instituant la CÉDÉAO sera modifié dans la perspective d’accélérer le processus d’intégration économique de l’Afrique. Le 24 juillet 1993, à Cotonou, au Bénin, fut adopté et signé le Traité révisé de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest[109].

Le nouveau Traité introduit des innovations juridiques majeures. Parmi ces dernières, il y a lieu de mentionner la place réservée au principe de supranationalité[110] dans l’application des actes juridiques[111] pris par la CÉDÉAO à travers trois de ses institutions - la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres et la Cour de justice de la Communauté -, la décision de création d’institutions supranationales de contrôle[112] et d’arbitrage[113] dans l’application des actes juridiques, la consécration juridique d’une autonomie dans le financement des budgets de la Communauté et de ses institutions[114]. Un autre intérêt significatif de cette révision conventionnelle est la reconnaissance juridique de l’exigence de la protection de l’environnement et des ressources naturelles comme un domaine fondamental dans la coopération et le développement économique des États ouest-africains. Il en découle l’engagement des États à entretenir des liens très forts en matière environnementale et de ressources naturelles.

Le chapitre VI du Traité révisé de la CÉDÉAO est conçu pour être l’outil juridique fondant la coopération en matière d’environnement et de ressources naturelles. Trois articles de base forment l’ossature, dans le Traité révisé de la CÉDÉAO, des dispositions juridiques en matière environnementale. L’article 29 relatif à l’environnement incite les États à adopter et créer des politiques, stratégies et programmes et institutions appropriées pour protéger et assainir l’environnement, lutter contre l’érosion, la déforestation, la désertification, les périls acridiens et les autres fléaux[115].

L’article 30 relatif aux déchets toxiques et nocifs engage les États membres à prendre

des mesures d’interdiction de l’importation, du transit, du dépôt, de l’enfouissement des déchets toxiques et nocifs sur leurs territoires respectifs et à favoriser la création d’un système régional de surveillance du transport des déchets toxiques[116].

Ces dispositions juridiques, bien qu’il soit tentant de les interpréter comme un devoir pesant sur les États dans la protection de l’environnement des ressources en eau, ne concernent pas directement l’eau douce. Outre cette dimension indirecte des enjeux environnementaux dans les fondements juridiques de la CÉDÉAO en matière d’eau douce, l’acte constitutif contient des assises juridiques directement opposables à l’institution dans la gestion de l’eau douce.

C’est véritablement l’article 31 relatif aux politiques et programmes dans le domaine des ressources naturelles qui pose le cadre normatif de gestion des ressources en eau. En effet, le paragraphe 2c) oblige à

échanger des informations sur la prospection, l’établissement des cartes, la production, la transformation des ressources minérales ainsi que la prospection, l’exploitation et la distribution des ressources en eau[117].

Quant au paragraphe 2d) du même article, il oblige les États à « coordonner leurs programmes de développement et d’utilisation des ressources minérales et halieutiques »[118]. L’implication de la CÉDÉAO dans le domaine de l’eau se fonde principalement sur cette disposition juridique. Elle est à la base des initiatives de gestion intégrée des ressources en eau. Les actions de l’institution ont eu de réelles portées dans la consolidation d’un droit à l’utilisation et à la gestion rationnelle des ressources en eau[119].

La contribution de la CÉDÉAO dans la gestion des ressources en eau, au niveau sous-régional, s’inscrit dans le mouvement de mutualisation des dynamiques pour apporter des solutions juridiques à la problématique de la gestion de l’eau. Son action témoigne de la prise de conscience par les États de la nécessité d’une politique harmonisée de l’eau au niveau sous-régional. C’est fort de ces nécessités que l’action de la CÉDÉAO connaît un dynamisme et permet l’éclosion d’une assise juridique dérivée coïncidant avec son action prolifique dans le domaine de l’eau douce. Ce cadre juridique est secrété dans le cadre des réunions de l’institution au niveau infrarégional.

Les 15 et 16 décembre 2000, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de la CÉDÉAO, lors de son 24e sommet tenu à Bamako, adoptait le Plan d’action régional de gestion intégrée des ressources en eau en Afrique de l’Ouest[120] (PAR-GIRE/AO). L’importance de ce document se reflète dans son caractère pionnier pour l’Afrique de l’Ouest dans le domaine de l’eau douce. En effet, c’est le premier plan d’action sous-régional de la CÉDÉAO en matière de gestion des ressources en eau en Afrique de l’Ouest. Son importance se manifeste tout aussi dans la nomenclature de ce plan se déclinant en six programmes poursuivant des objectifs en lien avec l’eau :

le programme d’appui aux plans nationaux de gestion intégrée des ressources en eau; le programme d’appui spécifique aux pays sinistrés ; le renforcement des capacités; la coordination régionale de la gestion intégrée des ressources en eau; le programme de création ou redynamisation des cadres de concertation entre pays riverains pour la gestion des bassins partagés; le programme de financement du secteur de l’eau[121].

L’évolution du cadre juridique de la CÉDÉAO marque ici un tournant décisif. Cette évolution se matérialise par l’amorce d’une approche globale dans la gestion de l’eau par la réception du concept de « gestion intégrée des ressources en eau »[122] dont la mise en oeuvre permet de

répondre à diverses demandes et pressions en matière de ressources en eau, quel que soit le secteur et à différentes échelles. Sa vocation première est de veiller à ce que les ressources en eau soient mises en valeur, gérées et utilisées de manière équitable, durable et efficiente[123].

En décembre 2001, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement mettait en place un fondement juridique institutionnel dans le domaine de l’eau. L’importance de la place de l’eau dans les politiques de l’institution a ainsi justifié la mise en place du Cadre permanent de coordination et de suivi (CPCS)[124]. Ce dernier est conçu pour être « le cadre institutionnel de référence pour la sous-région en matière de gestion des ressources en eau »[125] et l’organisme central dont la mission essentielle est de

promouvoir et faciliter la création de cadres de concertations entre pays riverains des bassins partagés ou transfrontaliers tout en promouvant d’une façon plus générale la gestion concertée des ressources en eau partagée[126].

Les assises normatives découlant du CPCS permettent à l’Institution de jouer un rôle crucial dans la coopération entre les États dans le domaine de l’eau douce en Afrique de l’Ouest.

L’innovation de ce cadre se conçoit également dans ses déclinaisons juridiques institutionnelles. Parmi ses organes, l’Unité de coordination régionale sur l’eau est conçue comme l’organe exécutif du Cadre permanent de coordination et de suivi de la CÉDÉAO. Fonctionnelle depuis 2004, elle est chargée de suivre et de superviser les activités de la CÉDÉAO dans le domaine de l’eau et de mettre en oeuvre le plan régional pour la gestion intégrée des ressources en eau. Le CPCS comprend également un Comité ministériel qui est l’organe d’orientation et de décision du CPCS. Il se dote d’un Comité technique des experts composé des points focaux nationaux qui sont les experts des ressources en eau représentant les États membres de la CÉDÉAO et les représentants des organisations de bassins.

Cette transformation institutionnelle a une grande parenté avec le cadre institutionnel de gestion de l’eau au niveau des bassins fluviaux ouest-africains. Il s’est construit à l’image des structures de l’Autorité du Bassin du fleuve Niger consacrées par l’article 5 relatif aux organes permanents de la Convention révisée portant création de l’autorité du bassin du Niger du 29 octobre 1987. Il y a là une volonté de construction d’une régionalisation institutionnelle de gestion de l’eau et de recherche d’une homogénéité institutionnelle. Il est sûrement trop tôt pour l’affirmer. Cette similitude conforte l’idée qu’il se trouve affirmé, en filigrane, les prémices ou les contours juridiques d’une « organisation des organisations de bassins fluviaux » en Afrique de l’Ouest.

Sur un plan pratique, la création du Cadre permanent de coordination a permis à la CÉDÉAO de prendre un certain nombre de résolutions relativement à l’eau douce. La troisième session du Comité ministériel de suivi du CPCS de la gestion intégrée des ressources en eau tenue à Bamako le 21 novembre 2008 a abouti à l’adoption de cinq résolutions :

La promotion de trois nouvelles organisations de bassins transfrontaliers en Afrique de l’Ouest : Comoé- Bia- Tano (Burkina, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali), Mono (Togo, Bénin), Cavaly- Cestos- Sassandra (Côte d’Ivoire, Guinée, Libéria); L’élaboration d’une vision partagée du bassin de la Mano assortie d’un plan d’action de développement durable; Une plus grande implication de la CÉDÉAO dans la mise en oeuvre du Programme du Fouta Djallon et l’organisation, dans les meilleurs délais, d’une rencontre UA-PRAI- CÉDÉAO- Organismes de bassins en vue de définir les termes d’une coopération étroite dans une perspective de développement durable du Massif du Fouta Djallon[127].

Le fondement juridique de la gestion de l’eau est ici exprimé en des termes très largement favorables à une gestion des ressources en eau par bassin. L’on ne rencontre aucune difficulté à signaler que l’idée d’une approche globale, dans l’appréhension des ressources en eau, semble s’imposer dans le cadre juridique de la CÉDÉAO, au détriment des approches isolées des États. Il en résulte, à n’en point douter, une logique intéressante dans la perspective d’une gestion de l’eau douce correspondant à la nature même de la ressource.

En décembre 2008, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement tenue à Abuja au Nigeria adopte un document de politique générale relatif à la politique des ressources en eau de l’Afrique de l’Ouest. Cadre de référence en matière de gestion de l’eau, ce programme vise à consolider le contenu des volets de gestion de l’eau agricole et d’adaptation au changement climatique et contribuer à la mise en cohérence intersectorielle du programme avec le programme régional d’investissement agricole et le programme d’action sous régional de réduction de la vulnérabilité aux changements climatiques en Afrique de l’Ouest[128]. Deux objectifs sont recherchés : la réception des enjeux climatiques dans le cadre juridique et le renforcement du cadre des politiques agricoles au niveau sous-régional. La relation entre l’eau douce et l’objectif de sécurité agricole est affirmée au niveau sous-régional comme une nécessité absolue et d’une grande importance. On pourrait y voir la traduction juridique, au niveau sous-régional, de l’importance de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture portée par le paragraphe 4 de l’article VII de la Convention de Maputo sur les ressources naturelles. Cette réception normative reste toutefois limitée par l’approche sectorielle choisie.

Il en résulte que l’action de la CÉDÉAO dans le domaine de l’eau douce s’appuie sur des fondements juridiques solides. Son implication témoigne de l’importance de l’eau douce dans l’atteinte des objectifs fixés par l’institution. Deux constats s’imposent. D’une part, les assises juridiques de son action en la matière appréhendent l’eau douce d’une manière intégrée. D’autre part, l’institution élabore un cadre juridique commun à l’ensemble des États dans la gestion des ressources en eau. Cependant, la multiplication des politiques à l’échelle sous-régionale pourrait paraître contreproductive en faisant courir, à l’institution, le risque d’une gestion juridique de l’eau par secteur ou par utilisation. On touche ainsi à la limite fondamentale fondant l’action des institutions africaines dans le domaine de l’eau douce. Il faudra aussi vérifier ce constat dans le cadre de l’UEMOA en analysant les assises juridiques qui fondent son action dans le domaine de l’eau douce.

B. La réception de l’eau douce dans le cadre juridique de l’UEMOA

L’UEMOA est instituée par un traité signé le 10 janvier 1994, à Dakar (Traité de l'UEMOA). Son objectif est de favoriser le développement économique et social des États membres. Pour tendre vers cet objectif, le traité de l’UEMOA intègre plusieurs domaines prioritaires[129]. En complément aux politiques économiques communes de l’UEMOA, est mis en place un cadre juridique spécifique relatif aux politiques sectorielles qui engage les États membres au niveau interne à chaque État[130]. C’est dans ce cadre sectoriel que se trouve le fondement juridique de l’action de l’UEMOA dans la gestion des ressources naturelles et de l’eau en particulier.

La contribution de l’UEMOA en matière d’eau douce en Afrique s’inscrit dans des cadres de politiques spécifiques et sectorielles élaborées pour le développement de l’Afrique de l’Ouest. La politique agricole de l’Union adoptée le 10 décembre 2001 par l’acte additionnel n°3/2001 vise à apporter des réponses aux défis majeurs auxquels l’agriculture de la zone de l’Union économique est confrontée. L’un des trois défis majeurs touche la question de la gestion des ressources naturelles et notamment de l’eau pour « accroître la production agricole de façon durable par l’intensification et la gestion concertée des ressources naturelles qui constituent désormais des biens publics régionaux menacés par une compétition croissance »[131].

Il en découle deux observations. D’une part, on constate, à l’instar de la CÉDÉAO et de la Convention africaine relative aux ressources naturelles, une réitération de l’utilisation des ressources en eau à des fins agricoles. La relation entre les ressources naturelles et l’agriculture traduit ici l’importance accordée à la ressource en eau. D’une part, si l’approche choisie est limitée par la gestion sectorielle de l’eau, l’UEMOA consacre une avancée notionnelle significative en qualifiant les ressources naturelles de « bien public régional »[132] appelant une gestion concertée et rationnelle dans l’intérêt des États de la zone UEMOA.

Si l’UEMOA n’est pas marginale dans la prise de conscience des préoccupations économiques et des réponses juridiques à y apporter[133], la contribution de l’institution s’oriente principalement vers la protection de l’environnement des ressources naturelles et par conséquent, des ressources hydriques. Le fondement juridique de son action dans le domaine de l’eau douce doit donc s’entendre dans une perspective de développement durable et de préservation de l’environnement. L’importance de l’environnement a ainsi pénétré le cadre juridique de l’institution à travers un instrument juridique de mise en oeuvre des objectifs de politique sectorielle : le Protocole additionnel n°2[134], modifié le 29 janvier 2003.

La Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’UEMOA adoptait le 17 janvier 2008 un acte additionnel sur la politique commune d’amélioration de l’environnement de l’UEMOA. L’objectif est de lutter contre la dégradation des milieux et du cadre de vie et la réduction des ressources naturelles et le maintien de la biodiversité. Elle est, notamment, à l’origine du plan d’aménagement concerté des pêches et d’aquaculture établi par le règlement du 6 mars 2007 visant le développement de la pêche et de l’aquaculture dans l’espace UEMOA. Ce programme de gestion concertée des ressources halieutiques devrait permettre « d’accroître la contribution du secteur de la pêche au développement des États membres de l’Union et à la réduction de la pauvreté »[135]. L’eau douce est ici intégrée au sein des ressources naturelles et assise sur des fondements juridiques privilégiant une approche sectorielle.

La recherche des fondements juridiques de l’action des organisations sous-régionales conforte l’idée déjà vérifiée ailleurs d’une construction juridique hétéroclite de ce qui constitue et devrait constituer le socle de leurs actions en matière d’eau douce. Les efforts des organisations sous-régionales africaines ne font, certes, l’ombre d’aucun doute. Seulement, ils ne correspondent pas à une approche qui devrait prendre en compte la nature unifiée de l’eau. Ils sont déployés finalement pour répondre aux préoccupations du moment liées à l’eau et aux problématiques qu’elle engendre. Le risque de prolifération institutionnelle ne semble guère militer en faveur d’un optimisme dans l’évolution d’une approche globale de l’eau au niveau sous-régional. Il ne résoudra certainement pas le problème de l’absence de cohérence du cadre juridique des institutions sous-régionales dans leur action en matière d’eau douce.

***

Devons-nous être mal à l’aise de conclure, alors que l’on souhaite ardemment le contraire, qu’il n’existe pas, dans le cadre africain, de régime juridique cohérent fondant l’action des organisations africaines en matière de gestion de l’eau douce. L’hétérogénéité du cadre juridique y est pour beaucoup, car les assises juridiques de l’action des organisations africaines oscillent entre une logique de régionalisme et de sous-régionalisme. Nous pourrions même dire, sans tronquer ce constat initial, que les bases juridiques de l’action des organisations africaines dans le domaine de l’eau se caractérisent par une propension à la régionalisation[136] du cadre juridique de leurs interventions.

Ces assises juridiques à l’action de ces organisations en matière d’eau apparaissent ainsi très largement fragmentées. Elles s’expriment de manière similaire au regard de l’approche juridique choisie, en privilégiant une approche juridique sectorielle dans la formulation des règles applicables à l’eau.

Cette fragmentation dans la prise en compte de l’eau dans les cadres juridiques n’est guère étonnante, car elle traduit, dans le cadre des organisations africaines, les logiques de sectorisation et de spécialisation des constructions institutionnelles. Elle est ainsi à l’image de la logique caractéristique des organisations internationales africaines se construisant en fonction du champ géographique couvert par les organisations et se conditionnant aux finalités généralement sectorielles qu’elles s’assignent. Cette fragmentation s’explique souvent par le fait qu’il y a un décalage entre les attributions des organisations africaines résultant des textes et de leur nature juridique - organisation de coopération ou d’intégration - et les compétences concurrentes et partagées qu’elles exercent, en réalité, avec les États membres.

Une autre explication à la diversification du cadre juridique de l’action des organisations internationales africaines dans le domaine de l’eau douce pourrait aussi se trouver dans le droit international de l’eau lui-même. Deux directions peuvent suffire à étayer cette affirmation. D’abord, au regard de la construction du droit international des cours d’eau, l’approche sectorielle dans l’appréhension juridique de l’action des organisations internationales africaines semble avoir suivi la logique d’encadrement juridique sectorielle de l’eau douce. Ensuite, le trait caractéristique du droit international de l’eau, à savoir un droit fait de « relativité ou de spécificité »[137], pourrait aussi s’analyser comme un facteur de contamination des assises juridiques hétérogènes de l’action des organisations internationales africaines dans le domaine de l’eau douce. L’action des organisations internationales dans le domaine de l’eau douce ne déroge donc pas à l’essence fragmentée[138] du droit international de l’eau.

Devons-nous, pour autant, baigner dans le pessimisme? La réponse est négative, peut-être parce que ces clarifications juridiques expliquant l’hétérogénéité des assises juridiques de l’action des organisations africaines dans le domaine de l’eau douce apparaissent fragiles au regard des enjeux actuels de l’Afrique et peut-être aussi parce que la recherche, pour le continent africain, de régime juridique efficace et unifié de coopération institutionnelle dans la gestion de l’eau douce s’avère plus que jamais nécessaire, voire inéluctable. L’homogénéité des assises juridiques des organisations de coopération africaines dans le domaine de l’eau douce en Afrique pourrait ainsi permettre plus de cohérence et de visibilité dans l’action globale des organisations internationales africaines dans le domaine de l’eau douce en Afrique. Elle pourrait surtout favoriser l’éclosion d’une assise juridique permettant de dépasser la relativité du droit international de l’eau douce. Si le droit international ne réussit pas, à l’heure actuelle - non pas qu’il n’existe pas de piste juridique en la matière - à dépasser cette fragmentation du fondement même de l’action des organisations internationales africaines dans le domaine de l’eau douce, il est permis d’en être plein d’espoir.

Le dépassement de cette fragmentation passera, certainement et indubitablement, par la prise en compte de l’Agenda 2063 qui appelle à plus d’unité dans le régime juridique applicable à l’eau douce. Cela est d’autant plus vrai que les domaines et actions prioritaires de l’Agenda 2063 commandent une évolution nécessaire intégrant la perspective de l’approche globale[139] issue du droit international des cours d’eau; laquelle perspective contraste largement avec la logique actuelle d’émiettement du cadre juridique de l’action des organisations africaines en matière d’eau douce.

Si une approche globale est à privilégier afin d’assurer une plus grande efficacité de l’action des organisations africaines dans le domaine de l’eau douce, l’approche sous-régionale présente, néanmoins, la particularité de traduire une préoccupation exprimée de manière beaucoup plus détaillée. Il y a, sur ce plan, des évolutions juridiques à intégrer dans la perspective d’unification de l’action des organisations internationales africaines dans le domaine de l’eau douce. Il y a également des traits caractéristiques à prendre en compte dans la définition prospective de l’essence juridique à conférer au cadre institutionnel africain en matière d’eau douce, d’autant plus qu’une particularité caractéristique des organisations africaines en matière d’eau douce est que leur action repose, en général, sur un cadre juridique primaire qui se complète d’un second pilier s’exprimant à travers des actes juridiques dérivés.