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Cherchant à distinguer et à rapprocher les formes de pensée proposées par la philosophie et la poésie, Christian Doumet propose la distinction suivante, qui reprend sous une autre forme la « vaporisation » et la « centralisation du Moi[1] » que Baudelaire énonce dans Mon Coeur mis à nu :

[C]es styles de pensée se partagent dans une topique assez simple : un territoire où le sujet est appelé, d’un côté, à se recentrer, à se circonscrire, parfois à se ressaisir ; territoire prolongé, de l’autre, par un horizon d’évasions infinies. Ou pour schématiser plus nettement encore à l’aide d’une nouvelle opposition, d’une part la méditation (cartésienne), de l’autre la divagation (mallarméenne). Comme si penser revenait toujours à décrire un espace et y prendre (ou y perdre) pied ; à y constituer quelque chose (un soi, un objet…) par rapport à un point, ou au contraire à destituer cet ancrage, à dilapider des forces, à disséminer des formes jusque dans les lointains[2].

La démarche proposée par Doumet n’est pas totalement impartiale, on y retrouve nombre de poètes attendus, qu’on a coutume de rapprocher du discours philosophique, et du reste tous modernes, depuis le romantisme allemand grosso modo : c’est Cioran plus qu’Apollinaire, Novalis plus que Ronsard. Il n’en reste pas moins que l’élection de la « divagation (mallarméenne) » en modèle, à côté de la méditation cartésienne, est lourde de sens, quand les mallarméens ont plutôt tendance à se troubler du flou qu’imposent les pages de prose de Mallarmé[3] – ce que lui-même semble avoir contribué à produire, en multipliant, notamment, les appellations génériques : « poèmes critiques », « pages », « prose », « anecdotes ou poëmes », « Grands faits divers », etc. Doumet propose de ressaisir cette variété sous un terme qui se fonde précisément sur cette dispersion : peu importe la forme que cela prend, Mallarmé, en ces pages, toujours, divague.

Doumet propose quelques termes pour définir cet acte de la divagation : elle cherche « un ordre que l’ordre commun tenait enfoui » ; elle est un « usage du monde » (à propos de Montaigne), une « errance » et une flânerie ; elle « est du côté de la géographie, de ses reliefs, de ses courbes de niveau, de ses ondulations »[4] et, plus généralement, de l’imprévisible. Commentant plus précisément le « Prière d’insérer » où Mallarmé explique son titre, Doumet retient surtout que le poète a voulu faire pendant à la religion, en présentant une allégorie ruinée du catholicisme, dont il reprend d’ailleurs le préfixe : « Il faut ajouter que le terme de divagations se présente un peu à l’image du cloître : ruine d’une racine brisée, le div- de divin, de divination qu’il détourne vers autre chose[5]. » Mais on est frappé, par ailleurs, de voir que tous ces termes se superposent à un autre couple, qui n’est pas mentionné par Doumet : c’est que la méditation est solitaire quand la divagation, d’une manière certes étrange, est collective. En effet, Doumet cite le texte de Mallarmé, où il affirme que ses « [d]ivagations apparentes traitent un sujet, de pensée, unique[6] » – ce sujet étant la « littérature » –, pour aussitôt ajouter : « Analogue à la religion en ce que son objet ultime consiste à refonder la cité moderne, dotée notamment de la même aptitude à rayonner dans toutes les dimensions de la vie publique (dimensions sociales, politiques, économiques, mythologiques…) […][7]. » Il affirme enfin : « Il s’agit au contraire pour lui d’une pensée accueillante à l’imprévisible, à l’inouï, à l’indéterminé, à l’étrangeté, et qui prétend ne se diriger qu’à la faveur de cet accueil[8]. »

Ces quelques remarques ont une portée considérable en ce qu’elles permettent, entre autres, de repenser à nouveaux frais la première section du volume de proses de Mallarmé, qu’il intitule « Anecdotes ou poèmes », et qu’on a l’habitude de désigner comme les seuls poèmes en prose du Maître symboliste. Ceux-ci, surtout les plus anciens, sont fortement influencés par Baudelaire et ses « petits poëmes en prose », et Baudelaire a pu les lire et a apprécié, substantiellement, ce qui lui revenait. Or l’une des marques baudelairiennes que la critique a soulignée dans les poèmes mallarméens est le portrait qu’il donne des foules. Baudelaire serait, par excellence, « l’homme des foules[9] », une formule qu’il emprunte à Edgar Poe ; et celui qui veut par la suite, Mallarmé au premier chef, dépeindre les foules par le poème en prose serait de facto marqué du sceau baudelairien. Or ce raisonnement oublie que Baudelaire énonce, face au couple mentionné plus tôt de la « vaporisation » et de « la centralisation du Moi », un autre couple, tout aussi séminal : « Multitude, solitude[10]. » Autrement dit, s’il est indéniable qu’il a dépeint les foules, celles-ci entrent dans une dialectique fondamentale pour lui, et ne sont pour cela qu’une moitié d’un cycle complet, où c’est l’individu isolé qui est priorisé. Et certes, les poèmes du Spleen de Paris ne démentent pas cette bascule de l’inspiration : aux foules et à la rue qu’elles possèdent, répondent invariablement l’être seul et la chambre qui l’enferme : « Les foules » d’un côté, certes, mais aussi, en vis-à-vis, « La chambre double ». Et du reste, nombre de poèmes, travaillant cette dialectique, jouent des paradoxes que permet ce balancement : c’est le cas, par exemple, du poème bien connu « Les fenêtres » qui présente des fenêtres fermées de l’extérieur, interdites au regard de l’homme de la rue, qui se trouve plus solitaire que ceux qui sont dans la maison ; encore une fois, nous assistons, dans « Les yeux des pauvres », aux membres d’une famille pauvre et disloquée, plus seuls dans la rue, « avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères[11] », que le couple à l’intérieur du café ; et un couple, qui plus est, assez dysfonctionnel, ce que précisément cet épisode révèle, et qui se trouve loin du modèle de la fratrie.

Et, à l’égard de la fratrie, nous proposerions d’évoquer un troisième modèle possible, qui n’est pas directement évoqué dans ces deux recueils de poèmes en prose, quoique leurs auteurs le connaissaient bien, mais qui en éclairera peut-être les spécificités : c’est Tannhäuser, de Wagner. On sait très bien que Tannhäuser, lorsqu’il décide de quitter le Venusberg, fait le choix, religieux, du bien contre le mal. Il quitte alors une montagne située hors du monde pour se retrouver dans les prairies rayonnantes du printemps, où il croisera, d’abord le pâtre, puis tour à tour les pèlerins de retour de Rome et des cavaliers dirigés par le landgrave Hermann, qui le reconnaissent. Il pourra éventuellement demander la main d’Elisabeth, substituant alors à l’amour maléfique du début l’amour vertueux de la fin. Il y a donc plusieurs groupes dans Tannhäuser, qui permettent notamment des passages choraux : les servantes de Venus, les pèlerins, les chevaliers, etc. Mais aucun de ces groupes ne réalise l’imprévisibilité d’une foule, ce que confirme par ailleurs les divers épisodes de reconnaissance : Venus qui aura reconnu, avant le temps de la diégèse, Tannhäuser comme son amant élu ; les chevaliers qui reconnaissent Tannhäuser, tout comme, plus tard, Elisabeth ; puis toute la société, de même que l’Église, qui reconnaissent le repentir de Tannhäuser et sa vertu conservée, malgré sa « chute ». Cette société, en somme, conserve les liens de filiation ancestraux, qu’ils soient naturels (par la naissance) ou qu’ils soient spirituels (par les allégeances de la foi). L’amour est au fondement de ces liens, et en ses deux sens également : un homme seul prend femme, sous l’égide d’une foi avouée, fonde ensuite une famille, participe de la famille élargie de la société et d’une nation, et ainsi, rejoint la dernière fratrie des croyants. Dans ce modèle, le niveau d’imprévisibilité est très ténu, sinon absent : on connaît ses frères, et au pire, on sait les reconnaître après quelques épreuves, lorsque des obstacles interviennent.

De ce modèle, Baudelaire aura retenu une leçon, qui ne s’y trouve pas pourtant, et qui en est même la contradiction ; ce qui n’étonne plus guère, puisqu’il fait exactement la même chose avec Aloysius Bertrand, qu’il revendique comme son « mystérieux et brillant modèle » même s’il propose quelque chose de « singulièrement différent[12] ». Baudelaire retient les deux membres de l’opposition, mais plutôt que de les montrer exclusifs, il les crée solidaires : « Multitude, solitude », « Enfer ou Ciel, qu’importe[13] », où c’est bien sûr le « qu’importe » qui gagne la palme. On n’insistera pas sur ce point, qui a depuis longtemps été reconnu ; seulement pour souligner qu’il révèle une bonne part de la religion de Baudelaire, qui se présente à la fois comme croyant et pénitent, tout aussi adepte de Dieu que de son Ange déchu. Et c’est là, pour reprendre la piste tracée par Doumet, que Mallarmé s’oppose radicalement : car de la religion il n’a que faire, sinon que de la retourner complètement et « reprendre son bien ». Pour Mallarmé, la littérature n’a pas à se frotter à la religion, ni pour la glorifier, ni même, comme le fait Baudelaire, pour la problématiser, révéler ses failles et contradictions, et la mettre face à elle-même. Pour le Maître, la littérature est la nouvelle religion ; et si, pour remonter encore plus loin dans le temps, Hugo considérait que le Poète-Vatès avait « charge d’âmes[14] », pour son cadet, c’est tout poète, quel qu’il soit, qui a charge d’âme. Mais sa société à lui, au poète, n’est plus la simple extension des couples et des croyants, simples progénitures des germes du désir et de la foi : ce sont des êtres insoumis, faillibles et perfectibles, plus proches de l’animal, de la « bête » que du ciel. Et du coup, alors que les poèmes en prose de Baudelaire contrebalancent constamment le portrait des foules avec le portrait des solitaires, ce que le poème liminaire, « L’Étranger », symbolise et hypostasie, ceux de Mallarmé, au contraire, prennent le parti du nombre ; où tout solitaire (car il s’en trouve, bien sûr) est disposé à divaguer, à perdre sa pensée dans celle des autres, à faire rimer rêverie et flânerie. Mallarmé, en prose, comme le souligne encore Doumet, est le « promeneur » par excellence : il quitte sa chambre et va à la rencontre de la multitude et de l’inconnu ; puis il note. C’est lui, en somme, le véritable « homme des foules », quand Baudelaire, pris dans sa dialectique, ne le fut qu’à moitié[15].

Le terme revient bien 17 fois dans les cinquante poèmes du Spleen de Paris, dont quatre fois dans « Les foules » seules (y compris le titre), contre 9 fois dans les treize « Anecdotes ou Poèmes » de Divagations (qui en compte 33 occurrences en tout). Ce qui indique déjà, proportionnellement, une prédominance chez Mallarmé ; le terme apparaît dans 69 % des poèmes, chez ce dernier, contre 34 % chez Baudelaire. Mais on doit encore compter qu’au moins cinq des occurrences baudelairiennes sont métaphoriques, dans des expressions du style « une foule de » (ceci, cela). Il utilise par ailleurs l’expression « en foule », et parfois joint le sens métaphorique et le sens propre, dans des expressions comme « la foule de parias » ou « la foule de solliciteurs ». Ces exemples sont symptomatiques de la conception baudelairienne : une foule, pour lui, c’est un nombre imprécis, difficile à évaluer et à cerner, un chiffre approximatif : une quantité considérable qu’on se décourage à définir plus précisément. C’est vrai aussi de Mallarmé, mais il s’attache, au moins, à définir au plus près cet indéfini, à le caractériser et à en saisir l’idée : la foule est un nombre, marqué par le hasard, pendant d’une communauté anciennement religieuse, mais qui se survit ailleurs, dans un discours commun animé d’une force autonome, imprévisible par le sujet, à moins qu’il ne se hausse à son « esprit », à une conscience collective supputée, préfigurée et pressentie. Et surtout, Mallarmé, contrairement à Baudelaire, a discursivement cerné les bornes de la foule, non pour la dénombrer mais plutôt pour définir son sens, en la distinguant de multiples autres termes qui sont convoqués dans les poèmes. Et s’il est difficile de saisir ce qu’est une foule, le poète peut par contre énumérer tout ce qu’elle n’est pas, et qui la concurrence : le public, la famille et la province, l’anonymat, le nombre, la société, la communauté, ou encore, comme pour Baudelaire, la solitude. Chacun des individus convoqués par ces exemples peuvent alimenter la foule, y entrer et en sortir ; mais il est un moment où la foule est constituée, et c’est alors par elle seule qu’on peut saisir le groupe, et non plus par les entités qui la composent. Même, donc, s’il lui conserve son indétermination, Mallarmé note avec précision à quel moment elle advient, et quelles en sont ses limites, qui sont aussi des composants ; quand, autrement dit, l’anonyme, l’homme seul, la mère ou le croyant entrent dans la foule et s’y mêlent, et quand celle-ci se défait et redevient plusieurs entités distinctes.

Deux éléments doivent en ce sens être notés, qui découpent la foule avec précision. Ce sont d’abord les deux énoncés miroirs qu’offrent les deux poèmes, en cela contrastés, de « La Déclaration foraine » et de « Conflit » : quand le premier affirme « la solitude manquée » (OCII, p. 94), le second répond par « où toute foule s’arrête » (OCII, p. 106). Le premier exclut toute possibilité de solitude, l’écarte à partir d’un point, qui sera précisément celui de la constitution de la foule. Mais le deuxième extrait, au contraire, trace une limite par-delà laquelle toute foule est interdite, et qui en empêche la réalisation, pour des raisons que nous observerons. Les deux formulations se répondent, en ce qu’elles excluent un élément mis à part, oublié, en faveur d’un autre, lui aussi en miroir : la solitude manque dans la foule versus la foule s’arrête au lieu de solitude, la maison de campagne de Mallarmé. Mais les nuances des formulations sont instructives, et nous permettent de penser plus avant l’une et l’autre. La première utilise un verbe qui, en français, s’utilise plus volontiers au pronominal : la solitude me manque, comme un individu auquel on est attaché. En l’absolutisant, le poète applique ce manque à quiconque se trouve dans la même situation. La seconde affiche, elle, le pronominal, quoiqu’un autre usage soit aussi possible : quelque chose arrête quelqu’un. Le second verbe situe son action dans l’espace physique, plutôt que personnel, et suppose un mouvement. Il indique que, pour Mallarmé, la foule est essentiellement en mouvement. Et si l’entrée du lieu de solitude lui est effectivement interdite, expliquant ainsi qu’elle doive s’arrêter à cet endroit précis, elle suggère également que toute foule qui stoppe sa marche, qui s’arrête, cesse dès lors de se définir comme foule. Car une foule stationnaire est prise d’une préoccupation commune, elle porte collectivement son attention sur un objet précis, et se rapproche dès lors de la communauté dont la religion offrait l’exemple : son attention est portée sur un but commun. Alors que la foule qu’a en vue Mallarmé est celle qui divague, dont l’attention est papillonnante ; ses membres peuvent bien avoir un but mais ne forment qu’une somme de buts divergents, distraits d’un but commun, et le hasard peut à tout moment happer les buts particuliers des membres d’une foule. Et qui plus est, cette foule qui marche, on l’intègre en marchant soi-même, acceptant alors d’être fondu à la masse et ses dérives multiples ; et on en sort, soit en marchant solitaire, c’est-à-dire en s’écartant du groupe, soit en cessant sa marche, parce qu’une frontière ou un objet nous arrête. En somme, dans la foule, chacun ne s’arrête pas, ni dans ses pas, ni dans ses pensées ; et c’est cet ancrage, cette solitude impossible qui manque lorsqu’on pénètre la foule, comme pour y perdre ses assises.

Le deuxième élément à noter se trouve, encore, dans « La déclaration foraine », et montre, cette fois-ci, deux bornes attribuées à la foule, pour la délimiter, et tracer un territoire où elle apparaît, puis disparaît. C’est la phrase citée plus haut, lorsqu’on la continue, qui décrit l’entrée en scène, dans la scène du poème du moins, de la foule. Or cette phrase elle-même montre différents degrés, et situe déjà le lieu de la foule, après la « solitude », la « gracieuse compagnie », et avant « l’univers ». On la citera donc au complet, quoiqu’elle soit longue et complexe :

Sans compensation à cette secousse qu’un besoin d’explication figurative plausible pour mes esprits, comme symétriquement s’ordonnent des verres d’illumination peu à peu éclairés en guirlandes et attributs, je décidai, la solitude manquée, de m’enfoncer même avec bravoure en ce déchaînement exprès et haïssable de tout ce que j’avais naguères fui dans une gracieuse compagnie : prête et ne témoignant de surprise à la modification dans notre programme, du bras ingénu elle s’en repose sur moi, tandis que nous allons parcourir, les yeux sur l’enfilade, l’allée d’ahurissement qui divise en écho du même tapage les foires et permet à la foule d’y renfermer pour un temps l’univers.

OCII, p. 94

La seconde phrase, au contraire, montre la sortie du personnage (qui entra plus tôt dans la foule) lorsqu’il quitte l’assemblée des auditeurs de son « boniment », qui redevient « foule » un temps, juste avant qu’un autre spectacle lui fasse reprendre le collier de la communauté d’écoute :

Un suspens de marque appréciative sauf quelques confondants « Bien sûr ! » ou « C’est cela ! » et « Oui ! » par les gosiers comme plusieurs bravos prêtés par des paires de mains généreuses, conduisit jusqu’à la sortie sur une vacance d’arbres et de nuit la foule où nous allions nous mêler, n’était l’attente en gants blancs encore d’un enfantin tourlourou qui les rêvait dégourdir à l’estimation d’une jarretière hautaine.

OCII, p. 97

Suit alors un dialogue entre le poète et sa dame que j’ai déjà analysé ailleurs[16], comme art de la compréhension poétique. L’attente ici nommée est souvent convoquée par Mallarmé lorsqu’il est question de la foule : elle symbolise le temps perdu, sans objet, ici devant l’enfantin tourlourou, soit un spectacle qui divertit, qui distrait, qui capte la marche mais un temps seulement, sans empêcher la foule de se reformer dès l’instant. Le « boniment » du poète, au contraire, aura marqué un laps où la foule s’était dissoute, pour se reformer en communauté d’écoute. Et c’est au couple, maintenant, de s’entendre sur le boniment, au milieu quoique hors de la foule.

Ces deux extraits montrent chaque fois le personnage du poète qui entre dans la foule, avant et après avoir présenté son boniment. Mais s’il faut voir dans le poème en prose mallarméen, comme le propose Michel Murat, des « Pages » qui orchestrent leur propre mise en scène visuelle sur le papier[17], préparant à leur façon l’entreprise du Coup de dés, ce poème montre une autre facette, qui lui est propre. Car c’est le seul, parmi les proses de Mallarmé, à insérer un poème en vers, sujet du boniment, présenté en spectacle par le poète-rhapsode[18]. Le sonnet, selon « un mode primitif » (OCII, p. 98), soit le sonnet anglais, s’offre aisément à la vue du lecteur, par son alinéa supplémentaire, par son italique, et bien sûr par les lignes de ses vers. On ne peut par ailleurs dénier au poème en prose mallarméen une certaine qualité visuelle, commune de toutes parts : les interlignes sont nombreux et variés, et surtout, la longueur des paragraphes varie beaucoup, Mallarmé affectionnant les paragraphes très brefs, d’à peine une phrase, qui retrouvent l’aspect visuel du vers, contrastés par des masses de prose. L’espace de la page, donc, discrètement mais sûrement, est travaillé par les proses mallarméennes. Et en ce sens, la « foule » entre dans cet espace, avant le boniment, puis en sort, par la suite ; ou, pour le dire autrement, l’« idée » de la foule pénètre l’esprit puis le quitte. Ce qui nous incite, par ailleurs, à noter des nuances importantes entre ces deux occurrences.

Tout le poème, on le voit, a comme basse continue un échange entre le poète et sa dame, varié selon les circonstances, selon la « secousse » qui survient. Au départ, c’est la dame « voiturée » qui réclame la compagnie du poète, en lui promettant un spectacle qui reste imprécis : « “La fête de…” et je ne sais quel rendez-vous suburbain ! » (OCII, p. 94) Celle avec qui il aurait pu fuir la « vocifération […] avec orage, dans tous sens à la fois et sans motif, du rire strident ordinaire des choses et de leur cuivrerie triomphale […], la cacophonie à l’ouïe de quiconque », l’invite au contraire à y pénétrer, dans ce « déchaînement exprès et haïssable » : la compagne ne « témoignant de surprise à la modification dans notre programme » (OCII, p. 93-94), se montrant à l’inverse « prête » à accueillir tout imprévu. Cette surprise est essentielle, et s’arrime à tout ce que les termes précédents ont d’intempestif, de désordonné, d’imprévisible. Comme le dit la suite, c’est la surprise « qui détourne [leur] stagnation amusée », et surtout, qui les « retint à l’égal de la nue incendiaire » pour, cette fois-ci, le bénéfice d’un « humain spectacle, poignant » (OCII, p. 94). C’est dire qu’il est possible de (re)trouver, au coeur de la foule, l’essence d’une expérience esthétique, pour qui accepte de s’abandonner à son cours et de faire fi de ses réticences premières, ce que se propose le poète. Il deviendra, comme on sait, le jouet de cette entreprise, étant appelé lui-même à offrir cet « humain spectacle », de connivence avec sa dame, qui hèlera les gens de l’assistance, et qui surtout, offrira le spectacle de sa chevelure, objet du boniment du poète, « La chevelure vol d’une flamme à l’extrême ». On notera, cela dit, une remarque éminemment moderne de Mallarmé : c’est qu’au moment de faire ces observations et d’entrer dans la foule, le poète et sa dame se trouvent en voiture, au milieu des gens ; mais dans leur dialogue, évoqué au plus simple par la seule mention « La fête de… », et surtout dans les pensées du poète, la foule a pénétré à l’intérieur de leur cabine, et ils y participent déjà, avant de pénétrer la « baraque, apparemment vide ». Et à partir de là la foule se dissipe, pour laisser place, plutôt, au « public » et à la « masse » : une « cohue [qui] amplement payait l’aumône exigée en faveur d’un quelconque », en vue de « quelque puissance absolue, comme d’une Métaphore » (OCII, p. 96). C’est l’attention esthétique qui transforme la foule en auditoire, comme naguère la Parole d’un Dieu transformait le peuple en communiants.

Et une fois le spectacle passé, le poète et sa dame réintègrent la foule, pour un moment, de plain-pied cette fois-ci. Or à ce moment ils ne font que l’effleurer, juste après que des « gosiers » eurent continué les « bravos » sous diverses formes, et juste avant qu’un « enfantin tourlourou » ne capte l’attention un moment. Mais surtout, ce qui distrait le couple de la foule est le dialogue qui termine le poème. Ce dialogue revient sur ce qui a suscité le spectacle, en deux temps : d’une part la beauté de la femme, d’autre part le poème qui voulut en rendre compte. Et s’offre alors un art de la lecture et de la compréhension, en forme miniature. Chaque réplique est isolée d’un tiret et est complète, la « cacophonie » de la foule a disparu et nous revenons à un échange entre deux individus qui s’entendent ; ou plutôt, nous y venons pour une première fois dans le poème, car si le poète a évoqué plus tôt cette entente, le poème la reporte dans un passé antérieur. Le contraste est donc frappant entre le couple voituré qui laisse entrer la foule par toutes les voies, et le couple qui marche au milieu de la foule sans y participer, concentré sur son entente et sur le poème qui a précédé, le méditant. Et alors que la solitude venait à manquer dans la voiture encerclée, ici le dialogue se clôt sur un énigmatique : « — Peut-être ! accepta notre pensée dans un enjouement de souffle nocturne la même » (OCII, p. 98), qui fait du couple une « même » entité[19].

Nous avons sciemment utilisé le terme de méditation pour désigner ce dialogue, qui se termine sur une énigmatique « notre pensée », « la même ». Nous voulions ainsi indiquer que certains échanges interpersonnels permettaient de retrouver et d’entretenir une forme de solitude, mais aussi une forme de concentration de la pensée, ou de « centralisation du Moi », pour reprendre la formule baudelairienne. D’autres échanges, eux, sont soumis au hasard de la divagation, comme ceux qui ont cours avant le boniment du poète. Ce dernier, le spectacle du poème, permet de réactiver la solitude au milieu de la masse : chacun s’y trouve concentré sur le même objet et communie en pensée, sinon en acte, avec ceux qui l’accompagnent. La foule est l’envers païen de cette communauté, jadis religieuse, maintenant (à l’époque de Mallarmé) esthétique, sinon littéraire, à supposer que la littérature est l’art qui, par excellence, reprend tous ses biens aux autres arts, et à la religion également. La littérature qui est, rappelons-le, le « sujet, de pensée, unique » du volume Divagations. Il n’est pas innocent, à ce titre, que Mallarmé retrouve la méditation à la faveur d’un poème en vers : il pose ainsi une démarcation entre les deux types de poésie – que personne avant lui n’avait proposée, et que le syntagme de « poème critique » (OCII, p. 277) catégorise – pour désigner ses poèmes en prose (mais aussi, selon plusieurs commentateurs, quelques autres proses, au moins, du volume). En ce sens, donner le titre de Divagations à ce qui fut d’abord pensé comme « Prose » ou comme « Pages » est déjà un geste critique, minimal mais instructif. Car la divagation, soit la quête de l’imprévisibilité d’une pensée papillonnante, n’exclut pas la méditation a posteriori, que permet la critique. Il est donc possible, après coup, de saisir un fil dans la cacophonie de la foule, dans les pensées diverses et divergentes que trace chaque individu qui la compose : c’est l’entreprise même de la poésie, qui devient en cela critique.

C’est cela même que tracent les autres occurrences de la « foule » dans le recueil. Taichi Hara citait[20], comme exemple de la marque baudelairienne, l’importance de la foule dans « Un spectacle interrompu », un autre poème forain qui montre l’interaction périlleuse de l’ours et de l’humain. En effet, le terme y revient deux fois, et son cadre rappelle « Le vieux saltimbanque », comme le note Hara. Il fait moins de cas de « La déclaration foraine », où le terme revient deux fois également, pour des raisons de goût, essentiellement, qui étonnent : « Si “La déclaration foraine” suit essentiellement le schéma ternaire d’une intrigue anecdotique, promenade-événement-retour, elle ne le suggère qu’avec un style embrouillé, propre aux dernières proses de Mallarmé[21]. » Il est vrai que, réduit à sa seule « intrigue anecdotique », le poème semblera bien « embrouillé » ; mais encore peut-on proposer qu’il suggère autre chose. Quoi qu’il en soit, ces a priori cachent un autre fait, qui oblige à regarder ailleurs : c’est qu’un autre poème présente deux occurrences de la « foule », à un moment beaucoup moins attendu. C’est « L’ecclésiastique », ce poème sournois sur l’onanisme religieux, qui est bien peu baudelairien, du coup, et participe pleinement de cette mise au rencart de la religion pratiquée par Mallarmé. La première occurrence confirme on ne peut mieux le modèle que nous avons proposé à la suite des remarques de Doumet, car elle oppose clairement la foule à la solitude, et partant, la divagation et la méditation :

Rien dans le cas actuel n’apportant de profit à la foule, j’échappe, pour le méditer, sous quelques ombrages environnant d’hier la ville : or c’est de leur mystère presque banal que j’exhiberai un exemple saisissable et frappant des inspirations printanières.

OCII, p. 101

Le poète vient d’énoncer comme principe général que « [l]es printemps poussent l’organisme à des actes qui, dans une autre saison, lui sont inconnus », et remarque même des « altérations qu’apporte l’instant climatérique dans les allures d’individus faits pour la spiritualité ! » (OCII, p. 101), ce que confirmera la scène de l’ecclésiaste se roulant de plaisir dans l’herbe. Si l’on peut d’abord comprendre que le poète échappe à la foule pour mieux « méditer » ce cas, il est possible également de comprendre que c’est la méditation elle-même qui apportera « profit à la foule », elle seule pouvant lui faire reconnaître la loi générale sous le « cas » curieux qui se présente alors. Le verbe « exhiber » est ici intéressant, en ce qu’il présente le poète comme témoin-maraudeur qui, tel un reporter, trace le croquis d’une scène interdite mais que tous peuvent être intéressés à connaître. Or Mallarmé note par la suite, en les opposant, deux communautés distinctes, qui traduisent la chute du christianisme : la communauté naturelle, d’une part, celle qui soumet les individus aux forces climatériques ; et la communauté spirituelle, d’autre part, exclue et écartée, bannie par l’ecclésiaste lui-même. Un point-virgule trace la frontière entre ces deux positions :

L’influence du souffle vernal doucement dilatant les immuables textes inscrits en sa chair, lui aussi, enhardi de ce trouble agréable à sa stérile pensée, était venu reconnaître par un contact avec la Nature, immédiat, net, violent, positif, dénué de toute curiosité intellectuelle, le bien-être général ; et candidement, loin des obédiences et de la contrainte de son occupation, des canons, des interdits, des censures, il se roulait, dans la béatitude de sa simplicité native, plus heureux qu’un âne.

OCII, p. 102

Deux énumérations se succèdent ici, pour s’opposer, l’une qualifiant le « contact avec la Nature », l’autre décrivant les attributs de « son occupation », religieuse. Et c’est dénudé de tous ces attributs que l’ecclésiaste rentre, « héros de [sa] vision […], inaperçu, dans la foule et les habitudes de son ministère » (OCII, p. 102). Une fois qu’il a atteint « le but de sa promenade », l’ecclésiaste recouvre son anonymat et réintègre la foule, d’où c’est le poète, au départ, qui s’écartait. Si son insertion n’impose pas que la foule soit païenne, elle laisse du moins entendre que certains ministres qui y marchent sont en voie d’être défroqués…

« Le phénomène futur » présente l’autre versant auquel s’oppose la foule : non plus la communauté spirituelle, mais plutôt la communauté filiale. Cela dit, il est aisé de voir dans ce poème tous les signes d’une « décrépitude » qui serait, aussi, spirituelle. Ce poème futuriste montre lui aussi un spectacle, celui d’« une Femme d’autrefois » qui aurait conservé, intacts, tous les attributs de la fertilité. Celle-ci doit son apparition au « Maître des choses Passées », qu’il est aisé d’identifier aux « poëtes de ces temps » évoqués en finale, qui sont « hantés du Rythme et dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté » (OCII, p. 84). Voilà donc, la fertilité, la religion, la beauté, ce qui manque à la foule : « maint réverbère attend le crépuscule et ravive les visages d’une malheureuse foule, vaincue par la maladie immortelle et le péché des siècles, d’hommes près de leurs chétives complices enceintes des fruits misérables avec lesquels périra la terre. » (OCII, p. 83) Le modèle de la foule est ici hypertrophié et sa logique poussée à son extrême : comme la foule n’est ni une fratrie, constituée des liens du sang, ni une communauté, animée par une foi unique, ni un public, soumis à l’attention du spectacle de la beauté, le poète propose la vision apocalyptique d’une foule qui, en bloc, actualiserait l’ensemble de ces manques. Vision pessimiste, certes, qui a fortement contribué à voir en Mallarmé l’ennemi des foules ; mais vision lucide malgré tout, malgré l’hyperbole de sa démonstration.

Et du reste, Mallarmé offre, dans ce poème que nous avons réservé jusqu’à maintenant, « Un spectacle interrompu », un aperçu, une éclaircie permettant de nuancer, ou plutôt d’expliquer ce pessimisme. Ce poème, on l’a dit, présente trois occurrences du terme, des occurrences qui sont, encore une fois, contrastées. La première et la seconde résument l’idée commune qu’on se fait du discours mallarméen, entre autres parce qu’elle associe la foule et les « reporters », qui évoquent dès lors « l’universel reportage », s’opposant à la littérature. Elle montre de plus la solitude face à la foule, et c’est là qu’apparaît la seule mention générique choisie par Mallarmé, soit « l’Anecdote » : « Je veux, en vue de moi seul, écrire comme elle frappa mon regard de poëte, telle Anecdote, avant que la divulguent des reporters par la foule dressés à assigner à chaque chose son caractère commun. » (OCII, p. 90) La seconde occurrence explicite ce « caractère commun », spécifié par le « mythe » : « Jouir comme la foule du mythe inclus dans toute banalité, quel repos et, sans voisins où verser des réflexions, voir l’ordinaire et splendide veille trouvée à la rampe par ma recherche assoupie d’imaginations ou de symboles. » (OCII, p. 91) Or dans les deux phrases, il y a une antécédence qui complique légèrement les choses. Dans la première, le poète affirme vouloir écrire son anecdote « avant que » les reporters ne la « divulguent », un terme quand même fort, qui sous-entend que le poète aurait un but on ne peut plus journalistique, soit la primeur ; ce qui, pour le moins, étonne. On s’étonne encore plus que la remarque présuppose que l’anecdote pourra intéresser, d’abord les reporters, mais aussi les lecteurs. Or tout cela est subsumé par une seconde antériorité : c’est qu’avant toute chose, les buts des uns et des autres sont réglés sur les attentes de « la foule », que les reporters, bien « dressés », ne font qu’écouter (avec, bien sûr, un jeu de mot sur le dressage de l’ours de la foire). La même antériorité est visible dans le deuxième extrait, beaucoup plus élargie cette fois, c’est celle du « mythe inclus dans toute banalité », l’archétype ou les mythologies dont la foule serait la plus apte à « jouir ». Or une autre contradiction apparente s’offre ici : c’est que pour être « comme la foule », on doit se trouver « sans voisins ». On notera, enfin, qu’il n’est pas du tout sûr que les reporters soient aptes à déceler de chaque chose leur « caractère commun », s’il faut entendre par là leur « mythe ».

Mais on peut aussi considérer que ce ne soient là que des approximations, divagantes, d’une pensée qui se met en forme et qui n’est pas encore prête à s’énoncer dans sa totalité. Car il reste à parler de la troisième occurrence de la « foule » qui, croyons-nous, résout bien des ambiguïtés. Pour mieux la saisir, nous la placerons en parallèle d’une autre phrase, la dernière d’un discours tacite qu’aurait formulé le poète devant le « spectacle interrompu » ; qui, donc, même « sans voisins », se serait fait des réflexions personnelles, transposées, ici, dans une déclamation à l’adresse d’un auditoire fictif (une technique, l’énoncé fictif, reprise ailleurs, dans « Conflit » notamment, où il s’agit d’un dialogue) :

« [A]uthentiquons, par cette embrassade étroite, devant la multitude siégeant à cette fin, le pacte de notre réconciliation. » [Ici une phrase.] La foule s’effaçait, toute, en l’emblème de sa situation spirituelle magnifiant la scène : dispensateur moderne de l’extase, seul, avec l’impartialité d’une chose élémentaire, le gaz, dans les hauteurs de la salle, continuait un bruit lumineux d’attente.

OCII, p. 91-92

« La foule s’effaçait, toute » : cette formule en rappelle, en la radicalisant, une autre semblable qu’on retrouvait dans « Conflit » : « La foule s’arrête ». Nous notions alors que deux limites pouvaient « arrêter » la foule, soit un lieu ou un obstacle matériel stoppant sa marche, soit un objet d’attention lui faisant perdre sa pensée divagante. C’est ce que cet extrait-ci permet de préciser. Car ce qui efface la foule, d’un seul geste et dans un seul moment, c’est « l’emblème de sa situation spirituelle ». Or cet emblème a un nom dans l’extrait que nous avons cité avant : « la multitude ». Autrement dit, un nombre ne suffit pas à former une foule. Mallarmé n’a pas en vue ici le phénomène commun d’une foule qui se disperse ; qui cesse, autrement dit, petit à petit, d’être une foule, à la faveur d’un nombre de plus en plus réduit. Il a plutôt en vue une « situation spirituelle » qui effacerait, d’un seul coup, l’essence de la foule, une situation qu’on peut maintenant mieux cerner : c’est une « embrassade », un « caractère commun » où chacun peut se reconnaître en l’autre ; c’est lorsqu’un nombre important « siège », c’est-à-dire qu’il perd son caractère mouvant ; il a une « fin », qu’il peut authentifier par un « pacte », soit un objectif reconnu. Il est possible de donner à la foule ces éléments, après quoi elle s’effacera, comme par enchantement : car l’aura remplacée une nouvelle communion, un « dispensateur moderne de l’extase », une « attente », que même la « chose élémentaire » pourra dispenser, si « un regard de poëte » arrive à y montrer le soubassement qui « suscita [son] attention » (OCII, p. 91).

Mallarmé n’est donc pas le pourfendeur de la foule qu’on a cru. On devrait plutôt dire qu’il s’y adosse, ou alors qu’il l’a constamment en vue, pour l’effacer par son boniment. Car il croit dans le pouvoir de la parole esthétique pour dissiper la foule, comme avant lui la religion le faisait. Et c’est en empruntant ses moyens et ses qualités propres qu’il veut produire la transubstantification de la foule, par la divagation, soumise aux hasards et à la surprise, à l’indéterminé, à la vaporisation de la pensée. Mais plutôt que de se laisser mener jusqu’au bout, le poète entend s’arrêter à un point élu, et jeter son regard par derrière pour rendre compte du lieu où l’attention peut se former. Et alors, ce qui était encore une foule, se dissipe, et la multitude devient un corps.