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Pourquoi le rapatriement est-il si important pour beaucoup d’entre nous dans le monde ? Rapatrier nos trésors, c’est honorer le travail de nos ancêtres. Nous devons préserver les informations culturelles et historiques de nos ancêtres pour la génération d’enfants à venir. Tout le monde a le droit de savoir d’où il vient, quels privilèges culturels il détient et quelles chansons, danses et légendes il peut célébrer.

Andrea Sanborn 2009 : 86, notre trad.

Comme l’illustre cette citation d’Andrea Sanborn, membre de la Première Nation Kwakwaka’wakw et ancienne directrice du Centre culturel U’mista en Colombie-Britannique, le rapatriement des objets autochtones est régulièrement invoqué dans la perspective de bénéficier aux jeunes générations, notamment pour préserver et renouveler les aspects intangibles des objets conservés dans les musées, tant pour ce qui est des modes que des contenus de la transmission culturelle et intergénérationnelle (Conaty 2003 ; Kreps 2003 ; Simpson 2009 ; Gabriel et Dahl 2008 ; Sanborn 2009 ; Atkinson 2014). En effet, le rapatriement intervient, au même titre que d’autres activités de réappropriation et de préservation des patrimoines, dans les stratégies de maintien et de renouveau culturel des communautés. Pour accompagner ces efforts, les institutions culturelles et scolaires de celles-ci – souvent associées à des ruptures brutales avec les modes et les contenus de la transmission culturelle (Battiste et Barman 1995 ; May 1999 ; Martin et Capitaine 2005 ; Roué 2006 ; Atkinson 2014) – collaborent aujourd’hui à différents niveaux pour engager les jeunes générations dans les processus de restitution et de transmission culturelle.

Dans cet article, nous souhaitons explorer comment ces collaborations peuvent mobiliser les jeunes, en nous concentrant sur des projets menés de 2012 à 2016 entre les institutions scolaires et culturelles des communautés ilnu de Mashteuiatsh[1] et anishinabe de Kitigan Zibi[2], le projet de recherche Nika-Nishk[3] sur le rapatriement des patrimoines autochtones et le National Museum of the American Indian (NMAI) de Washington. Nous reviendrons particulièrement sur une série d’activités menées en 2013 et au cours desquelles douze jeunes des écoles secondaires de Mashteuiatsh et de Kitigan Zibi se sont rendus à Washington pour étudier les collections d’objets conservées au NMAI provenant de leurs communautés et réunies par l’anthropologue Frank G. Speck une centaine d’années plus tôt.

La première partie de l’article présentera les deux communautés afin de contextualiser la manière dont elles contribuent à rapatrier, depuis plusieurs années déjà, les moyens et le contenu de leur transmission culturelle. Cela nous permettra d’introduire et de situer dans quels contextes est intervenu le projet Nika-Nishk, pour ensuite décrire plus spécifiquement l’engagement des jeunes dans le cadre de ce projet de recherche. Enfin, trois axes de discussion émergeront des expériences vécues par chaque autrice et auteur.

Notre premier axe de recherche aborde le pouvoir social et rassembleur des objets selon le point de vue de Julian Whittam qui était, au moment des activités, agent de recherche pour le projet Nika-Nishk, particulièrement auprès des Anishinabeg de Kitigan Zibi. Le deuxième axe de discussion se concentre sur l’importance et la valeur de l’engagement des jeunes des communautés au sein des projets de recherche, à travers le regard de Carole Delamour, qui travaillait à ce moment-là comme agente de recherche pour le projet Nika-Nishk, principalement auprès des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh. Enfin, notre dernier axe aborde le rôle des processus de restitution dans l’autodétermination des communautés autochtones : il est développé par Gabrielle Paul, qui a participé aux activités décrites en tant qu’élève de l’école Kassinu Mamu, de Mashteuiatsh. De façon complémentaire, ces réflexions interrogeront tour à tour le potentiel de ces activités, à la fois pour les jeunes concernés et pour les chercheuses et chercheurs, mais également pour les musées. Quels rôles les jeunes peuvent-ils jouer au sein des processus de transfert des connaissances ? Comment participent-ils à la (ré)interprétation et à la revitalisation des savoirs associés aux objets ? Quelles formes d’engagement peuvent être repensées entre la recherche et les milieux scolaires des communautés ? Nous interrogerons la force et la capacité des objets de musée à (re)créer des liens intergénérationnels et interculturels, puis nous reviendrons sur la manière dont les processus de rapatriement peuvent s’avérer être des démarches instigatrices de connaissances qui nourrissent, entre autres, les démarches d’autodétermination des communautés.

Pour rendre compte des expériences vécues lors du projet, nous utilisons des témoignages de nos collaboratrices et collaborateurs, ainsi que de cochercheuses et cochercheurs communautaires. Ne souhaitant imposer ni l’anonymat ni la divulgation de leur identité, nous n’identifions par leur nom que les personnes qui l’ont souhaité.

Inscriptions locales du projet Nika-Nishk

Le projet Nika-Nishk et les recherches menées avec les jeunes sur les objets du NMAI se sont intégrés à des contextes locaux et particuliers de transmission. Pour comprendre cette inscription locale, voyons comment les institutions scolaires et muséales de Mashteuiatsh et de Kitigan Zibi appuient les processus de transmission culturelle en encourageant la restitution et la circulation des savoirs.

Les Anishinabeg de Kitigan Zibi

La communauté de Kitigan Zibi est la plus grande communauté anishinabe du Canada. Près de la moitié de ses 3000 membres y habitent. En 1980, les Anishinabeg de Kitigan Zibi ont repris le contrôle sur leur système d’éducation. Source de fierté pour la communauté, le secteur de l’éducation contribue à la transmission et au développement de la culture et de la langue. L’enseignement est offert par la communauté de la prématernelle jusqu’à la fin de l’école secondaire. Le secteur de l’éducation prend en charge des ateliers culturels et éducatifs pour les jeunes, les adultes ou les familles. Quoique la communauté n’offre pas de cours postsecondaires, il est courant pour ses membres de poursuivre leur éducation ailleurs, puis de revenir travailler dans la communauté.

Les villes d’Ottawa et de Gatineau se situent sur le territoire traditionnel anishinabe, et des membres de la communauté font souvent partie des conseils consultatifs des deux villes pour une variété de projets. La communauté est notamment en relation avec le Musée canadien de l’Histoire (MCH) depuis plusieurs années. De 2001 à 2003, la communauté a collaboré avec le Musée pour la réalisation de fouilles archéologiques. Ce projet, nommé Kabeshinan (camp d’été), a permis à la communauté d’en apprendre davantage sur les collections anishinabe conservées au MCH. À ce moment-là, la communauté avait appris que des restes humains et des objets funéraires associés étaient conservés dans les réserves du musée. Après une consultation communautaire, des représentants de Kitigan Zibi ont entamé des discussions pour rapatrier les restes humains conservés au MCH. Le processus de rapatriement des musées centraux est rarement chose facile. Pour la communauté de Kitigan Zibi, les discussions entamées en 2002 avec le MCH ont abouti en juin 2005 au rapatriement des restes humains et des objets funéraires (Whittam 2015). Le musée a également transféré à la communauté des objets archéologiques trouvés lors des fouilles du projet Kabeshinan. Ces artefacts venaient s’ajouter aux objets de valeur historique et culturelle que la communauté conservait depuis déjà plusieurs années. Désirant se doter d’un lieu qui servirait à la fois d’espace d’exposition, de réserves muséales et de quartier général pour le secteur de l’éducation, la communauté a engagé l’architecte Douglas Cardinal[4] pour créer le Kitigan Zibi Cultural and Education Centre (KZCEC), qui a ouvert ses portes à l’automne 2005. Aujourd’hui, le bâtiment abrite une exposition permanente sur l’histoire et la culture des Anishinabeg de Kitigan Zibi, des réserves muséales pour les 3 000 objets conservés, ainsi que des bureaux pour une partie du personnel du secteur de l’éducation. De plus, un grand espace central et circulaire sert de salle de réunion, de lieu de rencontre pour les membres de la communauté et de salle de classe pour des cours linguistiques et culturels. Un des premiers événements à avoir eu lieu dans le nouveau centre culturel était un symposium sur le rapatriement, en août 2005, auquel ont assisté des représentants de plusieurs communautés autochtones et de musées ainsi que des membres de la communauté académique. Le rapatriement de 2005 demeure donc un moment important pour la communauté de Kitigan Zibi, qui a fait profiter le projet Nika-Nishk de son expérience en la matière.

Les Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh

Mashteuiatsh, qui signifie « là où il y a une pointe », est l’une des onze communautés innues du Canada, dont neuf sont situées dans la province de Québec et deux dans celle de Terre-Neuve–et–Labrador. Elle est située sur la rive ouest du Pekuakami – ou « lac peu profond », appelé aussi lac Saint-Jean –, et sa population s’identifie sous le nom de Pekuakamiulnuatsh (les Ilnuatsh du Pekuakami).

Les Pekuakamiulnuatsh, tout comme d’autres Autochtones du Canada, ont subi les politiques gouvernementales de mise en réserve, de sédentarisation forcée ainsi que d’aliénation culturelle, linguistique et identitaire, relayées notamment par le système scolaire des écoles de jour et des pensionnats (Barman, Hébert et McCaskill 1986 ; Lacasse 2004 ; Saganash 2005 ; Bousquet 2016 ; Morissette 2016). Dans une volonté de reprendre le contrôle des aspects culturels et linguistiques légués par leurs ancêtres, les Pekuakamiulnuatsh ont repris en charge, depuis la fin des années 1970, l’éducation ainsi que les programmes linguistiques et culturels. Les orientations du développement communautaire inscrites dans leur politique d’affirmation culturelle visent notamment à assurer la reconnaissance de leur identité et la valorisation, la transmission et l’intégration de la culture dans le développement global des Pekuakamiulnuatsh (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan 2005).

Pour développer et diffuser leurs propres activités culturelles, les Pekuakamiulnuatsh se sont dotés d’infrastructures scolaires et muséales telles que le Musée amérindien de Mashteuiatsh (MAM)[5] et l’école secondaire Kassinu Mamu[6]. Depuis les années 1980, le musée et l’école déploient différents médias pour engager les jeunes dans les processus de transmission culturelle. Leurs démarches sont alimentées par les projets de recherche locaux qui documentent auprès des aînés et au sein des archives les savoirs et les connaissances qui sont ensuite transmis dans les programmes scolaires et culturels[7]. Pour se rapprocher des aspirations locales, ces institutions ont développé des programmes qui intègrent la transmission dans le cadre d’environnements intergénérationnels et territoriaux (Delamour 2017 : 65-77). Ainsi l’école organise, par exemple, le programme « Sorties en territoire[8] », qui a pour principe de permettre aux jeunes de l’école « de fortifier leur appartenance culturelle, d’acquérir des connaissances auprès des aînés et des transmetteurs, et de développer leur autonomie, leur sens des responsabilités ainsi que des habiletés sociales » (Christine Tremblay, directrice par intérim de Kassinu Mamu en 2015).

En participant à la réappropriation et à la revitalisation des savoirs, savoir-faire et savoir-être ilnu, ces institutions mettent sur pied des programmes qui soutiennent la restitution des connaissances. En cela, le musée et l’école font aujourd’hui partie des arènes à partir desquelles les Pekuakamiulnuatsh revendiquent et se réapproprient le contrôle de leur patrimoine culturel – matériel et immatériel – et des moyens de le transmettre. Fortes de ces expériences, ces institutions ont constitué un terreau qui a nourri le projet Nika-Nishk, notamment en engageant les jeunes dans les processus d’étude et de rapatriement des objets.

Le projet Nika-Nishk

C’est à ces contextes communautaires que s’est arrimé le projet Nika-Nishk, dirigé de 2011 à 2017 par Élise Dubuc, professeure au département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. À la suite des consultations avec les membres des communautés, le projet a reçu le nom « Tshiue-Natuapahtetau/Kigibiwewidon[9] : Exploration de nouvelles alternatives concernant la restitution/réappropriation du patrimoine autochtone ». À des fins de simplification, le projet a également été appelé « Nika-Nishk » : nika et nishk signifiant « outarde » en anishinabemowin et en nehlueun.

Le projet portait sur la reprise de possession des patrimoines autochtones. En collaboration avec les communautés de Mashteuiatsh et de Kitigan Zibi, ainsi qu’avec des musées tels que le NMAI de Washington ou le Field Museum de Chicago, le projet comprenait plusieurs volets de recherche, dont la documentation générale des processus de rapatriement, l’étude des objets ilnu et anishinabeg conservés dans les musées et la mise en place d’actions favorisant l’accès des communautés aux collections muséales (voir http://nikanishk.ca/). Très rapidement, l’attention des cochercheuses et cochercheurs communautaires du projet s’est portée sur l’étude des collections d’objets que l’anthropologue américain Frank G. Speck (1881-1950) a rassemblées à Mashteuiatsh et à Kitigan Zibi entre 1910 et 1930. À la suite de recherches préliminaires, le projet s’est plus particulièrement tourné vers l’étude des collections du NMAI de Washington. La collection provenant de Mashteuiatsh compte plus de 500 objets, et celle de Kitigan Zibi près de 350 objets. C’est autour de ces collections que se sont déroulées les activités menées avec les jeunes de Kitigan Zibi et de Mashteuiatsh.

Un projet qui prend racine localement

À l’automne 2012, avec les membres de la communauté de Mashteuiatsh, Carole Delamour documentait pour le projet Nika-Nishk les objets du NMAI. Est né alors le besoin de recueillir les connaissances et le point de vue des jeunes quant aux objets de leur culture, mais également le sens que pouvaient recouvrir pour eux des objets datant du début du xxe siècle. À la suite de discussions avec la conservatrice du patrimoine ilnu du Musée amérindien de Mashteuiatsh, Louise Siméon, et avec la direction du projet, l’école secondaire Kassinu Mamu a été contactée pour organiser au musée des rencontres avec les jeunes. Ce fut le début d’un second projet au sein du premier : celui de rendre accessible aux jeunes des deux communautés un patrimoine éloigné dans le temps et dans l’espace.

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Simon Buissière-Launière, Myriam-Uapukiniss Duchesne et Marie-Ange Raphaël lors des rencontres de préparation, au Musée amérindien de Mashteuiatsh (MAM)

Simon Buissière-Launière, Myriam-Uapukiniss Duchesne et Marie-Ange Raphaël lors des rencontres de préparation, au Musée amérindien de Mashteuiatsh (MAM)
Photo Marie-Ève Vanier, Projet Nika-Nishk

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Les ateliers communautaires

En février 2013, grâce à l’entrain dont a fait preuve la direction du projet Nika-Nishk et de l’école Kassinu Mamu, une première série de rencontres a été organisée par Louise Siméon et Carole Delamour avec quatre classes du secondaire au Musée amérindien de Mashteuiatsh (MAM). On leur a d’abord présenté ce qu’est le rapatriement d’objets, les raisons pour lesquelles des objets ilnu se retrouvent ailleurs dans le monde, à quels endroits ces objets se trouvent aujourd’hui ou encore les différentes circonstances de collectes des objets. La deuxième partie des rencontres a été consacrée plus spécifiquement aux objets de la collection du MAM. Louise Siméon a sorti des objets de la réserve du musée afin que les jeunes puissent les observer, les manipuler et les comparer.

Ces premières rencontres ont été riches en commentaires et en surprises. Elles ont fait ressortir à quel point les jeunes sont intéressés par les objets de leur culture ainsi que l’étendue des connaissances qu’ils possèdent. Selon l’enseignante Marie-Ève Vanier, ces activités ont été l’occasion, pour certains jeunes ne parlant que très peu durant les cours, d’exprimer des connaissances qu’ils n’ont pas l’occasion de valoriser dans le cadre scolaire habituel. Grâce à des moments plus cocasses et pleins d’humour, les jeunes ont également eu l’occasion d’en apprendre plus sur les objets utilisés par leurs ancêtres. Par exemple, lors d’une visite dans l’exposition, l’un des élèves s’est exclamé, en observant un petit sac en fourrure et en lisant le cartel : « Hein, mais ils ont tué un écureuil pour faire un sac ? » Après un étonnement et un fou rire collectif, cela a permis de discuter des différents matériaux utilisés pour la confection des sacs en fourrure.

Photo 2

Marie-Ange Raphaël dans les réserves du MAM

Marie-Ange Raphaël dans les réserves du MAM
Photo Marie-Ève Vanier, Projet Nika-Nishk

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Après ces premières rencontres, l’idée d’organiser un voyage d’étude au NMAI pour les jeunes des deux communautés est née entre les directions du projet Nika-Nishk, de l’école Kassinu Mamu et du centre culturel de Kitigan Zibi. Deux autres séries d’ateliers ont alors été organisées pour préparer les jeunes des écoles à partir pour Washington. Sept jeunes de Mashteuiatsh et cinq de Kitigan Zibi se sont engagés de manière volontaire dans le projet et ont participé de façon assidue aux rencontres de préparation.

Lors de la première rencontre, les élèves ont sélectionné deux objets conservés au NMAI afin de les documenter une fois à Washington. Leurs choix ont ensuite été communiqués au NMAI afin que le personnel puisse préparer et sortir les objets pour leur venue.

Les élèves ont choisi les objets en fonction de leurs intérêts personnels – des objets qu’ils ne connaissaient pas ou qui étaient confectionnés à partir de matériaux ou de techniques qui ne sont plus utilisés aujourd’hui :

Chez mon grand-père, y’a des outils pour en faire [des filets de pêche], mais je ne savais pas en faire. Ceux-là m’ont intrigué parce que c’était en babiche, les vrais filets !

Simon Buissière-Launière, juillet 2015, entrevue avec C. Delamour

Au cours de la deuxième rencontre, les jeunes ont eu une formation sur les conditions nécessaires à la conservation des objets au sein des réserves et sur le mode de fonctionnement des bases de données muséales. Ils ont été initiés à la recherche des différentes sources d’information (photos, récits de voyages, archives) qu’ils auraient l’occasion d’utiliser pour étudier les collections.

Les formations et le travail de documentation à Washington 

En juin et août 2013, les jeunes des deux communautés sont partis à Washington pour travailler sur les collections du NMAI.

Dexter-Ozzy Dubé-Dominique, Annie-Sophie Neashish-Petiquay, Andrew Duchesne, Simon Buissière-Launière, Gabrielle Paul, Myriam-Uapukiniss Duchesne et Marie-Ange Raphaël, de Mashteuiatsh, ont été accompagnés par leur professeure Marie-Ève Vanier et par Janine Tremblay et Sandy Raphaël. Aanjeni Twenish, Miskomin Twenish, Sierra Lee Odkick, Misko McGregor et Jace House, de Kitigan Zibi, ont été accompagnés par l’aînée Josee Whiteduck et l’aîné Peter Decontie, ainsi que par les membres de la communauté Anita Tenasco, Jenny Tenasco, Fred McGregor et Valerie Plain.

Les groupes ont été accompagnés par des membres du projet Nika-Nishk : Élise Dubuc (directrice), Julian Whittam et Martine Dubreuil (agent et agente de recherche). L’équipe du NMAI les a accueillis sur place, sous la direction d’Amy Van Allen (cheffe de projet au NMAI et partenaire du projet Nika-Nishk) et de Mark Christal (développeur des programmes de formation et coordonnateur des activités avec les communautés), avec, notamment, Cali Martin (gestionnaire des collections) et Augusta Lehman (représentante de la production médiatique).

La visite du NMAI s’est étalée sur plusieurs jours. Les groupes ont eu l’occasion de visiter l’exposition permanente et ont été accompagnés par le personnel du NMAI lors des visites des réserves et des séances de recherche sur les objets sélectionnés. Le personnel du NMAI a utilisé l’équipement et les installations du centre de ressources culturelles du musée pour animer des ateliers de formation sur les technologies de communication, notamment pour enseigner aux jeunes comment photographier les objets de manière professionnelle. Ils ont été initiés à l’utilisation d’un logiciel libre de droits, permettant de faire pivoter l’image sur 360 degrés. D’autres techniques ont été utilisées, par exemple celle de la lumière rasante qui a permis de révéler les reliefs d’une ancienne carte faite sur de l’écorce de bouleau. Le personnel du musée a également montré aux jeunes comment créer de courts films documentaires. Grâce à ces formations, ils ont peu à peu participé au processus de documentation des objets.

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Échanges entre Simon Buissière-Launière et Sandy Raphaël lors des formations données aux jeunes, au centre de ressources culturelles du NMAI

Échanges entre Simon Buissière-Launière et Sandy Raphaël lors des formations données aux jeunes, au centre de ressources culturelles du NMAI
Photo : Projet Nika-Nishk

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Cette documentation s’est enrichie des échanges que les jeunes ont eus avec les personnes accompagnatrices, mais aussi par téléphone avec d’autres aînés et aînées restés dans les communautés. Ils ont également été appuyés par le personnel du NMAI, qui les a orientés pour utiliser les ressources documentaires présentes dans les archives et la bibliothèque du musée. Outre une transmission de savoirs qui a eu lieu de façon intergénérationnelle, des échanges de savoirs se sont ainsi également opérés de façon interculturelle, entre les membres des communautés et le personnel du NMAI.

L’imprégnation d’une relation avec les ancêtres

Au fil des activités, certains objets se sont révélés particulièrement importants pour les personnes accompagnatrices, qui ont également fini par choisir deux objets à étudier. Chaque participante et participant – jeunes et personnes accompagnatrices – s’est peu à peu approprié « ses » objets, et un lien particulier s’est créé, notamment à travers l’histoire de vie de ses ancêtres et les histoires personnelles qui y sont associées, comme le mentionne l’accompagnatrice Sandy Raphaël :

Les mitaines, c’était émouvant de les voir car c’est l’histoire de la personne qui les a faites qu’il y avait en face de moi. […] On retrouve dans les objets de Speck des matériaux utilisés par ma grand-mère, qu’on ne trouve plus aujourd’hui, des couleurs aussi, le rouge, le vert.

Sandy Raphaël, entrevue avec C. Delamour, nov. 2015

C’est également l’une des raisons qui a interpellé Gabrielle Paul lorsqu’elle s’est intéressée à un manteau en peau d’original :

Il contient la vie des ancêtres. Il avait vraiment l’air d’y avoir une histoire particulière derrière le manteau. La broderie, particulièrement, me semblait intéressante. Je me demandais c’était quoi la symbolique, puis j’avais vraiment envie d’en savoir plus là-dessus. C’est mystérieux. C’est comme si le manteau contenait encore la présence du porteur.

Gabrielle Paul, entrevue avec C. Delamour, nov. 2015

L’identification et l’imprégnation des ancêtres qui ont utilisé les objets ont suscité l’intérêt des jeunes et des personnes accompagnatrices. L’accès aux objets a également laissé entrevoir chez eux la consolidation d’un sentiment de fierté identitaire, et ce à plusieurs niveaux. Les participantes et participants étaient fiers d’avoir accès à une partie de l’héritage dont les communautés ont été dépossédées[10]. C’est une fierté liée à la perspective de pouvoir jouir de ce que leurs ancêtres ont laissé derrière eux. La perte des objets a accentué pour certains l’altération des souvenirs liés à leur histoire collective et familiale. Au même titre que les livres ou les personnes, les objets sont perçus comme autant de moyens permettant de matérialiser et de transmettre la mémoire de leur culture :

[Les objets] sont là pour savoir d’où on vient. Il y a des trous noirs dans notre histoire et il y a eu beaucoup d’oublis. Beaucoup d’aînés sont partis, c’est comme des bibliothèques au complet qui sont parties.

Femme ilnu, entrevue avec C. Delamour, mai 2012

Par leur présence physique, les objets ont le pouvoir de déclencher la mémoire de ceux qui y ont accès et de révéler ainsi une partie de leur immatérialité (Gadoua 2014). Matérialisant et transportant la mémoire des personnes et des événements, l’accès aux objets facilite la reprise de contact avec leur histoire (Kaufmann 1997 ; Losonczy 1999 ; Tisseron 1999) :

Un objet, de par le fait qu’il est là, il existe, je le vois, j’suis capable de me faire une idée de ce qu’il a vécu. Y’a des choses peut-être qui vont m’amener à me questionner pis y’a des choses que je vais comprendre parce que cet objet-là a une histoire et a été utilisé de telle façon.

Femme ilnu, entrevue avec C. Delamour, mai 2012

La mémoire n’est pas dans un objet en soi, mais elle se crée dans les relations que les individus entretiennent avec lui et entre eux (Kaufmann 1997 ; Clavir 2002). La réactivation de la mémoire imprégnée dans un objet n’est possible que parce qu’il est lui-même relié à une multitude d’autres objets et de personnes, d’où la préoccupation constante des Ilnuatsh et des Anishinabeg à connaître l’origine et l’histoire particulière des objets présents dans les collections du NMAI.

Ces points saillants illustrent la force et la complexité des processus de rapatriement, dont les enjeux dépassent le simple retour des objets. Les démarches de rapatriement nécessitent une documentation, comme celle réalisée par les jeunes et les personnes accompagnatrices, et l’accès aux objets, nécessaire à ce travail, leur permet de se remémorer ou d’apprendre une partie de l’histoire de leur communauté. Comme le mentionnait Fanny Wonu Veys lors d’une rencontre entre les Bundjalung d’Australie et leurs objets ancestraux conservés au Rijksmuseum Volkenkunde de Leyde, ces objets leur permettent de reconstituer des mémoires éparpillées et de faire des liens entre les objets, les personnes auxquelles ils ont pu appartenir et les connaissances de leurs aînés « pour rassembler les bribes de mémoire afin d’en faire une histoire cohérente » (Wonu Veys 2013 : 73). Autour des objets, les Pekuakamiulnuatsh et les Anishinabeg se sont interrogés sur des pratiques, des matériaux ou des termes et se sont remémoré des histoires vécues ou racontées par leurs parents ou grands-parents. Cultiver l’histoire de ces objets a permis de leur redonner un sens plus explicite, d’actualiser la mémoire vivante qu’ils contiennent et de les réinvestir dans un contexte de transmission intergénérationnelle. Par le biais de ces processus, et cela, même s’ils sont conservés à des milliers de kilomètres des communautés, les objets sont redevenus socialement actifs en médiatisant des interactions sociales et en obtenant une place centrale et déterminante dans la constitution et les échanges de connaissances culturelles.

Pour les jeunes présents au NMAI, les objets de musées n’ont pas permis de se référer à une histoire personnelle mais à l’histoire de leurs aînés. Selon eux, ils ont pu « se situer » un peu plus à l’intérieur de cette histoire, notamment lorsqu’ils ont pu se positionner par rapport aux familles ou aux personnes à l’origine de ces objets. Comme l’analyse Maureen Matthews en parlant d’un processus de rapatriement mené par la communauté de Pauingassi au Manitoba, « ce qu’ils rapatrient, en plus de leur patrimoine, c’est l’agencéité sociale de se représenter dans le monde » (2014 : 49). Les jeunes se sont en effet approprié leur histoire et ont produit de nouvelles connaissances à leur sujet, qu’ils ont continué de partager à l’école lors d’activités communautaires ou dans le cadre de publications (Paul 2018). Les objets du NMAI, vieux de plus de cent ans, contiennent désormais la mémoire des échanges qu’ils ont suscités avec ces jeunes. La charge mémorielle investie dans les objets apparaît comme un préalable à la charge identitaire qu’ils peuvent désormais recouvrir pour eux. Les ateliers organisés avec les jeunes autour des patrimoines en présence ont ainsi suscité un processus identificatoire – collectif, familial et personnel – déjà mis en lumière dans le cadre de plusieurs autres projets (Conaty 2003 ; Dubuc et Kaine 2010 ; Jérôme et Kaine 2014 ; Laugrand et Oosten 2014 ; Gadoua 2014), où « l’intérêt pour le passé se nourrit du sens qu’il peut prendre ici-maintenant » (Kaine 2004 : 143). En effet, en plus de permettre de « se situer » au sein d’une histoire collective, l’accès à ces objets a participé, de façon différente selon chaque jeune, à la constitution de sa propre histoire et de sa propre identité.

Le retour aux communautés

Les ateliers ont été l’occasion de passer le témoin et de permettre aux jeunes de se positionner, non plus seulement en tant que récepteurs de connaissances, mais comme de véritables transmetteurs. En étant en position d’actrices et acteurs responsables de leur propre projet de recherche, les jeunes ont développé les connaissances et les compétences nécessaires à la documentation de « leurs objets ». Ils ont ensuite participé au transfert des connaissances qu’ils ont acquises à travers les différentes activités qui se sont poursuivies après leur retour au sein des communautés.

À Mashteuiatsh, une présentation a été organisée le 21 juin 2013, lors de la journée nationale des Autochtones. Les élèves et leur enseignante ont fait un résumé du voyage et ont présenté aux Pekuakamiulnuatsh les objets étudiés, les photographies prises et les connaissances acquises. Ce fut l’occasion pour les membres de la communauté de découvrir les collections du NMAI et d’échanger avec les jeunes leurs impressions ainsi que leurs commentaires.

À Kitigan Zibi, les activités ont été présentées lors d’un grand rassemblement communautaire, le 1er octobre 2013. Chaque élève a pu présenter les objets choisis, les apprentissages acquis lors des ateliers ainsi que les vidéos réalisées sur chaque objet. Ce fut l’occasion de présenter plus en détails le projet Nika-Nishk aux membres de la communauté de Kitigan Zibi.

Les élèves et les personnes accompagnatrices ont ensuite travaillé dans les deux communautés avec Véronique Archambault-Gendron, alors assistante du projet en design, à la réalisation d’affiches personnalisées afin d’exposer le travail accompli à l’école, au Musée amérindien de Mashteuiatsh et au Centre culturel ainsi que dans les familles (Delamour et al. 2017). Les jeunes en ont chacun reçu une copie et celles-ci sont toujours exposées localement, dans les écoles ou lors d’événements spécifiques tels que des expositions.

À Mashteuiatsh et à Kitigan Zibi, les voyages à Washington ont été présentés comme une opportunité d’entrer en contact direct avec les objets et de les documenter, puis comme une première étape vers un retour possible. Les attentes locales quant au résultat de ce processus ont néanmoins dû être tempérées par le long chemin qu’il restait à parcourir pour répondre aux exigences du NMAI (voir Delamour 2017, troisième partie).

Un accès encore trop restreint

Les musées ont assurément un rôle important à jouer pour éveiller l’intérêt des jeunes générations (Nicks 2003 ; Conaty 2003) et, on l’a vu dans le cadre des activités organisées au NMAI, celles-ci peuvent alimenter le renouveau culturel et soutenir les efforts de transmission culturelle institués dans les communautés. Cependant, il reste encore des défis pour que ces activités soient véritablement accessibles aux communautés éloignées, et l’un d’entre eux concerne le coût financier. Depuis son ouverture, le NMAI offre plusieurs formations destinées aux communautés autochtones, mais des coupures budgétaires ont toutefois laissé moins de place à ce genre d’activités (https://americanindian.si.edu/connect/training/). Dans ce contexte, les échanges organisés dans le cadre du projet Nika-Nishk représentaient une excellente occasion, pour le personnel du NMAI anciennement responsable des formations communautaires, de faire valoir à la direction de l’institution l’intérêt de ce genre d’ateliers. Ce voyage n’aurait toutefois pas pu être réalisable, d’un point de vue financier et logistique, sans la collaboration du projet Nika-Nishk. Si le NMAI a mis à disposition plusieurs personnes-ressources pour les formations, rien n’était défrayé pour les membres des communautés, qui ont dû se déplacer et se loger sur place. Cette réalité financière est l’une des premières entraves à l’accès aux collections, particulièrement pour des communautés situées à l’extérieur des États-Unis. Une autre contrainte éminemment importante dans le cas des communautés francophones est celle de la langue. Outre la nécessité de faire appel à des traducteurs pour les échanges sur place avec les jeunes, l’organisation d’une telle activité nécessite des personnes-ressources qui peuvent communiquer avec le personnel de cette institution hautement bureaucratique qu’est le NMAI, ressources que les communautés n’ont pas toujours.

De plus, la richesse des activités décrites se trouve réellement dans l’interaction tripartite des jeunes, des aînés et des objets. Malheureusement, les grandes distances rendent difficile le déplacement de ces aînés, véritables clés d’interprétation des objets. Il est donc nécessaire d’interroger les manières de faciliter cet accès au plus grand nombre. Le partage des objets par le biais des photos peut être une alternative pour restituer virtuellement l’accès aux objets (Peers et Brown 2003 ; Gabriel et Dahl 2008 ; Tythacott et Arvanitis 2014). Bien que cet accès ait des limites évidentes pour l’appréhension sensorielle des objets et qu’il ne remplisse pas les besoins de réparations symboliques et politiques des communautés, les photographies apportent de la substance aux savoirs échangés. À travers l’observation des détails et les échanges entre les personnes participantes, il est en effet possible d’obtenir des informations précieuses sur les objets, utiles à la fois pour les communautés et pour les institutions muséales (Atkinson 2014 : 40 ; Edwards 2003).

Dès le début du projet Nika-Nishk, le NMAI a fourni aux communautés des photos en basse résolution des deux collections. Lorsque les communautés ont demandé à avoir accès aux photos en haute résolution, le NMAI s’est rendu compte que ces photos n’existaient pas. Étant donné la grande quantité d’objets provenant des deux communautés (près de 860), l’institution n’a pas été en mesure de libérer le matériel et le personnel nécessaire pour prendre chaque objet en photo. Elle s’est toutefois montrée ouverte à envoyer certaines photos de haute qualité, à condition que des demandes individuelles soient faites selon des procédures officielles prédéfinies. Pour les communautés, ces procédures peuvent être vécues comme allant à l’encontre de la relation qu’elles essayaient de bâtir avec l’institution. Initialement volontaires pour participer à des alternatives au rapatriement physique des collections, les communautés ont fini par être à court de ressources et par se décourager de ces procédures qui retardaient toujours un peu plus leur accès à de simples photos. Cela a fini par alimenter de nouvelles incompréhensions, par exacerber leur sentiment de dépossession culturelle ainsi que leur volonté de revendiquer leur droit au retour des objets. Finalement, le NMAI a donné les droits de publication pour usage communautaire à l’ensemble des photos de basse qualité, qui ont pu être utilisées dans différents supports visuels ainsi que dans des publications (Projet Nika-Nishk 2017a et 2017b). Les seuls droits obtenus sur les photos en haute définition concernent celles qui ont été prises par les jeunes lors des ateliers au NMAI. Leur travail et leurs productions photographiques recouvrent donc aujourd’hui une importance d’autant plus déterminante pour la recherche et l’utilisation des connaissances relatives aux objets conservés au NMAI.

Réflexions et perspectives : sept ans plus tard

Sept ans après ces activités, nous avons continué d’entrecroiser nos chemins, chacune et chacun de manière différente. Nous voulions revenir sur ces expériences et interroger leur impact sur les recherches et plus largement sur les processus de rapatriement. Que reste-t-il de ces activités menées entre les jeunes, le NMAI et le projet Nika-Nishk ? Quelles réflexions portons-nous aujourd’hui sur ces expériences ? Quelles formes d’engagement ces activités peuvent-elles inspirer pour repenser les relations entre les communautés, les musées et les universités ?

Conclusion

Quoique les activités organisées dans le cadre du projet Nika-Nishk semblent avoir avantagé toutes les personnes participantes, tant du côté du NMAI que du côté des communautés, il existe encore un certain nombre de barrières à franchir (financières, linguistiques, décisionnelles et ontologiques) pour parvenir à un équilibre des rapports de force. L’espace d’échange dans lequel se sont rencontrés les Pekuakamiulnuatsh, les Anishinabeg et le personnel du NMAI demeure encore « un espace asymétrique où la périphérie vient gagner un avantage petit, momentané et stratégique, mais où le centre finit par gagner » (Boast 2011 : 66) – comme on a pu l’expliciter avec le simple exemple des photographies –, ce qui a comme effet de perpétuer la politisation des relations de pouvoir existant entre le musée et les communautés. Le véritable changement que les communautés souhaitent voir se dessiner ne peut s’effectuer que par la redéfinition des relations hiérarchiques de pouvoir et de savoir qui continue de teinter les échanges avec les musées. Comme le mentionne Eeva-Kristiina Harlin en parlant du rapatriement d’un objet sámi : « L’information est le savoir et le savoir est le pouvoir » (Harlin 2008 : 198). Pour les communautés, connaître la localisation et l’information relatives aux objets constitue en effet le socle qui fonde leurs demandes de rapatriement et leur potentielle réussite. La redéfinition de ces relations de pouvoir implique donc, entre autres, des démarches favorisant une plus grande connaissance des collections muséales, telles que celles décrites dans cet article.

Photo 4

Exemples de poupées. Exposition Auassatsh Utashineunau. La fierté des jeunes

Exemples de poupées. Exposition Auassatsh Utashineunau. La fierté des jeunes
Photo : Collection du Musée amérindien de Mashteuiatsh

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Conformément à l’intuition première de la directrice du projet Nika-Nishk, Élise Dubuc, et des cochercheuses et cochercheurs communautaires, les apprentissages et les rencontres culturelles qui ont marqué le projet – et plus particulièrement les ateliers de formation au NMAI – témoignent de la puissance mémorielle et sociale des objets lorsqu’ils sont reconnectés avec la mémoire et le savoir de leur communauté d’origine. Ces projets renouvellent les approches du rapatriement en dépassant la dialectique du retour ou non-retour des objets. Ils démontrent que le contrôle du patrimoine autochtone peut être accru autrement que par leur retour physique, notamment par la revitalisation de certains savoirs ou de pratiques culturelles à travers les canaux de transmission institutionnalisés que sont les musées ou les écoles. Les institutions scolaires et muséales, qui n’étaient pas à l’origine destinées à la transmission culturelle, deviennent des lieux symboliques de l’autodétermination et de la réappropriation culturelle. En cherchant à impliquer les jeunes au sein de ces programmes, ces institutions participent à développer des modes de transmission qui ne sont plus unidirectionnels puisqu’elles offrent aux jeunes l’occasion de devenir eux-mêmes les actrices et acteurs de ces transferts de connaissances.

Les expériences que les jeunes ont vécues à Washington en 2013 contribuent aujourd’hui encore à la circulation des objets et des savoirs auprès des nouveaux élèves de l’école. À Mashteuiatsh, aucun objet du NMAI n’est encore revenu, mais ils continuent d’inspirer les équipes de l’école Kassinu Mamu et du Musée amérindien de Mashteuiatsh. À l’automne 2018 et à l’hiver 2019, un projet de création, lancé par Eruoma Awashish, alors conservatrice en arts au Musée amérindien de Mashteuiatsh, a été réalisé par l’enseignante en arts Josée Robertson avec ses élèves. Il s’agissait pour les élèves de se réapproprier et de reproduire, chacune et chacun dans son style, une poupée conservée au NMAI et présentée, dans les notes de Frank G. Speck, comme ayant servi de charme, de porte-bonheur ou de jouet. Comme le mentionne Josée Robertson, certaines poupées étaient fabriquées pour l’amusement des enfants et elles étaient bourrées de chiffons, mais aussi parfois de thé, pour des raisons utilitaires. Pour la réalisation du projet, Josée Robertson a demandé à ses élèves de réfléchir à une intention personnelle à écrire et à déposer dans leur poupée. Elle leur a ensuite demandé de choisir une saison dans laquelle ils reconnaissent l’énergie de la poupée qu’ils ont imaginée. Chaque élève a ensuite été invité à choisir selon sa saison, son intention et son intuition, les matériaux qu’il ou elle jugeait appropriés pour la réalisation de sa poupée. Les poupées ont été présentées au Musée amérindien de Mashteuiatsh lors de l’exposition « Auassatsh Utashineunau. La fierté des jeunes », de mai à novembre 2019. Ce projet a été, pour de nouveaux élèves, l’occasion d’explorer, à travers un objet conservé au NMAI, une partie de leur culture et de vivre un processus d’introspection.

Le projet des poupées se prêtait à un état de calme et de concentration. Il m’a permis de réfléchir et de me focaliser sur des aspects positifs à développer pour moi-même. Le choix des matériaux et de la saison ont permis de faire sentir l’émotion en lien avec mon intention. Tout au long de la fabrication j’ai pu investir cette poupée de mes meilleures intentions, de mes espoirs et de l’atteinte de mes objectifs.

Julianne Dominique, propos recueillis par Josée Robertson

J’ai aimé réaliser ce projet en raison de la manière de le faire, c’est-à-dire en réfléchissant à nos souhaits, à nos rêves. C’était différent et plaisant […]. Ce projet m’a aidée à libérer mon imaginaire !

Kennya Bellemarre Boucher, propos recueillis par Josée Robertson

Ce projet m’a fait connaître un élément de ma culture que je ne connaissais pas, soit les poupées de thé et comment elles ont été importantes pour faire des réserves en cas de pénurie [...]. La partie qui a été la plus difficile pour moi a été de trouver mon intention. Par contre, une fois trouvée, j’ai pu imprégner mon intention dans chaque geste utilisé pour fabriquer ma poupée.

Kymberley Verreault, propos recueillis par Josée Robertson

Photos 5 et 6

Exposition Ashineun

Photo : Collection du Musée amérindien de Mashteuiatsh
Photo : Collection du Musée amérindien de Mashteuiatsh

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Le projet Nika-Nishk a également fait l’objet d’une exposition temporaire au Musée amérindien de Mashteuiatsh en 2019-2020. L’exposition « Ashineun » a présenté l’histoire de la collection d’objets conservée au NMAI et est revenue sur le travail accompli par les jeunes partis à Washington, à travers l’exposition de leurs affiches personnalisées mais aussi par l’entremise d’un montage vidéo réalisé par Maxime Pelletier-Huot, assistant de recherche en cinématographie pour le projet.

Les projets documentaires, photos et vidéos réalisés par les jeunes ainsi que les collections du NMAI se révèlent donc être encore, sept ans après les premières activités, des ressources éducatives utilisées localement, ce qui illustre le potentiel à long terme de l’accès aux patrimoines conservés dans les musées. Au-delà même du rapatriement, accéder aux savoirs et aux objets ancestraux renforce la reprise de possession patrimoniale des communautés, dont dépend en partie leur processus d’autodétermination. Ce qui est recherché dans ces démarches, ce n’est pas seulement le retour des collections, mais également le retour des moyens de perpétuer et transmettre les connaissances culturelles qui leur sont associées. C’est finalement la recherche de ce vers quoi il est possible de tendre en recouvrant le contrôle de son héritage culturel.