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Ce numéro inaugure une nouvelle ère, celle de la Revue d’études autochtones. Ce changement, initié en 2018, a suivi un processus en plusieurs étapes. Il est le fruit de réflexions et de décisions collectives, motivées par la volonté de refléter les dynamiques actuelles de la recherche en milieu autochtone, de favoriser l’inclusion des points de vue autochtones dans le contenu, mais également de mener des discussions sur le nom de la revue. Changer le nom d’une revue telle que Recherches amérindiennes au Québec, qui vient de fêter ses cinquante ans, peut surprendre. Il nous semble pourtant que cette action était la seule voie possible afin de respecter les intuitions initiales des fondateurs, notamment celle de considérer que « Les meilleurs spécialistes de la question sont donc les Amérindiens eux-mêmes » (La Rédaction 1971a : 4). Ces spécialistes ont été consultés, et ont exprimé leur point de vue.

Processus de consultations

À l’initiative de la direction actuelle, plusieurs questions ont été soumises en novembre 2019 aux membres du Comité de rédaction de la revue, puis au Conseil d’administration de la Société Recherches amérindiennes au Québec. Après 50 ans, faut-il actualiser la mission et les objectifs de la revue ? Comment favoriser une plus grande inclusion des points de vue autochtones dans la revue ? La revue doit-elle ouvrir plus systématiquement ses pages aux recherches autochtones à l’international ? Considérant les débats liés au terme « amérindien », la revue doit-elle changer de nom ?

Ces réflexions internes ont abouti à certaines décisions, dont celle de former un comité de consultation externe. Deux rencontres ont ainsi été organisées en mars 2020 avec des actrices et acteurs de la recherche autochtone, toutes et tous membres d’une Première Nation du Québec. Au total, seize personnes autochtones ont été contactées pour participer à cette consultation restreinte, et de ce nombre, dix ont confirmé leur participation : Caroline Nepton Hotte (professeure, UQAM), Karine Awashish (doctorante, ULaval ; Tapiskwan-Art atikamekw), Alexandre Bacon (président et cofondateur, Cercle Kisis), Suzy Basile (professeure, UQAT), Hélène Boivin (Coordonnatrice aux relations gouvernementales et stratégiques Pekuakamiulnuatsh Takuhikan), Nancy Crépeau (professeure, Université d’Ottawa), André Dudemaine (fondateur et directeur de l’organisme Terre en vues), Janet Mark (conseillère stratégique à la réconciliation et à l’éducation autochtone, UQAT), Samuel Rainville (étudiant à la maîtrise, conseiller aux relations avec les Premiers Peuples, UdeM) et Cyndy Wylde (professeure, Université d’Ottawa).

Ces consultations internes et externes ont permis de formuler plusieurs priorités :

  1. élargir le traitement des enjeux autochtones à l’échelle internationale ;

  2. encourager une plus grande contribution des personnes autochtones aux contenus de la revue (article scientifique, essai, direction de numéro) ;

  3. valoriser davantage les connaissances autochtones dans les contenus et les activités de la revue ;

  4. améliorer l’accessibilité et la diffusion de la revue auprès des groupes, organismes et communautés autochtones, ainsi qu’au sein de la société en général ;

  5. choisir et adopter un nouveau nom qui puisse tenir compte de l’évolution des débats dans la société et dans la recherche scientifique . La grande majorité des personnes consultées ont ainsi exprimé leur volonté de remplacer le terme « amérindiennes ».

« Amérindien » et « Autochtone »

Déjà en avril 1971, alors que paraissait le deuxième numéro du tout nouveau Bulletin d’information Recherches amérindiennes au Québec, Norman Clairmont [sic] mentionnait les problèmes inhérents à tout choix de nom, plus particulièrement à celui de donner à ce bulletin le terme « amérindien ». Les critiques portaient sur l’exclusion des « Esquimaux » : « Quelques personnes ont soulevé des critiques à l’emploi du terme amérindien dans le titre de cette revue en disant qu’il exclut de sa signification les groupes esquimaux » (Clairmont 1971 : 45).

Mobilisant deux dictionnaires, Clermont tente d’expliquer le contraire :

Dans l’édition 1968 du dictionnaire Webster on peut lire : “Amerind (American Indian), an individual of one of the native peoples of America: an American Indian or Eskimo”[1] (p. 69). Dans le dictionnaire Funk & Wagnalls (1955) on lit : “Amerindian, adj. of or pertaining to the indigenous peoples of North and South America, also Eskimos, individually or collectively; noun. An American Indian as distinguished from a native of India or the East Indies; also, an Eskimo: also Amerind (Amer-(ican)+ Indian)”[2] (p. 47). (ibid.)

Clermont rappelle également que ce terme a été adopté officiellement lors d’une rencontre de la société d’anthropologie de Washington, le 23 mai 1899, sur proposition du Major John Wisley Powell (1834-1902), un géologue, explorateur et anthropologue américain qui est notamment devenu le premier directeur du Bureau de l’ethnologie de la Smithsonian Institution (1872).

Dans son compte-rendu, intitulé « Amerind: A Designation for the Aboriginal Tribes of the American Hemisphere » (McGee 1899 : 582), le président William John McGee, qui a notamment travaillé au Québec sur la Basse-Côte-Nord, présente une synthèse des discussions qui a mené à l’adoption de ce terme. Plusieurs constats semblent alors avoir fait consensus, dont celui qui concerne le caractère obsolète des termes utilisés à cette époque dans la littérature scientifique et dans la société pour désigner les groupes autochtones des Amériques : « américains », « indiens », « peaux-rouges », « sauvages d’Amérique du Nord » ont ainsi été jugés erronés et inadaptés, renvoyant à des classifications et des nomenclatures dépassées largement influencées par les perspectives évolutionnistes. Dans ce contexte d’une pression scientifique grandissante, les ethnologues américains ont revendiqué une forme d’autorité afin de répondre à l’urgence de trouver une désignation satisfaisante pour les étudiantes et étudiants ainsi que pour les spécialistes de la question. Ils ont recommandé l’utilisation de ce terme afin qu’il puisse, à terme, se diffuser dans la société. McGee rappelle qu’« Amerind » est composé des deux premières syllabes des termes « American Indian ». Purement descriptif, dénué de toute considération raciale et évolutionniste, « Amerind » est apparu comme le plus inclusif, représentant adéquatement l’aire culturelle visée et ne comportant aucune référence aux classifications de l’époque. Pour les ethnologues présents, il désigne l’ensemble des groupes autochtones des Amériques et des îles adjacentes, incluant les « eskimo » [sic]. Il convient aux réalités anglophones, et peut avoir plusieurs déclinaisons, comme Amerindic ou Amerindian, ce qui semble satisfaisant pour être utilisé dans les milieux académiques en Europe. McGee note enfin que la société des ethnologues a recommandé « presque » à l’unanimité son usage et sa diffusion dans les milieux de la recherche et dans la société (ibid. : 583).

Les discussions menant à ce choix montrent à la fois les tentatives pour rompre avec les idées évolutionnistes de l’époque, mais également les difficultés liées au choix et à l’adoption d’un terme général adéquat pour désigner les Premiers Peuples des Amériques.

Qu’en est-il plus d’un siècle plus tard ? Pour reprendre les mots de Marie-Céline Charron (2019), « il n’y a pas de réponse parfaite » quand vient le temps de choisir entre les termes (« Autochtone », « Premiers Peuples », « Indigènes », « Première Nation ») :

[…] il est généralement préférable d’éviter d’utiliser les termes « Indien » et « Amérindien ». C’était ainsi que Christophe Colomb appelait les peuples autochtones lorsqu’il est arrivé en Amérique en 1492, croyant à tort qu’il avait touché terre en Inde. Bien que les communautés aient encore aujourd’hui le nom officiel de « bande indienne », et que certains Autochtones utilisent parfois le mot « Indien » entre eux, le terme a généralement une connotation colonialiste pour de nombreux Autochtones au Canada.

ibid.

Dans une chronique publiée au moment de la révision des manuels scolaires des niveaux secondaire 3 et 4 au Québec qui a mené au remplacement du terme « amérindien », le chef de l’assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador va plus loin :

Personne aujourd’hui ne conteste (sauf peut-être vous ?) [Richard Martineau, NDLR] que l’utilisation du terme « indien » est erronée et renvoie à une notion colonialiste. De même, le terme « amérindien » n’est pas plus acceptable, puisqu’il signifie littéralement « indien d’Amérique ». Les Premières Nations ne sont pas des « Indiens », donc pas plus des « Indiens d’Amérique ».

Picard 2018

123 ans plus tard, donc, nous en sommes toujours au même constat. L’appel de Clermont dans le premier bulletin de la revue n’a d’ailleurs jamais été entendu :

Il serait intéressant que soit examiné dans les colonnes de ce bulletin d’information, le sort que fait la littérature anthropologique au terme controversé. L’invitation est ouverte à tous ceux dont les commentaires pourraient contribuer à éclairer ce problème de lexicographie.

La rédaction 1971b : 45

Aucun terme ne pourra permettre de désigner à la fois les spécificités et l’unité des peuples autochtones des Amériques. Il apparaît clair, en revanche, que le terme « amérindien » n’est plus acceptable, ni sur le plan scientifique, ni sur le plan social. La revue Recherches amérindiennes au Québec a toujours valorisé un regard critique sur la production des connaissances, une contribution rigoureuse aux débats scientifiques ainsi qu’une participation à une meilleure compréhension des réalités autochtones du Québec et des Amériques. Elle continuera à poursuivre ces objectifs, sous le nom de Revue d’études autochtones.

Annoncé officiellement lors du colloque qui a souligné les 50 ans de Recherches amérindiennes au Québec en novembre 2021, le changement de nom vise surtout à maintenir l’influence de la revue dans différents secteurs de la société (institutions culturelles, gouvernements, milieux éducatifs). Comment serait-il possible, par exemple, d’expliquer la pertinence d’une revue de Recherches amérindiennes à des élèves du secondaire ou à des étudiantes et étudiants de niveau postsecondaire qui auront progressivement banni de leur vocabulaire le terme « amérindien », comme l’ont d’ailleurs progressivement fait leurs parents et grands-parents avec les termes « sauvages » ou « eskimo » ?

Nouveau nom, nouveau logo : la mémoire des fondateurs orientée vers l’avenir

Terry Randy Awashish, artiste et designer atikamekw originaire de la communauté d’Opitciwan au Québec, a été sollicité pour la création d’un nouveau logo. Terry connaissait la revue, pour avoir lu à plusieurs reprises des articles mobilisés dans le cadre de ses cours et de son baccalauréat en art graphique à l’Université du Québec à Montréal. Sa proposition a rapidement été retenue, notamment parce qu’elle fait référence à cette idée de continuité dans le changement. Pour Terry, le nouveau logo est une modification simple qui rappelle plusieurs caractéristiques de l’ancien. Ce nouveau logo comporte une forme circulaire, qui fait référence au Shaptuan, une grande tente comportant deux entrées, utilisée encore aujourd’hui comme lieu de rassemblement, de rencontre et d’échanges. La feuille dessinée dans l’ancien logo a été modifiée, pour créer un nouveau motif floral au centre du nouveau logo. Cette nouvelle composition est une référence aux mocassins, qui symbolisent le travail collaboratif à travers l’acte de marcher et d’avancer ensemble. Ce nouveau logo rappelle donc le passé, mais souligne aussi l’avenir avec une plus grande présence autochtone dans la revue, et dans la société en général.

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En plus de pointer les six directions, les six petites feuilles sont un hommage aux six cofondateurs de la revue : Camil Guy, Charles A. Martijn (1934-2016), Donat Savoie, Rémi Savard (1934-2019), Laurent Girouard et Sylvie Vincent (1941-2020).