Corps de l’article

INTRODUCTION

Les personnes ayant un trouble de personnalité limite (TPL) sont généralement étiquetées « difficiles » par les intervenants et peuvent se retrouver parfois sans soins par la suite, de façon directe et indirecte (Sulzer, 2015). D’une façon générale, face à une clientèle difficile, les intervenants en santé peuvent éprouver un inconfort important et en venir à entretenir des attitudes négatives (Bouchard et al., 2015). En effet, une littérature abondante suggère que le TPL est un des troubles mentaux les plus intimement associés à des réactions contre-transférentielles négatives (Gabbard, 1993; Liebman et Burnette, 2013; McIntire et Schwarts, 1998) et à des attitudes potentiellement stigmatisantes de la part des intervenants (Sansone et Sansone, 2013).

Le problème des attitudes négatives à l’endroit du TPL

Plusieurs études arrivent à la conclusion que les attitudes des professionnels de la santé mentale et de la santé physique sont souvent négatives envers les personnes présentant un TPL (Commons Treloar, 2009; Deans et Meocevic, 2006; Imbeau et al., 2014a; McKenzie et al., 2022; Westwood et Baker, 2010). Face à cette clientèle, la majorité de ces cliniciens peuvent vivre de l’inconfort, de l’anxiété, de la frustration, de l’indifférence, et avoir l’impression d’être manipulés et confrontés à un défi de taille (Sansone et Sansone, 2013). Selon un article théorique incluant une présentation de cas (Aviram et al., 2006), les cliniciens ayant des attitudes négatives envers les patients présentant un TPL peuvent possiblement contribuer à exacerber la symptomatologie de ces derniers (par exemple: sensibilité au rejet, gestes autodestructeurs et abandon du suivi), et ainsi, confirmer de façon non intentionnelle les croyances de cette clientèle (par exemple, l’impression qu’on finira toujours par être abandonné ou qu’on ne mérite pas d’être aimé), souvent à la base de difficultés interpersonnelles. Ainsi, cela pourrait alimenter les attitudes négatives des cliniciens et finir par créer un cercle vicieux d’interactions improductives (voir Figure 1).

Figure 1

Cycle de stigmatisation et de dysrégulation affective des personnes présentant un TPL inspiré d’Aviram et al. (2006) et Bouchard (2010)

Cycle de stigmatisation et de dysrégulation affective des personnes présentant un TPL inspiré d’Aviram et al. (2006) et Bouchard (2010)

-> Voir la liste des figures

Influence de certaines caractéristiques et attributs individuels sur les attitudes

Certaines caractéristiques et attributs des professionnels pourraient être associés à des attitudes plus positives ou plus négatives à l’endroit du TPL, mais les résultats des études existantes demeurent encore trop hétérogènes pour pouvoir en dégager des tendances claires. Dans notre recension des écrits, nous avons constaté que la recherche s’est principalement penchée sur les variables suivantes: le type de profession, le nombre d’années d’expérience, le volume de clientèle, la récence de la formation et le milieu de pratique.

Le type de profession

Bodner et al. (2015) ont étudié les attitudes de 710 professionnels travaillant dans quatre hôpitaux psychiatriques en Israël envers l’hospitalisation et le traitement des patients présentant un TPL. Les auteurs suggèrent que le personnel infirmier et les psychiatres démontrent plus d’attitudes négatives et moins d’empathie envers les patients présentant un TPL que les psychologues et les travailleuses et travailleurs sociaux; les attitudes les plus négatives étant celles du personnel infirmier. Par ailleurs, selon Imbeau et al. (2014a), les médecins de famille ayant participé à leur étude entretiennent, en général, des attitudes négatives envers le TPL et se sentent souvent, tout comme les autres professionnels de la santé mentale, peu outillés et confortables face à cette clientèle. De plus, ces auteurs suggèrent que les attitudes des résidents et des résidentes en médecine familiale seraient significativement moins positives que celles des médecins et des professionnels de la santé mentale.

Le nombre d’années d’expérience

L’étude d’Imbeau et al. (2014a) a évalué les attitudes envers le TPL de 40 résidents en médecine familiale et 35 omnipraticiens du Québec à l’aide de l’Échelle d’attitudes à l’égard des personnes présentant un TPL (ÉA-TPL; Bouchard, 2001), outil que nous avons utilisé dans la présente étude. Leurs résultats démontrent que moins les cliniciens étaient expérimentés, moins ils avaient tendance à présenter des attitudes positives à l’égard des personnes ayant un TPL. Cela rejoint ceux d’une étude qui a évalué les attitudes à l’endroit des patients présentant un TPL avec automutilation auprès de 83 infirmiers et infirmières travaillant dans trois hôpitaux psychiatriques en Pennsylvanie (Hauck et al., 2013). Les auteurs de cette étude ont utilisé une version adaptée du questionnaire Attitudes towards deliberate self-harm questionnaire (ADSHQ; McAllister et al., 2002) et suggèrent l’existence d’une corrélation positive, chez le personnel infirmier oeuvrant en psychiatrie, entre le nombre d’années d’expérience et les attitudes plus positives envers les patients présentant un TPL avec automutilation.

Le volume de clientèle présentant un TP en général

En Australie, Egan et al. (2014) ont évalué les attitudes de 81 psychologues cliniciens envers les personnes présentant un TP, à l’aide d’un questionnaire rempli en ligne pour évaluer les attitudes envers les TP, The attitude to personality disorder questionnaire, APDQ (Bowers et Allan, 2006). Leur étude suggère qu’un volume élevé de patients présentant un TP est associé à des attitudes plus positives. Cela semble cohérent avec les résultats de deux recherches antérieures (Bowers et Allan, 2006; Webb et McMurran, 2007) qui ont utilisé ce même outil d’évaluation. Selon Egan et al. (2014), le fait d’avoir un volume plus élevé de patients avec un TP semble associé, plus que la récence de la formation, à des attitudes plus positives. Cependant, et contrairement aux résultats d’Egan et al. (2014), Bodner et al. (2015) suggèrent que le fait que le personnel infirmier et les psychiatres de leur étude rencontrent plus de patients présentant un TPL que les autres professionnels pourrait expliquer leurs attitudes plus négatives. Il est à noter que les auteurs n’affirmaient pas l’existence d’un lien significatif entre le volume de clientèle avec un TPL et les attitudes envers ce trouble.

La récence de la formation

Selon Egan et al. (2014), les psychologues cliniciens ayant participé à une formation spécialisée sur les TP en général, dans les 3 mois précédant leur réponse à l’APDQ, avaient des attitudes plus positives envers les TP que leurs collègues. Plus leur formation était récente, plus ils rapportaient des attitudes davantage positives. La récence de la formation favoriserait, selon ces auteurs, le rappel des connaissances acquises et le sentiment d’être habilité à travailler avec les TP en général. D’un autre côté, des professionnels travaillant dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie ont répondu à des questions concernant leurs attitudes envers le TPL, avant d’assister à une formation dont l’objectif principal était d’induire un changement des attitudes, puis juste après, et ensuite, six mois plus tard (Krawitz, 2004). Les résultats suggèrent que juste après l’atelier, les attitudes étaient plus positives, et que les professionnels se sentaient plus habilités à travailler avec les personnes présentant un TPL. Remarquons que cela était toujours vrai six mois plus tard, puisque la diminution des attitudes positives était non significative. De son côté, Commons Treloar (2009) a évalué les attitudes de 65 cliniciens en santé mentale et en médecine d’urgence, avant de suivre une formation sur le TPL, puis juste après. Ces cliniciens étaient divisés en 3 groupes : le premier a reçu une formation d’approche cognitivo-comportementale, et le deuxième, une formation d’approche psychanalytique. Le troisième était un groupe de contrôle qui n’a suivi aucun programme. Une amélioration des attitudes a été constatée immédiatement après la fin du programme chez le groupe dont le programme était d’approche cognitivo-comportementale et chez celui dont le programme était d’approche psychanalytique, mais seul ce dernier avait maintenu le changement positif six mois plus tard. À la lumière de ce qui précède, nous pouvons conclure que la récence de la formation semble associée à des attitudes plus positives, mais que l’orientation théorique de la formation pourrait être une variable confondante à prendre en considération.

Le milieu de pratique

À notre connaissance, aucune étude portant sur les attitudes envers le TPL n’a trouvé un lien significatif entre le type de milieu de pratique et les attitudes à l’endroit du TPL. Mais remarquons que Bodner et al. (2015), dont l’étude est mentionnée plus haut, avancent qu’une des raisons derrière les attitudes plus négatives des infirmiers et infirmières pourrait être certaines caractéristiques de leur milieu de travail; il s’agit d’un milieu où les interactions sont plus intenses émotionnellement, sur de longues périodes de temps et souvent en contexte de crise aigüe.

Amélioration des attitudes à l’endroit du TPL après un atelier de formation

Plusieurs études suggèrent que la formation peut améliorer les attitudes. Dans leur étude sur les propriétés psychométriques de l’APDQ, Bowers et Allan (2006) concluent que les facteurs organisationnels, comme la formation, sont ceux qui ont la plus grande influence sur les attitudes envers les TP. Par ailleurs, une étude exploratoire menée en Australie et en Nouvelle-Zélande auprès de 65 cliniciens en santé mentale et en médecine d’urgence (Commons Treloar, 2009) a examiné l'impact de deux types de programmes éducationnels sur les attitudes des cliniciens envers les comportements délibérés d'automutilation chez les personnes ayant un TPL et envers le travail avec cette clientèle. Une amélioration significative des attitudes a été constatée chez les deux groupes immédiatement après la fin du programme. En effet, suite à un atelier de formation d’une durée relativement courte (généralement 6 ou 12 heures), les professionnels rapportent, en général, avoir des attitudes plus empathiques envers les personnes ayant un TPL et être plus désireux de travailler avec elles (Keuroghlian et al., 2016, Krawitz, 2004; Shanks et al., 2011). À titre d’exemple, 271 professionnels de la santé mentale ont coté sur une échelle de Likert neuf items d’un questionnaire portant sur les attitudes envers le TPL, jouissant d’une validité apparente, avant leur participation à un atelier d’une journée portant sur le System Training for Emotional Predictability and Problem Solving (STEPP) et juste après (Shanks et al., 2011). Après leur participation cette formation, qui a eu lieu au Missouri et en Arizona, les professionnels ont rapporté avoir plus d’empathie envers les personnes présentant un TPL et une meilleure compréhension de leur souffrance. De surcroit, ils étaient plus en désaccord avec l’idée de préférer de les éviter ou ne pas les apprécier, et plus en accord avec le sentiment d’être compétent à les traiter. Reprenant le questionnaire utilisé par Shanks et al. (2011), Keuroghlian et al. (2016) ont vérifié l’effet d’un atelier de formation d’une journée portant sur le Good Psychiatric Management (GPM) sur les attitudes de 297 cliniciens en santé mentale. Leurs données proviennent de trois centres médicaux académiques aux États-Unis et de l’Université Western Ontario du Canada. Les auteurs suggèrent que le fait d’avoir moins d’années d’expérience clinique était associé à une augmentation, après l’atelier, du sentiment d’être compétent à traiter les personnes ayant un TPL (il s’agit d’un énoncé qui fait partie des items de l’échelle utilisée dans la présente étude), mais aussi de la croyance que ces patients ont une faible estime de soi. Par contre, le fait d’avoir plus d’expérience clinique était associé à une augmentation plus importante du désir d’avoir davantage de formations sur le traitement et la gestion de ce trouble. Ainsi, Keuroghlian et al. (2016) et Shanks et al. (2011) nous fournissent des indices que la formation contribue à rendre les attitudes plus favorables à l’endroit des personnes présentant un TPL. Selon Krawitz (2004), le changement d’attitudes ne semble associé ni au lieu de travail, ni à l’âge des participants, ni au groupe de profession. À lumière d’une recension des écrits, nous avons jugé important de mettre sur pied une étude visant à obtenir de nouvelles données sur la problématique et vérifier diverses hypothèses pertinentes à l’aide de l’ÉA-TPL (Bouchard, 2001), un outil qui jouit d’une validation factorielle préliminaire publiée (Imbeau et al., 2014b), considérant que les études de Shanks et al. (2011) et Keuroghlian et al., (2016) avaient utilisé un outil qui ne bénéficie pas d’une analyse de validité.

HYPOTHÈSES DE RECHERCHE

Notre hypothèse de recherche principale, inspirée des travaux de Keuroghlian et al. (2016), Krawitz (2004) et Shanks et al. (2011), est qu’un atelier de formation de 12 heures sur les TP améliore les attitudes des professionnels de la santé mentale envers le TPL au niveau du score global à l’ÉA-TPL, ainsi qu’à chacun des deux facteurs de l’échelle. Notre hypothèse secondaire est que certaines caractéristiques ou attributs individuels des participants sont associés à des attitudes plus positives ou plus négatives, et ce, avant même d’avoir participé à l’atelier (voir Figure 2). Basée sur les résultats de Keuroghlian et al. (2016), notre troisième hypothèse est que les professionnels ayant le moins d’années d’expérience sont davantage susceptibles d’avoir une plus grande augmentation du sentiment d’être plus compétents et outillés dans le traitement du TPL après l’atelier. Afin de mieux comprendre, nous avons effectué trois analyses exploratoires : 1) Nous avons d’abord vérifié si certains items de l’ÉA-TPL contribuaient plus que d’autres à l’amélioration générale des attitudes; 2) Nous avons par la suite vérifié si chacune des variables sociodémographiques associées à des attitudes plus positives ou plus négatives avant l’atelier pouvait prédire une amélioration ou non des attitudes une fois l’atelier de formation terminé; 3) Nous avons enfin exploré si certaines caractéristiques et attributs des participants pouvaient prédire la susceptibilité de ces derniers à voir leurs attitudes s’améliorer après l’atelier.

Figure 2

Études à l’appui de l’hypothèse voulant que certaines caractéristiques et attributs des participants soient à priori associés à des attitudes plus positives

Études à l’appui de l’hypothèse voulant que certaines caractéristiques et attributs des participants soient à priori associés à des attitudes plus positives

-> Voir la liste des figures

MÉTHODE

Participants et procédure

Des 390 professionnels de la santé mentale ayant assisté à un atelier de formation intitulé Initiation à l'intervention et au traitement des personnes souffrant d'un trouble de la personnalité (offerte par le deuxième auteur de la présente étude), 49 % ont accepté de participer à l’étude (N = 191). Tous les titres d’emploi ont été acceptés dans l’échantillon. Les données ont été récoltées auprès de différents groupes, sur quatre ans, soit de 2012 à 2015, et ce, dans plusieurs régions du Québec. Tout questionnaire incomplet à 20 % ou plus a été exclu. Les personnes participantes ont été invitées à remplir un questionnaire sociodémographique et l’ÉA-TPL (Bouchard, 2001), le premier jour, avant le début de l’atelier. Le lendemain, à la fin des 12 heures de formation, elles ont rempli l’ÉA-TPL une deuxième fois. Notons que cet atelier de formation est une introduction aux stratégies d’intervention communes aux modèles de traitement reconnus efficaces pour les TP en général et le TPL en particulier. On y aborde l’importance d’une bonne évaluation, de la structuration du cadre d’intervention, de la gestion du contretransfert et de l’intervention dans le cas de gestes autodestructeurs. Nous avons choisi de récolter des données anonymes et dénominalisées.

Instruments

Nous avons utilisé un questionnaire sociodémographique (voir statistiques descriptives plus bas) ainsi que l’EA-TPL, qui sert à mesurer les attitudes des professionnels à l’égard des personnes présentant un TPL. Il est composé de 20 items dont les réponses sont cotées selon une échelle de Likert en neuf points et possède une validation factorielle préliminaire publiée (Imbeau et al., 2014b) effectuée auprès d’un échantillon d’intervenants québécois. Le coefficient de cohérence interne de l’échelle globale est satisfaisant (α = 0,79). L’ÉA-TPL permet l’utilisation de deux sous-scores indépendants (facteur 1, Aisance en interaction : α = 0,82; facteur 2, Perceptions positives : α = 0,58).

RÉSULTATS

Statistiques descriptives

Des 191 questionnaires collectés, 185 ont été retenus, et 6 questionnaires incomplets ont été exclus. Parmi les personnes participantes, 88 % étaient de sexe féminin, 51 % avaient moins de 40 ans, 29 % étaient des psychologues, 30 % des travailleuses et travailleurs sociaux et 41 % avaient d’autres professions ou titres d’emploi (infirmiers et infirmières, ergothérapeutes, conseillers et conseillères en orientation, médecins, gestionnaires et coordonnateurs et coordonnatrices ou autres). Les personnes ayant moins de 10 ans d’années de pratique en santé mentale constituaient 55 % de l’échantillon. Quarante-sept pourcents de l’échantillon avait une scolarité complétée de niveau maîtrise ou un doctorat. En ce qui concerne le lieu de travail, 29 % travaillaient dans un centre local de services communautaires (CLSC), 15 % en milieu hospitalier ou dans une unité de médecine familiale, 16 % en pratique privée et 40 % à d’autres endroits (ressources communautaires, écoles, universités ou autres milieux peu représentés). Environ 22 % des participants ont rapporté une fréquence d’exposition quotidienne aux patients présentant un TPL, 39 %, une fréquence hebdomadaire, 22 %, une fréquence mensuelle et 17 %, une fréquence aux 3 mois ou annuelle. En ce qui concerne l’enseignement sur les TP reçu au Cégep ou à l’université, 32 % ont rapporté un niveau de formation jugé modérément suffisant à tout à fait suffisant. Quant à la connaissance d’au moins un des modèles de traitement du TPL, 47 % ont rapporté avoir un niveau de connaissance modéré à très bien. Finalement, en ce qui concerne la formation continue sur le TPL, 41 % ont rapporté avoir reçu 5 heures ou plus dans les 5 années précédant notre atelier.

Changement des attitudes après l’atelier de formation

Les tests t pour échantillons appariés indiquent qu’il existe une différence statistiquement significative entre le score global à l’ÉA-TPL d’avant la formation et celui d’après la formation. Il en est de même pour chacun des deux facteurs (voir Tableau 1).

Caractéristiques et attributs individuels associés avant la formation à des attitudes plus positives ou plus négatives à l’endroit TPL

Afin d’explorer si certaines caractéristiques et attributs individuels étaient associés à priori à des attitudes plus positives ou plus négatives, des régressions linéaires ont été effectuées pour chacune des variables et ensuite pour l’ensemble de celles-ci, en un seul modèle. Contrairement à notre hypothèse, le fait d’avoir 10 ans d’expérience ou plus n’était pas associé à des attitudes plus positives (p = 0,83). En revanche, nous avons trouvé une équation de régression significative pour les quatre variables suivantes: les connaissances acquises au Cégep ou à l’université sur les TP, la connaissance d’au moins un des modèles de traitement du TPL, le nombre d’heures de formation sur le TPL dans les 5 dernières années, et le volume d’exposition à une clientèle présentant un TPL. Ainsi, le score global préformation des personnes qui rapportent avoir reçu un enseignement académique sur les TP, considéré par elles-mêmes modérément suffisant à tout à fait suffisant, est égal à 0,35 + 5,78 points; il est donc en moyenne de 0,35 point de plus que celui des personnes qui rapportent un niveau inférieur à cela. Leurs attitudes sont plus positives puisqu’un score plus élevé à l’ÉA-TPL (Bouchard, 2001) signifie que les attitudes sont plus positives. La formation académique plus approfondie sur les TP semble donc associée à des attitudes plus positives envers le TPL, F(1, 188) = 4,14, p = 0,043, avec un R2 de 0,22. Cependant, nous pouvons dire que l’enseignement académique explique 22 % de la variation des attitudes, avec une valeur-p qui demeure significative, mais qui se rapproche du niveau de signification (p < 0,05). Également, une meilleure connaissance d’au moins un modèle validé du traitement du TPL semble avoir un effet significatif sur les attitudes, F(1, 188) = 7,26, p = 0,008, avec un R2 de 0,037. Le score global moyen préformation des personnes rapportant un niveau de connaissances modérément suffisant à tout à fait suffisant est égal à 0,43 + 5,69 points. Il est donc en moyenne de 0,43 point de plus, lorsque comparé au score des personnes rapportant un niveau inférieur à cela. Remarquons que le coefficient de détermination a ici un pouvoir de prédiction faible et que la valeur-p est très significative. Aussi, les attitudes des personnes qui affirment avoir reçu environ cinq heures de formation ou plus sur le TPL dans les cinq années précédant notre atelier, sont plus positives que celles qui rapportent un nombre inférieur d’heures. Leur score est égal à 0,47 + 5,7; il est donc en moyenne de 0,47 point de plus. Le nombre élevé d’heures de formation reçue est donc associé à des attitudes plus positives, F(1, 186) = 8,10, p = 0,005, avec un R2 de 0,042. Remarquons que dans ce cas aussi, le coefficient de détermination a un pouvoir de prédiction faible, mais que la valeur-p est très significative. Enfin, une exposition plus fréquente à des clients présentant un TPL semble avoir une influence positive sur les attitudes, F (3, 184) = 5,41, p = 0,001, avec un R2 de 0,81. Il importe de noter que dans ce cas nous avons un coefficient de détermination dont le pouvoir de prédiction est fort et aussi une valeur-p très significative. Le score global moyen des participants est égal à 6,33 – 0,32 (exposition hebdomadaire) – 0,64 (exposition mensuelle) – 0,97 (exposition aux trois mois ou moins fréquemment). Lorsque comparé au score global moyen des personnes rapportant une exposition quotidienne au TPL, le score des personnes qui affirment avoir une exposition mensuelle au TPL diminue de 0,64 (p = .008) et celui des personnes rapportant une exposition au TPL aux 3 mois ou moins fréquemment diminue de 0,97 (p < .001). De surcroit, lorsque nous avons effectué une régression linéaire multiple (incluant toutes les variables), nous avons trouvé, encore une fois, une équation de régression significative pour le volume de clients présentant un TPL, F(15, 147) = 2,09, p = 0,013, avec un R2 de 0,18. Le score global moyen des personnes ayant rapporté une exposition aux trois mois ou moins fréquemment était égal à 5,74 – 0,87. Lorsque comparé au score global moyen des personnes ayant rapporté une exposition quotidienne au TPL, le score de ces personnes avait 0,87 point de moins (p = 0,006). Somme toute, le volume plus important de clients présentant un TPL semble être la variable ayant le plus d’influence positive sur les attitudes; c’est la seule variable qui avait un coefficient de détermination fort et une valeur-p très significative en même temps, mais aussi la seule dont le résultat était significatif lors de l’analyse de la régression multiple.

Tableau 1

Score global à l’EA-TPL et aux 2 facteurs en pré et post formation sur les TP

Score global à l’EA-TPL et aux 2 facteurs en pré et post formation sur les TP

Note. La moyenne est sur une échelle de Likert en 9 points. Un score plus élevé indique des attitudes plus positives envers le TPL. aPerceptions positives. bAisance en interaction.

-> Voir la liste des tableaux

Nombre d’années de pratique en santé mentale et amélioration du sentiment d’être compétent(e) et outillé(e) après la formation

Une corrélation bivariée a été effectuée. Nous n’avons pas trouvé de corrélation significative entre le nombre d’années d’expérience en santé mentale et l’amélioration du sentiment d’être compétent et outillé pour travailler avec les personnes ayant un TPL [r (180) = 0,17, p = 0,83].

Changement des attitudes après la formation : analyse des items de l’ÉA-TPL

Des tests t pour échantillons appariés indiquent une amélioration statistiquement significative des attitudes au niveau de 14 des 20 items de l’ÉA-TPL. Particulièrement, nous avons noté une taille d’effet moyenne (d = 0,54) pour l’item « Les personnes avec TPL sont en général très manipulatrices », et grande (d = 0,87) pour l’item « Je me sens compétent(e) et outillé(e) pour travailler avec les TPL » (voir Tableau 2).

Tableau 2

Scores aux 20 items de l’ÉA-TPL en pré et post-formation sur les TP

Scores aux 20 items de l’ÉA-TPL en pré et post-formation sur les TP

Note. La moyenne est sur une échelle de Likert en 9 points. Un score plus élevé indique des attitudes plus positives envers le TPL.

-> Voir la liste des tableaux

Effet de la formation sur les attitudes à l’endroit du TPL, indépendamment des attitudes entretenues avant la formation

Une amélioration des attitudes a eu lieu chez les personnes participantes dont les attitudes d’à priori étaient plus négatives, mais aussi chez celles dont les attitudes étaient plus positives. Pour atteindre ce résultat, nous avons vérifié si une variable associée à des attitudes plus positives ou plus négatives avant la formation pouvait prédire une amélioration ou non des attitudes. Quatre tests d’indépendance ont été effectués pour les 4 variables qui étaient associées à des attitudes plus positives ou plus négatives avant le début de notre atelier. L’amélioration du score global était indépendante du niveau rapporté des connaissances sur le TPL acquises au Cégep ou à l’université, χ2(1, 184) = 2,83, p = 0,093, du niveau perçu de la connaissance d’au moins un des modèles de traitement du TPL, χ2(1, 184) = 0,61, p = 0,436, du volume de clients présentant un TPL, χ2(3, 182) = 2,921, p = 0,411 ainsi que du nombre reçu d’heures de formation sur le TPL dans les 5 dernières années, χ2(1, 182) = 0,08, p = 0,773.

Caractéristiques et attributs individuels et susceptibilité au changement d’attitudes juste après la formation

L’atelier de formation semble avoir un effet positif moins grand sur les personnes dont le milieu de travail n’offre pas nécessairement des services en santé mentale (regroupées sous la catégorie autre) et sur celles de 40 ans et plus. Pour en arriver à ce résultat, des régressions logistiques ont été effectuées. Lorsque chacune des caractéristiques individuelles a été examinée séparément, le résultat s’est avéré significatif pour le lieu de pratique seulement : comparativement aux personnes travaillant dans un CLSC, les personnes dont le lieu de travail appartient à la catégorie autre (incluant écoles et universités, ressources communautaires et autres) avaient 60 % moins de chance de voir leurs attitudes s’améliorer après l’atelier de formation (b = -0,92; p = 0,04). Lorsque les 10 variables ont été entrées ensemble dans l’équation, ce nombre a passé à 72 % (b = -1,26; p = 0,026), et la variable âge est devenue significative : lorsque comparées aux personnes âgées de moins de 40 ans, les personnes de 40 ans et plus avaient 65 % moins de chances de voir leurs attitudes significativement s’améliorer après l’atelier de formation (b = -1,06; p = 0,026).

DISCUSSION

Cette étude visait deux principaux objectifs. D’abord, vérifier s’il est possible qu’un atelier de formation sur les TP puisse améliorer les attitudes des professionnels de la santé mentale à l’endroit du TPL, et ensuite, explorer si certaines caractéristiques et attributs de ces professionnels étaient associés à des attitudes plus négatives ou plus positives, avant et après la formation.

Premièrement, notre hypothèse principale voulant que les attitudes des professionnels de la santé mentale à l’endroit du TPL s’améliorent après un atelier d’initiation de 12 heures sur les TP est confirmée, tant au niveau du score global à l’ÉA-TPL qu’à celui des 2 facteurs. Ces résultats s’inscrivent non seulement dans la lignée des recherches suggérant que la formation contribue à améliorer les attitudes envers les personnes présentant un TP en général (Bowers et Allan, 2006) et un TPL en particulier (Commons Treloar, 2009), mais aussi dans la lignée de celles concluant qu’un atelier de formation d’une durée relativement courte est suffisant pour diminuer significativement les attitudes négatives des intervenants envers le TPL (Krawitz, 2004; Keuroghlian et al., 2016; Shanks et al., 2011). De plus, notre hypothèse principale est confirmée à l’aide d’un outil qui possède une validation factorielle préliminaire (Imbeau et al., 2014b), conçu spécifiquement pour l’évaluation des attitudes à l’endroit du TPL (ÉA-TPL; Bouchard, 2001), contrairement aux études susmentionnées. Nos analyses exploratoires suggèrent qu’après l’atelier, l’amélioration des attitudes au niveau du facteur Aisance en interaction s’est traduite par une augmentation cliniquement significative (taille d’effet grande) du sentiment d’être compétent(e) et bien outillé(e) pour travailler avec les personnes ayant un TPL. En particulier, il y a eu une augmentation du désir d’avoir plus de clients présentant un TPL, de la perception que le travail avec ces derniers était agréable et de l’impression d’aimer avoir à interagir avec eux. De plus, le découragement à l’idée de recevoir un nouveau cas de TPL a diminué. Une tendance à vouloir moins éviter cette clientèle s’est manifestée. L’amélioration au niveau du facteur Perceptions positives s’est traduite par une diminution cliniquement significative (taille d’effet moyenne) de la croyance que les personnes ayant un TPL sont manipulatrices. Selon Sansone et Sansone (2013), il s’agit malheureusement d’une croyance assez bien ancrée chez les professionnels de la santé mentale; le fait que l’atelier de formation en question ait pu contribuer à diminuer la force de cette croyance est très prometteur. Nous avons aussi remarqué une diminution de la croyance que le TPL est une pathologie qui ne se traite pas, que les personnes ayant ce trouble ne veulent pas s’aider, qu’elles sont généralement égoïstes, irresponsables et dépendantes, et qu’elles ont des comportements complètement incompréhensibles et n’arriveront jamais à un niveau de fonctionnement normal. Une tendance à moins percevoir ces clients comme des enfants et penser qu’il faut prendre des décisions à leur place a aussi été notée. Ces résultats sont fort encourageants; avoir de l’espoir, de la confiance en soi, et être désireux d’intervenir auprès des personnes présentant un TPL sont des attitudes favorables susceptibles d’améliorer la qualité des services offerts à cette clientèle (Fraser et Gallop, 1993; Ma et al., 2009). En ce qui concerne les items auxquels il n’y a pas eu d’amélioration significative, il y a quand même eu un changement dans le sens attendu. Mais même s’il n’y a pas eu d’amélioration statistiquement significative à l’item «Les personnes présentant un TPL me font peur et m’intimident» par exemple, le fait de désirer, malgré cela, après l’atelier, avoir plus de clients présentant ce trouble demeure un résultat prometteur. Cela pourrait signifier que les personnes participantes étaient motivées, malgré les peurs qu’elles n’ont pas encore eu le temps de dissiper, à vivre de nouvelles expériences avec cette clientèle.

Deuxièmement, en ce qui concerne notre hypothèse secondaire qui visait à vérifier si, à priori, certaines caractéristiques ou attributs individuels des intervenants étaient associés à l’endossement de certaines attitudes à l’endroit du TPL (voir Figure 2), certains résultats correspondaient à nos hypothèses, d’autres non. D’abord, comme le suggéraient les études de Hauck et al. (2013) et Imbeau et al. (2014a), nous avions émis l’hypothèse que le fait d’avoir plus d’années d’expérience en santé mentale est associé à un score plus élevé à ÉA-TPL. Or, nos analyses suggèrent que le nombre d’années d’expérience clinique ne garantit pas, chez les intervenants, des attitudes plus positives à l’endroit du TPL. À la lumière de ce qui précède, nous sommes portés à croire que la spécificité et la qualité de l’expérience clinique peuvent affecter les attitudes à l’endroit du TPL plus que le simple fait d’avoir ou non plusieurs années d’expérience en santé mentale. Ensuite, en ce qui concerne les connaissances acquises à priori et la quantité de la formation déjà reçue: La formation académique sur les TP en général, la connaissance d’au moins un des modèles de traitement du TPL ainsi que le nombre d’heures de formation reçues sur le TPL dans les 5 dernières années, semblent significativement associés à des attitudes plus positives lors de l’évaluation effectuée juste avant l’atelier de formation. Ces résultats s’ajoutent à ceux des différentes études suggérant que la formation peut grandement contribuer à l’amélioration des attitudes envers les TP en général (Bowers et Allan, 2006), et le TPL en particulier (Commons Treloar, 2009; Keuroghlian et al., 2016; Krawitz, 2004; Shanks et al. 2011). Pour ce qui est de l’effet du volume d’exposition à la clientèle, les résultats confirment notre hypothèse et rejoignent ceux d’Egan et al. (2014), dont l’étude porte sur les TP en général: nous avons trouvé que plus les professionnels de la santé mentale sont exposés à une clientèle présentant un TPL, plus leurs attitudes sont favorables envers cette clientèle. Rappelons que Bodner et al. (2015) affirment que le volume plus élevé de clientèle présentant un TPL auquel sont exposés le personnel infirmier et les psychiatres pourrait expliquer la présence, chez ces derniers, d’attitudes plus négatives que chez les psychologues et les travailleuses et travailleurs sociaux. Toutefois, selon nos résultats, un volume plus élevé de clientèle présentant un TPL ne semble pas suffisant pour prédire des attitudes plus positives ou plus négatives. Mais à bien considérer les choses, même si l’étude de Bodner et al. (2015) porte sur le TPL comme la nôtre, nos échantillons ne sont pas vraiment comparables, puisque nous avions peu de professionnels travaillant en milieu hospitalier. Cela dit, nous pouvons affirmer, tout comme Bodner et al. (2015), que le type de milieu de pratique est une variable confondante à ne pas négliger. En outre, nos résultats suggèrent qu’une meilleure connaissance d’un des principaux modèles de traitement du TPL validés empiriquement, est associée à des attitudes plus positives chez les intervenants. Les modèles en question sont la thérapie dialectique-comportementale (Linehan, 1987), la thérapie basée sur la mentalisation (Bateman et Fonagy, 2004), la thérapie basée sur les schémas (Kellogg et Young, 2006), et la thérapie centrée sur le transfert (Levy et al., 2006). Une bonne connaissance d’au moins une de ces approches réputées efficaces pour le traitement du TPL semble contribuer à l’endossement d’attitudes plus positives envers ce trouble. Pour cette raison, il serait souhaitable que l’enseignement de ces approches soit inclus dans le cursus universitaire des différents programmes touchant à la santé mentale, et que les étudiants et les professionnels de ce domaine puissent avoir accès à des formations brèves (d’une durée de un à trois jours) portant sur une ou plusieurs de ces approches. Enfin, le fait d’avoir reçu au moins 5 heures de formation sur le TPL dans les 5 années précédant la participation à notre atelier, semble avoir une influence positive sur les attitudes à l’endroit de ce trouble. Ces résultats s’ajoutent à ceux des études suggérant que la formation contribue bel et bien à diminuer les attitudes négatives envers les TP en général (Bowers et Allan, 2006), mais aussi envers le TPL en particulier (Commons Treloar, 2009; Keuroghlian et al., 2016; Krawitz, 2004; Shanks et al. 2011). Dans ce contexte, puisque selon Egan et al. (2014), la récence de la formation favoriserait le rappel des connaissances et le sentiment de compétence face au TPL, nous recommandons que les professionnels de la santé mentale puissent non seulement bénéficier de plus d’heures de formation sur ce trouble, mais que cela s’inscrive dans un projet de formation continue s’étalant tout au long de leur carrière.

Contrairement à notre troisième hypothèse, nous n’avons pas trouvé de lien significatif entre le nombre d’années de pratique et l’augmentation du sentiment d’être compétent avec les personnes présentant un TPL après avoir assisté à l’atelier. Cela semble contredire les résultats de Keuroghlian et al. (2016), mais nous rappelle que le sentiment d’être plus habilité à travailler avec les TP en général, peut être associé à d’autres variables, comme la récence de la formation (Egan et al., 2014). Aussi, si les personnes ayant plus d’années d’expérience se considéraient déjà compétentes avant la formation, cela pourrait expliquer l'absence d'effet. Cela dit, les personnes ayant participé à notre étude se sentent généralement plus compétentes et outillées pour travailler avec les personnes ayant un TPL après l’atelier, indépendamment de leur nombre d’années de pratique en santé mentale.

En approfondissant nos analyses exploratoires, nous n’avons trouvé aucun lien entre le fait d’entretenir, avant l’atelier, des attitudes plus positives ou plus négatives envers le TPL et l’amélioration ou non des attitudes après l’atelier. Il semble donc raisonnable de conclure que tous les professionnels de la santé oeuvrant avec une clientèle présentant un TPL pourraient bénéficier de ce genre d’atelier, peu importe les attitudes qu’ils entretiennent à priori à l’endroit de ce trouble. En revanche, en ce qui concerne les caractéristiques et les attributs individuels et la susceptibilité au changement, nous avons remarqué que les personnes travaillant dans un milieu n’offrant pas nécessairement des services en santé mentale semblent moins susceptibles de voir leurs attitudes s’améliorer après l’atelier comparativement à celles qui travaillent en CLSC. Pourtant, selon Krawitz (2004) le changement des attitudes envers le TPL ne semble pas associé au milieu de travail. Mais remarquons que dans l’étude de Krawitz, il s’agissait exclusivement de cliniciens travaillant dans le milieu de la santé mentale, ce qui n’était pas le cas dans la nôtre, d’où possiblement la différence des résultats. Par ailleurs, en ce qui concerne la variable âge, les personnes âgées de 40 ans et plus semblent moins susceptibles que leurs homologues plus jeunes de voir leurs attitudes s’améliorer après l’atelier. Cela contredit les données de Krawitz (2004), selon lesquelles l’amélioration des attitudes envers le TPL ne serait pas associée à l’âge. Nos résultats nous amènent à émettre l’hypothèse qu’il est peut-être plus difficile parfois de changer certaines croyances lorsque l’on y a adhéré longtemps. Rappelons que selon Imbeau et al. (2014a), les jeunes professionnels semblent entretenir des attitudes plus négatives envers le TPL que les plus âgés. Pour ces raisons, nous pensons que les professionnels en début de carrière constituent une population de choix quand il s’agit de cibler le groupe d’intervenants le plus susceptible de bénéficier de l’effet des formations axées sur le traitement du TPL; une certaine inoculation en début de carrière contre les attitudes improductives envers ce trouble est au bénéfice tant de l’intervenant que de sa future clientèle.

Notre étude comporte certaines limitations à considérer lors de l’interprétation des résultats. D’abord, la généralisation de nos résultats est limitée, car notre échantillon n’est pas représentatif de toutes les professions de la santé mentale au Québec. De plus, puisque les personnes qui ont participé à notre étude avaient choisi de s’inscrire à un atelier de formation sur les TP, elles étaient peut-être plus ouvertes à changer d’attitudes à l’endroit du TPL que celles qui ne se sont pas inscrites à l’atelier. Pour cela, les résultats de notre étude pourraient ne pas nécessairement se généraliser aux professionnels qui n’ont pas d’intérêt à avoir plus de formations sur les TP en général. Ensuite, puisque selon Egan et al. (2014), la récence de la formation est associée à des attitudes plus positives envers les TP en général, cela nous porte à croire que le changement des attitudes rapporté dans notre étude pourrait être plus ou moins stable dans le temps. Il aurait donc été utile pour nous de suivre le pas de Krawitz (2004) et Commons Treloar (2009) et vérifier si les effets positifs de l’atelier restent stables en réévaluant, par exemple, les personnes participantes six mois plus tard. Aussi, notons la possibilité d’un biais de mémoire; si par exemple une personne s’est surtout rappelée de certaines expériences difficiles au moment où elle répondait au questionnaire, cela peut avoir affecté ses réponses. Finalement, puisque l’animateur de l’atelier est aussi celui qui a fait la collecte des données de 2012 à 2014, cela peut avoir introduit un certain biais de désirabilité sociale; des personnes peuvent avoir rapporté, consciemment ou non, plus d’attitudes positives à la fin de l’atelier pour plaire au formateur ou par affinité avec ce dernier ou même lors de l’évaluation en préformation afin de présenter une meilleure image d’elles-mêmes. Cela dit, notre étude comporte de nombreuses forces et plusieurs implications théoriques et cliniques intéressantes. Elle est à notre connaissance la première à évaluer l’effet d’un atelier de formation sur les attitudes des professionnels de la santé mentale à l’endroit des personnes présentant un TPL à l’aide d’une mesure multidimensionnelle validée et spécifique au TPL. De plus, la taille de l’échantillon est somme toute importante et aura permis des analyses statistiques approfondies. En ce qui concerne les implications théoriques et cliniques, notre étude s’ajoute aux études suggérant que des ateliers de formation relativement brefs peuvent grandement contribuer à diminuer les attitudes négatives et augmenter les attitudes positives des professionnels de la santé mentale à l’endroit du TPL. Plus spécifiquement, elle apporte un éclairage supplémentaire sur les caractéristiques et les attributs individuels associés aux attitudes improductives à l’endroit de ce trouble. Avec des attitudes plus positives grâce à la formation, nous croyons que les professionnels de la santé mentale et de la santé physique pourront établir une relation constructive avec cette clientèle et lui offrir une aide appropriée. Avec le temps, nous espérons que cela puisse contribuer à diminuer la symptomatologie chez certaines personnes présentant un TPL et à renforcer les attitudes positives des professionnels à leur endroit. De cette façon, nous aurions créé une sorte de cycle d’interactions productives (voir Figure 3), à l’inverse du cercle vicieux décrit par Aviram et al. (2006).

En conclusion, cette étude s’inscrit dans un projet plus large visant à tester les modes d’intervention qui permettraient la réduction des attitudes stigmatisantes et contreproductives à l’endroit du TPL chez les professionnels de la santé mentale. Des recherches ultérieures sont nécessaires pour vérifier dans quelle mesure l’effet de ce genre d’atelier peut se maintenir dans le temps et contribuer ultimement à l’amélioration des services offerts à cette clientèle, tant dans le réseau de la santé mentale que dans le réseau de la santé physique. L’exploration des caractéristiques et des attributs individuels associés à des attitudes positives ou négatives envers le TPL demeure une piste de recherche prometteuse pour la lutte contre la stigmatisation de cette clientèle. Enfin, soulignons que le problème des attitudes négatives à l’endroit du TPL est bien réel et que l’amélioration des services offerts aux personnes présentant ce trouble demeure un défi de taille. Nous espérons que cette étude saura faciliter les efforts de cette clientèle souffrante à recevoir l’aide et la compassion dont elle a besoin, malgré le fait que plusieurs tendent encore à la considérer comme difficile et plus ou moins bienvenue dans leurs ressources.

Figure 3

Cycle de déstigmatisation et de régulation affective des personnes présentant un TPL

Cycle de déstigmatisation et de régulation affective des personnes présentant un TPL

-> Voir la liste des figures