Corps de l’article

Introduction

L’important phénomène de l’immigration au Québec offre des opportunités pour penser et redéfinir l’éducation dans une perspective d’intégration des nouveaux arrivants. En 2019, sur l’île de Montréal, 25,7 % des élèves du réseau public au primaire et au secondaire étaient immigrants de première génération, c’est-à-dire nés à l’étranger de parents qui sont aussi nés à l’étranger (Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal [CGTSIM], 2020). Le milieu scolaire public montréalais est ainsi un vecteur important dans l’accueil et l’intégration de milliers de jeunes immigrants et constitue bien souvent leur porte d’entrée dans la société québécoise. La proportion des élèves du réseau public ayant le français comme langue maternelle y était de 37,6 % en 2019 (CGTSIM, 2020), ce qui fait que les interactions entre élèves issus de différentes cultures et porteurs de différentes langues forment la réalité de nombreuses écoles.

Dans le cadre de cet article, nous présentons les résultats d’une recherche réalisée dans une école montréalaise du réseau public et qui visait, de façon générale, à mieux comprendre l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves d’accueil au secondaire, vécue à la fois par ces élèves et par ceux du secteur régulier, dans le contexte de participation à des activités communes. Le projet proposait de faire vivre des activités communes, en décloisonnement, à des élèves d’une classe d’accueil et d’une classe régulière afin de susciter les échanges entre les deux groupes. Deux des objectifs spécifiques de l’étude, s’appuyant sur la perspective des élèves de la classe régulière, orientent cet article : décrire les interactions entre les élèves de la classe régulière et les élèves de la classe d’accueil et décrire les effets des rencontres sur les perceptions exprimées par les élèves de la classe régulière par rapport aux élèves de la classe d’accueil et à leur intégration linguistique, scolaire et sociale. Nous nous intéressons ainsi plus particulièrement, dans le cadre de cet article, au point de vue des élèves du secteur régulier lors des activités qu’ils ont partagées avec des élèves nouvellement arrivés.

Nous présentons d’abord la problématique ainsi que la revue de littérature qui sous-tendent cette recherche. Par la suite, nous détaillons la méthodologie qui a été privilégiée et nous exposons et discutons les principaux résultats en lien avec les objectifs de l’étude. En conclusion, nous rassemblons diverses implications émanant de l’étude.

Problématique et revue de la littérature

À leur arrivée dans le système scolaire francophone, la plupart des élèves du primaire et du secondaire qui ne maîtrisent pas suffisamment le français afin d’intégrer une classe dite « régulière » transitent d’abord par la classe d’accueil, dont l’objectif est « de réduire l’écart qui sépare les compétences en français des élèves non francophones de ce qui est normalement attendu des élèves francophones de leur âge » (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2014, p. 4). Les programmes d’intégration linguistique, scolaire et sociale (ILSS) proposés aux élèves des classes d’accueil (au primaire et au secondaire) afin de les préparer à poursuivre ensuite leur scolarisation en français dans le sytème régulier visent à la fois le développement de compétences à l’oral et à l’écrit en français et le développement de compétences leur permettant de s’intégrer à leur nouveau milieu scolaire et social (MELS, 2005 et 2014).

À Montréal, le modèle de classe d’accueil qui « prédomine largement » (De Koninck et Armand, 2012, p. 49) est celui de la classe « fermée » séparée des autres classes de l’école : les élèves nouvellement arrivés y sont regroupés et suivent leurs cours ensemble. Bien que comportant plusieurs avantages, notamment en lien avec l’enseignement du français de façon intensive, l’adaptation de stratégies d’enseignement à la réalité de ces apprenants, le regroupement des élèves en plus petits groupes et le fait de fournir un cadre d’apprentissage rassurant à ces élèves qui vivent une expérience d’intégration (MELS, 2014), le modèle de classe d’accueil fermée présente plusieurs défis. L’un de ceux-ci concerne spécifiquement les liens entre les secteurs de l’accueil et du régulier, qui ne sont pas toujours optimisés. McAndrew (2001, p. 27) souligne, dans ce contexte, la faiblesse des contacts des élèves de la classe d’accueil avec les locuteurs du français. Il y a ainsi lieu de se questionner sur les conséquences de l’isolement (Allen, 2006), voire même de la « ségrégation physique » (Bakhshaei, 2015) du secteur de l’accueil dans certaines écoles, notamment sur les plans de l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves nouvellement arrivés. Les travaux de Steinbach (2010a et 2010b) mettent également en lumière la séparation existant entre les élèves des classes régulières (« nous autres ») et ceux des classes d’accueil (« eux autres ») ainsi que la nécessité de mettre en relation ces deux « mondes » séparés (« two separate worlds »), ce qui constitue un défi pour l’ensemble des intervenants de l’école. Armagnague, Cossée, Mendonça Dias, Rigoni et Tersigni (2018), en contexte français, ont aussi constaté « des difficultés relationnelles et communicationnelles » (p. 11) entre élèves allophones nouvellement arrivés et élèves du secteur régulier.

Dans le but de répondre à ces différents enjeux, certains auteurs (voir Bakhshaei, 2015; Steinbach, 2009; Rigoni, 2017) insistent sur l’importance de l’organisation d’interventions pédagogiques axées sur la rencontre et l’interaction entre les élèves des classes d’accueil et ceux des classes régulières, et ce, afin de créer un « lien étroit » (McAndrew, 2001, p. 44) entre les services d’accueil et la classe régulière et de réduire les incompréhensions respectives et la distance entre les deux groupes. À cet effet, l’organisation d’activités communes (sorties, intégration ponctuelle des élèves d’accueil dans une classe du secteur régulier, jumelage, tutorat, etc.) permettant de rassembler des élèves de la classe d’accueil et du secteur régulier favorisent ainsi « la communication et la collaboration » (De Koninck et Armand, 2012, p. 55) entre les deux secteurs. En ce sens, l’analyse des données permettant de répondre à nos objectifs spécifiques de recherche portera sur la description qui est faite par les élèves du secteur régulier de leurs interactions avec les élèves de classe d’accueil lors de ces activités ainsi que sur les principaux effets des rencontres sur les perceptions exprimées par les élèves de la classe régulière par rapport aux élèves d’accueil et à leur intégration linguistique, scolaire et sociale.

Pour ce projet, nous avons donc misé sur l’organisation de rencontres entre des élèves de la calsse d’accueil et d’élèves du secteur régulier : nous souhaitions créer un espace d’échange et de sensibilisation à la réalité de l’autre par des contacts significatifs. La perspective interactionniste (Abdallah-Pretceille, 1996), qui consiste à favoriser l’intercompréhension entre des élèves de cultures différentes, a donc été privilégiée dans cette étude : les activités élaborées dans le cadre des rencontres se voulaient des opportunités d’interaction permettant aux élèves des deux groupes de mieux connaître et comprendre l’Autre.

Si les rencontres entre les élèves des classes régulières et ceux de classe d’accueil sont considérées comme des moyens intéressants pour faciliter l’intégration des élèves nouvellement arrivés (MELS, 2014), à notre connaissance, peu de travaux empiriques ont été menés afin de mieux comprendre les effets de telles rencontres sur les perceptions qu’ont les élèves du secteur régulier à l’égard des élèves nouvellement arrivés. Les quelques études réalisées au Québec que nous avons rassemblées sur le sujet mettent notamment en exergue la ségrégation entre les élèves du secteur régulier et celui de l’accueil, des discours d’exclusion envers ces élèves et des conflits intergroupes mais relèvent également des représentations positives rapportées par les élèves du secteur régulier.

Le regroupement des classes d’accueil dans l’école, souvent dans des locaux isolés de ceux utilisés par les classes régulières (De Koninck et Armand, 2012; Steinbach, 2010b) ainsi que la difficulté de partager les espaces communs avec les élèves de la classe d’accueil (Steinbach, 2010b) ont entre autres été relevés comme des éléments susceptibles de participer à la ségrégation entre les deux groupes d’élèves. Des études rapportent aussi la présence d’un discours d’exclusion de la part de certains élèves issus de la société d’accueil (Steinbach, 2010b; Steinbach et Grenier, 2013), certains participants de l’étude de Steinbach (2010b) percevant même les élèves migrants comme des « touristes » qui ne pourraient jamais s’intégrer à la communauté scolaire. De plus, la recherche rapporte la présence de conflits intergroupes entre les élèves de la société d’accueil et ceux issus de l’immigration. Lorsqu’ils ont été interrogés sur leurs perceptions des jeunes immigrants nouvellement arrivés, les élèves de la société d’accueil indiquent entre autres que les élèves migrants socialisent seulement entre eux, ce qui est perçu comme un manque d’effort pour s’intégrer (Steinbach, 2010b). Par ailleurs, dans l’étude de Steinbach et Grenier (2013), les élèves d’une seule école sur les trois écoles participantes ont rapporté avoir des contacts sociaux positifs envers des élèves nouvellement arrivés. Il est important de préciser que cette école, contrairement aux deux autres écoles faisant partie de l’étude, ne comprend pas de classes d’accueil : les élèves nouvellement arrivés (présents en nombre limité) sont intégrés directement en classe régulière et bénéficient de services de francisation. Les propos des élèves d’origine québécoise démontrent un intérêt à faire connaissance avec les élèves issus de l’immigration ainsi qu’une reconnaissance des efforts que font ces élèves pour s’intégrer. Les auteures soulignent que « ces efforts provenant des deux groupes concernés semblaient favoriser des contacts intergroupes positifs » (p. 192). Les résultats montrent aussi l’optimisme des élèves québécois interviewés dans cette école quant à l’intégration des élèves nouvellement arrivés au Québec.

Nous n’avons pu recenser que très peu d’études, en contexte international, qui ciblent précisément les perceptions d’élèves du secteur régulier à l’égard d’élèves en classe d’accueil (ou de leur équivalent), notamment puisque le modèle de classe d’accueil fermée n’est pas présent dans toutes les sociétés d’immigration. Certains travaux réalisés à cet effet mettent néanmoins l’accent sur le peu d’interactions entre ces deux groupes d’élèves, surtout à cause de l’obstacle linguistique, de la méfiance envers l’Autre et de l’absence de connaissance de la réalité migratoire (Rigoni, 2017 et 2019, en contexte français; Hilt, 2017, en contexte norvégien). Par ailleurs, des élèves semblent entretenir des perceptions positives à l’égard des élèves de la classe d’accueil lorsqu’ils les rencontrent et découvrent qu’ils ont un riche bagage (Rigoni, 2019). En France, Armagnagne et al. (2018) ont aussi relevé que les élèves des classes régulières qui parlent d’autres langues auraient de meilleurs liens avec les élèves des classes d’accueil, ce qui serait lié à une meilleure inclusion de ceux-ci dans l’école. Par contre, Rigoni (2017) indique que les élèves du secteur régulier qui n’ont pas eux-mêmes d’expérience migratoire manifestent un faible désir d’entrer en relation avec les élèves nouvellement arrivés et de s’investir dans leur intégration.

Dans la prochaine section, nous détaillons la méthodologie mise en place afin de répondre à nos objectifs spécifiques de recherche qui consistent, pour rappel, à décrire les interactions entre des élèves de classe régulière et des élèves de classe d’accueil et décrire les effets des rencontres sur les perceptions exprimées par les élèves de la classe régulière par rapport aux élèves de la classe d’accueil et à leur intégration linguistique, scolaire et sociale.

Méthodologie

Les élèves d’une classe régulière (n = 28) de français langue d’enseignement (secondaire 1, groupe enrichi) et d’une classe d’accueil fermée (n = 14) d’une école secondaire de Montréal ont participé au projet dans son ensemble. Cette école, qui accueillait 1046 élèves en 2018, au moment de la réalisation de l’étude, présente un profil sociolinguistique très diversifié dont les faits saillants sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1

Portrait sociolinguistique de l’école dans laquelle s’est déroulée l’étude

Portrait sociolinguistique de l’école dans laquelle s’est déroulée l’étude
Source : Données internes au Centre de services scolaire auquel appartient l’école concernée, 2018.

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Il est à noter que l’école en question est située en milieu défavorisé : selon les données gouvernementales concernant la défavorisation en milieu scolaire, qui tiennent compte à la fois de l’indice du seuil de faible revenu et de l’indice de milieu socio-économique, l’établissement est classé au rang 10 sur l’échelle allant de 1 à 10, soit le rang le plus défavorisé (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017).

Les élèves des deux groupes concernés ont participé, ensemble, à trois rencontres (d’une durée de 1h15 chacune) en un mois. Pendant ces rencontres, ils ont réalisé deux types d’activités : 1) des activités de conversation en petits groupes de trois ou quatre élèves pour mieux se connaître, notamment pour parler de leur bagage linguistique et culturel ainsi que de leur expérience scolaire et 2) des activités ludiques en grand groupe (mimes, improvisation, etc.). Par exemple, les élèves ont mimé des mots simples et des expressions figées et ont réalisé des improvisations bilingues (en français et dans les langues d’origine en présence) mettant de l’avant des situations d’interaction entre élèves du secteur régulier et élèves nouvellement arrivés. Ces activités ludiques ont été choisies afin de permettre un espace de jeu susceptible de transmettre des pensées et des émotions (Équipe de recherche et d’intervention transculturelles [ERIT], 2010) et de favoriser des interactions positives, contribuant ainsi à créer une ambiance d’ouverture et de collaboration entre les élèves.

Sur les 28 élèves de la classe régulière ayant participé aux rencontres avec les élèves de la classe d’accueil, 26 (13 garçons et 13 filles) ont pris part aux entretiens de groupe à la fin du projet afin de partager leur expérience. Le portrait de ces élèves est, à l’image de celui de l’école, très hétérogène. Outre le français, les langues qu’ils parlent quotidiennement sont les suivantes (certains parlant plus d’une autre langue) : anglais (n = 13), arabe (n = 4), vietnamien (n = 3), kabyle (n = 3), espagnol (n = 2), hindi (n = 1), lingala (n =1), portugais (n = 1) et persan (n = 1). Ces participants avaient tous entre 12 et 14 ans au moment de la collecte des données. La plupart de ces élèves savaient qu’il y avait des classes d’accueil à leur école, mais très peu d’entre eux avaient déjà eu des contacts avec des élèves de ces classes. Une seule élève a mentionné avoir fréquenté la classe d’accueil, et ce, l’année précédente.

Au total, sept entretiens de groupe ont ainsi été menés avec ces 26 élèves, chacun des groupes étant composé de trois ou quatre élèves. Le canevas des entretiens de groupe comprenait dix questions ciblant divers aspects de leur expérience au cours de ce projet, notamment ce qui les a le plus marqué lors des rencontres, les activités qu’ils ont préférées, ce qui a été le plus facile et le plus difficile lors de leurs interactions avec les élèves de la classe d’accueil, leur perception des élèves de la classe d’accueil et ce qu’ils ont appris d’eux pendant le projet. L’entretien de groupe a permis de créer des échanges dynamiques et stimulants entre les élèves quant à leurs perceptions (Baribeau et Germain, 2010) et a permis également de faciliter l’expression (Boutin, 2007) en faisant émerger des idées qui ont ensuite été reprises et approfondies par d’autres élèves.

Les entretiens de groupe ont été enregistrés audio-numériquement et les données recueillies ont été transcrites par une assistante de recherche. Le corpus a ensuite été soumis à une première analyse thématique visant à faire ressortir les principaux thèmes et sous-thèmes et à les regrouper et les organiser afin de faire émerger le sens du corpus (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette analyse s’est ainsi opérée de manière inductive (Braun et Clarke, 2006), « en partant du corpus pour générer des thèmes » (Deschenaux et Bourdon, 2005, p. 6). Les thèmes et sous-thèmes ont été identifiés, regroupés et fusionnés progressivement (Paillé et Mucchielli, 2012). Lorsque 25 % du codage des données a été effectué, les thèmes générés ont été validés avec la responsable de la recherche. Des ajustements au codage ont par la suite permis de poursuivre le codage avec le reste du corpus. Dans un second temps, une analyse thématique a été réalisée à l’aide du logiciel NVivo 12 afin de stabiliser le codage des données, d’approfondir les thèmes déjà mis en relief, d’en dégager d’autres et de revoir les regroupements thématiques.

Résultats

Les résultats sont présentés en lien avec les deux objectifs spécifiques de l’étude approfondis dans le cadre de cet article, à savoir 1) décrire les interactions des élèves de la classe régulière avec ceux de la classe d’accueil et 2) décrire les effets des rencontres sur les perceptions exprimées par les élèves de la classe régulière par rapport aux élèves d’accueil et à leur intégration linguistique, scolaire et sociale. Ces objectifs visent à mieux comprendre l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves d’accueil au secondaire, telle qu’elle est vécue par les élèves du secteir régulier, dans le contexte de la participation à des activités communes.

Interactions avec les élèves de la classe d’accueil

Il ressort d’abord de l’analyse des données que les interactions avec les élèves de la classe d’accueil ont apporté leur lot de satisfaction mais aussi de défis. D’une part, certains éléments semblent avoir contribué au succès des interactions entre les élèves des deux groupes. Par exemple, selon plusieurs participants, la bonne compréhension orale des élèves de la classe d’accueil et leur participation active ont facilité les interactions et permis des échanges positifs. De plus, certains élèves du secteur régulier ont eu l’occasion d’employer des stratégies de soutien pour faciliter réciproquement la communication des messages : ils ont ainsi apprécié d’avoir la possibilité d’aider les élèves de la classe d’accueil en français.

Parce que, nous, […] disons, on connaît des mots compliqués et eux non. [Cela] fait qu’il faut trouver des synonymes et les mettre dans la phrase. Et leur dire.

G2E3

Fallait juste parler un peu plus lentement. Prendre son temps.

G7E2

Les activités elles-mêmes ont aussi été mentionnées comme une source de satisfaction et un élément facilitateur des interactions : les objectifs visaient justement à faire émerger des échanges authentiques et significatifs pour les élèves des deux groupes, en misant sur la sensibilisation à l’altérité. Au fil des rencontres, un lien de familiarité et une certaine complicité semblent s’être installés entre les élèves des deux groupes : les interactions sont devenues plus conviviales et plus riches.

D’autre part, certains défis ont été rapportés, notamment celui lié à la complexité de l’établissement, au premier abord, du contact avec les élèves de la classe d’accueil. En effet, puisque la presque totalité des élèves des deux groupes ne se connaissaient pas au départ, la gêne a été un obstacle aux échanges, surtout lors de la première activité.

Au début, ils parlaient pas beaucoup. C’est pour ça que c’était, genre, un peu bizarre là. Mais après, c’était bon.

G1E3

Moi, j’ai trouvé la première fois difficile, parce que c’était un petit peu dur d’interagir avec les gens.

G1E2

Plusieurs élèves du secteur régulier ont ainsi rapporté s’être eux-mêmes sentis plus à l’aise avec les élèves de la classe d’accueil lors de la dernière rencontre, notamment puisqu’ils connaissaient de plus en plus leurs pairs.

Toutefois, pour certains des élèves du secteur régulier, les interactions avec les élèves de la classe d’accueil ont été difficiles pendant l’ensemble des activités : il leur semblait que les élèves de la classe d’accueil n’avaient pas vraiment la volonté de parler, que leur maîtrise parfois limitée du français était un obstacle à la discussion et qu’ils préféraient rester entre eux au lieu d’interagir avec les élèves du secteur régulier.

C’était plus des fois où on comprenait pas leur accent.

G5E2

Des fois, les élèves voulaient pas parler […] ils voulaient pas parler en échange. Et des fois ils répondaient juste pas.

G3E3

En somme, les interactions avec les élèves de la classe d’accueil dans le cadre du projet ont été vécues de façon mitigée par les élèves du secteur régulier.

Effets des rencontres sur les perceptions des élèves de la classe d’accueil et de l’intégration de ces élèves

Les données révèlent que pour la plupart des élèves de classe régulière, ce projet a modifié leurs perceptions des élèves de la classe d’accueil, notamment concernant les éléments suivants : 1) la sensibilisation au bagage linguistique et culturel et à l’expérience migratoire des élèves de la classe d’accueil, 2) la maîtrise du français par ces élèves et 3) la connaissance des objectifs de la classe d’accueil. Ils ont aussi relevé les effets perçus des rencontres sur l’intégration des élèves de la classe d’accueil.

Tout d’abord, ce projet a permis à plusieurs des élèves rencontrés de connaître plus concrètement la classe d’accueil et les caractéristiques de ses élèves, notamment de découvrir la diversité linguistique et culturelle qui prévaut dans ce contexte. Même si cela peut paraître surprenant dans la mesure où le profil linguistique des élèves du secteur régulier qui ont participé au projet est également très diversifié (voir section Méthodologie), l’élément saillant demeure le fait que plusieurs élèves rencontrés ne savaient pas, concrètement, ce qu’était la classe d’accueil, ni quels élèves fréquentaient la classe d’accueil. Rappelons par ailleurs qu’une seule participante a relevé être elle-même passée par la classe d’accueil et que très peu d’élèves ont rapporté avoir déjà eu des interactions avec des élèves de classe d’accueil avant de prendre part au projet.

De plus, les propos de certains des participants laissent croire qu’ils ont ainsi pris connaissance des défis relatifs au parcours migratoire des élèves du secteur de l’accueil, par exemple le fait d’avoir vécu dans plusieurs pays, d’avoir dû quitter famille et amis et d’avoir fréquenté plusieurs écoles.

Moi j’ai appris que c’était plus dur que je pensais de venir dans un autre pays et d’apprendre une nouvelle langue.

G5E4

Moi je ne pensais pas qu’il y avait autant de personnes qui viennent d’autres pays.

G2E1

De plus, certaines activités réalisées au cours de ce projet semblent avoir particulièrement marqué les élèves du secteur régulier, notamment les mimes et les improvisations. Les données recueillies permettent de constater que ces dernières activités ont notamment été appréciées en raison de la possibilité qu’elles offraient de se mettre à la place des élèves de la classe d’accueil qui ont de la difficulté à s’exprimer en français. Un élève a d’ailleurs relevé que l’activité d’improvisation, lors de laquelle il a dû « jouer » un élève de la classe d’accueil, lui a permis de mieux comprendre leur réalité :

Peut-être parce que c’est comme ça que des gens de l’accueil, tsé [tu sais], qui parlent pas français, se sentent, que c’est la meilleure activité pour se mettre dans [leur] peau […]. Ça doit être difficile de s’exprimer.

G7E1

Par ailleurs, plusieurs participants ont été surpris de la bonne maîtrise de la langue française par la plupart des élèves de la classe d’accueil : les activités réalisées leur ont fait prendre conscience que ce ne sont pas tous les élèves de la classe d’accueil qui débutent leur apprentissage du français.

Moi je pensais qu’ils parlaient pas du tout français. Mais là, genre, ça va.

G1E4

Ils savent plus de langues que je pensais. Ils savent plus le français que je pensais. Aussi, euh, ils communiquent quand même bien.

G1E2

Ainsi, ils ont eu l’occasion de déconstruire certains préjugés qu’ils avaient sur les élèves de classe d’accueil : ils ont réalisé que ces derniers avaient les mêmes compétences et habiletés scolaires qu’eux, et qu’ils étaient des adolescents « normaux » malgré le fait qu’ils étaient en apprentissage du français.

Parce que genre j’ai cru qu’ils avaient beaucoup de difficultés, mais pas vraiment. Ils sont pas trop habitués à la langue, mais ils savent genre faire des choses comme nous. Ils ont juste besoin d’améliorer leur langage. Puis, s’ils deviennent de plus en plus bons en français, ils peuvent genre aller dans les bonnes classes comme nous, genre ils peuvent aller en [nom du programme enrichi à cette école], ou sport, ou n’importe quoi.

G4E1

Sont normal, tsé, il y a des gens qui pensent que les gens de l’accueil « ah, ils parlent pas notre langue, sont bizarres. » Mais c’est pas pantoute ça. C’est des gens normaux.

G7E1

Cependant, pour certains élèves, les perceptions initiales que les élèves de la classe d’accueil ne se mélangent pas à ceux du secteur régulier sont demeurées à la suite des trois rencontres.

Genre, ils se connaissent juste entre eux. Ils vont pas avec le régulier.

G5E2

En outre, certains élèves de la classe régulière semblent avoir pris connaissance des objectifs de la classe d’accueil : ils ont réalisé qu’au-delà de l’apprentissage de la langue, cette classe se veut un milieu d’intégration à l’école québécoise. Les résultats indiquent d’ailleurs que la plupart des élèves du secteur régulier constatent l’importance de ces rencontres pour l’intégration des élèves de la classe d’accueil. Ils estiment d’abord que les activités réalisées facilitent l’intégration scolaire des élèves de classe d’accueil : cela permet de leur faire comprendre le fonctionnement des classes régulières au secondaire et de créer des liens avec des élèves du secteur régulier qu’ils pourront éventuellement croiser dans les corridors de l’école ou dans des activités parascolaires. Plusieurs ont ainsi mentionné que les rencontres qu’ils ont vécues avec les élèves de la classe d’accueil permettront à ces élèves de s’intégrer plus facilement au secteur régulier. Notons qu’il est ainsi possible que certains élèves de la classe d’accueil se retrouvent, lors de leur future intégration au secteur régulier, en classe avec des élèves qui ont participé aux activités réalisées dans le cadre de ce projet.

Quand ils parlaient avec nous et que ça se passe bien, ils vont se dire que quand ils vont aller au régulier, ça va être plus facile.

G2E1

Je crois que c’est plus utile pour les élèves d’accueil. Pour, genre, comprendre c’est quoi. Comment ça a l’air, genre, le secondaire régulier.

G2E3

Ainsi, le rapprochement entre les élèves de la classe d’accueil et ceux du secteur régulier, suscité par les d’opportunités d’interactions qui leur ont été proposées, est avant tout perçu comme un moyen d’aider les élèves de la classe d’accueil dans leur intégration scolaire. De plus, certains participants ont souligné le fait qu’avoir l’opportunité d’interagir avec des élèves de la classe d’accueil leur a permis de se rapprocher d’eux, de briser l’isolement entre les deux groupes d’élèves (régulier et accueil).

Ça aide à… Je ne sais pas comment dire… mais ça aide à se rapprocher un peu des élèves de l’accueil.

G2E1

Oui, parce que sinon tu as pas d’autres occasions de leur parler.

G7E4

Ces derniers propos laissent croire que les rencontres sont perçues de façon positive pour les contacts qu’elles ont pu susciter avec les élèves de la classe d’accueil.

Discussion

Dans le cadre de cette recherche ayant pour but de mieux comprendre l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves de la classe d’accueil au secondaire, telle qu’elle est vécue par ces élèves et par ceux du secteur régulier, dans le contexte de participation à des activités communes, nous avons voulu créer des opportunités de rapprochement entre des élèves de classe d’accueil et des élèves de secondaire 1 en classe régulière. Les trois rencontres auxquelles les élèves ont participé visaient à favoriser des interactions positives entre les élèves des deux groupes. Nous avons privilégié les échanges autour d’enjeux significatifs pour les élèves des deux groupes, à savoir leur bagage linguistique et culturel, leur expérience scolaire, leur intégration à l’école secondaire, leurs relations avec les élèves de cultures différentes. En lien avec les objectifs spécifiques de l’étude mis de l’avant dans cet article, les résultats présentés ont exposé, à la suite des rencontres, la perspective des élèves du secteur régulier concernant leurs interactions avec les élèves de la classe d’accueil, ainsi que leurs perceptions des élèves de la classe d’accueil et de l’intégration de ces derniers.

Notons d’abord que les interactions vécues dans le cadre de ce projet ont été décrites de façon mitigée par les élèves du secteur régulier : si elles ont apporté des éléments satisfaisants, elles ont néanmoins présenté des défis en lien avec la difficulté d’entrer en contact avec les élèves de la classe d’accueil (gêne ressentie par les élèves des deux groupes, faible niveau de français de certains élèves de la classe d’accueil qui rendait parfois les échanges plus ardus, investissement inégal des élèves de la classe d’accueil dans les interactions). En ce sens, les résultats de l’étude font écho à ceux de Steinbach (2010b), qui avait aussi relevé certains obstacles de communication (comme des difficultés de compréhension ou un inconfort des élèves de la classe d’accueil à s’exprimer en français) entre les élèves d’origine québécoise et les élèves nouvellement arrivés. Il y a alors lieu de se demander à quel point ces défis, notamment ceux liés aux difficultés linguistiques perçues chez les élèves de la classe d’accueil, constituent une barrière à la mise en place de contacts significatifs entre les deux groupes d’élèves (Wilson-Forsberg, 2018). Il convient aussi de vérifier la préparation des élèves de la classe régulière à ces rencontres : notamment, il aurait été idéal d’aborder ou de nuancer certains éléments au préalable, par exemple en ce qui concerne la compréhension et la valorisation du plurilinguisme.

Également, plusieurs élèves semblent avoir été surpris par la diversité des langues parlées par les élèves en classe d’accueil, et ce, même si le profil linguistique des participants de la classe du secteur régulier, tout comme celui de l’école où s’est déroulé le projet, est lui-même très hétérogène. Cette distance pourrait notamment s’expliquer par une méconnaissance du contexte de la classe d’accueil et par le peu d’interactions que les élèves du secteur régulier ont indiqué avoir avec les élèves de la classe d’accueil, ce dernier enjeu ayant notamment été rapporté dans certaines études (voir Steinbach, 2010a et 2010b). En ce sens, il y a certainement lieu de revoir la structure organisationnelle des classes d’accueil, parfois isolées de celles du secteur régulier (Allen, 2006; Bakhshaei, 2015) dans certains établissements. De telles barrières institutionnelles semblent ne pas nécessairement créer les conditions optimales pour favoriser les contacts entre les élèves des différents secteurs.

La plupart des élèves du secteur régulier ont indiqué avoir été sensibilisés, lors de ce projet, au vécu linguistique et culturel et à l’expérience migratoire des élèves de la classe d’accueil, renvoyant ainsi à la découverte de riches histoires de vie par les répondants de l’étude de Rigoni (2019). Tout comme les participants de l’étude d’Armagnagne et al. (2018), certains des élèves du secteur régulier ont aussi rapporté que les élèves de la classe d’accueil parlent souvent plusieurs langues. Ils ont également démontré leur intérêt à l’égard de ces différentes langues et de la réalité des élèves de la classe d’accueil (vécu dans le pays d’origine, parcours migratoire, intégration linguistique, scolaire et sociale au Québec), bien que de façon générale, l’école en question présente aussi une grande diversité sociolinguistique. En apprendre davantage sur l’expérience migratoire des élèves d’accueil a été cité comme un élément positif de ces rencontres. Nous observons aussi que certains participants ont relevé que ces élèves étaient des adolescents comme eux, même s’ils étaient en apprentissage du français. Suite à la recommandation de Kanouté (2007), le fait d’avoir proposé aux élèves, au cours des trois rencontres, des activités leur permettant de réaliser que l’Autre peut aussi, même en étant différent, être similaire sur certains points, nous semble avoir été un pari gagnant.

Les résultats permettent de penser qu’une distance existe entre les participants du secteur régulier, qui sont en classe de français langue de scolarisation (mais qui ont souvent rapporté parler une ou plusieurs autre(s) langue(s)) et les élèves de la classe d’accueil, qui sont arrivés récemment dans le système scolaire québécois et qui sont en situation d’intégration linguistique, scolaire et sociale. Comme l’instrument d’enquête ne comprenait pas de question précise concernant le vécu migratoire des élèves interrogés ou de leurs parents, nous ne sommes pas en mesure d’approfondir davantage le profil linguistique et culturel de chaque élève rencontré en entretien de groupe ou encore de savoir si plusieurs sont issus de l’immigration (une seule élève a mentionné, au cours de l’entretien, être passée par la classe d’accueil) : il s’agit là, sans doute, d’une limite importante de l’étude. Par ailleurs, il est envisageable que les enjeux vécus par des élèves immigrants de deuxième génération (nés au Canada d’au moins un parent né à l’étranger, voir Statistique Canada, 2018) ou encore arrivés dans l’enfance soient différents de ceux vécus par des jeunes nouvellement arrivés, notamment en ce qui concerne les défis de l’apprentissage de la langue et la familiarité avec le système scolaire québécois.

Il nous apparaît donc que le fait d’être en classe régulière a pu faire en sorte que les participants ont pu s’identifier comme élèves du secteur régulier et se différencier des élèves de la classe d’accueil : en ce sens, si les participants constituent un groupe d’élèves a priori plutôt hétérogène au plan linguistique, plusieurs d’entre eux soutiennent un discours qui semble uniforme sur les perceptions d’élèves en classe d’accueil. Notamment, l’utilisation du « nous » et du « eux » a d’ailleurs été fréquemment relevée dans les propos des participants (« parce que nous […], on connaît des mots compliqués et eux non », G2E1; « parler avec eux, c’était quand même stressant, parce qu’on savait pas quoi vraiment dire », G3E3), rappelant les résultats mis en exergue par Steinbach (2010a et 2010b) concernant l’utilisation des termes « nous autres » et « eux autres » par les élèves de la société d’accueil.

Parallèlement à cette distance qui semble émerger, nos résultats mettent également en évidence l’ouverture des participants à l’égard de la diversité culturelle et linguistique des élèves du secteur de l’accueil, à l’image de ceux obtenus par Steinbach et Grenier (2013) auprès d’un groupe de répondants : les auteures ont, entre autres, relevé que les élèves ressentaient de la compassion envers les nouveaux immigrants qui tentaient de s’intégrer, comprenaient mieux leur réalité et étaient confiants et optimistes quant à leur intégration.

Conclusion

Cette recherche soulève l’importance de favoriser les interactions entre les élèves des classes régulières et des classes d’accueil. Sensibiliser le personnel enseignant et les élèves, issus de l’immigration ou non, aux réalités de l’immigration et de l’intégration, qu’elle soit linguistique, scolaire ou sociale, semble un premier pas pour favoriser l’orientation inclusive en milieu scolaire. De plus, la mise en place d’activités scolaires ou extrascolaires permettant aux élèves d’échanger et de se connaître est pour ces jeunes du secondaire une manière de concrétiser l’éducation interculturelle.

À cet effet, ce projet a pu constituer, à petite échelle, une occasion pour des élèves du secteur régulier de connaître les élèves de la classe d’accueil. Il comporte toutefois certaines limites, notamment au niveau méthodologique. Ainsi, le nombre restreint d’élèves ayant participé au projet constitue une limite non négligeable de la recherche, tout comme le nombre et la durée des rencontres mises en place entre les deux groupes. De plus, la méthode de collecte de données utilisée (l’entretien de groupe) a pu teinter le discours des élèves (Vaughn, Shay Schumm et Sinagub, 1996) et interférer avec l’expression individuelle (Currie et Kelly, 2012), laquelle, auprès de participants adolescents, est particulièrement influencée par le regard des pairs (Boutin, 2008).

Nous espérons toutefois que cette étude pavera la voie à des proejts inclusifs impliquant à la fois les directions d’établissements scolaires, des enseignants et des élèves du secteur régulier et des classes d’accueil, étant donné notamment l’importance de la mise en oeuvre d’activités et de projets favorisant la « compréhension des réalités immigrantes » (Conseil supérieur de l’éducation, 2021, p. 192) dans les écoles. Ainsi, pour privilégier un savoir-vivre ensemble qui tienne compte du contexte pluriel de nos milieux d’enseignement, des efforts concrets sont à faire afin de susciter les contacts entre les élèves nouvellement arrivés en apprentissage de la langue de l’école et les élèves du secteur régulier (Wilson-Forsberg, 2018). Favoriser le rapprochement entre les secteurs de l’accueil et du régulier par la mise en place d’activités significatives nous semble une avenue encourageante pour tenter de diminuer la distance qui peut se vivre entre les élèves, et ainsi participer à la création de liens qui pourront permettre, de part et d’autre, une meilleure connaissance et compréhension de l’Autre.