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Introduction

À l’échelle de l’histoire du travail, l’année 2020 marquera sans doute un incroyable bouleversement des modes d’organisation. La crise sanitaire, causée par l’épidémie de COVID-19, a entraîné des vagues de confinement sur les cinq continents. En France, plus d’un actif sur quatre s’est vu dans l’obligation de travailler depuis chez lui (DARES, 2021), et tous ont subi de lourds inconvénients avec la brutalité de la mise à distance : problèmes techniques, manque d’équipement, sentiment de travailler « sans fin », brouillage des frontières entre les temps sociaux, isolement, hausse de la charge mentale, lassitude vis-à-vis de la période de crise sanitaire, etc. Autant d’éléments qui laissent penser que cette période n’a pas été neutre en matière de santé au travail et d’épuisement professionnel.

Face à cette situation inconnue et difficile, les organisations ont essayé d’accompagner au mieux leurs salariés. Cette tâche a largement incombé aux managers de proximité qui ont dû maintenir le lien à l’organisation et prévenir les difficultés rencontrées. Le soutien social a donc constitué la pierre angulaire de l’activité managériale pendant cette période avec des effets plus ou moins importants sur la santé au travail des salariés.

Si la question de l’impact du soutien social du manager direct (Karasek et Theorell, 1990 ; Haines et al., 2002 ; Häusser et al., 2010 ; Hager, 2018) sur l’épuisement professionnel a déjà été étudiée, le contexte de la crise sanitaire a induit de nouvelles configurations de travail dont l’impact est largement méconnu. Ces épisodes de confinement ont engendré une forme d’épuisement particulier (Fuhrer et al., 2021 ; Escudero-Castillo et al., 2021) et une pratique massive, soudaine et contrainte du télétravail dans les organisations.

Dans un tel contexte de crise, le soutien social du manager direct a-t-il réussi à modérer les effets des conditions de travail sur l’épuisement professionnel ? Et si oui, cela se manifeste-t-il de la même manière pour les télétravailleurs et les salariés uniquement sur site ?

Pour analyser ce phénomène, nous présenterons d’abord les débats théoriques qui animent les notions de soutien social du manager direct et d’épuisement professionnel sous l’angle du modèle exigences/ressources (Bakker et Demerouti, 2017) en tenant compte des contraintes induites par la mise à distance durant la crise sanitaire. Puis, cette compréhension de la situation sera confrontée aux résultats d’une enquête quantitative réalisée en période de confinement (novembre et décembre 2020) auprès de 5 495 salariés de 45 organismes d’une branche de la Sécurité sociale française. Cette analyse nous permettra de tirer des enseignements quant aux logiques managériales nécessaires à la prévention de la santé au travail dans un contexte de crise.

1. Limiter l’épuisement professionnel : un défi pour les managers

Dans le cadre de la théorie exigences/ressources, l’action managériale semble capable de contribuer à la limitation de l’épuisement professionnel (1.1.). Cette action s’inscrit cependant dans les nouvelles configurations de travail induites par la crise qui créent de nouvelles exigences qu’il apparaît nécessaire de mieux comprendre pour en limiter l’impact (1.2.).

1.1 Les ressorts du management face à l’épuisement professionnel

La notion d’épuisement professionnel (ou burnout) est apparue à l’issue des réflexions de Bradley (1969), puis de Freudenberger (1974) pour caractériser une situation où, face à de nouvelles exigences, l’individu se trouve dans l’incapacité d’agir, ses ressources étant entièrement consumées. L’épuisement professionnel est une réaction psychologique à l’impact chronique de stresseurs et peut conduire à de nombreux troubles : sidération, dépression, troubles du sommeil, pathologies cardio-vasculaires, etc.

Pour comprendre comment émerge cet épuisement professionnel dans un tel contexte, nous mobiliserons le modèle exigences/ressources (Bakker et Demerouti, 2007) (1.1.1.), ce qui permettra d’analyser comment le soutien managérial peut contribuer à limiter l’impact de contraintes sur les salariés (1.1.2.).

Le modèle exigences/ressources : un cadre d’analyse de l’épuisement professionnel 

Le modèle exigences/ressources repose sur deux processus psychologiques disjoints (Bakker et Demerouti, 2007). Dans le premier, qui peut être qualifié de processus de dégradation de la santé, une activité mal conçue ou des exigences structurelles épuisent les ressources mentales et physiques et conduisent à des problèmes de santé.

Le second processus est avant tout motivationnel ; il met en évidence que les ressources professionnelles possèdent un potentiel de motivation et peuvent produire un engagement professionnel élevé et d’excellentes performances.

Dans la logique du modèle exigences/ressources (Bakker et Demerouti, 2017), chaque dimension des conditions de travail de l’individu peut être identifiée soit comme une exigence, soit comme une ressource. Une exigence peut renvoyer à un aspect physique, psychologique, social ou organisationnel de l’activité qui demande un effort et possède un coût physiologique ou psychologique. Une ressource se retrouve dans des aspects physiques, psychologiques, sociaux ou organisationnels de l’activité qui permettent d’atteindre les objectifs fixés, de réduire les exigences de l’activité et les coûts physiologiques et psychologiques ou qui permettent l’apprentissage et le développement de la personne au travail (Bakker et Demerouti, 2007).

Le coeur de la conception du modèle exigences/ressources réside dans l’idée que les ressources permettent de modérer l’impact des exigences sur la souffrance des individus, alors que les exigences peuvent modérer l’impact des ressources sur la motivation. Pour mieux comprendre la souffrance au travail, il apparaît indispensable d’évaluer comment s’articulent différentes combinaisons de ressources et d’exigences (Bakker et Demerouti, 2017, p. 274).

Dans le cas du télétravail en situation de crise, de nouvelles exigences apparaissent : isolement, difficultés de communication et de collaboration, usage parfois complexe des TIC (technologies de l’information et de la communication), etc. Dans le même temps, le salarié mis à distance bénéficie d’autonomie et d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle. S’il se trouve en état de souffrance, on peut penser que ces éléments ne suffisent pas à modérer les contraintes de l’activité. Dès lors, il convient d’identifier quelles ressources managériales sont susceptibles d’être mobilisées.

Le soutien social du manager direct : une ressource pour limiter l’épuisement professionnel

Dans le modèle exigences/ressources, le soutien managérial appartient à ce que Bakker et Demerouti (2007) considèrent comme des ressources personnelles. Dans la lignée du modèle de Karasek et Theorell (1990), le soutien social constitue le principal levier de limitation des contraintes du travail.

Dans leur étude synthétisant 25 études publiées, Aronsson et al. (2017) mettent ainsi en évidence l’importance du soutien social du manager direct dans la modération de l’épuisement professionnel. Les études portant sur des métiers spécifiques confirment également cette logique aussi bien chez les infirmières (Taormina et Law, 2000) que chez les surveillants pénitentiaires (Lambert et al., 2012). Cette ressource possède une capacité importante à modérer l’impact des contraintes de l’activité (Bennett et al., 2001 ; Luszczynska et Cieslak, 2005 ; Williams et al., 2014 ; Sackey et Sanda, 2011).

Le soutien social du manager direct est une variable situationnelle connue pour atténuer les effets néfastes du stress au travail (Johnson et Hall, 1988 ; Haines et al., 2002) et pour modérer l’influence des exigences professionnelles, telle que la surcharge de travail (Väänänen et al., 2003). Ainsi, la charge de travail constitue une forme d’exigence dont l’impact peut être modéré par l’action managériale. Il en va de même pour la charge mentale qui peut, elle aussi, être considérée comme un antécédent des difficultés de santé au travail (Čecho et al., 2019 ; Atyanti et al., 2020 ; Dean et al., 2022).

Le soutien social du manager direct apparaît donc comme une ressource capable de limiter l’impact de conditions de travail délétères sur l’épuisement professionnel.

1.2 Les managers face à l’épuisement en situation de télétravail

Le télétravail n’est pas un mode d’organisation nouveau, mais a été très peu développé, notamment en France, avant que la crise sanitaire n’oblige les organisations à y recourir massivement (1.2.1). Depuis le début des années 1990, la recherche en gestion a montré que cette pratique présente certains risques pour la santé des télétravailleurs (1.2.2) et que le soutien social de leur manager direct constitue l’une des ressources les plus efficaces pour y remédier (1.2.3).

Le télétravail : une pratique qui doit son expansion à la crise sanitaire

Le télétravail n’est pas une pratique nouvelle. Depuis les années 1980, il est étudié et considéré comme un levier de développement économique et social permettant de gagner en performance, tout en satisfaisant les demandes des salariés en matière de qualité de vie au travail et d’équilibre des temps de vie (Di Martino et Wirth, 1990 ; Metzger et Cléach, 2004 ; Boboc et Dhaleine, 2008).

Le terme « télétravailleur » concerne l’ensemble des salariés qui auraient pu exécuter leur activité au sein des locaux de leur organisation, mais qui l’effectuent à distance, de manière formalisée par l’employeur, par le biais des TIC, de façon occasionnelle ou régulière, à domicile ou dans un tiers-lieu fixe (Lemesle et Marot, 1994 ; Fernandez et al., 2014 ; Aguilera et al., 2016).

La situation française est particulière en regard du télétravail (Largier, 2001). Depuis les années 1990, il s’est peu développé de manière formalisée sur des horaires de bureaux classiques. Il a d’abord pris la forme d’un arrangement tacite et non contractualisé par l’employeur (Taskin, 2003 ; Scaillerez et Tremblay, 2016). Ce « retard français » trouve une grande partie de son explication dans des réticences d’ordre culturel, dans un contexte d’entreprises particulièrement attachées au présentéisme (Felstead et al., 2003 ; Fernandez et al., 2014 ; Aguilera et al., 2016). C’est pourquoi, jusqu’en 2019, les recensements présentaient plutôt le télétravail à domicile comme un épiphénomène. D’après les données de la DARES (2019), publiées avant la crise sanitaire, le télétravail français concernait 7 % de la population active, dont 4 % de télétravail occasionnel (au moins un jour par mois) et 3 % de télétravail régulier (au moins un jour par semaine). Ces proportions ont été bouleversées par la crise sanitaire, puisqu’en décembre 2020, en moyenne, 24 % des Français télétravaillaient régulièrement ou de manière permanente (DARES, 2021).

En revanche, au niveau international, le télétravail avait déjà trouvé sa place parmi les modes d’organisation depuis une quinzaine d’années. En 2006, on comptait déjà en moyenne 13 % de télétravailleurs réguliers pour les pays de l’Union européenne (Craipeau, 2010). En 2008, l’institut Statistique Canada estimait que 5 % des actifs canadiens faisaient du télétravail régulier pour 20 % de télétravailleurs occasionnels (Scaillerez et Tremblay, 2016). Pendant la crise sanitaire, le taux de télétravail régulier s’est élevé à 32 % chez les actifs canadiens (Statistique Canada, 2021). À la lumière de ces données, nous comprenons que la crise sanitaire a été la principale source de développement du télétravail en France, contrairement au Canada ou à certains pays de l’Union européenne qui l’avaient déjà adopté de manière plus importante. Ces écarts témoignent de la singularité des modes d’organisation des entreprises françaises, qui laissaient peu de place à la flexibilité et à l’autonomie avant la crise sanitaire (Taskin, 2006 ; Gosselin et Lauzier, 2011).

Le télétravail : une pratique qui présente certains risques pour la santé au travail

En matière de santé au travail, le télétravail est une pratique ambivalente qui présente de grands avantages, mais aussi de lourds inconvénients. Depuis près de trente ans, le télétravail est reconnu pour offrir un gain de temps grâce à l’absence de transport (Haddon et Lewis, 1994 ; Mann et Holdsworth, 2003 ; Thomsin, 2005 ; Pontier, 2014), permettant une baisse de la fatigue, un allongement du temps de sommeil et une baisse de l’anxiété (Tremblay et al., 2006 ; Dumas et Ruiller, 2014 ; Aguilera et al., 2016). Le télétravail peut également assurer une meilleure conciliation des temps sociaux avec un équilibre entre vie privée et vie professionnelle (Baruch et Yuen, 2000 ; Tremblay et al., 2006), ainsi qu’une réduction des conflits familiaux (Hill et al., 2003 ; Tremblay et al., 2012 ; Dumas et Ruiller, 2014). Pendant la période de confinement, Mathieu et Tremblay (2021) ont d’ailleurs observé une forme de paradoxe chez les télétravailleurs québécois. Alors que les écoles et services de garde étaient fermés, obligeant les parents à travailler à domicile tout en s’occupant de leurs enfants, « une majorité de parents affirmaient concilier facilement leurs activités professionnelles et familiales » (Mathieu et Tremblay, 2021, p.13). Cela démontre bien que la flexibilité et le confort permis par le télétravail peuvent dépasser les complexités organisationnelles du contexte dans lequel il s’exerce.

Cependant, un grand nombre de recherches pointent du doigt les risques de dérives liés au télétravail, au premier rang desquels figure un sentiment de travailler sans fin, sans limites de temps, en étant prisonnier d’une forme de « télédisponibilité permanente » (Tremblay et al., 2006 ; Pereira, 2018). Cette tension engendre souvent une impression de hausse de la charge de travail et un brouillage des frontières de la sphère professionnelle qui semble envahir la vie privée, surtout dans le cas du travail à domicile (Mann et Holdsworth, 2003 ; Aguilera et al., 2016). À cela s’ajoute un contrôle électronique plus formalisé par les managers qui renforce la pression ressentie par les télétravailleurs (Richardson et MacKenna, 2014 ; Groen et al., 2018) et la lourdeur de leur charge mentale (Taskin et Devos, 2005). Plus récemment, des études ont montré que l’usage intensif des outils de visioconférence provoque une fatigue cognitive, nerveuse et visuelle liée à l’hyperconnexion (Fosslien et Duty, 2020).

Les études antérieures nous présentent donc le télétravail comme une pratique pouvant détériorer la santé de ses pratiquants, malgré les bienfaits reconnus de cette pratique. Le rôle du manager direct semble alors particulièrement important dans la mise en place, le développement et la gestion quotidienne du télétravail (Brunelle, 2009, 2010) pour favoriser le bien-être de ses pratiquants et éviter que ces risques ne se développent. Le soutien social du manager direct se positionne alors comme une ressource particulièrement efficace pour limiter les effets néfastes du télétravail (Hartman et al., 1991 ; Kowalski et Swanson, 2005 ; Häusser et al., 2010 ; Hager, 2018).

Le soutien social du manager direct : un remède à l’épuisement en situation de télétravail ?

L’un des principaux facteurs de succès du télétravail réside dans la qualité du soutien social de la hiérarchie (Kowalski et Swanson, 2005). Pourtant, l’isolement social causé par le travail à domicile réduit presque inévitablement le soutien social ressenti par les télétravailleurs (Winkler, 2001). Les managers doivent donc fournir des efforts supplémentaires pour leur en prodiguer. À distance, ce soutien se traduit souvent par une approche plus émotionnelle, centrée sur le maintien de l’engagement envers l’organisation, alors qu’il est davantage centré sur le travail concret en présentiel (Collins et al., 2016).

Les recherches antérieures ont montré que le soutien social du manager direct peut modérer les tensions et le stress ressentis par les télétravailleurs (Häusser et al., 2010). Son impact s’avère d’ailleurs particulièrement fort dans les contextes d’instabilité et de changement. En effet, un soutien social axé sur le travail est en mesure d’améliorer le bien-être mental et d’atténuer le stress causé par les exigences du travail dans les périodes d’incertitude (Hager, 2018). En ce sens, la période de crise sanitaire et de confinement que nous examinons a été une période de fortes exigences et d’incertitudes. Enfin, le soutien émotionnel du manager direct assure une plus grande satisfaction des télétravailleurs vis-à-vis de leur emploi (Hartman et al., 1991) et une meilleure qualité de vie au travail (Haines et al., 2002).

Ainsi, le soutien social du manager direct peut s’avérer un levier particulièrement salutaire pour les télétravailleurs. Il favorise leur bien-être et leur adaptation au télétravail, tout en limitant les risques de stress ou de tensions. En revanche, aucune recherche ne semble avoir évalué son efficacité pour réduire l’épuisement professionnel engendré par les conditions de travail à domicile, qui plus est en période de crise.

Figure 1

Le modèle de modération du soutien managérial entre trois conditions de travail et l’épuisement professionnel

Le modèle de modération du soutien managérial entre trois conditions de travail et l’épuisement professionnel

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À la lecture de ces travaux, il nous semble que le travail effectué en confinement à domicile pendant la crise sanitaire a été un terreau propice à l’épuisement professionnel, alimenté par un sentiment de forte charge de travail (Mann et Holdsworth, 2003 ; Aguilera et al., 2016) et de charge mentale (Taskin et Devos, 2005). Or, si la charge de travail et la charge mentale constituent des exigences, le soutien social du manager direct apparaît comme une ressource, au sens du modèle de Bakker et Demerouti (2017).

Dès lors, il s’agit pour nous de déterminer si le soutien social du manager direct est en mesure de lutter contre l’épuisement professionnel en modérant les effets de la charge de travail et la charge mentale. La majorité des salariés étant en télétravail durant cette période, il s’agira également de comprendre si ce soutien se manifeste de la même manière pour les télétravailleurs et leurs collègues uniquement sur site.

2. Étude empirique

Pour décrire l’effet du soutien social du manager direct sur l’épuisement professionnel en situation de crise sanitaire, nous avons mené une enquête auprès de 3 577 salariés d’une branche de la Sécurité sociale française entre novembre et décembre 2020. Les répondants de cette enquête sont tous des salariés sans responsabilités managériales qui exercent une activité d’accueil, de traitement de dossiers ou de soutien dans l’une des 45 caisses départementales participantes.

L’enquête s’est déroulée durant le second confinement en France causé par l’épidémie de COVID-19. Dans ce contexte, les agents avaient la possibilité d’effectuer entre 3 et 5 jours de télétravail par semaine, ou bien de travailler uniquement sur site.

2.1 Méthode de collecte et d’analyse de données

Procédure de l’enquête et constitution de l’échantillon final

La conception de ce questionnaire et la collecte de données quantitatives et sémantiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Sphinx iQ2. Les salariés des 45 caisses départementales participantes ont été invités à répondre par courriel au questionnaire en ligne. Parmi eux, 5 495 agents ont répondu à l’enquête, ce qui représente 42 % de l’effectif total de ces organismes.

Pour réaliser l’analyse de données, nous avons ensuite retiré les 519 managers (de proximité, intermédiaires et agents de direction) de la base de données afin d’analyser uniquement le ressenti des agents de terrain vis-à-vis de leur manager direct de premier niveau. Nous avons ensuite réalisé un cylindrage des 4 976 répondants restants afin de ne conserver que les observations intégralement complétées. Nous avons ainsi obtenu un échantillon de 3 577 répondants, puis débuté l’analyse de données sur le logiciel JASP 0.14.

L’échantillon est composé de salariés non encadrants d’une branche de la Sécurité sociale française qui effectuent de la relation de service avec les usagers, de la gestion ou du contrôle de dossiers, ou bien qui exercent une fonction support (informatique, ressources humaines, comptabilité, gestion de courrier ou secrétariat). Parmi nos 3 577 répondants, la très grande majorité effectue plusieurs jours de télétravail par semaine (3 219), alors que seuls 10 % d’entre eux travaillent exclusivement sur site (358). Leurs managers sont également 81,5 % à exercer leur activité à domicile (423), contre 18,5 % de non-télétravailleurs (96). Ils encadrent des équipes de salariés comprenant à la fois des télétravailleurs et des salariés uniquement sur site.

Par ailleurs, notre échantillon comporte 84,7 % de femmes (3 030), ce qui correspond bien à la répartition réelle qui nous a été transmise par ces organisations. De plus, près de la moitié des répondants ont entre 25 et 39 ans (1 767). Enfin, nos répondants vivent majoritairement en couple (2 565) avec un ou plusieurs enfants (2 386).

Tableau 1

Composition de l’échantillon

Composition de l’échantillon

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Outils de mesure mobilisés

Pour construire notre modèle, nous avons utilisé quatre échelles de mesure validées par la littérature (la charge de travail, la charge mentale, le soutien social du manager direct et l’épuisement professionnel). La cotation utilisée suit une échelle de Likert en cinq modalités allant de « 1 – Pas du tout d’accord » à « 5 – Tout à fait d’accord ».

Pour mesurer la charge de travail, nous avons retenu l’échelle de Caplan, Cobb et French (1975), reprise par Wallace (2005), qui comporte quatre items. La fiabilité de cette dimension est très satisfaisante (α = 0,91).

La charge mentale au travail a été mesurée avec l’échelle de Galy (2016), qui est la seule échelle de mesure de la charge mentale appliquée spécifiquement au domaine du travail, à notre connaissance. Nous avons retenu deux des quatre dimensions de l’échelle initiale, à savoir la « charge mentale intrinsèque au travail » (trois items) et la « charge mentale externe due aux aspects temporels du travail » (sept items). La fiabilité de cette dimension est très satisfaisante (α = 0,84).

La mesure du soutien social du manager direct mobilisé est celle de Pinneau (1976), qui comporte quatre items qui sont déclinés pour trois catégories de personnes : les collègues, le manager direct et la famille. Pour répondre à notre problématique, nous n’aurons besoin d’utiliser que les réponses concernant le « manager direct ». La fiabilité de cette dimension est très satisfaisante (α = 0,89).

Enfin, pour mesurer l’épuisement professionnel, nous avons fait le choix de retenir le Shirom et Melamed Burnout Measure (Shirom et Melamed, 2006), reprise et traduite par Sassi et Neveu (2010). Cette échelle a été construite dans une logique d’adéquation à la théorie des ressources. Cette mesure comprend trois dimensions de l’épuisement professionnel : la « fatigue physique » (cinq items), « l’épuisement émotionnel » (trois items) et la « lassitude cognitive » (cinq items). Le choix de cet instrument repose aussi sur la prise en compte de ces deux dernières dimensions qui nous paraissent particulièrement utiles, la période de crise exposant particulièrement aussi bien à l’isolement et à la lassitude. La fiabilité de cette dimension est très satisfaisante (α = 0,93).

Les items des échelles de mesure présentées ci-dessus nous ont ensuite permis de réaliser des scores factoriels sur le logiciel R, afin de créer des variables latentes permettant de représenter nos quatre concepts et de réaliser notre analyse de modération.

Tableau 2

Échelles de mesures utilisées dans l’étude

Échelles de mesures utilisées dans l’étude

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2.2. Analyses préliminaires

Analyses de corrélations

Le calcul des corrélations a été réalisé avec un rhô de Spearman afin de s’adapter à la distribution non normale des échelles de mesure psychométriques que nous avons mobilisées (tableau 3). L’ensemble des indices de corrélation obtenus présentent une forte significativité (p < 0.001), ce qui confirme l’intérêt du modèle de recherche. Ces indices se situent entre 0.349 et 0.626 pour les corrélations positives, et entre -0.139 et -0.238 pour les corrélations négatives.

L’analyse des corrélations nous montre que l’épuisement professionnel est positivement lié à la charge de travail (r = 0.349) et à la charge mentale (r = 0.387), ce qui confirme la force des liens exposés par la littérature entre l’épuisement professionnel, la charge de travail et la charge mentale. Par ailleurs, le soutien social du manager direct est négativement lié à la charge de travail (r = -0.139), à la charge mentale (r = -0.204) et à l’épuisement professionnel (r = -0.238).

Ces indices de corrélations confirment que la charge de travail et la charge mentale constituent des exigences, alors que le soutien social du manager direct se présente plutôt comme une ressource vis-à-vis de l’épuisement professionnel.

Tableau 3

Corrélations entre les variables de l’étude

Corrélations entre les variables de l’étude

* p < .05, ** p < .01, *** p < .001

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Statistiques descriptives

Avant de procéder à l’analyse de modération, il semble intéressant de comparer les moyennes des scores factoriels obtenus entre les télétravailleurs et les salariés uniquement sur site (cf. tableau 4).

Tableau 4

Différence de moyenne selon la situation de travail

Différence de moyenne selon la situation de travail

* p < .05, ** p < .01, *** p < .001

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En premier lieu on constate des différences très marquées concernant les niveaux de charge de travail (+ 10 %), de charge mentale (+ 5,5 %) et d’épuisement professionnel (+ 15 %), à la défaveur des salariés uniquement sur site. Ces résultats vont à l’encontre de notre hypothèse de départ quant au risque accru de charge de travail, de charge mentale et d’épuisement professionnel en télétravail. Dans cette situation inédite et contrainte de confinement, il semble que les télétravailleurs aient été moins exposés que leurs collègues sur site. Pour expliquer cette différence, on peut imaginer que ces derniers cumulent à la fois les inconvénients du présentiel (fatigue liée au temps de transport, réalisation de toutes les tâches ne pouvant être effectuées que sur site, etc.) et du distanciel (isolement dans les locaux, travail exclusif sur écran, échanges et réunions uniquement en visioconférence, etc.).

Cependant, même si les salariés uniquement sur site ressentent davantage d’épuisement professionnel que les télétravailleurs (3,75 vs 3,22), il n’en reste pas moins que ces catégories ressentent toutes deux des niveaux d’épuisement professionnel nettement supérieurs à la moyenne internationale de l’outil de mesure (2,02). Dans un tel contexte de crise sanitaire, l’épuisement professionnel s’avère donc particulièrement marqué pour l’ensemble des salariés (tableau 5) et justifie d’autant plus la pertinence d’étudier si le soutien social du manager direct est en mesure de limiter cet épuisement.

Tableau 5

Écarts entre le niveau d’épuisement professionnel étudié et la norme de l’outil de mesure

Écarts entre le niveau d’épuisement professionnel étudié et la norme de l’outil de mesure

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Enfin, on constate que la dimension centrale de notre étude — le soutien social du manager direct — ne présente pas de différence significative entre les télétravailleurs et les salariés uniquement sur site (seulement 0,3 % d’écart). Cela signifie que, quelle que soit la manière dont il s’exerce, le soutien social du manager direct est perçu avec un niveau équivalent. Cette équivalence de ressenti est renforcée par les réponses sémantiques obtenues à la question ouverte : « Qu’attendez-vous de votre manager dans la période actuelle ? » On constate que les attentes formulées sont rigoureusement les mêmes pour les télétravailleurs et les salariés uniquement sur site : du soutien, de l’écoute et de la disponibilité (figures 2 et 3).

Figures 2 et 3

Les attentes des répondants vis-à-vis de leurs managers

Les attentes des répondants vis-à-vis de leurs managers

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2.3 Résultats

Pour mettre en exergue les effets de modération du soutien social du manager direct entre la charge de travail et la charge mentale d’une part, et l’épuisement professionnel d’autre part, nous avons réalisé des régressions linéaires multivariées.

Une absence de modération du soutien social du manager direct pour les télétravailleurs

Le résumé du modèle nous montre d’ores et déjà que notre hypothèse n’est pas validée pour les télétravailleurs. L’effet modérateur du soutien social du manager direct a été testé dans la relation entre deux covariables : la charge de travail et la charge mentale, et une variable dépendante : l’épuisement professionnel. Les résultats de la régression multiple indiquent qu’il n’y a pas d’effet global significatif des prédicteurs entre le soutien social du manager direct et les deux covariables d’une part, et l’épuisement professionnel d’autre part (F(3, 3215) = 255.730, p < 0.001, R² = 0.193).

L’effet modérateur n’est pas établi pour le soutien social du manager direct sur la charge de travail (B = -0.016, t = -0.972, p = 0.331) ni sur la charge mentale (B = -0.008, t = -0.741, p = 0.459). L’ajout de cet effet n’améliore pas l’ajustement du modèle de manière significative (aucun changement de R² = 0.194, F(2, 3213) = 1.978, p = 0.139). Le modèle de modération ne présente donc pas d’intérêt par rapport aux effets directs.

Toutefois, l’étude des effets directs nous montre que la charge de travail (B = 0.511, p < 0.001) et la charge mentale (B = 0.388, p < 0.001) constituent bien des exigences qui renforcent l’épuisement professionnel, alors que le soutien social du manager direct (B = -0.576, p < 0.001) s’avère une ressource particulièrement salutaire pour limiter cet épuisement, bien qu’elle ne modère pas l’effet de la charge de travail et de la charge mentale.

Tableau 6

Model Summary SMBM (Télétravailleurs)

Model Summary SMBM (Télétravailleurs)

Note. Null model includes SoutienManager, ChargeTravail, ChargeMentale

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Tableau 7

Coefficients SMBM (Télétravailleurs)

Coefficients SMBM (Télétravailleurs)

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L’effet modérateur du soutien social du manager direct pour les travailleurs sur site

Comme nous disposions de 358 travailleurs exclusifs sur site dans notre échantillon, nous avons appliqué le même modèle pour les salariés uniquement sur site. Il s’agit pour nous de déterminer si le soutien social du manager direct se traduit de la même manière pour ces deux catégories, alors que nous avons constaté des écarts de ressenti en termes de charge de travail, de charge mentale et d’épuisement professionnel.

Les résultats obtenus nous montrent que, même si l’effet modérateur est faible, il devient cependant significatif (p < 0.05), alors qu’il ne l’était pas du tout pour les télétravailleurs. En effet, les résultats de la régression multiple indiquent qu’il y a un effet global significatif des prédicteurs entre les deux covariables et le soutien social du manager direct d’une part, et l’épuisement professionnel d’autre part (F(3, 353) = 36.843, p < 0.001, R² = 0.238).

Un effet modérateur est établi pour le soutien social du manager direct sur la charge de travail (B = 0.125, t = 2.348, p = 0.019) et sur la charge mentale (B = -0.074, t = -2.604, p = 0.028). L’ajout de cet effet améliore l’ajustement du modèle de manière significative (Changement de R² = 0.252, F(2, 351) = 3.119, p = 0.042). Toutefois, l’importance de ces effets doit être nuancée, puisqu’un coefficient de modération de 0.125 ou -0.074 témoigne d’un effet modeste. Dans notre cas, le soutien social du manager direct s’avère un modérateur relativement faible.

Par ailleurs, on constate que le coefficient de modération du soutien social du manager direct entre la charge de travail et l’épuisement professionnel présente un indice surprenant. L’effet de modération du soutien amplifie le ressenti d’épuisement au lieu de l’atténuer (B = 0.125), alors que la logique du modèle voudrait que la ressource « soutien social du manager direct » limite l’impact de l’exigence « charge de travail » sur l’épuisement professionnel. De plus, on constate que le coefficient de régression qui mesure l’effet direct de la charge de travail sur l’épuisement professionnel n’est pas significatif pour l’échantillon des travailleurs sur site, que ce soit dans l’hypothèse H1 (B = 0.096, p = 0.578) ou H0 (B = 0.105, p = 0.542), alors que tous les coefficients de régression sont très significatifs dans le modèle des télétravailleurs.

Enfin, outre l’absence de significativité de la charge de travail, l’étude des effets directs nous montre que la charge mentale constitue bien une exigence qui renforce l’épuisement professionnel (B = 0.711, p < 0.001), alors que le soutien social du manager direct s’avère être une très forte ressource pour limiter cet épuisement (B = -0.812, p < 0.001). Les coefficients obtenus nous montrent d’ailleurs que les effets directs encore plus importants que ceux observés dans le modèle des télétravailleurs. L’ensemble de ces données nous indique donc qu’il existe des différences de ressenti importantes entre les télétravailleurs et leurs collègues sur site, avec des exigences et des ressources qui ne s’exercent pas de la même manière les unes sur les autres.

Tableau 8

Model Summary SMBM (Travailleurs sur site)

Model Summary SMBM (Travailleurs sur site)

Note. Null model includes SoutienManager, ChargeTravail, ChargeMentale

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Tableau 9

Coefficients SMBM (Travailleurs sur site)

Coefficients SMBM (Travailleurs sur site)

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Figures 4 et 5

Un soutien social du manager direct qui constitue une forte ressource face à l’épuisement, malgré ses faibles capacités de modération (* p < .05, *** p < .001)

Un soutien social du manager direct qui constitue une forte ressource face à l’épuisement, malgré ses faibles capacités de modération (* p < .05, *** p < .001)

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3. Discussion

3.1 Un soutien social du manager direct qui ne se traduit pas de la même manière selon la situation de travail

Cette analyse comparative nous montre que le soutien social du manager direct modère positivement l’impact de la charge mentale sur l’épuisement professionnel des salariés travaillant sur site, alors qu’il n’est pas en mesure de modérer cet impact pour les télétravailleurs, d’autant plus que l’effet direct du soutien social du manager direct sur l’épuisement professionnel est nettement plus fort pour les salariés sur site (B = -0.812) que pour les télétravailleurs (B = -0.576). Ces résultats nous interpellent, puisque durant la crise de COVID-19, le travail sur site représentait la configuration de travail minoritaire. Nous aurions pu nous attendre à ce que les managers concentrent leur soutien sur les télétravailleurs isolés à domicile plutôt que sur les salariés restés sur site, d’autant plus que tous les travailleurs de notre échantillon ont formulé le « soutien » comme étant leur principale attente envers leurs managers directs, et ces derniers encadraient à la fois des télétravailleurs et des salariés sur site. Cette différence peut s’expliquer grâce à certains travaux sur le soutien social en télétravail qui ont démontré que l’isolement réduit le soutien social ressenti par les télétravailleurs (Winkler, 2001) et oblige les managers à fournir des efforts supplémentaires pour leur en prodiguer. Cependant, dans une période de chamboulements et de contraintes aussi forte qu’a pu l’être la crise sanitaire, les managers n’ont peut-être pas été en mesure de fournir cet effort, d’autant plus que ces encadrants n’ont pas eu le temps de se familiariser aux particularités, aux exigences et aux risques du télétravail avant la crise sanitaire. Ils ont dû encadrer un travail à domicile du jour au lendemain, sans préparation ni temps d’adaptation.

Finalement, le soutien social du manager direct se présente incontestablement comme une ressource efficace pour limiter l’épuisement professionnel, quelle que soit la situation de travail, mais s’avère plus efficient dans son action directe que dans sa capacité à modérer les exigences de l’activité, telles que la charge de travail ou la charge mentale. Ces résultats interpellent l’univers managérial et le rôle habituellement modérateur que l’on attribue au soutien social du manager direct face aux problématiques de santé au travail (Karasek et Theorell, 1990 ; Häusser et al., 2010 ; Aronsson et al., 2017 ; Hager, 2018). De ces résultats, deux conclusions sont alors possibles. D’une part, on peut considérer que les capacités de modération de soutien social du manager direct sur les contraintes de l’activité (Bennett et al., 2001 ; Williams et al., 2014 ; Sackey et Sanda, 2011) ont été surestimées par les recherches antérieures. Cette conclusion revient à questionner le rôle d’une dimension qualifiée de ressource dans le modèle de Bakker et Demerouti (2007), si celle-ci détient de faibles qualités de modération. D’un autre côté, on peut considérer que la situation particulière que nous avons étudiée, avec des travailleurs et des managers brutalement isolés dans un contexte de crise sanitaire, n’a pas permis au soutien social du manager direct de s’exercer normalement.

3.2 Une charge de travail qui n’a pas le même impact sur l’épuisement professionnel selon la situation de travail

Outre les divergences en matière de soutien social du manager direct, cette analyse a également révélé une très nette différence entre nos deux catégories en ce qui concerne l’effet de la charge de travail sur l’épuisement professionnel. Pour les salariés travaillant sur site, la charge de travail n’a pas d’effet significatif sur l’épuisement professionnel (B = 0.105, p = 0.542), alors qu’elle produit un impact très fort chez les télétravailleurs (B = 0.507, p < 0.001). Pour comprendre cette absence de corrélation, on peut imaginer que, malgré les niveaux élevés d’épuisement professionnel et de charge de travail pour les salariés uniquement sur site, cet épuisement n’est majoritairement pas causé par le sentiment d’avoir une charge de travail trop lourde, mais davantage par le contexte de crise et d’isolement social.

Par ailleurs, l’effet de la modération du soutien social du manager direct entre la charge de travail et l’épuisement professionnel chez les salariés uniquement sur site mérite d’être discuté. En effet, l’effet de modération amplifie le ressenti d’épuisement au lieu de l’atténuer (B = 0.125). Il semble que dans certaines configurations, le soutien social du manager direct ne permet pas de limiter les effets délétères des conditions de travail, mais au contraire, les renforce. Ce résultat a déjà été observé dans la littérature (Abord de Chatillon et Desmarais, 2012) sans pour autant être expliqué précisément. L’hypothèse de cette étude réside dans l’idée que, parfois, le soutien social du manager direct vient renforcer la perception de contraintes de travail existantes, ces dernières étant discutées quotidiennement entre le manager et ses subordonnés, ce qui les rend encore plus présentes et invasives dans l’esprit de ces derniers.

3.3 Les limites de cette étude

Nos résultats en matière de charge de travail et de soutien social du manager direct présentent des singularités vis-à-vis des recherches antérieures qui doivent en partie résulter de la situation de crise et de confinement vécue par nos répondants. La crise sanitaire a certainement pesé d’une manière différente sur la charge de travail perçue, la charge mentale et l’épuisement professionnel, et même sur la nature et l’intensité du soutien social du manager direct, qu’elle ne l’aurait fait dans une situation de travail plus « classique ».

De plus, notre terrain d’enquête est particulier : les salariés considérés sont des salariés de droit privé, mais qui appartiennent à 42 organisations distinctes d’une même institution globale. Nos résultats ne peuvent être généralisés à l’ensemble des travailleurs français. Enfin, notre échantillon est constitué de salariés issus d’institutions qui ont expérimenté le télétravail pour la première fois durant la crise sanitaire et ne sont pas le reflet du contexte international.

Conclusion

L’ambivalence de nos résultats est le témoin du caractère inédit et atypique des configurations de travail qui se sont mises en place pendant la crise sanitaire. Il nous est difficile de comprendre le vécu des salariés durant cette période en l’analysant par le prisme de nos anciennes grilles de lecture. Le télétravail massif et permanent s’est avéré extrêmement isolant, tout comme le travail sur site, puisque la grande majorité de leurs collègues étaient en télétravail. Cette période de crise invite les organisations à repenser le management dans sa globalité, et pas seulement à considérer le management à distance comme une simple transposition du management sur site.

En ce sens, les préceptes en matière d’épuisement professionnel et de soutien social du manager direct ont désormais besoin d’être adaptés aux nouvelles organisations du travail, car le développement massif du télétravail depuis la crise sanitaire présente de nouveaux risques pour la santé au travail. Néanmoins, la plupart des télétravailleurs apprécient davantage cette pratique que leurs anciennes configurations de travail et souhaitent désormais travailler régulièrement depuis chez eux (Abord de Chatillon et al., 2020 ; Statistics Canada, 2021). Le développement du télétravail en alternance avec le travail sur site invite donc les organisations à repenser la nature de leurs actions managériales pour s’adapter aux nouveaux équilibres en matière de santé au travail.