Corps de l’article

Introduction

Au Québec, les appareils numériques (tablettes, téléphones intelligents, ordinateurs) sont de plus en plus présents. En 2018, 95 % des adultes détenaient au moins un appareil connecté (tablettes, téléphones intelligents, ordinateurs, montres ou bracelets connectés) et 92 % des foyers avaient accès à Internet (Centre francophone d’information des organisations [CEFRIO], 2018). Cette réalité est tout aussi observable auprès des adolescents qui ont, eux aussi, bénéficié de cette démocratisation des technologies, notamment grâce au marché de seconde main qui est en croissance (CEFRIO, 2018). Avec cet avènement, les habitudes de lecture ont aussi évolué. Entre autres, la lecture sur des supports numériques (tablettes, téléphones, ordinateurs) est en augmentation. En 2013, 19 % des Québécois lisaient des livres sur une liseuse alors qu’en 2015, ce nombre grimpait à 26 % sur une liseuse, à 27 % sur un téléphone intelligent et à 32 % sur une tablette (Labrousse et Lapointe, 2021). Chez les adolescents, les médias sociaux, les vidéos, les livres en ligne, les médias numériques et la navigation Web composent l’essentiel des textes lus, vus ou en entendus (Bouchamma et al., 2014; CEFRIO, 2009).

Cette accessibilité des appareils numériques et les transformations qu’elle induit sur les pratiques de lecture soulèvent bien entendu des enjeux pour le monde de l’éducation. Les environnements (numériques) et les supports (tablettes, téléphones, ordinateurs) sur lesquels les élèves lisent des textes de formes variées (textuelles, imagées, audios et vidéos) s’ajoutent en effet aujourd’hui aux supports de lecture et aux textes traditionnels déjà utilisés en salle de classe, ce qui exige des enseignants de s’approprier de nouvelles pratiques d’enseignement, mais aussi de supporter de nouveaux apprentissages. Entre autres, il est de la responsabilité de l’école d’outiller les élèves pour qu’ils soient en mesure de gérer et de comprendre toutes les formes de textes et de messages aujourd’hui produits, et ce, peu importe les supports sur lesquels ils se présentent, notamment en mobilisant des stratégies de lecture adapatées.

À l’école, l’accompagnement des élèves dans le développement des stratégies de lecture relève plus spécifiquement de la responsabilité des enseignants de français (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2006). Toutefois, le référentiel d’intervention en lecture pour les élèves de 10 à 15 ans (MELS, 2012) souligne bien que le développement des compétences de littératie et des stratégies de lecture qui y sont associées doit être partagé avec les autres enseignants disciplinaires. Le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ; MELS, 2006) précise aussi cette responsabilité partagée à l’intérieur de la compétence transversale Communiquer de façon appropriée. Le programme encourage également la transférabilité des lectures disciplinaires réalisées afin de permettre à l’élève de se construire un bagage de repères culturels.

Cet enseignement espéré des stratégies de lecture permet de soutenir le développement de la littératie des élèves, de faire des liens entre les disciplines et de donner du sens aux apprentissages (Granger, 2020). Cet enseignement – ou l’absence de cet enseignement – a bien entendu un impact direct sur l’apprentissage et la réussite dans toutes les disciplines scolaires (Prud’homme et al., 2011). Il est en effet possible de constater l’impact d’un faible taux de littératie sur d’autres disciplines que celle du français (Laflamme, 2009), notamment en histoire du Québec et du Canada. Blouin (2020) et Pageau (2018), à cet égard, ont documenté l’utilisation inadéquate du dossier documentaire lors de l’épreuve unique d’histoire du ministère en quatrième secondaire (Histoire du Québec et du Canada).

1. Questions à l’étude et organisation de l’article

D’un point de vue pratique et réflexif, pour certains d’entre nous qui oeuvrons en tant que conseillers pédagogiques auprès, entre autres, d’enseignants de français et d’univers social, cet enjeu de la littératie et du rôle qu’y jouent l’enseignement et l’apprentissage des stratégies de lecture sont centraux.

Dans cette perspective, les questions qui suivent méritent d’être approfondies.

  • Quelles sont les stratégies de lecture applicables aux différents supports (traditionnels, numériques) des textes prenant différentes formes médiatiques (textuelles, imagées, audios et vidéos) à enseigner aux élèves afin de soutenir le développement de la littératie?

  • Quelles sont les stratégies de lecture intermédiaire, liée à la littératie générale (Shanahan et Shanahan, 2008), à enseigner pouvant ensuite être transférées et adaptées afin de répondre aux besoins spécifiques des différentes littératies disciplinaires sachant que celles-ci sont perméables?

  • Comment enseigner efficacement ces stratégies afin de favoriser leur maîtrise par les élèves?

Dans cet article de nature théorique, ce sont des éléments de réponse à ces questions que nous mettons en saillie en nous intéressant principalement à la notion de littératie – volet réception (lecture) – et aux stratégies qui y sont associées auprès des élèves du secondaire. Ultimement, par cette réflexion théorique, basée sur une recension des écrits puis la présentation d’un outil de consignation de stratégies de lecture élaboré dans le cadre d’une recherche-développement (Legault, 2021), nous espérons faire émerger l’intérêt (voire la nécessité) de réaliser une ou des recherches sur le terrain de la pratique permettant de documenter les pistes d’intervention pour les équipes-écoles du secondaire à privilégier pour assurer un travail concerté autour de l’enjeu de la littératie, entre autres, en classe d’histoire.

1. Recension des écrits autour de la littératie et des stratégies de lecture

Dans ce qui suit, nous nous intéressons à la notion de littératie en décrivant celle-ci selon une conception plus générale (puisqu’indépendante des contextes dans lesquels elle est mobilisée), pour finalement nous préoccuper des littératies plus spécifiques, soit les littératies disciplinaires. Dans cet article, la littératie disciplinaire qui nous importe davantage est celle liée au domaine de l’univers social. Nous nous intéressons ensuite aux stratégies de lecture liées à la littératie générale sur laquelle s’appuie toute littératie disciplinaire.

2.1. La littératie

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la littératie se définit comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » (2000, p. X).

La définition de Beauregard et al. (2011), inspirée de celle de l’OCDE, nous semble encore plus complète :

[…] la littératie est en lien avec le développement, chez les individus, de l’habileté à lire, à écrire, à parler et à écouter. De plus, ces pratiques « littératiées » peuvent être utilisées dans la vie courante, à la maison, au travail, à l’école ou dans la collectivité en fonction des objectifs par chacun, et ce, en interaction avec ses propres valeurs et sa propre culture.

p. 8-9

Ces deux définitions de la littératie s’inscrivent dans la vision des deux premiers niveaux du continuum de développement de la littératie de Shanahan et Shanahan (2008). Elle fait conséquemment référence au premier niveau, la littératie de base, acquise généralement au primaire qui comprend notamment le décodage, et au second niveau, la littératie intermédiaire, acquise tout au long du secondaire qui comprend notamment la fluidité de lecture et la compréhension.

2.1.1. La littératie médiatique multimodale

Sachant que le numérique est présent dans la vie quotidienne, l’aspect multimodal des textes et l’utilisation d’environnements et de supports variés sont aujourd’hui à prendre en compte dès lors qu’il est question de littératie.

La littératie dite médiatique est un concept qui regroupe trois compétences complémentaires, soit la compétence informationnelle, la compétence technologique ainsi que la compétence multimodale (Lebrun et al., 2013). Selon Lebrun et al. (2013), on entend par compétence informationnelle la capacité à rechercher, avec un regard critique, à utiliser et à organiser les informations disponibles sur le Web. La compétence technologique fait référence à l’utilisation même des outils technologiques comme les tablettes et les ordinateurs. Enfin, la compétence multimodale reprend les éléments des définitions de la littératie mentionnés précédemment, en insistant sur les modes par lesquels s’effectue la communication. Il est dans ce contexte question de « lire et à communiquer en combinant efficacement l’écrit, l’image et l’audio sur des supports médiatiques variés » (Lebrun et al., 2013, p. 9).

La littératie médiatique multimodale (LMM) implique une combinaison d’au moins deux modes de communication : textuel (les écrits), visuel (les images), sonore (les sons et les enregistrements), et cinétique (la vidéo ou le mouvement, en réel ou à l’écran), dans une même communication reçue (comprise, interprétée, évaluée) ou produite (élaborée, créée, diffusée). En contexte spécifiquement numérique, ce message sous-tend aussi une dimension numérique, c’est-à-dire qu’il doit être à l’écran (Chaire en littératie médiatique multimodale, 2020; Lebrun et al., 2012; MELS, 2010; Russbach, 2016).

Avec la grande présence des appareils numériques et le recours toujours plus important par les élèves aux modes sémiotiques permettant aujourd’hui de communiquer, la LMM est omniprésente dans le quotidien des élèves. Pendant les cinq années de leur parcours secondaire, et dans de nombreuses sphères de leur vie, les élèves sont, entre autres, exposés à des textes disciplinaires présentés à l’aide de différents modes (texte, image, son, cinétique) et supports numériques ou sur papier. Ils doivent aussi témoigner de leur compréhension dans différentes productions à dimension souvent multimodale et numérique. Considérant cela, les enseignants doivent donc être conscients et soucieux de la LMM, entre autres, en enseignant des stratégies applicables à la LMM dans toutes les disciplines scolaires qui composent le Programme de formation générale (MELS, 2006).

2.1.2. Les littératies dans le contexte des disciplines scolaires

Les littératies disciplinaires interpellent le développement des habiletés à lire et à écrire dans un domaine d’étude spécifique. Ces domaines d’étude ont des contenus et une structure qui leur sont propres (Boultif et al., 2016; Buehl, 2011; Lee et Spratley, 2010; Ouellet, Croisetière et Boultif, 2015; Shanahan et Shanahan, 2008) et qui nécessitent de l’apprenant la maîtrise d’une variété de types et de structures de discours ainsi qu’un vocabulaire spécifique pour chacune des disciplines.

Bien que spécifiques à chaque discipline, les littératies disciplinaires sont attachées à ce qu’on pourrait appeler « un tronc commun » lié à des composantes de la littératie générale ou dite intermédiaire (Shanahan et Shanahan, 2012). Assurer le développement de cette littératie intermédiaire est la responsabilité de tous les enseignants, pas seulement celle des enseignants de français (Bromley, 2017), et ce, peu importe l’ordre d’enseignement ou la matière enseignée. C’est en s’appuyant sur celle-ci qu’il est possible, par exemple pour un enseignant en univers social, d’ensuite développer la littératie disciplinaire propre au champ de l’histoire (Shanahan et Shanahan, 2008, 2012).

Dans ce qui suit, nous mettons en lumière les littératies disciplinaires spécifiques aux domaines des langues et de l’univers social en explorant ces dernières au regard des programmes qui prévalent au Québec dans ces champs.

2.1.2.1. Littératie et programmes de langue au Québec

Au Québec, dans le cadre du cours de français, langue d’enseignement, la communication en réception, qui nous intéresse davantage ici, est abordée et divisée en deux compétences distinctes (MELS, 2006). Les textes écrits lus sont regroupés dans la compétence Lire des textes variés alors que les textes ou messages entendus ou vus peuvent plutôt être regroupés sous la compétence Communiquer oralement selon des modalités variées.

L’évaluation de ces compétences est divisible en quatre dimensions (comprendre, interpréter, réagir et apprécier) liées à des critères donnés et applicables à un ou à des textes (Demers et Valiquette, 2015; MELS, 2011). Selon certains auteurs, la compréhension du texte implique de dégager du sens à partir d’éléments implicites ou explicites dans un texte qui ne sont pas subjectifs (Bilodeau et Gagnon, 2010; Falardeau, 2003; Tauveron, 1999). L’identification du narrateur et les caractéristiques des personnages sont de bons exemples d’éléments parfois explicites ou implicites nécessaires à la compréhension, par exemple, d’un texte narratif. Les éléments implicites dans un texte nécessitent de faire des inférences entre les informations données explicitement et celles qu’on peut déduire. L’interprétation du texte est le sens personnel donné à un texte. Cette interprétation est appuyée et justifiée par des éléments implicites ou explicites du texte ainsi que des éléments issus de la culture personnelle et des connaissances antérieures de l’élève (Falardeau, 2003). La réaction est la capacité d’établir des liens entre soi-même et le texte, appuyés sur des éléments implicites ou explicites du texte ainsi que ses repères culturels personnels. Finalement, le jugement critique implique une mise en distance du texte afin de poser un regard global sur celui-ci. Cette appréciation s’appuie sur des critères d’analyse définis en fonction de la tâche donnée. Indéniablement, la compréhension est inhérente à la capacité de l’élève à interpréter, à réagir et à apprécier.

Bien que les critères d’évaluation identifiés soient sensiblement les mêmes pour la réception du message, et que le programme aborde l’interaction perpétuelle des compétences, la dimension multimodale que peut prendre un texte n’est toutefois pas clairement explicitée. De plus, malgré les recommandations du rapport de Lacelle et al. (2017), le programme ne fait pas mention des outils numériques qui peuvent être utilisés pour la lecture. Il aborde plutôt, de manière évasive, l’importance d’offrir des supports de lecture variés sans en indiquer les raisons (MELS, 2010).

Au contraire, dans les programmes d’anglais langue seconde, la notion du texte médiatique multimodal est omniprésente (MELS, 2011). Le texte est clairement défini comme ayant, possiblement, une ou plusieurs dimensions textuelles, visuelles, sonores et cinétiques. De sorte, dans les programmes d’anglais langue seconde réguliers et enrichis (ESL et EESL), la compétence Réinvestir sa compréhension des textes fait mention du fait que « les élèves écoutent, lisent et visionnent une gamme de textes authentiques qui correspondent à leur âge, à leurs champs d’intérêt et à leur niveau de développement langagier » (MELS, 2010, p. 28). Un critère permet d’évaluer cette compétence : L’utilisation des connaissances tirées des textes dans une tâche de réinvestissement (MELS, 2010). En ce sens, l’élève crée un nouveau message de communication dans lequel se retrouvent des éléments implicites ou explicites tirés du ou des textes lus et de ses repères culturels.

2.1.2.2. Littératie et programme d’histoire du Québec et du Canada

L’activité de réception inhérente à la littératie (Lacelle et al., 2015) implique dans la perspective du programme d’histoire de troisième et quatrième secondaire le décodage et la compréhension d’une variété de documents qui prennent plusieurs formes médiatiques comme les écrits, les cartes, les tableaux et les images. Ces documents peuvent être des sources primaires produites au moment des événements évoqués et les sources secondaires créées après les événements abordés.

Selon le programme de formation d’histoire du Québec et du Canada (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2018), deux compétences sont à développer en classe d’histoire au secondaire et ces deux compétences exigent de l’élève qu’il lise et comprenne une variété de documents. La première compétence est Caractériser une période de l’histoire du Québec et du Canada. L’élève est appelé dans la perspective de celle-ci à décrire une réalité historique donnée en s’appuyant sur des éléments distinctifs de cette réalité et à identifier des liens entre ces éléments. La deuxième compétence est Interpréter une réalité sociale, ce qui implique de donner du sens à une ambiguïté ou à un débat sur un événement du passé. Selon le PFEQ (MEES, 2018), « L’étude du passé ne se fait pas à vide : l’analyse critique de sources est essentielle à la caractérisation et à l’interprétation » (p. 10).

Afin d’interpréter une réalité sociale, les élèves doivent évaluer la pertinence des informations présentes à l’intérieur de textes donnés en fonction de la tâche d’apprentissage. Ainsi, dans le cadre du cours d’histoire du Québec et du Canada, les élèves doivent, dans un ou des textes (ou documents), identifier, organiser, mobiliser et discriminer l’information selon la tâche d’apprentissage (Monte-Sano et al., 2014). Ces habiletés sont aussi des compétences informationnelles, nécessaires lors de la lecture sur des supports numériques[1] (Chauret et al., 2021).

L’analyse critique de sources historiques. S’inscrivant comme une étape de la démarche historique (Martel, 2018; Seixas et Morton, 2013), l’analyse critique des sources historiques permet de vérifier la validité de ces dernières (Nokes et al., 2007). Cet apprentissage, prescrit par le programme, permet aux élèves de développer leur esprit critique et leurs compétences informationnelles. Il est toutefois peu présent dans les pratiques enseignantes (Balloud, 2017).

La démarche d’analyse critique de sources primaires et secondaires se divise en trois étapes : 1) l’identification de la réalité historique à analyser; 2) la classification des sources; et 3) l’analyse des sources (Stipp et al., 2017).

La première étape, l’identification de la réalité historique, implique une caractérisation de la réalité historique ciblée. C’est à l’intérieur de celle-ci qu’on identifie les événements et leur succession, les personnages, les lieux géographiques, les aspects de société et les repères de temps.

La deuxième étape est la classification des sources en deux catégories distinctes : les sources primaires et les sources secondaires. Cette étape très succincte amène l’élève à analyser les sources primaires et secondaires selon des critères différents. L’élève est ensuite amené à comprendre le contexte de production de la source. Cette étape se nomme la contextualisation (Wineburg, 1991). Lorsqu’il s’agit d’une source primaire, trois critères sont applicables (Stipp et al., 2017). Le premier, l’accès à l’information, permet de vérifier si l’auteur de la source était en position de vivre l’ensemble de l’événement ou si celui-ci a vécu seulement une partie de l’événement. Le deuxième critère vise à valider l’honnêteté de l’auteur. Ainsi, avec ce critère, on cherche à vérifier quelles étaient les intentions lors de la création de la source. Le troisième critère vise plutôt à corroborer l’information. En ce sens, il est souhaitable d’avoir d’autres sources ayant le même point de vue sur l’événement. Lorsqu’il s’agit d’une source secondaire, deux critères sont applicables. Le premier, la fiabilité, permet de vérifier si l’auteur a utilisé des sources primaires ou des sources secondaires. Le deuxième critère vise à valider l’honnêteté de l’auteur. En ce sens, on souhaite valider les intentions véritables de l’auteur lors de la création de la source. Le tableau 1 propose une synthèse de l’analyse des sources.

Tableau 1

Les étapes de la démarche d’analyse de sources historiques (Stipp et al., 2017)

Les étapes de la démarche d’analyse de sources historiques (Stipp et al., 2017)

Tableau 1 (suite)

Les étapes de la démarche d’analyse de sources historiques (Stipp et al., 2017)

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2.1.2.3. La littératie : regards disciplinaires croisés

Il est intéressant de comparer la prise en compte de la littératie et de l’activité plus spécifique de réception dans différents programmes de formation puisqu’une telle comparaison permet de voir les spécificités disciplinaires, tout en permettant de mettre en lumière ce qui unit au regard de la littératie les champs disciplinaires.

Le tableau 2 compare justement la mobilisation de la littératie dans la réception d’un message selon le programme de français langue d’enseignement, d’anglais langue seconde et d’histoire du Québec et du Canada (MEES, 2018; MELS, 2009, 2010).

Tableau 2

Comparaison de la littératie disciplinaire (français langue d’enseignement, anglais langue seconde, histoire du Québec et du Canada) selon les programmes de formation de l’école québécoise (MELS, 2009, 2010, 2017)

Comparaison de la littératie disciplinaire (français langue d’enseignement, anglais langue seconde, histoire du Québec et du Canada) selon les programmes de formation de l’école québécoise (MELS, 2009, 2010, 2017)

Tableau 2 (suite)

Comparaison de la littératie disciplinaire (français langue d’enseignement, anglais langue seconde, histoire du Québec et du Canada) selon les programmes de formation de l’école québécoise (MELS, 2009, 2010, 2017)

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Il est possible de constater que la compétence Interpréter une réalité sociale, en histoire du Québec et du Canada, est aussi une composante des compétences Lire des textes variés et Communiquer oralement selon des modalités variées (écoute). De plus, la compétence Réinvestir sa compréhension des textes en anglais, langue seconde, fait référence autant à la compétence Lire des textes variés qu’à la compétence Communiquer oralement selon des modalités variées (écoute) en français, langue d’enseignement.

2.1.3. Les relations entre les différents niveaux de littératie

Afin d’être en mesure de réaliser une tâche spécifique dans le cadre du cours d’histoire, les élèves doivent connaître et maîtriser les compétences ainsi que les stratégies relevant de la littératie dans son sens large et de la littératie spécifique au champ de l’histoire (littératie disciplinaire). Il en va de même en français dès lors qu’il est demandé, par exemple, à l’élève de réaliser un schéma actanciel lors de la lecture d’un roman ou d’un visionnement d’une pièce de théâtre. Il lui faut alors mobiliser des compétences et des stratégies relevant de la littératie générale puis d’une littératie plus spécifique aux tâches exigées en classe de langue.

En soi donc, toute littératie disciplinaire s’appuie sur une bonne compréhension et maîtrise de la littératie générale. Pour situer cette dernière, Shanahan et Shanahan (2008) présentent les différents niveaux de littératie sous la forme d’une pyramide en plaçant justement les littératies disciplinaires au niveau supérieur, comme illustré dans la figure 1.

Figure 1

Les différents niveaux de littératie (Shanahan et Shanahan, 2008)

Les différents niveaux de littératie (Shanahan et Shanahan, 2008)

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La littératie générale concerne la littératie dite intermédiaire. Elle comprend notamment la fluidité de lecture, la compréhension générale et la compréhension du sens des mots et se développe tout au long du secondaire (Granger, 2020; Shanahan et Shanahan, 2008). Le décodage se situe quant à lui au niveau de la littératie de base.

2.1.3.1. Littératie et enseignement

Bien que la littératie de base soit habituellement acquise dès l’entrée au secondaire (Granger, 2020), l’utilisation en contextes variés et l’enseignement (explicite) de stratégies de lecture communes permettant de consolider la littératie de base et de soutenir les élèves dans le développement de la littératie intermédiaire sont des composantes essentielles des visées éducatives prévalant au secondaire. S’ajoutent à celles-ci des visées plus spécifiques aux littératies disciplinaires.

En prenant en considération les liens étroits entre les compétences liées à la littératie présentes dans le PFEQ (MELS, 2006) dans les disciplines précédemment présentées, soit en français et en histoire du Québec et du Canada, il paraît important d’outiller les élèves en enseignant explicitement des stratégies de lecture transférables dans différents contextes (disciplinaires), environnements (numériques, traditionnels) et médiums (images, textes, audios, vidéos) pour ensuite leur permettre de développer des compétences et des stratégies de lecture/réception disciplinaire (Granger, 2020).

Quelles sont toutefois les stratégies de littératie générale (intermédiaire) qu’il importe de prendre en compte dans toutes les disciplines, dont celle de l’histoire, pour ultimement travailler des compétences et des stratégies propres aux littératies disciplinaires, voire à la LMM? C’est la question à laquelle nous apportons des réponses dans la section qui suit.

2.2. Les stratégies de littératie intermédiaire au service de la littératie disciplinaire 

Il est possible de définir les stratégies de lecture comme un enchaînement d’actions cognitives et métacognitives réalisé par l’élève de manière consciente ou non, selon une intention définie (Falardeau et Gagné, 2012; Pressley et Harris, 2006). En utilisant trois modèles théoriques pertinents, connus par les enseignants et cohérents avec les programmes de langues; celui d’Irwin (2007), celui d’Oczkus (2010, 2018) et celui de Schoencach et al. (1999, 2012), nous identifions dans ce qui suit des stratégies de lecture à enseigner aux élèves qui répondent aux besoins pour lire à travers les disciplines.

2.2.1. Les stratégies de lecture selon le modèle d’Irwin (2007)

Le modèle d’Irwin (2007) identifie des stratégies de lecture regroupées en cinq processus (microprocessus, processus d’intégration, macroprocessus, processus d’élaboration, processus métacognitifs) qui correspondent à des niveaux de difficulté différents et qui permettent de comprendre un texte. Cette démarche est dynamique et itérative en plus d’être non linéaire. Ainsi, les stratégies ne sont pas utilisées dans une séquence prescrite.

En situation de lecture, les microprocessus permettent de comprendre l’information contenue à l’intérieur des phrases. La recherche par mot-clé dans un texte est un exemple de stratégie à utiliser dans un texte (Carignan, 2017). Les macroprocessus, comme l’identification des idées principales du texte, favorisent la compréhension de la structure globale du texte afin d’en dégager le sens. Les processus d’intégration favorisent la création de liens entre les phrases et la compréhension des informations implicites du texte. L’identification des marqueurs de relation ou des organisateurs textuels est un exemple de stratégies de lecture appliquée. Les processus d’élaboration permettent quant à eux d’entrer en relation avec le texte en utilisant l’hypothèse, la distanciation avec le texte et les connaissances antérieures pour mieux comprendre ce qui est lu. La prédiction est une stratégie connue des enseignants qui s’inscrit dans ces processus. Enfin, les processus métacognitifs sont présents lorsque le lecteur éprouve une perte de compréhension et tente de rétablir, notamment avec la relecture, cette compréhension en cours de lecture, et ce, à l’aide de stratégies de dépannage (MELS, 2009).

2.2.2. Les stratégies de lecture selon le modèle de l’enseignement réciproque (Oczkus, 2010, 2018)

Le modèle de l’enseignement réciproque[2] repose principalement sur quatre stratégies de lecture : la prédiction, le questionnement, la clarification et le résumé (Irwin, 2007; Oczkus, 2010, 2018). La prédiction ou l’anticipation fait référence à la formulation d’hypothèses, à partir d’indices disponibles dans le texte, sur la suite de celui-ci (Oczkus, 2010, 2018). En se référant au modèle d’Irwin (2007), la prédiction est une stratégie liée au processus d’élaboration. Le questionnement, stratégie s’inscrivant dans les processus d’élaboration et d’intégration, amène l’élève à formuler des questions dont les réponses se trouvent explicitement ou implicitement dans le texte. De son côté, la stratégie de clarification est associée aux processus métacognitifs, ce qui amène l’élève à mettre en place des moyens pour comprendre des mots ou des passages incompris du texte. Finalement, la stratégie du résumé amène l’élève à identifier les informations importantes du texte. Cette stratégie s’inscrit dans les macroprocessus d’Irwin. Selon le modèle de l’enseignement réciproque, les stratégies de lecture doivent être enseignées explicitement en misant sur des interactions fréquentes, réciproques et nombreuses entre les élèves de la classe au sein de regroupements variés.

2.2.3. Les stratégies de lecture selon le modèle Reading Apprenticeship (Schoencach et al., 1999, 2012)

Le dernier modèle théorique utilisé, le modèle Reading Apprenticeship (RA) (Schoencach et al., 1999, 2012), a été développé aux États-Unis, puis utilisé au Québec et au Manitoba (Boultif et al., 2016). Ce modèle est celui qui fait le plus référence aux littératies disciplinaires. Il y est, entre autres, question de l’importance de mettre en place un vocabulaire et des stratégies communes à toutes les disciplines puis spécifiques selon les besoins disciplinaires.

Ce modèle reprend les quatre stratégies de lecture présentes dans le modèle de l’enseignement réciproque (Oczkus, 2010, 2018) et de celui d’Irwin (2007), et ajoute une cinquième stratégie : faire des liens. Cette stratégie, présente dans le programme d’anglais langue seconde (MELS, 2010) à travers le Response Process et dans la dimension en lecture Réagir du programme de français langue d’enseignement (MELS, 2009), demande au lecteur de faire des liens entre ses connaissances antérieures, ses expériences personnelles et le texte. Cette stratégie, selon le modèle d’Irwin (2007), s’inscrit dans le processus d’élaboration.

Le modèle Reading Apprenticeship (Schoencach et al., 2012) propose aussi quatre dimensions (social, personal, knowledge building, cognitive) étroitement liées à l’intérieur d’une discussion métacognitive et favorisant l’autorégulation. Ces dimensions font référence au processus métacognitif du modèle d’Irwin (2007). La dimension personnelle est liée à la connaissance de soi comme lecteur. C’est par l’entremise d’activités métacognitives que les élèves apprennent à mieux se connaître comme lecteurs. La dimension cognitive fait référence au développement de stratégies de résolution de problème, lorsqu’il y a une perte de compréhension en cours de lecture, utilisées par les bons lecteurs. La dimension sociale réfère au climat de confiance instauré dans la classe. Dans la perspective de cette dimension, ce modèle privilégie de travailler la lecture au travers d’activités d’échanges avec les pairs, au sein d’une communauté de lecture, et guidés par la démarche de l’enseignement explicite. Favorisant l’inclusion de tous les élèves, des rôles peuvent être confiés à ces derniers selon leurs forces (Prud’homme et al., 2011). Finalement, le développement de la littératie disciplinaire est représenté dans la dimension liée à la construction de connaissances.

3. Proposition d’un outil de consignation et d’enseignement de stratégies de lecture sélectionnées pour leur portée littéracique

À partir des trois modèles théoriques précédemment présentés et considérant la réflexion que nous avons menée autour de la notion de littératie, nous avons dans le cadre d’une recherche-développement (Legault, 2021) développé un outil de consignation et d’enseignement dans lequel des stratégies de lecture applicables dans différents contextes (disciplinaires), environnements (numériques ou traditionnels) et médiums (textuels, visuels, audios ou cinétiques) ont été sélectionnées. De même, des exemples concrets ont été identifiés. L’outil comprend donc cinq éléments :

  • Les stratégies de lecture elles-mêmes;

  • Les compétences informationnelles liées à l’utilisation de ces stratégies en situation de lecture intégrant l’environnement numérique;

  • Des pistes de réflexion pour bien comprendre la stratégie ciblée;

  • Des exemples d’utilisation des stratégies ciblées;

  • Un document d’autoévaluation utilisé par l’élève afin de colliger les stratégies utilisées dans une situation de lecture donnée et d’identifier son niveau de maîtrise des stratégies et son sentiment d’efficacité personnelle.

Trois itérations, réalisées avec des équipes d’enseignants composées d’enseignants de français et d’univers social, ont permis de modifier et de bonifier l’outil de consignation développé par Legault (2021). Ainsi, certaines stratégies d’abord retenues ont été modifiées.

Dans ce qui suit, les stratégies de lecture retenues dans notre outil sont présentées indépendamment des disciplines puis contextualisées au regard de la classe d’histoire. Par la suite, l’intégration de l’enseignement de ces stratégies dans toutes les disciplines, dont l’histoire, est abordée en précisant l’approche à privilégier pour ce faire.

3.1. Présentation de l’outil de consignation présentement utilisé par les enseignants

Le tableau 3 permet de voir les stratégies sélectionnées dans le cadre de ce processus réflexif ayant mené à l’élaboration d’un outil de consignation, les exemples d’utilisation des stratégies selon les différents environnements, supports et médiums mobilisés et le modèle duquel elles sont issues.

Sachant que les compétences informationnelles sont inhérentes à la lecture sur des supports numériques et considérant l’importance aujourd’hui de prendre en compte ces dernières à l’école, les compétences informationnelles du modèle de Chauret et al. (2021) ont été intégrées aux stratégies de lecture. Ces compétences sont les suivantes : la définition du sujet, la recherche de l’information, et le traitement de l’information (l’organisation et l’évaluation de la qualité). On peut les repérer dans le tableau à l’aide des astérisques.

La figure 2 est une schématisation visuelle des stratégies de lecture retenues. Puisque ces dernières s’inscrivent dans le processus itératif de la lecture/réception, nous avons choisi de ne pas identifier les moments spécifiques pendant lesquels les élèves mobilisent celles-ci. Nous avons toutefois décidé de placer l’identification de l’intention de lecture ainsi que la planification de celle-ci au centre et le retour sur sa pratique de lecteur autour de l’ensemble des stratégies.

Figure 2

Les stratégies et leurs relations (Legault, 2021)

Les stratégies et leurs relations (Legault, 2021)

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Tableau 3

Présentation des stratégies de lecture et des compétences informationnelles ciblées, des moyens d’application de celles-ci selon les environnements, les supports et les médiums de lecture ainsi que leur modèle théorique de référence (Legault, 2021)

Présentation des stratégies de lecture et des compétences informationnelles ciblées, des moyens d’application de celles-ci selon les environnements, les supports et les médiums de lecture ainsi que leur modèle théorique de référence (Legault, 2021)

Tableau 3 (suite)

Présentation des stratégies de lecture et des compétences informationnelles ciblées, des moyens d’application de celles-ci selon les environnements, les supports et les médiums de lecture ainsi que leur modèle théorique de référence (Legault, 2021)

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Pour chaque stratégie présentée, des pistes de réflexion ainsi que des exemples d’utilisation sont aussi proposés aux élèves. Les compétences informationnelles associées à ces exemples sont également identifiées à l’aide d’une image d’un ordinateur. Le tableau 4 présente les exemples d’utilisation proposés, ainsi que les pistes de réflexion.

Tableau 4

Les stratégies de lecture ciblées ainsi que les pistes de réflexion et les exemples d’utilisation proposés dans l’outil de consignation développé par Legault (2021)

Les stratégies de lecture ciblées ainsi que les pistes de réflexion et les exemples d’utilisation proposés dans l’outil de consignation développé par Legault (2021)

Tableau 4 (suite)

Les stratégies de lecture ciblées ainsi que les pistes de réflexion et les exemples d’utilisation proposés dans l’outil de consignation développé par Legault (2021)

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Bien que les stratégies, les pistes de réflexion et les exemples d’utilisation permettent de soutenir la lecture générale (intermédiaire) des élèves, certaines stratégies semblent, selon nous, particulièrement utiles aux situations de lecture proposées dans le cadre du cours d’histoire du Québec et du Canada.

3.1.1. Présentation contextualisée  : les stratégies employées lors du traitement d’un dossier documentaire en histoire

L’application des stratégies de lecture retenues peut se faire à partir de différents contextes de lecture (p. ex., dans les différentes disciplines scolaires) et sur différents supports et médiums (sites Web, manuels, cahiers d’exercices, oeuvres littéraires, etc.). Dans le cours d’histoire du Québec et du Canada plus spécifiquement, le dossier documentaire demeure le contexte de lecture le plus important, car il est souvent utilisé lors des évaluations ou en préparation à l’examen du MELS. Ce dossier documentaire comprend des textes sous différentes formes (textuelle, iconographique, schématique, cartographique).

Afin d’utiliser ces textes ou documents variés pour accomplir les tâches données, cinq des stratégies retenues nous paraissent particulièrement porteuses en classe d’histoire. La première est le survol des textes, stratégie particulièrement utile afin de repérer les documents pertinents, dans un dossier documentaire en fonction de la question posée. La deuxième est de faire des liens avec les connaissances antérieures permettant ainsi de récupérer en mémoire des connaissances utiles pour la tâche. La troisième stratégie implique une compréhension du vocabulaire et des concepts liés à la discipline et présents dans les textes qui composent le dossier documentaire. La quatrième stratégie, garder des traces de sa compréhension, permet à l’élève de schématiser, de surligner ou de résumer les informations, les concepts présents dans les textes et les issues de ses connaissances antérieures. Finalement, la relecture, la cinquième stratégie, permet à l’élève de revenir au dossier documentaire alors qu’il réalise la tâche donnée. Ces stratégies sont mobilisées de manière itérative, tout au long de la réalisation des activités d’apprentissage.

La lecture des sources historiques, souvent présentes dans le dossier documentaire, peut aussi exiger de l’élève qu’il réalise un travail d’analyse critique afin de vérifier la validité de celle-ci. Dans cette perspective, les compétences informationnelles sont utiles puisqu’elles offrent aux élèves des stratégies de lecture dans des environnements (tablette, téléphone intelligent, ordinateur) ou médiums numériques (sonore, cinétique, visuel ou textuel) qui s’apparentent à la démarche d’analyse de sources historiques.

3.2. Intégrer l’enseignement des stratégies de lecture à travers les disciplines : approches à privilégier

Comme cela a déjà été mentionné, le développement des compétences de littératie (générale et disciplinaire) est une responsabilité partagée par tous les enseignants. Pour bien tenir ce rôle dévolu à chacun, plusieurs approches ont fait leurs preuves et sont conséquemment à privilégier. Nous en présentons ici deux, la deuxième s’inscrivant dans le recours espéré à l’outil de consignation que nous avons élaboré.

3.2.1. Le recours encouragé à l’enseignement explicite

Les nombreuses recherches réalisées sur l’enseignement des stratégies de lecture ont depuis longtemps statué sur l’intérêt de recourir à l’enseignement explicite. Enseigner explicitement les stratégies de lecture (relevant de la littératie générale ou des littératies disciplinaires) permet en effet aux élèves de développer leurs compétences en lecture (Bissonnette et Richard, 2003; Falardeau et Gagné, 2012; Hollingsworth et Ybarra, 2009).

Cette stratégie d’enseignement ou stratégie pédagogique (Messier, 2019) est basée sur des données probantes et propose une démarche séquentielle en trois étapes (Bissonnette et Richard, 2003; Falardeau et Gagné, 2012). La définition de la stratégie ciblée et le modelage de celle-ci permettent à l’enseignant de modéliser la stratégie choisie, constituant la première étape de cette séquence. Pendant la deuxième étape, nommée la pratique guidée coopérative, les élèves s’approprient la stratégie en étant guidés par l’enseignant. C’est lors de la dernière et troisième étape, la pratique autonome et le transfert des apprentissages, que les élèves réinvestissent la stratégie apprise, de manière autonome, dans d’autres situations authentiques. L’enseignant donne toutefois, en continu, de la rétroaction aux élèves.

Afin d’optimiser le transfert des stratégies de lecture dans d’autres contextes (dont celui des disciplines scolaires autres que le français), Falardeau et al. (2015) soulignent que celles-ci doivent être abordées de 4 à 12 fois par mois, et ce, tout au long du secondaire.

3.2.2. La consignation des stratégies de lecture utilisées afin de favoriser la métacognition et la discussion

Enseigner explicitement les stratégies de lecture, peu importe le support de lecture utilisé, permet de s’assurer du développement de compétences des élèves dans la compréhension des stratégies, dans l’application guidée de celles-ci puis du transfert, de manière autonome, dans des situations authentiques (Bissonnette et Richard, 2003).

Selon Bélisle (2011), repris dans Lacelle et al. (2017), la métacognition dans des contextes variés, dont les environnements numériques, permet de son côté l’essentielle régulation de l’activité de lecture et la mise en place de stratégies adaptées à chacun.

La métacognition ou le processus métacognitif peut être divisé en cinq composantes : se préparer à la lecture, déterminer le moment d’utilisation de la stratégie, utiliser la stratégie, mobiliser plusieurs stratégies selon les besoins et/ou en même temps, et évaluer l’efficacité de sa démarche (Bélisle, 2011).

À notre sens, la documentation des stratégies de lecture utilisées, comme le permet l’outil de consignation que nous proposons, favorise la métacognition et rend visibles les processus métacognitifs des élèves. Cette réflexion peut être bonifiée si du temps est accordé, en classe, pour permettre aux élèves d’échanger sur les stratégies mobilisées dans le contexte de lecture vécu (Schoencach et al., 2012). Ces discussions organisées sous la forme de communautés d’apprenants permettent de bonifier les réflexions et de bénéficier des expertises des autres élèves de la classe. Sachant que cette pratique pédagogique amène des retombées positives sur le développement des compétences et favorise l’autorégulation (Paquet et Karsenti, 2020), il est important d’y accorder du temps en classe.

Conclusion

L’intention de cet article était d’expliciter la complexité du développement de la littératie générale dans les écoles secondaires où le numérique est de plus en plus présent et l’exigence des littératies disciplinaires, dont celle liée à la classe d’histoire, incontournable.

Pour ce faire, nous avons réalisé une recension des écrits pour ultimement identifier des stratégies de lecture soutenant la littératie générale (intermédiaire) (Irwin, 2007; Oczkus, 2010, 2018; Schoencach et al., 1999, 2012; Shanahan et Shanahan, 2008, 2012) et applicables à différents contextes (disciplines, dont celle de l’histoire), environnements (numérique et papier), supports (tablette et ordinateur) et médiums (audio, cinétique, textuelle). Nous avons aussi mis en lumière les approches, dont l’enseignement explicite, par lesquelles il convient de soutenir le développement de la littératie au secondaire liée à la réussite des élèves et au développement de leur plein potentiel (Granger, 2020).

Cet enseignement, bien qu’il soit habituellement sous la responsabilité des enseignants de français, doit être partagé par tous les membres de l’équipe-école (MELS, 2012; Ouellet, Boultif et Croisetière, 2015; Ouellet, Croisetière et Boultif, 2015) et implique de développer une compréhension commune des stratégies soutenant la littératie intermédiaire. C’est en effet en prenant appui sur ces stratégies qu’il est ultimement possible d’engager les élèves vers les spécificités stratégiques et procédurales des littératies disciplinaires, comme l’illustre le continuum de littératie (Shanahan et Shanahan, 2008).

C’est pour, entre autres, parvenir à cette compréhension commune des stratégies soutenant la littératie intermédiaire que nous avons élaboré notre outil de consignation et d’enseignement. Nous espérons sincèrement par celui-ci permettre au plus grand nombre de réfléchir de manière concertée à la littératie et son enseignement au secondaire.

Assurément toutefois, il est important, pour la réussite du développement de cette approche, d’accorder davantage de temps de concertation et de discussion aux enseignants, et bien entendu de placer la littératie au coeur des visées pédagogiques des équipes-écoles. Il conviendrait aussi dans un futur proche de documenter l’implantation d’une approche de développement de la littératie intermédiaire dans des écoles auprès d’enseignants de disciplines variées pour en identifier les obstacles et les écueils, mais aussi les apports et les bienfaits sur le plan de la littératie générale, mais aussi comme soutien au développement des littératies disciplinaires.

Déjà, nous sommes heureux de constater dans notre pratique de conseillers pédagogiques que le modèle des stratégies de lecture intermédiaire et les accompagnements visant son appropriation chez les enseignants suscitent la mobilisation de ceux-ci. En effet, les enseignants comprennent la nécessité d’utiliser un modèle de stratégie de lecture commun pour développer la littératie des élèves et acceptent d’y accorder du temps pour se l’approprier afin d’en faire un enseignement explicite aux élèves. L’accueil de notre approche sur le terrain est donc très positif.