Corps de l’article

Introduction

Dans les pays à faible fécondité, les naissances dites tardives constituent un phénomène ancien. Par le passé, cette situation concernait surtout des familles nombreuses, au sein desquelles un dernier enfant pouvait arriver après 35 ou 40 ans (Prioux, 2005). Le XXe siècle a toutefois vu ce type de familles diminuer, entraînant un déclin des naissances à des âges tardifs (Daguet, 2002). À partir des années 1980, dans un contexte dans lequel les séparations sont plus fréquentes (Beaujouan, 2011) et l’entrée en parentalité reportée, ces naissances ont de nouveau augmenté. Elles correspondent désormais de plus en plus à des naissances au sein de secondes unions — en particulier pour les hommes (Bessin et Levilain, 2012) — et à de premiers enfants (Beaujouan et Sobotka, 2019). En France, la proportion de naissances issues de mères de 40 ans ou plus est passée d’environ 1 % à 5 % entre les années 1980 et 2010, et parmi ces naissances, la part des premiers enfants a augmenté de près de 17 % à 26 % (Bellamy, 2016). Dans le même temps, les profils socioéconomiques des parents tardifs ont aussi évolué. Tandis que la parentalité sur le tard au sein de familles nombreuses correspondait auparavant à des catégories populaires, aujourd’hui devenir parent à des âges relativement avancés caractérise plutôt les groupes moyens et supérieurs (Bessin et al., 2005).

Les travaux de sciences sociales s’intéressant à ces évolutions, notamment en démographie, développent souvent des approches au niveau micro – en étudiant les caractéristiques des parents tardifs et leurs parcours (e.g. Bessin et al., 2005), ou au niveau macro – par exemple par l’analyse des taux de fécondité à des âges tardifs (e.g. Prioux, 2005). Cet article, tiré d’un travail de doctorat en démographie, s’inscrit dans ce même champ disciplinaire, mais dans une approche à un niveau méso, en s’intéressant au contexte normatif dans lequel les naissances tardives augmentent. J’y interroge dans quelle mesure, dans la période contemporaine, ces évolutions démographiques s’accompagnent de discours favorables à l’égard des parentalités tardives ; ou si ces dernières sont perçues comme s’écartant de la norme, non seulement parce qu’elles sont statistiquement rares, mais aussi par rapport à un « bon âge » pour devenir et être parent (Bajos et Ferrand, 2006). Je l’aborde à partir de l’étude quantitative du traitement médiatique des parentalités tardives entre 2001 et 2019 (en particulier au cours des années 2010), en me centrant sur le cas de la France, contexte dans lequel les questions relatives à la famille et à la fécondité sont souvent relayées dans la presse (Segalen et Martial, 2013). Je m’intéresse ici à des médias de masse, en particulier aux médias relais d’information écrite en ligne. Le recours à une analyse textuelle permet de dégager quatre grandes thématiques au travers desquelles les parentalités tardives sont généralement représentées. Une première évoque les risques de santé associés à une grossesse tardive, une autre renvoie aux tendances à l’augmentation des maternités sur le tard, une troisième traite de paternité tardive, tandis qu’une dernière porte plus spécifiquement sur les grossesses postménopauses. En distinguant le traitement médiatique de la paternité et de la maternité tardive, cet article éclaire la façon dont les rôles familiaux sont perçus de manière différenciée selon le genre.

Les représentations de la parentalité tardive entre hier et aujourd’hui

Les maternités tardives : d’un interdit social à un « problème de santé publique »

Avoir un enfant au-delà de 40 ans n’est pas un phénomène nouveau en Europe, et pouvait ainsi ne pas tant être associé à un écart à la norme dans des contextes passés dans lesquels la fécondité tardive survenait souvent au sein de familles nombreuses (Daguet, 2002 ; Prioux, 2005). Des travaux anthropologiques donnent toutefois des indices d’un certain encadrement social de la procréation à des âges tardifs. Étudiant des générations de femmes nées dans la première moitié du XXe siècle en France en milieu rural, Fine et al. (2009) mettent en évidence une règle selon laquelle « la mère doit cesser de procréer lorsque ses propres enfants accèdent à la fécondité. […] Une grand-mère ne peut pas à nouveau devenir mère, ou, dit autrement, le pouvoir génésique ne peut être détenu en même temps par deux générations successives » (Fine et al., 2009 : 44). Cette crainte d’un « brouillage entre générations », alors que devenir parents aurait lieu à des âges auxquels les rôles familiaux attendus sont ceux de grands-parents, s’appliquerait plus aux femmes qu’aux hommes, pour lesquels une paternité à un âge avancé serait moins problématique qu’une maternité tardive. Auparavant, cet interdit était aussi soumis à un contrôle social exercé en particulier par l’entourage (ibid.).

Depuis les années 1970, avoir un enfant relève plus de décisions individuelles que par le passé (Déchaux, 2011), l’accès aux moyens de contraception modernes permettant de choisir le moment auquel avoir un enfant (Régnier-Loilier et Solaz, 2010). Si les normes sont moins prescriptives de comportements et de calendriers spécifiques, la famille reste relativement régie par des attentes sociales, notamment en ce qui concerne les « bons âges » auxquels les individus, et en particulier les femmes, ont un enfant (Bajos et Ferrand, 2006). Les modalités de cet encadrement ont toutefois évolué, relevant à présent moins d’interdits sociaux et puisant largement dans des discours issus d’une expertise médicale (Fine et al., 2009). En témoigne le développement des techniques de dépistage de problèmes de santé depuis l’apparition de l’amniocentèse dans les années 1970. Cette technique consiste à prélever du liquide amniotique durant la grossesse pour réaliser des examens de dépistage d’anomalies chromosomiques. Au départ, elle était systématiquement pratiquée dans le cas de grossesses tardives (à partir de 38–40 ans), en raison de l’augmentation de risques de santé pour le fœtus avec l’âge de la femme (Balasch et Gratacós, 2012 ; Carolan et Frankowska, 2011), dont le plus communément connu est le risque de trisomie 21. La mise en place de ces protocoles médicaux a alors pu alimenter des représentations associant un âge tardif à la maternité au risque d’avoir un enfant « mongolien » (Valabrègue et al., 1982), terme aujourd’hui abandonné au profit d’« enfant trisomique ». Cette prégnance du discours médical a été renforcée par le développement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) depuis les années 1980. Cette technique peut a priori permettre d’avoir un enfant (plus) tard, même si elle ne compense pas le déclin de la fertilité lié à l’âge (Leridon, 2017). Si un âge paternel tardif a aussi des effets sur les risques de santé du fœtus (Fisch et Braun, 2005 ; Thonneau et de La Rochebrochard, 2007), l’intérêt des travaux épidémiologiques pour ces aspects est relativement récent (Campo-Engelstein et al., 2016 ; Hens, 2017).

Un « âge maternel avancé », véritable catégorie médicale, est aussi principalement associé à un discours sur les risques de grossesses, participant à nourrir des représentations négatives et stigmatisantes des maternités sur le tard (Valabrègue, et al., 1982). On trouve des indices de cela à plusieurs niveaux. Au niveau d’instances institutionnelles, l’augmentation des maternités à partir de 35 ans et les inquiétudes engendrées quant aux risques qui leur sont liés a ainsi conduit un rapport de 2005 du Haut conseil de la population et de la famille à qualifier ce phénomène de « problème de santé publique » (Moguérou et al., 2011). Au niveau individuel, Mazuy (2006) montre, à partir de l’enquête Intentions de fécondité (Ined-Insee, 1998), qu’une parentalité tardive, autant pour les hommes que pour les femmes, est plus associée aux risques liés à la grossesse qu’à d’autres aspects, tels que perdre ses parents tôt ou ne pas supporter la fatigue en s’occupant d’un enfant en bas âge.

Au côté de ces discours médicaux, certains travaux font état de représentations de la maternité tardive comme associée à des parcours de femmes dites « carriéristes » (appellation à connotation négative), très diplômées et de catégories supérieures. Ces femmes auraient privilégié leur épanouissement personnel dans les études puis le travail avant d’envisager une maternité sur le tard (Vialle et al., 2015). En revanche, ces discours n’ont pas leur pareil concernant les hommes devenus pères tardivement (Bessin et Levilain, 2012).

On peut toutefois se demander si les parentalités, en particulier les maternités tardives, sont toujours associées à ces discours stigmatisants. Le fait qu’elles soient plus fréquentes peut jouer sur leurs représentations, entendu comme l’ensemble de jugements, d’opinions, de façons dont elles sont perçues selon le sens commun. Leur augmentation peut aussi être expliquée par un contexte qui leur est plus favorable. Sans chercher à évaluer le sens de la causalité entre ce phénomène démographique et l’encadrement normatif dans lequel il survient, je m’intéresse aux discours généraux qui accompagnent la hausse des naissances tardives dans la période contemporaine. Plusieurs arguments suggèrent une perception plus positive des parentalités tardives depuis les années 1980-90. Les facteurs menant à avoir un enfant plus tard, comme investir dans des études plus longues et dans l’emploi, peuvent être mieux connus et compris des individus (Cooke et al., 2012). En ce sens, la montée de valeurs individualistes accordant une grande importance au choix et à l’autonomie des décisions, notamment en matière de procréation, participerait à des discours plus positifs envers des comportements de fécondité tardifs. Le développement des techniques de procréation médicale peut alimenter un sentiment selon lequel la vie reproductive serait plus étendue. Il est aussi possible que cela passe par le relais dans les médias de cas de célébrités ou d’anonymes ayant recours à l’AMP à des âges tardifs (Koert et Daniluk, 2017). Certains travaux ont montré qu’il existait un lien positif entre le recours à la procréation médicale au sein d’un pays, et l’âge moyen que ses habitant·e·s jugent comme « limite » pour concevoir, c’est-à-dire un âge au-delà duquel il serait trop tard pour qu’une femme ou un homme ait un enfant (Billari et al., 2011). Autrement dit, il y aurait une association positive entre des normes favorables à des âges plus tardifs pour concevoir et le recours à l’AMP. Le contexte normatif et sociomédical pourrait être aujourd’hui plus bienveillant envers les parentalités sur le tard que par le passé.

Dans ce papier, j’interroge les représentations associées aux parentalités tardives dans la période contemporaine au regard des questions suivantes : leur augmentation s’accompagne-t-elle de discours (plus) positifs (relatifs par exemple à l’autonomie des choix reproductifs), ou bien de discours soulignant leur écart à la norme ? Les parentalités sur le tard tendent-elles à être considérées comme un « phénomène de société », au sens où il s’agirait d’une caractéristique avec laquelle les pays à faible fécondité composent, sans que ce soit forcément considéré comme un « problème » — social ou de santé publique (Moguérou et al., 2011) ? Pour répondre à ces questions, l’analyse se focalise sur le traitement des parentalités tardives dans les médias en France. Ce faisant, je m’intéresse aux thématiques principalement employées pour parler de ces parentalités, et aux acteurs et actrices interrogé·e·s de manière privilégiée sur ces sujets.

Les maternités tardives dans les médias contemporains

Les médias se font souvent le relais de débats relatifs à la famille, reflétant les discours répandus dans la société. Ils sont aussi une source d’informations pour les individus, et peuvent ainsi participer à la construction de discours spécifiques. En démographie, la presse a fait l’objet d’une étude du traitement différencié de la faible fécondité selon les contextes nationaux — entre la Grèce et le Royaume-Uni (Georgiadis, 2011), ou d’une analyse des prises de position d’acteurs et actrices s’opposant sur l’encadrement du recours à la contraception moderne dans les années 1950-60 (de Luca Barrusse, 2018). De la même façon, l’intérêt de cet article pour les représentations médiatiques des parentalités tardives interroge à la fois les thématiques abordées dans les médias, et dans quelles mesures elles sont issues d’un discours profane ou d’individus de champs spécifiques, notamment professionnels. Il a été montré que, dans les débats encadrant le recours à l’AMP en France à l’occasion des révisions des lois de bioéthique, les médecins spécialistes de la reproduction mettent plus l’accent sur les risques de santé pour le fœtus et la femme enceinte (Mehl, 2011). En revanche, les psychiatres et psychologues, prendraient plus la parole publiquement sur des aspects liés à l’exercice d’une parentalité sur le tard. Ces dernier·e·s occupent une place croissante sur la scène médiatique depuis les années 1970 en ce qui concerne la famille et la reproduction (Mehl, 2003). En outre, les médias relaient souvent des résultats de travaux de recherche, que ce soit en épidémiologie ou en sciences sociales (Campo-Engelstein et al., 2016 ; Georgiadis, 2011 ; Giles et al., 2009). La manière dont ces recherches sont menées a une influence sur les représentations diffusées par les médias, faisant ainsi le pont entre le monde scientifique et le grand public.

Le traitement de la maternité tardive dans les médias a déjà été étudié dans divers contextes nationaux. Par exemple, avoir un enfant au-delà de 35 ans est associé, dans la presse écrite des années 2000 au Royaume-Uni, à des représentations négatives issues de discours médicaux mettant surtout l’accent sur les risques d’une grossesse tardive pour la femme et le fœtus (Budds et al., 2013). Ce constat a toutefois été nuancé par des études similaires portant sur le même contexte national et une période proche, à partir d’un corpus de médias plus varié – incluant la presse nationale, des magazines et des programmes télévisés. Mills et al. (2015) soulignent que les représentations des maternités tardives (en rapportant notamment des cas de célébrités) y sont plutôt positives, être mère tardivement étant présenté comme une « nouvelle jeunesse » pour ces femmes (Mills et al., 2015). La thématique des risques de grossesse y serait relativement moins importante comparé à un lexique relatif au changement social dont ces maternités seraient le reflet, et à des récits positifs à la première personne de mères sur le tard (Ylänne, 2015). Certains travaux s’intéressent à ces témoignages dans les médias, par exemple au Danemark (Lahad et Hvidtfeldt, 2016) et en comparaison avec le contexte israélien (Lahad et Hvidtfeldt, 2017). Ces études montrent par quels recours une maternité à la quarantaine peut être valorisée, en étant placée sous le signe d’une plus grande maturité et stabilité, ou en étant justifiée par un sentiment de jeunesse. L’annonce récente, en 2018, de la grossesse de Meghan Markle (membre de la famille royale britannique) à 37 ans et son traitement par les médias britanniques l’illustrent bien. Les mises en garde relatives aux risques de santé avec l’âge y sont en effet accompagnées d’une valorisation d’une certaine jeunesse physique et mentale, formes de résistance aux stigmates associés aux maternités sur le tard (Feasey, 2021).

Malgré ces représentations positives des maternités sur le tard, les grossesses survenant au-delà de l’âge moyen à la ménopause (vers 50 ans) semblent, en revanche, faire l’objet d’un traitement médiatique à part. Alors que dans la culture populaire et les médias de masse, le corps féminin vieillissant tend habituellement à être invisibilisé (Lahad et Hvidtfeldt, 2016 ; Lemish et Muhlbauer, 2012), les grossesses ou accouchements à des âges particulièrement tardifs sont souvent relayés dans la presse, sur le mode du sensationnel. On peut relier cela au fait que la ménopause est essentiellement perçue, selon une construction médicale, comme une période de risques pour la santé des femmes du fait des mécanismes hormonaux à l’origine de la perte des capacités reproductives. À ce titre, Charlap (2015) montre que ce discours médical est largement repris et divulgué dans les médias. Dans la mesure où les femmes dans la cinquantaine ne procréent plus, selon les représentations communes les maternités survenant au-delà de cet âge (grâce à un don d’ovocytes issus de femmes plus jeunes) semblent « contre-nature » (Fassin, 2002). La tonalité du traitement de ces cas y est alors plutôt négative, comme cela a été étudié à partir de grossesses à plus de 60 ans au Canada (Campbell, 2011) ou en Suisse (Léchot et al., 2013).

En revanche, le traitement médiatique des maternités tardives a fait l’objet de peu de travaux en France[1]. Certaines études françaises font état d’une « inflation du discours médiatique sur les évolutions des pratiques familiales et des progrès médicaux » (Régnier-Loilier, 2007 : 104), ou évoquent une « entrée [des maternités tardives] sur la scène médiatique des problèmes de sociétés » (Bessin et Levilain, 2012 : 5). Toutefois, ces éléments n’ont pas donné lieu à une analyse systématique. Pourtant, le cas de la France est intéressant, car la fécondité et la famille y constituent des questions fortement politiques que la presse aborde souvent (Segalen et Martial, 2013). Ces sujets sont particulièrement visibles dans les médias à l’occasion des révisions des lois de bioéthiques, spécificité législative française déjà mentionnée (Mehl, 2011). Si l’accès à l’AMP y fait figure de cadre relativement strict en comparaison avec d’autres pays européens (Vialle, 2017)[2], la proportion de naissances tardives est proche de la moyenne européenne (Beaujouan et Sobotka, 2019).

Par ailleurs, les travaux évoqués s’intéressent presque exclusivement à la maternité et non à la paternité tardive. Les représentations genrées de la parentalité dans les médias français ont déjà été étudiées – par exemple dans les séries télévisées (Lécossais, 2014), mais ils restent rares (Coulomb-Gully, 2011). Cet article contribue donc à cette littérature, en interrogeant la façon dont les paternités et les maternités tardives sont traitées dans les médias, si elles le sont à partir des mêmes thématiques. Dans les représentations communes, tandis que le féminin est traditionnellement plus associé à la nature, notamment en matière de reproduction, le masculin est plus pensé relativement à la culture (Mathieu, 1973). Dans cette perspective, on peut s’attendre à ce que la paternité soit plus abordée sous l’angle de l’exercice du rôle de père qu’en référence à des aspects biologiques.

Enfin, les études auxquelles j’ai fait référence développent des approches thématiques et qualitatives des médias. Je m’appuie plutôt sur une analyse textuelle permettant de distinguer, avec des méthodes quantitatives, les principaux registres lexicaux à partir desquels les parentalités tardives sont abordées. Certains résultats sont cependant complétés par une approche qualitative du corpus. Ce faisant, je me concentre sur l’étude des discours tels qu’ils sont délivrés dans les médias français. D’autres aspects (comme leur réception par le lectorat ou le choix des illustrations) sont discutés en conclusion de l’article.

Analyse textuelle d’un corpus de médias en ligne

Constitution et description du corpus de médias (2001 - mars 2019)

L’analyse s’appuie sur un corpus de publications médiatiques traitant de parentalité tardive. Je m’intéresse aux médias de masse en ligne afin de viser une plus grande diversité de sources françaises que par d’autres biais (comme la seule presse écrite), et pour avoir une vision large de la façon dont les parentalités tardives sont discutées (Mills et al., 2015). Je considère ainsi que tous les types de médias, que ce soit la presse féminine ou la presse people[3], sont des objets légitimes pour étudier les discours relatifs à la famille et les représentations différenciées des maternités et des paternités (Blandin et Pavard, 2020).

La constitution du corpus consistait à reproduire une requête dans un moteur de recherche, afin d’étudier les discours médiatiques susceptibles de toucher le plus grand nombre et non un public spécifique – par exemple seulement le lectorat de la presse féminine. Trois requêtes différentes ont été simulées avec les mots-clés : « grossesse tardive », « maternité tardive » ou « paternité tardive »[4]. Les contenus des publications obtenues ont été récupérés de manière automatique[5], en ne retenant que les publications des médias en ligne les plus consultés en France (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, 2019). La collecte a été réalisée le 15 mars 2019 et est remontée jusqu’à la centième page de résultats dans le moteur de recherche[6]. Les contenus des articles publiés en ligne, mais non disponibles en accès libre, ont été récupérés sur Europresse. Il est à noter que la collecte peut ne pas avoir été exhaustive si un article n’a pas été référencé comme portant sur la parentalité tardive, même s’il traite de ce sujet. Après exclusion des doublons et des articles hors sujet, le corpus final se compose de 137 publications. La taille du corpus, relativement restreinte, peut refléter le fait que le sujet n’est pas fréquemment abordé dans les médias, ou constitue en tous cas une sous-thématique du traitement médiatique de la famille. Il n’est en effet traité qu’épisodiquement, à l’occasion d’événements tels que l’annonce d’une grossesse ou d’une naissance tardive chez une célébrité (généralement vers 40 ans ou 50 ans), chez une anonyme (souvent après 60 ans), ou à la suite d’une publication d’une étude scientifique, comme c’est aussi le cas au Royaume-Uni (Ylänne 2015).

Les articles recensés ont été publiés entre 2001 et mi-mars 2019 (date de collecte). La plupart date néanmoins des années 2010 (Figure 1), ce qui peut être lié au fait que la diffusion en ligne des contenus de la presse écrite s’est développée à partir de cette période. Les pics de publication observés sur la Figure 1 peuvent être expliqués par les événements spécifiques, notamment des publications scientifiques. La plupart des articles traitent de maternité ou de grossesse (74 %, n=101) plutôt que de paternité tardive. Seuls trois articles abordent conjointement le sujet sous l’angle des hommes et des femmes. Le nombre d’articles relatifs à la paternité tardive est faible (n=33), mais leur contenu apporte suffisamment d’éléments de discussion. Ce faisant, cet article contribue à une analyse des représentations différenciées de la maternité et de la paternité, à travers le traitement médiatique des parentalités spécifiquement tardives en France.

Figure 1

Distribution des effectifs d’articles en ligne traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive » par année de publication

Distribution des effectifs d’articles en ligne traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive » par année de publication

Lecture : Le corpus contient 15 publications datant de 2018.

-> Voir la liste des figures

Enfin, la plupart des articles sont issus de sites web de journaux quotidiens ou hebdomadaires nationaux[7], de magazines féminins[8], de sites traitant de questions relatives à la santé[9], de la presse régionale[10], de sites dédiés à la parentalité[11], de sites d’information quotidienne (télévision et radio) et de quelques magazines de la presse people (Tableau 1). Dans l’ensemble, les sources qui alimentent le corpus suggèrent donc que la thématique des paternités et surtout des maternités tardives est abordée dans des médias variés.

Tableau 1

Distribution des publications traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive » par type de sources en ligne

Distribution des publications traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive » par type de sources en ligne

Lecture : 24,8 % des publications composant le corpus sont issus de versions en ligne de journaux de presse nationale (n=34).

-> Voir la liste des tableaux

Analyse textuelle du traitement médiatique des parentalités tardives

L’intégralité du corpus a d’abord été lu pour se familiariser à son contenu. J’ai ensuite privilégié une analyse textuelle (Lebart et Salem, 1994) en utilisant R.TeMis (Bouchet-Valat et Bastin, 2013). Avec cette méthode, les mots et les publications sont considérés comme des observations. L’analyse consiste à comparer les termes employés d’un texte à l’autre, à dégager les spécificités d’une publication et à regrouper les mots utilisés conjointement (étude des similitudes et dissimilitudes dans les occurrences et co-occurrences de mots). Après lemmatisation[12], une classification ascendante hiérarchique (CAH) distingue de l’ensemble du corpus quatre classes (voir Figure 3 en annexe). De plus, R.TeMis permet d’étudier les termes, mais aussi les documents les plus spécifiques aux classes retenues[13]. Ces résultats obtenus de l’analyse quantitative aident à leur interprétation, afin d’identifier quelles sont les principales thématiques employées dans les médias pour traiter de parentalités tardives. Les mots les plus spécifiques et les noms que j’ai attribués à chaque classe sont présentés dans le Tableau 2.

Par ailleurs, chaque article est caractérisé par le type de source dont la publication est issue. J’ai ainsi exploré la part des quatre principales thématiques dans chaque type de sources (Figure 2), mais cette analyse reste limitée dans ses conclusions en raison des faibles effectifs du corpus.

Tableau 2

Termes les plus spécifiques et caractéristiques des classes (classification ascendante hiérarchique réalisée sur le corpus de médias en ligne traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive »)

Termes les plus spécifiques et caractéristiques des classes (classification ascendante hiérarchique réalisée sur le corpus de médias en ligne traitant de « paternité tardive », « maternité tardive » ou de « grossesse tardive »)

Lecture : Le terme « grossesse » est le plus spécifique à la classe 1. Il représente 22,1 % du corpus.

-> Voir la liste des tableaux

Figure 2

Part des thématiques (%) selon le type de médias (2001 - mars 2019)

Part des thématiques (%) selon le type de médias (2001 - mars 2019)

Lecture : Au sein de la presse nationale, la part de la thématique des risques de grossesse représente 15,4 % du traitement médiatique des parentalités tardives.

-> Voir la liste des figures

Les quatre grands registres du traitement médiatique des parentalités tardives

Risques et suivi des grossesses tardives : l’expertise médicale

Une première thématique (classe 1) à travers laquelle les parentalités tardives sont traitées représente 22 % du corpus (Tableau 2). Elle renvoie aux risques associés aux grossesses tardives, qui sont largement étudiés en épidémiologie (Balasch et Gratacós, 2012 ; Carolan et Frankowska, 2011). Outre les termes de « grossesse » et de « risque », les mots les plus spécifiques mentionnent souvent ces risques pour les femmes enceintes (« diabète gestationnel », « hypertension », ou plus généralement « complications »), la nécessité de les suivre (« surveiller »), ou les risques de santé pour le fœtus (naissance « prématurée », « trisomie 21 », « anomalie » congénitale). Les titres sont révélateurs de la prégnance de cette thématique. La formule « Grossesse tardive : quels sont les risques ? » a par exemple été adoptée par Femme Actuelle et Sciences et vie en 2016, par Top Santé en 2018, ou encore par Le Parisien en 2019. Même lorsque la thématique n’est pas mentionnée dans le titre, les articles ne manquent pas de lister ces risques.

La tonalité de ce registre, au regard de sa thématique, semble a priori négative. Toutefois, les documents les plus spécifiques de la classe 1 montrent un discours plus bienveillant qu’alarmiste, comme dans l’exemple suivant :

« Certes, le risque de trisomie 21 est beaucoup plus important lors d’une grossesse tardive, mais aujourd’hui le dépistage s’effectue au premier trimestre de grossesse. Pour déterminer un risque “faible” ou “élevé”, l’âge est pris en compte dans le calcul du risque, et en fonction des résultats, une amniocentèse pourra être envisagée. Ainsi, le risque d’avoir un bébé atteint de trisomie 21 peut être évité, si la femme est prête à accepter une interruption médicale de grossesse bien sûr. […] En ce qui concerne les autres malformations fœtales liées à une grossesse tardive, “les risques ne sont pas plus importants si elles sont bien surveillées”, affirme le Pr. Tournaire. Ces grossesses ne seraient donc pas plus risquées. » (Doctissimo, 2017)

Ainsi, les risques liés aux grossesses tardives sont souvent rappelés, mais leur importance est relativisée par les progrès des techniques de suivi, notamment en ce qui concerne le risque de trisomie 21. L’amniocentèse, auparavant systématiquement effectuée auprès de femmes d’un « âge avancé », est aujourd’hui considérée comme une pratique invasive et sa réalisation augmente les risques de fausse-couche. En ce sens, la Haute autorité de la santé recommandait, en 2007, de privilégier d’autres examens de dépistage (mesure de la clarté nucale par échographie au premier semestre de la grossesse et dosage sérique au deuxième semestre) pour réduire les risques de fausses-couches. Si ces examens détectent des risques, une amniocentèse est pratiquée (Haute autorité de la santé, 2007). L’évocation de risques est donc contrebalancée par des tonalités plus positives liées aux évolutions dans l’encadrement médicalisé des grossesses. Dans l’extrait cité ci-haut, il apparaît que ce registre est porté par le corps médical, les médecins étant largement interviewé·e·s ou cité·e·s sur la question. La thématique de cette classe montre alors le relais d’une expertise médicale dans les médias. Si cet apport de nuances n’est pas forcément représentatif du point de vue de l’ensemble des professionnel·le·s de santé (mais des plus médiatisé·e·s), ces discours peuvent refléter une évolution dans les représentations médicales vis-à-vis des risques à des âges tardifs, face à l’augmentation des grossesses tardives et avec l’amélioration de leur suivi. Toutefois, il faut souligner que ces visions plus positives se bornent à des maternités survenant avant la cinquantaine (comme le suggère la tonalité de la classe 4 discutée plus loin).

Par ailleurs, l’analyse lexicale permet de connaître la part de chaque classe de mots par type de médias. Comme on peut s’y attendre, la thématique des risques de grossesse à des âges tardifs est, en proportion, plus abordée dans les médias spécialisés sur des questions de santé. Elle y représente 33 %, alors que la presse nationale n’y consacre que 15 % du contenu de ses publications. À l’inverse, on peut noter qu’elle est totalement absente des cinq articles issus de la presse people (Figure 2).

Tendances à l’augmentation des naissances tardives : l’expertise démographique

Les termes les plus spécifiques de la classe 2 (Tableau 2) renvoient de nouveau à la maternité (« femme », « mère »). Le champ lexical est relatif à la description de données chiffrées (« plus », « proportions », « chiffres », « phénomène »), à une temporalité (« année », « siècle ») et à des lieux (« pays »). Ce registre fait aussi référence à l’Institut national de la statistique et des études économiques (« Insee »). À ce titre, les parutions du corpus font généralement suite à des publications scientifiques en démographie ou en sociologie, comme le suggèrent les pics dans le nombre d’articles certaines années (Figure 1). Le premier, en 2012, correspond à la publication d’un ouvrage en sociologie, Parents après 40 ans (Bessin et Levilain, 2012) et le second, en 2016, à la publication d’un Insee Première intitulé : « En 2015, un nouveau-né sur vingt a une mère de 40 ans ou plus, comme en 1948 » (Bellamy, 2016). À l’instar de ces deux publications scientifiques annonçant traiter de maternités au-delà d’un âge précis, le seuil de 40 ans est fréquemment utilisé dans les médias pour aborder les maternités tardives. Il est à noter un regain dans les publications du corpus début 2019 à la suite de la sortie d’un Populations & Sociétés, bulletin de l’Institut national d’études démographiques (Ined), portant sur le sujet à l’échelle européenne (Beaujouan et Sobotka, 2019). Ces publications et leurs résultats sont souvent cités dans le corpus, en particulier dans les documents les plus spécifiques à la classe 2.

Ce registre est donc principalement porté par des travaux en sciences sociales, notamment en démographie, ce qui suggère, d’une part, que les médias se font bien le relais d’études scientifiques (Georgiadis, 2011), d’autre part, que la façon dont sont menées les recherches, a une influence sur le discours médiatique. Cette classe traite de maternité plutôt que de paternité, ce qui reflète le fait que la fécondité est surtout étudiée par rapport aux femmes et peu par rapport aux hommes. Ce constat est en partie lié aux données disponibles, de meilleure qualité pour lier les naissances aux mères plutôt qu’aux pères – par exemple dans les données d’état civil (Toulemon, 2013), mais découle aussi de représentations associant la procréation et la famille aux femmes plus qu’aux hommes (Culley et al., 2013).

La classe 2 représente la plus grande part du corpus étudié (43 %, Tableau 2). La première classe portant sur les risques de grossesse pouvait associer les parentalités tardives à un « problème de santé publique » (Moguérou et al., 2011). Ce deuxième registre, majoritaire dans le corpus, décrit ces évolutions en tant que « phénomène de société », c’est-à-dire une catégorie médiatique reflétant une caractéristique des sociétés contemporaines néanmoins distinctes d’un discours pathologisant.

Cette thématique, relayant des données chiffrées illustrant une tendance à l’augmentation des naissances tardives, est très présente dans les tous les types de médias, à l’exception des quelques articles issus de la presse people (la classe 2 représente 45 % des publications issues de la presse nationale, mais seulement 12 % des quelques articles de la presse people)[14].

Paternités tardives : risques pour le fœtus et cas de célébrités

L’analyse textuelle distingue une troisième classe qui traite plus des paternités tardives. Elle représente une faible part du corpus (près de 7 %, Tableau 2). Les termes de « mutation », « génome », « gêne », « de novo » font référence à des publications rapportant les résultats d’études épidémiologiques qui montrent l’augmentation des risques avec l’âge du père, comme dans l’un des documents spécifiques suivant :

« Une paternité tardive augmente le risque de voir se développer des troubles autistiques ou une schizophrénie chez son enfant, selon une étude qui avance pour la première fois des explications sur le mécanisme en cause. Selon l’étude publiée par la revue scientifique britannique Nature, les mutations génétiques spontanées (non héritées des parents), dont certaines passent pour être impliquées dans ces maladies, augmentent en effet rapidement avec l’âge du père à la conception. Les mutations spontanées (ou de novo) sont l’une des causes principales de l’évolution des espèces, mais elles peuvent également générer diverses maladies. » (Le Point, 2012)

Ces risques sont beaucoup plus connus relativement à l’âge de la femme que celui de l’homme (comme en atteste la taille de la classe 1). La recherche traitant du rôle de l’âge paternel est encore minoritaire (Campo-Engelstein et al., 2016 ; Hens, 2017). Même si elle tend à se développer (Fisch et Braun, 2005 ; Thonneau et de La Rochebrochard, 2007), ces aspects sont peu présents dans les propos des médecins, dans le discours médiatique, et plus largement dans les savoirs communs. Néanmoins, le fait que ces travaux soient relayés dans les médias, comme le montre la classe 3, suggère que l’influence de l’âge des hommes dans l’augmentation des risques de santé pour le fœtus pourrait être mieux connu des individus si la recherche continue à s’y intéresser.

Au sein de cette classe traitant de paternités tardives, la thématique des risques est toutefois conjointe à d’autres champs lexicaux. Cette classe renvoie aussi à l’arrivée d’une naissance tardive chez des célébrités comme « Gérard Darmon », devenu « papa » à 69 ans d’un quatrième enfant en 2017 (Tableau 2). La paternité tardive étant beaucoup moins abordée que ne l’est la maternité dans l’analyse lexicale menée sur l’ensemble du corpus, ces thématiques ne se distinguent pas[15]. La spécificité de la presse people (Figure 2) est également à noter, puisqu’elle porte relativement plus sur des paternités tardives (probablement de personnalités connues) en comparaison aux autres types de sources au sein desquels cela est plus rarement abordé.

Grossesses postménopauses : entre témoignages d’heureux événements et discours sur l’égoïsme porté par une expertise psy

La dernière classe mise en évidence par l’analyse lexicale représente 28 % du corpus (Tableau 2). Les termes les plus spécifiques renvoient à une expérience rapportée à la première personne du singulier (« je ») et à un certain bonheur (« joie », « amour », « merveilleux », « envie »). De plus, les documents les plus spécifiques montrent que ces publications traitent de maternités à des âges particulièrement tardifs (après 50–60 ans). En effet, les cas de femmes ayant des enfants après l’âge de la ménopause (à la suite d’un don d’ovocytes issus de femmes plus jeunes) sont souvent relayés dans les médias, à l’instar de celui d’Annegret Raunigk en 2015 en Allemagne, enceinte de quadruplés à 65 ans. Les médias félicitent parfois ces mères et/ou les font s’exprimer à la première personne, témoignages et récits qui semblent présenter ces naissances comme d’heureux événements pour ces femmes qui ont pu réaliser leur désir d’enfant malgré leur âge avancé.

Toutefois, cette vision positive est fortement contrebalancée par un discours attribuant un caractère égoïste à ces maternités. Régnier-Loilier (2007) évoquait le fait que les maternités tardives étaient aujourd’hui mieux perçues que par le passé, mais qu’un désir d’enfant tardif « reste parfois qualifié d’égoïste dans la mesure où il rompt avec l’agencement habituel des fonctions et rôles assignés à chaque catégorie d’âge » (Régnier-Loilier, 2007 : 104–105). Cette référence à un comportement « égoïste » est aussi soulignée dans des analyses de la presse britannique traitant de maternités tardives (Shaw et Giles, 2009) ou d’infécondité volontaire (Giles et al., 2009). Dans le corpus étudié, ce discours se manifeste dans l’un des documents les plus spécifiques à la classe 4, tiré d’une interview d’une psychologue :

« À 50, 60 ans, elles sautent le pas, subissant les lourds protocoles de l’AMP au péril de leur santé, traversant parfois les frontières pour en bénéficier. Ces enfants sont donc désirés plus que tout, pourrait-on penser. Mais de quel désir s’agit-il ? Que l’on ne s’y trompe pas, met en garde la psychologue : “Le désir de parentalité est certes fort. Ces personnes feraient tout pour ne pas manquer leur dernière chance de devenir parents. Mais se cache derrière la volonté de combler quelque chose : le désir d’être parent, et non le désir d’enfant en tant que tel”. Avec pour risque d’en faire des enfants roi… “non tant pour le plaisir de l’enfant que pour leur propre plaisir”. » (Magic Maman, 2019)

Cet extrait illustre en quels termes la légitimité d’un désir de maternité après 50 ans peut-être remise en cause, en opposant le « désir d’être parent » et celui d’« avoir un enfant ». Le parallèle peut être fait avec les analyses des débats autour du recours à l’AMP. Certain·e·s ont en effet pu se prononcer en faveur d’une restriction de son accès (selon l’âge, l’orientation sexuelle) en dénonçant la revendication d’un prétendu « droit à l’enfant » qui irait au détriment des « droits de l’enfant » (Vialle, 2017). Ces discours dévalorisent ce qui est perçu comme un désir d’être parent « pour soi », non légitime dans la mesure où il n’aurait pas pour finalité première l’intérêt de l’enfant. Dans les médias, ils sont aussi portés par une expertise « psy » – psychologues ou psychiatres (Mehl, 2003), comme en témoigne l’extrait cité.

En résumé, cette classe illustre un écart entre un discours positif au niveau individuel, et le caractère socialement et moralement indésirable attribué à ces maternités au niveau d’une société. Si l’on trouve dans les médias des messages de félicitations à destination de ces femmes devenues mères après l’âge moyen à la ménopause, les réactions dominantes face à ces grossesses laissent voir une véritable gêne. Parce qu’elles paraissent « contre-nature », ces maternités restent largement condamnées (Fassin, 2002). Ces discours n’ont pas d’équivalent en ce qui concerne la paternité tardive[16]. Pourtant, les arguments basés sur des aspects biologiques et corporels pourraient être plus en faveur d’une maternité tardive que d’une paternité tardive, dans la mesure où l’espérance de vie féminine est plus élevée que celle des hommes ; en 2018, elle était de 85 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes (Breton et al., 2019). Les hommes, en devenant pères sur le tard, ont donc en moyenne moins d’années à vivre que les mères tardives pour accompagner leur enfant dans l’adolescence et l’âge adulte. Ce type d’argument est toutefois absent des médias, ce qui peut s’expliquer par le fait que ce sont, dans les représentations communes, les mères qui sont perçues comme les principales pourvoyeuses de soins au sein de la famille (Brugeilles et Sebille, 2013).

Conclusion et discussion

L’analyse textuelle a mis en évidence les thématiques majoritairement employées pour traiter de la parentalité tardive dans les médias français des années 2000 et principalement des années 2010. Le discours médiatique est dicté par ses logiques propres (contraintes éditoriales, registres spécifiques, format particulier). Il est une manière parmi d’autres d’étudier les représentations communes de la famille. L’analyse des commentaires des lecteur·rice·s pourrait en être une autre (Olivesi, 2017). Néanmoins, les médias reflètent, comme ils peuvent aussi influencer, les façons collectives de voir et penser les pères et les mères sur le tard.

Le matériau utilisé ne permet pas de formellement explorer une évolution des discours au cours du temps, mais l’analyse donne des indices d’une meilleure acceptation des parentalités, et en particulier des maternités tardives par rapport à de précédents travaux qui en soulignaient une certaine stigmatisation (Bessin et Levilain, 2012 ; Mazuy, 2006 ; Moguérou et al., 2011 ; Valabrègue et al., 1982). À l’instar d’études portant sur la représentation des corps féminins avec l’âge dans la culture populaire et les médias de masse (Lemish et Muhlbauer, 2012), on peut faire l’hypothèse que la thématique des maternités sur le tard a d’abord émergé dans les médias par le biais de cas extrêmes - en l’occurrence des grossesses postménopauses.

Face à l’augmentation des naissances tardives, les discours médiatiques semblent, dans la période contemporaine, s’être adaptés aux évolutions sociales, diffusant des représentations relativement positives à l’égard des maternités sur le tard. La description de chaque registre lexical que distingue l’analyse textuelle a en effet montré que les représentations des maternités tardives peuvent prendre la forme de mises en garde et de rappels des risques de santé pour la femme enceinte et le fœtus. Ces discours sont néanmoins conjoints de représentations positives, parce qu’ils sont nuancés par l’amélioration de l’encadrement médical de ces grossesses, et parce qu’ils s’accompagnent de données chiffrées rapportant la tendance à l’augmentation des naissances après 35 ou 40 ans. La présence de ces thématiques dans les médias (parfois au sein d’une même publication) participe ainsi à la construction d’un discours général présentant les maternités tardives comme un « phénomène de société », en mettant à distance le registre relatif à un « problème de santé publique ». Dans certains cas, le traitement médiatique tend même à « normaliser » ces maternités sur le tard[17].

De plus, une approche qualitative du corpus suggère que la circulation d’images positives passe par la valorisation d’une certaine jeunesse physique et mentale chez les mères à la quarantaine (Feasey, 2021 ; Lahad et Hvidtfeldt, 2016 ; Mills et al., 2015). Ce faisant, ces discours contribuent à affirmer les normes d’une « bonne maternité » placée sous le signe de la jeunesse, perçue comme encore possible dans la quarantaine[18]. À des âges plus tardifs, les maternités passé l’âge de 50 ou 60 ans semblent, au contraire, concentrer les discours stigmatisants à l’égard des maternités dites tardives, en restant largement condamnées. Les arguments mobilisés doutent des capacités de ces femmes à exercer leur rôle de mère, comme le souligne l’analyse de la classe 4. Ces représentations émanent pour beaucoup d’une vision naturalisante de la maternité toujours prégnante. Désirer et être mère découlerait d’un processus intimement lié à la biologie féminine (Touraille, 2011), laquelle fixe une fin à la vie reproductive des femmes à la ménopause que le recours au don d’ovocyte vient remettre en cause. Cependant, ces discours ne sont pas équivalents à l’égard des hommes, auxquels on reconnaît souvent le caractère supposé illimité de leur fertilité[19].

En ce sens, je formulais l’hypothèse selon laquelle la paternité tardive serait plus traitée dans les médias sous l’angle de l’exercice du rôle de père plutôt qu’en référence à des aspects biologiques, à la différence de la maternité. L’analyse textuelle a toutefois montré que les paternités tardives, lorsqu’elles sont abordées, le sont largement par rapport aux risques pour la santé du fœtus augmentant avec l’âge du père. Il faut souligner qu’elles le sont beaucoup moins en volume comparé au fait de devenir mère sur le tard. Néanmoins, ces questions font l’objet d’un intérêt croissant (même si encore marginal) dans les études épidémiologiques (Fisch et al., 2003 ; Thonneau et de La Rochebrochard, 2007), et elles semblent faire leur chemin entre la recherche et les médias. Elles pourraient ainsi tendre, si ce mouvement se poursuit et prend de l’ampleur, à être plus visibles et connues des individus.

Il a aussi été montré que les médias n’abordaient pas toutes les thématiques dans les mêmes proportions. Certains types de sources laissent voir des spécificités dans la manière de traiter de parentalités tardives, notamment la presse people (même si l’analyse se base sur un faible nombre de publications) ou dans les magazines spécialisés sur des questions de santé. En revanche, entre la presse nationale et féminine par exemple, les principaux registres lexicaux sont répartis de façon relativement similaire. Une analyse plus fine par source pourrait être possible avec des effectifs plus importants, si elle portait sur une thématique plus large touchant à la famille ou à la fécondité. De même, ce travail pourrait être prolongé par une réflexion sur les motivations des auteur·e·s des publications et des lignes éditoriales des médias étudiés. On pourrait en ce sens s’interroger sur le lectorat visé, par exemple s’il s’agit d’un public de lectrices plutôt que de lecteurs.

L’approche retenue pour mener cette analyse des discours médiatiques peut ne pas être représentative de l’ensemble des médias français de l’époque contemporaine. Il peut en effet y avoir un biais quant au fait que je n’ai étudié que des articles publiés en ligne et les plus visibles. Certains existent en version papier et en ligne, mais d’autres n’ont pu paraître qu’en version papier (notamment avant 2010), ou bien ont été référencés avec des mots-clés s’éloignant trop de ceux utilisés pour constituer le corpus. L’analyse s’est en tout cas appuyée sur des publications pouvant apporter des réponses à une recherche d’informations en ligne sur les grossesses, les maternités et les paternités tardives. En outre, il serait intéressant de la compléter par une étude de la façon dont les informations sont perçues par le public. Il est par exemple possible que les individus soient plus intéressés par le contenu de ces publications lorsqu’ils se sentent concernés par le sujet, et moins lorsqu’avoir un enfant n’est pas (encore) envisagé[20]. La réception des discours que diffusent les médias peut aussi dépendre du type de sources que les individus consultent, notamment en ligne, et selon leurs caractéristiques sociodémographiques (Ohlsson et al., 2017). On peut toutefois supposer que les lecteur·rice·s d’un type de médias (par exemple de la presse quotidienne régionale) sont aussi public d’autres sources d’information (comme la radio ou la télévision), comme cela déjà a été montré (Arditti-Siry, 2012).

Il est aussi important de souligner ce qui ne ressort pas de l’analyse textuelle, car peu abordé dans le corpus, tel que la question du rang de naissance. En effet, les parentalités tardives sont souvent traitées comme le reflet d’un seul et même phénomène, sans distinguer les différences dans les parcours menant à avoir un premier enfant tardif, une recomposition familiale ou un « tardillon » au sein d’une fratrie s’élargissant. Les facteurs explicatifs de ces comportements de fécondité sont aussi parfois évoqués au détour d’une phrase, quoiqu’ils soient rarement développés. C’est le cas du rôle des études et de l’emploi, et des catégories professionnelles concernées. Or, la parentalité tardive caractérise principalement les milieux les plus dotés socialement (Bessin et al., 2005), ce qui peut influencer les discours médiatiques et la promotion de normes spécifiques relatives à une « bonne parentalité » – par exemple d’une parentalité intensive placée sous le signe d’une jeunesse physique et mentale. De précédents travaux évoquaient d’ailleurs que les mères tardives pouvaient être auparavant associées à l’idée de femmes « carriéristes » (Vialle et al., 2015). Une approche qualitative du corpus suggère que cette image a été remplacée par celle, plus positive, d’une femme supposée plus mature et ayant accumulé suffisamment de ressources et d’expérience dans l’emploi pour avoir un enfant (Bessin et Levilain, 2012). Ces discours, en se parant de tonalités positives valorisant l’autonomie des choix procréatifs, occultent toutefois la part de contraintes pouvant jouer[21].

La dimension de couple et les rapports de genre impliqués dans l’arrivée tardive d’une naissance sont également peu développés. Les médias questionnent peu l’influence des relations entre hommes et femmes dans ce type de parcours – par exemple au regard de l’écart d’âge au sein des couples, notamment du fait qu’avec l’âge les femmes tendent à se (re)mettre en couple avec un partenaire du même âge qu’elles, tandis que les hommes (re)forment une union avec des conjointes plus jeunes qu’eux (Beaujouan, 2011 ; Bozon, 1990). Ils contribuent ainsi à penser le genre comme relevant principalement d’attributs individuels différenciés entre hommes et femmes, et peu dans ses aspects relationnels (Théry, 2005). En ce sens, nous avons vu que la reproduction reste surtout associée au féminin, la paternité tardive et le rôle de l’âge biologique masculin étant une thématique marginale dans le paysage médiatique français. Pour le montrer, je me suis focalisée sur l’analyse des représentations à travers une analyse textuelle des discours médiatiques, mais cette dernière pourrait être complétée par une étude des illustrations des publications. Elles reflètent bien une différence dans le traitement et la représentation de la parentalité selon le genre. Lorsque les images utilisées ne présentent pas des enfants ou des nourrissons, elles montrent souvent des femmes enceintes (tenant parfois une horloge) ou seulement de ventres de femmes enceintes. Ces mises en scène de la maternité à travers la grossesse font écho au traitement médiatique et illustré de la ménopause, également centré sur le ventre de femmes, les réduisant quelque part à leur fonction reproductrice (Charlap, 2015). En revanche, au sein du corpus, les articles portant sur les hommes les représentent plutôt dans l’exercice de la paternité (jouant par exemple avec un enfant) ce qui n’est pas le cas des illustrations de la maternité.

Enfin, l’analyse pourrait être prolongée par une comparaison des représentations médiatiques des parentalités tardives dans d’autres contextes nationaux, par exemple dans des pays dans lesquels le recours à l’AMP n’est pas limité par l’âge ou à des âges plus tardifs qu’en France. On pourrait aussi questionner la prégnance d’un discours issu d’une expertise médicale dans l’encadrement de l’âge à la naissance dans des environnements dans lesquels les calendriers de fécondité sont plus précoces, ou bien dans des pays dans lesquels il est déjà perçu comme tardif d’avoir un premier enfant à 30 ans – par exemple dans des pays d’Europe de l’Est tels que la Pologne (Mynarska, 2010). Les proportions de naissances tardives en France étant proches de la moyenne européenne (Beaujouan et Sobotka, 2019), l’étude du traitement médiatique des parentalités tardives dans le cas français peut constituer un point de référence à partir duquel développer des analyses similaires à celle présentée ici, et de comparer des contextes nationaux variés.

Figure 3

Dendrogramme de la classification ascendante hiérarchique sur les termes du corpus de médias et choix du nombre de classes retenues

Dendrogramme de la classification ascendante hiérarchique sur les termes du corpus de médias et choix du nombre de classes retenues

-> Voir la liste des figures