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L’industrie laitière se classe au deuxième rang du secteur agricole canadien, derrière le secteur de la viande rouge. En 2018, le secteur laitier a représenté des retombées économiques de 6,64 milliards pour l’économie canadienne et a généré plus de 42 000 emplois directs, seulement pour la production et la transformation laitière[1]. Plus particulièrement au Québec, l’industrie laitière représente le premier secteur agricole en importance dans la province ainsi qu’un rouage important de l’économie dans l’ensemble des régions québécoises. À l’échelle canadienne, 36 % des recettes découlant de la production laitière proviennent du Québec, faisant de cette province la principale productrice de lait au Canada[2].

Un système de gestion de l’offre régit l’industrie laitière canadienne depuis le début des années 1970. Selon les tenants d’un tel système, il offre aux producteurs canadiens une stabilité en assurant un équilibre entre l’offre et la demande de leurs produits au pays. Il permet ainsi d’assurer un prix stable, autant pour les producteurs laitiers que pour les consommateurs[3]. Ce système de gestion de l’offre est souvent assimilé à un système de subvention de la part du gouvernement qui agit à trois niveaux : il contrôle la production de produits laitiers, il établit des prix minimums de vente et il contrôle les importations. Ainsi, des quotas sont fixés annuellement pour chaque producteur, évitant la production de surplus de lait, qui autrement devraient être écoulés à perte sur le marché[4]. Les agriculteurs sous gestion de l’offre produisent donc les volumes nécessaires pour répondre aux besoins des consommateurs du marché intérieur canadien[5]. Ce système s’appuie sur un contrôle des importations de produits laitiers. Pour cette raison, le Canada impose des pics tarifaires importants à l’égard des produits laitiers importés[6].

Les accords de libre-échange conclus dans les dernières années, comme l’Accord économique et commercial global[7] (AECG) entre le Canada et l’Union européenne ou le Partenariat transpacifique global et progressif[8] (PTPGP), sont venus ouvrir une brèche importante dans le système de gestion de l’offre dans la mesure où le Canada a consenti à octroyer des contingents tarifaires à ses partenaires, c’est-à-dire à laisser entrer une certaine quantité de produits laitiers en franchise de droit de douane, autrement dit, sans que les tarifs douaniers imposants ne soient perçus.

De façon croissante depuis la fin des années 1990, le système de gestion de l’offre canadien fait l’objet de critiques de la part de ses partenaires commerciaux[9]. Ses détracteurs considèrent le système comme équivalent à un système de subventions, soutenant tant la production interne que les exportations.

Évidemment, le président américain Donald Trump a fait du système de gestion de l’offre canadien un exemple pour convaincre les Américains que le jeu du commerce entre les deux pays s’avérait injuste[10]. Les tarifs de 300 % qu’impose le Canada sur certains produits laitiers ont permis au président de frapper l’imaginaire des Américains. Le 18 avril 2017, pendant une visite dans l’État du Wisconsin, le président s’est attaqué à l’ALÉNA[11], en prenant pour cible la réglementation canadienne sur les produits laitiers :

We are going to stand up for our dairy farmers in Wisconsin […] and that demands really immediately fair trade with all or our trading partners, and that includes Canada, because in Canada some very unfair things have happened to our dairy farmers […] It’s another typical one-sided deal against the United States […] The fact is NAFTA has been a disaster for the United States, a complete and total disaster […] NAFTA has been very very bad for our country, it’s been very very bad for our companies and for our workers and we are going to make some very big changes or we are going to get rid of NAFTA for once and for all[12].

Pour Donald Trump, la réglementation canadienne sur les produits laitiers, particulièrement le système de gestion de l’offre et les classes de lait 6 et 7, était responsable de la perte d’emploi et de revenus dans l’industrie laitière américaine. L’ALÉNA devait donc être négocié avec l’objectif de démanteler le système de gestion de l’offre canadien[13].Le secteur laitier canadien a donc été au coeur des exigences américaines dans les renégociations de l’accord[14]. En effet, le gouvernement canadien a subi de grandes pressions de la part de l’administration Trump afin que soit facilité l’accès au marché canadien pour les agriculteurs américains[15].

Face à cette pression, le Canada a cédé sur plusieurs points. Alors que le Canada avait largement réussi à exempter son industrie laitière des obligations générales prévues aux termes de l’ALÉNA, l’ACÉUM[16] prévoit de nouvelles dispositions touchant au commerce des produits laitiers entre le Canada et les États-Unis. On note à ce titre une première particularité dans la mesure où les dispositions sur le lait ne s’appliquent que dans la relation entre le Canada et les États-Unis, et excluent le Mexique de son application. Ces dernières ont soulevé de nombreuses critiques de la part des producteurs de lait canadiens qui ont eu l’impression d’avoir été sacrifiés[17] au bénéfice de l’ensemble de l’économie canadienne, entre autres du secteur de l’automobile ontarien[18].

Plus précisément, l’article 3.A.3 de l’ACÉUM prévoit quatre nouvelles obligations essentiellement à la charge du Canada en matière de produits laitiers. Il accorde de nouvelles parts de marchés aux producteurs de lait américains (I), abolit les classes de lait 6 et 7 (II), plafonne quantitativement les exportations canadiennes de certains produits à travers le monde (III) et impose des obligations considérables en matière de transparence (IV). Cet article propose une analyse de ces nouvelles obligations ainsi que des répercussions associées pour les producteurs et transformateurs laitiers canadiens.

I. Nouvelles parts de marché

L’ACÉUM octroie une franchise de droit de douane à une certaine quantité de produits laitiers américains entrant au Canada. En tout, quatorze catégories de produits laitiers[19] sont touchées par les nouvelles dispositions, totalisant une ouverture de marché de 3,9 % d’ici 2024[20]. En effet, l’ACÉUM prévoit une augmentation annuelle considérable des quantités susceptibles d’être importées en franchise de droit de douane, surtout durant les six premières années. Ainsi, à la sixième année, le Canada aura augmenté ses contingents d’importation de 500 %[21], puis devra en sus accorder une hausse progressive de 1 % jusqu’à la 19e année[22]. Il s’agit là d’une concession considérable. Pour les producteurs laitiers américains, cette concession représente un gain d’environ 70 millions de dollars, soit une augmentation estimée de 10 %[23].

Certes, il était prévisible que le Canada offre à son principal partenaire commercial des concessions dans le secteur laitier. En effet, il devait au moins égaler les concessions faites lors de la conclusion de récents accords de libre-échange, comme l’AECG et le PTPGP. Or, cet accès au marché canadien représente un pourcentage bien supérieur à celui établi dans l’AECG (1,4 % d’accès) et dans le PTPGP (3,1 % d’accès)[24]. Surtout, on perçoit davantage la menace que pose l’ouverture du marché canadien aux produits laitiers d’un partenaire à proximité, dans la mesure où dans ce cas-ci, la distance ne peut concourir à limiter l’importation de produits frais, comme c’est le cas avec les pays du PTPGP et de l’AECG.

Selon les Producteurs de lait du Québec, avec la conclusion des trois récents accords de libre-échange, le Canada a consenti à ouvrir l’équivalent de 8,4 % de sa production et de sa transformation, représentant une perte de revenu de plus de quatre cent cinquante millions de dollars pour les producteurs canadiens, soit quaranteetun-mille dollars par ferme[25]. Ce sont donc près de huit cents millions de litres de lait qui ne seront plus produits par les agriculteurs canadiens, représentant la production annuelle de mille deux cents fermes laitières moyennes du Québec[26]. Une fois l’AECG, le PTPGP ainsi que l’ACÉUM pleinement mis en oeuvre, le Canada importera environ 18 % de sa production de lait, soit une perte de 1,3 milliard de dollars par année en ventes, et ce, pour les producteurs seulement[27].

Le Canada a donc consenti à un certain assouplissement du contrôle des importations dans l’ACÉUM, l’un des trois piliers du système national de la gestion de l’offre[28]. Malgré tout, les négociateurs canadiens ont réussi à préserver le système de gestion de l’offre, ce qui constituait une priorité pour le gouvernement du Canada dans les négociations[29]. Il n’en demeure pas moins que cette ouverture de 3,59 % du marché laitier canadien aux produits américains crée une brèche dans le système de gestion de l’offre au Canada. Les producteurs canadiens devront donc s’adapter à une entrée beaucoup plus importante qu’auparavant de produits américains, leur faisant craindre un déséquilibre entre l’offre et la demande ainsi qu’une accumulation de surplus.

Pour contrebalancer cette entrée de produits laitiers américains, le Canada a négocié un accès réciproque au marché américain des produits laitiers[30]. Toutefois, les avantages de cet accès pour le Canada risquent d’être modestes pour trois raisons. Premièrement, en raison des fortes subventions du gouvernement américain aux producteurs laitiers, le marché laitier américain est plus difficilement accessible pour les produits canadiens. Selon un rapport publié en 2015 par Grey, Clark, Shih and Associates Limited, le gouvernement américain a versé environ 22,2 milliards de dollars en subventions directes et indirectes au secteur laitier américain[31]. En outre, en décembre 2018, le président Donald Trump a signé un nouveau projet de loi sur l’agriculture[32]. Cette nouvelle politique agricole américaine (Farm Bill) hausse notamment le plafond de l’assurance sur le troupeau laitier et renforce les protections contre les prix bas ainsi qu’une série d’autres mesures soulignant les fortes subventions accordées à l’industrie laitière américaine[33]. Pour le président américain, offrir une aide gouvernementale aux producteurs laitiers s’inscrit dans une stratégie de séduction des électeurs des États producteurs de produits laitiers, nombreux dans le Midwest des États-Unis. Or, puisqu’il est lourdement subventionné par le gouvernement, le secteur laitier américain est dans une situation chronique de surproduction[34]. Il est donc plus difficile pour les producteurs canadiens de faire concurrence aux produits laitiers américains sur le marché américain, leur prix étant généralement plus bas[35]. Deuxièmement, l’ACÉUM interdit les exportations de produits agricoles subventionnées[36]. Or, les produits sous gestion de l’offre sont réputés être subventionnés[37]. Troisièmement, l’ordonnance sur le lait pasteurisé (PMO) de la Food and Drug Administration aux États-Unis prévoit les normes de base pour l’hygiène du lait et les conditions nécessaires pour satisfaire au statut de lait et produits laitiers de « Grade A ». Or, les États-Unis n’ont pas encore conclu d’entente d’équivalence avec le Canada. Il est donc extrêmement complexe pour les producteurs canadiens d’exporter des produits laitiers, puisque sans une certification, les produits laitiers ne peuvent être importés aux États-Unis, à l’exception du fromage, de la crème glacée et du beurre qui n’exigent pas le statut de « Grade A »[38]. Par conséquent, les possibilités d’exportations de produits laitiers canadiens aux États-Unis sont plus limitées et compliquées.

Indubitablement, ces nouvelles parts américaines sur le marché des produits laitiers canadiens constituent l’une des conséquences les plus controversées de l’ACÉUM. Les parts de marchés consenties par l’ACÉUM aux producteurs américains ont donc soulevé un mécontentement généralisé au pays et dans la province.

II. Abolition des classes de lait 6 et 7

Suivant l’ACÉUM, au plus tard six mois après l’entrée en vigueur de l’accord, le Canada doit faire en sorte que les classes de lait 6 et 7, y compris les prix qui leur sont associés, soient éliminées[39]. En outre, à l’intérieur de ce même délai, le Canada doit s’assurer que les produits et ingrédients visés par ces deux classes de lait soient reclassés, et que leurs prix afférant soient établis de manière appropriée selon leur utilisation finale[40]. Le Canada ne peut donc pas simplement créer une nouvelle classe reflétant les prix et l’utilisation actuels de la classe 7, mais devra plutôt créer des sous-classes pour les produits et ingrédients laitiers visés par ces deux classes de lait. Essentiellement, l’ACÉUM prévoit que le prix des solides non gras (SNG)[41] sera basé sur le prix américain de la poudre de lait écrémé moins la marge de transformation canadienne, multiplié par le facteur de rendement au Canada[42]. Autrement dit, le prix américain devient le prix de référence officiel. Les transformateurs laitiers canadiens ne pourront donc plus acheter de SNG des producteurs canadiens moins cher que le prix américain. À noter qu’avant l’ACÉUM, les prix des SNG étaient la plupart du temps basés sur le prix américain. Cette disposition n’apparaît donc pas des plus problématiques.

Toutefois, depuis leur création en 2017, les classes de lait 6 et 7[43] permettaient aux producteurs canadiens de diminuer le prix des SNG au pays afin de faire face à la forte concurrence des produits similaires américains, incitant ainsi les transformateurs laitiers à choisir des produits canadiens[44]. La mise en place de ces deux classes de lait a donc créé une nouvelle classe de prix pour certains ingrédients et produits laitiers, offrant ainsi aux transformateurs laitiers une option concurrentielle. Leur création visait à répondre à des erreurs de classement tarifaire qui permettaient aux pays importateurs, principalement aux États-Unis, de contourner les limites d’importation canadienne[45].

En effet, comme précédemment expliqué, l’un des piliers essentiels du système de gestion de l’offre est le contrôle des importations de produits laitiers. À cette fin, le Canada impose des tarifs douaniers importants sur les produits laitiers importés, dont certains atteignent des pics tarifaires de l’ordre de 300 %[46]. De cette façon, les produits étrangers ne peuvent compétitionner avec les produits canadiens dont les prix sont fixés par l’État. Or, de manière incongrue, certains SNG ne sont pas considérés comme des produits laitiers par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), mais plutôt comme des ingrédients[47]. Par conséquent, depuis la fin des années1990, des SNG, principalement des concentrés de protéines de lait (CPL) comme les isolats de protéines laitières (IPL) et, depuis 2013, le lait diafiltré entraient au Canada en franchise de droit de douane[48]. Ces deux CPL sont utilisés par les transformateurs laitiers en remplacement de la protéine de lait frais canadien dans la fabrication de certains produits laitiers, notamment les fromages, yogourt et crème glacée[49]. Ces erreurs de classement tarifaire par l’ASFC ont donc créé une brèche dans le système canadien de gestion de l’offre[50].

Afin de remédier aux effets de l’erreur de classement tarifaire de l’isolat de protéines laitières, le gouvernement du Canada a introduit en 2008 des normes de composition des fromages. Ces dernières imposent un pourcentage minimum de protéines de lait frais (caséines) dans la fabrication de fromage, limitant ainsi l’addition de concentrés de protéines de lait, comme les IPL[51]. Or, en 2013, l’arrivée du lait diafiltré sur le marché canadien et sa classification différente par l’ASFC et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) ont rendu caduques ces normes de composition et ont soulevé les critiques et l’indignation des producteurs laitiers canadiens[52]. En effet, alors que l’ASFC considère le lait diafiltré comme un ingrédient, l’ACIA le considère à l’inverse comme du lait frais. Dès lors, en tant qu’ingrédient, le lait diafiltré, importé majoritairement des États-Unis, échappe aux tarifs douaniers lors de son importation au Canada, mais en tant que lait frais, le lait diafiltré contourne les normes canadiennes de composition du fromage concernant le pourcentage permis de concentrés de protéines de lait[53].

Par conséquent, le lait diafiltré américain entre en compétition directe avec les SNG canadiens, mais également avec le lait frais du Canada. En effet, les transformateurs laitiers utilisent le lait diafiltré pour atteindre le minimum requis de lait frais dans la fabrication d’un fromage, plutôt que l’utiliser dans le pourcentage permis d’ingrédients laitiers, réduisant ainsi le coût de leurs entrants[54]. Dès lors, les SNG canadiens, soumis au prix de la gestion de l’offre (et donc à des prix relativement élevés), n’arrivaient pas à trouver preneurs auprès des transformateurs laitiers, séduits par le prix plus bas des produits américains[55]. Par ailleurs, l’utilisation du lait diafiltré en remplacement du lait frais dans la fabrication de produits laitiers a mené à une diminution de la demande des transformateurs pour le lait[56]. Les producteurs canadiens produisaient donc de moins en moins de lait, et par le fait même moins de matières grasses. Or, la population canadienne consomme de plus en plus de produits à base de crème[57] (voir section suivante). Cette situation a contribué à une pénurie de beurre au Canada en 2015[58].

Ce paradoxe dans la classification du lait diafiltré a été largement critiqué par les producteurs laitiers canadiens. Ces derniers ont qualifié d’illogique « le fait que le lait diafiltré soit considéré comme ingrédient lorsqu’il traverse la frontière et comme lait dans la fabrication de fromage »[59]. Selon les Producteurs laitiers du Canada, cette faille dans la classification a entrainé des pertes annuelles estimées à 231 millions de dollars pour les producteurs[60]. Ces derniers tentaient par ailleurs depuis des années d’interpeller le gouvernement canadien sur les effets de l’erreur de classification et sur un meilleur contrôle des importations américaines de SNG, plus particulièrement du lait diafiltré[61]. Or, laissés sans soutien, les producteurs laitiers canadiens sont parvenus à une sortie de crise par une entente privée avec les transformateurs laitiers en 2016 et à la création des classes de lait 6 et 7 en février 2017[62]. Ces classes visaient justement à atténuer l’incidence de l’importation du lait diafiltré sur le marché canadien en permettant aux producteurs laitiers canadiens de réduire le prix de leurs ingrédients laitiers. Elles permettaient donc d’écouler les stocks canadiens de SNG sur le marché intérieur et international[63].

Dès lors, l’abolition des classes de lait 6 et 7 par l’ACÉUM bénéficie aux transformateurs canadiens et aux producteurs américains, aux dépens des producteurs laitiers canadiens. Cette obligation d’abolition fonde en grande partie la colère des producteurs de lait à travers le Canada, d’autant plus qu’elles sont nées d’une initiative privée et non d’une initiative du gouvernement canadien.

Pour les États-Unis, la mise en oeuvre de ces classes de lait a eu pour conséquence une complication dans l’exportation notamment de lait diafiltré américain, provoquant d’importantes pertes financières pour les producteurs laitiers américains. En effet, alors qu’en 2016 les exportations américaines de lait diafiltré au Canada représentaient 102 millions de dollars, elles ont chuté à 49 millions en 2017, puis à 32 millions de dollars en 2018[64]. Dès lors, l’abolition de ces classes était une priorité pour l’administration Trump dans les renégociations de l’ALÉNA[65]. Pour le Canada, l’abolition des classes 6 et 7, qui doit être complété en janvier 2021, risque d’encourager, à nouveau, les transformateurs à utiliser davantage de concentrés de protéines de lait et autres SNG américains. Par conséquent, les producteurs laitiers canadiens risquent de se retrouver en situation de surplus. Or, la concession visant à plafonner les exportations canadiennes de certains produits (voir section suivante) risque fort de faire en sorte que les producteurs canadiens n’arrivent pas à exporter leur surplus de SNG. D’autant plus que le Canada s’est engagé en 2015, suivant la décision adoptée lors de la Conférence ministérielle de Nairobi, à supprimer ses subventions à l’exportation de produits agricoles d’ici 2021[66].

III. Plafonnement des exportations canadiennes

L’ACÉUM impose au Canada d’autolimiter quantitativement ses exportations à travers le monde en ce qui concerne trois catégories de produits laitiers. Suivant cet engagement, les exportations de poudre de lait écrémé (PLÉ)[67] et de concentré de protéines de lait (CPL)[68], pris ensemble, ne doivent pas dépasser 55 000 tonnes pour l’année 1, puis ce plafond diminue à 35 000 tonnes pour l’année 2. Avant l’entrée en vigueur de l’accord, le Canada exportait 75 000 tonnes de ces produits par an[69]. Les exportations canadiennes pour toutes les préparations pour nourrissons[70] sont également limitées à, au plus, 13 333 tonnes pour la première année et à 40 000 tonnes pour la seconde année[71]. Ce plafonnement des exportations pour ces trois produits laitiers augmentera ensuite de 1,2 % par année laitière[72] subséquente. Au-delà de ces seuils, fixés pour une année laitière, le Canada devra appliquer pour le reste de l’année des droits à l’exportation importants de 0,54 CAD par kg pour les exportations de PLÉ et de CPL et des droits à l’exportation de 4,25 CAD par kg pour les préparations pour nourrissons[73]. Enfin, afin d’opérationnaliser cette mesure, le Canada doit fournir aux États-Unis des données mensuelles sur ses exportations mondiales de PLÉ et de CPL ainsi que pour les préparations pour nourrissons[74]. En acceptant ces exigences, le gouvernement canadien vient donc restreindre la capacité des producteurs laitiers à valoriser leurs solides non gras sur les marchés internationaux, impliquant des impacts financiers importants pour le secteur laitier canadien.

La particularité de ces dispositions tient au fait qu’elles visent à limiter la capacité même du Canada de faire du libre-échange avec le reste du monde. Autrement dit, le Canada a consenti à inclure dans un accord de libre-échange des clauses restreignant sa liberté de commercer avec le restant du monde en ce qui a trait à certaines catégories de produits laitiers.

Si ce type de clauses autolimitatives était plutôt courant dans les années 19701980, ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui fait la particularité de leur inclusion dans l’ACÉUM et constitue un précédent pour le Canada[75]. Cette pratique est issue d’un renouveau dans les techniques de négociation des États-Unis sous l’administration Trump[76]. En effet, conformément à sa vision protectionniste et nationaliste[77], l’administration Trump use du poids économique et politique des États-Unis[78] afin de négocier et d’imposer des accords d’autolimitation visant ainsi à protéger les producteurs américains, désavantagés par le libre-échange[79]. Cette nouvelle politique commerciale a été défendue par Donald Trump lors de sa campagne présidentielle et ensuite dans son discours inaugural, affirmant : « From this moment on, it’s going to be America First »[80]. La négociation des dispositions dans l’ACÉUM portant sur les produits laitiers reflète bien cette affirmation. Sur la scène internationale « les ÉtatsUnis n’ont ni amis ni ennemis, seulement des intérêts »[81].

Cette nouvelle doctrine commerciale a d’ailleurs été utilisée en ce qui concerne l’acier et l’aluminium, notamment dans le cadre de l’entente renégociée avec la Corée du Sud (KORUS)[82]. Cela a donné lieu à des dispositions par lesquelles la Corée a accepté d’autolimiter ses exportations dans le domaine de l’aluminium et de l’acier. Bien que ce genre de limitation aille à l’encontre de l’Accord de l’OMC sur les sauvegardes[83], elle semble maintenant faire partie de la technique de négociation des États-Unis. En effet, tel qu’énoncé dans l’Agenda de politique commerciale 2017, l’administration Trump rejette le multilatéralisme au profit d’ententes bilatérales[84] afin que les pays acceptent des quotas, s’apparentant fortement à des mesures d’autolimitation des exportations, et autres mesures avantageuses aux intérêts américains[85]. À cet effet, rappelons que le président Trump avait d’ailleurs suggéré des accords séparés avec le Canada et le Mexique lors de la renégociation de l’ALÉNA, une première fois en février 2018[86] et une seconde fois en juin 2018[87] dans le but de faire pression sur ses partenaires et ainsi avancer sa position de négociation.

Si l’administration Trump arrive à imposer ce genre de clause d’autolimitation au sein des accords de libre-échange qu’elle négocie, il n’en demeure pas moins qu’elles apparaissent douteuses d’un point de vue de leur licéité. En effet, les zones de libre-échange sont permises par le droit de l’OMC seulement à titre de régime d’exception[88]. Dès lors, pour se constituer en zone de libre-échange, les États doivent respecter une série de règles[89]. Entre autres, les zones de libre-échange ne peuvent créer d’obstacles au commerce d’autres parties[90]. Autrement dit, un accord de libre-échange ne peut pas venir limiter la capacité d’un pays de commercer avec les autres États non parties à la zone de libre-échange.

Dès lors, l’ACÉUM, par ses clauses imposant un plafonnement des exportations au Canada, pose des obstacles importants au commerce entre le Canada et les autres pays non-parties à l’ACÉUM. En effet, comme l’ACÉUM impose des tarifs à l’exportation pour toute quantité dépassant le seuil fixé dans une année laitière, soit le Canada évitera d’exporter davantage de produits, soit il le fera en imposant une surtaxe qui aura pour effet d’augmenter le prix des produits. De toute évidence, l’ACÉUM semble non conforme à l’article XXIV du GATT[91].

D’ailleurs, l’ACÉUM devrait subir dans les prochains mois un examen de la part du Comité des accords commerciaux régionaux (CACR) de l’OMC[92]. Cette analyse est obligatoire pour tout accord commercial régional (ACR) relevant de l’article XXIV du GATT et conclu par au moins un État membre de l’OMC. Le CACR est chargé de mettre en oeuvre le Mécanisme pour la transparence de ces ACR, notamment dans le but d’analyser leurs implications systémiques pour le système commercial multilatéral et les relations entre ces accords[93]. Ce processus de considération fait par le CACR se met en place dès que les Membres procèdent à la notification de l’ACR. L’examen est ensuite normalement achevé dans un délai d’un an à compter de la date de notification[94]. Les Membres de l’OMC peuvent alors exiger des explications quant aux impacts des dispositions d’un ACR sur les échanges internationaux. À la suite de l’examen du CACR, un rapport est remis au Conseil du commerce des marchandises de l’OMC qui peut, s’il le juge pertinent, imposer des mesures ou demander des modifications aux États parties à l’ACR. Bien que l’ACÉUM soit en vigueur depuis le 1er juillet 2020, l’accord n’a été notifié que le 16 septembre 2020[95]. L’examen par le CACR devrait donc commencer dans les prochains mois.

Indépendamment de la procédure menée devant le CACR, l’ACÉUM demeure attaquable dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l’OMC. En effet, un Membre de l’OMC pourrait porter plainte contre le Canada et les États-Unis concernant l’article 3.A.3, par. 8 de l’accord et remettre en cause la licéité de cet article au regard de l’article XXIV du GATT. Il faut néanmoins mentionner qu’une procédure de règlement des différends portée devant l’OMC à l’encontre des États-Unis apparaît aujourd’hui bien inefficace dans le contexte de la crise de l’Organe d’appel[96]. Le Canada demeure quant à lui vulnérable compte tenu du fait qu’il est partie à la procédure provisoire multipartite permettant d’examiner en appel des différends commerciaux par l’intermédiaire de l’OMC.

En outre, bien que l’article 3.A.3 de l’ACÉUM imposant un plafonnement des exportations pour certains produits laitiers apparaisse illicite selon les règles de l’OMC, le Canada s’est engagé de manière conventionnelle à le respecter. Il doit donc s’y conformer. Autrement, il pourra faire face à une plainte en vertu du mécanisme général de règlement des différends prévu par l’ACÉUM[97]. À cet effet, l’accord établit également un Comité sur le commerce agricole, dont une des fonctions est précisément de « fournir une plateforme permettant aux Parties de se consulter et où elles s’efforcent de régler les problèmes ou de lever les obstacles au commerce »[98]. Dès lors, il est tout à fait possible, mais non obligatoire, que ce comité soit préalablement saisi de la question advenant une insatisfaction des États-Unis quant à l’application ou la nonapplication par le Canada de ses obligations en vertu de l’ACÉUM.

En somme, l’ouverture du marché laitier canadien aux produits américains, l’annulation des classes 6 et 7, combiné au plafonnement des exportations, forceront les producteurs laitiers canadiens à se réorganiser et pourraient avoir un impact majeur sur la production de beurre et autres produits à base de crème au Canada ainsi que sur la manière dont les producteurs de lait canadiens pourront écouler leur surplus de SNG sur le marché. En effet, en produisant moins de lait, les producteurs laitiers canadiens produisent moins de matières grasses. Or, la population canadienne consomme de plus en plus de beurre, de fromages de spécialité et de yogourt[99]. En effet, le secteur laitier canadien connaît depuis 2015 une période de croissance sans précédent. La demande de lait, en particulier de produits à forte teneur en matière grasse, a augmenté de façon importante[100]. Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) souligne que la demande de lait de transformation a augmenté de 28,7 % entre 2013 et 2017[101]. À cet effet, les dernières données du Centre canadien d’information laitière d’Agriculture et Agroalimentaire Canada montre que la consommation annuelle de fromage par habitant est passée de 12,1 kg en 2013 à 13,8 kg en 2017[102], puis à 14,51 kg en 2019[103], celle du beurre est passée de 2,5 à 3 kg pour la même période[104], puis à 3,33 kg en 2019[105], alors que la consommation de lait est passée de 74,3 L en 2013 à 66,6 L en 2017[106], puis a diminué encore en 2019 à 65,85 L[107].

Cet engouement renouvelé pour le beurre, combiné à une diminution de la production de lait, a d’ailleurs mené, à la fin de l’année 2015, à une pénurie de beurre au Canada[108]. Cette augmentation de la consommation de beurre s’explique notamment par un remplacement du lait frais par du lait diafiltré dans les produits laitiers transformés ainsi que par une évolution dans les préférences des consommateurs vers des produits plus sains et naturels, en comparaison avec des produits, comme la margarine, fortement transformés[109]. En outre, la consommation de yogourt a augmenté de façon soutenue dans les dernières années, atteignant 10,22 kg par personne en 2019[110]. Les perspectives agricoles canadiennes d’AAC prévoient que la demande et la production pour les produits laitiers de transformation augmenteront de 1,2 % chaque année d’ici 2027, totalisant une augmentation de 11 % sur une période de dix ans[111].

Par conséquent, suivant les concessions faites par le Canada dans l’ACÉUM, les producteurs laitiers canadiens produiront moins de lait et pourraient donc avoir de la difficulté à satisfaire la demande des Canadiens concernant les produits à forte teneur en matière grasse, qui se tourneront vers les produits étrangers. Par ailleurs, pour répondre à cette demande croissante, les producteurs laitiers doivent et devront produire davantage de matières grasses, engendrant ainsi une augmentation égale de leur production de solides non gras[112]. Or, la demande de SNG canadiens de la part des transformateurs laitiers a diminué de façon importante dans les dernières années en raison de la forte concurrence des produits similaires américains, tels que le lait diafiltré[113]. À cet effet, l’abolition des classes de lait 6 et 7 vient annuler les incitatifs créés par ces dernières afin que les transformateurs laitiers choisissent des produits et ingrédients canadiens. Dès lors, les producteurs canadiens risquent fortement de se retrouver en situation de surplus de SNG.

IV. Obligations en matière de transparence

Finalement, l’ACÉUM prévoit des obligations de transparence. De façon générale, le chapitre sur l’agriculture prévoit que chaque partie met à la disposition d’une autre partie les informations qu’elle demande relativement aux mesures prises par un palier de gouvernement régional et affectant le commerce des produits agricoles[114]. Plus précisément, l’article 3.A.3 concernant les produits laitiers entre le Canada et les États-Unis prévoit des obligations additionnelles de transparence extrêmement précises, détaillées et nombreuses[115].

Ces dispositions prévoient que le gouvernement canadien doit notifier, à l’avance, toute modification qui aurait pour effet d’augmenter les droits de douane, entre autres en matière de produits laitiers, aux autorités américaines afin de leur permettre de tenir des consultations et de participer dans le processus réglementaire. Cette obligation inclut toute modification ou révision dans la classification des produits laitiers[116]. Dès lors, avant d’introduire toute nouvelle classe de lait, de changer une classe existante, d’introduire une nouvelle classe de prix ou changer une classe existante, le Canada doit notifier aux États-Unis, et vice-versa, son intention au moins un mois avant sa mise en oeuvre afin de lui laisser un temps suffisant pour examiner la modification proposée.

En outre, l’ACÉUM ne se contente pas d’exiger une obligation de notification de toute modification réglementaire comme le font normalement les autres accords de libre-échange. Les dispositions de l’article 3.A.3 exigent du gouvernement canadien de partager, tantôt sur une base mensuelle tantôt sur une base trimestrielle, des données brutes telles que l’utilisation de lait par classe et par mois, les quantités vendues, les prix de chaque classe de lait, les revenus pour le lait, etc. Par exemple, le Canada est tenu de fournir aux États-Unis des données mensuelles sur ses exportations mondiales de PLÉ et de CPL ainsi que de préparations pour nourrissons afin d’assurer le respect des volumes fixés pour ces produits pour une année[117]. L’accord oblige également le Canada à publier des informations sur les lois et règlements relatifs à la fixation des prix des classes de lait, y compris les composants, c’est-à-dire les matières grasses, protéines et autres solides, les marges de transformation ainsi que les facteurs de rendement[118].

Ces obligations de transparence visent à éviter qu’une nouvelle entente puisse être conclue entre les transformateurs et producteurs laitiers de manière à contourner l’abolition des classes de lait 6 et 7 et le plafonnement des exportations. L’administration Trump avait fait d’une plus grande transparence une exigence centrale dans la renégociation de l’ALÉNA[119]. Ces exigences quant à la publication des données sur les exportations canadiennes permettront, à terme, aux instances américaines d’évaluer elles-mêmes si les dispositions de l’ACÉUM ont été respectées. En outre, afin de surveiller la mise en oeuvre de ces nouvelles obligations, le Canada a accepté de discuter de toute question liée à ce mécanisme de suivi à la demande des États-Unis[120]. Enfin, les États-Unis et le Canada réexamineront les dispositions relatives aux produits laitiers cinq ans après la date d’entrée en vigueur de l’accord, puis tous les deux ans afin d’évaluer, s’il y a lieu, le retrait ou la modification de ces dernières[121].

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De toute évidence, le secteur du lait a fait les frais des négociations. Les nouvelles parts de marché prévues dans l’ACÉUM créent une brèche dans le système de gestion de l’offre. Ces nouvelles obligations auront certainement un impact sur la manière dont les producteurs de lait canadiens pourront écouler leur surplus de SNG et pourraient, à terme, avoir un impact sur la production de produits laitiers à base de crème au Canada, alors même que la demande pour ces produits augmente au pays.

Pourtant, les États-Unis affichaient un surplus commercial net de 445 millions de dollars en matière de produits laitiers avec le Canada en 2016[122]. Le président Donald Trump en a néanmoins fait l’un de ses chevaux de bataille, critiquant fortement le principe de la gestion de l’offre au Canada qu’il considère comme une pratique déloyale ayant mis les agriculteurs américains au chômage[123]. Pour le président américain, une renégociation du secteur de la production laitière, en faveur des producteurs américains, était primordiale, notamment afin de courtiser ses électeurs du Wisconsin et d’autres États producteurs de produits laitiers.

L’ACÉUM est entré en vigueur le 1er juillet 2020. Pourtant, le gouvernement canadien avait plutôt envisagé une entrée en vigueur au 1er août 2020, ce qui aurait coïncidé avec le début de l’année laitière. Cette entrée en vigueur, qualifiée de hâtive par les producteurs et transformateurs laitiers canadiens, a porté un coup supplémentaire à l’industrie laitière[124]. En effet, au lieu de disposer de 12 mois complets de production et de transformation, suivant les plafonds d’exportation fixés pour la première année, les producteurs et transformateurs laitiers canadiens n’ont eu que quelques semaines pour se réorganiser en vue de la nouvelle année laitière. Par conséquent, le 1er août 2020 a débuté la seconde année laitière selon les termes de l’ACÉUM, impliquant une réduction significative des plafonds d’exportations pour certains produits laitiers tels que les PLÉ et CPL, passant de 55 000 tonnes en juillet à 35 000 tonnes en août. Selon les calculs des Producteurs laitiers du Canada et de l’Association des transformateurs laitiers du Canada, cette entrée en vigueur anticipée d’un mois a entraîné une réduction de près de 40 % des exportations du secteur laitier canadien, représentant des pertes estimées à 100 millions, en plus des pertes annuelles déjà concédées aux produits laitiers américains dans l’accord[125].

En raison des concessions considérables dans le secteur laitier, le gouvernement Trudeau a promis des compensations financières aux producteurs laitiers canadiens afin de pallier les pertes de marchés[126]. À cet effet, le gouvernement canadien a créé un groupe de travail composé de producteurs et de transformateurs de l’industrie laitière afin d’établir des stratégies d’atténuation visant à soutenir ces derniers dans leur adaptation à l’ACÉUM[127]. Le 14 juillet 2020, à l’issue de l’assemblée générale annuelle, les Producteurs laitiers du Canada ont manifesté leur impatience et leur inquiétude face à cet engagement qui tarde à être honoré. Ces derniers ont demandé au gouvernement canadien d’annoncer l’échéancier des paiements et des montants rattachés au solde des compensations pour l’ACÉUM, mais également pour l’AECG et le PTPGP. Les producteurs laitiers demandent à ce que les compensations soient octroyées sous forme de paiements directs afin d’assurer un traitement juste et équitable envers l’ensemble des producteurs[128]. Le 23 septembre 2020, dans le discours du Trône, le gouvernement canadien a renouvelé son engagement concernant le versement d’un dédommagement « plein et équitable » pour les producteurs laitiers afin de compenser les parts de marchés concédés par le Canada dans les accords commerciaux récemment conclus[129]. Cet engagement a été salué par les Producteurs laitiers du Canada[130]. Le gouvernement canadien s’est également engagé à présenter à l’automne 2020 une mise à jour économique, comprenant les projections financières et plus de détails sur les mesures pour mettre en oeuvre les engagements du discours du Trône, notamment concernant les compensations pour les producteurs laitiers[131]. Le budget fédéral pour l’exercice 2020-2021 devait initialement être présenté le 30 mars 2020, mais sa publication a été reportée en raison de la pandémie de Covid-19[132].

Sans doute, l’entrée en vigueur de l’ACÉUM représente une réorganisation importante pour l’industrie laitière canadienne, non seulement au niveau de la production, de la transformation, de la commercialisation, mais également au niveau de la cueillette systématique des données de manière à fournir les renseignements découlant des obligations de transparence. Les agriculteurs canadiens devront trouver de nouvelles stratégies pour faire face à la compétition des produits américains ainsi qu’à l’évolution de la consommation canadienne de produits laitiers et afin de rentabiliser leurs surplus de solides non gras. Tout ça dans un contexte exceptionnel où la Covid-19 a déjà eu des impacts importants sur le marché laitier[133].

Une première décision du groupe spécial de règlement des différends dans le cadre de l’ACÉUM a été rendue en décembre 2021 et publiée le 4 janvier 2022, tranchant en faveur des États-Unis. Dans ce rapport, les arbitres affirment que l’attribution des contingents tarifaires du Canada est incomptabile avec ses obligations en vertu de l’ACÉUM. Déposée en mai 2021, la plainte américaine soutenait que le mécanisme d’attribution des contingents tarifaires du Canada, qui réservait 85 à 100 % de ses contingents tarifaires appliqués à 14 catégories de produits laitiers aux transformateurs canadiens, était incomptabile avec ses obligations[134]. À terme, la décision force le Canada à revoir la distribution de ses contingents tarifaires afin de se conformer aux conclusions du rapport, ayant pour conséquence possible l’augmentation de la part de produits laitiers entièrement américains sur nos tablettes et donc une plus forte compétition, et pression, sur les producteurs laitiers canadiens[135]. À cet effet, le gouvernement du Canada a entamé des consultations publiques qui se tiendront du 2 mars au 19 avril 2022 afin d’assurer la mise en oeuvre du rapport[136]. Cela dit, si le Canada a bel et bien perdu sur le fond, la décision marque une victoire majeure pour le système de gestion de l’offre canadien, dont la licéité a été affirmée par les arbitres et par les États-Unis, de même que la capacité discrétionnaire du Canada dans l’attribution de ses contingents tarifaires pour les produits laitiers[137].