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La culture ou, plus précisément, le traitement des produits culturels dans le commerce international a depuis longtemps fait l’objet d’un débat. En plus des arts visuels et de la scène, les produits culturels (incluant les biens et services) comprennent les journaux, les magazines, les livres, les films, les enregistrements vidéo et musicaux, la radio, la télévision et, maintenant, le multimédia, ceux-ci pouvant aussi être sous forme numérique. Dans la mesure où ces produits reflètent l’identité culturelle de communautés spécifiques, des questions se sont posées à savoir si, ou dans quelle mesure, ils doivent être exclus des règles commerciales. Ces dernières concernent surtout le traitement national, qui exige des États qu’ils ne donnent pas aux produits importés un traitement moins favorable que celui accordé aux produits nationaux en ce qui concerne les taxes et les réglementations intérieures. Le débat commerce-culture qui s’ensuit s’inscrit dans la plus large interface entre les préoccupations commerciales et les préoccupations non commerciales dans la gouvernance mondiale. Cette interface concerne aussi d’autres domaines tels que la propriété intellectuelle, l’environnement et les normes du travail. L’importance grandissante de telles questions est due au fait que plus de sujets sont vus comme étant liés au commerce parce que les règles qui leur sont associées ont un impact sur le commerce et au fait que de plus en plus de secteurs sont soumis à des accords internationaux[1].

Le débat commerce-culture en est un, toutefois, autour duquel les États parties à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA)[2], maintenant l’ALÉNA 2.0, ont des conceptions diamétralement opposées. Alors que les États-Unis constituent le noyau du divertissement mondial, ils ont défendu la libéralisation du secteur culturel et ont cherché à limiter les restrictions aux exportations de produits culturels, notamment celles liées aux nouvelles plateformes numériques. De son côté, préoccupé par l’impact sur son identité de telles exportations venant de son gigantesque voisin, dont la culture est largement semblable, et insistant sur la mise en place de politiques culturelles qui favorisent la culture nationale, le Canada a cherché à exclure les industries culturelles des accords commerciaux. Les instruments liés aux politiques culturelles se retrouvent habituellement dans deux catégories principales : les mesures financières, telles que les subventions; les mesures réglementaires, telles que celles réservant la propriété et/ou la gestion des entreprises culturelles aux nationaux ou celles sur les quotas de contenu national pour la radiodiffusion et la télédiffusion. Pour sa part, le Mexique, tout en désirant des engagements de libéralisation en matière culturelle, consent aussi à des restrictions ou conditions permettant la mise en oeuvre de politiques culturelles[3].

Les positions des trois partenaires nord-américains ont trouvé écho dans les engagements qu’ils ont pris dans divers forums, notamment à la suite des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay et des négociations de l’ALÉNA, qui ont toutes deux eu lieu au début des années quatre-vingt-dix, et lors des récentes négociations de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM)[4] ou l’ALÉNA 2.0. En outre, leurs points de vue respectifs ont fait des États-Unis et du Canada les protagonistes du débat commerce-culture, qui a abouti en 2005 avec l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (Convention sur la diversité culturelle) au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)[5]. Principalement promue par le Canada et la France, malgré l’opposition des États-Unis, la Convention enchâsse notamment dans le droit international le droit des États à mettre en place des politiques culturelles, afin de contrebalancer les obligations et les engagements relevant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des accords commerciaux préférentiels (ACP)[6].

Partisan de l’exemption des industries culturelles des dispositions des accords commerciaux, le Canada les a systématiquement exclues de ses ACP, y compris dans l’ACÉUM et pour ce qui touche à la dimension numérique. Pour leur part, en tant que porte-étendard de la libéralisation, notamment pour les produits culturels, les ÉtatsUnis n’ont que peu d’exceptions relatives aux industries ou aux produits culturels dans leurs ACP, dont l’ALÉNA et l’ACÉUM. Ils ne sont, du reste, pas partie à la Convention sur la diversité culturelle. Le gouvernement mexicain, de son côté, malgré un nouvel accent en faveur de la diversité culturelle, a une position assez proche de la position américaine. La portée de ses exceptions liées aux produits culturels dans l’ACÉUM, en fait, a diminué par rapport à ce qu’il en était en vertu de l’ALÉNA. Le Mexique est, par ailleurs, la seule partie à la Convention sur la diversité culturelle à s’être prévalu d’une réserve concernant les relations de celle-ci avec les autres traités, de façon à s’assurer de la conformité de la Convention avec les accords commerciaux et à garder toute marge de manoeuvre dans le cadre de futures négociations[7].

Cet article se divise en trois parties. La première, assez brève, y va de considérations préliminaires relatives aux services et aux négociations commerciales. La deuxième partie porte sur les dispositions liées au secteur culturel dans l’ALÉNA. Des éléments en rapport aux négociations et à la mise en oeuvre de l’exemption culturelle canadienne y figurent aussi. La troisième partie se penche sur le traitement des produits culturels dans l’ACÉUM et, notamment, sur les changements apportés à la clause d’exemption culturelle. Une conclusion résume les principaux constats de l’article.

I. Services et négociations commerciales

Les préoccupations concernant les produits culturels dans les accords commerciaux se rapportent essentiellement aux services. En fait, la plupart des produits culturels, notamment l’audiovisuel, prennent la forme de services. Ils sont associés à des mesures clés des politiques culturelles étatiques, telles que les prescriptions de contenu national dans les médias. Les biens culturels font moins souvent l’objet d’un traitement spécial dans les accords commerciaux. D’ailleurs, comme nous le verrons plus loin, lorsque le Canada a obtenu une exemption pour les industries culturelles dans l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis (ALÉCÉU)[8] en 1987, il a aboli ses tarifs sur les biens culturels américains (livres, disques, magazines, films, enregistrements). De plus, contrairement aux services, régis par l’Accord général sur le commerce des services (AGCS)[9] et dans lequel seulement quelques pays ont souscrit à des engagements de libéralisation concernant le secteur culturel, les biens culturels relèvent de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)[10]. Contrairement à ce que prévoit le GATT, l’accès aux marchés et le traitement national ne sont pas des obligations générales en vertu de l’AGCS et s’appliquent seulement si et dans la mesure où des engagements spécifiques ont été pris par un pays. Au-delà des biens et services, les domaines de l’investissement et du commerce électronique ou numérique sont aussi d’importance pour le secteur culturel. Dans une moindre mesure, les chapitres et/ou les dispositions sur les subventions, les télécommunications, la propriété intellectuelle, les marchés publics et la réglementation intérieure doivent aussi être pris en considération.

La négociation d’accords commerciaux applicables aux services peut se dérouler selon deux approches ou une combinaison des deux. Dans le cas de l’approche dite des listes positives, utilisée dans le cadre de l’OMC, seuls les secteurs et les mesures spécifiquement inclus sont sujets à une libéralisation complète ou partielle. Par contre, en vertu de l’approche dite des listes négatives, utilisée lors des négociations de l’ALÉNA et de l’ACÉUM, les secteurs et les mesures qui ne sont pas spécifiquement exclus sont libéralisés par défaut. Ce sont ainsi les exceptions ou les réserves obtenues par les États parties en faveur des politiques culturelles qui sont importantes. À cet égard, outre les produits culturels, peu de secteurs sont régulièrement sujets à un traitement spécial dans les ACP[11]. En dehors d’une exemption générale, telle qu’obtenue par le Canada, de telles exceptions se retrouvent dans deux types d’annexes. Les exceptions dans les annexes I, ou réserves aux mesures existantes et engagements de libéralisation, permettent le maintien et le renouvellement de mesures dans un secteur donné. Toutefois, en vertu de la clause de « statu quo », toute mesure renouvelée ou révisée ne peut pas être plus restrictive pour le commerce que celle qui existe déjà, alors que, en vertu de la clause « cliquet », toute mesure subséquente de libéralisation devient automatiquement la norme. Quant aux exceptions dans les annexes II, aussi connues comme les réserves aux mesures ultérieures, elles sont plus larges, car les États parties peuvent non seulement maintenir des mesures restrictives, mais ils peuvent aussi en adopter de nouvelles ou de plus restrictives dans un secteur ou un sous-secteur. Les obligations clés contenues dans les chapitres sur l’investissement et les services sont sujettes aux exceptions ou aux réserves obtenues par les États parties en vertu de ces annexes.

II. L’Accord de libre-échange nord-américain

Les négociations de l’ALÉNA ont eu lieu entre juin 1991 et août 1992. Comparativement à l’ALÉCÉU, l’ALÉNA contient des dispositions plus ambitieuses sur les services et l’investissement. De plus, il constitue le premier ACP avec des chapitres sur les télécommunications et la propriété intellectuelle. Le chapitre sur le commerce transfrontalier des services et les obligations clés du chapitre sur l’investissement[12] ne s’appliquent pas « aux subventions ou aux contributions fournies par une Partie ou par une entreprise d’État, y compris les emprunts, les garanties et les assurances bénéficiant d’un soutien gouvernemental »[13]. En conséquence, l’ALÉNA n’a pratiquement pas restreint la capacité des États parties de recourir à des mesures financières pour promouvoir leurs industries culturelles.

Les droits de propriété intellectuelle s’entendent comme des droits exclusifs conférés aux créateurs, inventeurs et/ou propriétaires sur l’utilisation de leurs productions et/ou de leurs propriétés pendant une certaine période. Les plus importants d’entre eux pour les produits culturels sont les droits d’auteur et les droits connexes, qui garantissent la rémunération des artistes et des créateurs pour leurs oeuvres. Chaque État partie à l’ALÉNA doit au minimum avoir adhéré à la Convention de Genève pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes[14] et la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques[15], toutes deux adoptées en 1971. Chaque partie doit aussi assurer la protection effective et l’application des droits de propriété intellectuelle dans sa législation nationale. Sur la question du droit d’auteur, comme le prévoit l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce[16] de l’OMC, l’ALÉNA offre une protection minimale de cinquante ans à compter de la publication d’une oeuvre[17].

À part les engagements et les exceptions concernant les produits culturels pris par les États-Unis et le Mexique dans le cadre des négociations de l’ALÉNA, ce dernier doit beaucoup aux dispositions déjà incluses dans l’ALÉCÉU. Les États-Unis ont essayé de renégocier l’exemption du secteur culturel obtenue par le Canada[18]. Pour le gouvernement canadien, cependant, cette question était déjà réglée et ne devait pas être rouverte. L’exemption culturelle dans l’ALÉCÉU devait être reconduite dans l’ALÉNA et, par conséquent, préserver le statu quo[19]. L’article 2106 de l’ALÉNA stipule que « [l]’annexe 2106 s’applique aux Parties qui y sont visées pour ce qui concerne les industries culturelles ». À son tour, l’annexe 2106 prévoit que l’ALÉCÉU régit les droits et les obligations entre le Canada et toute autre partie concernant les industries culturelles, à l’exception de l’article 302 sur l’élimination des droits de douane.

Au cours des négociations de l’ALÉCÉU, le Canada avait insisté pour exempter les industries culturelles et il était prêt à mettre en péril l’ensemble de l’ACP si ce secteur n’était pas exclu du traité[20]. Ainsi, en vertu de l’ALÉCÉU, « [l]es industries culturelles sont exemptées des dispositions du présent accord, sauf stipulation expresse »[21]. Ces stipulations concernent l’élimination des tarifs douaniers pour les biens culturels[22]; l’exigence pour tout investisseur américain devant se départir de ses actifs au Canada en raison de restrictions à la propriété dans les industries culturelles de recevoir la juste valeur marchande[23]; des modifications à la loi canadienne afin d’assurer les autorisations et les paiements aux détenteurs de droits d’auteur américains pour la retransmission de signaux porteurs de programmes[24]; et la suppression de l’exigence selon laquelle un magazine ou un journal canadien doit être imprimé ou mis en page au Canada pour que les annonceurs puissent déduire les dépenses liées à l’espace publicitaire aux fins de l’impôt[25]. L’exemption s’accompagne du droit pour une partie de prendre des mesures de représailles « ayant un effet commercial équivalent en réaction à des interventions qui seraient incompatibles avec le présent accord, si ce n’était du paragraphe 1 »[26].

Lorsque les questions relatives aux industries culturelles du Canada furent soulevées lors des négociations de l’ALÉNA, le gouvernement canadien envisagea d’obtenir des réserves que pour les chapitres couvrant les questions culturelles, comme il sera fait au cours des années deux mille dix dans certains ACP[27]. Néanmoins, le Canada résolut de conserver une exemption culturelle pour l’ensemble de l’accord commercial, comme dans l’ALÉCÉU. En référant spécifiquement à ce dernier accord, le Canada s’assura que les nouvelles obligations en vertu de l’ALÉNA n’affecteraient pas les industries culturelles canadiennes. Le Canada pourrait adopter des mesures s’éloignant des obligations de l’ALÉNA, si celles-ci n’étaient pas incluses dans l’ALÉCÉU, comme pour la propriété intellectuelle et les services culturels tels que la radiodiffusion, sans être sujet à des représailles de la part des États-Unis ou du Mexique[28].

La définition des industries culturelles dans l’ALÉNA a été légèrement modifiée par rapport à celle dans l’ALÉCÉU : elle réfère à des personnes, plutôt qu’à des entreprises, qui se livrent à l’une ou l’autre des activités suivantes :

a) la publication, la distribution ou la vente de livres, de revues, de périodiques ou de journaux, sous forme imprimée ou exploitable par machine, à l’exclusion toutefois de la seule impression ou composition de ces publications;

b) la production, la distribution, la vente ou la présentation de films ou d’enregistrements vidéo;

c) la production, la distribution, la vente ou la présentation d’enregistrements de musique audio ou vidéo;

d) l’édition, la distribution ou la vente de compositions musicales sous forme imprimée ou exploitable par machine; ou

e) les radiocommunications dont les transmissions sont destinées à être captées directement par le grand public, et toutes les activités de radiodiffusion, de télédiffusion et de câblodistribution et tous les services des réseaux de programmation et de diffusion par satellite[29].

Comme dans l’ALÉCÉU, les arts de la scène (par exemple, le théâtre, l’opéra et la danse), les arts visuels et les musées ne sont pas inclus et, par conséquent, non exemptés des obligations de l’ALÉNA.

L’exemption culturelle « conditionnelle » prévue par le régime de l’ALÉNA a fait couler beaucoup d’encre. La clause de représailles rendrait les autorités canadiennes peu enclines à adopter ou même maintenir des mesures en matière de politique culturelle, par peur de la réaction des États-Unis. Les tensions ont atteint un sommet pendant la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix à la suite d’initiatives et de décisions liées aux politiques culturelles canadiennes, dont certaines ont conduit à des différends commerciaux[30]. Les États-Unis ont beaucoup de marge de manoeuvre pour les mesures de représailles, bien qu’aucun cas de représailles ne se soit produit. Le gouvernement américain peut déterminer les secteurs économiques sujets à des sanctions commerciales et, comme dans le cadre du différend sur les périodiques, cibler divers secteurs sensibles pour les intérêts canadiens. Il peut aussi, à tout moment, modifier son choix des secteurs en question en vue de mettre de la pression sur le Canada.

Comme ils cherchent une grande libéralisation, les États-Unis ont relativement peu de réserves concernant les produits culturels dans l’ALÉNA, toutes dans l’annexe II. Le gouvernement américain a conservé le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure relative à l’investissement dans des réseaux et services de transport des télécommunications, à la fourniture de tels réseaux et services, ou aux radiocommunications. Les radiocommunications comprennent toutes les communications par radio, y compris la radiodiffusion. Cette réserve ne s’applique pas pour des services améliorés ou à valeur ajoutée ni pour la production et la vente d’émissions de radio ou de télévision ou l’attribution de licences pour ces fins. Deux autres réserves prévoient qu’un traitement équivalent pourrait être accordé aux personnes de tout pays qui restreint la participation de personnes des États-Unis dans une entreprise exploitant dans ledit pays un réseau de télévision par câble ou dans une entreprise de publication de quotidiens destinés principalement au public dudit pays et distribués dans ce pays[31].

Contrairement au Canada, le Mexique a libéralisé de façon notable son secteur culturel dans le cadre de l’ALÉNA, mais s’est toutefois assuré d’un certain nombre d’exceptions. Rappelant des dispositions de l’ALÉCÉU[32], des documents établissant que les détenteurs du droit d’auteur ont accordé les droits sont exigés pour que le Secretariá de Gobernación autorise l’importation, sous quelque forme que ce soit, d’émissions de radio ou de télévision à des fins de diffusion ou de distribution par câble au Mexique[33]. À moins d’une décision contraire dudit secrétariat, l’utilisation de l’espagnol est obligatoire pour la diffusion, la câblodistribution et la distribution par systèmes de distribution multipoints (SDM) d’émissions de radio et de télévision, alors que les annonceurs et les présentateurs de radio ou de télévision doivent être des ressortissants mexicains pour travailler au Mexique. La majeure partie du temps consacré chaque jour aux émissions en direct doit mettre en vedette des ressortissants mexicains. L’utilisation de l’espagnol ou de sous-titres espagnols est aussi requise pour toute annonce publicitaire diffusée ou distribuée au Mexique. Les annonces publicitaires insérées dans des émissions transmises directement de l’étranger ne peuvent être diffusées dans le cadre de ces émissions lorsque celles-ci sont retransmises au Mexique[34].

Dans le cas de la télévision par câble, les investisseurs d’une autre partie ou leurs investissements ne peuvent détenir, directement ou indirectement, qu’au plus 49 % du capital d’une entreprise de ce sous-secteur[35]. Cette dernière exception devait être discutée par les parties cinq ans après l’entrée en vigueur de l’ALÉNA[36]. Une concession pour construire et/ou exploiter un système de télévision par câble ne peut être accordée qu’à des citoyens mexicains ou à des entreprises mexicaines[37]. Sous réserve d’une évaluation annuelle, les salles de cinéma peuvent devoir consacrer 30 % de leur temps de projection aux films produits par des Mexicains, au Mexique ou à l’étranger[38]. Les gouvernements étrangers et les entreprises d’État étrangères ou leurs investissements ne peuvent investir, directement ou indirectement, dans des entreprises mexicaines liées aux communications, au transport et autres moyens généraux de communication[39]. Les investisseurs d’une autre partie ou leurs investissements peuvent détenir, directement ou indirectement, 100 % du capital d’une entreprise au Mexique qui assure à la fois l’impression et la distribution au Mexique d’un quotidien publié à l’étranger, mais au plus 49 % dans le cas de l’impression et de la publication d’un quotidien rédigé principalement pour un lectorat mexicain et distribué dans le pays[40].

Le Mexique a pris, cependant, relativement peu de réserves pour des mesures ultérieures. Il s’est réservé le droit d’adopter ou de maintenir des mesures concernant l’investissement ou la fourniture de services dans la radiodiffusion, les SDM, la musique en continu et la télévision haute définition. Cette réserve ne s’applique pas aux mesures relatives à la production et à la vente d’émissions de radio ou de télévision, ni à l’octroi de licences à ces fins[41].

Malgré les dispositions de l’ALÉNA, et maintenant de l’ACÉUM, les industries culturelles demeurent sujettes aux obligations multilatérales. C’est particulièrement le cas en vertu du GATT, régulant le commerce des biens, dans lequel la seule exception s’appliquant aux produits culturels se rapporte aux quotas cinématographiques[42]. Même si le Canada n’a pris aucun engagement concernant les services culturels dans le cadre de l’AGCS, les produits culturels peuvent prendre la forme de biens et de services et, dès lors, être sujets à des règles divergentes. La plainte des États-Unis à l’OMC en 1996 à l’encontre des mesures canadiennes pour la protection des périodiques, qui ont été jugées incompatibles avec les dispositions commerciales internationales, en est un exemple. L’enjeu majeur se rapportait à la perte de revenus publicitaires pour les périodiques canadiens en faveur des magazines américains à tirage dédoublé. Les instances de l’OMC ont estimé que dans les cas où des mesures ont un impact sur la fourniture d’un service (publicité) associé à un bien (périodique), les liens entre l’AGCS et les services culturels, d’une part, et le GATT et les biens culturels, d’autre part, ne peuvent être déterminés qu’au cas par cas, en prenant en considération la nature et les effets de la ou des mesures en cause[43].

III. L’Accord Canada-États-Unis-Mexique

Après les menaces du président américain Donald Trump de renégocier ou de mettre fin à l’ALÉNA, la renégociation a eu lieu du mois d’août 2017 au mois de septembre 2018. L’accord en résultant, l’ACÉUM, a été signé le 30 novembre 2018 et, à la suite de l’entente sur un Protocole de modification en décembre 2019, est entré en vigueur le 1er juillet 2020. Les exceptions en vertu des annexes I et II continuent de soustraire les États parties aux obligations clés des chapitres sur l’investissement et les services[44] et, par conséquent, demeurent les principaux déterminants quant à leur capacité à mettre en oeuvre des politiques culturelles. Les chapitres sur l’investissement et les services réitèrent aussi que leurs règles respectives ne s’appliquent pas « aux subventions ou aux contributions accordées par une Partie, y compris les emprunts, les garanties et les assurances bénéficiant d’un soutien gouvernemental »[45].

Comme le gouvernement américain désirait mettre à jour l’ALÉNA et garantir la « liberté numérique », l’ACÉUM inclut un chapitre sur le commerce électronique ou le commerce de produits numériques. Cette dernière notion désigne « un programme informatique, un texte, une vidéo, une image, un enregistrement audio ou un autre produit encodé numériquement, qui est produit pour la vente ou la distribution commerciale et qui peut être transmis par voie électronique »[46]. Une note de bas de page stipule que cette définition ne devrait pas être interprétée comme reflétant la position d’une partie selon laquelle les produits numériques constituent un bien ou un service[47]. Il est entendu qu’une mesure affectant la fourniture d’un service livré ou exécuté par voie électronique est soumise aux dispositions et aux exceptions en vertu des chapitres sur l’investissement et les services[48]. Le chapitre interdit l’imposition de droits de douane, de redevances ou d’autres frais relatifs aux échanges de produits numériques transmis électroniquement ; mais non de taxes, redevances ou autres impositions intérieures à condition que celles-ci soient en conformité avec l’ACÉUM[49]. Il existe également une exigence de traitement non discriminatoire des produits numériques, sous réserve d’une exception pour les subventions ou les dons accordés par les parties[50]. Enfin, le chapitre sur le commerce numérique doit être considéré conjointement avec les mesures de libéralisation des télécommunications, des services informatiques et connexes, ainsi que des produits de haute technologie.

Les secteurs de l’audiovisuel, de l’informatique et des télécommunications tendent à converger. Les technologies numériques incorporent les segments de marché des télécommunications, centrées sur la transmission et les réseaux, et de l’audiovisuel, centré sur la programmation et les contenus, de manière à jumeler la disponibilité des contenus à l’accès aux réseaux. Les acteurs dans le secteur des télécommunications, dès lors, joueront un rôle de plus en plus grand dans la diffusion des contenus culturels numériques, notamment par le biais des services d’accès Internet qu’ils fournissent[51]. Comme c’est le cas pour la propriété intellectuelle, les États parties à l’ACÉUM doivent assurer une surveillance réglementaire effective du secteur des télécommunications en vertu de leur législation intérieure[52]. Dans le chapitre sur la propriété intellectuelle, pour ce qui touche les produits culturels, chaque partie affirme avoir ratifié ou adhéré à la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques de 1971, au Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d’auteur et au Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, tous deux adoptés en 1996[53]. Concernant le droit d’auteur et les droits connexes, l’ACÉUM étend la durée de protection d’une oeuvre, d’une interprétation ou exécution ou d’un phonogramme à la vie de l’auteur plus soixante-dix ans suivant son décès ou pas moins de soixante-quinze ans après la première publication autorisée ou de soixante-dix ans à compter de la création[54].

Malgré la détermination du représentant américain au commerce d’éliminer l’exemption culturelle du Canada[55], dans le chapitre sur les exceptions et dispositions générales, l’article 32.6 de l’ACÉUM se rapporte aux industries culturelles et comprend cinq paragraphes[56]. Le premier reprend la définition de ces industries utilisée dans l’ALÉNA. Une question à cet égard est de savoir si cette définition qui remonte aux années quatre-vingt est neutre d’un point de vue technologique pour inclure les plateformes numériques et notamment l’Internet. Si les sites web des diffuseurs et des journaux peuvent être inclus dans cette définition, ce peut être différent pour les services exclusivement sur Internet, qui échapperaient alors à l’exemption culturelle[57]. Pour la plupart des analystes, cependant, la définition des industries culturelles semble assez large pour inclure les médias numériques et, de ce fait, ne poserait pas de problèmes. Par ailleurs, une définition uniforme est peut-être préférable, au vu de l’ensemble des ACP canadiens[58].

Dans le deuxième paragraphe, l’exemption culturelle générale se lit maintenant comme suit : « Le présent accord ne s’applique pas à une mesure adoptée ou maintenue par le Canada concernant une industrie culturelle, sauf disposition contraire expresse de l’article 2.4 (Traitement des droits de douane) ou de l’annexe 15D (Services de programmation) »[59]. Les services dans l’annexe 15-D touchent : 1) la substitution simultanée de signaux, en vertu de laquelle le Canada doit annuler les règlements du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui mettaient fin à la substitution simultanée de publicités américaines par des publicités canadiennes, permettant ainsi aux Canadiens de regarder des publicités américaines, pendant la diffusion du Super Bowl, ce dernier devant recevoir un traitement non moins favorable que celui accordé aux autres émissions provenant des États-Unis retransmises au Canada; 2) les exigences relatives aux autorisations des titulaires de droits d’auteur pour la retransmission de signaux d’émissions (reprenant largement l’article 2006 de l’ALÉCÉU); et 3) les services de programmation américains spécialisés dans le téléachat dont la distribution doit être autorisée au Canada. En ce qui concerne cette annexe, comme dans l’ALÉCÉU, l’exemption culturelle canadienne est accompagnée de certains engagements[60]. Pourtant, au regard de l’ensemble des mesures de politiques culturelles du Canada, ceux-ci sont assez limités et, contrairement à ce que prétend Geist[61], leur portée ne doit pas être exagérée.

La clause de représailles est reconduite au paragraphe 4 : « Nonobstant toute autre disposition du présent accord, une Partie peut prendre une mesure d’effet commercial équivalent en réaction à une action d’une autre Partie qui serait incompatible avec le présent accord si ce n’était du paragraphe 2 ou 3 »[62]. À cet égard, une nouvelle disposition au paragraphe 3 stipule qu’« [e]n ce qui a trait aux produits, aux services et aux contenus canadiens, les États-Unis et le Mexique peuvent adopter ou maintenir une mesure qui, si elle était adoptée ou maintenue par le Canada, serait incompatible avec le présent accord si ce n’était du paragraphe 2 »[63]. Ainsi, les autres partenaires de l’ACÉUM sont désormais autorisés à adopter ou à maintenir des mesures de politiques culturelles, au vu de mesures similaires en place au Canada. Fait intéressant, cela pourrait amener le Canada à utiliser la clause de représailles.

Enfin, il y a un nouveau paragraphe relatif au règlement des différends. Il prévoit qu’un « différend visant une mesure prise en application du paragraphe 4 est régi exclusivement par le mécanisme de règlement prévu par le présent accord, à moins qu’une Partie ayant cherché à instituer un groupe spécial […] n’y soit pas parvenue dans les 90 jours suivant la date de transmission de la demande de consultations »[64]. Dès transmission de la demande d’institution d’un groupe spécial arbitral, ce dernier est institué[65]. Le Protocole d’amendement a ici supprimé la possibilité, initialement reprise de l’ALÉNA, pour les parties de bloquer l’établissement d’un groupe spécial[66]. Cette modification, limitée au chapitre sur le règlement des différends, aurait dû conduire à une reformulation de la section correspondante du paragraphe 5, car elle rend caduque l’éventuelle impossibilité d’instituer un groupe spécial. En outre, un groupe spécial formé en vertu du paragraphe 5 a compétence pour statuer et peut faire des constatations uniquement sur la question de savoir si l’action à laquelle une autre partie réagit constitue une mesure adoptée ou maintenue à l’égard d’une industrie culturelle et si la mesure de représailles d’une partie a un « effet commercial équivalent »[67] à l’action de l’autre partie. Cette compétence restreinte soulève des questions, notamment en ce qui concerne la possibilité pour un groupe spécial de se prononcer si une mesure, bien qu’elle soit liée à une industrie culturelle, est compatible avec l’ACÉUM et, par conséquent, ne peut donner lieu à des représailles.

Il y a encore quelques exceptions prises par le gouvernement américain concernant les industries culturelles dans le cadre de l’ACÉUM. Elles sont formulées différemment et de façon plus détaillée que celles de l’ALÉNA, en fonction de l’évolution des différents ACP américains qui se sont succédé. En vertu de l’annexe I, dans le domaine des radiocommunications, soit toutes les communications par radio, y compris la radiodiffusion, les États-Unis se réservent le droit de restreindre la propriété des licences radio en vertu de leurs dispositions législatives et réglementaires sur la participation étrangère[68]. En vertu de l’annexe II, au sujet du Canada, le gouvernement américain se réserve le droit : a) d’adopter ou de maintenir toute mesure accordant un traitement différencié aux personnes d’autres pays en application de mesures de réciprocité ou d’ententes internationales visant à partager le spectre des radiofréquences ou à garantir l’accès aux marchés ou le traitement national en ce qui a trait à la transmission unidirectionnelle par satellite, à savoir les services de radiodiffusion directe à domicile (RDD) et les services de radiodiffusion directe (SRD) de signaux de télévision et de signaux audionumériques; et b) d’interdire à une personne d’une partie d’offrir des RDD et des SRD de signaux de télévision et de signaux audionumériques vers le territoire des États-Unis à moins que cette personne n’établisse que la partie de laquelle elle est une personne : i) permet aux personnes des États-Unis d’obtenir une licence pour de tels services dans cette partie dans des circonstances similaires; et ii) ne traite pas la fourniture de contenu audio ou vidéo provenant de la partie d’une façon plus favorable que la fourniture de contenu audio ou vidéo provenant d’un État tiers ou de toute autre partie[69]. Dans le cas de la dernière interdiction, il y en a une autre qui lui est similaire, qui cette fois-ci ne concerne pas que le Canada, qui touche à la propriété ou à l’exploitation d’un réseau de câblodistribution sur le territoire des ÉtatsUnis[70]. Finalement, le gouvernement américain s’est réservé le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure qui n’est pas incompatible avec ses engagements d’accès aux marchés en vertu de l’AGCS[71].

Alors que les quelques engagements du Canada concernant le secteur culturel figurent dans l’annexe 15-D du chapitre sur les services de l’ACÉUM, l’annexe 15-E résume les exceptions culturelles prises par le Mexique et consignées aux annexes I et II de l’accord. L’annexe 15-E débute avec un préambule qui rappelle la Convention sur la diversité culturelle et qui se lit ainsi :

Reconnaissant que la culture est une composante importante de la dimension créative, symbolique et économique du développement humain,

Affirmant le droit fondamental à la liberté d’expression et le droit à une information plurielle et diversifiée,

Reconnaissant que les États ont le droit souverain de préserver, d’élaborer et de mettre en oeuvre leurs politiques culturelles, d’appuyer leurs industries culturelles en vue de renforcer la diversité des expressions culturelles et de préserver leur identité culturelle[72].

En vertu de l’annexe I, pour la radio et la télévision à accès libre, les concessions uniques et les concessions relatives aux bandes de fréquences ne doivent être accordées qu’à des citoyens mexicains ou à des entreprises constituées en vertu des lois et règlements du Mexique. Un investisseur d’une partie ou ses investissements peuvent détenir une participation jusqu’à 49 % dans une entreprise concessionnaire fournissant des services de radiodiffusion. Ce seuil s’applique en fonction de la réciprocité existante avec le pays dans lequel l’investisseur ou le négociant qui détient le contrôle ultime de cet investissement étranger, directement ou indirectement, est constitué. Dans tous les cas, un avis favorable de la Commission nationale sur les investissements étrangers est requis pour l’octroi d’une concession impliquant des investissements étrangers. En aucun cas, une concession, les droits conférés par celleci, les installations, les services auxiliaires, les bureaux ou les accessoires et les biens y afférents, ne peuvent être cédés, grevés, mis en gage ou donnés en fiducie, hypothéqués ou transférés, en totalité ou en partie, à un gouvernement ou un État étranger. Des concessions à des fins d’utilisation sociale autochtone doivent être accordées aux peuples et aux communautés autochtones du Mexique en vue de promouvoir, de développer et de préserver les langues, les cultures, les connaissances, les traditions, les identités et règles internes, et ce, conformément au principe de l’égalité des sexes, de façon à permettre l’intégration des femmes autochtones dans la réalisation des objectifs pour lesquels la concession est accordée. L’État doit garantir que la radiodiffusion promeut les valeurs de l’identité nationale. Les concessions de radiodiffusion doivent utiliser et favoriser les valeurs artistiques locales et nationales et l’expression de la culture mexicaine, en fonction des caractéristiques de la programmation prévue. Une plus grande partie de la programmation quotidienne comportant des prestations par des particuliers doit être réservée pour des ressortissants mexicains[73].

Un investisseur d’une autre partie ou ses investissements ne peuvent détenir, directement ou indirectement, une participation supérieure à 49 % dans une entreprise établie sur le territoire mexicain, ou devant s’y établir, à des fins d’impression ou de publication de quotidiens rédigés principalement pour des lecteurs mexicains et distribués sur le territoire du Mexique[74]. Les cinémas doivent réserver 10 % de leur temps d’écran à la projection de films nationaux[75]. Finalement, en vertu de l’annexe II, le Mexique a assorti de restrictions ou de conditions ses engagements d’accès aux marchés en matière de services audiovisuels[76].

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Le Canada a inclus des dispositions afin d’exempter les industries culturelles dans tous ses ACP. Dans le cas des accords avec les États-Unis, soit l’ALÉCÉU, l’ALÉNA et l’ACÉUM, une exemption générale a été assortie de dispositions permettant des représailles contre des mesures de politiques culturelles. Lors de la renégociation de l’ALÉNA, une question centrale était de savoir si l’exemption des industries culturelles canadiennes allait s’appliquer au commerce des produits numériques. Le Canada a opposé un refus sans précédent aux demandes des ÉtatsUnis dans le domaine du commerce numérique et a obtenu le maintien de l’exemption culturelle générale. Le gouvernement canadien, porte-étendard de l’exception et de la diversité culturelles, avait fait de la préservation de sa presque complète capacité à mettre en oeuvre des politiques culturelles une condition sine qua non à sa participation à l’ACÉUM, obligeant ainsi les États-Unis à reculer. Mais ce fut peutêtre plus facile pour le Canada d’obtenir ce qu’il voulait étant donné que la clause de représailles a également été maintenue[77].

Générale, quoique conditionnelle, l’exemption culturelle canadienne, telle que reconduite dans l’ACÉUM, n’est pas sans susciter des préoccupations. Outre le possible nécessité d’une définition mise à jour ou élargie des industries culturelles afin d’inclure clairement les plateformes numériques, la clause de représailles peut continuer à avoir un puissant effet dissuasif auprès des pouvoirs publics canadiens pour adopter des mesures de politiques culturelles, spécialement dans le domaine numérique. Finalement, l’exemption culturelle canadienne devrait normalement être renforcée avec des dispositions visant à résoudre les différends liés au commerce culturel exclusivement en vertu de l’ACÉUM, plutôt qu’en recourant à l’OMC, dans le cadre de laquelle une telle exemption n’existe pas.

Précisons ici que la plupart des domaines à présent couverts dans les ACP sont, pour l’essentiel, sujets aux dispositions qui figurent dans le corps du texte de ces accords. Il peut alors s’avérer intéressant de comparer les dispositions relatives à certains domaines dans des ACP concurrents et concomitants, comme l’AÉCG, le PTPGP, l’ACÉUM ou encore le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP)[78]. Or, le traitement des produits culturels dépend dans une grande mesure des engagements et/ou exceptions spécifiques pris par les États parties et stipulés dans les annexes de tels accords. En cela, les obligations auxquelles les États souscrivent en matière culturelle ne varient pas tant en fonction des ACP auxquels ils sont parties que de leurs préférences et positions quant au débat commerce-culture. Cela fait également en sorte que ces mêmes obligations se révèlent assez constantes dans leurs divers ACP.

C’est ainsi qu’en tant que principal défenseur de la libéralisation du commerce des produits culturels, les États-Unis ont peu de réserves touchant ce domaine dans leurs ACP. Dans l’ALÉNA, ils ont gardé de la latitude dans le secteur des radiocommunications, alors que d’autres réserves prévoient la réciprocité dans le cas de la participation dans des entreprises de télévision par câble ou de publication de quotidiens. Le gouvernement américain, en vertu de l’ACÉUM, bénéficie encore de réserves pour la propriété des licences radio. À l’endroit du Canada, il a obtenu des exceptions au traitement NPF dans le cas de la télévision par satellite et des services audionumériques ainsi que pour le traitement réciproque de l’offre de tels services aux États-Unis et, pour les parties à l’ACÉUM, de la télévision par câble.

Dans le cadre de l’ALÉNA, le Mexique a des réserves quant à l’utilisation de l’espagnol à la radio et à la télévision. C’est aussi le cas pour le recours aux nationaux dans la majorité des émissions diffusées et en tant qu’annonceurs ou présentateurs. Des réserves s’appliquent aussi à propos de la propriété ou des concessions d’entreprises et de services de télévision par câble, des quotas cinématographiques ainsi que pour l’impression et la publication de quotidiens destinés à un lectorat mexicain. Des réserves pour mesures ultérieures incluent le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure relative à l’investissement ou la fourniture de services dans la radiodiffusion et la télédiffusion, les SDM, la musique en continu et la télévision haute définition. Le Mexique a maintenu la plupart de ces réserves dans l’ACÉUM, à l’exception de celles concernant la télévision par câble, qui avaient été supprimées, alors que les quotas cinématographiques avaient été réduits. En réponse au mécontentement américain concernant les exceptions liées à l’usage de l’espagnol, le Mexique les a reformulées pour mettre l’accent sur la diversité culturelle, notamment la possibilité de favoriser les cultures et les langues autochtones[79].

Ainsi, de l’ALÉNA 1.0 à l’ALÉNA 2.0, le traitement des produits culturels a évolué, notamment grâce à des dispositions se rapportant au commerce numérique et à la prolongation du droit d’auteur. Cependant, en ce qui a trait aux réserves obtenues par les États parties, dans l’ensemble, peu de choses ont changé. À part les dispositions pour le maintien réciproque ou l’adoption de mesures de politiques culturelles par d’autres partenaires et pour le règlement des différends exclusivement en vertu de l’ACÉUM, l’essentiel de l’exemption culturelle générale du Canada a été reconduit, incluant la dimension numérique. Bien qu’un peu plus nombreuses et formulées quelque peu différemment, les exceptions prises par les États-Unis n’ont pas varié de façon significative et demeurent très limitées. Quant au Mexique, malgré un nouvel accent mis sur la diversité et l’identité culturelles, la portée de ses exceptions a, en fait, diminué.