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Le 16 août 2017, la négociation de ce qui deviendrait l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM) s’amorçait à Washington. Sur place, l’équipe de négociation du gouvernement du Québec s’activait auprès des négociateurs canadiens, des représentants du milieu des affaires du Québec et des représentants des autres provinces. Le travail du gouvernement du Québec avait cependant débuté plusieurs mois plus tôt, sollicitant un vaste éventail d’intervenants au sein de l’appareil gouvernemental québécois.

Le travail effectué lors des négociations commerciales paraît parfois nébuleux, d’autant plus lorsqu’il est question du rôle des gouvernements infranationaux. En effet, alors que l’action du Québec à l’international est largement connue pour les aspects liés aux échanges et questions culturels et à la francophonie, par exemple, le rôle que joue le gouvernement du Québec dans le cadre des négociations commerciales internationales est encore peu compris. Toutefois, depuis plus de trente ans, le gouvernement du Québec est étroitement impliqué dans la négociation d’accords commerciaux. L’objectif de cet article est de présenter le rôle et l’action du Québec lors de la renégociation de l’ALÉNA, notamment en abordant certains enjeux qui ont touché le Québec lors de cette négociation commerciale. L’article porte essentiellement sur les interventions faites au niveau administratif et traite peu des actions au niveau politique. Il serait toutefois malavisé de sous-estimer, de ce seul fait, l’importance des interventions faites au niveau politique.

La première partie de l’article présentera l’organisation du gouvernement du Québec ainsi que les différentes étapes de préparation à la négociation. En se basant sur plusieurs exemples d’enjeux présents lors de la négociation, la deuxième partie identifiera les principales actions qui ont été posées et la manière dont le Québec a pris part à cette négociation. Finalement, la troisième section abordera les différentes étapes qui suivent la fin d’une négociation commerciale et qui permettent à l’accord de pleinement entrer en vigueur.

I. La préparation du gouvernement du Québec aux négociations

A. Contexte des négociations

Avec près de 75 % de ses exportations internationales de biens qui étaient destinées aux États-Unis ou au Mexique[1], il est aisé de comprendre l’importance que revêtait pour le Québec la renégociation de l’ALÉNA. Mais l’on ne peut saisir pleinement l’importance du moment, et du travail entourant cette négociation si l’on ne se replonge pas dans le contexte qui prévalait à l’époque.

D’abord, dès sa campagne présidentielle, le président Trump avait promis de renégocier l’ALÉNA qu’il considérait comme étant le pire accord jamais conclu[2]. En ce sens, la stratégie américaine était assez transparente à plusieurs égards : négocier un accord plus avantageux pour les Américains ou déchirer l’ALÉNA. Cette menace qui planait sur l’avenir de la relation commerciale des États nord-américains a grandement influencé le contexte de la renégociation, d’autant plus que plusieurs éléments ont démontré la détermination de l’administration américaine à mettre en oeuvre son agenda commercial. En effet, le 23 janvier 2017, seulement quelques jours après son entrée en poste, le président Donald Trump a signé un décret[3] afin de désengager les États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP). Rappelons que le Canada était lui aussi signataire du PTP et qu’il avait dû faire d’importantes concessions en accès à son marché des produits agricoles sous gestion de l’offre dans le cadre de ces négociations. De plus, en juin 2017, les États-Unis informaient la Corée du Sud de leur intention de renégocier leur accord de libre-échange bilatéral, ce qui amena par la suite quelques changements importants à l’accord, notamment des restrictions à l’exportation d’acier coréen et une facilitation des exportations de voitures américaines en Corée.

Il est également important de rappeler que plusieurs litiges commerciaux portant sur des produits exportés par le Québec étaient alors en cours avec les États-Unis. Le 25 novembre 2016, la U.S. Lumber Coalition avait déposé une plainte auprès du Département du commerce (DOC) et de la Commission du commerce international des États-Unis, alléguant une concurrence déloyale de l’industrie canadienne et réclamant l’imposition de droits compensateurs et antidumping sur les produits de bois d’oeuvre résineux canadiens[4]. Le 20 avril 2017, le président américain Donald Trump avait signé un décret ordonnant au secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, de mener une enquête en vue de déterminer si les importations d’acier constituaient une menace à la sécurité nationale américaine. Le 27 avril 2017, il avait lancé une enquête identique pour les importations d’aluminium[5]. Toujours le 27 avril 2017, la compagnie Boeing avait déposé une plainte auprès du DOC et de la Commission du commerce international des États-Unis afin de demander l’imposition de droits compensateurs et de droits antidumping à l’égard des aéronefs CSeries de Bombardier vendus aux États-Unis. Le 9 août 2017, une semaine avant le lancement des négociations de l’ACÉUM, l’entreprise américaine North Pacific Paper Company a déposé une plainte auprès du DOC visant l’industrie papetière canadienne et demandant l’imposition de droits compensateurs et antidumping sur le papier non couché à base de pâte thermomécanique (papier UGW) importé du Canada[6].

C’est donc dans un contexte où plusieurs secteurs majeurs d’exportation du Québec étaient menacés ou déjà visés par des tarifs additionnels que se mettait en branle la négociation de l’ACÉUM, sans compter la menace que l’ALÉNA soit déchiré si les négociations n’aboutissaient pas rapidement et à la satisfaction de l’administration américaine. Il résultait évidemment de tout cela un vaste climat d’incertitude et d’inquiétude au sein des entreprises exportatrices québécoises.

Il était donc primordial que l’équipe de négociation du Québec soit bien préparée pour entreprendre cette négociation.

B. Organisation au sein du gouvernement du Québec

Au sein du gouvernement du Québec, c’est le ministre de l’Économie[7] qui est responsable de la politique commerciale du Québec et de défendre les intérêts du Québec lors de la négociation d’un accord international portant sur le commerce[8]. Pour bien mener ce mandat, la ministre de l’Économie de l’époque, Dominique Anglade, a effectué plusieurs changements afin de préparer l’appareil gouvernemental à ces négociations.

Tout d’abord, dès février 2017, avant même le début officiel des négociations, l’ancien ministre des Finances et du Développement économique, Raymond Bachand, a été nommé conseiller spécial du gouvernement du Québec pour la renégociation de l’ALÉNA. Son mandat était de consulter les entreprises québécoises sur leur vision de l’ALÉNA. Ainsi, monsieur Bachand a mené des rencontres avec une centaine d’entreprises individuelles, de regroupements d’affaires, de grappes industrielles, de syndicats ou de représentants des milieux culturels ou agricoles. Le 12 juillet 2017, soit environ un mois avant la première ronde de négociations, le gouvernement du Québec a annoncé que monsieur Bachand continuerait son travail dans la renégociation, désormais à titre de négociateur en chef pour le Québec. La nomination de monsieur Bachand comme négociateur en chef pour le Québec permettait notamment de faire profiter de sa grande connaissance de l’État québécois et des milieux syndicaux, des affaires et culturels et d’avoir en place comme chef d’orchestre quelqu’un qui peut naviguer entre les appareils administratif et politique du gouvernement fédéral, ce qu’un fonctionnaire ou un ministre ne peut faire. Le ministère de l’Économie devait donc assurer le soutien auprès du négociateur en chef, notamment en réalisant les analyses pertinentes, et en coordonnant les travaux des différents ministères, organismes et sociétés d’État en lien avec l’ALÉNA.

Tout en poursuivant ses fonctions de négociateur en chef pour le Québec à l’Accord économique et commercial global (AECG), Pierre Marc Johnson a agi à titre de négociateur et conseiller stratégique pour le gouvernement du Québec dans le cadre de la renégociation de l’ALÉNA. À ce titre, il a agi en appui à monsieur Bachand pendant les négociations. Le fait que monsieur Johnson connaissait depuis des années Steve Verheul, négociateur en chef canadien pour l’ACÉUM, qui avait précédemment été négociateur en chef pour l’AECG, était un atout pour le Québec. Le gouvernement du Québec a également sollicité les services de Richard Ouellet, professeur titulaire de droit international économique à la Faculté de droit de l’Université Laval, afin de le conseiller sur certaines questions juridiques particulières au cours des négociations.

Finalement, différents comités et mécanismes ont été instaurés au sein de l’appareil gouvernemental afin de faciliter la coordination des efforts et l’échange d’informations entre les ministères et organismes du gouvernement du Québec. Par exemple, les délégués du Québec aux États-Unis et au Mexique se réunissaient toutes les trois semaines avec l’équipe de négociation du Québec pour faire le point sur les négociations, afin d’appuyer leur travail de diplomatie d’influence.

Au niveau administratif, afin de donner plus de moyens à l’équipe de politique commerciale alors en place, une nouvelle direction générale de la politique commerciale, incluant désormais une direction des accords commerciaux et une direction des litiges commerciaux, a été mise sur pied au ministère de l’Économie tout juste avant le début des négociations. Cela lui a permis de disposer des ressources humaines nécessaires pour conseiller adéquatement les autorités gouvernementales québécoises et le négociateur en chef du Québec.

Des répondants avaient aussi été identifiés dans les ministères et sociétés d’État les plus directement touchés par les négociations afin de pouvoir rapidement partager et obtenir les informations pertinentes à la défense des intérêts du Québec.

Ainsi, tout était en place pour s’engager dans des négociations qui s’annonçaient difficiles.

C. Analyses effectuées

Pour se préparer à la négociation, le gouvernement du Québec a réalisé de nombreuses analyses portant sur divers enjeux. Il a notamment dressé un portrait des échanges commerciaux et investissements avec les États-Unis et le Mexique (pour le Québec et pour les autres provinces), identifié les dispositions qui pourraient faire l’objet de demandes des autres parties, identifié les intérêts des entreprises québécoises et évalué les impacts potentiels de la fin de l’ALÉNA, pour se préparer à toute éventualité.

D’abord, les principales exportations et importations de biens entre le Québec et les partenaires de l’ACÉUM ont été analysées. En 2016[9], les exportations de marchandises du Québec vers les États-Unis se chiffraient à 57,1 milliards de dollars, soit 71 % de la valeur totale des exportations du Québec dans le monde. Le surplus commercial avec les États-Unis s’élevait à 26,5 milliards de dollars[10]. Les exportations du Québec vers les États-Unis sont très variées et incluent des produits d’aluminium, des hélicoptères, des avions, du bois d’oeuvre, de l’électricité, des camions, du chocolat, des médicaments, des minéraux, des meubles, du porc, etc. Les importations au Québec en provenance des États-Unis étaient tout aussi diversifiées. La quasi-totalité des biens faisant l’objet de commerce n’était assujettie à aucun tarif douanier en raison de l’ALÉNA. Ce portrait du commerce allait servir à guider les consultations dont il sera question à la section 2.4.

Le même exercice a également été effectué pour le commerce avec le Mexique ainsi que pour celui entre les autres provinces et territoires et les partenaires de l’ACÉUM. Cela permettait notamment de constater que toutes les provinces canadiennes n’avaient pas le même seuil de dépendance face au marché américain. En effet, environ la moitié des exportations de la Colombie-Britannique ou de la Saskatchewan était destinée aux États-Unis alors que pour le Nouveau-Brunswick et l’Alberta, cette proportion s’élevait à environ 90 %. De même, tandis que les exportations du Québec et du Manitoba aux États-Unis étaient très diversifiées, celles de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve étaient largement concentrées dans les produits pétroliers. Ces divers éléments aident à mieux cerner la dynamique de négociation fédérale-provinciale et à cibler les alliés potentiels sur les différents enjeux qui émergeront de la négociation.

Les investissements directs sont également un élément important à prendre en considération dans l’analyse du contexte commercial. Ainsi, le ministère de l’Économie a dressé la liste des principales entreprises américaines et mexicaines présentes sur le territoire ainsi que des entreprises québécoises qui possèdent des installations (investissements) aux États-Unis ou au Mexique. Connaître les entreprises québécoises établies aux États-Unis et au Mexique est utile tant dans l’identification des parties prenantes à consulter que dans les efforts diplomatiques, en mettant de l’avant auprès des partenaires l’empreinte économique du Québec sur leur territoire.

Afin de se préparer aux demandes des partenaires commerciaux, une attention particulière a été portée au texte du Partenariat transpacifique, que les trois parties avaient signé un an auparavant. Même si les États-Unis s’étaient retirés de ce traité, il était évident qu’ils voudraient s’en servir comme d’une base de négociation pour de nombreux chapitres, considérant la volonté exprimée par leur président de conclure rapidement la négociation. Le Bipartisan Congressional Trade Priorities and Accountability Act (TPA) de 2015, qui permettait au président américain de négocier des accords de commerce en sachant qu’ils ne pourront pas être subséquemment amendés par le Congrès[11], était aussi éclairant sur les objectifs de négociation américains, à tout le moins sur les attentes du Congrès américain. L’avis public sur les objectifs spécifiques des États-Unis dans les négociations de l’ALÉNA[12], diffusé le 17 juillet 2017 par le représentant américain au commerce, constituait aussi une bonne indication des intérêts américains, qui étaient clairement les principaux demandeurs dans le cadre de cette négociation. Ainsi, avant même le lancement des négociations, la plupart des enjeux de négociation étaient prévisibles et le gouvernement du Québec s’attendait donc à ce que les États-Unis fassent des demandes importantes pour un accès au marché canadien des produits agricoles sous gestion de l’offre, pour mieux encadrer le commerce numérique, pour établir des règles d’origine dans le secteur automobile qui soutiennent la production et les emplois aux États-Unis et en Amérique du Nord, pour rehausser le seuil à partir duquel les biens importés par service de livraison sont soumis aux taxes de vente et aux tarifs douaniers, pour mieux encadrer les entreprises d’État et pour rehausser la protection de la propriété intellectuelle, entre autres. À l’inverse, l’abandon des engagements en matière de marchés publics et du règlement des différends investisseur-État dans le futur accord n’était clairement pas sur le radar à ce stade.

Enfin, de nombreuses questions ont été fouillées en lien avec un éventuel retrait américain de l’ALÉNA et de l’accord bilatéral de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, tant sur la capacité du président à réaliser le tout sans l’appui du Congrès que sur l’éventuel impact que cela aurait sur le Québec. Sur cette dernière question, le gouvernement du Québec estimait que, même en se reposant uniquement sur les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), plus de la moitié des 200 principaux produits exportés par le Québec auraient pu continuer à entrer en franchise de droits aux États-Unis, et seulement cinq des 200 principaux produits exportés par le Québec aux États-Unis auraient eu à faire face à un tarif douanier de 10 % ou plus. De plus, aucun impact significatif n’était pressenti quant aux contrats publics, étant donné que des règles entourant leur octroi sont prévues dans l’Accord sur les marchés publics de l’OMC. Toutefois, un impact significatif aurait été ressenti sur la mobilité professionnelle, avec la fin des visas TN qui permettent aux citoyens canadiens admissibles d’avoir accès à des conditions d’entrée et de travail aux États-Unis plus avantageuses que celles des ressortissants des autres pays. Ces analyses ont donc permis d’identifier les secteurs qui seraient touchés et la manière dont le gouvernement pourrait alors les soutenir, dans l’éventualité où l’administration américaine aurait mis à exécution sa menace de se retirer de l’ALÉNA.

D. Consultation des différents acteurs

En parallèle à l’analyse des échanges commerciaux et des éventuelles demandes des partenaires commerciaux, le ministère de l’Économie a lancé une vaste consultation auprès des ministères et sociétés d’État du Québec ainsi que des acteurs non gouvernementaux, dans le but de cerner adéquatement les intérêts offensifs et défensifs du Québec dans le cadre de cette négociation.

1. La consultation des ministères et sociétés d’État

La consultation des ministères et organismes du gouvernement du Québec est un exercice qui s’effectue tout au long d’une négociation, du début des discussions jusqu’à la mise en oeuvre de l’accord. Étant donné que les ministères sectoriels possèdent une expertise fine de leur secteur d’activité ainsi que des contacts bien établis avec les acteurs non gouvernementaux de ces secteurs, cet exercice permet à l’équipe de négociation de cerner adéquatement les enjeux et d’en avoir une compréhension suffisante pour défendre les intérêts québécois, notamment en suggérant des modifications aux textes de négociation ou en fournissant des arguments à l’équipe de négociation fédérale.

La quasi-totalité des ministères et des sociétés d’État du Québec a été sollicitée dans le cadre des négociations de l’ACÉUM. C’est notamment le cas du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec pour les enjeux liés à la gestion de l’offre ou sur les normes sanitaires applicables aux produits alimentaires, du ministère de la Culture ou des Communications concernant l’exception culturelle ou du Secrétariat du Conseil du trésor pour les questions relatives aux marchés publics. Concernant les demandes du Québec et du Canada au sujet de l’entrée temporaire des gens d’affaires, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale et le ministère de l’Immigration, Francisation et Intégration Québec ont été consultés. Le ministère des Finances et Revenu Québec ont été impliqués dans les négociations entourant le seuil de minimis, soit le montant à partir duquel sont perçus les taxes de vente et droits de douane sur les biens envoyés par service de livraison en provenance des États-Unis et du Mexique. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a contribué aux analyses et discussions concernant la durée de protection des données pour les médicaments biologiques. Certains organismes ou sociétés d’État ont aussi été particulièrement impliqués. C’est le cas d’Hydro-Québec, notamment pour la reconnaissance de l’hydroélectricité comme une source d’énergie renouvelable. La Société des alcools du Québec (SAQ) et la Régie des alcools, des courses et des jeux ont également été impliquées pour la négociation de l’Annexe 3-C sur le commerce en spiritueux, vins, bières et autres boissons alcoolisées du chapitre sur l’agriculture de l’ACÉUM, qui prévoit plusieurs dispositions relatives à la commercialisation et à l’étiquetage des boissons alcoolisées. Certains ministères ont aussi été interpellés sur des questions qui ne sont pas typiquement associées au commerce, telles que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques pour les discussions entourant les institutions environnementales nord-américaines[13] et le rôle qu’y jouerait le Québec et le Secrétariat aux affaires autochtones pour les propositions référant aux droits des peuples autochtones.

Ces exemples ne témoignent cependant pas de l’ampleur de l’implication des ministères, organismes et sociétés d’État dans la négociation. Au total, ce sont plus de 300 personnes au sein du gouvernement du Québec qui ont été directement interpellées sur un enjeu ou l’autre soulevé par la négociation de l’ACÉUM.

En parallèle, sur le plan diplomatique, le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) a joué un rôle important tout au long de la renégociation de l’ALÉNA. Avant même le lancement officiel des négociations, le MRIF a, en coordination avec le gouvernement fédéral, déployé une importante stratégie diplomatique afin de sensibiliser les élus américains aux bénéfices de l’intégration économique nord-américaine. Par exemple, cette démarche visait à rappeler aux élus américains l’importance du marché canadien pour les États-Unis étant donné que trente-deux États américains ont le Canada comme premier marché d’exportation[14].

Les différentes représentations du Québec aux États-Unis et au Mexique ont été impliquées dans le cadre des négociations de l’ACÉUM, non seulement pour le déploiement de la stratégie diplomatique, mais aussi pour fournir une lecture politique des différents acteurs sur leur territoire et de leur positionnement par rapport aux négociations. La Délégation générale du Québec à Mexico et le Bureau du Québec à Washington ont aussi joué un rôle actif lorsque les rondes de négociation se déroulaient sur leur territoire, notamment en organisant des rencontres avec des personnes d’intérêt mexicaines ou américaines, en plus de fournir un soutien logistique à l’équipe de négociation du Québec. Leurs actions ont aussi contribué à affirmer le leadership du Québec dans ces négociations. Par exemple, la Délégation générale du Québec à Mexico a organisé une table ronde avec des conférenciers mexicains sur la modernisation de l’ALÉNA ainsi qu’un vaste événement, en collaboration avec l’ambassade canadienne, réunissant environ cent cinquante personnes et portant sur la perspective infranationale des négociations de l’ALÉNA, avec des représentants des États fédérés (gouvernements et entreprises) des trois parties à l’Accord.

2. La consultation des acteurs non gouvernementaux

À partir du moment où les négociations se sont annoncées jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord, le gouvernement du Québec a mené de larges consultations auprès d’acteurs non gouvernementaux. Ces acteurs sont des regroupements d’entreprises, de grandes entreprises et des petites ou moyennes entreprises (PME), des représentants agricoles, des grappes sectorielles ainsi que des syndicats, des ONG ou autres organismes à but non lucratif. Parfois en collaboration avec certains ministères sectoriels, le ministère de l’Économie s’est assuré d’établir des canaux de communications avec des représentants de ces secteurs d’activités afin de connaître leurs préoccupations, leurs enjeux et leurs intérêts. Ces consultations se sont déroulées tout au long du processus de négociations afin de comprendre de manière précise les besoins et préoccupations de ces industries et secteurs d’activités.

Les consultations des acteurs non gouvernementaux se sont effectuées à plusieurs niveaux. En effet, le premier ministre, la ministre de l’Économie et le négociateur en chef ont également mené des activités permettant la consultation et le partage d’informations avec des acteurs non gouvernementaux. Le premier ministre du Québec de l’époque, Philippe Couillard, a également tenu des tables rondes avec une vingtaine de représentants du milieu des affaires, de la culture, de l’agriculture et des syndicats afin d’alimenter les efforts de coordination. La ministre de l’Économie a aussi tenu, notamment, des rencontres de concertation avec le milieu culturel et avec le milieu agroalimentaire, en compagnie du négociateur en chef pour le Québec, monsieur Bachand, ainsi que des ministres respectivement de la Culture et des Communications et de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.

E. Mandat et stratégie de négociation

L’ensemble des analyses et consultations présentées dans les sections précédentes servent à bâtir les positions du gouvernement du Québec sur la multitude de sujets qui sont abordés dans le cadre d’une négociation d’une portée aussi large que celle de l’ACÉUM. Ces diverses positions ont été formalisées dans le cadre d’un mémoire soumis au Conseil des ministres établissant le mandat de l’équipe de négociation. Ce mandat de négociation couvre l’ensemble des chapitres prévus dans le cadre de l’ACÉUM. Les positions présentées y sont définies de manière à ce qu’elles permettent d’établir concrètement les enjeux pour le Québec et les positions à défendre, tout en étant suffisamment souples pour permettre de s’ajuster en cours de négociations. Une fois ce processus complété, les positions présentées dans ce mandat deviennent les positions officielles du gouvernement du Québec, qui les défendra tout au long de la négociation.

En fait, ce travail de défense des intérêts québécois commence avant même le début des négociations, lors de l’élaboration de la stratégie canadienne en vue de la négociation à venir. Bien que le gouvernement fédéral soit maître de la stratégie de négociation qu’il choisit et de la façon de la déployer, on aurait tort de sous-estimer l’apport des provinces dans l’élaboration de cette dernière. Afin de pouvoir mettre de l’avant des positions ambitieuses dans des domaines de juridiction provinciale, le gouvernement fédéral canadien doit s’assurer que les provinces sont prêtes à prendre de tels engagements. Par exemple, dans le cadre des négociations de l’ACÉUM, le Canada a exercé de la pression pour inclure dans l’accord des engagements ambitieux en matière de travail, d’environnement et de marchés publics. Avant de mettre ces positions de l’avant, le gouvernement fédéral s’est assuré que les provinces et territoires soient à l’aise de souscrire à de tels engagements. Si ce n’avait pas été le cas, le Canada aurait dû ajuster ses positions et sa stratégie de négociation afin d’en tenir compte.

Ainsi, dans le cadre de rencontres fédérales-provinciales-territoriales visant à échanger sur la stratégie de négociation canadienne, ou encore de façon bilatérale, le Québec exprime non seulement ses positions, mais influence aussi la stratégie de négociation canadienne. Cet exercice va au-delà des stricts champs de compétences des provinces. Par exemple, le Québec a exprimé des positions très claires dans le cas des règles d’origine pour certains biens produits ou importés au Québec ainsi que pour certains enjeux de propriété intellectuelle (protection des données pour les médicaments biologiques, droit d’auteur) dans le but d’influencer les positions et stratégies canadiennes, et ce, avant même le début des négociations.

II. L’action du gouvernement du Québec pendant les négociations

A. Présence et rôle lors des rondes de négociations

La première ronde de négociation a eu lieu à Washington du 16 au 20 août 2017. Par la suite, toutes les rondes de négociations ont eu lieu en alternance entre les trois capitales (Washington, Mexico et Ottawa), à l’exception de la 6e ronde de négociations qui a exceptionnellement eu lieu à Montréal, du 21 au 29 janvier 2018. Montréal est ainsi la seule ville hors des trois capitales à avoir accueilli une ronde de négociations, ce qui illustre la reconnaissance du leadership québécois sur les questions de libre-échange et ce qui a permis d’offrir une plateforme unique aux parties prenantes québécoises dans le cadre de cette négociation.

À chacune de ces rondes, le négociateur en chef du Québec ainsi que des fonctionnaires du ministère de l’Économie étaient sur place. Tous les provinces et territoires canadiens envoyaient également des représentants sur place, bien qu’il y eût des différences de capacités évidentes entre les différentes provinces. Cette présence permettait aux représentants des provinces et territoires, même s’ils n’étaient pas présents à l’intérieur de salles de négociation, d’avoir des échanges soutenus avec les représentants du gouvernement fédéral et des membres de l’industrie.

Par exemple, chaque jour, les chefs des tables de négociation[15] qui s’étaient réunies dans la journée et le négociateur en chef du Canada faisaient une séance de débreffage aux représentants provinciaux et territoriaux. Ces rencontres permettent d’avoir une idée précise des enjeux abordés par les négociateurs durant la journée, des progrès accomplis et, le cas échéant, de nouveaux enjeux qui pouvaient apparaître au cours de la journée. Cela permettait aussi aux représentants provinciaux de poser des questions sur les éléments discutés dans la journée. Étant donné que ces séances sont réservées aux représentants gouvernementaux, les discussions étaient généralement franches et transparentes. Ces rencontres, souvent tenues en toute fin de journée, voire en début de nuit, durent généralement d’une à deux heures, permettant aux représentants des provinces et territoires d’être informés de l’évolution des négociations et des enjeux susceptibles de les affecter.

La présence aux rondes de négociations permet également aux représentants provinciaux qui le souhaitent de rencontrer de manière bilatérale les chefs de table de négociation sur des sujets précis. Ces rencontres permettaient de discuter de manière détaillée d’enjeux techniques : par exemple, comment est définie la notion de « contrôle » d’une entreprise par le gouvernement dans le cadre du chapitre sur les entreprises d’État et monopoles désignés[16]? Ces rencontres permettaient aussi de suivre l’évolution d’enjeux significatifs, par exemple en rencontrant les négociateurs agricoles canadiens pour connaître la nature des demandes américaines en matière d’accès au marché pour les produits sous gestion de l’offre. Enfin, ces rencontres permettaient d’échanger en détail plusieurs informations pertinentes et de faire valoir les intérêts du Québec sur certaines questions ciblées, par exemple pour discuter de l’utilisation par certaines entreprises québécoises des niveaux de préférence tarifaire dans le secteur des textiles ou pour exposer au gouvernement fédéral les impacts anticipés sur certaines entreprises en raison des modifications envisagées aux règles d’origine. Cet exercice s’est parfois fait avec d’autres représentants provinciaux, lorsque ceux-ci avaient des préoccupations similaires. Par exemple, plusieurs provinces désirant mieux discerner quelles obligations du chapitre sur l’environnement s’appliqueraient aux provinces pouvaient rencontrer ensemble la cheffe de table canadienne du chapitre sur l’environnement.

Les rondes de négociation sont d’ailleurs une occasion pour les représentants provinciaux d’échanger entre eux, de partager des informations pertinentes, de sonder leurs homologues sur certains enjeux et de valider des alliances interprovinciales. Plusieurs préoccupations étaient communes à l’ensemble des provinces, alors que certains enjeux étaient davantage portés par quelques joueurs. L’Ontario, le Québec et le Manitoba, par exemple, s’opposaient fermement aux mesures Buy America. L’Alberta, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve étaient, naturellement, davantage préoccupés par les impacts sur les exportations de pétrole, alors que les provinces de l’Atlantique étaient les plus touchées par les questions relatives aux pêcheries. Lors de la renégociation de l’ALÉNA, le Québec a régulièrement organisé des rencontres avec les représentants des autres provinces pour recueillir leur point de vue sur différentes questions. Ces rencontres ont été encore plus fréquentes avec l’Ontario, en compagnie de laquelle des rencontres conjointes avec des représentants d’industries américaines ont également eu lieu.

Finalement, les rondes de négociation offrent aussi l’occasion de rencontrer les parties prenantes québécoises et canadiennes qui se rendent sur place. Les représentants d’industries y mettent évidemment de l’avant leurs intérêts, mais ils souhaitent aussi comprendre la dynamique de la négociation et mieux cerner l’importance de leur enjeu dans le portrait général de la négociation. Parce qu’ils rencontrent toutes sortes d’intervenants, y compris d’autres parties, ils constituent aussi des sources d’information intéressantes. Ultimement, ces rencontres permettaient de mieux comprendre les demandes, intérêts et enjeux de l’industrie, de recueillir de l’information et de valider certaines stratégies. Évidemment, la question de la confidentialité reste une préoccupation constante lors de ces échanges. Des rencontres ont également eu lieu avec des gens d’affaires du Mexique et des États-Unis. Ces rencontres permettaient de mieux cerner leurs intérêts et d’ajuster nos stratégies en conséquence.

B. Travail entre les rondes de négociations

Bien que les rondes de négociations soient des moments intenses, le travail se poursuit également de manière soutenue entre celles-ci. En effet, la période entre les rondes permet d’analyser les nouveaux textes de l’accord, de faire les suivis appropriés auprès du gouvernement fédéral et des autres provinces, le cas échéant, et de consulter les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux sur différents points.

1. L’analyse des textes de négociations

À l’issue de chaque ronde, le gouvernement fédéral transmettait aux représentants provinciaux les versions actualisées des textes de l’accord en négociation. Ces textes permettaient de voir les éléments qui étaient entendus entre les parties ainsi que les propositions des parties sur les enjeux restants. Chaque nouvelle version des textes était analysée en profondeur par les représentants du ministère de l’Économie et partagée aux ministères et organismes du gouvernement du Québec concernés. Ceux-ci avaient ainsi l’occasion d’échanger avec les fonctionnaires du ministère de l’Économie sur l’évolution des enjeux de la négociation et de transmettre des commentaires ou analyses produites par leur organisation. L’analyse des textes visait essentiellement à s’assurer de la conformité des propositions avec le cadre législatif québécois, à protéger la marge de manoeuvre législative et réglementaire souhaitée par le gouvernement du Québec et à évaluer l’impact potentiel des dispositions sur l’économie québécoise. Les interventions du Québec auprès du gouvernement fédéral canadien à propos des textes en négociation ont mené à des modifications au texte de plusieurs chapitres de l’accord, y compris sur des thèmes que l’on n’aurait peut-être pas naturellement associés au Québec, comme la lettre complémentaire (side letter) sur l’énergie ou le chapitre sur le commerce numérique.

2. Les rencontres entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires

En plus des rencontres qui ont lieu lors des rondes de négociations, les représentants du gouvernement du Québec continuent d’échanger régulièrement avec leurs vis-à-vis du gouvernement fédéral entre les rondes de négociation. Cela se faisait parfois lors de rencontres bilatérales en personne à Ottawa, par échange de courriels ou de notes de position ou dans le cadre de rencontres fédérales-provinciales-territoriales qui réunissaient les fonctionnaires de ces gouvernements à Ottawa.

Ces échanges permettaient d’avoir plus de temps pour discuter des enjeux qu’il n’était possible de le faire durant les rondes de négociations. De plus, ces rencontres permettaient d’ajuster la position du Canada en fonction des préoccupations et intérêts exprimés par les provinces. Ces échanges étaient donc autant techniques (sur des aspects précis du texte de l’accord) que stratégiques (sur la position générale du Canada et sur l’équilibre entre les gains anticipés et les concessions octroyées par le Canada). Par exemple, au niveau technique, de nombreuses discussions ont eu lieu concernant l’application des règles d’origine pour le secteur automobile. En effet, le Québec s’inquiétait de l’application potentielle de ces nouvelles règles aux camions lourds et aux ambulances, qui sont des produits fabriqués au Québec puis exportés aux États-Unis.

Le Québec a régulièrement cherché à aller au-delà de l’identification d’enjeu, en proposant des solutions alternatives telles que de nouveaux libellés dans le texte de l’accord, ou en développant un argumentaire solide pour défendre ses enjeux. Cela visait tant à démontrer le bien-fondé des positions québécoises qu’à outiller le gouvernement fédéral canadien dans la défense de ces positions auprès des États-Unis et du Mexique.

Bien que ce ne soit pas le principal angle abordé par cet article, il importe de souligner que ces échanges ont également lieu au niveau politique. En effet, dans le cadre de la renégociation de l’ALÉNA, les ministres responsables des négociations commerciales des provinces et territoires ont tenu de nombreux appels avec Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères du gouvernement fédéral, en compagnie du négociateur en chef du Canada, Steve Verheul. Des appels fédéral-provincial-territorial (FPT) similaires ont également eu lieu au niveau des premiers ministres. De plus, de nombreux appels ou lettres de positions ont été échangés entre les ministres responsables. Ces échanges FPT au niveau politique servent à assurer une bonne circulation de l’information jusqu’au plus haut niveau et à aborder des enjeux plus sensibles dans le cadre de la négociation. Les négociations commerciales étant généralement très structurées et hiérarchisées, il y a une limite aux enjeux qui peuvent être résolus au niveau des fonctionnaires. Les questions plus litigieuses ou plus délicates sont généralement tranchées au niveau politique.

3. Les interactions avec les entreprises et groupes d’intérêt concernés

Finalement, un dernier groupe d’acteurs impliqué entre les rondes de négociations est celui des entreprises et des groupes d’intérêts concernés par les négociations. En effet, le gouvernement du Québec a consulté régulièrement ces acteurs. En fonction de l’évolution des enjeux, certaines entreprises spécifiques ont été rencontrées entre les rondes de négociation. Bien qu’il ne fût pas possible de partager les textes de négociations avec elles, ces rencontres permettaient de valider certains aspects commerciaux techniques, d’échanger sur certaines pistes de solution et de les informer des développements pertinents concernant l’évolution des négociations sur les enjeux qui les touchaient directement. Ces rencontres entre les rondes de négociations permettent également de rejoindre certains groupes qui ne sont pas nécessairement présents lors des rondes de négociations, mais qui ont des intérêts particuliers pour celles-ci. Par exemple, les représentants du gouvernement du Québec ont tenu quelques rencontres avec les membres de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles ainsi que certaines entreprises oeuvrant dans des secteurs commerciaux sensibles. Les représentants du Québec ont également rencontré les sièges sociaux américains de certaines entreprises basées au Québec pour mieux cerner les impacts potentiels de certaines dispositions sur leurs usines situées au Québec.

III. Le rôle du gouvernement du Québec après la fin des négociations

Même lorsque les États-Unis, le Canada et le Mexique sont parvenus à une entente de principe mettant fin aux négociations, le 30 septembre 2018, il restait encore beaucoup de travail à accomplir avant l’entrée en vigueur de l’accord. L’implication du gouvernement du Québec s’est poursuivie elle aussi après la fin officielle des négociations.

D’abord, un processus de nettoyage juridique du texte devait être effectué afin de s’assurer de la cohérence juridique du texte[17]. Par la suite, le texte anglais devait être traduit dans les autres langues officielles de l’accord, soit le français et l’espagnol. Bien que le Québec ne soit pas officiellement consulté dans ces deux phases, le gouvernement du Québec y est quand même intervenu pour s’assurer que certains libellés spécifiques plus sensibles soient rédigés, dans la version finale, d’une façon qui convienne au Québec. Certaines incohérences entre le projet de texte français et le texte original anglais ont également été soulignées au gouvernement fédéral pour être corrigées.

Outre cela, le Québec a suivi de près les négociations entre l’administration américaine et le Parti démocrate sur les modifications à apporter à l’ACÉUM pour que les démocrates appuient la loi de mise en oeuvre qui devait être adoptée par le Congrès américain[18]. Le tout aura mené à la signature par les parties, le 10 décembre 2019, d’un Protocole d’amendement de l’ACÉUM. Ce dernier aura notamment entraîné le renforcement des obligations en travail et en environnement, de même que l’élimination de la disposition exigeant une période de protection des données des médicaments biologiques d’une durée de dix ans. Le Québec était favorable à ces modifications et l’avait laissé savoir au gouvernement canadien.

Même une fois l’accord stabilisé, les échanges entre les parties se sont poursuivis sur la mise en oeuvre de l’accord. Les discussions entourant la réglementation uniforme pour les règles d’origine ont soulevé des enjeux et le Québec a, jusqu’à la toute fin, maintenu un dialogue avec le gouvernement fédéral et les entreprises québécoises concernées afin de défendre les intérêts de ces dernières. De sérieux efforts de communication ont aussi été déployés auprès des entreprises exportatrices québécoises afin de s’assurer qu’elles soient au courant des changements entraînés par l’ACÉUM et qu’elles adaptent la documentation douanière accompagnant leurs exportations aux États-Unis et au Mexique, le cas échéant.

Pour les secteurs sous gestion de l’offre, le gouvernement québécois a fait des représentations auprès du gouvernement fédéral sur la façon d’attribuer les contingents d’importation de manière à minimiser les impacts pour l’industrie québécoise. Des représentations visant l’octroi par le gouvernement fédéral de compensations justes et équitables aux producteurs et transformateurs de produits sous gestion de l’offre affectés par l’ACÉUM ont également été régulièrement effectuées.

Lorsque l’ACÉUM est entré en vigueur, le 1er juillet 2020, le gouvernement du Québec devait encore, pour se conformer à l’accord, modifier la Loi sur la taxe de vente du Québec[19] afin de rehausser à 40 $ le seuil à partir duquel est perçue la taxe de vente du Québec sur les biens envoyés par service de livraison à partir du Mexique ou des États-Unis. De plus, le Québec devait encore se déclarer lié à l’ACÉUM, en vertu de la procédure prévue aux articles 22.1 et suivants de la Loi sur le ministère des Relations internationales[20]. Parmi les principales étapes, notons que l’Assemblée nationale du Québec doit prendre connaissance de l’accord et l’approuver (ou le rejeter) par motion et le gouvernement doit ensuite adopter un décret pour que le Québec se déclare officiellement lié à l’accord.

Cela conclut la phase de négociation et de mise en oeuvre initiale de l’accord. L’accord étant dynamique, le travail se poursuit ensuite à travers les différents comités mis en place et visant à prévenir et régler les irritants commerciaux. Certaines négociations prévues dans l’accord — telles que celle visant à étendre aux gouvernements des provinces, états et territoires les obligations du chapitre 22 sur les entreprises d’État et monopoles désignés — ont aussi été lancées. Le Québec participe activement à ces négociations.

Bref, même une fois la négociation terminée, le travail du gouvernement du Québec entourant l’ACÉUM se poursuit.

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La renégociation de l’ALÉNA a impliqué un travail colossal pour le Québec en raison des impacts potentiels tant sur les pouvoirs de réglementer que sur les entreprises québécoises. Pour ce faire, la quasi-totalité des ministères et sociétés d’État ont mis à profit leur expertise pour défendre les intérêts du gouvernement du Québec et des citoyens québécois et s’assurer de conserver un accès commercial privilégié à ce vaste marché de plus de 450 millions d’habitants. Cet exercice a pu être réalisé grâce à un important travail de coordination et de collaboration au sein du gouvernement du Québec, mais aussi entre les provinces et territoires canadiens et avec le gouvernement fédéral, de même qu’avec un vaste effort déployé par le réseau diplomatique québécois au Mexique et aux États-Unis.

Bien que le commerce extraprovincial, et donc la négociation d’accords commerciaux internationaux, soit officiellement une compétence du gouvernement fédéral, il apparaît clair que les provinces ont un rôle crucial à jouer lors de la négociation de ces accords. Ce rôle est d’ailleurs grandissant, étant donné que ces accords vont dorénavant largement au-delà de la simple libéralisation des tarifs douaniers et couvrent de larges champs de compétence des provinces. En effet, un accord comme l’ACÉUM touche la capacité du gouvernement du Québec de réglementer les services, d’attirer l’investissement, d’imposer des obligations en matière de réglementation environnementale et de droit du travail, affecte les revenus de taxation de l’État, encadre les actions d’entreprises d’État comme la SAQ, et traite de protection des consommateurs et du commerce numérique. Autant de sphères où le gouvernement du Québec légifère et réglemente quotidiennement. Évidemment, on doit ajouter à cela le travail que le gouvernement du Québec fait pour défendre les intérêts de ses entreprises dans le cadre des négociations, travail d’autant plus utile et apprécié par les PME québécoises qui ont parfois l’impression d’être loin de ces négociations.

Pour toutes ces raisons, l’implication des provinces dans le cadre des négociations d’accords de libre-échange est incontournable. Le gouvernement du Québec assume volontiers un rôle de leader dans cette participation des provinces aux négociations commerciales canadiennes, comme l’a démontré la négociation de l’ACÉUM.