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Le rapport entre les traditions religieuses et l’environnement est un sujet aussi fascinant qu’important. La quatrième de couverture de ce collectif tempère les attentes en indiquant que ce volume ne fait que « gratter la surface ». La préface d’André Beauchamp indique qu’il s’agit d’un premier ouvrage en français au Québec sur le rapport religions et écologie. Les neuf chapitres proposent une réflexion sur le jaïnisme, l’hindouisme, le sikhisme, la cosmologie innue, le judaïsme et le christianisme.

Le premier chapitre écrit par Marie Hélène Gorisse présente les conceptions du monde dans le jaïnisme par le concept de co-responsabilité des âmes. Elle expose l’organisation du monde jaïn par les catégories du réel et une taxonomie des êtres vivants dans lequel « toute plante vivante et dans tout animal vivant, il y a forcément une ou plusieurs âmes » (p. 15). Le jaïnisme accorde une grande importance aux nombres de sens possédés pour classifier le vivant. Ainsi, il ne donne pas une place centrale à l’être humain puisque plusieurs autres animaux, dieux et démons ont l’usage de cinq sens et l’usage de l’intellect. Cette tradition invite à repenser la « nature » qui n’est pas quelque chose d’extérieur aux humains.

Philippe Cadène, dans le deuxième chapitre, investigue le rapport entre l’hindouisme et l’écologie par un regard sociologique sur l’Inde et ses rapports conflictuels à l’environnement. Les textes sacrés de l’hindouisme « prônent l’inclusion des hommes et des femmes dans la nature et valorisent l’harmonie entre êtres vivants, humains, animaux, plantes » (p. 32). Cadène indique que le système des castes délimite les humains, mais aussi les animaux dans une grille hiérarchique établie selon la pureté spirituelle. L’intérêt est mis sur la société indienne et les luttes pour la défense de l’environnement. Divers acteurs sont présentés, comme Vandana Shiva, militante écologique et féministe qui invoque le principe de Prakriti, qui considère la nature comme une force vivante et indépendante.

Le troisième chapitre composé par Julie Vig décrit la démarche spirituelle et l’engagement éthique des Sikhs. Elle raconte l’événement fondateur du sikhisme qui commence par une plongée dans l’eau de Guru Nanak. Elle décrit quelques concepts sikhs dont le pouvoir créateur (kudarati) de l’Un qui s’étend à tout l’univers. Ainsi, le divin se retrouve partout. Vig souligne l’engagement social sikh ainsi que la démarche spirituelle par laquelle on ne peut s’approcher du divin qu’en devenant en harmonie avec la nature.

Émile Duschesne propose un chapitre fascinant (et illustré !) sur la fluidité des catégories humaines et animales dans la cosmologie innue. Pour situer les études autochtones, il introduit aux théories anthropologiques qui ont marqué le domaine (structuralisme, matérialiste et ontologique). Duschesne transmet les récits des temps primordiaux (atanukana) qu’il a entendus lors d’un voyage de chasse qu’il a entrepris avec un aîné et un groupe de jeunes. Dans ces récits, les personnages sont généralement en partie animaux et humains. Ils montrent la frontière fragile entre l’humanité et l’animalité et permettent aux auditeurs de prendre la perspective d’un animal. Le rapport à l’environnement des Innus se comprend par une hiérarchie des puissances dans laquelle humains et animaux doivent composer avec des entités qui sont en quelque sorte les gardiens des animaux et qui imposent normes et sanctions.

Deux chapitres sont consacrés au judaïsme. Jonathan Aikhenbaum, directeur de Greenpeace Israël, propose une refonte de l’éthique juive à partir de ce qu’il nomme « urgence climatique » et « effondrement majeur ». Il présente un principe de responsabilité appliquée appelé Bal Tashrit (tu ne dégraderas pas), qui provient de la volonté divine de préserver des arbres fruitiers lors de la destruction d’une ville par un siège (Dt 20,19-20). Pour le judaïsme, Dieu est le propriétaire de la terre et « l’homme » doit être « une (sic) gestionnaire responsable » (p. 92). Aikhenbaum invite à développer une Halakha verte avec une portée plus mondiale qu’individuelle ou communautaire qui pourrait mener à un « nouveau judaïsme ». Dans le chapitre suivant, Sophie Nizard traite plus spécifiquement du rapport aux animaux dans le judaïsme. Elle souligne que les animaux étaient omniprésents à l’époque du Temple, mais qu’ils sont aujourd’hui absents ou substitués dans le rite synagogal. Elle discute du rapport à la nourriture carnée et à l’abatage des animaux. Elle indique enfin que « la Halakha, la loi religieuse juive, ne pourra pas à l’avenir […] faire l’impasse d’une réflexion profonde sur l’évolution du rapport homme-animal et sur le statut des animaux comme objets de droit » (p. 113).

Richard Foltz écrit un chapitre sur le rapport entre l’islam et la crise environnementale. Il traite de cette question dans le rapport tendu entre l’Occident et le monde musulman. Il souligne qu’aucun gouvernement musulman ou mouvement islamiste ne fait de la protection de l’environnement une priorité. Pourtant, il présente l’islam comme « une religion “assez écologique”, au moins en comparaison avec le christianisme » (p. 151) en soulignant que l’être humain est un « intendant (kalîfa), qui a reçu la terre en fidéicommis (amânat) et qui oublie que Allah est le vrai propriétaire de la Création » (p. 152).

Trois chapitres portent sur les perspectives chrétiennes. Martin Kopp propose une excellente réflexion sur le protestantisme et la nature. Il distingue la théologie de la création d’une théologie contextuelle nommée théologie écologique ou écothéologie. En s’appuyant notamment sur les remarquables contributions de Conradie et Horrell[1], Kopp présente une trajectoire de l’intérêt pour l’écologie en sciences bibliques. Devant la critique de Lynn White[2], le premier mouvement fut de tenter de « sauver » les textes bibliques ; le second développa une herméneutique du soupçon pour débusquer l’anthropocentrisme des textes bibliques. Au passage, Kopp note l’apport du Conseil oecuménique des Églises et de l’écoféminisme. Kopp propose aussi un regard critique sur les traditions protestantes qui, par l’idéologie de la croissance, la théologie de la prospérité et une affinité pour un esprit du capitalisme, ont un rapport économique qui peut faire partie du problème. Il en va de même pour un concept du salut uniquement orienté vers les humains ou un discours eschatologique qui souligne que notre monde sera détruit et remplacé. Kopp reprend Conradie pour indiquer que cette critique écologique du christianisme est aussi importante que la critique chrétienne de la destruction environnementale.

Le chapitre de Cory Andrew Labrecque et la postface de Thomas De Koninck portent tous deux sur la perspective catholique, particulièrement développée dans Laudato si’. Après une critique de l’article de Lynn White, Labrecque se concentre sur les prises de position du Magistère qui ont précédé l’encyclique du pape François. Pie XII est cité pour une affirmation qui souligne le caractère sacré du pain et de la terre. Paul VI traite de « l’exploitation inconsidérée de la nature » menant vers une « véritable catastrophe écologique ». Jean-Paul II est présenté par son apport à la place de l’homme dans la création comme « maître », « gardien » et non comme « exploiteur » ou « destructeur » (p. 121). Benoît XVI est présenté par quelques questions qui placent l’écologie au sein des droits humains. Labrecque conclut sa lecture de Laudato si’ en soulignant l’intégration, l’interconnectivité et l’interrelation entre les êtres humains et la création. La postface de Thomas De Koninck traite notamment du paradigme technocratique auquel il faut résister selon Laudato si’ pour indiquer que « la racine de la crise écologique n’est autre que l’anthropocentrisme moderne, qui a fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité » (p. 166).

Ces contributions importantes sur diverses religions dans leur rapport à l’environnement permettent de sortir d’un certain discours non critique dans lequel toutes les religions se valent. Chacune à un apport distinct sur les enjeux écologiques et ce livre permet d’ouvrir le regard sur cette diversité de points de vue. Cela dit, l’absence de synthèse est le point faible de l’ouvrage. La courte préface d’André Beauchamp s’intéresse aux réponses aux crises mondiales. Elle invite à poursuivre la réflexion vers d’autres traditions qui n’ont pas trouvé une place dans ce livre, mais elle n’entre pas dans un dialogue avec celles qui le sont. La même critique va pour la postface qui n’offre qu’un dialogue avec le chapitre sur la perspective catholique. Ce livre propose donc plusieurs perspectives juxtaposées sans regards croisés, sans comparaison, sans dialogue.

Pourtant, il y a plusieurs liens possibles. Le judaïsme, le christianisme et l’islam ont des postures anthropocentriques pratiquement toujours discutées à partir de Gn 1,28, qui place l’humain dans un rapport de domination vis-à-vis du reste de la création. Une solution potentielle pourrait venir du titre de ce collectif provenant du livre de Job. Dans ce livre biblique (qui n’est pas commenté par ce collectif), Dieu répond aux questions de Job en lui offrant de changer sa perspective humaine pour contempler les autres animaux en relation directe avec Dieu ou l’ensemble du cosmos échappant à la compréhension humaine. Bref, la Bible offre des passages remettant en question l’anthropocentrisme biblique. Les chapitres du volume portant sur les religions orientales et sur la cosmologie autochtone montrent comment d’autres systèmes religieux insistent sur les liens entre humains, animaux et végétaux, voire la terre dans son ensemble. Pour le lecteur occidental et chrétien que je suis, ces chapitres contribuent à ouvrir mon esprit à d’autres bases pour penser le rapport à l’environnement.

Je ne peux passer sous silence quelques problèmes éditoriaux. Au-delà de quelques coquilles, on retrouve une question adressée par une autrice à l’éditeur qui ne sera jamais répondue (p. 108, n. 17). Si une autrice utilise une forme de rédaction épicène pour parler des Sikhs, certains chapitres parlent de « l’homme » comme un terme englobant l’humanité composée au moins à moitié de femmes. Comment justifier ce dernier usage androcentrique dans un ouvrage qui remet en question l’anthropocentrisme ? Les travaux écoféministes pourraient être des ressources utiles pour repenser cette pratique.

Le rapport aux enjeux écologiques est aussi très différent d’un chapitre à l’autre. Si Jonathan Aikhenbaum traite d’un effondrement majeur, d’autres parlent plutôt de « crise écologique », mais quelques chapitres ne traitent pas du tout de la question. Par exemple, l’excellent chapitre sur la cosmologie autochtone présente très clairement le rapport à la nature chez les Innus, mais s’arrête sans aider le lectorat à penser aux effets de cette posture sur les enjeux environnementaux actuels.

Lynn White comprenait déjà en 1967 que nous étions dans une « crise écologique ». Sa critique des racines chrétiennes peut être contestée pour plusieurs raisons, mais elle a réussi à ouvrir la question du rapport aux religieux de cette crise. Ce livre est une contribution importante et invite d’autres travaux à poursuivre sur cette thématique vitale.