Corps de l’article

Introduction

« La PME a le vent en poupe ». C’est avec cette expression que Pierre-André Julien, Michel Marchesnay et Robert Wtterwulghe inaugurent en 1988 la toute première revue internationale francophone dans le domaine des PME et de l’entrepreneuriat. Au sens littéral, cette expression signifie, pour un bateau à voile, qu’un vent venant de l’arrière favorise sa navigation. La métaphore maritime appuyait astucieusement un double constat, qui reste encore d’actualité.

Sur le plan empirique, les PME représentent plus de 95 % des entreprises dans la plupart des économies et demeurent la principale source de nouveaux emplois. Elles constituent un vecteur essentiel de maillage et de revitalisation des territoires et contribuent à près de 40 % de la valeur ajoutée de grands pays industrialisés comme le Canada (PSRPE, 2021) et la France (Insee, 2019) et jusqu’à 60 % pour la Belgique (Statbel, 2019). Ces chiffres sont sans doute tout aussi significatifs dans la plupart des économies francophones du continent africain.

Dans la sphère académique, les PME connaissent un engouement croissant de la part des chercheurs. L’impulsion a été donnée par la communauté anglophone avec la création de revues pionnières entre le début des années soixante et le début des années quatre-vingt, aux États-Unis (Journal of Small Business Management ; American Journal of Small Business ; Journal of Business Venturing) et en Grande-Bretagne (International Small Business Journal). C’est dans ce contexte qu’un groupe de chercheurs francophones, issus de différentes disciplines et de plusieurs pays, décida de créer la Revue internationale PME, dite RIPME.

Mais la RIPME ne se limite pas aux recherches sur les PME. En effet, la revue accorde une place tout aussi significative aux recherches en entrepreneuriat (voir à cet effet le texte de Gaël Gueguen dans ce numéro). Ce choix est cohérent pour au moins deux raisons. D’une part, les nouvelles entreprises sont des PME. D’autre part, les PME, même matures, peuvent partager de nombreuses caractéristiques avec des entreprises inscrites dans des dynamiques entrepreneuriales : taille, agilité, capacité d’innovation, posture du dirigeant, perméabilité vis-à-vis de l’environnement, etc. Ainsi, la RIPME vise également à offrir un espace de publication privilégié pour les chercheurs en entrepreneuriat.

Le positionnement stratégique de la RIPME se veut d’emblée différenciant : il s’agit d’une revue académique de haut niveau, internationale, et francophone. Sa mission est de « soutenir les recherches et multiplier les échanges entre chercheurs » spécialisés dans le domaine des PME, objet considéré comme mal connu. La revue est portée par une vision ambitieuse : « devenir le premier organe des chercheurs d’expression française en ce domaine » (Julien, Marchesnay et Wtterwulghe, 1988, p. 6). Aujourd’hui, la RIPME fête son 35e anniversaire et se positionne comme la revue francophone de référence dans les domaines des PME et de l’entrepreneuriat avec près de 850 articles publiés depuis son lancement.

Cet anniversaire est l’occasion de faire un bilan de l’apport de la RIPME. Le volume de publication étant très significatif, nous avons choisi de mobiliser les méthodes bibliométriques pour faire un état à la fois exhaustif et rigoureux des conversations qui ont jalonné l’histoire de la revue, et qui ont oeuvré à sa structuration.

À partir de notre étude bibliométrique, nous identifions cinq grandes conversations permettant d’appréhender, sous des angles complémentaires, cet objet complexe et multiple que constituent les PME, incluant la dimension entrepreneuriale. Les auteurs de la revue ont ainsi exploré l’environnement d’affaires des PME, mais aussi les questions relatives à leur gestion, à leur croissance, à leur cycle de vie ou encore à leur impact sociétal. Chaque conversation se décline en triptyques thématiques, offrant une analyse fine et détaillée des questions relatives à la vie des PME.

1. Une double étude bibliométrique

La bibliométrie est un ensemble de techniques quantitatives visant à étudier un large échantillon de documents scientifiques sur la base des références bibliographiques citées (De Solla Price, 1965). Nous avons opté pour l’emploi de deux techniques bibliométriques, soit l’analyse de cocitation (Garfield, 1979 ; Small, 1973) et l’analyse de couplage bibliographique (Kessler, 1963). Ces outils, qui peuvent être utilisés de façon complémentaire (Walsh et Renaud, 2016), permettent d’identifier différentes tendances dans la littérature (Zupic et Čater, 2015). L’analyse de cocitation (ACC ou CCA pour l’acronyme anglais) met en évidence les collèges invisibles (Noma, 1984), à savoir les ensembles d’articles les plus cités, partageant des conceptions théoriques, thématiques ou philosophiques communes et qui influencent la manière dont un corpus de recherche s’est constitué. L’analyse de couplage bibliographique (ACB ou BCA pour l’acronyme anglais[1]), pour sa part, permet de cartographier un champ de recherche à partir de la proximité intellectuelle des articles qui le composent. Ces articles constituent le front de la recherche (Jarneving, 2005) et sont répartis dans différents groupes, formant des conversations scientifiques. Le CCA porte donc sur les références citées pour identifier la logique de développement du champ, alors que le BCA porte sur les articles citant pour mettre en avant les tendances de recherche sur la période étudiée[2].

1.1. Échantillonnage

L’éditeur de la revue nous a fourni le fichier contenant l’ensemble des données bibliographiques des 843 documents publiés dans RIPME depuis 1988. Nous avons retenu 599 articles après élimination de 244 publications ne citant pas de références bibliographiques (éditoriaux, revues d’ouvrages, présentations de projets, etc.). Dans un deuxième temps, nous avons effectué une opération de nettoyage de près de 30 000 références citées par les auteurs afin de s’assurer que chaque référence soit proprement citée et que le logiciel VOSviewer 1.6.11 utilisé pour obtenir les résultats puisse correctement effectuer ces opérations de correspondance. Cette étape garantit la qualité des résultats obtenus. Nous avons ensuite reconstitué la base de données en l’adaptant au format du logiciel. Enfin, pour faciliter l’analyse, nous avons réparti les 35 années de publications en 7 périodes de 5 ans relativement homogènes en matière d’articles publiés (Tableau 1). Ces périodes apportent davantage de granularité à nos résultats et offrent des éléments de contextualisation pour mieux appréhender l’évolution des thématiques au sein de la revue. Ce choix, communément suivi dans des articles ayant le même objectif (Renaud et Maucuer, 2018 ; Walsh et Taupin, 2018), est également guidé par des considérations techniques afin de garantir un maximum de cohérence dans le calcul des indices de proximité entre les articles. En effet, les références citées évoluant avec le temps, il est plus pertinent de limiter la période d’étude afin de garantir une certaine homogénéité de citations entre les articles. L’originalité de notre méthode est d’avoir considéré nos résultats d’un point de vue thématique, en regroupant des catégories émergeant des périodes, comme nous le présentons dans le tableau 1 et la figure 2.

1.2. Traitement des données

1.2.1. L’analyse de couplage bibliographique (BCA)

Une fois les bases constituées, nous avons réalisé un BCA pour chacune d’elles. Le BCA permet un regroupement d’articles sur la base du nombre de références qu’ils partagent (Figure 1). L’hypothèse sous-jacente est que plus deux articles partagent des bibliographies similaires, c’est-à-dire un indice de couplage bibliographique important, plus ils partagent un intérêt commun.

Figure 1

Logique du couplage bibliographique

Logique du couplage bibliographique

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Une fois la procédure réalisée sur les sept périodes, nous avons procédé à un premier niveau d’interprétation en labellisant chacun des groupes d’articles à partir de la lecture de leur titre. En ligne avec le principe défendu par le fondateur de la bibliométrie moderne, John Derek De Solla Price, certains articles ont été réaffectés manuellement pour renforcer la cohérence des différents clusters. Les articles dont la proximité bibliographique était insuffisante n’ont pas été catégorisés par le logiciel. Dans ces cas, nous les avons labélisés a posteriori et manuellement à partir de la lecture de leur résumé. Nous avons ensuite regroupé les 63 clusters labellisés et les avons organisés en quatorze sous-thématiques elles-mêmes organisées en cinq grandes catégories, chacune correspondant à une dimension particulière des PME.

Cette catégorisation est le fruit d’un quadruple codage. Un précodage statistique du logiciel permet un premier tri des articles. Les trois autres, réalisés par les auteurs, donnent du sens aux données. Le codage ouvert (codage de premier ordre) permet de décrire « ce qu’il se passe dans les données » (Holton, 2007, p. 24) en identifiant les variables clés, à savoir le sens de chaque cluster émergeant du BCA. Le tableau 1 décrit les codes de premier ordre établis à partir des résultats fournis par le logiciel pour chaque période. Le codage axial (codage de deuxième ordre) sert à créer des catégories reliant les variables entre elles, c’est-à-dire trouver des éléments de cohérence entre les clusters. Enfin, le codage sélectif (codage de troisième ordre) nous permet d’intégrer les catégories entre elles et de proposer une modélisation de la recherche publiée dans la revue. La figure 2 offre une synthèse des trois niveaux de codage et de la modélisation de la recherche.

Tableau 1

Répartition des clusters par période

Répartition des clusters par période

Tableau 1 (suite)

Répartition des clusters par période

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Figure 2

Structure du codage à trois niveaux

Structure du codage à trois niveaux

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1.2.2. L’analyse de cocitation (CCA)

À partir de la liste des articles composant chaque dimension mise en évidence dans la procédure de codage, nous avons constitué sept nouvelles bases de données que nous avons traitées selon les principes de l’analyse de cocitation. Le CCA s’intéresse aux références citées dans un corpus de recherches scientifiques. Deux références sont cocitées lorsqu’elles sont citées simultanément dans une recherche (Figure 3). Le CCA repose donc sur deux hypothèses. La première considère que la répétition de citations d’une paire d’articles démontre leur complémentarité (Callon, Courtial et Penan, 1993). La seconde suppose que des chercheurs qui cocitent les mêmes références partagent une vision commune de leur domaine de recherche (Small, 1973).

Figure 3

Logique de la cocitation (Walsh et Renaud, 2017)

Logique de la cocitation (Walsh et Renaud, 2017)

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La démarche débute par l’identification du « coeur intellectuel » (Noma, 1984) composé par les articles les plus cités. Nous avons décidé d’éliminer l’ensemble des références purement méthodologiques afin de nous concentrer sur les travaux théoriques. Ensuite, les articles composant le coeur intellectuel sont regroupés en « collèges invisibles », c’est-à-dire en ensembles cohérents d’articles partageant un centre d’intérêt. Les résultats sont proposés sous la forme de cartographies dans lesquelles les collèges invisibles se distinguent par leur couleur, la taille de leur noeud étant proportionnelle au nombre de citations des références correspondantes.

2. Cinq triptyques pour appréhender les PME

Le BCA nous a permis d’identifier les grandes thématiques étudiées au sein de la RIPME. Depuis sa création, les publications se sont structurées autour de cinq thèmes génériques couvrant les problématiques stratégiques et organisationnelles des PME : 1) l’environnement d’affaires des PME, 2) la croissance des PME, 3) le cycle de vie des PME, 4) la gestion des PME et 5) l’impact sociétal des PME. Ces thèmes se déclinent en triptyques de conversations (sauf le dernier qui est un diptyque) offrant une vision complète des PME. Ils offrent un regard panoramique sur les PME, tant sur leur gestion quotidienne et stratégique que sur leurs rapports avec leurs environnements financiers, d’affaires ou encore sociétaux.

2.1. Triptyque 1 : l’environnement d’affaires des PME

2.1.1. CCA T1 : coeur intellectuel sur l’environnement d’affaires des PME

Le coeur intellectuel « environnement d’affaires des PME » est ancré dans le champ de l’économie industrielle et pose les bases théoriques de ce triptyque. L’ouvrage de Piore et Sabel (1977) montrait la nécessaire transition d’une économie de production de masse à un modèle industriel basé sur la flexibilité et la territorialité qui favorise l’émergence des PME. Cette spécialisation locale permettrait aux pays d’obtenir une forme d’avantage concurrentiel dans la compétition internationale (Porter, 1985). Le chapitre de Marshall (1890) relatif à la concentration locale des industries spécialisées et qui introduit le concept de district industriel fait directement échos au débat entre Williamson (1987) et Granovetter (1985). Ce dernier concevant les organisations comme des « constructions sociales » résultant de leurs interactions avec des acteurs. Ces éléments permettent d’envisager des comportements de coopération (Ringh et Van de Ven, 1994 ; Baudry, 1995) particulièrement entre petites entreprises qui bénéficieraient pleinement d’effets de proximité (Torrès, 2003). Cette vision offre également une alternative à la théorie des ressources (Barney, 1991) fondée sur les travaux de Penrose (1959). Ces références se conjuguent avec deux contributions d’auteurs italiens qui servent de base à l’analyse des districts industriels (Bagnasco, 1977 ; Becattini, 1987). Nous trouvons également des références qui ancrent ces débats dans le champ des PME et de l’entrepreneuriat (Julien et Marchesnay, 1988, 1996 ; Marchesnay, 1991). Les grandes conversations de ce triptyque sont : l’industrie, les réseaux et les partenaires.

2.1.2. BCA T1.1 : l’industrie

Durant la première décennie de la revue, une attention particulière a été portée à la question du rôle des PME dans le développement économique, tant au niveau local que national.

En effet, alors que la crise frappait durement les industries traditionnelles et plus largement les territoires dans lesquels elles étaient installées, les PME offraient des perspectives crédibles de redynamisation et de reconversion économiques des régions sinistrées. Cela soulève la question des actions que les pouvoirs publics doivent mener pour l’émergence de modèles de développements plus localisés. Dans un autre cadre, elles ont également joué un rôle capital dans la transition des économies des pays de l’Est vers le capitalisme suite à l’éclatement du bloc soviétique. Enfin, plus récemment, une réflexion a été menée sur l’accompagnement par les pouvoirs publics africains des TPE de l’économie informelle dans le développement de leur économie.

Le maillage territorial des PME est une problématique particulièrement étudiée sur cette période et est apparu dans la revue à la faveur de la publication du numéro spécial fondateur dédié au tissu industriel italien (volume 2, numéro 2) qui offre un modèle archétypal de la gestion d’un district industriel dans lequel les PME occupent une place centrale. Une quinzaine d’articles décrivent ce modèle d’organisation en adoptant une lecture décalée du phénomène qui, plutôt que de s’inscrire dans la pure tradition de l’économie industrielle marshallienne, cherche à comprendre leurs émergences et les dynamiques qui les traversent, les enjeux culturels et institutionnels, leurs interactions avec leur environnement économique, social et géographique et leurs conséquences pratiques sur l’innovation et la dynamisation des échanges commerciaux. Le concept de district industriel est pris comme un outil d’action pertinent à destination de pouvoirs publics dans une perspective de transformation et de dynamisation d’un tissu économique local.

À l’inverse, un autre ensemble d’articles s’intéresse à l’impact sur les PME de leur ancrage local. Sur la première période étudiée, l’accent est mis sur l’importance des synergies locales, la capacité d’innovation de ces entreprises et de leur accompagnement par les politiques publiques. Plus précisément, l’État joue un rôle essentiel dans l’émergence d’un milieu innovant ou innovateur, à savoir un réseau d’innovation territorialisé. Ce dynamisme local est un facteur explicatif de la création et de l’innovation des PME, notamment du fait de l’accès à de l’information de qualité et des potentialités d’apprentissage qu’il procure. La question de la proximité est essentielle pour le développement des PME. Elle leur permet de dépasser leurs difficultés d’accès au financement ou encore de favoriser le développement de réseaux de collaboration avec leurs partenaires-concurrents.

La réflexion s’est ensuite progressivement tournée vers la structure des industries en se focalisant entre autres sur la constitution de groupes stratégiques ou sur l’identification des stratégies génériques des PME dans différentes industries. D’autres s’intéressent plus spécifiquement aux enjeux des rapports de sous-traitance pour les PME, obligeant certaines à s’engager dans des démarches de qualité. Enfin, nous trouvons une réflexion autour des coentreprises, particulièrement dans le cadre de relations asymétriques de collaboration entre entreprises du Nord et du Sud.

2.1.3. BCA T1.2 : les réseaux

À partir de 2003, la dimension industrielle laisse la place à une approche plutôt orientée réseaux qui porte tant sur des problématiques d’innovation que de gestion des affaires. Reprenant l’idée que l’innovation au sein des PME dépend largement de son environnement, les chercheurs se sont penchés sur les déterminants de l’innovation dans des contextes variés de configurations dans le cadre de relations de sous-traitance, d’ancrage territorial et institutionnel différent, ou encore dans celui de clusters d’innovation. Un consensus émerge sur l’importance du réseau social des PME et de leur capacité à coopérer pour innover.

La réflexion s’étend également aux réseaux d’affaires de l’entreprise, avec la constitution de groupements d’organisations permettant la mise en commun de ressources de gestion ou l’optimisation de pratiques, notamment pour la réalisation d’activités sociales et solidaires. D’autres articles abordent les enjeux de la collaboration interentreprises et les risques de dépendance en situation de sous-traitance ou de perte de contrôle des PME dans le cadre d’alliances asymétriques. La proximité apparaît ici comme un facteur de réduction des risques pour le dirigeant de PME. Notons que nous retrouverons des thématiques relativement proches dans le triptyque 4 autour de l’innovation.

Enfin, une conversation entière porte sur l’utilisation des ressources et des compétences par les PME dans leurs interactions avec leur environnement. Une partie des articles s’intéressent à la manière dont les PME activent des ressources externes, comme les ressources territoriales ou les instituts de formation, qui ont une dimension stratégique pour ces entreprises, ou encore la mobilisation du réseau pour faciliter l’internationalisation. Outre la problématique de l’innovation, nous trouvons également des travaux orientés autour de la gestion de ressources humaines, que ce soit pour attirer des collaborateurs ou pour évaluer le recours à des formations externalisées. D’autres articles adoptent une perspective inverse puisqu’ils s’intéressent à la manière dont l’entreprise peut mobiliser ses propres ressources pour interagir avec son environnement. Cela passe par la constitution d’une capacité dynamique d’internationalisation, de la capacité du dirigeant à mobiliser efficacement les ressources et compétences de sa PME pour faire face à un environnement turbulent.

2.1.4. BCA T1.3 : les partenaires

D’autres articles vont plus loin dans l’analyse du réseau relationnel de l’entreprise en se penchant sur les stratégies collectives impliquant les PME selon trois perspectives. La première s’intéresse au rôle de l’écosystème dans la création d’entreprise et traite plus spécifiquement de l’entrepreneuriat collaboratif, de l’ancrage territorial de l’entrepreneur et de son insertion dans un réseau d’affaires et de parties prenantes. La deuxième traite de la dynamique coopétitive en soulignant sa dimension spatiale. Enfin, certains auteurs se concentrent sur les partenariats interentreprises en insistant sur le rôle du dirigeant dans la constitution d’un capital social favorisant la collaboration. Celle-ci permet un meilleur partage de connaissances et peut stimuler l’innovation sous toutes ses formes. Quelle que soit la stratégie collective adoptée, la confiance est considérée comme primordiale et permet de se prémunir des risques associés.

Toujours dans une dimension partenariale, la collaboration interfirme est perçue selon deux prismes. Le premier s’intéresse aux collaborations étroites entre PME au sein de coentreprises ou de partenariats, en particulier dans le cadre des pays en voie de développement. D’autres travaux se focalisent sur le cas des alliances stratégiques asymétriques entre grandes entreprises et PME et les enjeux de gestion qu’elles rencontrent, tant du point de vue de la confiance que de l’interculturalité.

2.2. Triptyque 2 : la croissance des PME

2.2.1. CCA T2 : coeur intellectuel sur la croissance des PME

Le coeur intellectuel du triptyque « croissance des PME » pose les fondements théoriques des trois conversations qui le constituent : stratégie (Penrose, 1959 ; Porter, 1985 ; Barney, 1991), internationalisation (Johanson et Vahlne, 1977) et financement et gouvernance des PME (Jensen et Meckling, 1976 ; Myers, 1984 ; Julien et Marchesnay, 1996 ; Marchesnay, 1991). Le premier ensemble de références aborde la question stratégique de la croissance et de l’hyper-croissance de l’entreprise (Greiner, 1997 ; Delmar, Davidsson et Gartner, 2003), en mettant l’accent sur la gestion des ressources. Dans cette lignée, la question de l’internationalisation des PME (Bilkey et Tesar, 1977) est également introduite. Enfin, un ensemble d’articles pose les bases de la discussion sur les spécificités financières des PME (Ang, 1991 ; Petersen et Rajan, 1994) et sur les problématiques de financement qu’elles peuvent rencontrer (Myers et Majluf, 1984 ; Stiglitz et Weiss, 1981).

2.2.2. BCA T2.1 : stratégie

Le thème de la stratégie apparaît tout au long de la vie du journal et aborde cinq grandes questions pour les PME. La première est celle de la planification stratégique et est apparue dès les premières années de la revue. Elle se fonde sur la compréhension de l’environnement, la vision stratégique du dirigeant, ainsi que sur la capacité de l’entreprise à s’approprier les ressources et les pratiques nécessaires à sa mise en oeuvre. La deuxième question est celle de la veille stratégique. Elle est centrale dans cet héritage et traverse les époques. Elle est essentiellement appréhendée sous un angle stratégique, donc dans son lien à la construction d’un avantage concurrentiel, mais également sous un angle marketing, comme levier de compréhension du consommateur. La troisième question porte sur les modalités de développement des PME et prend une place grandissante dans la revue. Elle est traitée à travers l’influence des dirigeants et de leurs décisions, mais aussi à travers les enjeux propres aux différentes modalités : croissance externe, coopération interfirme, intégration, etc. La quatrième question est celle du pilotage de la performance des PME, qui tient une place privilégiée, avec la publication de trois numéros spéciaux dédiés (2001, 2003 et 2015). Dans ce cadre, la problématique des PME à forte croissance a fait l’objet d’une attention particulière et a été particulièrement structurante. Finalement, la mise en oeuvre de la stratégie, en particulier de la gestion de la croissance, constitue une question importante, puisque régulièrement traitée dans l’histoire de la revue. Les problématiques associées sont variées et couvrent les différents champs de la gestion : management, organisation, jeux politiques, contrôle de gestion, outils de gestion, gestion des risques, etc.

2.2.3. BCA T2.2 : internationalisation

L’internationalisation des PME est une conversation structurante puisqu’on la retrouve en continu sur 25 années d’existence de la revue. Deux grandes tendances de recherche peuvent être distinguées. La première se focalise sur les antécédents de l’internationalisation des PME. Les contingences externes aux entreprises ont un impact fort sur la décision de s’internationaliser, notamment la manière dont les PME peuvent s’appuyer sur des ressources externes telles que des dispositifs d’accompagnement ou les réseaux locaux et de sous-traitance. Toutefois, la plupart des articles se concentrent sur l’identification des multiples facteurs à l’origine de l’internationalisation, qu’ils soient organisationnels, stratégiques, sectoriels. D’autres travaux abordent les modalités stratégiques choisies par les PME telles que les alliances et partenariats, comme nous l’avons déjà évoqué dans le précédent triptyque, ou encore le choix de l’internationalisation rapide et précoce ou de l’adoption de la stratégie de tête de pont.

2.2.4. BCA T2.3 : financement et gouvernance

Les questions du financement et de la gouvernance des PME sont intrinsèquement liées, elles sont donc traitées conjointement. Le financement des PME est étudié de façon continue au sein de la revue et se structure autour de trois thèmes : les spécificités et contraintes financières des PME, la relation entre les PME et le secteur bancaire, et la relation entre les caractéristiques du dirigeant/entrepreneur et les décisions de financement. Les travaux sur la gouvernance, quant à eux, se sont développés entre la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille. Elle est d’abord abordée sous l’angle du comportement des dirigeants, notamment la façon dont leur vision, leur aversion au risque ou leur capital humain peuvent influencer leurs décisions stratégiques. Elle est ensuite traitée sous le spectre du capital des PME, en traitant notamment des enjeux associés à la structure du capital, à la structure de l’endettement, au recours groupé au crédit des PME ou encore à l’introduction en bourse des moyennes entreprises. Le rôle du capital-risque dans le développement des jeunes entreprises innovantes est également abordé. Plus récemment, des réflexions se sont structurées autour du financement participatif. Cette littérature s’intéresse aux acteurs du financement participatif, aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent et aux profils des entreprises ciblant ce type de financement.

2.3. Triptyque 3 : le cycle de vie des PME

2.3.1. CCA T3 : coeur intellectuel sur le cycle de vie des PME

Le coeur intellectuel « cycle de vie des PME » s’inscrit dans l’héritage de l’ouvrage Théorie de l’évolution économique (1934) dans lequel Schumpeter théorise le caractère cyclique de l’économie et développe son concept d’entrepreneur. Le premier ensemble de travaux, d’inspiration francophone (Julien et Marchesnay, 1988 ; Julien, 1994), s’intéresse aux dynamiques et aux figures entrepreneuriales (Laufer, 1975 ; Julien et Marchesnay, 1996 ; Verstraete, 1999). Le second, d’inspiration anglophone, cherche à théoriser la création d’entreprise (Gartner, 1985 ; Bruyat, 1993) et le comportement de l’entrepreneur (Gartner, 1988). Il est marqué par la présence d’une revue de littérature (Shane et Vankataraman, 2000) appelant à un meilleur étayage théorique dans le champ de l’entrepreneuriat. Le troisième ensemble, lié aux précédents (Filion, 1991), développe des réflexions spécifiques sur la reprise (Picard et Thevenard-Puthod, 2012), la figure du repreneur (Deschamps et Paturel, 2009) ou encore la succession d’entreprises familiales (Handler, 1990). Ces références, qui viennent compléter les réflexions sur le cycle de vie des entreprises, sont reliées à l’ouvrage de Weick, The Social Psychology of organizing (1979), soulignant le rôle crucial des dynamiques psychosociales dans l’organisation et, par extension, celui des entrepreneurs et des dirigeants.

2.3.2. BCA T3.1 : figures et dynamiques entrepreneuriales

La figure du dirigeant et de l’entrepreneur est un sujet de préoccupation historique de la revue. Il a particulièrement marqué ses dix premières années d’existence et réapparaîtra sous l’impulsion des problématiques associées à l’entrepreneuriat féminin dans les années deux mille dix. Nous observons trois principales veines de recherche dans ce domaine. La première s’intéresse aux caractéristiques (motivations, vision, valeurs) du dirigeant/entrepreneur et leur lien avec le fonctionnement ou la performance des PME, mais aussi leur impact sur les opérations de transmissions/successions. La seconde s’est structurée autour de la formation, du conseil et de l’accompagnement des dirigeants ou entrepreneurs. La troisième, plus récente, aborde certains enjeux sociétaux qui touchent la personne de l’entrepreneur ou du dirigeant, notamment les risques liés à la santé et l’entrepreneuriat féminin. Dans la lignée de ces travaux, une conversation s’est développée sur les dynamiques entrepreneuriales[3] selon trois perspectives. La première s’intéresse aux dynamiques des équipes entrepreneuriales/dirigeantes. Nous y associons les travaux sur l’intention, la motivation et l’orientation entrepreneuriale, venant renforcer la compréhension des dynamiques qui animent les entrepreneurs. La seconde traite des processus structurant la vie d’un projet entrepreneurial, notamment l’accompagnement entrepreneurial, la formation en entrepreneuriat, les modèles et trajectoires d’émergence, la création, la croissance, la pérennisation ou encore les processus de défaillance ou d’échec. La troisième s’intéresse à la transmission interne ou externe d’entreprises familiales, dont certaines dirigées par des femmes, et ouvre la voie à une conversation dédiée.

2.3.3. BCA T3.2 : reprise et transmission des PME

Héritière du thème des dynamiques entrepreneuriales, cette conversation se déploie de façon structurée de 2003 à 2012 et se décline en trois perspectives. La première étudie les processus associés à la reprise et à la transmission dans des contextes variés de PME : intégration du successeur, désengagement du prédécesseur, préparation à la transmission, etc. La deuxième s’intéresse aux enjeux associés au repreneur, concernant notamment ses aspirations, sa conception de la stratégie ou encore son acceptation auprès des équipes en place. La troisième propose d’aborder les spécificités (gestion, fonctionnement, gouvernance) des entreprises familiales qui constituent un terrain de prédilection pour traiter le thème de la reprise et de la transmission.

2.3.4. BCA T3.3 : défaillance des PME

Dans la lignée de la précédente conversation, la question de la défaillance des PME et des changements de direction apporte un éclairage sur les périodes de transition dans le cycle de vie de ses entreprises. Nous pouvons distinguer trois catégories de travaux. La première traite des échecs que peuvent vivre les PME, qu’il s’agisse de défaillances ou d’échecs liés à une action particulière. La seconde porte sur les solutions (accompagnement du dirigeant) ou conditions (perception du dirigeant face au risque) susceptibles d’aider les PME à éviter un échec. Enfin, nous identifions des travaux portant sur la problématique du changement de dirigeant, que ce soit dans un contexte de rachat d’entreprise ou de sortie entrepreneuriale.

2.4. Triptyque 4 : la gestion des PME

2.4.1. CCA T4 : coeur intellectuel sur la gestion des PME

Le coeur intellectuel du triptyque « gestion des PME » s’ancre pleinement dans les recherches sur les PME (Julien et Marchesnay, 1988 ; Torrès, 2003) en couvrant, toutefois inégalement, les différentes conversations qui le constituent. Le thème de la gestion des ressources humaines au sein des PME est de loin la mieux représenté (Mahé de Boislandelle, 1998 ; Hornsby et Kuratko, 1990 ; Benoît et Rousseau, 2012 ; d’Amboise et Garand, 1993 ; Fabi et Garand, 2012). La plupart de ces articles sont francophones. Cela peut s’expliquer par un intérêt ancien pour ce thème, à une époque où beaucoup de chercheurs français se référaient à la littérature francophone, et témoigne d’une spécificité de ce thème pour les chercheurs de la communauté. La question de la gestion de l’innovation quant à elle est portée par deux références classiques : le livre de Rogers (1983) et l’article d’Akrich, Callon et Latour (2002). Les autres références permettent d’appréhender comment ces trois thèmes sont abordés dans la revue, à savoir sous le prisme de l’entrepreneur (Gartner, 1988 ; Fillon, 1991), de l’avantage compétitif (Porter, 1985) ou encore de l’apprentissage (Cohen et Levinthal, 1990).

2.4.2. BCA T4.1 : gestion des ressources humaines dans les PME

La gestion des ressources humaines dans les PME est un thème central de la revue qui a été traité de façon continue, mais néanmoins évolutive. Trois types de travaux peuvent être distingués. Le premier s’intéresse aux pratiques de GRH, dorénavant considérées comme stratégiques tant du point de vue de la performance des entreprises que du bien-être des salariés : développement des compétences, formation, management participatif, gestion des carrières individuelles, stratégies de conservation de l’emploi, etc. Le deuxième aborde les facteurs de contingence des politiques RH tels que la taille, la maturité, la culture, la configuration organisationnelle ou encore la philosophie de gestion du dirigeant. La troisième, plus récente, s’intéresse plus largement aux ressources immatérielles, qu’elles soient développées au sein des PME ou en lien avec leur environnement (ancrage géographique et territorial). Ces ressources couvrent aussi bien le capital humain des PME que son capital social ou encore son capital intellectuel et scientifique. Une partie de la conversation, soutenue par un numéro spécial, s’intéresse à l’actionnabilité des savoirs produits par la recherche et donc à leur impact sur la pratique.

2.4.3. BCA T4.2 : gestion de l’information dans les PME

Le thème des systèmes d’information (SI) est apparu dès la première période dans un moment où la littérature en management découvrait le caractère stratégique de ces nouveaux outils et leur influence sur la conduite des affaires des PME. Si cette conversation se révèle relativement moins structurée, nous pouvons dégager trois principales thématiques. La première porte sur les facteurs d’adoption des différentes technologies de l’information et de la communication au sein des PME. La question des conséquences de l’acquisition de technologies est régulièrement traitée, notamment au travers de l’étude des comportements d’apprentissage et de création de connaissances. La seconde s’intéresse plus largement à la gestion des flux, en particulier à la gestion des flux logistiques spécifiques aux PME. Ces flux sont soutenus par la généralisation de l’échange de données informatisées (EDI), une technologie clé pour la gestion des relations interentreprises. La dernière conversation, qui apparaît lors de la dernière période, marque une rupture dans la façon de traiter la gestion de l’information. Nous passons d’une vision techno-centrée à une approche « outils de gestion », en étudiant notamment la mise en place et l’utilisation d’outils dédiés au contrôle de gestion au sein des PME.

2.4.4. BCA T4.3 : gestion de l’innovation et de la créativité dans les PME

Le thème de la gestion de l’innovation dans les PME a timidement émergé à la fin des années quatre-vingt-dix pour se renforcer à la fin des années deux mille, en intégrant les questions liées à la créativité. De nombreux articles ont été publiés sur les conditions et les facteurs favorables à l’innovation dans une pluralité de contextes : lien entre conception et innovation, effort de recherche, développement des compétences relationnelles, capacité à bénéficier des opportunités offertes par l’environnement, capacités d’absorption, etc. La question de la créativité quant à elle émerge en 2014 avec la publication d’un numéro spécial. Elle regroupe des articles qui tentent d’identifier les antécédents internes ou externes à la créativité, qui peut être vue comme un support au développement des entreprises à forte croissance. Les outils de créativité sont également introduits, notamment l’approche par les modèles d’affaires qui permet de concevoir des projets.

2.5. Diptyque 5 : l’impact sociétal des PME

2.5.1. CCA D5 : coeur intellectuel sur l’impact sociétal des PME

Le coeur intellectuel du diptyque « impact sociétal des PME » s’organise autour d’un ensemble cohérent de références sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), thématique bien installée dans la revue. Une première catégorie de documents rassemble des classiques offrant un terrain fertile à l’installation de la thématique RSE. Nous trouvons ici les travaux de Pfeffer et Salancik (1978), de Freeman (1984) et d’auteurs néo-institutionnels tels que DiMaggio et Powell (1983) ou Oliver (1991) qui pointent les pressions environnementales affectant les entreprises, nécessitant d’être gérées de façon stratégique. Les ouvrages de Capron et Quairel-Lanoizelée (2004, 2016) quant à eux développent directement la question de la RSE. La seconde catégorie regroupe les travaux étudiant spécifiquement cette question dans le cadre des PME (Berger-Douce, 2008 ; Jenkins, 2004, 2006, 2009 ; Murillo et Lozano, 2006 ; Paradas, 2012 ; Quairel-Lanoizelée et Auberger, 2005 ; Spence, Ben Boubaker Gherib et Ondoua Biwolé, 2012). Nous notons l’absence de référence aux auteurs classiques de la recherche francophone sur les PME, pourtant très présents dans les autres coeurs intellectuels.

2.5.2. BCA D5.1 : responsabilité sociale et environnementale

Ce dernier diptyque, plus récent, émerge au tournant des années deux mille alors que la responsabilité sociale et environnementale devient un objet majeur dans la recherche académique. Il a d’abord été traité du point de vue du respect de l’environnement pour mieux comprendre les pratiques environnementales des PME, leurs motivations et leurs conditions d’efficacité. Très rapidement, les travaux se sont structurés autour de la question de la RSE, à travers deux approches. La première cherche à identifier les antécédents à l’engagement des PME dans des pratiques de RSE, dans différents contextes nationaux occidentaux ou de pays du sud. Elle s’intéresse au développement de ces pratiques et aux conditions de leur appropriation. D’autres auteurs insistent sur les conditions de diffusion de ces pratiques. Ils étudient l’influence des pratiques RSE des grandes entreprises sur les PME sous-traitantes, mais également l’influence des pratiques des PME sur leurs parties prenantes. La seconde tendance traite de l’impact des caractéristiques du dirigeant sur la capacité des PME à s’inscrire dans ces pratiques, notamment ses croyances, ses intentions et ses perceptions. Le dirigeant a également un rôle pour faciliter les trajectoires d’appropriation de telles pratiques et peut, en tant qu’entrepreneur solidaire, transmettre ses compétences à d’autres entrepreneurs pour les influencer.

2.5.3. BCA D5.2 : entrepreneuriat social

La seconde conversation est dédiée à l’entrepreneuriat social et s’est structurée autour de la publication d’un numéro spécial en 2012. Nous y retrouvons plusieurs articles qui explorent ce phénomène à partir du concept de modèle d’affaires ou en l’étudiant du point de vue des SCOP. Cette nouvelle forme demande également une réflexion sur la performance et sa mesure. Nous notons une continuité sur ce thème dans la dernière période avec différents articles s’intéressant aux dynamiques liées au parcours de l’entrepreneur social et la manière dont il mobilise ses compétences, à l’évolution du modèle d’affaires et à l’impact d’initiatives associatives menées par des femmes dans la régulation des rapports hommes/femmes en Afrique.

3. Discussion

À partir d’une étude bibliométrique, nous avons réalisé une rétrospective thématique de 35 années de publication au sein de la RIPME, prestigieuse revue francophone dédiée à la vie des PME et à l’entrepreneuriat. Depuis sa création en 1988, la revue s’est structurée autour de cinq principaux axes de réflexion, déclinés en triptyques de conversations, couvrant au total près de quinze thématiques de recherche. Ces triptyques sont ancrés dans des littératures classiques de référence, offrant un socle théorique à la fois solide et varié pour le développement des différentes conversations.

3.1. Héritage intellectuel et identité scientifique de la RIPME

Le CCA nous a permis d’identifier les coeurs intellectuels des cinq triptyques, formant conjointement le socle théorique de la RIPME. Cet héritage est éminemment international et se nourrit essentiellement des traditions de recherche francophone ou anglophone. Un relatif équilibre peut être observé dans le recours à ces deux traditions, ce qui permet à la revue de développer une certaine identité intellectuelle francophone, tout en se référant à des auteurs dont la reconnaissance est plus globale.

Certaines variations peuvent être observées dans la référence à ces traditions au sein des différents coeurs intellectuels. En effet, le triptyque dédié à la croissance des PME emprunte majoritairement à une littérature anglo-saxonne, dont l’influence historique est telle qu’elle se révèle particulièrement structurante dans le développement d’idées nouvelles, que ce soit dans les champs de la stratégie, de l’internationalisation ou de la finance.

À l’inverse, le triptyque sur la gestion des PME s’inscrit essentiellement dans une littérature francophone, ce qui peut s’expliquer par des spécificités culturelles dans l’abord des problématiques internes aux PME, elles-mêmes fortement ancrées dans leurs territoires. Nous remarquons d’ailleurs l’influence de la littérature italienne dans l’ancrage des discussions associées à l’environnement d’affaires des PME dont l’inspiration est justement le modèle industriel italien.

Le triptyque dédié au cycle de vie des PME, quant à lui, se révèle particulièrement équilibré dans l’emprunt aux littératures francophones et anglophones. Au sein de ce coeur intellectuel, nous notons l’importance des travaux sur les cycles économiques de Joseph Schumpeter, qui ont largement influencé la pensée économique et managériale contemporaine, et plus spécifiquement dans les champs de l’innovation et de l’entrepreneuriat.

Plus largement, nous constatons la référence récurrente aux travaux classiques francophones sur les PME qui constituent en quelque sorte l’ADN de la revue et qui, dans le même temps, rendent hommage aux travaux de membres fondateurs de la RIPME.

3.2. Positionnement thématique de la RIPME et pistes de développement

Le BCA nous a permis d’identifier les principaux axes de réflexion structurant les recherches publiées par la RIPME. Cette structuration témoigne de la richesse et de la cohérence des publications, mais aussi de la capacité de la revue à susciter et entretenir des conversations scientifiques à travers le temps, en fédérant l’ensemble de la communauté francophone.

L’analyse des cinq triptyques confirme la transdisciplinarité de la RIPME : la revue s’intéresse à toutes les grandes fonctions de l’entreprise, en mettant néanmoins l’accent sur la stratégie et la figure du dirigeant-créateur. Cet ancrage se révèle cohérent avec le choix plus récent de la RIPME de positionner l’entrepreneuriat au coeur de son identité thématique. Cette volonté est marquée par la présence d’une conversation florissante, exclusivement dédiée aux figures et dynamiques entrepreneuriales. Cette conversation s’appuie sur un solide héritage en gestion des PME, mais explore également des problématiques plus spécifiques associées à la création d’entreprise, à l’accompagnement entrepreneurial et aux écosystèmes entrepreneuriaux.

Si la revue se caractérise par sa forte transdisciplinarité, certains domaines de recherche pourraient être davantage investis. Nous pensons notamment au marketing et aux phénomènes relevant de l’interaction entre l’entreprise et son marché. Nous estimons que ces phénomènes connaissent des bouleversements importants, en particulier avec l’émergence des plateformes et de nouveaux modes de consommation. Ces sujets nous paraissent d’autant plus importants pour les PME et les jeunes entreprises qu’elles sont souvent précurseurs dans ces domaines, mais tout aussi exposées aux évolutions de marché qu’elles suscitent. Cet apport disciplinaire pourrait être complété par celui des sciences régionales. Ce domaine des sciences sociales offrirait un éclairage original sur les problématiques géographiques et spatiales que pose le développement de ces plateformes qui fonctionnent par effets de réseaux.

Sur un plan stratégique et organisationnel, nous pensons que les questions de digitalisation mériteraient une attention tout aussi importante. Le contexte de fort développement des technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle, les chaînes de blocs ou encore la robotisation invite les entreprises, peu importe leur taille ou leur degré de maturité, à redéfinir leurs métiers et leurs pratiques managériales. Dans cette perspective, la revue pourrait s’appuyer sur la conversation déjà constituée autour de la gestion de l’information dans les PME. Elle pourrait également lancer une dynamique de recherche sur les nouveaux modèles d’affaires, thématique devenue prégnante dans plusieurs disciplines telles que la stratégie, l’entrepreneuriat, le marketing ou encore les systèmes d’information (Maucuer et Renaud, 2019).

Un autre domaine de recherche pourrait être renforcé : la RSE. Ce thème, qui est apparu au milieu des années deux mille, est en expansion au sein de la revue. La RIPME pourrait s’appuyer sur cette dynamique pour faire de la RSE un de ses axes de développement prioritaires. S’il existe aujourd’hui une conversation sur l’entrepreneuriat social, nous entrevoyons la possibilité de diversifier encore davantage les contributions dans ce domaine. Les problématiques sont nombreuses et touchent aussi bien les questions environnementales que sociétales. Parmi elles, il nous semblerait particulièrement intéressant de développer des travaux sur des approches managériales renouvelées, plus soucieuses du bien-être au travail et du sens porté par l’activité des collaborateurs. Nous pensons aussi aux modes alternatifs de production et de consommation, offrant une place privilégiée au local et aux territoires. La RIPME pourrait s’appuyer sur sa communauté de chercheurs francophones répartie sur les deux hémisphères du globe pour développer des recherches sur les stratégies BoP (Bottom of the Pyramid) et les innovations frugales. De nouveaux modèles d’entreprise pourraient également être inventés, inspirés des organisations hybrides mêlant des logiques marchandes et non marchandes.

Enfin, en cohérence avec son positionnement historique, nous montrons que la thématique de l’internationalisation est bien représentée dans la RIPME. Il s’agit d’une problématique particulièrement cruciale pour les PME, dont on sait qu’elles peuvent rencontrer d’importantes difficultés dans ce type de manoeuvres stratégiques (Mouricou, Arreola, Maucuer, Renaud et Soparnot, 2016). En revanche, nous observons que les terrains étudiés sont principalement occidentaux, en particulier canadiens et français, ce qui est naturel au regard de l’histoire et de l’origine de la revue. Nous relevons néanmoins des problématiques soulevées par certaines études qui s’intéressent notamment aux conditions d’exercice dans des contextes non occidentaux, en particulier en Afrique, mais qui ne constituent pas encore de conversation à part entière. Ces études ouvrent un nouvel espace de différenciation pour la revue et entrent, de plus, en résonnance avec les pistes évoquées plus haut. Ce positionnement permettrait de redéployer le potentiel de contributions aux discussions liées à l’internationalisation, qui existent déjà depuis longtemps dans différents champs disciplinaires. En ce sens, le choix des thématiques des numéros spéciaux sera décisif, car nous avons vu combien ils ont pu contribuer à faire émerger et à structurer dans la durée des conversations au sein de la RIPME.

Conclusion

Notre étude bibliométrique révèle l’importance de l’éclairage apporté par la revue depuis 35 ans sur toutes les questions relatives au fonctionnement et à la performance à long terme des PME. Elle montre également la pertinence de son ouverture aux recherches en entrepreneuriat, venant soutenir de façon cohérente le développement de la RIPME. Sur la base de nos résultats, nous proposons des pistes de développement complémentaires autour d’enjeux sociétaux et technologiques actuels, renouvelant ou menaçant le modèle d’affaires des PME et redéfinissant leur relation aux consommateurs. Notre travail montre également la solidité de la revue qui peut s’appuyer sur une communauté de recherche francophone particulièrement active et riche de sa diversité. Plus fondamentalement, nous mettons en lumière la vision portée par cette communauté de recherche qui, tout en défendant son identité scientifique, s’inscrit dans un héritage intellectuel qui dépasse les frontières culturelles et linguistiques. Nous souhaitons donc une longue vie à la RIPME qui, forte de ses fondations et de ses contributions, peut explorer de nouveaux espaces de réflexion, toujours au service des PME et des jeunes entreprises !