Corps de l’article

Les centres commerciaux constituent un objet de recherche important dans les pays développés (Andrieu, Badot et Macé, 2004). L’intérêt de la recherche pour les centres commerciaux est croissant dans les marchés émergents (Cai et Shannon, 2012), mais également dans les pays en développement d’Afrique où le paysage commercial se transforme à mesure que ces derniers s’y implantent (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Selon l’agence Ecofin, 5,6 millions de m2 se seraient ajoutés aux 6,4 existants, aboutissant ainsi à une superficie totale de 11 millions de m2 en 2020[1].

Généralement, les promoteurs de centres commerciaux reproduisent les modèles de management qui ont eu un succès en Europe dans le cadre d’une stratégie de standardisation. Cependant, l’Afrique reste un continent singulier avec des réalités spécifiques liées à l’influence des traditions sur les comportements de consommation (Diop-Sall et Merunka, 2013) et à la forte présence de l’informel dans le secteur de la distribution (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Le poids des traditions dans les activités commerciales justifie la nécessité d’effectuer des recherches visant à mieux comprendre les comportements des consommateurs africains fréquentant des centres commerciaux innovants. Un centre commercial est innovant lorsqu’il crée une valeur additionnelle (via le service, le produit, le concept, la technologie, etc.) qui le différencie des autres centres commerciaux locaux. Ce type de centre commercial applique les principes (standard) d’un management international, s’appuie sur le modèle occidental et assure l’innovation via différents canaux : service offert, offre produit/marque, concept et technologie (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Dans une telle situation, il est possible de développer des stratégies de marketing international appropriées tenant compte des spécificités du consommateur. D’abord, les consommateurs qui sont dans leur pays d’origine cherchent à vivre « une expérience occidentale » à l’intérieur des centres commerciaux innovants (Varman et Belk, 2011). La forte fréquentation de ces espaces de vente est un moyen pour eux d’affirmer leur ancrage dans la modernité (Diallo, Seck, Diop-Sall, 2015). Ensuite, les consommateurs qui fréquentent ces centres commerciaux ont des attentes particulières liées aux valeurs traditionnelles (convivialité, esprit communautaire, partage, accueil chaleureux, générosité, serviabilité,..). Ces nouvelles attentes du consommateur africain ne sont pas suffisamment prises en compte dans les travaux en comportement du consommateur dans les centres commerciaux (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015).

Ces comportements et attentes complexes des consommateurs doivent être mieux pris en compte par les managers occidentaux pour améliorer la satisfaction du client et assurer le succès des centres commerciaux implantés en Afrique. Ceux-ci doivent tenir compte dans leur stratégie de concurrence les concepts de vente locaux qui ont souvent un avantage prix (Rajagopal, 2010). Malgré l’importance de la qualité de service dans le management des centres commerciaux (Laroche et al., 2005), peu de travaux ont été effectués sur le sujet en milieu africain. Les recherches existantes ont porté pour la plupart sur la distribution de manière générale (Dabholkar, Thorpe et Rentz, 1996) ou sur la qualité de service dans les points de vente (Boshoff et Terblanche, 1997). Il est pourtant important de mieux comprendre l’influence de la qualité de service sur la valeur perçue d’un centre commercial innovant ou encore sur l’intention d’achat en contexte africain. Par exemple, Kimani et al. (2012) ont montré que les consommateurs Kenyans ont des attentes spécifiques concernant la qualité de service (courtoisie, compétence du personnel, beauté des lieux,…). Cependant, le poids des valeurs traditionnelles complexifie l’étude des relations entre l’intention d’achat et ses déterminants (qualité de service et valeur perçue). Jusqu’ici les travaux portant sur les valeurs traditionnelles ou culturelles en Afrique ont été réalisés dans des domaines autres que les centres commerciaux (ex. Diop-Sall et Merunka, 2013; Ouattara, 2009). Or, le développement des centres commerciaux avec la construction d’infrastructures en milieu urbain, la création d’emplois et le transfert de compétences entrainent un besoin urgent de mieux comprendre les adaptations du management nécessaires pour répondre aux exigences des valeurs traditionnelles dans le contexte africain.

Cette recherche permet de combler ces différents gaps dans les travaux de recherche sur le marketing international, un sous-champ du management international et sur les centres commerciaux implantés en Afrique. Elle poursuit deux objectifs précis :

  1. Comprendre comment les différentes dimensions de la qualité de service affectent la valeur du centre commercial et comment cette dernière influence l’intention d’achat dans le centre commercial.

  2. Déterminer comment les valeurs traditionnelles, en tant que composante essentielle de la culture en Afrique, influencent les relations entre la perception par les consommateurs de la qualité de service, la valeur et leur intention d’achat dans un centre commercial innovant.

Cette recherche contribue aux travaux actuels en marketing international de deux manières :

  • D’une part, elle montre comment les dimensions clés de la qualité de service influencent la valeur perçue et l’intention d’achat dans un centre commercial innovant dans le contexte spécifique d’un pays d’Afrique (le Sénégal).

  • D’autre part, elle établit une relation significative entre les valeurs traditionnelles, la qualité de service perçue, la valeur perçue du centre commercial innovant et le comportement d’achat dans le pays étudié. Elle apporte donc une meilleure compréhension du marché de la distribution en Afrique.

Dans un premier temps, nous présentons le cadre théorique et les hypothèses sous-jacentes au modèle. Ensuite, nous exposons la méthodologie utilisée et analysons les résultats empiriques fondés sur le cas du centre commercial Sea Plaza au Sénégal. Enfin, nous concluons en discutant les résultats tout en présentant les limites et quelques pistes de recherches futures.

Cadre théorique et conceptuel

Culture et traditions en marketing international

Il est bien établi que la culture est un facteur explicatif important du management international (Caprar et al., 2015). En effet, l’internationalisation des multinationales est intrinsèquement associée à la culture. Ainsi, la culture a été considérée comme un antécédent, des choix stratégiques d’implantation, des transferts de compétences, d’entrepreneuriat, du style de leadership ou encore de la performance des multinationales (Taras et al., 2010). Pour conceptualiser la notion de culture et mieux cerner sa complexité, les chercheurs ont utilisé des approches qualitatives basées sur la psychométrie et l’ethnographie (Chao et Moon, 2005; Hong et al. 2000). L’anthropologue anglais Tylor (1871) définit la culture comme un « ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société » (citée par Serres, 2009, p. 12). Dans le même sens, Clyde Kluckhohn (1962), définit la culture comme « la manière de penser, de sentir et de réagir d’un groupe humain, surtout acquise et transmise par des symboles, et qui représente son identité spécifique » (citée par Lenfant, 1963, p. 212). La culture inclut les objets concrets produits par le groupe. Le coeur de la culture est constitué d’idées traditionnelles et des valeurs qui lui sont attachées. Ces définitions permettent de tenir compte des valeurs traditionnelles qui ont un poids très important pour comprendre la culture d’une société. En marketing international, les travaux de Hofstede (1980), de Schwartz (1992) ou encore le modèle GLOBE (House et al., 2004) sont les plus utilisés pour expliquer les comportements de consommation dans un contexte culturel donné. Cette recherche enrichit les travaux antérieurs en considérant les valeurs traditionnelles comme une composante essentielle de la culture et plus particulièrement dans le contexte africain. Plusieurs auteurs ont mis en évidence l’importance de la culture sur les comportements humains en milieu africain (Bekolo, 2007), plus particulièrement sur le comportement d’achat du consommateur (Bikanda et Méfouté Badiang, 2017). Le poids des traditions dans les comportements de consommation en Afrique a été également souligné par différents auteurs (Diop-Sall et Merunka, 2013).

Définition des concepts clés

La qualité de service

Selon Grönroos (1993), la qualité de service découle de la comparaison que le client opère entre ses attentes et ses perceptions concernant la manière dont le service a été accompli. Ici, l’appréciation de la qualité de service se fait à deux niveaux : au niveau du résultat obtenu en faisant référence aux aspects techniques (équipements, matériels) et au niveau du processus qui met l’accent sur les aspects fonctionnels (rapidité, fiabilité, relationnel). Pour Cronin et Taylor (1992), la qualité de service est considérée comme un écart entre les attentes du client et la réalisation du service. Leur approche privilégie plutôt la somme pondérée des évaluations des attributs du service ou encore seulement une évaluation globale du service réalisé. Dans les modèles antérieurs comme SERVQUAL, la qualité de service était considérée comme un concept multidimensionnel. Les dimensions de la qualité de service identifiées sont : la tangibilité, la fiabilité, la serviabilité, l’assurance et l’empathie (Parasuraman, Zeithaml et Berry, 1988). Les travaux antérieurs soulignent aussi la spécificité du consommateur africain qui a des attentes particulières liées à la courtoisie, à la beauté du local, à l’attention du personnel, etc. (Kimani et al., 2012).

La valeur perçue et l’intention d’achat

Nous adoptons dans ce travail une approche cognitive de la valeur perçue du point de vente. Cette approche de la valeur par le consommateur est basée sur le caractère utilitaire du point de vente. En effet, les centres commerciaux en contexte africain n’ont pas encore le même niveau de sophistication qu’en Occident en termes de pratiques commerciales mais aussi de perception par le consommateur. En contexte africain, les nouveaux centres commerciaux, filiales de grands groupes sont très fréquentés et parfois préférés au marché traditionnel. La valeur qu’ils attribuent au magasin visité dépend des connaissances qu’ils en ont. Zeithaml (1988) met l’accent sur la dimension utilitaire de la valeur en comparant le résultat entre les bénéfices et les sacrifices perçus par le consommateur. Selon Diallo, Philippe et Seck (2014), les consommateurs comprennent le terme valeur de diverses manières : « la qualité obtenue pour le prix payé », « ce qu’on obtient comparé à ce qu’on donne », etc. Ces différentes expressions montrent que la valeur perçue est relative et suppose que le consommateur a procédé à une comparaison de plusieurs éléments (Cronin, Brady et Hult, 2000). Ainsi, la notion de valeur perçue renvoie au rapport entre la qualité obtenue et le prix payé (He et Li, 2011; Zeithaml, 1988). Le besoin de rapporter le prix à la qualité est considéré comme un facteur important dans les centres commerciaux en Afrique et au Sénégal en particulier (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015).

L’intention d’achat, quant à elle, est définie comme la probabilité de faire un futur achat dans le centre commercial (Cai et Shanon, 2012). Bergeron (2004) considère l’intention d’achat comme « un degré de conviction perçue par un consommateur d’acheter (ou réacheter) un produit ou service ». Plusieurs recherches en comportement du consommateur soutiennent que les intentions permettent de prédire le comportement d’un consommateur (Juster, 1966; Stapel, 1968). L’intention d’achat est prédictive du chiffre d’affaires de l’entreprise (Juster, 1966). Le comportement du consommateur est ainsi déterminé par son intention comportementale. Cette dernière est une variable comportementale largement utilisée dans les travaux de recherche pour approcher le comportement d’achat dans un point vente.

Les valeurs traditionnelles

La question des valeurs culturelles est omniprésente en Afrique. De nombreux travaux traitent des réalités culturelles en Afrique (Bekolo, 2007; Hernandez, 2007, Bikanda et Méfouté Badiang, 2017, Kamdem et Mutabazi, 2017). Ils considèrent la culture comme contingente, comme une dynamique qui sous-tend l’organisation ou le comportement de l’individu. Malgré cet engouement des études sur la culture, rares sont les travaux qui explorent les valeurs traditionnelles dans des organisations commerciales comme les centres commerciaux. Les valeurs traditionnelles renvoient aux coutumes et habitudes mémorisées et transmises de génération en génération et propres à un pays ou une communauté donnée (Diop-Sall, 2012). Chaque pays africain est une véritable source de traditions propres. Le Sénégal, comme les pays d’Afrique, est caractérisé par une forte présence du collectivisme ancré dans les traditions africaines ou religieuses (honneur, patriotisme, don de soi,…) et un communautarisme qui valorise le temps passé avec le groupe. Les valeurs traditionnelles (exemples en tableau 1) permettent de prédire les croyances, attitudes et comportements (Zhang et Jolibert, 2003). Elles ont une importance primordiale en milieu africain comme dans toutes les sociétés où les coutumes et habitudes déterminent les comportements de consommation (Diop-Sall et Merunka, 2013). Ces valeurs traditionnelles s’inscrivent dans les concepts d’Ubuntu et Tributariat analysés par différents auteurs (Biwolé Fouda, 2020). Selon Lutz (2009), l’Ubuntu, basé sur la notion de collectivisme, est l’une des caractéristiques les plus fondamentales d’Afrique sub-saharienne. Dans le même sillage, Mbigi (2005, p. 75) précise que « bien que les cultures africaines présentent une impressionnante diversité, elles présentent également de remarquables similitudes. La communauté est la pierre angulaire de la pensée et de la vie africaines ». L’Ubuntu est donc une philosophie qui pousse à concilier les traditions africaines telles que la loyauté tribale et la générosité avec l’atteinte des objectifs de performance (Micklethwait et Woodridge, 1996). Metz (2007) identifie dans la littérature six interprétations théoriques de l’Ubuntu qui permettent d’éclairer les items (tableau 1) retenus dans ce travail : 1) le respect de la dignité humaine; 2) la promotion du bien-être des autres; 3) la promotion du bien-être des autres sans violation de leurs droits; 4) la relation positive aux autres pour la réalisation de soi; 5) la solidarité avec le groupe; 6) l’harmonie et l’absence de discorde.

Le Tributariat quant à lui traduit l’influence de la tribu sur l’entrepreneur en contexte africain, même si ce dernier opère dans un contexte étranger (Levy-Tadjine et al., 2004). Il montre que l’appartenance d’un individu à une communauté justifie sa raison d’exister. Ici la tribu structure l’identité de l’entrepreneur et constitue un levier pour sa réussite.

Bien que les valeurs traditionnelles mobilisées dans ce travail puissent s’appliquer à d’autres pays africains, voire d’autres continents (ex. Asie), nous considérons qu’elles définissent correctement le consommateur sénégalais.

Tableau 1

Synthèse des valeurs traditionnelles appliquées au contexte africain

Synthèse des valeurs traditionnelles appliquées au contexte africain
Source : compilation des auteurs à partir de différentes sources (Mai et Smith, 2012; Zhang et Jolibert, 2003; etc.)

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La construction du modèle conceptuel

Cet article analyse les facteurs explicatifs de l’intention d’achat dans un centre commercial innovant. Sur la base des travaux antérieurs (Dabholkar, Thorpe et Rentz, 1996; Laroche et al., 2005; Kimani et al., 2012), nous postulons que la qualité de service influence la valeur perçue du centre commercial qui, à son tour, suscite l’intention d’achat dans le centre commercial[2]. Compte tenu de l’importance des traditions en Afrique (Mbow, 1979; Diop-Sall et Merunka, 2013), nous considérons que les consommateurs qui ont une orientation des valeurs traditionnelles perçoivent différemment la qualité de service et la valeur des centres commerciaux. Enfin, les variables sociodémographiques (âge, sexe, revenu et éducation) sont également intégrées dans le modèle comme variables de contrôle pour tenir compte de leurs effets potentiels sur le comportement d’achat en milieu africain.

La figure 1 donne une représentation graphique du modèle conceptuel proposé et testé.

Figure 1

Cadre conceptuel analysé

Cadre conceptuel analysé

Note : le point focal du modèle est de tester les relations directes de manière séquentielle (flèches noires). Cependant, nous évaluons aussi les relations entre les dimensions de la qualité de service et l’intention d’achat dans des analyses complémentaires (flèches en gris). Nous avons aussi introduit les caractéristiques du consommateur comme variables de contrôle (flèches sous forme de traits) pour vérifier leurs influences sur les résultats.

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Hypothèses de recherche

Effet direct de la qualité de service sur la valeur perçue du centre commercial

Dans la littérature marketing, la qualité de service a été considérée comme un déterminant important de la valeur perçue (Cronin, Brady et Hult, 2000). Les travaux réalisés en contexte africain ont montré l’influence positive de la qualité de service sur le comportement de consommateurs fréquentant des points de vente modernes (Kimani et al., 2012; Diallo et al., 2018). La fidélité au point de vente en Afrique se fait à travers les dimensions de la qualité de service (Diallo et al., 2018; Boshoff et Terblanche, 1997). Selon les travaux des auteurs, la bonne gestion de la qualité de service à travers ses dimensions (« aspects physiques », « fiabilité », « résolution des problèmes » et « attention du personnel ») pourrait augmenter la valeur perçue des lieux de vente en Afrique. En effet, les consommateurs en contexte africain et sénégalais en particulier, accordent beaucoup d’importance aux critères de beauté des locaux, la communication avec les clients, la fiabilité du service, la courtoisie du personnel et la résolution des problèmes (Kimani et al., 2012, Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Ainsi, nous proposons les hypothèses suivantes :

H1 : Une évaluation positive de la qualité de service, à travers « les aspects physiques » (H1a), « la fiabilité » (H1b), « l’attention du personnel » (H1c) et « la résolution des problèmes » (H1d), favorise une meilleure perception de la valeur du centre commercial innovant.

Effet direct de la qualité de service sur l’intention d’achat du centre commercial

Les recherches antérieures ont montré que la perception de la valeur influence positivement le comportement d’achat du consommateur (Cronin, Brady et Hult, 2000; He et Li, 2011). En Afrique, la qualité de la gestion des points de vente et des centres commerciaux s’est considérablement améliorée ces dernières années (Kimani et al., 2012), avec un positionnement associé à la valeur utilitaire des centres commerciaux pour cibler la classe moyenne émergente estimée à 355 millions d’individus (34 % de la population)[3]. Ainsi, les consommateurs africains font davantage confiance aux centres commerciaux qui proposent des produits de plus en plus disponibles et accessibles (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Selon eux, même si, une partie des consommateurs sénégalais est encore exclue de l’offre des centres commerciaux, on constate une volonté de démocratisation de l’accès aux centres commerciaux[4] et une diversification de l’offre tenant compte des spécificités du contexte. Ainsi, nous proposons l’hypothèse suivante :

H2 : Une perception positive de la valeur perçue du centre commercial innovant favorise l’intention d’achat du consommateur.

Effet médiateur de la valeur perçue entre la qualité de service et l’intention d’achat

La combinaison des hypothèses H1 et H2 permet de déduire l’hypothèse H3 sur la qualité de service avec un effet médiateur de la valeur perçue du centre commercial innovant sur les relations entre la qualité de service et l’intention d’achat du consommateur. De ce fait, nous proposons :

H3 : Une évaluation positive de la qualité de service, à travers « les aspects physiques » (H3a), « la fiabilité » (H3b), « l’attention du personnel » (H3c) et « la résolution des problèmes (H3d), favorise indirectement l’intention d’achat du consommateur par l’intermédiaire de la médiation de la valeur perçue du centre commercial innovant.

Effet modérateur des valeurs traditionnelles sur le lien qualité de service et intention d’achat

Zhang et Jolibert (2003) ont souligné l’influence des valeurs traditionnelles sur les réponses des acheteurs lors de leur choix. Mai et Smith (2012) se sont intéressés à l’impact des valeurs traditionnelles sur les préférences d’achat envers des produits importés (étrangers) dans un contexte Vietnamien. Les consommateurs fortement orientés vers les valeurs traditionnelles tiendraient par exemple des points de vue fermes sur l’importance de la présence des traditions dans un contexte marchand. Ils auraient tendance à montrer une fierté nationale à défendre les couleurs de leur pays (Mai et Smith, 2012). Ils donneraient la priorité à l’intérêt collectif (du groupe) au détriment de l’intérêt personnel. Ainsi, un bénéfice est accordé au social (Zhang et Jolibert, 2003). Le consommateur orienté vers les traditions n’accorde pas une importance excessive aux valeurs matérielles (Zhang et Jolibert, 2003). Ces consommateurs focalisés sur les traditions devraient donc avoir des comportements de consommation différents comparés aux consommateurs moins tournés vers les traditions, donc plus orientés vers la modernité. Ainsi, nous proposons les hypothèses suivantes :

H4 : L’effet de la qualité de service, à travers les dimensions « aspects physiques » (H4a), « fiabilité » (H4b), « attention du personnel » (H4c) et résolution des problèmes (H4d), sur la valeur perçue du centre commercial innovant dépend du niveau d’orientation envers les valeurs traditionnelles.

H5 : L’effet de la valeur perçue du centre commercial innovant sur l’intention d’achat du consommateur dépend du niveau d’orientation envers les valeurs traditionnelles.

Méthodologie

Contexte d’étude

Le Sénégal a été retenu comme cadre d’application pour des raisons liées au développement des centres commerciaux dans ce pays depuis une décennie. Les facteurs comme la stabilité politique, l’augmentation de la classe moyenne et les politiques publiques expliquent le choix de ce pays par les promoteurs de centres commerciaux. Ces critères rassurent les promoteurs et favorisent les investissements directs étrangers (IDE) dans les pays d’accueil. Ces dernières décennies, le Sénégal a créé un espace favorable au développement des IDE avec l’ouverture d’une agence de promotion des investissements (APIX), d’une agence de promotion des PME (ADPME), d’une agence de développement de l’entreprenariat rapide (DER), etc. Le choix du centre commercial Sea Plaza s’explique par sa relative nouveauté dans le paysage commercial sénégalais (création depuis 2010), par son positionnement (« ultra » moderne et innovant) et par l’intégration des services dans sa stratégie de développement (restauration, cinéma, mode, beauté-cosmétique, santé, culture-loisir, etc.). Le centre commercial Sea Plaza présente des infrastructures, une offre de services et des produits innovants, ce qui lui donne son caractère de centre commercial innovant. La qualité de service du centre commercial s’appuie sur les quatre piliers qui font l’objet de notre étude :

  • Aspects physiques : Sea Plaza est positionné comme un centre commercial innovant avec des installations physiques aux standards internationaux et un cadre enchanteur

  • Fiabilité du service : Sea Plaza offre un bouquet de services innovants et le paiement effectué par carte bancaire est sécurisé. Le paiement bancaire est proposé dans plusieurs boutiques qui veillent à mettre à jour les prix affichés.

  • Attention du personnel : le personnel de Sea Plaza est qualifié (recrutement sur concours, formation,…).

  • Résolution de problèmes : Sea Plaza met à la disposition des clients différents outils de relation client (numéro de téléphone, réseaux sociaux, site internet,…).

L’encadré 1 présente succinctement le centre commercial Sea Plaza

Mesure des variables

Pour opérationnaliser les concepts de qualité de service, valeur perçue, valeurs traditionnelles et intention d’achat, nous avons d’abord identifié des échelles de mesure existantes dans la littérature, validées dans des pays développés, émergents ou en développement. Ensuite, nous avons mené une étude qualitative exploratoire sur un échantillon aléatoire de 18 personnes. Cette étude qualitative a permis d’évaluer la pertinence des échelles dans le contexte du Sénégal, mais aussi de comprendre les raisons qui poussent les clients africains à fréquenter les centres commerciaux innovants implantés dans ce pays. Sur cette base, les instruments de mesure (les items) ont été affinés ou reformulés pour tenir compte des spécificités du contexte local. Enfin, la liste des items a été soumise à l’analyse de deux chercheurs en gestion pour évaluer leur pertinence dans le contexte du pays étudié.

Tous les items de la qualité de service et de la valeur perçue du centre commercial sont mesurés avec une échelle de Likert comportant cinq modalités (1. Pas du tout d’accord - 5. Tout à fait d’accord). L’échelle de mesure de la qualité de service dans le centre commercial est adaptée de Kim et Jin (2002). Le choix de cette échelle s’explique par sa stabilité et son adaptation au contexte de pays émergents ou en développement. Elle comporte quatre dimensions (aspects physiques, fiabilité, attention du personnel et résolution des problèmes) jugées pertinentes lors de la phase exploratoire. L’échelle de mesure (unidimensionnelle) de la valeur perçue du centre commercial est adaptée de He et Li (2011). Son choix est conforme à l’approche utilitaire de la valeur retenue dans ce travail. Les items correspondent aux attentes spécifiques des répondants en termes de valeur utilitaire lors de la phase exploratoire. Pour mesurer l’orientation envers les valeurs traditionnelles, nous avons retenu l’échelle de Mai et Smith (2012) composée de dix items à l’origine. Ce choix s’appuie sur son adaptation au contexte local étudié. Sur la base de l’étude qualitative exploratoire et de l’analyse des deux chercheurs-experts, nous avons retenus cinq items adaptés au contexte du Sénégal pour mesurer l’orientation envers les valeurs traditionnelles. Enfin, la variable dépendante (intention d’achat) est mesurée par l’échelle probabiliste (mono item) de Juster (1966). C’est une échelle objective qui réduit la subjectivité associée aux autres échelles multidimensionnelles de l’intention d’achat. L’annexe 1 présente les items utilisés pour mesurer les différents concepts.

Collecte des données

Les données ont été collectées en deux temps. D’abord, une étude qualitative exploratoire a été effectuée (en mai 2013) auprès de 18 clients[6].Cette étude avait uniquement pour objectif de préparer l’étude quantitative afin d’éclairer les choix (compréhension du sujet et pertinence des échelles de mesure). Elle ne fera donc pas l’objet d’un développement dans ce projet qui est centré sur l’étude quantitative. Cet échantillon est constitué de personnes dans la cible du centre commercial étudié (classe moyenne ou aisée habitant à Dakar et fréquentant les centres commerciaux).

Ensuite, une étude quantitative a été effectuée à l’aide de questionnaire administré en face-à-face par des enquêteurs en juillet 2013. Le questionnaire comportait trois sections (questions-filtre sur la fréquentation du centre commercial; échelles de mesure des concepts; et questions sociodémographiques). Une phase de pré-test du questionnaire sur un échantillon de 15 répondants a permis de s’assurer d’une bonne compréhension des items. Les répondants de l’étude quantitative ont été interceptés à la sortie du centre commercial Sea Plaza. L’échantillon de 303 individus est un échantillon de convenance, mais il est diversifié car bien réparti en termes d’âge, de sexe, de revenu et de niveau d’éducation (voir tableau 2). Les répondants appartiennent donc soit à la classe moyenne, soit à la classe aisée dans le contexte local. L’échantillon est constitué exclusivement de consommateurs sénégalais locaux. Ce choix, qui exclut les expatriés et non nationaux, s’explique par la volonté de mieux comprendre les comportements d’achat de la cible locale qui doit parfois, pour des problèmes de pouvoir d’achat, de convictions personnelles arbitrer entre Sea Plaza et les centres commerciaux locaux (ex. Touba Sandaga)[7].L’administration du questionnaire a été effectuée sur deux semaines entières pour cibler les différents clients à des horaires différents.

Tableau 2

Les caractéristiques de l’échantillon

Les caractéristiques de l’échantillon

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Analyse des résultats

Analyse des relations directes et indirectes entre les variables étudiées

Avant d’analyser les résultats obtenus, nous avons vérifié l’adéquation des instruments de mesure au contexte d’étude. Concernant la méthode d’analyse statistique, nous avons utilisé les modèles d’équations structurelles par régression PLS (Partial Least Squares) pour estimer les paramètres avec le logiciel SpartPLS 2. L’approche PLS est retenue pour deux principales raisons. D’une part, elle est recommandée lorsqu’une recherche a une orientation prédictive (Reinartz et al., 2009), comme c’est le cas dans ce travail. D’autre part, elle a l’avantage de ne pas s’appuyer sur les hypothèses classiques de normalité des données (Hair et al., 2014). L’adéquation du modèle aux données collectées a été vérifiée en analysant plusieurs indices. D’abord, les coefficients standardisés sont significatifs au seuil de 5 %. Ensuite, l’analyse de la valeur de la fiabilité composite (ρ Jöreskog) montre une bonne cohérence interne des échelles (>0,70). De plus, la validité de convergence est établie dans la mesure où les variances moyennes extraites (AVE) sont supérieures à 0,5 (Fornell et Larcker, 1981). Enfin, nous avons obtenu une validité discriminante satisfaisante car les valeurs des AVE sont supérieures à celles des corrélations au carré entre les construits (Fornell et Larcker, 1981). Ces différents résultats attestent d’une bonne qualité des instruments de mesure (voir Annexe 1).

Dans des analyses préliminaires, nous avons vérifié les effets directs des dimensions de la qualité de service sur l’intention d’achat dans le centre commercial[8].Les résultats montrent que la fiabilité (γ=0,17, p<0,05) et l’attention du personnel (γ=0,27, p<0,01) influencent positivement l’intention d’achat dans le centre commercial. Les aspects physiques ont une influence directe négative sur l’intention d’achat (γ=-0,22, p<0,01), ce qui signifie que leur bonne perception peut diminuer la probabilité d’acheter. Ce résultat semble acceptable vu le positionnement de Sea Plaza visant un segment important de visiteurs qui viennent pour les services offerts (wifi, bowling, restauration,…) ou pour le décor (à proximité de l’océan). L’attractivité des installations physiques ne doit donc pas être le seul argument de base de la communication des centres commerciaux innovants en contexte sénégalais. La résolution des problèmes n’a aucune influence sur l’intention d’achat dans le centre commercial. Ce résultat pourrait s’expliquer par le standard de service offert par le centre commercial qui n’est pas de nature à occasionner des problèmes importants à résoudre.

Les hypothèses de recherche formulées ont été testées en s’appuyant sur la valeur du t de Student et sa p-value associée. La figure 2 présente les résultats obtenus et montre que les dimension, « aspects physiques » (γ=0,14, p<0,05) et « attention du personnel » (γ=0,18, p<0,01) influencent positivement et significativement « la valeur perçue » du centre commercial, ce qui permet de valider les hypothèses H1a et H1c. Cependant, les hypothèses concernant l’effet des dimensions, « fiabilité » et « résolution des problèmes » ne sont pas validées (p>0,05). Ainsi, les hypothèses H1b et H1d sont rejetées. Ensuite, « la valeur perçue » du centre commercial affecte positivement et significativement « l’intention d’achat » dans le centre commercial (γ=0,29, p<0,01). L’hypothèse H2 est donc validée. Les analyses de médiation (méthode de Baron et Kenny, 1986) confirment l’existence d’effets indirects via la médiation des dimensions « aspects physiques » (β = 0,04, p<0,01) et « attention du personnel » (β = 0,05, p<0,01), mais non via la médiation des dimensions « fiabilité » et « résolution des problèmes ». Ainsi, les hypothèses H3a et H3c sont validées alors que les hypothèses H3b et H3d sont rejetées.

Figure 2

Résultats concernant les effets directs analysés (n=303)

Résultats concernant les effets directs analysés (n=303)

Notes : ns= non significatif; * significatif à p<0,05; ** significatif à p<0,01. Nous avons vérifié l’ajustement du modèle en vérifiant les coefficients standardisés (loadings) qui sont tous significatifs. Nous avons par la suite regardé les coefficients de détermination (R2) qui restent faibles, mais acceptables compte tenu du contexte (R2Valeur perçue=0.17; R2Intention d’achat=0.09).

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Enfin, dans des analyses complémentaires, nous avons introduit les caractéristiques du consommateur (âge, sexe, revenu et éducation) comme variables de contrôle dans le modèle conceptuel. Les analyses effectuées ne montrent aucune influence de ces variables sur les résultats qui restent stables en force et en signification.

Analyse des effets modérateurs de l’orientation envers les valeurs traditionnelles

Le test des effets modérateurs de l’orientation envers les valeurs traditionnelles est effectué grâce à l’analyse multi-groupes[9].Les résultats (résumés dans le tableau 3) indiquent une différence significative entre les deux groupes dans les relations entre les dimensions « aspects physiques de la qualité de service » et « la valeur perçue » (p<0,01), entre la « fiabilité » et la « valeur perçue » (p<0,05) et entre « l’attention du personnel » et la « valeur perçue » (p<0,01). De ce fait, les hypothèses H4a, H4b et H4c sont validées. Nous démontrons ainsi d’effet modérateur significatif des valeurs traditionnelles sur les relations entre « aspects physiques » et « valeur perçue » entre « fiabilité » et « valeur perçue » et « attention du personnel » et « valeur perçue ». Cependant, les analyses effectuées n’indiquent pas de différences sur les relations entre la « résolution des problèmes » et la « valeur perçue » et entre la « valeur perçue » et « l’intention d’achat ». Par conséquent, les hypothèses H4d et H5 sont rejetées (voir tableau 3).

Tableau 3

Test de l’effet modérateur des valeurs traditionnelles

Test de l’effet modérateur des valeurs traditionnelles

Notes : OVT=Orientation envers les valeurs traditionnelles. ns= non significatif; * significatif à p<0,05; ** significatif à p<0,01.

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Discussion des résultats

Cet article établit un lien significatif entre les deux dimensions spécifiques de la qualité de service (aspects physiques et attention du personnel), la valeur perçue et l’intention d’achat d’un centre commercial innovant dans un contexte africain. Alors que les deux autres dimensions de la qualité de service (aspects physiques et la résolution du problème) n’ont pas influence sur l’intention d’achat. Ces résultats s’expliquent par le fait que la majorité des personnes qui fréquentent le centre commercial est davantage des visiteurs que des acheteurs. En effet, les personnes viennent plus pour profiter de la beauté des lieux que du bouquet de services offerts qui est parfois au-dessus de leurs moyens pour susciter une intention d’achat. Les résultats montrent également que plus les clients ont un niveau d’orientation envers les valeurs traditionnelles élevé plus elles relient la qualité de service à la valeur perçue du centre commercial. Pour ces mêmes clients, le niveau d’orientation envers les valeurs traditionnelles, par contre, n’a pas influence sur la relation entre valeur perçue et l’intention d’achat.

L’Afrique constitue un contexte particulier et les travaux en marketing international doivent en tenir compte pour améliorer la validité externe des modèles de recherche. Cette étude enrichit les travaux antérieurs portant sur l’influence de la qualité globale de service perçue comme déterminant de la valeur perçue (Dabholkar, Thorpe et Rentz, 1996; Diallo et al., 2018). Elle souligne aussi la prépondérance des éléments physiques constitutifs du centre commercial innovant et de l’interaction avec le personnel de contact dans l’explication de la valeur perçue associée au centre commercial (Bitner, 1990). L’effet de la dimension « fiabilité » de la qualité de service du centre commercial innovant est significatif auprès des clients à faible orientation envers les valeurs traditionnelles (les clients dits « modernes ») qui sont plus exigeants en matière de fiabilité. Cependant, la « résolution des problèmes » n’a pas d’effet significatif sur la « valeur perçue ». Ce résultat peut s’expliquer par le fait que peu de problèmes se posent dans le centre commercial étudié (Sea Plaza) positionné sur la qualité (haut de gamme, standards internationaux), contrairement aux centres commerciaux traditionnels locaux concurrents (ex. Touba Sandaga).

Les résultats de cet article montrent que l’orientation envers les « valeurs traditionnelles » (basées sur le patriotisme, le communautarisme, l’immatérialisme, l’ascétisme et le don de soi) influencent significativement les relations entre la « qualité de service » et la « valeur perçue » du centre commercial innovant au Sénégal. Dans ce sens, ce travail apporte un éclairage singulier au marketing international des entreprises de distribution ou de service qui s’implantent au Sénégal ou qui veulent s’y développer. Il confirme l’hypothèse que la gestion des centres commerciaux doit prendre en compte les aspects culturels tels que les valeurs traditionnelles. Les valeurs de « modernité » et les valeurs traditionnelles ont souvent été opposées dans les travaux antérieurs (Mai et Smith, 2012). La nécessité de dépasser cette opposition été soulignée dans les travaux de Mbow (1972) qui en avait fait un argument important puisque les conséquences qui en découlent concernent l’Afrique entière. Pour lui, l’intégration des valeurs traditionnelles et modernes est un facteur d’équilibre socio-culturel déterminant pour la société africaine. Notre travail souligne l’intérêt d’associer les deux concepts car malgré leur fort ancrage dans les valeurs traditionnelles, les consommateurs sénégalais sont tout aussi attachés à la modernité des centres commerciaux innovants (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). Nos résultats complètent également les travaux antérieurs portant sur d’autres contextes (ex. Jolibert et Zhang, 2003) et indiquant comment les valeurs traditionnelles influencent le comportement du consommateur dans les pays qui accueillent des concepts occidentaux innovants. Les centres commerciaux innovants sont en effet dans l’obligation de faire une synthèse entre le global (qui vient d’ailleurs) et le local (ancré dans les traditions africaines) pour attirer la clientèle sénégalaise (elle-même scindée entre le local et le global).

Conclusion, implications pratiques, limites et futures recherches

Cet article avait pour objectif de comprendre les effets de la qualité de service d’un centre commercial innovant sur la valeur perçue du consommateur et son intention d’achat, en prenant en compte l’influence des valeurs traditionnelles, ancrées dans la notion d’Ubuntu et de Tributariat. D’abord, nos résultats ont montré que la recherche en marketing international (sur la qualité de service, la culture et les valeurs,…) permet de comprendre le comportement du consommateur en contexte africain (Sénégal), mais également les pratiques commerciales qui en découlent. Ensuite, ils apportent la preuve que les pratiques marketing applicables au Sénégal (gestion particulière des installations physiques, importance de l’interaction personnel-client, rôle de fiabilité des services offerts) peuvent enrichir le champ théorique du marketing international.

Les implications pratiques

Ce travail présente des implications pratiques pour l’élaboration des stratégies d’implantation et de développement des centres commerciaux au Sénégal et dans les pays d’Afrique subsaharienne de manière générale. Nous identifions trois grandes pratiques de gestion applicables en contexte sénégalais pour réussir l’implantation des centres commerciaux innovants.

Il est important de prendre en compte les aspects physiques du centre commercial innovant

Nos résultats soutiennent que l’aspect physique du centre commercial constitue un élément important de la qualité de service que les managers doivent intégrer dans leur stratégie en agissant sur le design et sur l’emplacement.

Il convient d’abord d’accorder une importance relative au design du centre commercial innovant. Ce dernier doit attirer et enchanter le visiteur en faisant référence à l’Occident (Depuis, 2002) tout en gardant une spécificité sénégalaise (notamment sur le décor). Pour attirer la clientèle sensible au croisement entre modernité et traditions, le centre commercial innovant peut par exemple jouer sur les couleurs qui sont des éléments visuels permettant d’attirer l’attention du passant en jouant sur l’Occident et sur l’Afrique (le Sénégal ici) simultanément. Les couleurs peuvent permettre d’assurer une meilleure visibilité et mémorisation du lieu dans un contexte de symbiose. L’utilisation de symboles locaux (ex. le Baobab ou le lion) est importante au Sénégal pour cultiver l’esprit patriotique ou appartenance nationale et valoriser la culture locale. En effet, il est important de prendre en compte la dimension culturelle véhiculée par les symboles locaux pour établir une relation durable avec le consommateur.

Cependant, même si les aspects physiques (ex. les installations) améliorent la valeur perçue du centre commercial, ils peuvent avoir un impact négatif sur l’intention d’achat (comportement typique des flâneurs). Ils sont aussi synonymes de cherté et d’inaccessibilité pour la clientèle locale. Par conséquent, il convient de proposer régulièrement des offres spéciales (à prix accessibles) et diversifiées (introduire des produits locaux) pour favoriser l’achat impulsif des multiples flâneurs qui viennent généralement pour la beauté des lieux.

Nous recommandons ensuite de porter une attention particulière à l’emplacement du centre commercial innovant. En effet, la localisation du centre commercial en centre-ville ou dans une zone enclavée entraîne souvent des problèmes d’accès et/ou de parking. En milieu africain où la circulation et les embouteillages sont des défis à relever, l’existence d’un parking non encombré (par des transports en commun, des charretiers, des marchands ambulants,…) est indispensable pour satisfaire la clientèle moderne des centres commerciaux. Le shopping dans un centre commercial innovant étant souvent une occasion de sortie en famille, il est important de prévoir des aires de jeux pour les enfants, mais aussi des espaces de repos, de culte et de discussion pour les adultes qui s’attendent à retrouver un niveau de convivialité élevé dans le centre commercial, comme dans le cadre familial. Ces espaces publics constituent des lieux de socialisation qui peuvent faire la différence pour générer du trafic dans les centres commerciaux innovants en milieu sénégalais.

L’amélioration de l’efficacité de l’interaction personnel-client est cruciale

D’abord, il est primordial de mettre en place une stratégie de communication adaptée. La relation entre le personnel de contact et la clientèle doit être gérée en s’appuyant sur la culture locale. En effet, nos résultats montrent que l’attention du personnel est la dimension de la qualité de service qui influence le plus l’intention d’achat dans le centre commercial innovant. Au Sénégal, les points de vente modernes développent une stratégie de gestion de la qualité de l’accueil qui est pourtant un aspect important dans la culture locale. Généralement, les centres commerciaux utilisent en Afrique les mêmes techniques de communication qu’en Occident. Cependant, celles-ci sont souvent considérées comme abstraites par les consommateurs africains. En Afrique, la communication avec le client doit se baser sur la confiance pour pouvoir se transformer en relations sociales durablse (Bikanda et Méfouté Bandiang, 2017). Par exemple, au Sénégal, la chaleur de l’accueil, le regard sympathique, la courtoisie, l’écoute et la disponibilité du personnel de vente sont des éléments déterminants pour satisfaire les clients. De manière générale, le sens de l’accueil (attention du personnel) fait partie des valeurs africaines auxquelles les clients sont sensibles (Diallo, Seck et Diop-Sall, 2015). De façon plus spécifique, le Sénégal est connu pour son sens de l’hospitalité (« Teranga »). Une gestion adéquate de la communication avec le client doit donc passer par une application des règles de l’hospitalité dans un centre commercial innovant dans ce pays (ex. donner des cadeaux surprises, valoriser le client en public, prendre le temps pour les salutations, l’écoute…).

Ensuite, il convient d’être attentif aux formules de politesse qui doivent être gérées de manière spécifique dans les centres commerciaux innovants en milieu africain. Tout contact client est censé commencer par une salutation en donnant la main et par un sourire. Pour le client africain, donner la main est une façon de montrer de la proximité de faire preuve de chaleur humaine. Le sourire rassure tout en mettant le visiteur en confiance. Le rôle du personnel de contact dans le centre commercial doit s’attacher à favoriser l’échange dans le respect des règles de politesse communément admises en Afrique. Par exemple, il est généralement attendu que le vendeur s’enquière de l’état de santé de la famille lorsque que le client arrive et qu’il lui demande de transmettre le bonjour à sa famille lorsqu’il quitte le lieu de vente. L’application de ces pratiques traditionnelles permettrait aux centres commerciaux innovants d’avoir un meilleur ancrage dans le contexte local, de favoriser un bouche à oreille positif et de fidéliser la clientèle.

La fiabilisation du service dans un centre commercial innovant reste primordiale

Tout d’abord, il convient de mettre en place une stratégie claire d’affichage et de gestion du prix. Généralement, l’affichage des prix reste un point faible en contexte africain à cause de problèmes de mise à jour et donc de fiabilité des prix affichés. Nous suggérons d’informatiser l’affichage des prix (étiquetage automatique) pour aider le client à avoir rapidement l’information adéquate sur le prix. L’absence d’affichage du prix exact peut être perçue par certains consommateurs comme une volonté de tromper le client et pourrait constituer un frein à l’achat futur. Par ailleurs, le prix se discute et se négocie en fonction de l’importance du client en milieu africain. Les centres commerciaux innovants pourraient appliquer cette pratique, au moins partiellement, en créant des espaces dédiés où les prix des produits peuvent être modifiés en fonction de l’importance du client, de sa fidélité et des recommandations qu’il fait du centre commercial dans son entourage (bouche-à-oreille). En pratique, les centres commerciaux innovants pourraient proposer deux systèmes de gestion des prix pour tenir compte de la spécificité de la clientèle africaine : un système d’affichage classique (prix fixes) et un système plus dynamique basé sur la négociation (ou marchandage).

Ensuite, nous suggérons de gérer attentivement les transactions et la documentation pour assurer la fiabilité des centres commerciaux innovants. D’une part, ceux-ci doivent communiquer sur la sécurité des transactions car la contrefaçon et la fraude se développent à mesure que l’Afrique modernise son paysage commercial. Par exemple, comme l’accès à Internet se démocratise en Afrique de manière générale, il convient d’informer sur la sécurité des transactions pour les achats en ligne. Cette communication permettra de rassurer les clients. D’autre part, les documents de vente utilisés par les centres commerciaux innovants doivent être adaptés, c’est-à-dire, simples et facilement compréhensibles. Par exemple, il convient de simplifier et rendre plus accessibles les conditions générales de vente qui sont souvent floues pour une partie des consommateurs.

Limites et pistes de recherches futures

Cet article comporte des limites qui ouvrent plusieurs pistes pour les travaux futurs. D’abord, il serait intéressant d’identifier d’autres valeurs traditionnelles plus spécifiques au Sénégal (comme l’hospitalité, appelée la « Teranga », la convivialité, le partage) pour ensuite étudier leur impact sur les relations étudiées dans ce travail. De plus, nous avons étudié l’effet de la qualité de service du point du consommateur dans un seul centre commercial (Sea Plaza) dans un seul pays africain (le Sénégal). Les travaux futurs pourraient s’étendre à d’autres centres commerciaux et à d’autres pays d’Afrique (anglophones, francophones, Maghreb) afin de valider les résultats obtenus dans d’autres contextes. Enfin, dans le prolongement des travaux sur le management et la gestion des ressources humaines (ex. D’Iribarne, 2003; Mutabazi, 2004; Tidjani et Kamdem, 2010), il conviendrait d’étudier l’influence des styles de management sur la performance des centres commerciaux en Afrique. On peut en effet supposer que différents styles de management peuvent impacter la motivation du personnel de contact et la performance sociale et économique du centre commercial innovant. Mieux comprendre l’influence des styles de management peut donc être la clé pour comprendre le succès ou l’échec des centres commerciaux innovants qui s’implantent en Afrique.