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Auteur d’un grand nombre d’articles et de plusieurs ouvrages, Antoine Bailly, professeur émérite de géographie de l’Université de Genève, présente ici son dernier ouvrage publié dans la collection « Géographie » dont il est responsable chez Anthropos (Economica). L’occasion m’a été offerte de présenter l’auteur dans les Cahiers de géographie à la faveur d’une recension d’un court ouvrage de cette collection écrit en collaboration avec un collègue (Joyal, 2018). Longtemps auparavant – oui, beaucoup d’eau a passé sous le pont de Québec depuis lors – Bailly avait publié un article dans les Cahiers de géographie du Québec, en collaboration avec Mario Polèse (Bailly et Polèse, 1978). L’un et l’autre, alors frais émoulus de leurs études doctorales à Philadelphie, oeuvraient au sein de ce qui était l’Institut national de la recherche scientifique (INRS)-Urbanisation. À cette époque, face à un difficile choix de carrière, c’est pour Genève, à proximité de Belfort où il était né, que l’auteur avait finalement opté, de préférence à Montréal. Cela, alors que son comparse Polèse, jusqu’à sa retraite récente, a poursuivi son chemin d’une façon on ne peut plus fructueuse dans ce qui est devenu l’INRS-UCS.

Dans une courte préface, la journaliste Christine Rondot, a recours à une simple phrase pour justifier l’approche adoptée dans cet ouvrage, comme dans ceux qui l’ont précédé : « Tout est géographie. » Elle voit en l’auteur un spécialiste de la représentation. Cela est très juste, mais la préfacière aurait pu ajouter que Bailly, en collaboration avec un collègue, a fondé la médicométrie, une discipline qui, dans le contexte de la pandémie de COVID-19 sévissant à travers le monde au moment d’écrire ces lignes, prend une importance toute particulière.

Dans sa propre présentation, Bailly précise que son ouvrage se compose « d’une série de chroniques, écrites en fonction de l’actualité, par un géographe qui scrute l’aspect spatial de nos problèmes contemporains » (p. 11). Son regard s’étend sur 8 chapitres se partageant pas moins de 23 encadrés dont plusieurs se rapportent à des écrits antérieurs. L’un d’eux, sous l’intitulé « Pourquoi enseigner la géographie ? », présente sous la forme d’un triangle les trois niveaux de la connaissance de la géographie, avec au sommet la « nouvelle » géographie, suivie des géographies régionale et classique (p. 29).

Le chapitre III, « Aménager nos territoires de vie », en intéressera plus d’un. On comprendra que l’auteur ne pouvait éviter une allusion à la DATAR (de son nom actuel : Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), créée sous De Gaulle en 1963, en réaction au classique Paris et le désert français de Jean-François Gravier. « Faut-il une organisation des territoires pour éviter les inégalités de développement ou laisser le libéralisme régler ses questions ? » (p. 43). Comme on l’imagine, soulever un tel questionnement, c’est y répondre. Mais alors, « Que proposent les géographes ? » (p. 51). En ayant Proudhon en tête, Bailly avance l’idée qu’il faille partir du local, des régions, pour – à la faveur d’une approche ascendante – parvenir à organiser les États de façon souple, respectueuse du principe de la subsidiarité. S’ensuit une section faisant l’éloge de la proximité grâce au bon voisinage.

L’actualité française de l’année 2018 a motivé la rédaction du chapitre IV « Gilets jaunes et fractures sociales ». Ces fractures ont inspiré le caricaturiste CHAH à présenter des protestataires ayant pris possession d’un rond-point et clamant « Liberté, Égalité… Diésel ». L’auteur en profite pour évoquer la pertinence du développement local par le bas (bottom up).

Le chapitre VI, « Géographie, gastronomie et déchets », attire l’attention comme on l’imagine, heureusement avec une attention plus grande à ce qui va sur la table plutôt qu’à la poubelle. On connaissait la « banane bleue »[1], Antoine Bailly nous fait connaître la diagonale gourmande qui, limitée à l’Hexagone, va de l’Île-de-France en Rhône-Alpes, en passant par la Bourgogne, il va sans dire. L’encadré qui lui est consacré laisse place à un autre qui associe le restaurant à un lieu d’identité. À ce chapitre, dommage que l’auteur n’ait pas été témoin de ce que ô combien le Québec a évolué depuis son séjour d’il y a 45 ans. Car, à prix égal, on y mange aussi bien, sinon mieux, que dans une France où, l’auteur en conviendra, le congelé et l’industriel dans la restauration occupent une place grandissante.

Les deux derniers chapitres, « Géographie de la santé » et « Pas de fin », font office de prémonition avec la COVID-19 tombée sur le monde comme l’équivalent des dix plaies d’Égypte. Avec toute la lucidité qui le caractérise, Bailly écrit : « Il faut le dire à nos autorités qui, trop souvent, ne prennent de décision qu’ex-post dans l’urgence, en se souciant juste de leur réélection et de la croissance économique » (p. 99) Vivement son prochain livre, qui devrait prendre appui sur la pandémie, laquelle aura laissé une marque sans précédent autour du globe.