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L’adaptation est une notion qui a progressivement été adoptée au sein de plusieurs organisations internationales, de gouvernements nationaux et locaux comme une réponse adéquate aux changements climatiques, mais surtout aux inévitables catastrophes écologiques qui en résultent. La géographie occupe une place particulière dans l’élaboration de ce concept, puisque c’est dans le cadre de l’École de géographie de Chicago que le concept moderne d’adaptation est formulé, et que les géographies humaines vont s’intéresser à la problématisation de la relation entre capitalisme et crise écologique.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’essai politico-historique de Romain Felli. Ce livre s’adresse aux sphères universitaires ou non qui s’intéressent à la dimension politique de l’adaptation aux changements climatiques. Plus particulièrement, les étudiants et étudiantes en géographie qui traitent des enjeux de réchauffement et changement climatique y trouveront des informations pratiques pour comprendre les différents échecs « des politiques nationales et internationales d’adaptation au changement climatique » (p. 22). Dans cet ouvrage, l’auteur adhère au courant néomarxiste et, de ce fait, explique le cadre théorique qui fonde son analyse par les concepts d’adaptation capitaliste, d’écologie libérale et de capitalisme de catastrophe. Son objectif est de démontrer comment la notion d’adaptation aux changements climatiques a été utilisée et mise en oeuvre « pour permettre une extension du marché dans tous les domaines de la vie » (p. 9). Suivant cet objectif, il construit son argumentaire autour de l’idée que l’adaptation climatique est un objet du projet politique néolibéral et que les questions environnementales ont contribué à la redéfinition de la nature même du capitalisme (p. 20).

En décortiquant le lien entre idées néolibérales et réponses contemporaines au défi de l’adaptation au changement climatique, l’auteur montre bien de quelles manières les grandes institutions internationales participent à une néolibéralisation de l’adaptation et à sa diffusion dans le monde (p. 118-119). Il s’agit ici d’une contribution majeure de l’ouvrage, puisque cette analyse critique vient déconstruire l’idée résolument positive de l’utilisation de l’adaptation comme la réponse appropriée aux changements climatiques.

Par contre, la principale limite du livre se situe dans la forme de la critique employée par l’auteur, c’est-à-dire que l’approche critique néomarxiste utilisée s’oppose au système capitaliste, mais cette opposition s’inscrit dans une structure de pensée agencée par ce même système dans lequel les mots et les concepts, eux-mêmes utilisés pour dénoncer le capitalisme, sont imposés par celui-ci : « capitalocène », « adaptation capitaliste », « écologie libérale » ou encore « capitalisme de catastrophe ». Le néomarxisme est une idéologie réactionnaire qui répond aux oppressions du système capitaliste sans toutefois offrir des pistes de réflexion dépassant ce cadre d’opposition. Cette limitation est particulièrement visible dans la conclusion, où l’auteur propose d’opter pour un contre-mouvement anti-néolibéral basé sur le socialisme démocratique constituant le meilleur espoir pour réduire les effets négatifs de la catastrophe climatique (p. 202-203).

Le livre est divisé entre quatre parties cohérentes et orientées de manière chronologique afin que le lecteur puisse comprendre l’évolution historique de la notion d’adaptation climatique comme un outil politicoéconomique néolibéral participant à la redéfinition du capitalisme. La structure du livre s’articule autour de la relation entre capitalisme et enjeux climatiques, ainsi qu’à partir de l’idée que la stratégie d’adaptation est préférée à celle d’atténuation, ce qui pour l’auteur illustre la logique néolibérale derrière le concept.

La première partie introduit la notion d’adaptation dans un contexte sociopolitique étasunien marqué, au tournant des années 1970, par une prise de conscience de la crise climatique qui est influencée par les penseurs néomalthusiens. Dans ce segment, le livre introduit les mécanismes d’internationalisation de l’adaptation et explique comment la résilience s’est imposée dans le débat comme la solution aux changements climatiques, et ce, au détriment de la réduction des émissions de dioxyde de carbone (p. 68). La dualité entre ces deux options est omniprésente dans le livre, et l’auteur suggère à plusieurs reprises que la réduction constitue la meilleure option contre les changements climatiques (p. 201-202).

Dans le deuxième segment, l’auteur critique la solution libérale de la flexibilité, proposée au début des années 1980 par les élites économiques et politiques étasuniennes pour répondre aux contraintes climatiques. L’ouvrage montre de manière cohérente de quelle façon les évangélistes étasuniens de la flexibilité vont chercher à promouvoir l’extension de la doctrine du marché à travers les organisations internationales et, de ce fait, orientent la réponse aux changements climatiques vers une vision fonctionnaliste de l’adaptation (p. 83).

La troisième partie du livre montre de quelle manière le néolibéralisme a influencé les réponses contemporaines au défi de l’adaptation aux changements climatiques, et ce, principalement à travers l’utilisation de la microfinance pour étendre la rationalité du néolibéralisme économique. L’auteur illustre, avec l’exemple de la crise de l’endettement par le microcrédit dans l’État indien de l’Andhra Pradesh, comment le système capitaliste s’est étendu dans une région jusque-là inaccessible, ce qui a augmenté la vulnérabilité des paysans les plus pauvres (p. 128-129).

Dans la dernière partie, l’auteur aborde l’enjeu des migrants climatiques à travers trois réactions en provenance du gouvernement des États-Unis et des organisations internationales concernées par les questions de changement climatique et de migration. À travers le concept de migration entrepreneuriale, il met en lumière la façon dont les organisations internationales, sous couvert de la liberté de circulation, favorisent le néolibéralisme économique en considérant les migrants comme une source de main-d’oeuvre mobile et adaptable (p. 174).

Ce livre contribue de manière plus large à dénoncer la néolibéralisation des idées au sein des organisations internationales, mais aussi dans les sphères universitaires en refusant le raisonnement libéral. Cela dit, son approche amène Romain Felli à proposer une alternative au capitalisme, laquelle passe obligatoirement par une « intensification de la lutte des classes » (p. 198) ; mais loin d’être une nouvelle proposition, cette dernière s’avère plutôt le symbole d’un discours critique conformiste. La lecture du livre est recommandée pour aider à mieux comprendre les mécanismes derrière le projet politique néolibéral de l’adaptation climatique. Il ne faut cependant pas y chercher une nouvelle forme de critique du capitalisme, ni des solutions originales pour répondre aux enjeux des changements climatiques.