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Depuis 30 ans, les migrations se sont intensifiées, mondialisées, complexifiées en même temps que de nouvelles destinations et de nouvelles formes de mobilité se faisaient jour. On parle aujourd’hui de près de 250 millions de migrants sur la planète (chiffre de l’Organisation des Nations Unies [ONU]), soit plus de 3 % de la population mondiale. Les migrations internationales sont devenues un enjeu fondamental dans chacune des sociétés qu’elles concernent, celles de départ comme celles d’arrivée, en passant par les espaces de transit.

Dans cet ouvrage de 388 pages, Yann Scioldo-Zürcher, Marie-Antoinette Hily et Emmanuel Ma Mung exposent le fruit d’une expérience collective de recherches : une trentaine de chercheurs, géographes, sociologues, anthropologues, démographes, historiens, juristes et mathématiciens, membres pour la plupart du réseau MIGRINTER (laboratoire spécialisé sur les migrations internationales), proposent un condensé de leurs travaux issus de multiples enquêtes, dans le but de donner au lecteur des pistes d’analyse, d’étude et de compréhension des migrations internationales.

Les quatre parties de cet ouvrage sont divisées en quatorze chapitres agrémentés d’une multitude de références bibliographiques et de douze pages d’une solide bibliographie. Chaque chapitre consiste en une lecture chronologique de l’évolution des recherches sur les migrations internationales.

La première partie « Espaces migratoires et territoires circulatoires » traite de la manière dont on est passé du concept de champ migratoire aux notions de circulation migratoire, territoire migratoire et projet migratoire. Les termes « immigré » et « émigré » laissent place à « migrant ». Une attention particulière est réservée à l’expérience migratoire des personnes mineures. L’analyse de leurs récits et les mots de leurs langages ont donné vie à l’élaboration d’un lexique et d’une cartographie. La carte intitulée « Carnets de route des mineurs » (p. 91) spatialise leurs trajectoires migratoires avec, pour chacune, la configuration du parcours, les ressources mobilisables et les terrains de vulnérabilité, donnant ainsi une excellente image des travaux en cours.

Dans la seconde partie « Migrations et dynamiques urbaines, habiter la ville », les auteurs nous présentent une lecture des recherches sur les migrations et la ville. « La ville est considérée comme un lieu de concentration d’une grande diversité d’expériences migratoires en lien avec une grande diversité des manières d’habiter » (p. 196). Ils s’interrogent aujourd’hui sur le migrant utilisateur et créateur de l’urbain, sur sa contribution spécifique et sur la transformation de l’espace dans lequel il est impliqué. Les auteurs nous font partager leur conviction que l’étude des migrations est un révélateur efficace des mutations urbaines. L’échelle du quartier et de la rue commerçante est alors privilégiée. Le dernier chapitre, « La santé en ville », pose la question de la santé comme révélatrice de façons de pratiquer et d’habiter la ville pour les migrants. Un groupe de chercheuses analyse, aux échelles internationale, locale et microlocale, la place qu’occupe la santé dans les expériences migratoires : effets des migrations sur la santé, recours et accès aux soins pour les migrants.

Les trois chapitres de la troisième partie, « Migrations et sociétés d’origine », rendent compte des effets des migrations sur les sociétés de départ. Sont discutées les questions du retour et du rôle des associations de migrants. Un accent particulier est mis sur l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la vie des migrants, nouveau lien entre ces derniers et leur société d’origine comme celle d’accueil, pratiques de communication transnationales devenues facilement accessibles et donc plus fréquentes.

À l’échelle mondiale, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont comptabilisés parmi les migrants. Ils font l’objet de la quatrième partie, « Des réfugiés aux politiques d’asile ». Le passage de leur subordination aux politiques diplomatiques, marqué par un nombre élevé d’accords dans le contexte de la guerre froide, à une subordination aux politiques migratoires dans le contexte de la crise économique et de l’institution de la migration comme problème public, est marqué par un durcissement des législations du droit d’asile et des politiques de contrôle et d’exclusion. À ces formes de subordination correspondent plusieurs figures de l’exilé : le réfugié, le demandeur d’asile, le débouté et l’expulsé.

Les migrations de crises (politiques et environnementales) ouvrent de nouveaux questionnements. Peuvent-elles être qualifiées de migrations forcées ? Peut-on parler de transnationalisme forcé ? Quel sens donner à l’expression « réfugié urbain » ? Les camps de réfugiés constituent-ils des espaces urbains ? Une réflexion est également menée sur les liens entre changement climatique, dégradation environnementale et mobilité humaine.

Les dernières pages portent sur « l’approche juridique de l’enfant au gré des migrations », enfant migrant, enfant de migrant : un champ d’étude juridique et géographique encore peu exploré qui met en question le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La parution de ce livre est bienvenue en cette époque de tension politique et sociale sur les questions de migration, d’intégration et d’assimilation dans de très nombreux pays. Au regard de l’ensemble des apports généraux, cet ouvrage collectif présente une analyse très riche et très documentée sur la problématique des migrations internationales. Il en restitue l’état des connaissances et les replace dans leur environnement intellectuel et historique ; il favorise aussi les questionnements.

Jouant le jeu de l’interdisciplinarité, ce livre rend les migrations internationales plus compréhensibles et clarifie les concepts qui favorisent leur analyse. Chaque chapitre est bien argumenté et organisé de façon à en faciliter la lecture. S’appuyant sur de solides sources bibliographiques et sur de multiples études de cas et d’enquêtes de terrain (souvent menées dans le cadre de l’Agence nationale de la recherche), les spécialistes qui ont contribué à cette réflexion fournissent nombre de pistes d’approfondissement. L’ouvrage constitue ainsi un outil efficace pour quiconque s’intéresse, dans sa pratique professionnelle, ses études ou ses recherches, à la réalité des migrations internationales, mais aussi pour qui cherche des réponses face aux événements qui se précipitent ces dernières années. Les lecteurs y trouveront notamment un état des lieux méthodique et critique des politiques en faveur des migrants, ainsi que des pistes de réflexion novatrices dans le traitement de la question des réfugiés et des enfants migrants. Il demeure une référence dans le domaine de l’étude des migrations internationales.

Une petite remarque : dans la bibliographie conséquente (plus de 250 références), n’est pas mentionné l’ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden paru en 2016. Mais cela n’enlève rien, au final, à l’utilité scientifique de ce livre.