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Perdre la tête, perdre son identité de soi? Les présomptions cisnormatives qui façonnent la contrainte à la continuité biographique

« L’idée de perdre la tête – comme le laisse entendre la traduction littérale de démence – est effectivement très effrayante. Elle suggère la perte de sa place dans le monde adulte. Elle implique l’amputation douloureuse de son soi antérieur. Quand on descend dans un état de détérioration cognitive accrue, on s’imagine que son soi disparaît couche après couche en même temps qu’on perd toute une vie de souvenirs. »[1]

Haeusermann, 2019, 1

Cette citation, tirée d’un article qui interroge la « continuité forcée » du soi pré-démence[2] dans les soins liés à la démence (Haeusermann, 2019, 1), souligne un des aspects les plus terrifiants de la démence aux yeux de la plupart des personnes, des chercheur.euses et des professionnel.les de la santé : la potentielle « perte » du soi. Dans les représentations du vieillissement, les récits de soins, les discours politiques, les témoignages individuels et l’imaginaire social, la démence est perçue comme problématique en grande partie en raison de son impact souvent radical sur le soi. Pour plusieurs, l’idée que nous, ou qu’une personne que nous aimons, pourrions perdre nos souvenirs ou subir un potentiel changement cognitif qui nous rendrait méconnaissable s’apparente à la mort. Ainsi, la démence devient une chose à éviter à tout prix, une chose à la fois abjecte et indésirable. Ces peurs font partie intégrante de ce qui alimente les attitudes capacitistes et cogniticistes envers la démence et les attitudes âgistes envers les personnes âgées plus globalement. Nous avons créé le terme « cogniticisme » pour désigner le « système d’oppression qui discrimine les personnes ayant un handicap cognitif/mental » (Baril et Silverman, 2019, 12). Les composantes normatives de ce système d’oppression se manifestent sous forme de cognonormativité, une notion élaborée par King quelques années plus tôt (King, 2016, 59).

Le présent article soutient que les peurs qui alimentent les conceptions répandues de la perte du soi associée à la démence, ainsi que les pratiques connexes visant à préserver le soi pré-démence, ou ce que Haeusermann (2019) nomme la « continuité forcée », sont ancrées non seulement dans le capacitisme, le cogniticisme et l’âgisme, mais aussi dans la cisnormativité et ce que nous définissons plus loin comme la « ciscognonormativité ». Bien que la cisnormativité soit un concept typiquement utilisé dans les études trans pour désigner la composante normative d’un système cisgenriste (ou transphobe) (Ansara et Hegarty, 2012; Pyne, 2011), nous mobilisons la notion de cisnormativité* dans un sens plus large, suivant l’invitation de Baril (2009; 2013) à élargir le concept en revenant à ses origines historiques comme préfixe désignant l’invariabilité ou l’immutabilité (sameness). Dans le présent article, nos arguments sont exprimés à l’aide du terme cisnormativité* avec un astérisque pour indiquer, tout comme Baril, une définition élargie du concept[3]. Nous employons le concept de cisnormativité* pour désigner les attentes normatives liées à la continuité ou à l’invariabilité du sexe/genre, ainsi que celles associées aux multiples formes de continuité et d’invariabilité, dont la continuité biographique des personnes ayant une démence. Notre conceptualisation de la cisnormativité* réfère au fait que, à partir d’une perspective normative, nous nous attendons à ce que les gens demeurent plus ou moins inchangés tout au long de leur vie, une injonction que nous nommons ici la « contrainte à la continuité biographique », un terme inspiré par les théories féministes, queer et crip sur la « contrainte à l’hétérosexualité », la « contrainte à la validité » (compulsory able-bodiedness), la « contrainte à la lucidité » (compulsory able-mindedness) (Kafer, 2013; McRuer, 2003; Sandberg et Marshall, 2017) et la « contrainte à la nostalgie » (Kafer, 2013). Plusieurs changements provoqués par l’âge et par les stades de la vie, notamment devenir adulte, devenir parent, endosser de nouvelles identités professionnelles, changer d’affiliation politique, intégrer de nouvelles perspectives grâce au développement personnel, changer de religion ou gagner ou perdre du poids, parmi d’autres, sont généralement considérés plutôt acceptables ou, du moins, ne sont pas compris comme causant la perte de soi (bien que certains puissent mener à la discrimination ou à la marginalisation). Toutefois, en cas d’importants changements cognitifs comme ceux qui accompagnent la démence, le soi est compris comme étant perturbé au point de créer une rupture importante de la continuité biographique, ce qui constitue une menace pour les conceptions cisnormatives* du soi. Ceci est également vrai pour les autres formes de handicap, comme nous le rappelle Kafer (2013, 42-43) :

En effet, les peurs concernant la longévité « quelles qu’en soient les circonstances » – c’est-à-dire la peur du handicap – sont souvent liées à une sorte de contrainte à la nostalgie du corps/esprit valide perdu, nostalgie d’un corps/esprit qui n’a peut-être jamais existé. Les personnes ayant un handicap « acquis », par exemple, sont décrites (et se décrivent souvent elles-mêmes) comme si elles étaient multiples, comme si elles avaient un double et existaient sur deux plans différents, mais parallèles : le soi « d’avant le handicap » et le soi « d’après le handicap » (comme si la distinction était toujours aussi claire et toujours aussi binaire). La contrainte à la nostalgie est ici à l’oeuvre, accompagnée de l’attente culturelle selon laquelle la relation entre ces deux soi est toujours celle d’une perte, une perte qui ne procède que dans une seule direction. Le soi « d’après » aspire au temps « d’avant », mais pas l’inverse; par exemple, nous ne pouvons imaginer une personne qui regagnerait la capacité de marcher et à qui manquerait la sensation de pousser un fauteuil roulant ou de se déplacer avec des béquilles.

Pour désigner la forme particulière de continuité biographique imposée aux personnes ayant un handicap cognitif, dont celles ayant une démence, nous avons créé les termes « ciscognonormativité », une composante précise de la cisnormativité*, et du « cisisme », le système d’oppression plus large abordé dans la troisième section de cet article.

Le présent article est divisé en quatre sections. La première explore les écrits sur l’identité individuelle (« personhood ») et les concepts du soi au sein des études sur la démence afin de démontrer que, même si les interprétations du soi dans le contexte de la démence se sont considérablement multipliées – par exemple, en intégrant les perspectives critiques et non pathologiques et les aspects corporels de l’identité individuelle – la majorité des discours, des recherches et des interventions sur la démence met l’accent sur l’importance de la continuité biographique et la préservation du soi pré-démence. Dans la deuxième section, nous nous penchons sur le concept de cisnormativité, traçons ses racines généalogiques et historiques et explorons sa « resignification » émergeante dans les travaux universitaires grâce à l’utilisation de l’astérisque. Dans la troisième section, nous proposons de remobiliser le concept de cisnormativité* dans le contexte du handicap cognitif. Nous appliquons à la démence les concepts de cisisme, de cisnormativité* et de ciscognonormativité et démontrons en quoi ce système d’oppression et ses composantes normatives sont imbriqués dans le capacitisme, le cogniticisme et l’âgisme et jouent un rôle dans les injustices épistémiques que vivent les personnes ayant une démence (c’est-à-dire les injustices ayant un impact sur elles en tant que sujets connaissants). Dans la quatrième et dernière section, nous mobilisons les outils épistémologiques et théoriques des études trans pour proposer de transer[4] la démence de manière à perturber les conceptualisations normatives du soi dans le contexte de la démence. En nous appuyant sur notre paradigme trans-affirmatif, crip-positif et anti-âgiste pour les interventions auprès de personnes trans ayant une démence (Baril et Silverman, 2019), nous repensons la notion d’identité de soi en l’ancrant dans la valorisation de la fluidité et de la variabilité, plutôt que dans l’injonction cisnormative* à l’invariabilité. Nous soutenons que les personnes ayant une démence ne devraient pas avoir à se conformer à la cisnormativité* et à la contrainte à la continuité biographique pour être vues comme dignes de reconnaissance, d’agentivité et de crédibilité épistémique. Grâce à ses applications dans plusieurs disciplines, notamment les études sur la démence, les études trans, les études queer et sur le genre, les études crip/Mad et la gérontologie critique, nous croyons que la reconceptualisation du soi dans le contexte de la démence à l’aide d’outils conceptuels des études trans et sur le handicap/crip peut aider à réduire les peurs associées à la démence, ainsi que les attitudes capacitistes, cogniticistes et âgistes qui les accompagnent. Dans la même veine, nous croyons que de faire dialoguer la notion de cisnormativité* avec celle de démence peut aider à élargir et à décentrer les études trans des enjeux de sexe/genre. Autrement dit, notre proposition de transer la démence implique aussi de transer à la fois la cisnormativité et les études trans.

S’y accrocher comme si sa vie en dépendait : le soi en contexte de démence

Avant de faire le bilan de la conceptualisation du soi au sein des recherches sur la démence, il est crucial de présenter quelques importantes mises en garde. Premièrement, l’intention de cet article n’est pas de s’engager dans une analyse philosophique de l’identité individuelle (personhood) ou de l’identité de soi (selfhood). Cette analyse a déjà été entreprise dans des textes clés comme ceux de Parfit (1984), Dworkin (1986), Dresser (1995), Jaworska (1999) et Sabat et Harré (1992), parmi d’autres. Higgs et Gilleard (2016) présentent aussi une excellente discussion à propos des nuances et des lacunes du terme « personhood » en expliquant les différences entre l’identité individuelle comme statut moral, comme état métaphysique et, dans plusieurs champs de pratique, son interprétation comme soins axés sur la personne (voir les pages 11-26). Dewing (2007) explore aussi diverses définitions de l’identité individuelle, ainsi que les failles que présentent la popularisation et l’usage courant de la conception de l’identité individuelle proposée par Kitwood (1997). Bien que les termes « person/personhood » (« personne/identité individuelle ») et « self/selfhood » (« soi/identité de soi ») soient souvent utilisés indifféremment dans la littérature sur la démence, la popularisation du travail de Kitwood (1997) a suscité l’utilisation accrue des termes « person/personhood » (« personne/identité individuelle ») dans les études sur la démence. Par conséquent, nous employons « identité individuelle » dans la revue de littérature présentée dans cet article. Cela étant dit, à l’instar de Sabat et Harré (1992), nous avons décidé d’exprimer nos propres arguments à l’aide des termes « soi/identité de soi ». Les travaux de Sabat et Harré font référence à la nature construite et située du soi et au fait que nous possédons de multiples « soi » qui représentent diverses facettes d’un tout apparemment cohésif. Nous trouvons cette focalisation sur les aspects situés, construits, performés et discursifs du soi utile dans nos réflexions sur le changement et la fluidité dans le contexte de la démence. Nous utilisons donc les mots « soi/identité de soi » pour désigner la combinaison d’éléments qui constituent l’identité d’une personne, notamment ses souvenirs, ses récits, sa personnalité, ses préférences, son image publique, et plus encore.

Le concept d’identité individuelle a joué un rôle fondamental dans la lutte contre le discours du modèle médical sur la perte globale qu’entraînerait la démence. Depuis les années 1990, à partir du travail pionnier sur l’identité individuelle de Tom Kitwood (1997), il existe une sensibilisation croissante par rapport au besoin d’offrir aux personnes ayant une démence des soins personnalisés qui répondent à leurs besoins en matière de connexion, de relation, de respect, de confort et de reconnaissance (Fazio et al., 2018). Outre sa revendication de soins personnalisés, Kitwood insiste sur le fait que les personnes ayant une démence peuvent conserver leur identité et que les prestataires de soins devraient les aider à maintenir leur identité pré-démence. Les écrits de Kitwood sont devenus les fondements de ce qu’on appelle aujourd’hui les pratiques de soins axés sur la personne qui, dans certains pays européens et nord-américains, sont souvent considérées comme pratiques exemplaires au regard des interventions dans le champ de la démence (Aubrecht et Keefe, 2016; Fazio et al., 2018). Ancrées dans la notion d’identité individuelle, les pratiques de soins personnalisés ont sans doute amélioré considérablement la vie de nombreuses personnes ayant une démence; néanmoins, il ne s’agit pas d’une panacée. Bien des personnes ayant une démence demeurent stigmatisées, dépossédées sur le plan narratif (Baldwin, 2008), désavantagées socialement (Beard et Fox, 2008) et ne sont pas toujours traitées comme individus qui possèdent des opinions valables (Brannelly, 2011). De plus, le concept d’identité individuelle est critiqué pour ne pas aller assez loin dans la réhabilitation de l’agentivité des personnes ayant une démence. Ce reproche provient principalement de travaux qui proposent de nouvelles conceptualisations de l’agentivité et de la citoyenneté sociale des personnes ayant une démence et qui affirment que l’identité individuelle à elle seule est insuffisante pour rétablir la place de ces personnes dans la société. Par exemple, dans leur travail influent sur la citoyenneté sociale des personnes ayant une démence, Bartlett et O'Connor (2007; 2010) expliquent que « l’identité individuelle est conceptualisée comme si elle était conférée à la personne ayant une démence, suggérant ainsi une compréhension unidirectionnelle qui situerait la personne ayant une démence comme étant passivement dépendante des autres pour l’affirmation de soi » (Bartlett et O'Connor, 2007, 110). Ces travaux, et ceux qui les suivent, soutiennent que ces individus doivent être vus non seulement comme personnes, mais aussi comme des citoyen.nes, agent.es et participant.es actif.ves dans le monde (Baldwin et Greason, 2016; Bartlett et O'Connor, 2010; Boyle, 2014). Récemment, O'Connor (2019) a soutenu que la « citoyenneté en pratique » exige le respect du droit des personnes ayant une démence de se développer et de changer, ainsi que la valorisation de leurs identités multiples et imbriquées. Malgré ces contributions importantes qui soulignent l’agentivité et la fluidité du soi, la littérature sur la citoyenneté n’intègre pas, comme nous le faisons ici, d’autres champs de savoirs qui abordent aussi la fluidité du soi, notamment les études trans.

Pour les fins du présent article, notre intérêt principal pour la notion d’identité individuelle s’articule autour de l’idée selon laquelle il faudrait encourager les personnes ayant une démence à préserver leur identité ou leur soi pré-démence, ainsi que de la propagation de cette idée au sein des recherches et des interventions sur la démence. L’importance accordée au soi pré-démence se voit même dans le plus récent « tournant corporel » des recherches et des interventions sur la démence, qui soulignent les manières dont le corps peut être un outil pour faciliter l’expression de l’identité chez les personnes ayant une démence. Par exemple, les observations ethnographiques pionnières de Kontos (2004; 2005; 2006) dans les établissements de soins démontrent non seulement que les corps des personnes ayant une démence peuvent exprimer leur identité de soi, mais aussi que « le corps est un moyen significatif par lequel les personnes avec d’importantes incapacités cognitives interagissent avec le monde » (Kontos, 2005, 556). Alors que le travail de Kontos soutient que le corps constitue un moyen d’expression du soi actuel, il souligne aussi les codes socioculturels du soi pré-démence conservés dans le corps de manière pré-réflexive et exprimés par la musique, le mouvement et les habitudes gestuelles comme taper des mains, éplucher un oeuf ou manipuler ses bijoux (Kontos, 2005). Dans le même ordre d’idée, Twigg et Buse (2013) et Buse et Twigg (2016; 2014) ont montré que les vêtements et les objets personnels comme les sacs à main peuvent aider les personnes ayant une démence à exprimer leur identité et à retenir les connexions, les souvenirs et la continuité liés à leur soi pré-démence. De façon similaire, Ward et Campbell (2013) et Ward, Campbell et Keady (2014) ont démontré que les soins corporels, notamment la coiffure, constituent une des manières pour les personnes ayant une démence de pouvoir exprimer, et donc de maintenir, certains aspects de leur identité de soi pré-démence. Ce type de recherches axées sur le corps se développe en parallèle avec la popularité croissante d’interventions axées sur les arts dans les pratiques de soins de la démence qui mobilisent la musique, le mouvement, le théâtre ou les arts visuels pour évoquer l’expression du soi, un soi qui dépend d’une certaine continuité avec le passé (Dupuis et al., 2016; Gray et al., 2020; Habron, 2013; Kontos et Naglie, 2007). Ces recherches et ces interventions axées sur le corps et sur les arts se sont avérées indispensables pour améliorer les conditions de vie des personnes ayant une démence et pour souligner le fait que ces personnes sont en mesure de maintenir leur agentivité. Nous tentons de contribuer à ce travail important en encourageant la réflexion sur le fait que, dans les recherches et les pratiques associées à la démence, ainsi que dans les études critiques sur la démence (à quelques exceptions près), il existe aussi, au-delà de la valorisation de l’agentivité, une valorisation de l’idée de maintenir une continuité biographique. Une de ces exceptions se trouve dans le travail de Linn Sandberg (2018), qui avance que le maintien de cette continuité chez les personnes ayant une démence s’opère à travers la pression exercée pour maintenir une performativité normative de genre et d’orientation sexuelle.

Michael Bury (1982) est un des premiers sociologues à avoir affirmé que la maladie chronique perturbe les structures, les routines et les relations de la vie et présente ainsi une menace pour la continuité biographique. Quoiqu’elle ne soit pas conceptualisée dans le contexte de la démence, la notion de « perturbation biographique » de Bury semble s’être installée dans l’imaginaire social, dans les discours et dans les recherches liés à la démence. Pour bon nombre d’individus, de familles et de milieux de pratique, il existe un désir de minimiser la perturbation biographique de la démence et d’atténuer son impact sur les souvenirs, les récits et l’identité personnelle. Harnett et Jönson (2017) ont montré que les pratiques de soins infirmiers auprès de personnes ayant une démence sont souvent fondées sur les caractéristiques de la personne avant la démence, ce qui renforce l’idée de la continuité biographique. Harnett et Jönson (2017, 3) expliquent :

En entretiens, les références biographiques à la vie à l’extérieur des établissements de soins étaient souvent utilisées pour définir les besoins personnels. Les références à la vie externe étaient utilisées pour remettre en question les idées traditionnelles selon lesquelles les personnes résidentes devraient s’adapter aux routines institutionnelles.

Toujours dans la même veine, Haeusermann (2019), dont la citation apparaît en tête d’article, confirme que ses observations ethnographiques dans un village pour personnes ayant une démence en Allemagne montrent que « souvent, vivre et soigner dans un village pour les personnes ayant une démence veut dire vivre avec un passé imaginé à travers le rôle tenu antérieurement comme personnalité publique et comme repère biographique » (Haeusermann, 2019, 6). Pour le dire autrement, la « continuité forcée », présumée préférable, était souvent imposée à la personne ayant une démence, ce qui menait potentiellement à des formes insidieuses de violence (Haeusermann, 2019, 2). La continuité était non seulement imposée par le personnel, mais aussi désirée et réclamée par plusieurs familles qui voulaient que leur proche maintienne ses habitudes et son apparence d’autrefois. Ceci fait écho aux écrits de Buse et Twigg (2018) sur les vêtements et la démence, qui mentionnent que plusieurs prestataires de soins insistent sur le maintien de l’apparence dans un effort pour préserver la normalité et la continuité et éviter d’exacerber la stigmatisation[5]. Baril, Silverman, Gauthier et Lévesque (2020) démontrent l’existence d’un phénomène semblable relatif à la planification de fin de vie des personnes trans : souvent, les activistes, les personnes alliées et les familles encouragent les personnes trans âgées à établir des directives préalables concernant leur genre dans l’objectif de maintenir la continuité de genre dans le contexte de la démence.

Nous soutenons que les interventions fondées sur la continuité biographique, même celles dont l’intention est d’aider les personnes ayant une démence à maintenir leur agentivité et leur capacité d’agir, peuvent avoir des conséquences inattendues. Bien que le désir de viser la continuité biographique dans le contexte d’un handicap cognitif soit compréhensible, surtout lorsque ce désir vise à éviter des formes supplémentaires de stigmatisation et de marginalisation et à maintenir les connexions avec la personne touchée, il soulève aussi plusieurs questions. Quelles sont les présomptions qui façonnent le désir de continuité? Quelles sont les répercussions négatives de ce désir non seulement pour les personnes ayant une démence, mais aussi plus globalement pour les conceptualisations du soi associées à tant d’autres changements au cours d’une vie? Tout en respectant et en reconnaissant les importantes interventions et pratiques qui valorisent les besoins individuels des personnes ayant une démence et qui tentent de faciliter l’expression de leur soi (continu), nous critiquons le fait que la valeur accordée collectivement au soi pré-démence, clairement évidente dans plusieurs sphères de recherche et de pratique sur la démence, dont les études critiques sur la démence, est trop souvent fondée sur une notion statique du soi et de l’expérience humaine. Nous ne critiquons pas le fait que de nombreuses personnes ayant une démence et leurs réseaux de soutien veuillent maintenir leur soi d’autrefois auquel elles peuvent toujours s’identifier. Nous remettons tout simplement en question les présomptions favorisant la priorisation de la continuité et soutenons que la valeur exagérée attribuée au soi inchangé nous enferme, en ce qui concerne la démence, dans un récit opprimant de peur et de perte, un récit ayant des conséquences tout à fait réelles sur la vie des personnes ayant une démence, comme nous l’expliquons dans les troisième et quatrième parties du présent article. De plus, comme nous le présentons dans les sections qui suivent, la valorisation du soi pré-démence, ainsi que la contrainte à la continuité biographique nécessaire pour maintenir ce soi, est fondée sur des formes imbriquées d’âgisme, de capacitisme et de cogniticisme. Ces oppressions interagissent avec le cisisme et ses composantes normatives, la cisnormativité* et la ciscognonormativité, de telle sorte qu’elles créent de multiples formes de discrimination et d’injustice.

Généalogie critique et « resignification » de la notion de cisnormativité

Le concept de cisnormativité, qui se situe au coeur de cet article, est aujourd’hui couramment utilisé dans une variété de champs de recherche. Toutefois, à notre connaissance, une généalogie du concept n’a jamais été entreprise. Parce que nous mobilisons ce concept de manière centrale, tout en nous éloignant de son usage traditionnel, il nous paraît important de présenter en détail l’historique de son usage et de revisiter sa signification, un détour qui représente lui-même une contribution pertinente aux disciplines qui mobilisent ce concept. Cette deuxième section propose donc une généalogie de l’usage historique et courant du préfixe « cis- » et de ses termes connexes, notamment « cisnormativité », afin d’élucider dans la troisième section leur pertinence pour la théorisation du soi dans le contexte de la démence. Les origines du préfixe « cis » peuvent se résumer ainsi :

En sciences pures, l’adjectif cis est employé comme antonyme de trans, le premier référant à un élément qui est du même côté, le second, qui, dans ses origines latines, signifie « par-delà », référant à un élément appartenant aux deux côtés. Plus généralement, le préfixe trans, par opposition au préfixe cis, indique une transformation. Le préfixe cis est accolé aux termes de sexe et de genre pour désigner les personnes qui ne font pas de transition de sexe.

Baril, 2009, 283-284, citation originale en français[6]

Comme l’explique Enke (2012), la biologiste Leland Defosse est reconnue pour avoir forgé le terme « cisgenre » au milieu des années 1990, quoique ses efforts pour disséminer ce néologisme n’aient pas connu beaucoup de succès. Selon Enke, deux événements ont contribué à l’éventuelle dissémination plus large du terme : premièrement, l’usage des termes « cisgenre », « cissexuel » et « cissororité » (« cisterhood ») par la transféministe renommée Koyama (2002) et deuxièmement, la création de concepts connexes par Serano (2007), dont le cissexisme, le privilège cissexuel et l’évidence cissexuelle. Bien que Serano et les communautés trans plus globalement aient fourni plusieurs concepts permettant de réfléchir aux identités et aux privilèges cisgenres et aient préparé le terrain pour de nouveaux termes, ce n’est qu’en 2009 que la notion de cisnormativité a commencé à émerger dans les recherches universitaires. Dans les littératures de langue française et de langue anglaise, le concept de cisnormativité est apparu simultanément dans les travaux de Bauer et al. (2009) et de Baril (2009). Bauer et al. (2009, 356) définissent la cisnormativité ainsi :

La cisnormativité décrit la présomption que toute personne est cissexuelle, que les personnes assignées garçons à la naissance grandissent toujours en homme et que celles assignées filles à la naissance grandissent toujours en femme. Cette présomption est tellement systématique que, jusqu’à présent, aucun nom ne lui a été donné. Les présomptions cisnormatives sont si répandues qu’il est même difficile de les reconnaître à première vue. La cisnormativité façonne les activités sociales comme l’éducation des enfants, les politiques et les pratiques individuelles et institutionnelles et l’organisation du monde social plus généralement à travers les manières dont les individus sont comptés et les soins de santé sont organisés. La cisnormativité refuse la possibilité de l’existence trans et de la visibilité trans.

Tout en reconnaissant la contribution inestimable de Bauer et son équipe (Trans Pulse Survey), nous aimerions souligner que bien que cette équipe ait proposé le terme « cisnormativité » dans leur article et ait reconnu l’influence de Serano dans leur théorisation, leur définition de « cisnormativité » se rapproche beaucoup de ce que Serano décrit comme « l’évidence cissexuelle ». Selon Serano (2007, 164-165) :

Le deuxième processus qui facilite le privilège cissexuel est l’évidence cissexuelle. Celle-ci se produit quand une personne cissexuelle présume, souvent à tort, que la manière dont elle vit son sexe physique et subconscient […] s’applique à tout le monde. Pour le dire autrement, la personne cissexuelle projette indifféremment sa cissexualité sur toute autre personne, transformant alors la cissexualité en attribut humain évident. […] Ainsi, si la plupart des personnes cissexuelles ne se rendent pas compte que l’évidence cissexuelle peut même exister, les individus parmi nous qui sont transsexuels la reconnaissent comme processus actif qui efface les personnes trans et leurs expériences.

Dans son chapitre « Dismantling cissexual privilege », (« Démanteler le privilège cissexuel ») Serano (2007) aborde non seulement la présomption que toute personne est cissexuelle, sauf indication contraire, mais aussi les diverses sphères dans lesquelles l’évidence cissexuelle contribue à la discrimination et efface les identités et les vies des personnes trans, comme l’indique la citation de Bauer et al. (2009) plus haut. Serano identifie cinq formes de violence ancrées dans l’évidence cissexuelle et les privilèges cissexuels : l’exclusion trans, l’objectification trans, la mystification trans, l’interrogation trans et l’effacement trans. Bien que la création de « cisnormativité » par Bauer et al. (2009) représente un développement intéressant dans l’élargissement du vocabulaire formé avec le préfixe « cis- », leur définition semble utiliser un nouveau vocabulaire pour analyser des phénomènes similaires à ceux identifiés par Serano dans son travail clé sur l’évidence cissexuelle et les diverses formes de violence et d’effacement auxquelles sont confrontées les personnes trans.

La même année, Baril (2009) a aussi créé, en français, une variante du terme « cisnormativité », « cisgenrenormativité », parfois écrit ainsi avec des parenthèses : « cis(genre)normativité ». Il écrit :

La cisgenrenormativité postule que les personnes qui s’accommodent du genre assigné à leur naissance sont plus normales que les personnes qui décident de vivre dans un autre genre et qui effectuent des transitions de sexe […]. Une hiérarchisation est ainsi faite entre les deux groupes permettant ainsi à la norme de refonder son pouvoir et de justifier sa “normalité”.

Baril, 2009 : 284, citation originale en français

Comme cette définition insiste moins sur l’évidence cissexuelle et se concentre davantage sur les dimensions normatives des identités cis, elle semble mieux alignée avec la définition actuelle de la cisnormativité, bien que la définition de Bauer et al. (2009) soit souvent citée. Ceci pourrait s’expliquer en partie par l’anglonormativité dans les recherches universitaires et en général, étant donné que l’anglais possède plus de « capital citationnel » que toute autre langue. Les idées, les concepts et les notions créés dans une langue autre que l’anglais sont rarement cités et attirent peu d’attention. Dans ses travaux ultérieurs, Baril (2013, 397) précise que la « cis(genre)normativité » est la « dimension normative du système cisgenriste »[7].

Deux ans plus tard, Pyne a fait une importante contribution à la dissémination du concept défini de manière semblable à Baril et sa notion de cis(genre)normativité. Pyne (2011, 129) explique :

Je préconise l’utilisation de la cisnormativité comme grille d’analyse pour imaginer des services sociaux qui accueillent véritablement les personnes trans. Au lieu de se concentrer uniquement sur les actes de discrimination, le concept de cisnormativité souligne le privilège accordé à la norme non trans.

Il semble que la conception de la cisnormativité axée sur la « norme » avancée par Baril et Pyne se soit répandue au cours de la dernière décennie, pendant laquelle la popularité du terme a augmenté de manière exponentielle. En 2015, une recherche sur Google du mot « cisnormative » en anglais avait produit 13 700 résultats (Baril, 2015, 163); en juillet 2021, la même recherche que nous avons faite a produit 166 000 résultats, une indication claire de la popularisation du terme.

Même si le préfixe « cis- » aurait pu être retenu dans plusieurs disciplines et champs d’études afin de créer des néologismes qui reflètent l’invariabilité et la continuité dans divers contextes (par exemple : les in/capacités, l’identité nationale), Baril (2013) démontre que, contrairement au préfixe « trans- » utilisé dans d’autres contextes (par exemple : transcapacitaire, transnational, translinguistique), le préfixe « cis- » a historiquement été utilisé uniquement dans les études trans (Baril, 2013; 2015)[8]. Stryker, Currah et Moore (Stryker et al., 2008, 11) soutiennent que le préfixe « trans- » « demeure ouvert et résiste à une exclusion prématurée en ne s’attachant pas à un seul suffixe ». Par conséquent, leur recommandation est d’utiliser « trans- » avec un trait d’union pour indiquer l’extension du préfixe à de multiples réalités et contextes. De façon similaire, certains travaux préconisent le terme « trans* » avec un astérisque pour indiquer l’application du préfixe aux disciplines autres que les études trans, et même aux réflexions ontologiques (Hayward et Weinstein, 2015; Tompkins, 2014). Baril (2013; 2015) propose que, dans le même esprit que la mobilisation des termes « trans- » et « trans* » au cours des dernières décennies, il existe une valeur heuristique dans l’expansion du préfixe « cis- » avec l’ajout d’un astérisque. Baril déploie la notion de cisnormativité* avec un astérisque pour désigner le système normatif qui normalise globalement les identités cis* (c’est-à-dire les identités et les corps-esprits qui n’entreprennent aucune transition, transformation ou modification, et qui demeurent donc inchangés) (Baril, 2013; 2015). C’est effectivement ce que nous proposons ici : le redéploiement du concept de cisnormativité* dans le contexte précis de la démence.

Cisisme et ciscognonormativité : intersections avec le capacitisme, le cogniticisme et l’âgisme

En appliquant la définition élargie de la cisnormativité* fournie par Baril (2013; 2015), nous affirmons l’utilité de ce concept pour théoriser et pour critiquer la contrainte à la continuité biographique imposée sur les personnes ayant une démence. Autrement dit, nous employons le terme cisnormativité* pour critiquer l’idée que les personnes ne devraient pas changer de manière radicale, mais plutôt se conformer aux normes et aux attentes sociétales relatives à la continuité du soi. Dans le cas de la démence et d’autres handicaps cognitifs, nous proposons le terme « ciscognonormativité »[9] pour se référer à l’accent normatif mis sur le maintien de la continuité cognitive, une composante intégrante de la contrainte à la continuité biographique. La ciscognonormativité, qui est au fondement d’une majorité d’interventions liées à la démence, interagit avec d’autres systèmes normatifs, notamment l’hétéronormativité et la cis(genre)normativité. Par exemple, Sandberg (2018) explique que, pour les personnes ayant une démence, le maintien de leur intelligibilité[10] repose souvent sur l’exercice de leurs rôles liés à une sexualité hétéronormative et aux genres binaires. Comme décrit dans la première section, la plupart des recherches et des interventions liées à la démence arrivent à la même conclusion : il faut faciliter l’expression de l’identité de soi chez les personnes ayant une démence, surtout le soi pré-démence. Favoriser le maintien du soi pré-démence grâce au travail corporel, à l’apparence, aux arts créatifs ou à d’autres méthodes repose sur la ciscognonormativité et la contrainte à la continuité biographique.

La cisnormativité* et la ciscognonormativité sont des composantes normatives d’un système d’oppression plus large. Nous proposons le néologisme « cisisme » pour désigner ce système d’oppression plus vaste. Alors que l’objectif du présent article n’est pas de théoriser la relation entre le cisisme et sa dimension normative, la cisnormativité*, il demeure toutefois important de noter que la cisnormativité* découle du cisisme, un système d’oppression plus large qui discrimine les personnes sur la base du changement. Dans le contexte de la démence, le cisisme et ses dimensions normatives sont profondément imbriqués dans d’autres formes d’oppression, particulièrement le capacitisme, le cogniticisme et l’âgisme. Non seulement ces dimensions fonctionnent avec ces formes d’oppression de manière interdépendante, mais elles contribuent significativement à la manifestation de ces oppressions dans le contexte de la démence. Par exemple, la cisnormativité* peut être comprise comme l’un des mécanismes qui sous-tendent le capacitisme et le cogniticisme parce qu’elle valorise les capacités (cognitives) du soi du temps de la pré-démence et juge donc négativement tout changement de capacités. En d’autres mots, la cisnormativité*, ou la contrainte à la continuité biographique, contribue à la création de l’abjection intégrée aux attitudes envers les handicaps cognitifs comme la démence. De façon similaire, la cisnormativité* est aussi imbriquée dans l’âgisme. Faisant écho aux discours dominants sur la prévention ou l’élimination de toute forme de handicap, dont les handicaps cognitifs, les discours omniprésents sur le vieillissement sont caractérisés par la quête de rester jeune et, par conséquent, la conservation du soi antérieur et la lutte contre les changements liés au vieillissement (Sandberg, 2013). Quoique l’âgisme (tout comme le capacitisme et le cogniticisme) existerait probablement en l’absence de la cisnormativité*, cette dernière constitue toutefois l’une des forces motrices de l’âgisme qui mène au refus de changements liés au vieillissement, un refus d’autant plus prononcé lorsque la vieillesse inclut le handicap. Autrement dit, les corps et les esprits âgés sont dénigrés et sujets à la discrimination, et les handicaps cognitifs qui risquent de susciter un changement significatif du soi, comme la démence, sont vus comme menant à l’approfondissement de cette abjection.

Nous soutenons qu’il est important non seulement de comprendre la relation entre le cisisme (et ses composantes normatives) et le capacitisme, le cogniticisme, l’âgisme et les autres systèmes d’oppression, mais aussi de bien cerner son rôle au sein des multiples formes d’injustices épistémiques auxquelles sont confrontées les personnes ayant une démence. Comme les autres formes d’oppression, l’oppression cisiste peut se manifester de nombreuses manières, notamment sur les plans politique, social, juridique et épistémique. Nous mentionnons brièvement ici cette relation aux injustices épistémiques parce qu’elle met en relief certaines manières dont les personnes ayant un handicap cognitif comme la démence ont été marginalisées et réduites au silence. Nos arguments sont fondés sur les concepts de Miranda Fricker (2007) d’injustice testimoniale et herméneutique et sur le concept de Fricker et Jenkins (2017) de marginalisation herméneutique. Les deux premiers concepts se définissent ainsi :

L’injustice testimoniale survient quand les préjugés d’une personne qui écoute la conduisent à accorder un niveau réduit de crédibilité aux paroles d’une personne qui parle; l’injustice herméneutique survient à un stade antérieur, quand une lacune dans les ressources interprétatives collectives désavantage injustement une personne lorsqu’elle tente de donner un sens à ses expériences sociales.

Fricker, 2007, 1

Un élément précurseur de ces injustices, la marginalisation herméneutique, survient quand une personne « appartient à un groupe qui sous-contribue au fonds commun de concepts et de significations sociales » (Fricker et Jenkins, 2017, 268). Malgré un tournant visant à considérer les individus ayant une démence comme des personnes et citoyennes à part entière capables de maintenir leur agentivité, il arrive souvent qu’elles soient discréditées dans leur capacité à parler et à prendre des décisions par les familles, les professionnel.les de la santé et la société plus globalement. De plus, en raison de leur statut marginal, ces personnes n’ont souvent pas les outils conceptuels nécessaires pour donner un sens à leurs expériences et pour les nommer. Ces outils conceptuels ne sont tout simplement pas disponibles pour de nombreuses populations marginalisées et les outils conceptuels existants ne reflètent pas adéquatement les expériences des personnes marginalisées parce que ces dernières ont été exclues de leur création. Ces injustices sont évidentes dans le fait que les personnes ayant une démence sont souvent catégorisées comme étant « incapables » et leur pouvoir de consentir aux traitements médicaux, aux soins de fin de vie et aux autres décisions clés leur est souvent enlevé (Baril et al., 2020). La ciscognomormativité est un des fondements de ces formes d’injustices épistémiques : plus une personne est en mesure de maintenir son soi cognitif antérieur, plus elle se voit accorder de pouvoir décisionnel et prise au sérieux dans sa capacité d’agir. Par exemple, dans les premiers stades de la démence, avant que ses impacts cognitifs deviennent évidents, une personne garde plus de pouvoir décisionnel qu’une personne dans les stades plus avancés qui est perçue comme ayant changé irréparablement. Autrement dit, à partir d’une perspective ciscognonormative, la seule façon de contrer l’abjection, l’injustice, l’oppression et la perte de contrôle que vivent les personnes ayant une démence, est de démontrer qu’elles ont gardé, au moins en partie, leur soi antérieur. Nous soutenons que toute personne ayant une démence, quel que soit le stade ou la sévérité de la maladie et au-delà de sa continuité biographique ou non, devrait avoir la possibilité de maintenir son agentivité épistémique.

La discussion précédente a exposé certains des systèmes d’oppression et leurs mécanismes normatifs connexes à l’oeuvre au sein de conceptualisations dominantes du soi dans le contexte de la démence. Dans la prochaine section, inspiré.es par le concept de transement (transing), nous proposons de nouvelles conceptualisations du soi avec une démence.

Transer et cripper la démence : réflexions sur le changement et la fluidité

Comme nous le rappelle Kafer (2013) dans l’introduction du présent article, le handicap est souvent perçu comme ayant plus d’impacts préjudiciables sur l’identité de soi que d’autres types de changement, ou encore comme « défaisant » le soi d’une manière à altérer la vie de l’individu. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de handicaps cognitifs comme la démence. Alors que plusieurs autres changements dans la vie des personnes peuvent intensifier les expériences de discrimination, d’oppression et de marginalisation, notamment grossir, changer de religion ou entamer une transition de sexe/genre, il semble que le handicap cognitif est perçu comme altérant l’identité de soi au point d’amener une mort symbolique ou sociale (Beard, 2017). Ceci se constate dans certains discours sur la démence, notamment lorsque les personnes ayant une démence sont comparées aux « zombies » (Behuniak, 2011). En d’autres termes, nous avons particulièrement tendance à remettre en question l’identité de soi d’une personne dont la cognition est changée. Même les transitions de sexe/genre, qui pour bon nombre de personnes trans impliquent souvent un important changement dans la continuité biographique, ne sont pas comprises comme des transitions à la source d’une perte de soi aussi importante que celle découlant du développement d’un handicap cognitif. Quoiqu’il existe des questionnements sur ce qui change vraiment chez la personne qui entame une transition de sexe/genre (Shrage, 2009), ces transitions sont souvent perçues comme des modifications personnelles ou réorientations à l’intérieur du soi (Overall, 2009), plutôt que comme pertes dévastatrices du soi[11]. Cette acceptation croissante est due, en partie, au travail d’activistes et d’universitaires trans qui ont réussi à normaliser les transitions de sexe/genre, au moins jusqu’à un certain point. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et les personnes trans et non binaires font toujours l’objet de formes considérables de violence et de discrimination (Ansara et Hegarty, 2012; Baril, 2019; Bettcher, 2014; Pyne, 2011; Radi, 2019; Serano, 2007). Il est à noter que parmi les groupes pour qui les transitions de sexe/genre sont encore jugées inacceptables figurent les personnes âgées et les personnes ayant des handicaps cognitifs. Nous avons démontré dans nos travaux précédents que les personnes trans âgées ayant une démence sont souvent dégenrées et contrôlées (gatekeeping) de diverses manières; le désir de transition de ces personnes est fréquemment compris, selon la perspective ciscognonormative, comme effet secondaire de leur handicap, et donc rejeté (Baril et Silverman, 2019).

La réalité est que, dans de nombreux cas, les vies handicapées sont encore perçues comme si elles ne méritaient pas d’être vécues. Comme l’explique Kafer dans ses écrits sur le handicap et la théorie crip (2013, 42-43), la « contrainte à la nostalgie » prescrit à la personne handicapée de regretter en permanence la personne qu’elle était autrefois, impliquant que sa vie actuelle ne mérite pas d’être vécue. Selon Kafer :

C’est cette présomption que le handicap ne peut être une position désirable, et qu’il doit toujours être accompagné d’une nostalgie pour le corps/ esprit capable perdu, qui anime “la question curative” si familière aux personnes handicapées : Ne préfèrerais-tu pas être guérie? N’aimerais-tu pas être comme tu étais avant? Ne préférerais-tu pas être sans handicap?

Kafer, 2013, 43

Il en est de même pour les handicaps cognitifs. Les propos de Kafer captent la violence que représente l’insistance sur le soi antérieur/historique, comme c’est le cas dans beaucoup de recherches et d’interventions sur la démence. Bien que les travaux pionniers dans le champ des études critiques sur la démence soient pour nous une source d’inspiration et qu’ils constituent les fondements de notre pensée, nous invitons nos collègues en gérontologie et en études critiques de la démence à réfléchir de manière plus critique, dans leurs théorisations sur la démence, sur la contrainte à la continuité biographique découlant d’une ciscognonormativité implicite. Nous les invitons aussi à remettre en question la présomption ciscognonormative qu’il faut maintenir le soi pré-démence en explorant les réflexions et les outils conceptuels développés dans d’autres disciplines, dont les études trans et les études sur le handicap/crip. Certaines personnes ont déjà commencé ce travail critique, notamment Ward et Price (2016), qui proposent de réhabiliter le concept de sénilité « comme espace critique favorisant la remise en question d’une série de présomptions médicales » (Ward et Price, 2016, 74). Toutefois, même en suggérant d’entamer un « commentaire critique autour de la démence qui à la fois reflète et rejoigne la critique radicale dans d’autres champs » (Ward et Price, 2016, 65), cet important travail n’offre pas une vision claire de ce à quoi pourrait ressembler cet espace critique. En se basant sur l’idée de Ward et Price d’ouvrir un espace critique permettant de nouvelles conceptualisations de la démence, nous proposons une nouvelle perception du soi avec démence afin de lutter contre le capacitisme, le cogniticisme, l’âgisme et le cisisme systématiques imbriqués dans les conceptualisations actuelles.

Nous sommes d’avis qu’une nouvelle conceptualisation du soi dans le contexte de la démence, qui permette le changement et la fluidité et qui lutte contre le cisisme, la cisnormativité* et la ciscognonormativité, peut se réaliser, en partie, par l’acte de transer la démence. À l’encontre de la contrainte à la continuité biographique imposée par le cisisme et la cisnormativité*, le fait de transer le soi met l’accent sur la fluidité et la mobilité (Noble, 2012) tout en favorisant la libération et la désobéissance (DiPietro, 2016). Stryker, Currah et Moore (Stryker et al., 2008, 13) définissent le verbe transer (transing) comme suit :

En bref, transer [transing] est une pratique qui se produit à l’intérieur d’espaces genrés, ainsi qu’à travers ou entre ceux-ci. C’est une pratique qui regroupe le genre en structures d’association contingentes avec d’autres attributs de l’être corporel et qui permet leur reconstitution. Transer peut opérer comme outil disciplinaire lorsque la stigmatisation associée à l’absence ou à la perte du statut de genre risque d’inciter l’inintelligibilité sociale, la normalisation coercitive ou même l’extermination corporelle. Il peut aussi fonctionner comme issue de secours, voie d’évacuation ou chemin vers la liberté.

L’histoire du « transement » (transing) ressemble à celle de la « queerisation » (queering) et de la « crippisation » (cripping), ces mots étant créés à partir de termes revendiqués par les communautés queer et crip afin de mettre de l’avant des perspectives anti-assimilationnistes (McRuer, 2003). Selon Sandahl (2003, 37), « à la fois la queerisation et la crippisation révèlent la démarcation arbitraire entre le normal et le défectif et les ramifications sociales négatives des tentatives d’homogénéiser l’humanité […]». Comme les universitaires et les activistes queer, crip et trans ayant ouvert un espace pour la différence et le changement, et en faisant écho à Nordmarken (2019, 45), qui indique que le « paradigme queer trans suppose que les identités, les expressions et les corps ne sont pas inflexibles, mais peuvent être et sont instables, fluides, multiples ou anti-catégoriques », nous proposons de queeriser, cripper et transer la notion du soi en relation avec la démence afin de souligner sa fluidité et son instabilité.

Alors que les concepts de queerisation et crippisation commencent lentement à être mobilisés dans le champ de la gérontologie critique, l’idée de transer ne dialogue pas encore avec les études sur le vieillissement ou sur la démence[12]. Sandberg et Marshall (2017) invitent à queeriser et à cripper ce qu’elles appellent les « avenirs du troisième âge » (aging futures), ce qui, selon leur explication, « oblige à penser autrement les parcours de vie – à se demander quelles vies sont comprises comme dignes d’être vécues et enrichissantes jusqu’à un âge avancé – tout en interrogeant la manière problématique dont un troisième âge désirable est délimité par les discours discriminatoires sur le vieillissement réussi » (Sandberg et Marshall, 2017, 7). Dans ce même ordre d’idée, Sandberg et King (2019) mobilisent l’attention que porte la théorie queer sur l’échec et le rejet de la normalité pour affirmer que queeriser le vieillissement peut nous amener à remettre en question et à repenser notre approche du vieillissement et du « vieillissement réussi ». En mobilisant la notion de queerisation au regard de la démence plus précisément, King (2016) propose que queeriser la démence peut signifier réhabiliter la personne ayant une démence parce que cela permet de déconstruire ce qui est normal et anormal et de valider différentes façons d’être au monde.

En nous inspirant de ces travaux critiques, nous suggérons que transer la démence autorise à valoriser la fluidité, la transition et la transgression, tout en ayant le potentiel de démanteler la ciscognonormativité. Les études trans, qui offrent les outils conceptuels nécessaires pour comprendre les oppressions fondées sur le changement, à savoir le cisisme et ses dimensions normatives, la cisnormativité*, peuvent aussi nous fournir des outils pour réduire ces oppressions[13]. Nous soutenons que l’accent mis sur le potentiel de changement et de fluidité qu’apporte le préfixe « trans- » (transformé en verbe) peut ainsi nous amener à repenser le soi avec démence de façon nouvelle. Autrement dit, nous croyons que les études trans peuvent nous amener à valoriser le changement au lieu de le redouter, une étape essentielle vers la reconceptualisation de la démence. À quoi ressemblerait une notion reconceptualisée du soi dans le contexte de la démence? Nous commençons en nous inspirant de l’approche d’intervention proposée pour les personnes trans âgées ayant une démence dans les cas où il y aurait une potentielle « confusion » de genre et une ré-identification avec le sexe/genre assigné à la naissance (Baril et Silverman, 2019). Cette approche, qui valorise la fluidité et le changement et qui est fondée sur des principes trans-affirmatifs, crip-positifs et anti-âgistes, peut servir de base pour la reconceptualisation du soi avec démence. Même si cette approche a d’abord été conçue pour les personnes trans ayant une démence, elle peut s’appliquer à toute personne ayant une démence ou toute autre forme de handicap cognitif afin de nous diriger vers une notion du soi à la fois fluide et changeante.

De la même manière que notre approche décrite plus haut favorise la fluidité de genre, nous appuyons et validons la fluidité cognitive dans le contexte du handicap cognitif. En d’autres mots, nous affirmons que le soi ne devrait pas être limité par la ciscognonormativité ni la continuité biographique et que les personnes ayant une démence devraient pouvoir changer, tout en conservant le même niveau de respect, de valeur, de considération et de droits que les personnes sans handicap. En pratique, cette valorisation de la fluidité pourrait se traduire par la reconnaissance des désirs et des besoins de la personne dans le moment présent et par la valorisation de son identité, de ses capacités et de ses intérêts actuels, au lieu de s’efforcer de maintenir son soi antérieur. Cette approche impliquerait de réduire l’importance des interventions cisnormatives* axées sur le rappel des souvenirs, sur la continuité du corps/de l’apparence et sur les activités que la personne aimait autrefois, mais qu’elle n’aime plus. En matière de droits, les personnes ayant un handicap cognitif devraient disposer d’un espace où il leur serait possible d’exprimer leurs opinions et leurs décisions et où ces dernières seraient respectées, même lorsqu’elles diffèrent de celles qu’elles avaient dans le passé. Ces opinions ne devraient pas être comprises comme étant moins légitimes ou comme symptômes d’un « soi perdu » simplement parce qu’elles sont exprimées par une personne ayant un handicap cognitif. Les personnes ayant des handicaps cognitifs devraient être activement soutenues de manière à maintenir leur agentivité et leur capacité de prise de décision dans toutes les sphères de la vie. Il est possible d’appuyer ce processus à l’aide de mesures concrètes comme des rencontres régulières où elles peuvent exprimer leurs besoins et leurs désirs verbalement ou non verbalement, la répétition d’informations à l’aide d’un vocabulaire facile à comprendre ou d’autres moyens de communication et la présence d’une personne de confiance qui agit comme interprète (Baril et al., 2020). Baril et al. (2020) expliquent aussi que les interprétations de la capacité et du consentement doivent être fluides afin de respecter et de suivre la nature toujours changeante du soi.

Cette approche doit aussi être fermement crip-positive et anti-âgiste. Promouvoir une notion crip-positive de la démence implique une vision du handicap cognitif non pas comme menant au déclin ou à la perte du soi, mais plutôt comme une occasion d’accepter et de valider la modification de l’identité de soi. Comme l’explique Kafer (2013), ceci veut dire renoncer à la nostalgie et à la vénération du soi antérieur, ainsi qu’abandonner la classification de certaines vies comme plus valables que d’autres. En ce qui concerne l’anti-âgisme, une notion reconceptualisée du soi dans le contexte de la démence veut dire permettre aux gens de vieillir d’une multitude de manières et valoriser la transformation et le processus de vieillissement dans toutes ses facettes. Ceci va directement à l’encontre des mouvements et des discours dominants à l’échelle internationale sur le « vieillissement réussi », qui prônent le maintien d’un corps et d’un esprit jeunes et dont les perspectives capacitistes jugent tout déclin et tout handicap comme négatifs (Beard, 2017; Sandberg et Marshall, 2017). Selon ces discours, le vieillissement est acceptable uniquement lorsque les personnes demeurent productives, actives et sans handicap et qu’elles maintiennent leur continuité biographique (Sandberg, 2013).

Transer la démence implique non seulement la valorisation du changement et de la fluidité et le respect du soi actuel ayant une démence, mais aussi une modification de la manière dont nous abordons le sujet même de la démence dans les recherches et la pratique. Nous croyons que transer la démence exige de déplacer l’axe de recherche et d’intervention vers les sujets « non normatifs » ayant une démence et d’utiliser une approche intersectionnelle dans l’analyse des multiples formes de marginalisation, qu’elles découlent de la classe, de la race, de la religion, de l’orientation sexuelle ou autre (Crenshaw, 1989; Hill Collins, 2000). Dans ce même esprit intersectionnel, nous croyons que pour transer la démence il faut établir un dialogue entre les études sur la démence et la gérontologie critique avec plusieurs champs d’études, dont les études critiques sur le handicap, les études Mad, les études trans et les études queer. Parce que transer implique la déconstruction de vérités normatives et le passage de frontières, les travaux qui franchissent ces frontières peuvent aussi être compris comme transant la démence. Par exemple, notre mobilisation de la cisnormativité* dans le présent article (c’est-à-dire prendre un concept des études trans et l’utiliser pour théoriser la démence) constitue une façon de transer la démence. En ce qui concerne l’intervention, transer la démence commence par la reconnaissance de la cisnormativité* et de la ciscognonormativité qui alimentent plusieurs pratiques courantes. Comme mentionné plus haut, notre intention n’est pas de critiquer ces pratiques, mais d’inviter à mener une réflexion critique sur les présomptions épistémiques qui sous-tendent de nombreuses interventions, dont plusieurs qui valorisent la contrainte à la continuité biographique. Nous reconnaissons aussi que de simplement réduire l’importance de la continuité biographique dans les interventions n’est pas nécessairement réaliste ni désirable. Bien que la majorité des personnes ayant une démence fassent face à de la stigmatisation et de la discrimination, ces expériences sont plus prononcées chez les personnes qui ne se comportent pas conformément aux normes sociales (voir, par exemple, les travaux de Buse et Twigg [2018] sur la stigmatisation des personnes ayant une démence qui portent des vêtements « inappropriés »). Pour le dire autrement, notre invitation à lutter contre la cisnormativité* et la ciscognonormativité dans la vie des personnes ayant une démence n’a pas l’intention de les mettre dans une situation qui augmenterait encore plus leurs risques de devenir les cibles de violence ou de discrimination. Nous invitons tout simplement à mener une réflexion sur la possibilité d’abandonner les discours cisnormatifs* et ciscognonormatifs actuels. Qu’arriverait-il si nous nous permettions ces changements? Où cela nous mènerait-il? Que pourrions-nous imaginer? Sommes-nous prêt.es?

Coda : Transer la cisnormativité* pour repenser la gérontologie critique et les études critiques sur la démence

Dans le présent article, nous avons théorisé la notion d’identité de soi dans le contexte de la démence à l’aide d’outils et de concepts développés dans les études sur le handicap/crip et dans les études trans afin de proposer une nouvelle conceptualisation d’un soi fluide et changeant, plutôt qu’ancré dans le cisisme et ses composantes normatives, la cisnormativité* et la ciscognonormativité. Nous pensons que la mobilisation de concepts tirés des études trans (et dans une certaine mesure des théories queer et sur le handicap/crip), ainsi que la création de nouveaux néologismes proposés dans cet article, peuvent fournir à la gérontologie critique et aux études critiques sur la démence de nouveaux outils pour appliquer une perspective critique à la conceptualisation du soi au sein des recherches et des interventions et pour ouvrir de nouvelles voies. Nous pensons aussi qu’une telle reconceptualisation du soi a le potentiel d’ouvrir de nouvelles approches pour théoriser le vieillissement et les parcours de vie plus globalement, des approches qui refusent les conceptualisations normatives et qui célèbrent le changement. D’importantes recherches critiques sur la démence commencent à explorer ces approches, sans que ces dernières soient, jusqu’à présent, développées à partir des perspectives des études trans. Cela étant dit, la gérontologie et les études sur la démence ne sont pas les seules à pouvoir bénéficier d’un dialogue transdisciplinaire et du transement du soi. L’application de la cisnormativité* au-delà du sexe/ genre, c’est-à-dire transer la cisnormativité*, peut faciliter l’élargissement des études trans et ré-imaginer l’utilisation d’outils créés dans le champ des études trans dans une multitude de contextes. Autrement dit, cela permet de transer non seulement le soi, mais aussi la cisnormativité* en elle-même et les études trans en général. De plus, mettre l’accent sur la démence et sur l’âge avancé pourrait aider à élargir la portée du champ des études trans qui, historiquement, a concentré ses efforts sur les jeunes et les adultes trans. Nous espérons que ce travail servira à démasquer l’âgisme, le capacitisme et le cogniticisme répandus dans les études trans (Baril, 2013; Kia, 2019; Toze, 2019; Witten, 2017). Nous espérons aussi encourager les études trans à examiner leurs propres formes insidieuses de cisnormativité* et de notions restrictives du soi qui favorisent parfois la continuité d’identité de genre post-transition jusqu’à la fin de la vie. Ultimement, nous espérons que la terreur ciscognonormative liée à la perte du soi dans le contexte de la démence, exprimée dans la citation au début de cet article, sera diminuée par la reconceptualisation de ce que veut dire avoir un handicap cognitif.