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Regard éthique sur la problématique

Avec l’arrivée de la pandémie en mars 2020, les politiques de visites[1] dans les établissements de santé et de services sociaux du monde entier ont changé de manière significative. La protection de la santé populationnelle étant reconnue comme ayant une priorité absolue, différentes mesures ont été déployées pour la préserver (Hsu et al., 2020). Au Québec, les visites dans tous les établissements du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) ont été réduites pendant la première vague. Les interdictions se sont poursuivies au plus fort de la deuxième vague, les milieux acceptant certaines exceptions en fonction des épidémiologies locales et des politiques organisationnelles.

Qu’elles soient en unité ou en maison de soins palliatifs, à l’hôpital, en résidence pour aînés ou en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les personnes en fin de vie n’ont pas été épargnées. Les restrictions des visites ont été source de nombreuses souffrances : les patients se sont retrouvés isolés, les familles ont ressenti de la culpabilité face à l’absence de la personne ou du dernier au revoir, tandis que l’équipe soignante a vécu l’impuissance et l’imposture d’accompagner, seule, les personnes sur le chemin de la mort (Flores et al., 2020; Sánchez, 2020). À titre d’éthiciennes, nous avons été aux premières loges de ces souffrances et des choix déchirants qu’ont dû assumer les établissements.

Appuyées par les paroles et l’expérience de patients, de proches, de l’équipe soignante et de gestionnaires, nous partageons nos observations concernant trois enjeux éthiques liés à la présence et à l’absence des proches auprès des personnes en fin de vie en temps de pandémie : l’iniquité découlant de l’interprétation variable des directives, la détresse morale et l’entrave aux valeurs des soins de fin de vie. Nous proposons une approche intégrée des valeurs et abordons la communication comme source de mitigation des enjeux. Nous présentons enfin de quelle façon les services en éthique clinique peuvent soutenir les équipes, les proches et les patients dans la résolution des enjeux liés aux visites.

Premier enjeu : l’iniquité découlant de l’interprétation des directives

Les équipes soignantes ont dû se positionner sur le sens à donner au contenu des directives encadrant les visites au sein de leurs établissements respectifs. Les interprétations différentes ont engendré des iniquités dans l’accès des patients à leurs proches.

La fin de vie « imminente » se limite à 24 heures ici, tandis que c’est une semaine dans votre établissement! Ici, les proches de moins de 14 ans sont interdits, ailleurs, ce sont les plus de 70 ans! Ici, les personnes enceintes sont refusées, là-bas, ce sont les personnes immunosupprimées! Ici, on autorise une seule visite par 24 heures, ailleurs, c’est jusqu’à trois! Ici, la durée des visites est limitée à 15 minutes, ailleurs c’est trois heures! Chez nous, le proche est accompagné dans la chambre pour s’assurer qu’il respecte les mesures sanitaires. Chez vous, ils vérifient seulement son identité à l’entrée! Chez nous, on refuse l’accès aux toilettes, chez vous, les objets et la nourriture sont confisqués!

Discussion entre les auteures en mai 2020

En début de pandémie, seules les visites dites « essentielles » étaient permises au sein du RSSS. Le terme « visiteur » a d’abord été employé, tandis que la « personne proche aidante » et l’« accompagnateur » ont ensuite été intégrés aux directives. Pour le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), les proches aidants devaient « offrir une aide ou un soutien significatif pour répondre à des besoins et contribuer à l’intégrité et au bien-être de la personne hospitalisée », tandis que les accompagnateurs étaient définis comme des « personne[s] significative[s] qui offre[nt] un soutien ponctuel à un proche durant sa visite ou son séjour » (2020a, p. 1). En vue d’autoriser ou de refuser la présence des proches auprès des patients, les équipes devaient statuer du caractère « essentiel » des visiteurs, des proches aidants et des accompagnateurs. Elles devaient dégager les conditions médicales ou psychosociales « exceptionnelles » et se prononcer sur le soutien « significatif » apporté :

Comment concilier la distinction entre proche et proche aidant, considérant que tout proche, lorsque réclamé par le patient, est aidant, d’une manière qui n’est pas toujours objectivable par le soignant?

Médecin

Quelques mois plus tard, en juin 2020, le projet de loi no 56 sur la reconnaissance et le soutien aux personnes proches aidantes est venu baliser et uniformiser l’interprétation des concepts par les intervenants (Assemblée nationale du Québec, 2020). La définition de la proche aidance qui y est proposée inclut à la fois le soutien physique et émotionnel, qu’il soit régulier ou ponctuel. Ces critères sont significativement plus souples que les directives sur les visites émises initialement par le gouvernement[2]. Ces dernières ont évolué dans le temps pour s’harmoniser à la définition proposée dans le projet de loi. Les directives sur les visites reconnaissent aujourd’hui l’investissement des proches et la valeur de leur relation avec les patients :

Toute personne qui, de façon continue ou occasionnelle, apporte un soutien à un membre de son entourage qui présente une incapacité temporaire ou permanente et avec qui elle partage un lien affectif, qu’il soit familial ou non. Le soutien est offert à titre non professionnel, et sans égard à l’âge, au milieu de vie ou à la nature de l’incapacité du membre de l’entourage, qu’elle soit physique, psychique, psychosociale ou autre. Il peut prendre diverses formes, par exemple, l’aide aux soins personnels, le soutien émotionnel ou la coordination des soins et services.

MSSS, 2020b, p. 1

La présence des proches, leur soutien et leur contribution à la qualité des soins aux patients hébergés sont fortement appuyés par la littérature. En revanche, aucune donnée probante n’appuie une restriction uniforme et décontextualisée des visites (Munshi, Evans et Razak, 2020).

On voit qu’il y a eu ce manque durant la COVID… un manque énorme justement, en nous bloquant. En bloquant tous ces gens qui sont formés et qui auraient pu aider et qui auraient fait une grosse différence.

Patiente partenaire

Envisager le partenariat, plutôt que la « menace » que peuvent représenter les proches, permet de limiter les dommages des restrictions, tout en contrôlant les risques de leur présence (MSSS, 2018). Il faut néanmoins admettre que cette reconnaissance impose de nouveaux enjeux de capacité pour les milieux. L’augmentation du nombre de proches autorisés et la coordination de leur présence constituent une charge considérable pour les équipes. Dans un document soumis au MSSS, les éthiciens du Québec évoquent le « paradoxe des proches » en référence à l’effort que requiert leur présence pour les intervenants, concomitamment à leur apport dans l’offre de soins et le soutien aux usagers (Bédard et al., 2020). De la même façon, les éthiciens ont envisagé le caractère « essentiel » de la présence des proches, en tenant compte du caractère dynamique de la pandémie :

On retient que le caractère « essentiel » est évolutif et que sa circonscription est inversement proportionnelle à l’ampleur de la pandémie. Le niveau de vigilance ou d’alerte module le statut des services ou des personnes, passant « d’essentiel » à « secondaire » en fonction du niveau de la crise [sanitaire].

Bédard et al., 2020, p. 5

La correspondance entre les paliers d’alerte du gouvernement du Québec (illustrés par les couleurs) et la nature essentielle des « visites » et des « proches » (illustrée par les cercles concentriques) est schématisée à la figure 1.

Figure 1

L’essentiel en contexte pandémique

L’essentiel en contexte pandémique
Source : Bédard et al., 2020, p. 5

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L’interprétation des directives a été une source de stress pour les équipes soignantes et les gestionnaires. Les décisions qui en ont découlé ont été perçues comme inéquitables pour les patients et les proches. L’injonction de choisir entre une application uniforme ou contextualisée, entre égalité ou équité, a conduit à une perte de sens, que seul un exercice de compréhension mutuelle permet d’apaiser.

Deuxième enjeu : la détresse morale

La détresse morale est définie comme le fait de ne pas pouvoir agir conformément à nos valeurs (Jameton, 1984). Au plus fort des restrictions, les éthiciens ont pu accompagner le personnel soignant et les gestionnaires devant prendre des décisions bouleversantes, vides de sens ou allant à l’encontre de leurs valeurs. Certains ont enfreint les règles, mettant à risque leur intégrité professionnelle; d’autres s’y sont conformés, fragilisant leur éthique personnelle (Blanchard, 2021). Le personnel soignant et les gestionnaires ont dû soupeser les risques d’autoriser les visites aux personnes en fin de vie, alors que des éclosions prenaient d’assaut leur établissement. Certains membres du personnel soignant n’ont pu se résigner à refuser la présence des proches en vue de protéger l’ensemble de la population. Certains ont fermé les yeux, alors que d’autres ont dénoncé les comportements récalcitrants. Pour tout le monde, ces situations ont été source de détresse morale et de conflits de valeurs (Anderson-Shaw et Zar, 2020).

Est-ce que je peux autoriser la mère de ce patient parce qu’il est plus jeune? Comment je pourrais le justifier auprès des autres patients, à qui on refuse toute visite? Je ne peux pas… mais mon coeur de mère est déchiré…

Gestionnaire en CHSLD

La pandémie a imposé un calcul déchirant entre les risques et les bénéfices liés aux visites en établissement. Les actions visant la maximisation des bénéfices ont été orientées vers la protection du plus grand nombre, souvent au détriment d’une « microéthique » relationnelle fondamentale aux individus (Truog et al., 2015). La tension entre ces deux biens a mené à de nombreuses divergences dans la collectivité. Plutôt que d’opposer la protection et la relation des individus sur un continuum, nous invitons à les intégrer à la manière d’un disque concentrique (figure 2). En fonction de l’évolution de la pandémie, chaque disque peut se resserrer ou se distendre pour s’harmoniser au contexte. Penser les valeurs de façon complémentaire, et non opposée, valorise une approche humaniste et globale en santé.

Figure 2

Vers une approche intégrée des valeurs

Vers une approche intégrée des valeurs

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Les patients et les proches ont également été confrontés à des prises de décisions difficiles. Lors de la deuxième vague de la pandémie, ils ont été invités à faire preuve d’autonomie et d’autodétermination dans la désignation du « visiteur » et/ou de la « personne proche aidante » (Stall et al., 2020). Malgré la volonté des établissements de valoriser le choix des patients, ces situations ont obligé ces derniers à se prononcer sur les proches considérés comme étant les « plus » aidants, parfois au détriment d’autres proches, également importants. Plusieurs se sont trouvés en situation de lutte interne entre leurs valeurs personnelles et celles imposées par la santé publique. Comme pour l’équipe soignante, certains proches ont choisi de se conformer aux règles, tandis que d’autres ont choisi d’y contrevenir.

Rongée par l’inquiétude, Joann s’est finalement résignée, le 30 novembre, à faire ce qu’elle ne pensait jamais devoir faire : entrer à l’hôpital en déjouant les postes de sécurité pour se rendre au chevet de son père.

Elkouri, 2021

La détresse morale engendrée par ces choix, jumelée à la séparation des derniers moments de vie de l’être cher, peut avoir un impact sur le processus de deuil pour certains proches (Clavandier, 2020). Le fait de ne pas pouvoir partager les derniers moments de vie de l’être cher, ni les émotions que ces moments suscitent, peut constituer une privation potentiellement traumatique (Guessoum, Moro et Mallet, 2020). Certains auteurs abordent même l’angoisse de séparation à laquelle les proches seraient confrontés (Arya et al., 2020). Bien que les ajustements face à cette nouvelle situation puissent s’établir de manière normale pour certaines personnes, plusieurs auteurs soulignent que limiter l’accès aux personnes en fin de vie peut complexifier l’expérience des personnes endeuillées (Azoulay et al., 2020; Ben-Cheikh, Rachédi et Rousseau, 2020; Clavandier, 2020; El-Hage et al., 2020; Heath et al., 2020).

En somme, les proches, le personnel soignant et les gestionnaires ont été confrontés à des conflits de valeurs profonds et à des souffrances morales ayant potentiellement un impact sur leur processus de deuil ou de récupération. Au-delà de la diversité de leurs choix et décisions, nous croyons en leur bienfaisance et en leur souci de préserver l’humanité des personnes en fin de vie. Cette entrave aux valeurs des soins de fin de vie a aussi été un enjeu récurrent pendant la pandémie.

Troisième enjeu : l’entrave aux valeurs des soins de fin de vie

L’humanisation des soins, la compassion, la dignité des patients, la quête de sens et la relation sont au coeur de l’expérience de fin de vie. En voulant protéger du risque d’infection toute la population et en privilégiant le bien commun, les restrictions des visites ont mis à mal le bien-être des personnes en fin de vie. Or nous savons que nier ce caractère relationnel peut porter directement atteinte à leur sentiment de dignité (Comité national d’éthique sur le vieillissement, 2018). La privation de la présence et du contact physique des proches a contraint certaines personnes à affronter seules la mort (Estella, 2020), tandis que plusieurs ont vu leur mort sociale précéder leur mort physique (Sánchez, 2020).

Elle ne comprend pas! Je le vois… elle comprend qu’elle meurt, mais elle ne comprend pas pourquoi elle meurt seule…

Infirmière

L’approche palliative est centrée sur le soulagement physique, psychologique, social et spirituel de la personne. Elle prend en considération la qualité de vie des proches et des personnes soignantes, ainsi que leur accompagnement dans le processus de soins et de perte (Radbruch et al., 2020). La fin de vie est admise par plusieurs comme une situation particulière justifiant l’assouplissement des visites en temps de pandémie (Estella, 2020; Münch et al., 2020; Munshi, Evans et Razak, 2020). Pourtant, les mesures adoptées pour limiter les risques d’infection ont pu fragiliser la mission des soins palliatifs axés sur la reconnaissance de nos liens sociaux (Bettini, 2020).

La condition terminale entraîne avec elle des niveaux de conscience altérée. Ainsi, les restrictions des visites ont pu compromettre le caractère protecteur, de même que la qualité de certaines conversations de fin de vie (Bianchi, 2020). Certains auteurs vont jusqu’à parler du « besoin éthique » de la présence des proches auprès des patients, avant que ne survienne la perte de contact avec leur environnement (Association des infirmières et des infirmiers du Canada, 2020, p. 2).

La solitude, c’est tellement… c’est tellement souffrant… Si ce n’était pas de la situation COVID, je verrais mes enfants, mon conjoint, je pourrais aller dehors, me promener un peu. Changer d’air… Ils ont accepté que ma mère et mon conjoint viennent me voir à partir d’aujourd’hui… sinon, j’aurais solidement perdu la carte!

Patiente

Les enfants n’ont jamais pu venir la voir à l’hôpital. De toute façon, elle disait qu’elle n’aurait pas accepté de les laisser partir. Et eux, ils auraient touché à tout, ça aurait été difficile à gérer… À la fin, elle n’avait plus aucune énergie… elle ne nous donnait plus de nouvelles, même à moi… Toute l’énergie qu’elle avait, c’était pour se mettre un sourire dans le visage lorsqu’elle parlait aux enfants. Après, elle n’avait plus rien…

Conjoint

La pandémie a provoqué de nombreux changements dans les soins de fin de vie. D’abord, elle a accéléré le retour à domicile de certains patients, leur offrant ainsi une plus grande latitude en regard de la présence des proches à leur chevet. Privilégier le domicile, plutôt que l’établissement, favorisait l’unité, le vivre-ensemble et les moments de partage, parfois au détriment du bien-être ou des capacités des individus (Nicholas et al., 2020).

Avant de mourir, elle est venue cinq jours à la maison. Pour moi, c’était du 24 heures sur 24, en plus des enfants.

Conjoint

Certains patients ont demandé de retourner à la maison afin de ne pas mourir seuls, prenant le risque d’une moins grande intensité de soins de fin de vie (Mercadante et al., 2020). D’autres personnes encore, compte tenu des impacts sur leur qualité de vie et leurs relations, ont choisi de se prévaloir de l’aide médicale à mourir (AMM) plus tôt ou plutôt que des soins palliatifs (Marin, 2020; Piedboeuf, 2020).

Avec la COVID, recevoir l’AMM à la maison, c’est devenu le choix numéro un, parce que les gens pouvaient recevoir leurs proches… plutôt que d’avoir toutes les restrictions au niveau sanitaire... J’ai l’impression que ça s’est comme inversé. Maintenant, il y a beaucoup de décès à domicile, vraiment.

Médecin

Foncièrement, la pandémie n’a pas entraîné un changement dans la philosophie ou le paradigme des soins palliatifs, mais elle a imposé une nouvelle façon de faire vivre ses valeurs au quotidien (Ritchey et al., 2020). Les soins et l’accompagnement ont dû être repensés, parfois dans des sites non traditionnels, afin d’assurer la cohérence entre leur mise en oeuvre, leurs objectifs et la mission qu’ils sous-tendent. En ce sens, la pandémie a vu naître différentes initiatives. Entre autres, des équipes mobiles composées de médecins, de personnel infirmier, de travailleurs sociaux et d’intervenants en soins spirituels se sont relayées pour assurer le confort des personnes en fin de vie et la communication avec leurs proches (Flores et al., 2020). Au Québec, des milieux ont mis en place des équipes expressément formées pour assurer le soutien et la communication aux familles (Vallet, 2021).

La communication comme source de mitigation des enjeux

La communication apparaît comme l’une des dimensions clés à privilégier dans les soins palliatifs et de fin de vie (Santé Canada, 2018). En effet, les conversations entre les patients, les personnes soignantes et les proches sont un facteur de protection, à la fois parce qu’elles rattachent à la vie et parce qu’elles contribuent à l’anticipation graduelle de la mort et du deuil (Robert et al., 2020). Pourtant, en contexte pandémique, nous avons constaté que les restrictions des visites et la charge de travail accrue ont limité cet aspect fondamental de la relation.

L’évolution de la pandémie a imposé à tous les acteurs une agilité, une flexibilité et une adaptation constante à la réalité épidémiologique (Beyens et al., 2020). Parmi ces adaptations, les télécommunications ont aidé à surmonter l’interdiction d’accès physique aux personnes en fin de vie. Bien qu’elles ne soient que pâle substitution à la présence en personne, elles ont parfois constitué la seule possibilité (Bettini, 2020). Elles offrent le choix du moindre mal entre l’imperfection et la privation. À raison, les télécommunications peuvent être jugées insatisfaisantes pour les patients et leurs familles (Wakam et al., 2020). L’utilisation de cette option devrait conséquemment être circonscrite et située dans le temps. Elle devrait être envisagée comme solution de rechange lorsque la présence physique est impossible et que son caractère incontournable est confirmé. Elle ne devrait certainement pas constituer la nouvelle norme de pratiques en soins de fin de vie.

La communication contribue aussi à la compréhension des restrictions liées aux visites. Elle aide les personnes à leur donner un sens, en plus de donner un sens à leurs actions. Les informations recueillies auprès des familles permettent aux soignants d’ajuster les soins, de les personnaliser et de maintenir la personne au coeur de leur pratique (Ritchey et al., 2020). La tenue d’un journal d’activités et l’instauration de moments réservés aux communications avec les familles permettent au personnel soignant d’informer les proches de la condition des patients, mais aussi de les préparer à leur éventuelle présence en établissement (Bergman et al., 2020). Rassurer les familles sur les soins et services octroyés aux patients contribue à l’adhésion aux directives et plus largement, à la cohésion sociale et à notre protection.

Votre appel téléphonique me réconforte… Je pense que je vous dois un immense Merci, car c’est vous qui avez fait avancer les choses! J’apprécie grandement votre aide, vos infos, votre accompagnement, même à distance, je dirais que vous faites des « miracles ». Je vous suis reconnaissante! Je suis encouragée et réconfortée de votre aide et de vous savoir présente dans ma pénible situation! […] Vous m’êtes précieuse.

Proche aidante

Compte tenu de l’ampleur du mandat confié aux équipes, il ne suffit pas d’appeler à leur proactivité pour protéger les communications et la vie relationnelle des patients. Les établissements ont la responsabilité de soutenir les intervenants dans les circonstances exceptionnelles que nous avons connues avec la pandémie. Ce soutien se traduit par des communications et des orientations claires, ainsi que par le déploiement de ressources adaptées.

Ainsi, les directives concernant la restriction des visites ne peuvent être généralisées et appliquées tous azimuts, sans considération du contexte et des individus. En ce sens, un modèle universel serait à proscrire, tandis qu’un modèle d’analyse des situations au cas par cas devrait être privilégié (Association des infirmières et des infirmiers du Canada, 2020). Concrètement, des moyens doivent être déployés pour humaniser les services, les harmoniser au contexte et reconnaître le statut relationnel des personnes. L’investissement dans les communications et dans la coordination de la présence des proches permet d’adoucir l’expérience de fin de vie et de renforcer la cohérence entre nos valeurs, nos aspirations et nos actions. Dans les établissements, les éthiciens ont directement été impliqués dans cette structuration des communications et dans la résolution des enjeux liés aux visites.

L’éthique comme espace de communication et de résolution des enjeux

Comme éthiciennes, nous avons pu constater combien la présence des proches dans les établissements a été préoccupante pour le personnel soignant. Dans un contexte de rareté des ressources, celui-ci devait assumer son mandat clinique, il devait respecter les préférences individuelles par rapport aux visites et accorder une considération toute particulière aux patients en fin de vie et à leurs proches. Dans cette conjoncture, les services en éthique de plusieurs établissements ont été mobilisés pour déployer un espace de communication et de résolution des enjeux liés aux visites. Par exemple, nos organisations ont mis sur pied des comités éthiques d’aide à la décision, dont le mandat visait, entre autres, à assurer une meilleure cohérence entre les orientations des départements, unités et directions. Les comités éthiques visaient le soutien des équipes et des gestionnaires, l’apaisement de la détresse morale par la recherche de la meilleure décision en situation. En limitant les biais liés aux subjectivités individuelles, la médiation offerte par les éthiciens a permis de préserver la qualité des soins et le lien thérapeutique entre le personnel soignant, les proches et les patients.

À travers le Québec, les éthiciens dans le réseau de la santé ont cherché à offrir aux équipes un espace pour réfléchir à des moyens créatifs, en considération des ressources disponibles et nécessaires à la présence sécuritaire des proches. Conformément à l’approche intégrée des valeurs, ils ont aussi cherché à valoriser à la fois la protection et la relation des individus. Ils ont travaillé à l’identification des risques et des bénéfices associés aux différentes orientations, à l’analyse des enjeux locaux et à une application des directives modulée selon le contexte. En mettant en balance l’intérêt des patients, des proches, des intervenants et de la communauté, ils ont encouragé la construction de solutions par et pour les personnes concernées. Notre expérience nous permet d’affirmer que les éthiciens ont un rôle fondamental à jouer dans cette réflexion, et nous sommes convaincues que leur contribution répond au mandat de l’éthique clinique et organisationnelle en santé.

Situés aux frontières de la clinique et de l’organisationnel, les services en éthique offrent cette perspective globale et transversale des enjeux rencontrés sur le terrain. La créativité ou l’espace pour « penser en dehors de la boîte » est probablement l’une des plus grandes contributions que l’éthique peut léguer aux intervenants du RSSS actuellement. Formuler des recommandations en coconstruction, en tenant compte des valeurs en présence, contribue à la confiance entre les parties prenantes et au dénouement des impasses relationnelles ou organisationnelles.

Avec la multitude des enjeux qu’elle a provoquée, la pandémie a vu naître la mise en commun et le partage des initiatives des éthiciens du RSSS. Elle a aussi amené les équipes à se référer plus spontanément aux services en éthique pour soutenir leur réflexion dans les situations moralement problématiques. Nous souhaitons que les patients et les proches développent eux aussi, à l’avenir, le réflexe de solliciter l’expertise des éthiciens afin d’être accompagnés lorsque surviennent des malaises ou des situations moralement complexes.