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Les chemins du collectif est un essai sur la pédagogie institutionnelle. L’auteur, enseignant depuis 2001 en France, explique comment il s’est approprié cette pédagogie et comment d’autres enseignant⋅e⋅s pourraient suivre cette voie. Le titre de l’essai aurait dû faire référence à la pédagogie institutionnelle, car c’est l’unique sujet du livre.

Au départ, l’auteur explique les définitions propres à cette pédagogie. Puis, il explique en long et en large comment « démarrer » une classe en pédagogie institutionnelle. S’ensuit un historique sur cette dernière. Il termine avec l’importance de faire partie d’un groupe de discussion afin d’échanger avec les collègues les succès comme les erreurs de cette pratique. Dans ce dernier chapitre, l’auteur souligne que la pédagogie institutionnelle insiste sur le devoir d’écrire et de diffuser les expériences faites en classe. Ce manuel est sans doute le fruit direct de cette injonction.

Cet essai s’adresse autant à des enseignant⋅e⋅s néophytes de la gestion de classe « participative » (à la Freinet) qu’à des habitué⋅e⋅s de la gestion de classe « démocratique ». Bien que l’auteur affirme que la pédagogie institutionnelle est applicable autant au primaire qu’au secondaire, ses exemples concrets se concentrent sur le primaire ou, du moins, à l’intérieur de groupes fermés avec un⋅e titulaire de classe qui voit ses élèves très souvent dans le même local. Pour un⋅e lecteur⋅rice nord-américain⋅e, la pédagogie institutionnelle ressemble aux pédagogies alternatives qui ont cours actuellement dans certaines écoles primaires : l’auteur fait d’ailleurs référence aux écoles Montessori et à Freinet comme sources d’inspiration de la pédagogie institutionnelle.

L’auteur affirme, avec raison, que la pédagogie institutionnelle peut être utilisée dans toutes les disciplines. Cependant, avec le système d’examens ministériels québécois, il se pourrait que certains aspects de cette pédagogie ne puissent s’appliquer tels quels au Québec. On songe ici au fait que celle-ci s’appuie sur l’idée que l’élève choisit son travail (sujet, forme, etc.), alors que les examens du ministère sont beaucoup plus dirigés, rigides.

L’intérêt de ce livre repose principalement sur le fait que l’auteur documente son appropriation personnelle de la pédagogie institutionnelle. Il y a moult exemples concrets, de façons de faire, de règles de classe, d’organisation de la gestion de classe qui permettent à n’importe quel⋅le pédagogue de retrouver ses repères et d’en appliquer rapidement des pans entiers dans sa classe. Cette pédagogie « fait le pari de transformer la classe en milieu éducatif » (p. 15) et c’est un pari tenu ! On comprend que l’enseignant⋅e ne se borne pas à déverser des savoirs, mais que celle⋅celui-ci doit tenir compte du contexte socioéconomique dans lequel les enfants apprennent ! En effet, la pédagogie institutionnelle s’oppose à la posture de l’enseignant·e autocrate : « [Sa] pédagogie n’est pas construite sur une subordination des enfants. » (p. 59)

La pédagogie institutionnelle met en place un conseil de classe, des métiers à pourvoir (ouvrir la porte le matin, animer le conseil de classe, etc.), une ceinture, comme au judo, qui permet d’avoir de plus en plus de liberté, comme sortir de classe sans permission, choisir certaines activités pédagogiques, etc. Un moment « quoi de neuf » qui a lieu le lundi matin : ce moment est crucial dans la pédagogie institutionnelle, car il permet à l’élève de s’exprimer sur ce qui se passe d’important dans sa vie, etc. Encore une fois, cela donne de bonnes idées pour (ré)orienter sa gestion de classe en augmentant la responsabilisation des jeunes dans leur apprentissage. On aime que l’auteur explique certaines de ses erreurs, car cela favorise la compréhension des principes derrière la pédagogie institutionnelle. Il donne comme exemple l’établissement d’une « zone rouge » en classe où la⋅le jeune est temporairement exclu⋅e du groupe par ses pair⋅e⋅s.

On savoure, tout le long de l’essai, la critique du rôle de l’État en éducation. En effet, pour l’auteur « [l]’école publique au service de l’État a pour fonction d’assurer la reproduction des élites et le tri social » (p. 89) ; la « pédagogie n’est jamais neutre, je sais que ma pratique sera ce qu’elle est en fonction de choix […] : leur [les élèves] faire assimiler l’idéologie dominante ou les rendre critiques et autonomes vis-à-vis d’elle » (citation de Noëlle de Smet, p. 81).

Une grande partie de l’ouvrage repose sur la nécessité de ne pas oeuvrer en vase clos : il est important de s’inclure dans une communauté qui nous soutient et où l’on discute de nos pratiques en accord avec nos convictions. C’est d’ailleurs ce qui manque au Québec : bien que certain⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s le fassent sur une base volontaire, il existe peu ou pas de communautés enseignantes formelles au Québec.

En conclusion, la lecture de cet essai en vaut la peine : il remet en question le fonctionnement de la classe et propose des pistes concrètes pour orienter sa gestion de classe en symbiose avec ce que devraient être les valeurs d’une société véritablement démocratique.