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Ce dossier de Voix et Images s’inscrit dans une tradition critique québécoise bien établie alors que les chercheurs et chercheuses du Québec qui oeuvrent dans le domaine des études littéraires semblent toujours avoir eu le souci que leurs étudiant.e.s participent activement à la recherche institutionnelle sous toutes ses formes, dont celle de la publication.

Dès la fin des années soixante, l’Institut supérieur des sciences humaines de l’Université Laval, que dirigea Fernand Dumont entre 1967 et 1973, avait pour but explicite de « développer la recherche interdisciplinaire entre les diverses facultés et créer un climat favorable où chercheurs et étudiants gradués mettraient leurs travaux en commun[1] ». L’Institut publie à cet effet des Cahiers qui sont à l’avenant quant aux disciplines concernées, lesquelles incluent donc les études littéraires notamment grâce à deux collectifs dirigés par Denis Saint-Jacques. Publié en 1976, Littérature et idéologies. La mutation de la société québécoise de 1940 à 1972 présente les actes d’un colloque précédemment tenu. Dans le contexte du présent dossier, il nous intéresse surtout pour le prolongement qu’il connaîtra deux ans plus tard avec la publication d’un collectif issu des « travaux du séminaire des automnes 1976 et 1977 sur l’analyse des idéologies dans les corpus de fiction donné au Département des littératures et à l’ISSH de l’Université Laval[2] ». Dans la présentation qu’il fait de ce collectif intitulé Littérature et idéologies : la dynamique des fictions, Saint-Jacques précise que « […] les travaux produits dans le cadre même du séminaire se sont avérés d’une telle qualité, allant bien au-delà de simples promesses, qu’il [lui] a semblé utile de les faire connaître à un public un peu plus large que le groupe restreint qui les a réalisés[3] ». Lucie Robert, dont la contribution à Voix et Images est comme on sait majeure, y publie alors un article intitulé « Camille Roy et le problème de la nationalisation de la littérature canadienne[4] ».

Depuis, les centres de recherche en études québécoises ont toujours été attentifs à cette dimension de la vie intellectuelle qui consiste à soutenir les étudiant.e.s en leur offrant la possibilité de publier leurs travaux.

Fondé en 1975, le Centre de documentation des études québécoises de l’Université de Montréal (CÉTUQ)[5] publie entre 1986 et 1989 des « Rapports de recherche » qui doivent « permettr[e] de mieux faire connaître les résultats de recherches particulièrement intéressantes réalisées dans le cadre d’un programme de maîtrise ou de doctorat au Département d’études françaises de l’Université de Montréal[6] ». Ce type de publication ne pouvant pas accueillir des mémoires ou des thèses entiers, on y présente plutôt « un extrait particulièrement significatif [ou] un choix d’extraits qui […] donne une idée juste de la recherche entreprise et de ses conclusions[7] ». Jean-François Chassay et Yrénée Bélanger signent les deux premiers de ces rapports avant que la direction du Centre décide d’y accueillir aussi les travaux d’étudiant.e.s étrangers : en 1987, Józef Kwaterko publiera des extraits de la thèse qu’il venait de soutenir à l’Université de Varsovie sous le titre Médiation et réfraction idéologique chez Jacques Godbout, Marie-Claire Blais et Jacques Ferron. Plus largement, cette collection offre un fonds précieux à quiconque s’intéresse aux études sur la littérature québécoise alors qu’elle accueille différents répertoires, des anthologies ou des listes bibliographiques, en plus de collectifs issus de travaux de groupes de recherche du Département d’études françaises de l’Université de Montréal.

À l’Université Laval, le Centre de recherche en littérature québécoise (CRELIQ), créé en 1981, formalisera un partenariat avec Nuit blanche éditeur, puis Nota bene quand la maison change de raison sociale : la collection « Séminaires » publiera des collectifs qui sont le fruit des travaux d’étudiant.e.s réalisés dans le cadre d’un séminaire, comme c’est le cas du tout premier titre qui y paraît, Analyse génétique d’un épisode de Menaud, maître-draveur. La mort de Joson[8], sinon des actes de colloques, voire des recensions de conférences données par des professeur.e.s à l’occasion d’un séminaire sous l’égide du CRELIQ : Pour un bilan prospectif de la recherche en littérature québécoise et La discursivité en sont deux exemples[9]. Cette collection, qui a fait date dans l’histoire de la recherche en littérature au Québec, offre un espace important de diffusion pour les étudiant.e.s, qui y trouvent l’occasion d’une première publication savante, et au nombre desquels on trouve des professeur.e.s aujourd’hui en poste dans une université ou un cégep, comme Christiane Lahaie, Sophie Marcotte, Frédérique Bernier ou Michel Nareau, mais aussi des écrivains : Jean Désy, Stanley Péan ou Nicolas Dickner par exemple.

Dans la foulée de ces deux centres dont il est issu, le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) poursuivra cette tradition, dans un premier temps par le biais de la collection « Interlignes », qui « accueillait les travaux en cours des membres du CRILCQ [et] a notamment publié les actes du Colloque des jeunes chercheurs de 2e cycle du CRILCQ[10] », puis avec les collections « Nouveaux cahiers de recherche » et « Nouveaux cahiers de recherche-création », lesquelles permettent aujourd’hui d’assurer la diffusion des travaux « des membres du CRILCQ, aussi bien ceux des cochercheurs.cheuses et des étudiants.tes que des stagiaires postdoctoraux.rales[11] ».

Il faut terminer ce bref tour d’horizon des collections qui accueillent les travaux d’étudiant.e.s en mentionnant celle de la revue Tangence, publiée sous l’égide des sections de lettres du Département de lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski et du Département de lettres et communications sociales de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Visant « à faire connaître les travaux de jeunes chercheurs en études littéraires[12] », cette collection est majoritairement constituée des actes du colloque biennal des programmes de maîtrise et de doctorat en lettres offerts conjointement par les universités du Québec à Rimouski, à Trois-Rivières et à Chicoutimi, lesquels comptent pour sept des neuf titres à ce jour publiés par Tangence.

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Le dossier « Nouveaux visages de la recherche », qui est sauf erreur le premier numéro d’une revue savante québécoise en études littéraires qui soit composé exclusivement de contributions étudiantes[13], dépend d’un contexte particulier à partir duquel son idée a surgi, soit la pandémie mondiale de COVID-19 qui a frappé en mars 2020. On se souviendra du printemps 2020 comme d’un moment d’arrêt collectif. Sans revenir sur les détails, rappelons que le temps semblait venu, selon un vocable alors en vogue, de « se réinventer ». Dans le monde universitaire, la pandémie a eu comme effet immédiat que les chercheurs et chercheuses ont rapidement dû se recentrer sur l’enseignement, le passage aux modalités d’enseignement à distance requérant alors une adaptation hors du commun et aussi (surtout ?) absolument chronophage. Les contraintes sociales s’ajoutant aux contraintes professionnelles, « toutes [l]es heures supplémentaires consacrées à l’enseignement, aux services à la collectivité ou à prendre soin des proches ont réduit d’autant le temps disponible pour la recherche[14] ». Comme le soulignent Michel Lacroix et Louis Gaudreau, le temps consacré à la recherche s’en est au surplus trouvé diminué de manière inégale selon la situation des un.e.s et des autres : qu’on pense aux femmes et aux parents d’enfants ou d’adolescent.e.s, pour qui la pandémie a ajouté une difficulté supplémentaire. C’est sans compter que certains types de recherche ont été rendus impossibles : comment par exemple poursuivre des travaux de recherche en édition critique sans accès aux archives ? Il faudra un jour faire le bilan des effets de la pandémie sur la vie universitaire et intellectuelle et, souhaitons-le, prendre acte des bouleversements qu’elle aura entraînés sur nos manières d’envisager – et de faire – la recherche. En ce sens, le présent dossier constituera sans doute un document précieux du fait même qu’il émerge directement de cette pandémie.

Car enfin, le début de la pandémie semble avoir eu un tout autre effet chez les étudiant.e.s des cycles supérieurs[15], si l’on en juge par le nombre de propositions d’articles reçues à Voix et Images à partir de mai 2020, laissant ainsi entendre que ce moment d’arrêt collectif semble avoir été dans un premier temps vécu comme un moment de possibilités de concentration sur la seule recherche de leur part. Risquons une hypothèse, toute maladroite ou grossière puisse-t-elle sembler : les activités académiques propres à la vie étudiante des cycles supérieurs (qu’il s’agisse de colloques, de participations aux groupes de recherche, etc.) et les lieux de socialisation se trouvant désormais hors d’accès, les étudiant.e.s se seront trouvé.e.s devant du temps supplémentaire qu’ils et elles pouvaient désormais consacrer à leur recherche, cela bien évidemment dans la mesure des inégalités face à la pandémie que nous venons tout juste d’évoquer. La composition de la table des matières du présent dossier est à cet égard révélatrice d’un symptôme réel quant à la partition homme/femme au sein des signataires d’articles. Quoi qu’il en soit, le fait est que pendant les premiers mois de la pandémie, Voix et Images a reçu un nombre inhabituel de textes de la part d’étudiant.e.s aux cycles supérieurs, mais aucun texte de la part de professeur.e.s en poste.

Comme on sait, la section « Études » de Voix et Images reste le lieu privilégié pour publier de tels articles une fois qu’ils ont passé l’épreuve de l’évaluation en double anonyme. Le nombre d’articles soumis à partir de mai 2020 a toutefois rapidement commandé de penser à un mode de publication plus approprié, à défaut de quoi certains de ces textes risquaient d’être publiés plus de trois ans après leur soumission. Du moment où les évaluateurs et les évaluatrices – qui, rappelons-le, ne connaissent pas l’identité des auteur.e.s des textes – ont rendu leur verdict de publication, l’idée d’un dossier spécifique regroupant exclusivement des contributions étudiantes a rapidement pris forme[16]. Au nom du comité éditorial, je remercie sincèrement les évaluateurs et les évaluatrices externes de ce dossier. L’évaluation est au mieux une tâche délicate et chronophage, voire une tâche ingrate dans la mesure où elle n’est pas valorisée par nos institutions alors qu’elle est pourtant primordiale au déroulement éthique de la recherche. Sans pouvoir nommer ici ces collègues qui ont répondu positivement à nos demandes puisqu’il faut préserver l’anonymat du processus, qu’ils et elles soient assuré.e.s de la reconnaissance du comité éditorial alors qu’ils et elles ont généreusement accepté d’évaluer sans délai les manuscrits soumis au moment même où ils et elles se trouvaient professionnellement et personnellement surchargé.e.s à cause du contexte pandémique.

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Tout en donnant à lire un ensemble de textes qui témoignent des préoccupations intellectuelles actuelles des jeunes chercheurs et chercheuses en études littéraires québécoises, ce dossier ne prétend d’aucune façon à une quelconque représentativité statistique quant aux corpus abordés, aux orientations théoriques et critiques privilégiées non plus qu’à la composition de la communauté des chercheurs et chercheuses inscrit.e.s dans des programmes de cycles supérieurs en études littéraires. La nature même du processus d’évaluation par les pairs ainsi que les circonstances personnelles des un.e.s et des autres quant au désir de soumettre une proposition d’article appelle à prendre acte du caractère aléatoire de la composition d’un tel dossier, dont on saluera toutefois la force et la richesse des interventions critiques.

Les textes réunis dans ce dossier couvrent un corpus qui va du xixe siècle jusqu’à l’extrême contemporain. Sauf pour Hector de Saint-Denys Garneau, les écrivain.e.s qui sont l’objet de ces études ne font pas partie du canon de notre histoire littéraire, signalant que les préoccupations critiques et esthétiques des jeunes chercheurs et chercheuses qui sont les nouveaux visages de la recherche semblent aller vers les corpus plus transversaux. Il faut à cet égard souligner que le dossier est sur ce plan tout à fait représentatif de l’ensemble des textes qui ont été soumis en vue de sa constitution : des corpus d’autrices comme France Théorêt, Louise Dupré, Catherine Mavrikakis et Audrée Wilhelmy figurent au sommaire des manuscrits ayant été évalués pour publication aux côtés de corpus formés du roman homosexuel québécois pour la jeunesse ou, encore, des Cendres bleues de Jean-Paul Daoust. Pour le dire autrement : le processus d’évaluation n’a pas eu d’effets patents quant à une éventuelle restriction des corpus abordés.

Envisagées à partir de leurs objets, ces études témoignent d’un recadrage certain de la perspective qui semble s’opérer actuellement au sein des études littéraires québécoises. D’évidence, elles n’en couvrent pas tous les aspects : aucun manuscrit portant sur les écrits des Premières Nations n’a par exemple été soumis. Pour autant, et cela qu’il s’agisse de s’arrêter à ce que Frédérique Collette nomme un contre-féminin pour penser la dynamique de réappropriation et d’empowerment chez Chloé Savoie-Bernard, de réfléchir comme le fait Martin Hervé aux schèmes d’exception et d’exclusion qui marquent l’écriture mélancolique de Jean Basile ou, encore, d’articuler comme le propose Sacha Tremblay une réflexion autour des effets de mise en abyme qui lient l’expérience littéraire à celle de la maternité chez Martyne Rondeau, ce dossier permet de repenser les angles morts des paradigmes qui régissent nos habitudes critiques justement parce que « […] we are not likely to locate truths unequivocally establishing values a canon can reflect, we must learn to negociate the endless circles that constitute cultural traditions[17] ». C’est ainsi qu’un auteur largement étudié comme Garneau est ici envisagé à travers le prisme de ce qu’Olivier Séguin-Brault nomme l’ethos architectural de sa correspondance et de son journal, ce qui permet en retour de lire autrement sa poésie, alors qu’Alex Gagnon scrute le long « poème badin[18] » d’un écrivain aujourd’hui complètement oublié, Arthur Cassegrain, pour en souligner les enjeux réflexifs de la dérision face au discours social qui lui est contemporain.

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En guise de conclusion, notons que les jeunes chercheurs et chercheuses qu’on lira ici sont présentement tou.te.s inscrit.e.s dans un programme de doctorat au sein d’une université canadienne. Le spectre couvert par ces voix critiques montre toutefois que le vocable « jeune chercheur. cheuse » recouvre un ensemble assez large d’expériences : au moment où ils et elles ont soumis leurs contributions, l’un d’entre eux, Alex Gagnon, était déjà docteur en littérature, discipline dans laquelle il a poursuivi des stages postdoctoraux avant de rejoindre le programme doctoral en histoire de l’Université du Québec à Trois-Rivières, où il est toujours inscrit, alors qu’un autre, Olivier Séguin-Brault, était étudiant à la maîtrise à l’Université McGill, et est maintenant doctorant à l’Université du Québec à Rimouski.

Enfin, une remarque plus ponctuelle sur la composition globale de ce numéro s’impose. Nos lecteurs et nos lectrices savent qu’un numéro de Voix et Images est ordinairement composé de trois rubriques, soit un dossier, une section « Études » et des chroniques. Fonctionnant sur le mode du recueil, forme à propos de laquelle François Ricard notait qu’elle se pense et se lit « […] non comme la simple réunion de fragments isolés, mais bien comme un objet nouveau, produit par l’assemblage de ces fragments mais agissant en retour sur eux et leur communiquant une de leurs dimensions capitales[19] », un dossier de Voix et Images articule généralement sa cohérence autour d’un objet, un corpus ou un thème précis. Le dossier « Nouveaux visages de la recherche » tire quant à lui sa cohérence de la spécificité des voix critiques qu’il donne à lire. Sa « cheville de coordination[20] » étant énonciative plutôt que thématique, il a été jugé plus profitable de reporter la publication d’études au prochain numéro afin d’éviter tout effet de subrogation qui pourrait découler de l’ajout d’une autre voix critique, extérieure à celles de ces « Nouveaux visages ». Il s’agissait en fin de compte d’éviter que ce qui a été pensé comme un recueil puisse être lu comme un assemblage plus disparate.