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Introduction

Au Canada, on compte dans les Forces armées régulières 30 756 militaires en couple avec un conjoint civil (21 062 mariés et 9 691 en union de fait) et 6 810 militaires qui vivent une relation conjugale avec un autre militaire (4 691 mariés et 1 837 en union de fait) (Manser, 2018). Ces couples doivent composer avec les défis communs de la vie à deux, en plus d’être confrontés à des enjeux distinctifs qui risquent de susciter de la détresse conjugale et d’affecter le rendement du militaire (Cigrang et al., 2014 ; Carter et al., 2015 ; Farero et al., 2015). Toutefois, aucune étude évaluative ne permet à ce jour de documenter les interventions conjugales réputées efficaces auprès de la population militaire canadienne. Certaines recherches évaluatives menées aux États-Unis sont disponibles, mais elles concernent des couples impliquant un vétéran, sans prendre en compte les militaires actifs. Les rares études disponibles au sujet de l’intervention conjugale auprès d’une population militaire active s’inscrivent dans des programmes psychoéducatifs, tels que le « PREP for Strong Bonds » aux États-Unis et le « Couple CARE in Uniform » en Australie. Par conséquent, peu de données sont actuellement disponibles pour orienter l’intervention auprès de ces couples, qui sont pourtant exposés à un grand nombre de facteurs pouvant altérer leur satisfaction conjugale. En plus d’être rares, les données disponibles sont issues de recherches menées aux États-Unis, où la réalité militaire diffère de la situation canadienne, notamment en ce qui a trait au nombre de déménagements et à la durée des déploiements. En effet, contrairement aux militaires canadiens qui vivent généralement des déploiements variant entre six et neuf mois, les militaires américains sont généralement appelés à se déployer pour de plus longues durées, telles que dix-huit mois.

Cet article présente le récit de pratique d’un projet mis en place dans le cadre d’un stage de pratique spécialisée de deuxième cycle en travail social afin de répondre aux besoins spécifiques de la population militaire canadienne francophone. En premier lieu, les différentes particularités auxquelles sont confrontés les couples militaires sont présentées. Ensuite, le projet d’intervention mis en application, reposant sur la thérapie cognitive comportementale de couple (TCCC), le « Couple Coping Enhancement Training » (CCET), ainsi que l’approche systémique, est brièvement exposé. Finalement, le bilan de ce projet et les recommandations qui en découlent sont présentés afin de guider la pratique des intervenants sociaux qui oeuvrent auprès de cette population.

Les couples militaires et leurs défis

Les couples dont au moins l’un des partenaires est militaire doivent composer avec des absences occasionnelles ou régulières, prévues ou imprévues, de courte ou de longue durée. Peu de données sont disponibles au sujet des impacts de la vie militaire sur les couples canadiens. Néanmoins, plusieurs études réalisées aux États-Unis présentent des constats intéressants quant à la vie conjugale des militaires. Bien que la réalité des militaires canadiens se distingue du contexte américain, plusieurs informations peuvent être retenues à la lumière des études réalisées à ce jour afin de mieux comprendre la réalité conjugale des militaires canadiens.

D’une part, certaines études américaines se sont penchées sur les effets des déploiements sur les couples militaires. Ainsi, Negrusa et collaborateurs (2014) révèlent que le risque de divorce augmenterait avec le nombre de déploiements, et ce, peu importe la nature de ceux-ci. Les absences et les retours influeraient sur la présence de conflits entre les partenaires (Pincus et al., 2007 ; Roth, 2016), notamment en ce qui concerne la répartition des responsabilités et du pouvoir au sein du couple et de la famille (Allen et al., 2010 ; Moore, 2012). Au cours des périodes d’absence, chaque partenaire vit des changements individuels substantiels et progresse à travers différents stades émotionnels qui sont susceptibles de fragiliser et de modifier la relation conjugale (Logan, 1987 ; Pincus et al., 2007 ; Knobloch et Theiss, 2010 ; Moore, 2012). Le tableau 1 présente une synthèse des stades de déploiement et de leurs effets sur le couple.

Tableau 1

Les stades de déploiement et leurs effets sur le couple

Les stades de déploiement et leurs effets sur le couple

Inspiré de Logan (1987) et Pincus et al. (2007)

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Les défis conjugaux sont notamment rencontrés à la suite du retour d’une absence, alors que les conjoints doivent réapprendre à faire équipe, en impliquant à nouveau le militaire dans les prises de décision et le partage des responsabilités (Faber et al., 2008 ; Allen et al., 2010 ; Knobloch et Theiss, 2010). Ils doivent renégocier une juste distance entre la vie individuelle de chacun et la vie conjugale (Bodenmann et al., 2002), alors même qu’ils ont appris, pendant plusieurs mois, à vivre de manière individuelle et à utiliser d’autres sources de soutien que leur conjoint (Logan, 1987 ; Pincus et al., 2007). Ils doivent tenter de réinstaurer une intimité conjugale, un lien émotionnel, ainsi qu’une intimité sexuelle (Bowling et Sherman, 2008 ; Knobloch et al., 2013), bref, ils doivent tenter de se « réattacher » sur le plan émotionnel.

La vie militaire implique également une mobilité géographique pour le couple en fonction de la carrière militaire, mais ces déplacements occasionnent un éloignement avec la famille d’origine et les autres réseaux de soutien primaire (Stamm, 2009 ; Jones, 2012). Au Canada, ce sont 10 000 familles qui doivent se déplacer chaque année dans une nouvelle localité, dont 8 000 dans une nouvelle province (Manser, 2020). Avec les déplacements, les partenaires expérimentent maintes ruptures de liens, ce qui peut ultimement entraîner une réticence à nouer de nouvelles amitiés (Sherwood, 2008 ; Sierra, 2013) et, conséquemment, diminuer la taille du réseau social au fil des déménagements (Gallant et Bourdon-Gill, 2020). D’autres facteurs affectent l’intégration sociale des couples militaires, notamment le fait de ne pas maîtriser la langue de son nouveau milieu (Régimbald et Deslauriers, 2010), les inquiétudes quant à la circulation de ragots au sein de la communauté militaire (Gallant et Bourdon-Gill, 2020), ainsi que les frontières à respecter dans les relations avec les militaires de grades différents. Conséquemment, le conjoint constitue, la plupart du temps, la principale, voire la seule source de soutien pour le partenaire (Sherwood, 2008 ; Sierra, 2013). Les déménagements fréquents suscitent aussi un stress financier sur le couple, tout en complexifiant la recherche d’un emploi rémunéré chez le conjoint non militaire (Sierra, 2013) – qui court ainsi le risque de se retrouver en situation de dépendance financière (Harrison, 2002 ; Sherwood, 2008 ; Régimbald et Deslauriers, 2010). Les difficultés financières et professionnelles peuvent engendrer des frustrations et du ressentiment envers le conjoint militaire, modifier le partage de pouvoir au sein du couple et venir ternir la relation amoureuse (Harrison, 2006 ; Sierra, 2013).

Les stresseurs multiples auxquels les couples militaires sont exposés, associés à la nature des tâches militaires, fragilisent la santé mentale des deux partenaires (Sierra, 2013). Des symptômes d’anxiété et de dépression peuvent se présenter en période de déploiement en réaction à la surcharge des rôles et aux inquiétudes quant à la sécurité du militaire (Sierra, 2013 ; Modrell, 2014 ; Blow et al., 2015). Ces symptômes sont également observables chez le militaire déployé (Gambardella, 2008 ; Sierra, 2013). D’ailleurs, on estime qu’un militaire sur six souffre d’un problème de santé mentale parmi les suivants : épisode dépressif majeur, trouble panique, trouble de stress post-traumatique (TSPT), trouble d’anxiété généralisée, abus ou dépendance à l’alcool (Groupe des services de santé des Forces canadiennes, 2014 ; Pearson et al., 2014). Une enquête canadienne menée en 2013 révèle que 8 % des militaires présentaient un trouble dépressif, et ce taux serait près du double de celui observé dans la population civile (Pearson et al., 2014). Dans cette même enquête, le TSPT était, quant à lui, présent chez 5,3 % des militaires. Or, la condition de santé mentale d’un partenaire affecte grandement la dynamique conjugale et est susceptible d’interférer dans la relation (Sherman et al., 2005 ; Allen et al., 2010).

Par ailleurs, l’enrôlement militaire implique l’intégration dans une structure organisationnelle basée sur un système de dominance et de subordination (Modrell, 2014). Dès le début de leur carrière, les militaires apprennent à se conformer à ce modèle relationnel fondé sur des rapports de pouvoir hiérarchiques. Or, l’intégration de ce modèle relationnel entre directement en opposition avec les attentes sociales actuelles visant la recherche d’une relation égalitaire au sein d’un couple et le partage de pouvoir (Kaufman, 2017). Certains comportements et attitudes stéréotypés de la masculinité seraient également renforcés par la vie militaire, tels que la restriction et le contrôle émotionnels, le recours à l’agressivité dans les relations interpersonnelles, la valorisation de la force physique (Kahn, 2009 ; Régimbald et Deslauriers, 2010) et l’adhésion à des rôles davantage traditionnels (Bowen et Orthner, 1983 ; Karney et Crown, 2007). Ainsi, la socialisation militaire vient moduler la capacité des conjoints à se montrer vulnérables envers leur partenaire amoureux, en plus d’engendrer parfois une difficulté à vivre une relation égalitaire (Sherwood, 2008 ; Moore, 2012).

Aux États-Unis, certaines recherches démontrent que la prévalence de la violence conjugale est supérieure dans la population militaire, comparativement à la population civile (Stamm, 2009 ; Jones, 2012 ; Kwan et al., 2020), et cette prévalence varierait entre 5 % et 32 %, alors que les taux observés dans la population générale se situent plutôt entre 4 % et 15 % (Kwan et al., 2020). Au Canada, l’ampleur de la violence conjugale chez les militaires est peu documentée, mais Jones (2012) souligne néanmoins que le contexte de vie militaire est propice à cette problématique, étant donné l’effritement des liens sociaux et des sources d’aide, la situation de dépendance économique envers le conjoint militaire et l’exposition à de nombreux stresseurs qui fragilisent la santé mentale des partenaires. Par ailleurs, la présence de l’infidélité caractériserait également bon nombre de couples militaires. Les recherches menées aux États-Unis indiquent qu’entre 50 et 60 % des couples militaires qui consultent pour une thérapie conjugale le feraient en raison de la découverte d’une infidélité, ce qui serait nettement supérieur au pourcentage de couples civils consultant pour ce motif (Snyder et al., 2011). L’éloignement géographique et les périodes d’absence influeraient sur l’intensité et la fréquence des préoccupations quant à l’honnêteté, l’intégrité et la fidélité du partenaire (Knobloch et Theiss, 2010, 2012 ; Knobloch-Fedders et al., 2017). À ce sujet, l’étude d’Alt (2006) observe que 69 % des partenaires considèrent que l’infidélité est fréquente pendant la durée d’un déploiement. Dans le même sens, l’étude de Sierra (2013) rapporte que les couples militaires perçoivent une culture permissive à l’égard des comportements d’infidélité. Les inquiétudes au sujet du comportement du partenaire complexifient l’adaptation du couple lors du retour au domicile à la suite d’une période d’absence (Knobloch et al., 2013). Ces données doivent toutefois être interprétées avec réserve considérant qu’elles sont issues de recherches américaines et que la réalité militaire canadienne, notamment quant à la durée des déploiements, s’avère différente. En ce sens, bien que le contexte de vie des couples militaires augmente le risque d’infidélité, l’occurrence pourrait être différente pour les Canadiens.

Les particularités dans l’intervention auprès des couples militaires

Pour adapter l’intervention conjugale à la réalité des couples militaires, il faut tenir compte de plusieurs particularités. D’abord, différents auteurs soulignent l’importance, pour l’intervenant, d’avoir un minimum de connaissances sur la culture militaire, les valeurs et les coutumes associées aux métiers et aux rangs avant d’entreprendre un suivi (Modrell, 2014 ; Farero et al., 2015). Ces connaissances permettraient d’améliorer la relation thérapeutique et de créer un meilleur environnement d’intervention (Morgan, 2012 ; Gallant et Bourdon-Gill, 2020). L’étude de Tam‑Seto et collaborateurs (2019) ajoute que certaines compétences « culturelles » favorisent la qualité des soins et l’alliance thérapeutique, telles que : (a) faire preuve d’empathie et considérer chaque situation conjugale comme étant unique, (b) s’informer directement auprès du couple de la façon dont les enjeux uniques aux familles militaires affectent leur situation, (c) tenir compte de l’histoire de vie militaire, notamment lors de l’évaluation des besoins et, finalement, (d) utiliser judicieusement l’autodévoilement, puisque cette stratégie permettrait d’améliorer la confiance des militaires quant à la compréhension de leur réalité (Tam-Seto et al., 2019). D’autre part, il faut être attentif au fait que le niveau d’adhésion à la culture militaire et ses effets sur la dynamique conjugale varient d’une personne à une autre et en fonction du métier et du grade du militaire (Farero et al., 2015).

Des défis importants pour la continuité et l’efficacité de l’intervention peuvent se présenter, considérant que l’intervention risque de s’arrêter, parfois abruptement, en raison de l’absence du soldat ou d’une mutation à venir. Diverses solutions sont possibles pour composer avec cette réalité, notamment l’augmentation de la durée des rencontres (Snyder et al., 2011 ; Glynn, 2012), l’intensification du suivi (Schumm et O’Farrell, 2012) ou encore l’élimination de certains objectifs secondaires (Monson, et al., 2012). Lors d’une absence, McCoy et collaborateurs (2013) proposent de recourir à différents moyens de communication pour composer avec la distance séparant les conjoints. Ainsi, l’utilisation de la vidéoconférence (Lanser et Stephens, 2011), du téléphone (McCoy et al., 2013) ou encore des courriels (Hertlein et Ancheta, 2014) peut être envisagée pour permettre l’intervention malgré la distance géographique (Lanser et Stephens, 2011 ; McCoy et al., 2013). L’utilisation d’un manuel d’activités peut également être indiquée afin de guider les conjoints par le biais d’exercices de réflexion spécifiques pendant l’absence (Snyder et al., 2012).

Finalement, différents programmes psychoéducatifs destinés à cette population et reconnus comme efficaces présentent quelques thèmes d’intervention spécifiques à considérer. Le « Prevention and Relationship Education Program » (PREP), développé aux États-Unis, aborde par exemple la question des inquiétudes liées à l’absence, en plus de permettre aux conjoints d’identifier ensemble un but et des objectifs conjugaux à atteindre lors du déploiement. Il traite également de la manière d’aborder les mauvaises nouvelles et de stratégies de communication et de résolution de problèmes pour favoriser la réunion et la réintégration (Bakhurst et al., 2017b). Le programme psychoéducatif « Couple Commitment and Relationship Enhancement in Uniform » (Couple CARE), développé en Australie, intègre quant à lui les stratégies de maintien de l’intimité et la gestion des retrouvailles. Le programme permet également d’aborder les aspects positifs et négatifs de la vie militaire, les impacts sur la relation et la gestion des séparations fréquentes (Bakhurst et al., 2017a). Au Canada, le programme « En route vers la préparation mentale » (RVPM) est offert aux militaires en préparation à un déploiement et avant le retour. En plus de proposer des stratégies individuelles de gestion du stress, ce programme présente des stratégies pour favoriser la réunion des conjoints, notamment dans l’ouverture à l’autre et l’échange entre partenaires sur les expériences vécues sur le plan individuel. Ce programme décrit également les stades émotionnels d’adaptation à l’absence afin que les conjoints puissent mieux comprendre leurs réactions respectives (Forces canadiennes Services bien-être et moral, s. d. ; Gouvernement du Canada, 2017). Modrell (2014) souligne d’ailleurs l’importance pour l’intervenant de connaitre les cycles émotionnels liés aux déploiements afin d’en tenir compte dans le cadre de l’intervention. En somme, ces différents sujets de discussion permettent de développer des connaissances et des compétences afin de favoriser un meilleur ajustement des conjoints à leur réalité particulière.

Mise en place d’un projet d’intervention conjugale pour les militaires

À la lumière des informations recensées quant aux particularités des couples militaires canadiens et des recommandations formulées pour les interventions qui leur sont destinées, un projet d’intervention conjugale a été élaboré afin de tenter de répondre davantage aux besoins particuliers de cette population. Le projet a reposé sur l’application de l’approche systémique ainsi que la thérapie cognitive comportementale de couple (TCCC). Des interventions issues du programme « Couple Coping Enhancement Training » (CCET), qui s’inscrit à l’intérieur des approches de TCCC, ont été intégrées au projet.

Ce projet d’intervention s’est avéré novateur en ce qu’il intégrait des aspects importants du programme CCET original, sans toutefois offrir l’ensemble de son contenu. Le projet s’avérait également innovant parce qu’il était offert à l’intérieur d’une intervention conjugale en dyade plutôt que dans le cadre d’un programme psychoéducatif de groupe, comme c’est le cas dans le programme original. Finalement, une portion du projet tentait de tenir compte des enjeux spécifiques à la vie militaire en y réservant un temps d’intervention. Les prochaines sections présenteront les approches et techniques d’intervention retenues et décriront également le projet qui a été appliqué.

L’approche systémique 

Le projet mis en place s’est appuyé sur les théories centrales de l’approche systémique. Dans le cadre de cette approche, le couple militaire est vu en fonction de la théorie des systèmes, où le système-couple correspond à un ensemble d’éléments interagissant entre eux et avec leur environnement. Selon cette approche, les différents éléments composant le système-couple ne peuvent donc être compris individuellement et dissociés les uns des autres (Côté, 2008). Une grande attention est donc portée aux processus interactionnels entre les différentes unités qui composent le système et ces interactions sont comprises selon une analyse circulaire plutôt qu’une chaîne de cause à effet. En ce sens, le comportement de l’un ne peut être compris qu’en regard des autres unités du système ou des autres systèmes qui l’entourent (milieu de travail, milieu de vie, réseau social, etc.) (Côté, 2008). De plus, une modification d’un des éléments du système entraînera nécessairement un changement dans les autres éléments du système afin que celui-ci puisse maintenir une homéostasie. Ainsi, le couple ne peut être considéré uniquement comme l’addition de deux personnalités individuelles, mais doit plutôt être vu comme un tout organisé en vue de maintenir sa survie et son équilibre à travers le temps. Outre la théorie des systèmes, l’approche systémique intègre également les théories de la communication.

Approche cognitive comportementale de couple : Le CCET

Le projet intégrait également la thérapie cognitive comportementale de couple (TCCC) par le biais d’une intervention issue du programme « Couple Coping Enhancement Training » (CCET). Le CCET est un programme d’intervention développé en 1996 par Guy Bodenmann à l’Université de Zurich et découlant de la troisième vague des thérapies cognitives comportementales (Allard et Antoine, 2018). Il s’appuie sur des recherches ayant confirmé une association entre le niveau de stress, la satisfaction conjugale et la qualité de la relation dans la population générale (Bodenmann, 2000 cité dans Bodenmann et Shantinath, 2004). Dans sa forme originale, le CCET est offert en groupe pour une durée de dix-huit heures et comprend six modules visant l’amélioration des stratégies adaptatives au stress, individuellement ainsi qu’en couple, ainsi que l’amélioration des compétences communicationnelles et de résolution de problèmes. L’efficacité du programme CCET a été démontrée par plusieurs études effectuées dans différents contextes conjugaux (Bodenmann et Shantinath, 2004). En plus d’une réduction des stratégies d’adaptation dysfonctionnelles, les recherches notent une amélioration de la satisfaction conjugale (Bodenmann et al., 2001 ; Bodenmann et al., 2014), de la gestion individuelle du stress (Bodenmann et al., 2001), de la gestion du stress en couple et du soutien conjugal (Bodenmann et al., 2001 ; Bodenmann et al., 2002), ainsi qu’un plus grand recours à des stratégies actives de résolution de problème.

Bien qu’une recension systématique des études existantes au sujet des interventions conjugales efficaces pour les militaires n’ait relevé aucune étude concernant la CCET appliquée à une population spécifiquement militaire, il était possible de croire que ce modèle d’intervention pouvait être efficace pour cette population, considérant les multiples facteurs de stress auxquels ces couples sont confrontés (Blow et al., 2015). Or, les contenus des différents modules du CCET permettent une meilleure compréhension des facteurs de stress qui affectent le couple et leurs effets sur la qualité de la relation. Par ailleurs, l’amélioration des stratégies adaptatives pour faire face aux stress en dyade pouvait permettre d’agir comme facteur de protection pour la poursuite du parcours militaire. D’ailleurs, le Clearinghouse for Military Familiy Readiness (2020)[1], un centre de recherche appliquée affilié à l’Université de Pennsylvanie et destiné aux professionnels oeuvrant auprès des militaires américains, propose le CCET comme modèle prometteur afin de répondre aux besoins des militaires américains.

Le projet d’intervention retenu 

L’intervention proposée dans le cadre de ce projet comprenait 10 rencontres réparties en trois modules distincts : le développement de compétences en communication et en gestion des conflits (Module 1, rencontres 1 à 4), l’entraînement à la gestion dyadique du stress (Module 2, rencontres 5 et 6) et, finalement, l’intervention sur les difficultés liées à la vie militaire (Module 3, rencontres 7 et 8). Deux rencontres supplémentaires pouvaient être intégrées à un moment ou un autre du suivi pour traiter des aspects non discutés en cours de suivi ou pour consolider des compétences nouvelles. Les compétences fondamentales étaient développées en début de suivi, mais interpellées tout au long du programme, afin de mettre en place des bases solides pour la poursuite de l’intervention.

Les participants ciblés 

Le projet d’intervention mis en place s’adressait à des couples francophones de la base militaire de Bagotville (Québec), dont au moins l’un des deux membres était militaire. Le programme était offert à tous les membres, peu importe leur grade ou leur métier. Une fiche informative sur le programme offert a également été diffusée sur l’Intranet de la base militaire de Bagotville afin de présenter le processus d’accès pour les militaires désirant y participer. La demande d’accès aux services pouvait être formulée lors d’une visite médicale, lors d’une rencontre de suivi avec un professionnel de la santé mentale ou en s’inscrivant directement par téléphone.

Concernant les critères d’inclusion, les deux conjoints devaient être volontaires et rapporter des difficultés ou des malaises en lien avec la vie militaire. Au départ, les couples retenus devaient se donner pour but d’améliorer la relation, par opposition à une aide à la prise de décision concernant la poursuite ou non de la relation (résolution de l’ambivalence). Toutefois, en cours de route, les situations conjugales impliquant une ambivalence amoureuse ont été incluses, puisque ces demandes étaient majoritaires. Aucune restriction quant au nombre de déploiements vécus ou de mutations n’était appliquée.

Des critères d’exclusion au programme ont été utilisés, puisque certaines situations conjugales nécessitaient une approche d’intervention différente. Ces situations concernaient la découverte d’une infidélité ou la présence d’une relation extraconjugale active, la présence d’une dépendance sévère aux substances chez l’un des conjoints en l’absence d’un suivi individuel en toxicomanie, la présence de violence conjugale, ainsi que l’absence prévue du conjoint militaire pour une durée de plus de huit semaines pendant le projet.

Le projet d’intervention s’est échelonné sur une période de six mois auprès de cinq couples francophones de la base militaire de Bagotville qui étaient volontaires. Trois couples désiraient améliorer leur relation, tandis que deux étaient ambivalents quant à la poursuite de celle-ci. Les cinq couples participants étaient des couples hétérosexuels, composés d’un homme militaire et d’une conjointe civile. Trois couples sur cinq avaient des enfants. Trois des couples étaient en relation amoureuse depuis plus de 15 ans et, dans ces trois couples, l’homme était militaire depuis en moyenne 20 ans. Le parcours amoureux de ces trois couples était teinté de nombreuses absences pour tâches militaires. Les deux autres couples étaient, quant à eux, en relation depuis plus de 7 ans et l’homme était militaire depuis 6 ans. Les cinq couples avaient vécu au moins une mutation dans une autre province canadienne et trois avaient vécu au moins un déploiement. Quant aux militaires non déployés, ceux-ci avaient néanmoins expérimenté de multiples absences de quelques semaines pour entraînement militaire. Aucun militaire participant n’avait effectué de déploiement en zone de combat. Parmi les couples rencontrés, trois étaient originaires d’une autre région administrative du Québec et se considéraient comme isolés socialement. Dans l’une des situations conjugales, le militaire se rétablissait d’un épisode dépressif. Dans une autre, le militaire présentait une condition de santé physique qui engendrait la présence de symptômes anxiodépressifs.

L’expérimentation du projet a malheureusement été interrompue en raison de la pandémie de COVID-19, ce qui a limité le nombre de participants ainsi que la possibilité de terminer le projet avec l’ensemble des couples. Au final, un seul couple a réalisé l’ensemble de l’intervention prévue. Les autres couples ont effectué les Modules 1 et 2 (n = 2) ou encore le Module 1 et une portion des Modules 2 et 3 (n = 2). Parmi les participants, un couple a choisi de mettre fin à sa relation au cours du programme, tandis qu’un autre a cessé d’y participer à la suite d’une absence imprévue pour une tâche militaire qui s’est présentée pendant l’intervention.

Les constats découlant du projet d’intervention

Il importe de souligner qu’il a été impossible d’évaluer les retombées du projet d’intervention en raison du début des mesures de prévention liées à la pandémie de COVID-19 qui ont nécessité l’arrêt complet des services pendant plusieurs semaines. Néanmoins, des changements comportementaux ont pu être documentés, notamment lors de retours sur les tâches et exercices prescrits entre les rencontres au cours desquels les participants exprimaient les réussites et les difficultés rencontrées. Par ailleurs, la mise en application directe de stratégies communicationnelles et de gestion des conflits lors des rencontres a permis à l’intervenante d’observer directement des changements dans les habiletés des partenaires, les attitudes et les perceptions qu’ils exprimaient. Ainsi, les participants ont commenté régulièrement les changements vécus au cours du suivi et l’intervenante responsable du projet a pu constater certains changements de comportement au cours des rencontres d’intervention.

Dans l’ensemble, les cinq couples ont observé des changements dans leur mode de communication, notamment une réduction du recours aux attaques, aux comportements méprisants et aux reproches lors des discussions sur des sujets sensibles. Une réduction des comportements défensifs a été observée chez les cinq couples, ainsi qu’une amélioration de l’affirmation de soi envers le partenaire lors de désaccords ou de conflits. Un meilleur partage du temps de parole était également rapporté par deux couples, et quatre ont constaté une meilleure gestion des émotions et une expression plus adéquate de celles-ci lors de conflits. Parmi les couples ayant participé au projet, trois ont rapporté une diminution des tensions conjugales, alors qu’un couple a plutôt observé une augmentation de l’intensité des conflits. Toutefois, les conjoints expliquaient cette dernière situation par une plus grande affirmation de soi de l’un des partenaires, lequel avait auparavant tendance à éviter les conflits. Concernant les habiletés de résolution de problème, quatre couples ont mis en pratique des stratégies pour résoudre les conflits et réduire les stresseurs affectant la relation conjugale. Pour trois couples, les stratégies de résolution de problèmes et l’allègement des stresseurs ont permis d’augmenter le temps disponible en couple, élément qui était particulièrement déficitaire pour l’ensemble des couples rencontrés. Finalement, trois couples ont souligné que le suivi conjugal leur a permis d’améliorer la connaissance de soi et de leur vie émotionnelle, de même que la connaissance de leur partenaire. Pour le couple ayant terminé l’ensemble du programme, un changement important a été observé sur le plan de l’intimité conjugale et des comportements de soutien en fin de suivi. En effet, les conjoints étaient davantage en mesure d’accueillir les perceptions et les émotions du partenaire sans les juger, en plus d’offrir une réponse de soutien plus adaptée. Chacun des conjoints était en mesure de mieux nommer ses besoins et l’aide attendue de la part du partenaire. Les conjoints avaient un discours davantage collaboratif que compétitif en fin de suivi.

Parmi les cinq couples ayant participé au projet, des interventions furent nécessaires pour améliorer les habiletés communicationnelles et de gestion des conflits, même si certains couples présentaient de bonnes compétences de base. D’autre part, pour l’ensemble des couples rencontrés, une tendance à l’évitement des conflits a été observée, ce qui entraînait une accumulation des tensions conjugales, des déceptions et des rancoeurs, en plus d’augmenter les erreurs d’interprétation des comportements du partenaire. Pour les cinq couples participants, des interventions ont dû être réalisées concernant la vie émotionnelle, soit en l’encadrant, soit en l’amplifiant. De plus, de nombreux facteurs de stress externes à la relation conjugale étaient présents chez les cinq couples rencontrés et des déficits quant aux comportements de soutien mutuel étaient observables. Avant l’intervention, quatre couples participants se situaient davantage dans la lutte de pouvoir, l’invalidation, le mépris et le jugement que dans le soutien affectif et instrumental visant à résoudre les difficultés avec l’être aimé. Trois couples ont apporté des changements afin de réduire ou d’éliminer certains stress, tandis qu’un autre a préféré attendre que ces stress disparaissent d’eux-mêmes. La mise en application du projet auprès de deux couples ambivalents a permis d’observer que ces derniers avaient davantage besoin d’aborder les enjeux liés à la vie militaire (Module 3) en début d’intervention, afin de pouvoir les considérer dans leur prise de décision concernant l’avenir du couple. Pour les trois autres couples, ces éléments étaient plutôt pertinents en fin de suivi. Les besoins concernant les thèmes liés à la vie militaire semblent donc différer en fonction du niveau d’engagement dans la relation conjugale. Par ailleurs, les trois couples ayant des enfants à charge ont rapporté des mésententes quant à l’exercice de leurs rôles parentaux, ce qui contribuait grandement à leur insatisfaction conjugale. Pour chacun de ces couples, des interventions en lien avec les habiletés parentales ou la gestion des conflits parentaux ont dû être réalisées en parallèle du projet, afin de répondre à leurs besoins spécifiques. Les défis liés à la parentalité étaient bien souvent identifiés comme un facteur de stress agissant négativement sur la relation conjugale.

Discussion et recommandations

L’application du CCET a permis d’aborder avec un angle d’analyse différent les difficultés interactionnelles des conjoints, en dépassant les caractéristiques individuelles (personnalité, attachement), pour plutôt porter un regard sur les difficultés influencées par l’environnement. En effet, les autres sphères de vie avec lesquelles le système-couple interagit peuvent susciter un important stress, qui affecte inévitablement la qualité de la relation amoureuse (Bélanger et al., 2017). Par exemple, les événements de vie stressants, les transitions, la conciliation travail-famille, les pressions professionnelles ou encore les problèmes financiers peuvent influencer les comportements des conjoints dans leur tentative de résoudre le stress, susciter de la fatigue, du désenchantement, créer des tensions dans le couple et empiéter sur la relation (Bélanger et al., 2017). En ce sens, l’intégration du CCET au cours des consultations conjugales oblige à poser un regard sur ces sphères externes et leurs impacts relationnels, en mettant plutôt l’accent sur les dynamiques d’entraide entre les conjoints exposés à un grand nombre de stresseurs. L’intégration d’un volet éducatif sur les stresseurs, leurs causes, les signaux de stress émis par les conjoints et leurs impacts conjugaux a permis aux couples de modifier certaines attributions négatives au sujet des comportements du conjoint, de mieux décoder les indices d’expression du stress du partenaire et, ainsi, d’adopter des comportements positifs de soutien plutôt que de recourir aux critiques et aux reproches. Ces changements laissent croire à une amélioration de l’ajustement entre les conjoints. En effet, les couples peu ajustés présentent davantage de comportements de critique, de dénigrement et d’évitement et moins de comportements positifs, tels que l’expression émotionnelle, la résolution de problème et le soutien (Bélanger et al., 1993 ; Bélanger et al., 2017). D’ailleurs, l’intervention a mené les conjoints à réévaluer certaines décisions conjugales et à appliquer des stratégies de résolution de problèmes en vue d’éliminer des stresseurs, améliorant ainsi les stratégies adaptatives et libérant davantage de temps de qualité pour la vie de couple. Le fait de s’intéresser aux stresseurs et à leurs effets sur le couple, conformément au CCET, nous semble donc particulièrement indiqué dans l’intervention auprès des couples militaires.

Puisque l’intervention auprès des couples militaires est très sujette à une fin prématurée en raison des absences fréquentes, différentes mesures ont été appliquées afin d’augmenter l’efficacité de l’intervention sur une période de temps plus limitée. La mise en application du programme a révélé l’intérêt de réaliser l’évaluation de façon intensive sur une période de trois heures, dont 90 minutes consacrées à l’entrevue en dyade et 45 minutes d’entrevue individuelle avec chacun des partenaires. Cette méthode a permis aux conjoints de remplir les questionnaires complémentaires pendant l’entrevue réalisée avec leur partenaire. À la fin de cette rencontre d’évaluation, l’intervenante avait en main l’ensemble des informations nécessaires pour commencer le programme, tout en l’adaptant aux besoins de chacun des couples. Bien que cette méthode soit exigeante en termes de disponibilité psychologique, les participants ont mentionné que les pauses entre chaque étape en ont atténué les effets négatifs et qu’ils avaient apprécié de pouvoir rapidement conclure l’étape de l’évaluation.

L’évaluation incluait l’exploration de l’histoire militaire (mutation, déploiement, changement de métier) et de ses effets sur le couple, en raison de leur influence sur l’évolution de la dynamique conjugale à travers le temps. Le temps accordé à ces aspects semble avoir été un élément important dans le développement de l’alliance thérapeutique et dans l’instauration d’un meilleur climat d’intervention, conformément aux propos d’autres auteurs (Morgan, 2012 ; Tam-Seto et al., 2019). Par ailleurs, le nombre de rencontres prévues dans le cadre du présent projet (n = 10) ainsi que la durée de celles-ci (90 minutes) s’avèrent des éléments intéressants, puisque cette formule brève permet un travail plus en profondeur, tout en mobilisant les partenaires rapidement dans le traitement et en les maintenant engagés. Les couples ont également eu la possibilité d’effectuer un suivi en formule intensive, à raison de deux fois par semaine, comme le suggèrent Schumm et O’Farrell (2012), mais aucun couple ne pouvait soutenir ce rythme de rencontres en raison d’engagements multiples. Conséquemment, l’augmentation du temps de rencontre (90 minutes plutôt que 60 minutes) semble plus appréciée que l’intensification de la fréquence des rencontres. Par ailleurs, le recours au matériel psychoéducatif à lire entre les séances et préparatoire à certaines phases d’intervention s’est avéré un moyen particulièrement efficace pour réduire la durée du suivi, accroître la motivation à l’égard de l’intervention et, par le fait même, augmenter ses bénéfices. En effet, les participants semblaient mieux comprendre les objectifs des interventions, les stratégies et les tâches proposées. La compréhension des interventions semble avoir favorisé la motivation et l’adhésion au suivi des couples. Lors des rencontres, du temps était accordé afin de favoriser l’intégration de ce matériel à la réalité conjugale de chacun des couples dans le but d’en augmenter les bénéfices.

Étant donné que les couples militaires forment une population hétérogène aux besoins multiples, il demeure difficile d’identifier les thèmes à retenir dans le cadre d’un projet visant à répondre aux besoins d’une variété de couples. Bien que le Module 3 n’ait pas été appliqué à l’ensemble des couples, des discussions entourant la vie militaire et ses effets ont eu lieu avec chaque dyade à un moment ou un autre de l’intervention. Ces discussions impliquaient parfois de sensibiliser un conjoint aux enjeux de la vie militaire ou encore de normaliser ou aider à verbaliser des difficultés et des émotions vécues en lien avec la vie militaire. Les stades d’adaptation émotionnelle au déploiement ont alors été discutés, de même que les stratégies de gestion de l’incertitude de la vie militaire et celles liées à l’adaptation aux retours, et ce, tout en offrant un soutien dans la gestion de la relation parent-enfant lors d’absences. Conséquemment, il semble que le Module 3 sur la vie militaire ait été pertinent pour les couples participants, mais celui-ci doit être flexible et permettre un espace pour parler des thèmes que souhaite aborder chacun des couples qui consultent. Cela implique donc que l’intervenante possède une bonne compréhension du mode de vie militaire et de ses enjeux, à l’instar des recommandations de Modrell (2014). En outre, il apparaît important que les compétences développées lors des Modules 1 et 2 puissent être directement appliquées aux enjeux militaires, afin de favoriser un transfert de compétences et une consolidation des nouveaux comportements.

Au départ, le programme avait été réfléchi sous la forme d’un projet d’intervention en étapes, suivant une succession de modules spécifiques. Bien que ce procédé donne une direction à l’intervention, la flexibilité et l’ajustement à chacun des couples sont nécessaires. Ainsi, la mise en oeuvre a permis d’observer que certains couples présentent un plus grand besoin de soutien dans la régulation ou l’amplification des émotions et que, plus les couples sont exposés à un grand nombre de stresseurs, plus le nombre de rencontres nécessaires augmente. Par ailleurs, pour les couples ayant des enfants, il semble pertinent d’intégrer certains thèmes spécifiquement liés à la parentalité, notamment l’éducation parentale concernant les besoins et le développement des enfants. Bien qu’elle n’ait pas été intégrée dans la version initiale du programme, l’intervention sur le système parental semble importante, considérant son influence directe sur le système-couple et sa satisfaction (De Roten et al., 2017).

Dans un tel contexte, il devient peu réaliste de penser appliquer uniformément un projet d’intervention en 10 rencontres pour les couples militaires, des couples qui cumulent plusieurs facteurs de stress, auxquels s’ajoutent parfois des déficits dans la régulation des émotions. Allard et Antoine (2018, p. 31) observent d’ailleurs au sujet de la thérapie de couple que :

[…] le choix ainsi que l’ordre des interventions employées varient d’un couple à l’autre. Le traitement repose sur des principes plutôt que sur un protocole, donc certaines techniques peuvent avoir des applications différentes au cours d’une thérapie.

Dans le même sens, nous estimons que, bien que le recours à un protocole favorise l’organisation du travail clinique, il s’avère particulièrement difficile de suivre un protocole en étapes considérant que les besoins des couples nécessitent, à chaque rencontre, une flexibilité en raison des éléments imprévus qui se présentent immanquablement lors du suivi.

Finalement, même si le projet d’intervention expérimenté semble engendrer des bénéfices chez les couples ambivalents, il semble prioritaire de se concentrer d’abord sur l’ambivalence de ceux-ci quant à l’avenir de leur relation avant d’entreprendre une démarche d’amélioration et de réduction des tensions. Nos constats confirment d’ailleurs les recommandations de Wright et collaborateurs (2008), qui soulignent l’importance de repérer l’ambivalence et d’y consacrer des interventions spécifiques avant d’orienter le couple vers un objectif d’amélioration de la relation. En effet, des interventions ont dû être effectuées parallèlement au projet prévu afin d’explorer les motifs de remise en question, d’améliorer la compréhension des causes des difficultés et de faire le point sur la motivation à entreprendre des changements. Par ailleurs, il semble plus pertinent de discuter les enjeux liés à la vie militaire abordés dans le Module 3 (rencontres 7 et 8) en début de suivi pour ce type d’objectif de consultation, puisque la prise de décision intègre également les coûts et les bénéfices de la vie militaire. Ainsi, à la lumière de notre expérience, l’intégration de ce type de but à l’intérieur du projet semble peu réaliste et peu efficace. Il apparaît plus judicieux pour ces couples de débuter par quelques rencontres centrées exclusivement sur la résolution de l’ambivalence (plutôt que sur le développement de compétences) ; puis, lorsque les conjoints choisissent de poursuivre la relation et de s’engager à l’améliorer, le projet d’intervention peut être amorcé.

Conclusion

Plusieurs limites importantes doivent être considérées concernant la mise en oeuvre de ce projet d’intervention. D’abord, seulement cinq couples ont participé au programme. Par ailleurs, en raison de la pandémie de COVID-19 et de la mise en place de mesures visant à restreindre les contacts sociaux à partir de mars 2020, seulement un couple a pu recevoir l’ensemble du plan d’intervention prévu initialement, et aucune mesure d’évaluation objective, telle qu’un questionnaire post-intervention, n’a pu être administrée. De ce fait, les constats exposés dans ce récit de pratique sont difficilement généralisables à l’ensemble des couples militaires francophones du Canada. En outre, l’intervenante responsable n’avait pas reçu la formation préalable à l’application du CCET avant l’expérimentation du projet, alors que celle-ci nécessite habituellement cinq jours de formation, suivis par des supervisions et un examen pour l’obtention d’une licence. Cependant, le fondateur du programme (Bodenmann) a fourni à l’intervenante responsable le contenu théorique de cette formation, qu’elle a complété par de nombreuses lectures au sujet de l’impact du stress sur la relation amoureuse ainsi que son expérience professionnelle (neuf ans de pratique), ce qui a permis de réduire les impacts négatifs liés à l’absence de formation spécifique au CCET. Ajoutons enfin que le programme n’a pas été appliqué dans son ensemble, car seuls les éléments théoriques sur le stress ainsi que le soutien dyadique ont été couverts.

Malgré ces limites, les stratégies d’intervention proposées dans le cadre de ce projet semblent prometteuses en raison de leurs retombées positives perçues et verbalisées par les couples. Ainsi, il semble pertinent que ce projet d’intervention conjugale adaptée à la réalité militaire soit à nouveau expérimenté à la suite de la réalisation de la formation CCET originale. Le projet gagnerait également à être expérimenté auprès d’une plus grande cohorte de participants, en utilisant des mesures d’évaluation objectives afin de documenter l’efficacité de ce nouveau modèle d’intervention. De plus, il serait particulièrement intéressant de pouvoir suivre l’évolution des couples à la suite d’un déploiement afin d’observer si ceux-ci ont été en mesure d’appliquer les différentes stratégies de soutien dyadique acquises dans le cadre du projet. Finalement, rappelons que le projet d’intervention présenté dans le cadre de cet article visait à intégrer le CCET au cours d’un suivi conjugal régulier. Dans cette perspective, plusieurs autres avenues pourraient être envisagées pour intégrer ce programme psychoéducatif au cours de l’intervention conjugale.