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Mise en contexte

Étant donné l’ampleur de la maltraitance des jeunes au Québec et l’importance des séquelles qui en découlent chez plusieurs d’entre eux, la pertinence du placement des enfants dont la sécurité ou le développement est jugé compromis a fait l’objet de nombreuses études (Bisaillon, Bureau et Moss, 2015 ; Châteauneuf et Lessard, 2015 ; Dubois-Comtois etal., 2012). En 2006, les modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) s’inscrivaient d’ailleurs dans le prolongement de travaux scientifiques qui soulignaient l’importance de la préservation des liens entre les enfants et les personnes qui leur sont significatives, ainsi que de la continuité et de la cohérence du projet de vie de l’enfant (Kufeldt, Simard et Vachon, 2003 ; Linares, Montalto et Oza, 2006). Dans le but d’assurer une plus grande stabilité aux enfants dans leur milieu de vie, des durées maximales de placement ont donc été introduites dans la LPJ. La durée totale de l’hébergement en famille d’accueil ne peut désormais dépasser 12 mois si l’enfant a moins de deux ans, 18 mois s’il est âgé entre deux et cinq ans, et 24 mois s’il a six ans ou plus. Un projet de vie doit être adopté à l’échéance de ce délai afin de favoriser la continuité des soins et la stabilité du milieu de vie de l’enfant (Dubois-Comtois et al., 2012). Le projet de vie permet à l’enfant de vivre dans un milieu stable auprès d’une personne significative qui répond à ses besoins et avec laquelle il développe un attachement permanent (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2016). Lorsqu’une réunification familiale est impossible, un projet de vie alternatif doit donc être envisagé afin que l’enfant évolue dans un milieu qui favorise sa stabilité.

Ainsi, bien que le maintien de l’enfant dans son milieu familial soit souhaité dans l’application de la LPJ, plusieurs jeunes victimes de maltraitance sont, chaque année, placés dans des milieux substituts afin d’assurer leur sécurité et leur développement. Plus précisément, au Québec, pour l’année 2018-2019, 28,9 % des enfants pris en charge par la protection de la jeunesse furent placés dans une ressource de type familial (familles d’accueil et familles d’accueil de proximité) et 9,2 % ont vécu un placement dans un centre de réadaptation, ce qui comprend les foyers de groupe, ou une ressource intermédiaire (Gouvernement du Québec, 2020).

Au Québec, différents types de familles d’accueil existent, dont celles qui s’inscrivent dans le programme Banque mixte. Mis sur pied en 1988 par le Centre jeunesse de Montréal, le programme Banque mixte a progressivement été implanté dans tous les autres centres jeunesse de la province (Centre jeunesse de Québec – Institut Universitaire, s. d). Bien qu’il soit unique au Québec, ce programme ressemble à certaines pratiques mises en place aux États-Unis et en Angleterre, telles que la planification concurrente des projets de vie (Kenrick, 2010 ; Monk, Reynolds et Wigfall, 2004 ; Schene, 2001), qui ont été développées afin d’offrir un environnement stable et permanent à des enfants ayant peu de probabilités de retourner dans leur famille d’origine à la suite d’un placement. Il vise la rencontre de deux projets : un projet de vie permanent et stable pour l’enfant et un projet parental de fonder une famille par le biais de l’adoption (Goubau et Ouellette, 2005 ; Ouellette et Goubau, 2009). Dans un tel contexte, le programme Banque mixte semble particulièrement intéressant pour éviter de multiples déplacements chez les enfants placés. Selon Châteauneuf et Lessard (2015), l’expression « Banque mixte » renvoie au fait que les services de protection de l’enfance « maintiennent une “banque” de noms d’adoptants potentiels qui acceptent d’être évalués à la fois comme famille d’accueil et comme candidats à l’adoption » (p. 22). Aujourd’hui, les adoptions d’enfants nés au Québec et pris en charge initialement par les services de protection de l’enfance sont coordonnées et supervisées par l’entremise du programme Banque mixte. Environ 90 % des enfants placés dans le programme Banque mixte deviennent finalement admissibles à l’adoption (Châteauneuf et Lessard, 2015). Malgré la pertinence du programme Banque mixte, ses retombées demeurent peu étudiées, et ce, surtout du point de vue des parents d’accueil eux-mêmes.

Or, les parents de familles d’accueil qui adoptent un enfant dans le cadre du programme Banque mixte font face à différents défis. Certains défis sont communs à ceux rencontrés par les familles d’accueil régulières, en raison notamment des changements importants de statut qui ont eu lieu au cours des dernières années. Depuis 2012, la professionnalisation du rôle de parents d’accueil permet à ceux-ci d’être rémunérés de façon plus substantielle et de bénéficier de diverses conditions au même titre que des travailleurs (Boyer et Noël, 2018a). Malgré ces changements, Lapierre (2014) mentionne que le nouveau statut des parents d’accueil est à « mi-chemin entre le travailleur salarié et le travailleur autonome » (p. 85), ce qui peut semer de la confusion dans leurs rôles et leurs responsabilités. À cet égard, des études rapportent que les parents d’accueil ne se sentent pas suffisamment soutenus et reconnus dans leur rôle et souhaiteraient être davantage consultés par les intervenants lors des décisions (Boyer et Noël, 2018b ; Geiger, Piel et Julien-Chinn, 2017 ; Joly, 2013 ; Piel et al., 2016). Dans le même sens, certaines recherches indiquent que les parents d’accueil jugent important de recevoir plus d’informations concernant les enfants qu’ils accueillent afin de mieux les aider (Boyer et Noël, 2018b ; Piel et al., 2016 ; Turcotte, Dionne et Cloutier, 2008, Samrai, Beinart et Harper, 2011). Ils soulignent le manque de disponibilité des intervenants et l’important roulement de personnel qui constituent, à leurs yeux, des défis importants dans l’exercice de leur rôle (Boyer et Noël, 2018b ; Geiger et al., 2017 ; Hayes, Geiger et Lietz, 2015). Ils expriment également leur besoin de bénéficier de plus de formation et de répit (MacGregor et al., 2006 ; Murray, Tarren-Sweeney et France, 2011).

D’autres défis sont propres aux parents qui adoptent un enfant dans le cadre d’un placement, comme c’est le cas avec le programme Banque mixte, et complexifient davantage leur statut. Plusieurs parents doivent, tout d’abord, passer par tout le processus pour devenir familles d’accueil, avant d’avoir la possibilité d’adopter l’enfant hébergé dans leur foyer. Le placement de l’enfant en famille d’accueil peut durer plusieurs années avant qu’une décision d’adoption soit officialisée. Le placement peut provoquer de l’ambiguïté, de l’incertitude et de l’inconfort et, bien que prévenus, les parents doivent mettre temporairement en veilleuse leur désir d’adopter un enfant (Châteauneuf, 2015 ; Ouellette, 2005 ; Pagé, Poirier et Châteauneuf, 2019). Le fait de ne pas savoir si l’enfant pourra être adopté ou non provoque un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance chez plusieurs parents d’accueil, puisqu’ils doivent composer avec la possibilité que l’enfant retourne dans sa famille biologique (Châteauneuf, 2015 ; Pagé et Poirier, 2015 ; Pagé et al., 2019). À cet égard, Schmidt-Tieszen (2004) souligne que l’incertitude vécue par les parents d’accueil de la planification concurrente (concurrent planning) est présente en raison de la double vocation du programme qui comporte deux issues possibles au placement, soit la réunification familiale ou l’adoption. C’est seulement une fois l’adoption complétée que les parents d’accueil peuvent jouer entièrement leur rôle parental auprès de l’enfant, tant sur le plan légal que socioaffectif (Ouellette, 2005). Selon Monck, Reynolds et Wigfall (2005), cette confusion de rôle et de statut, observée dans un contexte d’accueil en vue d’adoption, est susceptible d’occasionner des tensions importantes entre les parents d’accueil et les parents d’origine. L’étude de Pagé et Poirier (2015) mentionne que plusieurs familles Banque mixte souhaiteraient bénéficier d’un statut distinct de celui des familles d’accueil régulières et jouir de plus de droits par rapport à l’enfant, notamment sur les plans médical et scolaire. Dans le même sens, une recherche menée à New York auprès de parents inscrits au programme foster-to-adopt souligne que ceux-ci déplorent le manque de communication de la part des travailleurs sociaux lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui concernent l’enfant (Gerstenzang et Freundlich, 2005). Cette vision d’un rôle différent du parent d’accueil en tant que candidat à l’adoption est également relevée dans d’autres études menées auprès de familles ayant adopté un enfant en contexte de protection de la jeunesse en Angleterre et en Irlande (Smith et Logan, 2002 ; Kelly et al., 2007).

Afin de donner une voix aux parents ayant adopté un enfant dans le cadre du programme Banque mixte, le présent article[1] se propose de décrire leur point de vue sur les services reçus pendant le placement de l’enfant jusqu’à la période postadoption, ainsi que leurs recommandations, afin de déterminer les façons de mieux les accompagner. Bien que certaines recherches documentent le point de vue des familles d’accueil sur les services qui leur sont offerts, leur expérience est susceptible de varier considérablement d’un pays à l’autre. En raison du mandat particulier du programme Banque mixte au Québec, il est également possible de penser que le point de vue des parents qui en font l’expérience sera éventuellement différent de ce qui peut être observé ailleurs ou au sein de familles d’accueil régulières.

Méthodologie

Type d’étude

Cette étude qualitative de type exploratoire-descriptive visait à décrire le vécu de parents d’accueil ayant adopté un enfant par le biais du programme Banque mixte dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Selon Dorais (1993), la valeur d’une recherche exploratoire-descriptive peut être « déterminante lorsqu’il s’agit d’étudier un phénomène récent, peu connu ou changeant, comme le sont tant de phénomènes sociaux » (p. 21). Étant donné que peu de recherches scientifiques portent sur le vécu des parents d’accueil ayant adopté un enfant par le biais du programme Banque mixte, ce type de recherche nous a semblé particulièrement pertinent pour l’étude de cette réalité encore méconnue.

Collecte et analyse des données

Les données recueillies dans cette étude ont été obtenues à partir d’entrevues semi-dirigées réalisées entre les mois de janvier et d’avril 2020. Les entrevues ont eu lieu au cours des cinq années qui ont suivi le jugement d’adoption et ont duré en moyenne 120 minutes. Un guide d’entrevue semi-dirigée a été utilisé et a permis d’aborder différents thèmes, tels que les motivations des parents d’accueil à s’inscrire au programme Banque mixte, les facteurs ayant facilité ou entravé l’exercice de leur rôle auprès de leur enfant, ainsi que leur point de vue et leurs recommandations en lien avec les services reçus dans le cadre du programme. Ce troisième thème est plus spécifiquement abordé dans cet article.

Une fois les données recueillies, une analyse de contenu a été réalisée à l’aide du logiciel NVivo 12. Ce logiciel a facilité la catégorisation et la classification des données, afin de faire ressortir les éléments de contenu liés aux thèmes et sous-thèmes retenus. L’analyse thématique a été utilisée afin de « procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans ce corpus […] » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 231). Les quatre étapes proposées par Mayer et Deslauriers (2000) ont été suivies, soit la préparation des données, la préanalyse des données, le codage des données, ainsi que l’analyse et l’interprétation des résultats.

Recrutement et profil des répondants

L’échantillon à l’étude est formé de huit parents ayant adopté un enfant dans le cadre du programme Banque mixte dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les participants ont été recrutés sur une base volontaire, par l’intermédiaire de l’Association des familles d’accueil (l’ADREQ) ainsi que de groupes Facebook destinés aux familles d’accueil.

Au total, huit parents d’accueil ont participé à la collecte des données. Ils étaient âgés de 28 à 54 ans et demeuraient au Saguenay (n = 3) ou au Lac-Saint-Jean (n = 5). Au moment de l’entrevue, plus de la moitié des participants (n = 5) étaient conjoints de fait, deux étaient mariés (n = 2) et l’un célibataire (n = 1). En ce qui concerne leurs caractéristiques socioprofessionnelles, sept répondants avaient terminé des études postsecondaires, qu’elles soient universitaires (n = 6) ou collégiales (n = 1). Une répondante avait, quant à elle, obtenu un diplôme d’études secondaires. Alors que quatre répondants avaient un revenu familial moyen de 150 000 $ et plus, les autres ont déclaré un revenu familial moyen se situant entre 80 000 $ et 99 000 $ (n = 2) ou entre 50 000 $ et 59 000 $ (n = 1). Presque tous les participants occupaient un emploi, que ce soit à temps plein (n = 6) ou à temps partiel (n = 1). Ainsi, seulement un participant n’occupait pas d’emploi rémunéré, en dehors de son rôle de famille d’accueil.

Tous les participants de cette recherche ont adopté un seul enfant par le biais du programme Banque mixte, que ce soit une fille (n = 5) ou un garçon (n = 3). L’âge de ces enfants au moment du placement variait de cinq jours à deux ans. La durée du placement ayant mené à l’adoption différait d’une famille à l’autre, variant d’une à trois années. Le jugement d’adoption de l’enfant dans le cadre du programme Banque mixte avait eu lieu entre 2016 et 2020 pour tous les répondants. Alors que quatre répondants n’avaient pas d’enfant biologique au moment de l’entrevue, les autres étaient déjà parents (n = 4) d’un à quatre enfants biologiques. Une répondante avait, quant à elle, adopté un enfant à l’international avant d’adopter un enfant par le biais du programme Banque mixte. Depuis l’adoption de leur enfant, certains parents demeuraient inscrits au programme (n = 3) ou à un autre programme destiné aux familles d’accueil (n = 2).

Résultats

La satisfaction des répondants vis-à-vis les services reçus

Les parents interrogés ont exprimé leur point de vue sur les services psychosociaux reçus afin de les aider dans l’exercice de leur rôle. Ce soutien, qui provenait essentiellement des intervenants de la protection de la jeunesse et de psychologues, a influencé positivement ou négativement leur expérience avec le programme Banque mixte.

De façon générale, plus de la moitié des participants (n = 5) ont le sentiment d’avoir reçu un soutien adéquat de la part des intervenants de la protection de la jeunesse pendant la période du placement. Ainsi, la présence d’un éducateur au dossier et l’aide à domicile ont permis aux parents de mieux s’outiller par rapport à leur rôle auprès de l’enfant placé. Ils ont particulièrement apprécié les stratégies concrètes proposées par les intervenants, notamment l’utilisation de pictogrammes, afin de gérer des comportements difficiles chez l’enfant ou de favoriser son autonomie et son attachement. Plus spécifiquement, trois parents ont mentionné la relation positive qu’ils ont développée avec les intervenants, empreinte de reconnaissance, de soutien et de stabilité. Ils ont également apprécié le fait d’être impliqués dans les décisions concernant leur enfant, tout en étant encouragés et soutenus dans leur rôle.

Je pense que les intervenants du Centre jeunesse ont été bons pour nous ramener, un peu pour dédramatiser. On a eu des bonnes ressources quand même, il y a eu deux personnes qui sont venues, qui ont été déterminantes dans notre parcours et de ce côté-là, on a vraiment eu un bon soutien… Ça nous permettait de ventiler sur nos inquiétudes et notre anxiété par rapport à l’évolution de notre garçon.

Pier-Luc, 41 ans

Malgré tout, six répondants ont mentionné que le soutien des intervenants de la protection de la jeunesse avait parfois été insuffisant pour les aider dans l’exercice de leur rôle avant l’adoption de leur enfant. Plus précisément, confrontés à des enfants présentant des besoins multiples, trois parents s’attendaient à être mieux soutenus par les intervenants. Ils auraient souhaité bénéficier d’un plus grand nombre de visites à domicile de la part des intervenants et d’un accompagnement plus important. Ils déploraient également le manque de stabilité du personnel, qui fait obstacle à la création d’un lien de confiance avec les intervenants.

Ça change tellement que maintenant c’est plus difficile de se vider le coeur avec l’intervenante parce que je ne la connais plus, ça change tout le temps. C’est la cinquième personne que j’ai en 5 ans et demi. Des fois, tu accroches avec une personne, mais je ne comprends pas que ça brasse de même… L’enfant, il les connaît… Ils demandent de la stabilité aux enfants, mais leurs équipes changent tout le temps.

Charlotte, 35 ans

En outre, certains parents (n = 4) insistent sur l’importance de reconnaître le caractère distinct du rôle des parents d’accueil dans le programme Banque mixte. Dans ce sens, ils jugent qu’ils devraient recevoir plus d’informations sur le programme de la part des services de la protection de la jeunesse, notamment par le biais de formations liées au placement ainsi qu’à l’adoption. Ces parents mentionnent ne pas avoir reçu suffisamment d’informations quant à leurs droits, leurs responsabilités et les procédures à suivre. Ils sont d’avis que les formations obligatoires concernant les règlements sont disponibles trop tardivement, ce qui ne permet pas aux parents de se préparer adéquatement. Ils souhaiteraient aussi connaître les antécédents de l’enfant placé afin de pouvoir l’aider en tenant compte de ses particularités.

Je suis allée à des formations obligatoires sur les règlements et j’ai appris, 6 mois plus tard, comment ça aurait dû se passer quand mon fils est arrivé chez nous. J’ai appris que c’était tout croche, que ce n’est pas de même que ça se passait, mais je ne le savais pas. La formation obligatoire, il te donne l’information une fois que tu es passé par là, pas avant.

Violette, 44 ans

Je suis bien d’accord que je ne suis pas obligée de savoir que la mère consomme tous les soirs, ou qu’elle a fait le trottoir, ou qu’elle change de mari tous les jours, mais il faut quand même savoir si l’enfant risque de souffrir du syndrome d’alcoolisme foetal ou de choses comme ça.

Laurie, 54 ans

Dans le même sens, certains participants (n = 2) ont été mal informés quant au congé parental accessible aux parents qui évoluent dans le programme Banque mixte. Étant donné que leur enfant n’était pas placé dans le cadre de ce programme au départ, ceux-ci n’ont pas été informés par les intervenants de la possibilité de bénéficier de ce congé avant l’adoption, ce qui aurait grandement facilité la conciliation de leurs responsabilités professionnelles et familiales.

J’ai eu des problèmes avec le RQAP. Au début, quand il a été placé, ils m’ont dit : « il n’est pas encore Banque mixte, mais il va le devenir ». Quand tu accueilles un enfant en Banque mixte, au début tu peux avoir un congé parental, mais moi au début il n’était pas Banque mixte et il est comme devenu Banque mixte en cheminement, mais ils ne m’ont jamais appelée pour me dire « là ça y est, aujourd’hui il est Banque mixte ». L’employé qui s’occupe de la Banque mixte devrait savoir ça pour pouvoir aider les parents.

Charlotte, 35 ans

Certains répondants (n = 4) soulignent également le manque de ressources formelles mises à leur disposition pour les aider dans leur rôle de parents d’accueil. En raison des besoins de leur enfant, notamment en lien avec d’importantes difficultés d’attachement, des troubles de comportement ou des problèmes de langage, ils souhaiteraient recevoir de l’aide spécialisée, notamment des suivis en psychologie ou en orthophonie, mais ces services sont peu accessibles. Le manque de formations offertes dans la région pour aider les parents d’accueil, telles que les formations sur l’attachement, est soulevé par cinq répondants qui se sont déplacés pour suivre ces formations dans la région de Québec. Ce problème, qui est présent dès le début du placement, s’accentue à la suite du jugement d’adoption, car les parents reçoivent moins de soutien des services de protection de la jeunesse.

Je ne connais pas personnellement de services qui sont offerts pour nous, pour nous aider, que ce soit des groupes d’entraide, des spécialistes en attachement qu’on pourrait voir. On s’est dit qu’on allait aller à Québec pour rencontrer… je crois qu’il y a une clinique sur l’attachement à Québec. Au CLSC, je sais qu’il y a des gens qui sont formés en attachement, il y a des psychologues, mais ça prend du temps pour les rencontrer et ça prend des références, on ne peut pas arriver en tant que parent et dire : « moi mon enfant a un problème d’attachement ». Je trouve qu’on n’a pas beaucoup accès à des services, on se sent souvent très seul, ça fait en sorte que des fois ça devient très lourd et des fois ça met même en jeu le placement.

Annie, 45 ans

Étant donné le manque de ressources spécialisées offertes par les services de protection de l’enfance pendant le placement et la période suivant le jugement d’adoption, certains parents (n = 3) ont ressenti le besoin de recourir à de l’aide psychologique au privé afin d’exercer leur rôle de parent, tout en étant soutenus lors d’événements difficiles. Les transitions vécues avec l’enfant placé dans leur foyer ont, entre autres, été particulièrement éprouvantes pour deux répondants.

Les professionnels, on n’en a pas consulté beaucoup, moi j’ai eu besoin d’aller consulter en psychologie… J’ai fait quelques rencontres parce que j’avais besoin justement de ventiler.

Annie, 45 ans

Malgré le fait qu’elle ait parfois eu le sentiment de manquer de soutien de la part des services de protection de l’enfance, une répondante souligne avoir également vécu l’inverse dans certaines situations, c’est-à-dire devoir travailler avec des intervenants omniprésents dans son quotidien. À ses yeux, il est plus difficile de jouer son rôle parental quand un intervenant est trop présent et s’ingère dans les décisions liées à l’éducation des enfants. Il importe donc que le soutien soit disponible, mais tout en arrivant à établir un certain équilibre, afin que la famille d’accueil puisse véritablement développer une relation positive avec le jeune.

En tant que famille d’accueil, j’ai un rôle parental à effectuer et si j’ai une travailleuse sociale qui défait ma discipline et mon autorité constamment, je ne fais plus mon rôle de parent. Ça détruit la relation entre le parent de famille d’accueil et l’enfant. C’est beau avoir des services, mais il ne faut pas qu’ils défassent ton rôle parental non plus.

Laurie, 54 ans

Les recommandations formulées par les parents afin d’améliorer les services

Interrogés sur les changements à apporter pour mieux accompagner et aider les parents qui accueillent un enfant dans le cadre du programme Banque mixte, les répondants ont formulé un certain nombre de recommandations. Celles-ci concernent l’accessibilité à des ressources et à des services de qualité, le soutien proposé par les intervenants sociaux de la protection de la jeunesse et l’ADREQ, de même que l’information disponible.

Tout d’abord, les répondants sont unanimes (n = 8) à souligner le manque de services et de ressources disponibles pour les familles du programme Banque mixte au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ils insistent sur le fait qu’ils accueillent des enfants qui présentent différents besoins, parfois complexes, ce qui peut engendrer un sentiment d’impuissance dans l’accomplissement de leur rôle. Ces parents souhaiteraient recevoir davantage de services, tant de la part de la protection de la jeunesse que de l’ADREQ, afin d’accomplir adéquatement leur rôle, que ce soit par la mise en place de groupes d’entraide, d’activités organisées spécifiquement pour les familles Banque mixte ou encore par le biais de ressources communautaires.

Il n’y a pas grand-chose. J’ai entendu la légende urbaine qui dit que les familles d’accueil peuvent passer plus vite au CLSC. Pour moi, ça ne m’est pas arrivé. En partant, on a des enfants qui ont des plus grands besoins, mais les services sont difficiles à demander.

Violette, 44 ans

De plus, tous les répondants (n = 8) notent également le manque de ressources destinées spécifiquement aux familles ayant adopté un enfant dans le cadre du programme Banque mixte. Ils soulignent que leurs enfants ont pourtant des défis importants à relever, notamment en lien avec l’attachement. Plusieurs solutions concrètes sont mentionnées à cet égard, telles que la mise en place d’une ligne téléphonique afin de répondre aux questions des enfants et des parents ou des formations préparatoires à l’adoption. Les répondants soulignent également l’importance que le caractère distinct du programme Banque mixte soit reconnu, afin que soient offertes des formations qui touchent leur réalité. En effet, ils jugent qu’ils devraient être mieux informés des particularités du programme Banque mixte, notamment par le biais de formations offertes par les services de la protection de la jeunesse.

Quand on a voulu aller à l’adoption internationale il y a vingt ans, on a eu une rencontre d’une soirée d’information. Je peux te dire que j’ai appris des choses, là… À l’adoption Banque mixte, s’il y avait des petites séances d’information qui nous feraient prendre conscience de l’importance de certaines choses en adoption, ça pourrait nous aider […] Le lendemain qu’on a sorti de chez le juge, on n’a jamais entendu parler des services qui sont offerts, c’est complètement dégagé et il peut y avoir des besoins quand même. Il y a des parents qui n’ont pas toutes les connaissances pour accompagner un enfant… Former les gens ou donner des services, ça pourrait être important.

Jonathan, 48 ans

De plus, deux répondants soulignent la pertinence de créer des groupes d’entraide pour les familles Banque mixte ainsi que des activités leur permettant de se regrouper entre elles pendant le placement et après l’adoption. Ces événements pourraient favoriser les échanges entre les familles et la création de liens avec des personnes ayant un vécu similaire, ce qui contribuerait à réduire leur isolement.

De nous permettre de créer des liens, parce que j’ai rencontré d’autres familles comme des familles d’accueil aux journées de formation obligatoire – j’en ai eu trois je pense. Tu n’as pas les enfants et pendant ce temps-là ton enfant se fait garder et il faut vite que tu retournes chez vous pour aller t’en occuper. Ça c’est quelque chose qui manque, de nous aider à créer un réseau. Quand on va dans une activité, mais que les autres parents sont avec leurs bébés, ils ne comprennent pas le truc du cocon, que c’est juste toi qui t’occupes de ton bébé, mais si tu es avec d’autres parents qui ont cette même réalité, chacun va s’occuper de son bébé, mais on va se parler, ça je trouve que c’est quelque chose qui pourrait être aidant.

Violette, 44 ans

Par ailleurs, six répondants soulignent qu’un suivi plus serré avec les intervenants de la protection de la jeunesse les aiderait beaucoup dans le rôle qu’ils ont à jouer auprès des enfants qui leur sont confiés. En effet, ils auraient souhaité avoir droit à un plus grand nombre de visites à leur domicile ou encore à un accompagnement plus important. De plus, ils estiment qu’une plus grande stabilité du personnel est nécessaire afin de créer un lien de confiance avec les intervenants.

Il avait l’éducatrice au dossier, mais là elle avait quitté le dossier parce que ce n’était plus nécessaire qu’elle soit là, mais je pouvais comme me vider le coeur avec elle, et avec l’intervenante aussi, mais là c’est un autre discours, ça change tellement.

Charlotte, 35 ans

Deux d’entre eux mentionnent que ce soutien est d’autant plus important dans un suivi auprès de nouvelles familles. Bien que les répondants s’entendent pour dire qu’ils ont été en contact avec des intervenants qualifiés, ils soulignent que ces derniers demeurent peu disponibles en raison de la surcharge de dossiers dont ils sont responsables. À leurs yeux, il ne s’agit pas de difficultés liées aux compétences des intervenants, mais plutôt d’un problème organisationnel. Cette difficulté serait amplifiée lorsque l’enfant adopté ne présente pas de problème ou de trouble spécifiques, les familles étant alors laissées à elles-mêmes dans l’exercice de leur rôle parental.

Ils ne sont pas là, parce que je pense que mon garçon allait trop bien alors ç’a comme été un peu mis de côté. La première intervenante elle avait 30 cas à gérer et on n’était clairement pas le plus compliqué. Malheureusement, ça paraît… Au final tu te ramasses pas mal tout seul et tu es pas mal obligé de les prendre les décisions quand ça arrive.

Anne-Sophie, 28 ans

D’autre part, certains répondants (n = 4) adressent des recommandations à l’ADREQ en particulier. En effet, une mère souligne que les services de protection de l’enfance ont pour rôle d’être présents pour l’enfant, mais que c’est le mandat de l’association d’être là pour les parents. Malheureusement, elle est d’avis que l’association n’a pas joué ce rôle dans sa situation. Afin d’améliorer les services offerts aux familles Banque mixte, cette répondante suggère que l’ADREQ s’implique afin de visiter les parents d’accueil, de leur expliquer les procédures et de leur donner les informations dont ils ont besoin pour bien jouer leur rôle auprès de l’enfant placé. Toujours au sujet de l’information offerte, certains parents (n = 4) précisent qu’ils ne reçoivent pas suffisamment d’informations au début de leur parcours quant à leurs droits et leurs responsabilités en tant que famille d’accueil ainsi que sur les procédures à suivre. Ils considèrent que les formations obligatoires concernant les règlements devraient être disponibles plus tôt, afin que les parents puissent se préparer adéquatement à leur rôle.

Premièrement, en sachant qui s’occupe de moi et qui s’occupe de mon garçon, la personne qui devrait s’occuper de moi, c’est mon syndicat. Je pense que ça serait leur devoir de venir s’asseoir avec nous et de m’expliquer, de voir comment ça fonctionne et de voir si les délais sont respectés pour une affaire ou pour une autre avec le Centre jeunesse. Parce que le Centre jeunesse, c’est bien beau de dire : l’intervenante elle devrait venir aux deux mois, mais l’intervenante elle a 30-40 dossiers.

Anne-Sophie, 28 ans

Dans le même sens, une répondante souligne que pour les nouveaux parents d’accueil, la structure et l’organigramme des services de protection de l’enfance ne sont pas des éléments clairement présentés. Selon elle, il peut être difficile pour une nouvelle famille de savoir à qui poser des questions ou à qui s’adresser afin d’être orientée dans l’exercice de son rôle de parent d’accueil.

Être plus clair dans leur structure, parce que quand c’est nouveau tu ne sais pas trop à qui parler. Et là tu as parlé à quelqu’un, mais non ce n’est pas à elle qui faut que tu parles, il faut que tu parles à elle… Et souvent, en plus, il y a des changements parce que les congés et tout, il y a des rotations qui sont en dehors du contrôle, mais si en même temps tu n’as aucune idée de l’organigramme, du comment ça marche, c’est mêlant.

Violette, 44 ans

Discussion

La présente étude montre que les parents de familles d’accueil qui adoptent un enfant dans le cadre du programme Banque mixte font face à différents défis. Si certains de ces défis sont semblables à ceux rencontrés par les familles d’accueil régulières, d’autres semblent plus particulièrement associés au vécu des parents qui adoptent un enfant dans le cadre d’un placement, comme c’est le cas avec le programme Banque mixte.

D’une part, à l’instar de plusieurs recherches menées auprès de familles d’accueil régulières (Brown, 2008 ; Brown et Campbell, 2007 ; Cavazzi, Guilfoyle et Sims, 2010 ; MacGregor et al., 2006 ; Morin, 2015 ; Richardson et al., 2018 ; Turcotte et al., 2008), la présente étude révèle l’importance du soutien formel offert aux parents d’accueil qui adoptent un enfant dans le cadre du programme Banque mixte. En effet, les répondants soulignent que le soutien reçu des intervenants et des éducateurs de même que la relation positive qu’ils ont créée avec eux leur ont permis de développer des outils facilitant leur rôle de parents d’accueil. Les études sur le vécu des familles d’accueil corroborent qu’une relation positive avec les intervenants contribue favorablement à la satisfaction des parents d’accueil quant à leur rôle (Geiger, Hayes et C. Lietz, 2013 ; MacGregor et al., 2006 ; Piel et al., 2016 ; Rhodes, Orme et McSurdy, 2003 ; Turcotte et al., 2008). Plus spécifiquement, Brown et Campbell (2007) soulignent que l’expérience des parents d’accueil semble facilitée lorsqu’ils disposent de l’information nécessaire pour bien jouer leur rôle, que le suivi des services de la protection de la jeunesse est adéquat et qu’ils se sentent inclus et consultés par les intervenants.

À l’inverse, tout comme le démontrent des études antérieures réalisées auprès de familles d’accueil régulières (Brown, 2008 ; Brown et Bednar, 2006 ; Morin, 2015 ; Taylor et McQuillan, 2014 ; Murray et al., 2011, MacGregor et al., 2006), le manque de formations et d’informations pour faire face à des situations vécues par les enfants qu’ils accueillent est identifié par les répondants de l’étude comme une entrave importante à leur rôle. En effet, lorsqu’ils sont confrontés à des problématiques plus lourdes chez les enfants dont ils s’occupent, certains parents mentionnent que le soutien des intervenants de la protection de la jeunesse et de l’ADREQ peut être insuffisant ou instable, ce qui affecte leur rôle. Un décalage est alors perçu entre le soutien disponible et les besoins des familles, un constat également relevé dans l’étude de Boyer et Noël (2018a).

Malgré ces similitudes avec les familles d’accueil régulières, la présente étude souligne les besoins différents ou amplifiés qui peuvent être ressentis par les parents en raison de la vocation particulière du programme Banque mixte. Avant le jugement d’adoption, ces parents sont susceptibles de vivre des sentiments d’incertitude, d’impuissance et d’inconfort (Châteauneuf, 2015 ; Ouellette, 2005 ; Pagé et al., 2019), qui peuvent nécessiter un besoin de soutien psychologique accru. Les parents interrogés auraient souhaité aussi recevoir davantage d’informations en lien avec leur statut particulier, que ce soit en ce qui concerne le processus d’adoption ou les modalités entourant la prise d’un congé parental. En outre, le manque de ressources formelles disponibles en région éloignée après l’adoption est perçu comme un obstacle important pour les parents. En effet, les enfants adoptés dans le cadre du programme Banque mixte rencontrent des défis particuliers, notamment en ce qui a trait à l’attachement, et le manque de ressources disponibles pour mieux comprendre ces défis et y faire face complexifie la tâche des parents. Ainsi, la présente étude converge avec celle de Pagé et Poirier (2015), et d’autres recherches menées auprès de familles ayant adopté un enfant en contexte de protection de la jeunesse (Smith et Logan, 2002 ; Kelly et al., 2007), qui soulignent que plusieurs familles Banque mixte souhaiteraient bénéficier d’un statut distinct et jouir de plus de droits par rapport à l’enfant qu’elles accueillent.

Bien que cette recherche contribue aux connaissances disponibles sur le vécu des parents ayant adopté un enfant en Banque mixte, elle présente un certain nombre de limites qui sont à considérer dans l’interprétation des résultats. Dans un premier temps, la taille de l’échantillon, limitée à huit participants, ne permet pas de généraliser les résultats de cette étude. Par ailleurs, le fait d’avoir recruté des participants sur une base volontaire peut influencer les résultats recueillis sur le vécu des parents ayant adopté un enfant en Banque mixte. En effet, les participants à cette étude ont réussi à concrétiser leur objectif d’adoption et n’ont pas vécu de difficultés majeures dans leur parcours. Les résultats obtenus auraient donc pu être différents si les parents interrogés n’avaient pas été en mesure d’adopter l’enfant placé ou s’ils avaient été confrontés à une problématique importante chez l’enfant. Malgré tout, l’échantillon comprend à la fois des hommes et des femmes, appartenant à des groupes d’âge différents et ayant des expériences variées, ce qui permet de documenter diverses particularités de leur vécu. Dans le cadre de recherches futures, il serait pertinent de documenter le vécu de parents n’ayant pas réussi à mener à bien leur projet d’adoption dans le cadre du programme Banque mixte, de même qu’auprès de familles d’accueil homoparentales ou transparentales.

Conclusion

Les résultats obtenus dans le cadre de cette étude permettent de mieux comprendre les services qui contribuent à faciliter ou à entraver le rôle des parents d’accueil inscrits au programme Banque mixte. Ces connaissances pourront contribuer à mieux soutenir ces parents et à leur offrir des ressources plus adaptées à leur réalité, qui se distingue de celle des familles d’accueil régulières à certains égards. De plus, cette recherche donne une voix aux familles Banque mixte, en leur permettant d’adresser des recommandations aux intervenants sociaux et aux différents acteurs qui gravitent dans le système de la santé et des services sociaux. Il demeure important de poursuivre les recherches pour mieux comprendre la réalité des familles d’accueil inscrites au programme Banque mixte, mais également celle des familles qui ont adopté par le biais de ce programme et pour qui très peu de ressources existent en région éloignée. En connaissant mieux leur vécu, il sera plus facile de mettre en place des ressources appropriées ainsi qu’un suivi pertinent.