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Un ouvrage d’actualité, tant le télétravail est revenu à l’ordre du jour depuis la pandémie. Certains travailleurs autonomes ont toujours travaillé à domicile, d’autres dans des espaces de coworking, et depuis la pandémie, un certain nombre d’entreprises réservent des espaces en coworking pour leurs télétravailleurs, qui peuvent ainsi y aller quelques jours par semaine ou par mois. Ainsi, pour l’avenir du travail, le télétravail et le coworking semblent intimement liés.

Cet ouvrage présente un certain nombre d’informations fort pertinentes pour la gestion du télétravail et du travail à distance, tout comme des éléments touchant les avantages et les risques du travail à distance, dont un certain nombre peuvent s’appliquer au coworking.

Alors qu’auparavant on considérait que le télétravail ouvrait surtout la possibilité de réduire les déplacements et la consommation de pétrole, et donc de réduire les gaz à effets de serre, on y voit de plus en plus des objectifs de qualité de vie et de meilleure organisation du travail personnel (Tremblay, 2001), ou encore même de conciliation emploi-famille (Mathieu et Tremblay, 2021; Tremblay, 2019). Par contre, depuis bientôt deux ans, la pandémie a fait apparaître des enjeux organisationnels qui, s’ils avaient déjà été observés par le passé (Chapman, 1985; Huws et al, 1990; Taskin et Tremblay, 2010; Tremblay, 2002), se révèlent d’autant plus importants alors que le télétravail a pu s’étendre environ au tiers des salariés au Québec, au Canada (Statistique Canada, 2021) comme dans nombre d’autres pays, dont plusieurs en Europe (Institute for Employment Studies, 2001; Pichault et Grosjean, 1998), incluant en France (Gillet et Tremblay, 2021).

Cet ouvrage fournit donc une analyse du déploiement du télétravail, « hier, aujourd’hui et demain », comme le propose le titre du chapitre 1. Ce chapitre traite donc du télétravail avant la crise sanitaire, puis pendant la crise, et aujourd’hui… même si la pandémie n’est toujours pas terminée… On évoque aussi en fin de ce chapitre la perspective du travail hybride qui, selon la majorité des experts, sera le travail de l’avenir.

Déjà, l’ouvrage alerte sur l’importance de tenir compte des différences entre le télétravail subi, et le télétravail choisi. Encore là, les situations sont différentes selon les pays, sans doute en lien avec la pratique antérieure du télétravail. Ainsi, alors qu’en France, les auteurs indiquent que 44 % des télétravailleurs du premier confinement accédaient à cette forme de travail pour la première fois, c’était moins le cas dans les pays anglo-saxons et les pays nordiques, de même qu’au Canada et au Québec, où le télétravail était déjà plus fréquent qu’en France. L’étude indique aussi que 75 % des télétravailleurs du premier confinement en France expérimentaient le télétravail pour la première fois à plein temps. Les pourcentages se sont évidemment réduits au fil des mois en France comme ailleurs. Par contre, ce caractère de grande nouveauté explique sans doute que les perceptions ont parfois été plus négatives en France qu’au Québec et au Canada. Cela a aussi une incidence sur les aspirations des gens en ce qui concerne l’avenir du télétravail. Ainsi, au Canada, la majorité des gens souhaitent conserver le télétravail pour la majorité des jours de travail, seulement 10 % souhaitant retourner à plein temps au bureau, contre 15 % qui voudraient même rester à plein temps à domicile (Statistique Canada, 2021). L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec constatait aussi un écart entre les souhaits des salariés et ceux des gestionnaires (OCRHA, 2021).

Le premier chapitre de l’ouvrage souligne que le télétravail confiné a été source d’inégalités puisque tous n’y avaient pas accès. Pour la France, les auteures indiquent que 58 % des cadres et professions intermédiaires ont pu faire du télétravail, alors que seulement 20 % des employés et 2 % des ouvriers avaient pu en faire. Au Canada, Statistique Canada a aussi noté ce genre d’inégalités (Statistique Canada, 2021), indiquant que les gestionnaires et professionnels en TI et finances par exemple) avaient davantage accès au télétravail et tout comme en France, les ouvriers ou les personnes travaillant dans les services à la personne y avaient moins accès (santé, éducation, hôtellerie, restauration…). L’ouvrage pointe aussi des risques pour les femmes : elles ont 1,5 fois plus de risques que les hommes d’être interrompues dans leur travail; sont 1,3 fois plus susceptibles que les hommes d’être en situation d’anxiété au travail (peut-être encore davantage pendant la période de pandémie où elles ont souvent dû faire l’école à la maison); seulement 60 % des femmes du secteur privé auraient confiance en leur avenir professionnel, 15 points de pourcentage de moins que les hommes; les femmes auraient plus de difficulté à prendre la parole et à faire passer leurs idées en visioconférence. D’autres études, américaines, ont aussi fait état de ce type d’enjeux pour les femmes en télétravail et on peut se demander si d’autres groupes minoritaires (minorités ethno-culturelles, ou visibles) ne sont pas touchés de manière semblable. En France, il semble que le nombre de télétravailleurs a diminué depuis le début de la crise, et surtout depuis le confinement du début, mais le nombre de jours de télétravail demeure plus élevé qu’il l’était avant la pandémie. La même chose s’observe au Québec, au Canada et ailleurs. Il est clair que le télétravail a progressé et restera présent dans les prochaines années, possiblement sous forme hybride, avec quelques jours par semaine de présence au bureau. Le gouvernement du Québec a ainsi demandé que les travailleurs reviennent au bureau un minimum de 2 jours par semaine en 2022, et les divers ministères et services développent leur modèle, incluant parfois une réorganisation des espaces de travail, avec parfois davantage d’aires ouvertes au bureau, ce qui alimente la demande de télétravail, pour pouvoir avoir plus de tranquillité pour certaines tâches qui exigent de la concentration.

Le premier chapitre présente aussi des définitions pour distinguer le télétravail et d’autres formes de travail à distance, et c’est ici que l’on peut voir les définitions françaises des divers statuts. Si celles-ci ne s’appliquent pas nécessairement de la même manière partout, elles peuvent tout de même introduire des distinctions pertinentes pour la plupart des situations. Le coworking n’est pas explicitement traité ici, mais on peut y trouver des éléments pertinents pour distinguer les situations observées en matière de télétravail, travail à ou au domicile et éventuellement en espace de coworking, comme nous en traitons dans ce numéro de Management International.

Le chapitre 2 se penche sur les « opportunités et risques » du travail à distance, et aborde les différentes dimensions du débat. Un bon nombre de questions qui font effectivement débat depuis plusieurs années y sont alors traitées, des questions qui ont été relancées dans les deux dernières années, depuis l’avènement de la COVID-19. Ainsi, les diverses sections de ce chapitre nous amènent à nous interroger sur l’effet du télétravail sur la productivité, sur la créativité et l’innovation, sur la qualité de vie au travail et sur les risques psycho-sociaux, entre autres.

Les auteures citent une étude de Bergeaud et Cette qui indique qu’en ce qui concerne la productivité, on observe une courbe en U inversé. Ainsi, il y aurait hausse de la productivité jusqu’à environ 55 % du temps de travail à domicile, alors qu’il y aurait baisse par la suite. On peut bien sûr imaginer qu’il existe des différences selon les secteurs, les professions, le type de tâches, etc. L’ouvrage reprend aussi une étude qui montre que la performance et l’efficience des équipes de travail varient selon la localisation. Les auteures concluent que ce n’est pas tant le lieu de travail qui pose question lorsqu’on s’intéresse à l’effet du télétravail sur l’innovation collective, mais plutôt le mode de gestion des équipes, la planification de la communication et de la coordination au sein des équipes. On peut donc conclure que les technologies utilisées pour cette communication ont sans doute une incidence, mais aussi le mode de gestion. Depuis le début de la pandémie, on recommande aux gestionnaires d’être attentifs à fixer des objectifs clairs, et à faire de la gestion par résultats, mais toutes les organisations et tous les gestionnaires n’en sont pas encore là !

Un tableau présente une bonne synthèse des avantages et des risques associés au télétravail et ce, tant pour les employeurs et les employés, que pour la société dans son ensemble.

Pour la société, un des avantages a trait aux questions environnementales et il est vrai que le télétravail à domicile ou en coworking proche du domicile peuvent réduire les gaz à effets de serre en diminuant le nombre de véhicules sur les routes et la durée des déplacements, de même que les bouchons autour des agglomérations. Il ne faut par contre pas oublier les effets environnementaux du numérique, qui sont souvent sous-estimés, mais doivent effectivement être pris en compte. Les risques d’ubérisation, de délocalisation et des risques psycho-sociaux sont également évoqués.

Pour les employeurs, la flexibilité, la productivité et l’attractivité sont notamment mis en évidence, alors que pour les risques, on retrouve les effets sur la collaboration et l’innovation, de même que sur le sentiment d’appartenance, l’intégration des nouveaux employés (on boarding), et la transformation des pratiques managériales.

Pour les employés, les avantages sont liés à la flexibilité horaire, à la réduction du temps de transport, à une meilleure concentration et un sentiment de plus grande autonomie. Pour les risques, les auteurs soulignent le surtravail, l’isolement, la déstructuration des temps sociaux, la crainte d’une baisse des salaires en fonction des lieux de résidence, la perte de sens, le renforcement des rôles genrés, les risques psycho-sociaux (surtout pour les jeunes, les femmes et les gestionnaires), et le fait que les promotions et carrières pourraient être négligées, encore là sans doute pour certains groupes en particulier, dont les femmes. Ces divers enjeux sont traités en profondeur dans l’ouvrage, nous ne pouvons les détailler tous ici, compte tenu des limites d’espace.

Le chapitre 3 porte sur les modalités du télétravail et rappelle que l’on observe une multiplication des lieux légitimes de travail, soit le domicile, le site de l’entreprise, ou encore les tiers-lieux (incluant les espaces de coworking). Pour ce qui est des espaces de bureau sur le site de l’entreprise, le télétravail conduit à interroger les formes d’aménagement, incluant les « open space, desk sharing et flex office ». Comme le montrent d’autres travaux, le travail en tiers lieux peut permettre de réduire les inconvénients du travail à domicile, alors que certaines formes d’espaces ouverts de travail peuvent accroître les risques et enjeux (bruit, proximité des autres travailleurs, sentiment d’être observé, risques psycho-sociaux, etc).

Le chapitre 4 traite des défis que les gestionnaires peuvent vivre en contexte de télétravail, et souligne notamment en première section « le management français comme barrière au télétravail ». D’autres gestionnaires, d’autres pays, vivent sans doute des difficultés semblables en contexte de télétravail, puisque cette pratique les invite ou les force à modifier leurs pratiques de gestion.

Le chapitre 5 porte sur les outils numériques et la collaboration à distance, soulignant que les outils doivent être pris en compte pour assurer une bonne gestion et une bonne collaboration à distance. Les auteures présentent le cas de « Digital Workplace » et exposent aussi les avantages et inconvénients de la communication synchrone et de la communication asynchrone, chacun des deux modes présentant des avantages et inconvénients. Il peut donc être conseillé de choisir des modalités différentes pour diverses tâches, et surtout de clarifier les attentes en la matière. Le déploiement à grande échelle du télétravail a clairement incité un bon nombre d’organisations à intégrer la pratique du télétravail à leurs pratiques organisationnelles, mais il faut toujours se rappeler que le télétravail ne peut s’appliquer à toutes les catégories professionnelles et que cela peut contribuer aux inégalités sociales. En effet, si certains ont choisi une profession ou un métier pour travailler « avec des gens » et non dans un bureau, il se peut que certains développent un intérêt pour le télétravail alors que leur profession ne s’y prête pas. Ainsi, des personnes ayant travaillé dans la restauration, l’hôtellerie ou le commerce de détail pourraient avoir envie de changer de secteur, surtout que nombre d’emplois ont été perdus dans ces milieux, et que beaucoup d’entreprises ont fermé.

Aussi, alors qu’un certain nombre d’organisations avaient reculé dans la pratique du télétravail et ramené leurs équipes au bureau, sur site, dans les années 2000, mettant plutôt en avant un modèle de travail collaboratif, en équipe, devant favoriser la créativité et l’innovation, il faudra voir si elles reviendront sur ces décisions organisationnelles. Pour le moment, on entend peu d’organisations privilégier le retour sur site à plein temps, mais la situation n’est pas encore stabilisée en ce qui concerne les espaces de travail, de sorte qu’il faudra suivre les développements en 2022. Certains travailleurs se plaignent aussi de l’absence de dynamique collective et d’échanges en contexte de travail à distance, notamment dans les secteurs où les réunions d’équipe contribuent fortement à la créativité et au développement d’idées innovatrices, alors il faudra voir comment évolueront leurs préférences, sans doute vers le modèle hybride alliant télétravail et travail sur site.

Quoiqu’il en soit du nombre de jours précis, ou des modèles organisationnels précis, on peut s’attendre à ce que le télétravail continue d’être déployé, et possiblement mieux déployé, après la période de pandémie. On peut aussi penser que les tiers lieux et les espaces de coworking deviendront des espaces de travail attrayants, surtout s’ils permettent d’avoir un espace de travail professionnel, mais sans devoir faire des kilomètres ou perdre du temps dans les transports. Comme les humains sont des « êtres sociaux » et que la créativité souvent favorisée par la mise en commun d’idées et l’échange, les modèles hybrides de travail gagneront sans doute en popularité.

Pour conclure, l’ouvrage réalise une excellente synthèse d’un grand nombre de travaux, tout en comprenant des résultats d’entrevues menées par les auteures. La présentation graphique est aussi très bonne, un grand nombre de schémas, de graphiques et figures permettant de synthétiser les chapitres.