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Les travailleurs sont aujourd’hui de plus en plus nomades et réalisent leur activité à l’extérieur du cadre formel de l’entreprise, avec l’expansion du travail à domicile et de lieux alternatifs de travail, souvent regroupés sous le vocable de « tiers-lieux » emprunté au sociologue urbain Ray Oldenburg (1989). Parmi ces tiers-lieux, les « espaces de coworking » connaissent aujourd’hui un essor sans précédent (Scaillerez et Tremblay, 2016). Créés à l’initiative d’acteurs privés ou de collectivités territoriales, ils permettent à divers professionnels (entrepreneurs, travailleurs indépendants ou salariés) de mutualiser des infrastructures et des ressources (Fabbri et Charue-Duboc, 2016). Un nombre croissant de travailleurs se tourne aujourd’hui vers ces structures pour y exercer leur activité : leur nombre dans le monde a augmenté de 600 % entre 2012 et 2017[1] et on en dénombre aujourd’hui plus de 1800 seulement sur le territoire français[2].

Le coworking désigne à la fois le partage d’un espace de travail, mais aussi une forme de mise en réseau de travailleurs encourageant l’échange, le partage de ressources (Tremblay et al., 2020) et les collaborations (Le Nadant et al., 2018). Ce sont des lieux de socialisation où des communautés peuvent se former grâce à la création de relations de confiance, d’entraide et de valeurs partagées (Garrett et al., 2017). Ils mettent en évidence l’émergence d’un entrepreneuriat qui s’organise en réseau et dont la performance dépend des interactions engendrées au sein d’un système (Tremblay et al., 2020). Bien qu’initialement prévus pour des entrepreneurs, les espaces de coworking attirent de plus en plus de salariés (Fabbri, 2015), soit pour répondre aux besoins de leur entreprise dont les locaux sont temporairement indisponibles, soit parce qu’ils travaillent pour des start-ups qui y sont installées ou encore car ils sont en télétravail ou en déplacement. Dans un contexte de crise, voire de désenchantement des plus jeunes sur l’emploi salarié, les espaces de coworking offrent un environnement institutionnel susceptible de promouvoir le travail indépendant et les avantages qui en découlent (Bouncken et Reuschl, 2018). Pour les salariés n’étant pas engagés dans un processus entrepreneurial, le coworking peut en effet faciliter l’accès à de nouvelles connaissances et compétences mais aussi développer des opportunités (Capdevila, 2015). Il permet également de diffuser une « culture de la start-up » où les entrepreneurs jouent le rôle de modèles et de mentors (Fuzi, 2015), susceptibles d’encourager la désirabilité entrepreneuriale (Tounès, 2006).

Le processus entrepreneurial commence avant la création d’entreprise lorsqu’un individu fait le choix de s’engager dans une démarche visant à créer une organisation (Reynolds et al., 2005; Lichtenstein et al., 2007). Cette étape renvoie à l’intention d’entreprendre. L’objectif de cet article est de comprendre « quelle est l’influence des espaces de coworking sur l’intention d’entreprendre des salariés qui y exercent leur activité ? ». Plus précisément, nous étudions l’influence de cet environnement de travail sur deux antécédents de l’intention d’entreprendre des salariés (Schlaegel et Koenig, 2014) : la faisabilité et la désirabilité entrepreneuriale.

En effet, l’environnement dans lequel une personne évolue est susceptible d’influencer le cheminement de sa carrière. En ce sens, plusieurs auteurs (Shane, 2008; Martinez et al., 2017) préconisent aujourd’hui d’étudier le rôle des institutions sur l’intention d’entreprendre. Cependant, les travaux menés jusqu’à aujourd’hui portent majoritairement sur les structures d’accompagnement à la création d’entreprise, telles que les incubateurs auprès d’entrepreneurs naissants déjà engagés dans une prise de conseils (Zreen et al., 2019; Martinez et al., 2017). D’autres auteurs s’intéressent spécifiquement à une population étudiante (e.g Tounès, 2003; Gabay-Mariani et Boissin, 2019) au sein d’établissements de formation. Cependant, il n’existe à notre connaissance, aucune étude centrée sur le rôle que jouent les espaces de coworking sur l’intention de salariés n’étant pas explicitement engagés dans une démarche entrepreneuriale. D’une façon symétrique, les écrits portant sur l’expérience des salariés au sein des espaces de coworking s’avèrent rares (Trupia, 2016).

Répondre à cette question paraît d’autant plus important que les acteurs publics et privés peuvent y voir un levier pour stimuler la création d’entreprise : elle est au fondement des politiques publiques menées à l’égard des tiers-lieux, avec l’espoir de créer des emplois et faire éclore des écosystèmes d’innovation. Sur le plan méthodologique, une étude quantitative a été réalisée alors que, jusqu’ici, la majorité des travaux sur le coworking ont mobilisé une méthodologie qualitative (e.g. Garrett et al., 2017) et des études de cas (e.g Fuzi, 2015). L’analyse des données a été réalisée par régressions linéaires multiples avec sélection des variables par AIC Backward.

Nous présenterons ci-après la littérature sur les modèles d’intention entrepreneuriale et les espaces de coworking ainsi que nos hypothèses de recherche, puis la méthodologie mobilisée, les résultats obtenus et enfin leur discussion.

Revue de littérature

L’intention entrepreneuriale : au croisement de différentes approches

Le processus de création d’entreprise a été longuement étudié (e.g Kolvereid et Iskasen, 2006; Schlaegel et Koenig, 2014; Liñan et Fayolle, 2015). Il est souvent présenté comme un continuum comprenant « quatre temps forts » (Tounès, 2003, p. 47), comme le montre la Figure 1.

La propension, définie comme « une inclination, un penchant à s’engager dans une démarche entrepreneuriale » (Fayolle et Gailly, 2009) serait le résultat d’une sensibilisation au préalable à la création d’entreprise. Elle pourrait ensuite mener à l’intention, qui se forme dès lors qu’un individu a la conviction intime que la carrière d’entrepreneur serait préférable pour lui (Fitzsimmons et al., 2011). Krueger (2009) définit l’intention d’entreprendre comme « l’intensité avec laquelle un individu est prêt à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale ». Si l’intention est confortée, elle pourra mener à la décision (Shook et al., 2003) et déclencher l’acte d’entreprendre (Tounès, 2006). Si plusieurs cadres théoriques ont été mobilisés pour aborder l’intention d’entreprendre (Shook et al., 2003; Krueger, 2009), deux modèles ont fait l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs : le Modèle de l’Evènement Entrepreneurial (MEE) de Shapero et Sokol (1982), développé dans le champ de l’entrepreneuriat et la Théorie du Comportement Planifié (TCP) d’Ajzen (1991), issue de la psychologie sociale. Le modèle de Shapero et Sokol (1982) souligne le rôle du contexte social et culturel sur la concrétisation de l’évènement entrepreneurial. La création est le résultat d’un contexte déclencheur qui pousse l’individu vers l’entrepreneuriat à partir de trois types de facteurs : une situation précipitant l’acte entrepreneurial, une disposition psychologique (propension à l’action) et les perceptions de désirabilité et de faisabilité. La désirabilité se caractérise par le degré d’attractivité perçu quant à la possibilité de devenir entrepreneur. La faisabilité correspond, quant à elle, au degré de confiance qu’a l’individu sur le caractère réalisable du projet et sa capacité à créer l’entreprise (Krueger, 2009). Le modèle d’Ajzen (1991), a quant à lui, connu une forte popularité en présentant le rôle médiateur entre le contexte et la décision de comportement entrepreneurial (Martinez et al., 2017). L’orientation de carrière vers l’entrepreneuriat ne serait donc pas le hasard et le fruit de l’environnement mais un choix possible et préféré (Emin, 2004). Trois variables en particulier déterminent l’intention d’entreprendre : l’attitude envers l’entrepreneuriat, les normes subjectives (c’est-à-dire la perception qu’un individu a des normes sociales) et le contrôle comportemental perçu (le contrôle qu’il pense avoir sur la situation) (Ajzen, 2002).

Figure 1

Continuum du processus de création d’entreprise

Continuum du processus de création d’entreprise
Source : Tounès, 2003, p.47

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Plus récemment, plusieurs auteurs (Douglas, 2020; Choi et Majumbar, 2014; Schaegel et Koenig, 2014) ont préconisé l’adoption d’un modèle intégrateur unifiant les deux approches. Dans une revue critique de la littérature, Shook et al. (2003) soulignent les points communs entre les modèles fondateurs d’Ajzen (1991) et de Shapero et Sokol (1982). En effet, l’intention « est certes, une volonté individuelle (…) mais elle est aussi fonction des contextes socio-culturels » (Tounès, 2003, p.58). Krueger et al. (2000) ont réalisé un effort de synthèse des deux approches et proposé un modèle dit de Krueger-Shapero qui porte sur « l’intention du comportement entrepreneurial ». Ainsi les « normes subjectives » mises en avant dans les travaux d’Ajzen (1991), renvoient au concept de désirabilité du modèle de Shapero et Sokol (1982). Les « perceptions du contrôle comportemental », quant à elles, rejoignent le concept de faisabilité (Guerrero et al., 2008). Les attitudes associées au comportement renvoient à l’attrait perçu de la création d’entreprise (Boissin et al., 2009). Une majorité des auteurs (Martinez et al., 2017; Kolvereid et Isaksen, 2006; Liñan et Fayolle, 2015) s’accordent aujourd’hui sur le rôle prépondérant de la désirabilité et de la faisabilité comme variables explicatives de l’intention d’entreprendre par rapport aux autres antécédents étudiés. C’est également ce que met en avant la méta-analyse réalisée par Schlaegel et Koenig (2014) sur 98 études dans 30 pays.

Notre recherche s’inscrit ainsi dans la continuité des travaux de Krueger et al. (2000) et s’appuie sur le modèle dit de Krueger-Shapero. Il a en effet reçu une validation empirique dans divers contextes (Martinez et al., 2017). D’autre part, c’est un modèle robuste avec un pouvoir prédictif élevé (Emin, 2004; Krueger, 2009) et applicable dans des domaines variés.

H1 : La désirabilité perçue de l’entrepreneuriat influence positivement l’intention d’entreprendre

H2 : La faisabilité perçue de l’entrepreneuriat influence positivement l’intention d’entreprendre

De ce fait, il est intéressant de connaître les antécédents de la désirabilité et de la faisabilité.

Deux antécédents de l’intention entrepreneuriale : la désirabilité et la faisabilité

La faisabilité correspond au degré de confiance qu’a l’individu sur le caractère réalisable du projet (Gasse et Tremblay, 2006) et serait tout d’abord impactée par la disponibilité de conseils et d’activités de sensibilisation à l’entrepreneuriat au sein d’un environnement donné (Veciana et al., 2005). D’une façon similaire, l’exposition à un modèle d’entrepreneur aurait un impact favorable sur la faisabilité. Il s’agit pour l’individu d’élaborer ses propres schémas de comportements à partir de l’observation d’un modèle, comportements qu’il pourra activer par la suite dans des situations semblables (Nowiński et Haddoud, 2019).

H3a : Le fait d’avoir des proches entrepreneurs influence positivement la faisabilité

Krueger et al. (2000) soulignent également le rôle de l’auto-efficacité entrepreneuriale sur la faisabilité, envisagée ici au sens Mc Gee et al. (2009), comme la croyance d’un individu dans sa propre capacité à créer une entreprise. Notons que certains auteurs (eg. Guerrero et al., 2008) utilisent les notions d’auto-efficacité entrepreneuriale et de faisabilité perçue de façon interchangeable, d’autres soulignent au contraire qu’il s’agit de deux construits distincts (Liguori et al., 2017; Shlaegel et Koenig, 2014). Nous nous inscrivons dans la suite de ces travaux qui considèrent l’auto-efficacité comme un antécédent de la faisabilité.

H3b : L’auto-efficacité perçue influence positivement la faisabilité

D’autres facteurs relatifs à l’individu influencent quant à eux, tant la faisabilité que la désirabilité perçue, c’est-à-dire le degré d’attractivité de l’entrepreneuriat (Arenius et Minniti, 2005). Ceux-ci incluent notamment ses expériences antérieures et la formation à l’entrepreneuriat (De Clercq et al., 2009; Hopp et Sonderegger, 2015) ainsi qu’un ensemble de caractéristiques démographiques, e.g. le genre, l’âge, le sexe (Gupta et al., 2009).

H3c : Les expériences précédentes de l’individu influencent positivement la faisabilité

H3d : Les formations précédentes à l’entrepreneuriat influencent positivement la faisabilité

La désirabilité de l’entrepreneuriat est enfin influencée par l’environnement social et les réseaux de contacts (Voisey et al., 2013), qui aident à développer une culture entrepreneuriale et jouent un rôle de soutien. Grâce à l’observation de modèles de rôles parmi les proches, l’entrepreneuriat peut être envisagé plus favorablement, influençant la désirabilité (Gohmann, 2012).

H4a : Le fait d’avoir des proches entrepreneurs influence positivement la désirabilité

H4b : L’auto-efficacité perçue influence positivement la désirabilité

H4c : Les expériences précédentes de l’individu influencent positivement la désirabilité

H4d : Les formations précédentes à l’entrepreneuriat influencent positivement la désirabilité

En outre, les modèles de rôle, constituant l’un des moyens de transmettre des valeurs, peuvent renforcer chez l’individu un sentiment d’auto-efficacité entrepreneuriale (Nowiński et Haddoud, 2019). L’auto-efficacité entrepreneuriale s’acquiert aussi graduellement grâce aux expériences antérieures de l’individu et le fait d’avoir bénéficié de formations à l’entrepreneuriat.

H5a : Le fait d’avoir des proches entrepreneurs influence positivement l’auto-efficacité perçue

H5c : Les expériences précédentes de l’individu influencent positivement l’auto-efficacité perçue

H5d : Les formations à l’entrepreneuriat influencent positivement l’auto-efficacité perçue

Espaces de coworking : des lieux de socialisation propices à l’intention d’entreprendre ?

Notre recherche s’intéresse en particulier à l’influence des espaces de coworking sur l’intention d’entreprendre des salariés qui les fréquentent et plus précisément sur les deux antécédents présentés précédemment : la faisabilité et la désirabilité entrepreneuriale.

Les espaces de coworking, vecteurs d’une utopie entrepreneuriale

Les espaces de coworking prennent véritablement de l’ampleur, aux États-Unis, dans un contexte où la Silicon Valley est au sommet de sa production d’initiatives technologiques (Capdevila, 2015). En 2005, le premier espace de coworking à proprement parler est inauguré à San Francisco par Brad Neuberg (Fabbri, 2015), un programmateur informatique. L’objectif était d’inviter des travailleurs indépendants isolés, comme lui, à le rejoindre dans son espace de coworking, permettant ainsi de résoudre deux injonctions paradoxales : être travailleur indépendant et faire partie d’un collectif de travail. Le déploiement des espaces de coworking s’appuie en partie, sur un ensemble de représentations idéalisées du monde du travail — partiellement héritées de l’univers californien du « Web 2.0 », notamment l’apparition d’un nouveau type de relations professionnelles, marqué par l’absence de relations hiérarchiques ou de rapports de domination au travail et par une coopération dite faible (Tremblay et al., 2020). Plus généralement, le phénomène du coworking s’insère dans le contexte du développement des « tiers-lieux » (Oldenburg, 1989), soit des lieux intermédiaires entre lieux d’habitation et de travail. Progressivement, des espaces de coworking ont vu le jour, d’abord au sein des métropoles puis en dehors des centres urbains, souvent à l’initiative d’acteurs privés, de collectivités territoriales ou de grandes entreprises (Trupia, 2016). Dans les pays industriels, le coworking serait ainsi devenu un Nouveau Mode d’Organisation du Travail permettant au travailleur de se dégager des contraintes spatiales et temporelles sur lesquelles repose son activité (Ross et Ressia, 2015).

Des lieux inclusifs facilitant les rencontres et les échanges

Le coworking désigne à la fois le partage d’un espace de travail, mais aussi une forme de mise en réseau de travailleurs encourageant l’échange et le partage de ressources (Tremblay et al., 2020). Ce sont des lieux de socialisation où des communautés peuvent se former grâce à la création de relations de confiance, d’entraide et de valeurs partagées (Garrett et al., 2017). Ces lieux se distinguent notamment par le fait de mettre en présence des acteurs aux univers souvent cloisonnés : entrepreneurs, salariés, étudiants, chercheurs, etc. (Fabbri et Charue-Duboc, 2016). Cette diversité des profils, des compétences au sein d’un même espace de travail est sans doute l’aspect le plus frappant et ce qui fait la richesse du coworking (Bruna et Chauvet, 2013). Pour les salariés qui y évoluent, les espaces de coworking offrent un environnement institutionnel susceptible de promouvoir le travail indépendant (Bouncken et Reuschl, 2018). En côtoyant les entrepreneurs quotidiennement et grâce aux représentations positives véhiculées, il peut ainsi former des attitudes favorables à la création d’entreprise (Nanda et Sorensen, 2010). L’espace de coworking permet en effet de diffuser une culture de la start-up où les entrepreneurs jouent le rôle de modèle et de mentors (Fuzi, 2015), susceptibles d’encourager la faisabilité et la désirabilité entrepreneuriale et de renforcer un sentiment d’auto-efficacité (Tounès, 2006).

H6a : La présence de modèles de rôle au sein de l’espace de coworking influence positivement la faisabilité

H7a : La présence de modèles de rôle au sein de l’espace de coworking influence positivement la désirabilité

H8a : La présence de modèles de rôle au sein de l’espace de coworking influence positivement l’auto-efficacité perçue

Au sein des espaces de coworking, l’équipe en charge de la gestion du lieu réalise un travail d’animation et met en place une programmation évènementielle qui vise à favoriser les échanges et les rencontres (Trupia, 2016). Comme le soulignent Le Nadant et al. (2018), la proximité géographique ne suffit pas pour faire émerger un collectif, cela requiert une animation structurée. Les interactions sociales dans les espaces de coworking peuvent ainsi prendre différentes formes. Les coworkers peuvent engager une conversation plutôt informelle (échanges autour d’un café, d’une cigarette ou pendant le petit déjeuner), partager de l’information ou collaborer (Gerdenitsch et al., 2016). L’accès à des ressources sociales et des réseaux de contacts (Voisey et al., 2013) aurait un impact favorable sur la désirabilité et la faisabilité, permettant de développer une culture entrepreneuriale et d’éviter de commettre des erreurs et de réduire certains coûts.

H6b : Avoir des relations sociales au sein de l’espace de coworking influence positivement la faisabilité

H7b : Avoir des relations sociales au sein de l’espace de coworking influence positivement la désirabilité

H8b : Avoir des relations sociales au sein de l’espace de coworking influence positivement l’auto-efficacité

Des communautés peuvent se former grâce à la création de relations de confiance et de valeurs partagées (Fabbri, 2015; Garrett et al., 2017). Scaillerez et Tremblay (2016) y voient un environnement de travail basé sur « l’entraide et le partage, créant un sentiment d’appartenance à un même lieu de vie et à une même famille professionnelle ». Dans ce contexte, les coworkers mettent en commun les problèmes et les difficultés auxquels ils font face dans leurs activités. Selon Gerdenitsch et al. (2016) le soutien social est une réalité significative dans les espaces de coworking. Sous la forme d’encouragements et de recommandations, le soutien social permet de renforcer la faisabilité et la désirabilité et de susciter chez l’individu un sentiment d’auto-efficacité (Bouncken et Reuschl, 2018).

H6c : Avoir du soutien social au sein de l’espace de coworking influence positivement la faisabilité

H7c : Avoir du soutien social au sein de l’espace de coworking influence positivement la désirabilité

H8c : Avoir du soutien social au sein de l’espace de coworking influence positivement l’auto-efficacité

Au sein de cette communauté, les coworkers seraient plus enclins à partager les ressources dont ils disposent : connaissances, informations, conseils (Garrett et al., 2017). Pour les salariés qui ne sont pas encore engagés dans une démarche entrepreneuriale, le coworking peut ainsi faciliter l’accès à de nouvelles connaissances et compétences mais aussi développer des opportunités (Capdevila, 2015). En s’appuyant sur leurs échanges avec les autres entrepreneurs et grâce au réseau, les salariés peuvent intégrer progressivement des liés au métier d’entrepreneur (Bouncken et Reuschl, 2018) et si besoin, bénéficier de conseils et de ressources qu’ils ne possèdent pas directement. En amont du processus de création d’entreprise, Abduh et al. (2007) mettent en avant que l’accès à des ressources orientées vers l’entrepreneuriat à moindre coût, par le biais de relations sociales (capital social), renforce la faisabilité et la désirabilité.

H6d : Le fait de disposer de ressources sociales orientées vers l’entrepreneuriat au sein de l’espace de coworking influence positivement la faisabilité

H7d : Le fait de disposer de ressources sociales orientées vers l’entrepreneuriat au sein de l’espace de coworking influence positivement la désirabilité

H8d : Le fait de disposer de ressources sociales orientées vers l’entrepreneuriat au sein de l’espace de coworking influence positivement l’auto-efficacité

Au sein d’une large majorité d’espaces de coworking, les divers évènements régulièrement organisés par l’équipe en charge du lieu peuvent prendre la forme d’ateliers ou conférences permettant d’échanger sur une problématique particulière (Fabbri, 2015) et sont souvent ouverts aux acteurs externes à l’espace. Pour les salariés, ces évènements sont autant d’opportunités d’acquérir de l’information, d’apprendre et finalement d’évaluer la désirabilité et la faisabilité de l’entrepreneuriat (Gerdenitsch et al., 2016). Différents types de services et de conseils peuvent être proposés, tout en faisant la promotion du succès des entreprises nouvellement créées. Stephens et Onofrei (2012) soulignent que la sensibilisation à l’entrepreneuriat impacte tant la perception de la désirabilité que la faisabilité.

H6e : Les ateliers thématiques et services de conseil proposés au sein de l’espace de coworking influencent positivement la faisabilité

H7e : Les ateliers thématiques et services de conseil proposés au sein de l’espace de coworking influencent positivement la désirabilité

H8e : Les ateliers thématiques et services de conseil proposés au sein de l’espace de coworking influencent positivement l’auto-efficacité

En définitive, la fréquentation d’un espace de coworking permet aux salariés d’accéder à : (a) des modèles de rôle d’entrepreneurs, (b) des relations sociales, (c) du soutien, (d) des ressources sociales plus orientées vers l’entrepreneuriat et enfin (e) des ateliers ou des services de conseil dédiés à l’entrepreneuriat. Ces cinq éléments peuvent influencer positivement tant la faisabilité (H6) que la désirabilité (H7) perçues de l’entrepreneuriat. Le lien entre les caractéristiques des espaces de coworking et le sentiment d’auto-efficacité est enfin étudié (H8).

L’ensemble de nos hypothèses sont résumées par le modèle présenté dans la Figure 2.

Figure 2

Synthèse du modèle conceptuel

Synthèse du modèle conceptuel

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Méthodologie

Nous présentons ci-dessous les détails de la méthodologie retenue : le mode de collecte des données, les variables mobilisées dans le modèle et les modalités de test des hypothèses.

Mode de collecte des données

Une enquête par questionnaire utilisant le mode d’administration indirecte a été effectuée auprès de 126 salariés. Le questionnaire a tout d’abord été élaboré via le service Google Forms associé au compte Google professionnel de l’un(e) des auteur(e)s et rédigé en langue française. En amont, les auteurs ont sollicité la Fondation Travailler Autrement, qui est l’un des acteurs du débat public français sur tout ce qui relève des innovations en GRH et des nouveaux modes de travail, dans l’objectif de cibler des salariés travaillant effectivement au sein de tiers-lieux. La Fondation a notamment conduit une mission Coworking — Faire ensemble pour mieux vivre ensemble dont le rapport a été remis en septembre 2018 au Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Cohésion des territoires[3]. La Fondation dispose donc d’un réseau de contacts et d’adresses mél d’un grand nombre de tiers-lieux en France. Sous son parrainage, un premier message électronique explicatif de la recherche a été envoyé au mois d’Octobre 2019 aux gérants de tiers-lieux en France faisant partie de sa liste de diffusion (en grande majorité des espaces de coworking. Puis, le questionnaire a été diffusé largement entre octobre 2019 et février 2020 par voie électronique et ceci conformément au règlement de protection des données (RGPD). Il était en effet entièrement anonymé, aucune donnée personnelle n’aurait permis d’identifier les participants ou de les recontacter par la suite. Les gérants de tiers-lieux ont ensuite effectué le relai auprès des répondants ciblés, à savoir des salariés. L’une des difficultés principales dans le cadre de cette recherche est le fait de viser une population salariée en tiers-lieu, qui est relativement minoritaire en comparaison du nombre d’entrepreneurs qui y travaillent. En février 2020, plusieurs relances ont été effectuées. Globalement, l’enquête a bien été relayée par les espaces de petite et moyenne taille, mais peu par les espaces de grande taille (eg. Kwerk, Morning, WeWork, Wojo etc.). Ces structures sont en effet des investisseurs immobiliers institutionnels qui contrôlent strictement la communication à destination de leur clientèle.

Instruments de mesure

Le questionnaire comporte 47 items associés au modèle à tester qui s’appuient sur la revue de littérature, auxquels s’ajoutent 14 questions permettant de déterminer le profil sociodémographique du répondant ainsi que 15 questions permettant de décrire le tiers-lieu fréquenté. Pour assurer sa bonne compréhension et éviter les redondances, le questionnaire a fait l’objet d’un pré-test auprès d’étudiants en entrepreneuriat et de chercheurs confirmés s’intéressant aux nouveaux modes de travail. La plupart des construits du modèle disposent d’échelles de mesure préexistantes avec de bonnes qualités psychométriques (DeVellis, 2003). Pour chaque item (en dehors des variables de contrôle), la mesure était effectuée à l’aide d’une échelle de Likert en quatre points (4= tout à fait d’accord, 1= pas du tout d’accord).

Variables à expliquer

L’intention d’entreprendre : l’échelle en 3 items de Hockerts (2017) a été retenue (ex : « J’ai déjà une idée d’entreprise à créer »), à laquelle nous avons ajouté un item inversé issu de Kolvereid (1996) sur la préférence du statut de salarié à celui d’entrepreneur (ex : « Si je pouvais choisir entre créer mon entreprise et être salarié(e), je préférerais être salarié(e) »). Cette échelle présente de bonnes qualités psychométriques (α=0,76 et ω=0,88 et avevar=0,65).

La désirabilité perçue : notre choix s’est porté sur l’échelle en 3 items d’Urban et Kunjinga (2017) (ex : « Je serais enthousiaste à l’idée de créer une entreprise ») à laquelle un item a été ajouté pour évaluer le caractère désirable du statut d’entrepreneur (ex : « l’idée de créer une entreprise est une idée que je trouve séduisante »). Le niveau de fiabilité est satisfaisant (α=0,72, ω=0,8 et avevar=0,55).

La faisabilité perçue : la faisabilité perçue a été mesurée à partir de l’échelle en 5 items d’Urban et Kunjinga (2017) (ex : « Je pense qu’il serait très facile de créer mon entreprise »). Les coefficients de fiabilité de cette échelle sont de α=0,84, ω=0,85 et avevar=0,54.

Variables explicatives

Cinq variables se rapportent au contexte étudié (les espaces de coworking) :

Les relations sociales : l’échelle en 3 items de Lejeune (2005) sur les groupes informels a été utilisée et adaptée au contexte du tiers-lieu (ex : « à l’intérieur du tiers-lieu, nous entretenons des relations amicales »). L’objectif est d’évaluer la perception des répondants sur l’existence de relations au sein du tiers-lieu. Ses qualités psychométriques sont satisfaisantes (α=0,84, ω=0,85 et avevar=0,65).

Le soutien professionnel : le soutien a été évalué à partir de 6 items issus des échelles de Pinneau (1975) et de Karasek et al. (1981) sur le soutien perçu (ex : « Je bénéficie de leur aide dans les moments difficiles »). Cette échelle présente de bonnes qualités psychométriques (α=0,73).

La disponibilité de ressources sociales orientées vers l’entrepreneuriat : dans cette échelle, il s’agit d’évaluer comment les contacts au sein du tiers-lieu peuvent constituer des ressources (conseils, informations, compétences) (ex : « Grâce aux relations amicales et échanges informels que j’ai eus avec les autres utilisateurs du tiers-lieu, j’ai bénéficié de conseils pratiques pour créer une nouvelle activité »). Cette échelle présente de bonnes qualités psychométriques (α=0,91, ω=0,91 et avevar=0,72).

Le modèle de rôle entrepreneurial : la présence de modèles de rôle a été mesurée à partir de l’échelle en 7 items de Brunel et al. (2014) que nous avons adaptée au contexte du tiers-lieu (ex : « Les entrepreneurs au sein du tiers-lieu sont pour moi des modèles à suivre ». Cette échelle présente une bonne fiabilité avec α=0,86 et ω=0,87. Toutefois, avec un avevar=0,49, elle n’atteint pas tout à fait le seuil souhaité de 0,5 en termes de validité convergente.

La disponibilité d’ateliers thématiques et services de conseil : l’échelle en 4 items de Tounès (2006) a été adaptée au cas spécifique des tiers-lieux, s’intéressant aux activités qui y sont organisées et les services offerts (ex : « Grâce aux activités organisées au sein du tiers-lieu, j’ai bénéficié de conseils pratiques pour créer une nouvelle activité »). Le niveau de fiabilité de l’échelle est satisfaisant avec α=0,92, ω=0,93 et avevar=0,76.

Enfin, les variables relatives à l’individu sont quant à elles mesurées par le biais des échelles présentées ci-dessous :

L’auto-efficacité : l’échelle en 8 items de Delanoë et Brulhart (2011) sur l’auto-efficacité entrepreneuriale a été retenue. Celle-ci évalue la perception qu’un individu a sur sa propre capacité à réaliser différentes activités communément inhérentes au métier d’entrepreneur (sur le plan administratif, stratégique, managérial et financier). Cette échelle présente de bonnes qualités psychométriques (α=0,90, ω=0,9 et avevar=0,54).

Le capital antérieur : trois variables relatives au capital antérieur du salarié ont été évaluées, à savoir la formation et/ou la sensibilisation préalable(s) à l’entrepreneuriat, le fait d’avoir des proches entrepreneurs au sein de l’entourage et la participation antérieure à un projet de création d’entreprise.

Variables de contrôle

Enfin, des variables de contrôle ont été introduites, telles que les caractéristiques socio-démographiques des répondants, à savoir le genre, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, le domaine d’activité, ainsi que des caractéristiques relatives au tiers-lieu (localisation, motifs et fréquence de fréquentation, animation, type de salles disponibles, équipements techniques mis à disposition et services offerts).

Présentation de l’échantillon

Au total, l’enquête a permis de collecter 126 questionnaires exploitables sur les 156 remplis, 30 participants ayant répondu mais étant eux-mêmes travailleurs indépendants. Ces 30 observations ont ainsi été écartées. L’ensemble des caractéristiques de l’échantillon sont présentées dans le tableau 2. Malgré sa taille réduite, l’échantillon est représentatif d’une diversité de population qui fréquente les tiers-lieux. Au regard de notre sujet de recherche, nous avons également vérifié, au préalable de l’analyse, s’il existait un lien entre les raisons ayant initialement conduit les répondants à fréquenter un espace de coworking et leur intention d’entreprendre. Ainsi, s’ils étaient venus dans l’optique d’entreprendre, notre modèle serait caduc, l’espace de coworking n’étant pas explicatif d’une intention qui préexisterait à la fréquentation. Un test de Khi-2 a donc été réalisé indiquant qu’il n’y avait pas de lien significatif entre les raisons initiales de la fréquentation et l’intention d’entreprendre (p=0,4).

Méthode d’analyse des données

Pour tester les hypothèses, la technique de régression linéaire multiple a été utilisée. Le choix de la méthode de régression linéaire multiple se justifie, d’une part, car notre modèle comporte plusieurs variables qui peuvent être théoriquement regroupées et, d’autre part, car elle est adaptée à des échantillons de taille relativement réduite. D’une façon générale, la méthode des régressions est utilisée dans le but d’expliquer la variance d’un phénomène (ici, la faisabilité et la désirabilité, variables dépendantes) à l’aide d’une combinaison de facteurs explicatifs (variables indépendantes). Nous avons utilisé la méthode de régression linéaire multiple, avec critère de sélection de variables par élimination AIC (Akaike Information Criterion) et BIC (Bayes Information Criterion). Le logiciel R a été utilisé, plus précisément la fonction lm du package stats de R (Chambers, 1992). Pour le critère de sélection de variables les plus significatives, nous avons utilisé les fonctions stepAIC et stepBIC du package MASS de R (Venables et Ripley, 2002). La validité des modèles (CFI et SRMR) a été vérifiée avec la packages LAVAAN et PSY de R. En amont de l’analyse de régressions multiples, notons qu’une analyse descriptive des données a été réalisée visant à vérifier l’indépendance des variables via leurs corrélations.

Tableau 1

Composition de l’échantillon

Composition de l’échantillon

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Résultats de la recherche

Statistiques descriptives

Notre échantillon étant restreint, il semble nécessaire d’en valider la pertinence dans un premier temps par une analyse descriptive et exploratoire des données. L’ensemble des données présente les résultats présentés en Tableau 2.

Nous avons vérifié les corrélations entre les variables pour être certains de leurs indépendances, qui sont présentées en Figure 3.

Nous constatons globalement une indépendance satisfaisante des variables. Concernant la corrélation entre les relations sociales au sein de l’espace de coworking et le fait d’y disposer de soutien professionnel, c’est une situation cohérente avec les recherches sur les collectifs de travail, y compris les collectifs d’indépendants (voir par exemple Ottmann & al., 2019). Cela n’invalide donc pas le modèle théorique. Concernant la corrélation entre la formation à l’entrepreneuriat et le fait d’avoir eu des expériences professionnelles précédentes dans la création d’entreprise, là encore cela semble logique en termes de parcours professionnels de personnes qui auraient effectivement été formées à ces sujets et donc qui y auraient ensuite fait carrière. La corrélation significative sans pour autant être proche de 1, entre l’auto-efficacité et la faisabilité est cohérente avec les ambiguïtés de la littérature sur ces deux concepts. Enfin, les fortes corrélations entre la faisabilité, la désirabilité et l’intention d’entreprendre ne sont pas problématiques puisqu’elles correspondent à l’état de l’art et concernent nos variables à expliquer. Il est donc pertinent de faire des régressions linéaires pour tester les hypothèses du modèle.

Tableau 2

Description des variables

Description des variables

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Figure 3

Corrélation des variables

Corrélation des variables

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Régressions linéaires multiples

Les hypothèses ont été testées de manière régressive en quatre étapes. Tout d’abord, sans que ce ne soit l’enjeu principal de notre modèle, les hypothèses H1 et H2 ont été testées par une régression linéaire multiple. Avec une p-value de la faisabilité de 1.e-04 et une p-value de la désirabilité < 2.2e-16, le R² du modèle est de 0.72. H1 et H2 sont donc confirmées, ce qui a justifié le test des autres hypothèses pour comprendre les effets de la fréquentation d’un espace de coworking sur l’intention d’entreprendre, via la faisabilité et la désirabilité perçues. Ensuite, trois régressions linéaires multiples à critère d’élimination (AIC et BIC backward) ont permis de tester les hypothèses qui portent les enjeux de notre modèle. Concernant la faisabilité perçue, les neuf hypothèses (H3a, H3b, H3c, H3d et H6a, H6b, H6c, H6d, H6e) ont été testées. Le résultat optimal du modèle est présenté dans le Tableau 3.

Tableau 3

Régression linéaire AIC backward pour la faisabilité

Régression linéaire AIC backward pour la faisabilité

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Les coefficients positifs avec une bonne p-value de l’expérience précédente et de l’auto-efficacité montrent que ces deux caractéristiques individuelles influent positivement sur la faisabilité perçue. Les hypothèses H3b et H3c sont donc confirmées. Le coefficient positif associé à une p-value modérée pour la présence d’un modèle de rôle signifie que cette variable contextuelle liée à la fréquentation d’un espace de coworking influe légèrement la faisabilité perçue des individus. Ainsi, l’hypothèse H6a est partiellement confirmée. Les autres hypothèses H3 et H6 sont invalidées, car absentes du modèle ou avec une mauvaise p-value. L’analyse par BIC confirme les mêmes hypothèses. La vérification de la validité du modèle est satisfaisante (CFI=1, SRMR=0,02 pour l’AIC et SRMR=7,7e-09 pour le BIC).

Concernant la désirabilité perçue, les neuf hypothèses (H4a H4b, H4c, H4d et H7a, H7b, H7c, H7d et H7e) ont été testées. Le résultat optimal du modèle est présenté dans le Tableau 4.

Tableau 4

Régression linéaire AIC backward pour la désirabilité

Régression linéaire AIC backward pour la désirabilité

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Concernant les variables contextuelles, les coefficients des variables « présence d’un modèle de rôle » et « organisation d’ateliers et de services de conseil » montrent qu’elles influent sur la désirabilité perçue de l’entrepreneuriat. L’hypothèse H7a est donc partiellement confirmée et l’hypothèse H7e confirmée. Le coefficient et la p-value de l’auto-efficacité montre que cette caractéristique individuelle a aussi un effet sur la désirabilité perçue. Ainsi, l’hypothèse H4b est confirmée. Enfin, les autres hypothèses H4 et H7 sont invalidées. L’analyse par BIC, plus sélective, confirme les hypothèses les plus significatives. Néanmoins, la vérification de la validité du modèle présente des résultats un peu faibles concernant cette dimension (CFI=0,68 et SRMR=0,11 pour l’AIC – non applicable pour la BIC).

Enfin, concernant l’auto-efficacité perçue, les huit hypothèses (H5a, H5c, H5d et H8a, H8b, H8c, H8d, H8d) ont été testées. Le résultat optimal du modèle est présenté dans le Tableau 5.

Tableau 5

Régression linéaire AIC backward pour l’auto-efficacité

Régression linéaire AIC backward pour l’auto-efficacité

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Les coefficients positifs montrent qu’un élément contextuel (l’organisation d’ateliers et de services de conseil) et un élément individuel (les expériences précédentes) influent sur l’auto-efficacité perçue. Les hypothèses H5c et H8e sont confirmées. Les autres hypothèses H5 et H8 sont invalidées. Une analyse BIC donne les mêmes résultats. La vérification de la validité du modèle donne enfin des scores satisfaisants (CFI=1 et SRMR=1,2e-08).

Discussion des résultats et conclusion

Les résultats de notre recherche sont synthétisés dans la Figure 4.

Il s’agissait par cette étude de comprendre quelle est l’influence des espaces de coworking sur l’intention d’entreprendre des salariés qui y exercent leur activité, c’est-à-dire sur leur volonté de créer une entreprise et de faire évoluer leur carrière vers le statut de travailleur indépendant. Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de nos résultats. Tout d’abord, concernant les variables individuelles, plusieurs chercheurs mettent en avant l’effet significatif de l’auto-efficacité entrepreneuriale sur l’intention (eg. Brunel et al., 2014; Fitzsimmons et Douglas, 2011) et nos résultats ne font pas exception. Notons également que notre recherche confirme que les expériences précédentes de l’individu, en particulier sa participation antérieure à un projet de création d’entreprise, sont toutes aussi centrales dans le développement de l’intention d’entreprendre, faisant écho aux travaux de Hopp et Sonderegger (2015). Si les aspects individuels ont une influence significative sur l’intention d’entreprendre, nos résultats mettent en évidence un effet modéré mais réel de la fréquentation d’espace de coworking sur le développement de l’intention d’entreprendre des salariés. Ainsi, la présence d’un modèle d’entrepreneur émerge comme l’aspect ayant l’impact le plus favorable sur l’intention d’entreprendre parmi les caractéristiques d’un espace de coworking, puisqu’il a un effet sur la faisabilité perçue mais aussi probablement sur la désirabilité. Comme le soulignent Nowiński et Haddoud (2019), il s’agit pour l’individu d’élaborer ses propres schémas de comportements à partir de l’observation de ce modèle, comportements qu’il pourra activer par la suite dans des situations analogues. L’espace de coworking permet donc bien de diffuser une culture de la start-up où les entrepreneurs jouent un rôle de modèle, encourageant la faisabilité et la désirabilité entrepreneuriale (Fuzi, 2015). Grâce à l’apprentissage par observation (Tchagang et Tchankam, 2018), le salarié peut évaluer les avantages liés au métier d’entrepreneur mais aussi de façon objective, prendre en compte les contraintes et les réalités de terrain, comme le soulignent Bouncken et Reuschl (2018). Cette conclusion rejoint les propositions de Fuzi (2015) et de Voisey et al. (2013). En outre, de nombreux auteurs mettent en avant le rôle des relations sociales et d’un réseau de contacts sur la faisabilité et probablement la désirabilité au sens où ils permettent à un individu d’accéder à des ressources qu’il ne possède pas directement (Abduh et al., 2017). Nos résultats montrent que la seule perception de ressources sociales disponibles ne suffit pas pour renforcer le sentiment d’auto-efficacité entrepreneuriale des salariés (Mc Gee et al., 2009). Au contraire, cette variable n’a influencé ni l’auto-efficacité perçue, ni la faisabilité ou la désirabilité, à l’issue de notre analyse. Les échanges et la dynamique de groupe au sein des tiers-lieux n’émergent pas de manière fortuite (Le Nadant et al., 2018). Cela nécessite une animation structurée visant à favoriser les mises en relation, telle qu’elle est pratiquée dans une grande partie des espaces de coworking et l’organisation de divers évènements (Fabbri, 2015). Les résultats soulignent l’importance de cette dimension, qui a un effet positif sur l’auto-efficacité perçue des individus et sur la désirabilité de l’entrepreneuriat (Martinez et al., 2017). C’est donc la seconde source de l’intention d’entreprendre en espace de coworking.

Figure 4

Modèle de résultats de la recherche

Modèle de résultats de la recherche

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Du point de vue théorique, les apports de la recherche sont multiples. Jusqu’ici, les travaux ont porté majoritairement sur l’effet d’incubateurs (Martinez et al., 2017; Zreen et al., 2019) sur l’intention d’entreprendre d’individus déjà engagés dans une prise de conseils ou sur l’influence des Universités auprès d’une population étudiante (e.g Tounès, 2003; Gabay-Mariani et Boissin, 2019). Notre recherche permet d’enrichir la littérature sur l’intention d’entreprendre aux espaces de travail collaboratifs et aux tiers-lieux. Sur le plan managérial, notre étude invite tout d’abord les gestionnaires de tiers-lieux à mettre en place des dispositifs d’accompagnement ciblés et spécifiques pour les salariés les aidant à s’orienter vers la création d’entreprise, dans la continuité des travaux de Fuzi (2015). Une animation structurée de l’espace de coworking peut être privilégiée, permettant de faciliter les échanges pour des usagers, qui parfois ne sont présents que sur de courtes durées, afin de favoriser la rencontre et les échanges. La mise en place d’ateliers thématiques sur des sujets variés semble particulièrement pertinente. En pratique, il semble donc que, plus que des informations techniques sur le montage de projet, les actions visant à accroître l’attractivité du statut d’entrepreneur sont celles susceptibles d’avoir le plus d’effets. Cela amène également une réflexion plus large autour des questions liées au management à distance des équipes de travail qui sont toujours plus en demande d’autonomie et de latitude. Pour les salariés, le coworking pourrait présenter des avantages tels que le développement de projets transversaux et innovants, pouvant les conduire à de l’intrapreneuriat. Pour l’entreprise, en dehors du développement de l’innovation interne, il peut également s’agir d’accompagner les collaborateurs vers l’indépendance par le biais de l’essaimage, en développant leur esprit d’initiative. Pour les acteurs institutionnels impliqués dans le développement de l’entrepreneuriat sur les territoires (ex : BPI, CCI), notre recherche indique qu’ils peuvent développer des actions conjointes avec les animateurs des espaces de coworking pour mieux faire appréhender les différentes façons d’entreprendre, les soutiens et dispositifs dont peuvent bénéficier les futurs créateurs.

La principale limite de cette recherche se trouve dans la taille de l’échantillon, explicable par la difficulté à identifier et contacter la population cible (les salariés en tiers-lieux). Les différents tests de robustesse des données sont toutefois satisfaisants. Cependant, l’enquête gagnerait évidemment à être diffusée plus largement. L’échantillon présente par ailleurs une sous-représentation d’espaces de coworking de grande taille. Ils concentrent pourtant une population importante, même si essentiellement située en région parisienne. L’une des explications réside dans le mode de diffusion du questionnaire. En effet, ces espaces de grande taille sont possédés et/ou exploités par des acteurs institutionnels (par exemple Wojo, qui est une filiale de Bouygues construction ou WeWork et Kwerk qui sont des entités soutenues par des fonds d’investissement) qui gèrent de manière verrouillée la communication auprès de leurs clients, et n’ont pas donné suite aux sollicitations de la Fondation Travailler Autrement. À l’inverse, les tiers-lieux de taille moyenne qui émaillent le territoire tendent à valoriser les partenariats et la communication transversale, et ont bien plus largement diffusé l’enquête parmi leurs clients et usagers. Ensuite, nous avons réalisé ici une étude statique pour rendre compte de l’influence des espaces de coworking sur l’intention d’entreprendre. Une étude longitudinale complèterait nos résultats afin de rendre compte de la manière dont les représentations évoluent au cours du temps. Enfin, le fait que la vérification de la validité du modèle présente des scores trop faibles pour la désirabilité montre la nécessité d’approfondir cette question, notamment par la conception et la validation d’échelles spécifiques aux liens sociaux en espace de coworking.

Concernant les pistes de recherche, il serait intéressant de continuer à évaluer l’effet de la fréquentation de ces espaces sur les salariés (Tremblay et Scaillerez, 2020). En effet, sur la volonté de changer de statut, cette étude est de nature quasi-exploratoire dans le cadre des tiers-lieux et de nombreuses variables pourraient être testées ou précisées (les entrepreneurs modèles de rôle et leur influence dans le développement d’un projet entrepreneurial effectif). Par ailleurs, comment maintenir et développer le sentiment d’appartenance du salarié à l’entreprise quand il travaille à distance avec un autre collectif de travail ? Ces questions apparaissent d’autant plus prégnantes pour les organisations en phase de (post-)crise Covid-19 où certaines structures pourraient faire le choix des espaces de coworking afin d’éviter certains déplacements de leurs salariés tout en souhaitant les motiver et les fidéliser.