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Introduction

Les médias socionumériques qui regroupent les blogues, les wikis, les sites de partage de contenu et les réseaux socionumériques figurent au premier rang des outils numériques contemporains utilisés quotidiennement, que ce soit dans un contexte professionnel, éducatif, familial ou privé (Stenger et Coutant, 2011). Favorisant la sociabilité, ces outils sont multiples et recouvrent une large palette d’applications, allant des forums électroniques aux réseaux généralistes comme Facebook (Ellison et Thierry, 2011). Outre la sociabilité recherchée, Brebera (2017) souligne l’intérêt du rôle de prosommateur (producteur et consommateur) de l’utilisateur qui recherche, réceptionne, traite et produit de l’information, autant d’activités centrales qui peuvent être mises au service de projets éducatifs ou pédagogiques. C’est notamment le cas des blogues, des forums électroniques ou des wikis qui sont susceptibles de soutenir les échanges et de favoriser l’apprentissage autodirigé (Chistol et Muller, 2013).

La généralisation du numérique, y compris dans l’enseignement supérieur, avec ses impératifs d’ingénierie rigoureuse, invite à étudier scientifiquement les situations d’enseignement et d’apprentissage qui y ont recours, et notamment les formations hybrides. Le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) permet de soutenir les phases d’apprentissage qui se déroulent à distance en favorisant notamment les interactions entre pairs (Graham, 2006), par la mise en place de situations d’apprentissage actif. Leurs retombées, que ce soit du point de vue des résultats d’apprentissage en général (López-Pérez et al., 2011) ou du développement de compétences personnelles, comme l’autodirection en particulier (Uz et Uzun, 2018), sont désormais considérées comme positives.

S’agissant de formations hybrides, la European Institute of Innovation and Technology (EIT) Digital Academy propose un programme de master en informatique et en technologies de l’information axé sur l’innovation et l’entrepreneuriat. Ce master est offert conjointement par plus de 15 universités européennes partenaires[12] situées dans 8 pays. Le module consacré à l’entrepreneuriat vise à présenter l’esprit d’innovation et entrepreneurial de l’EIT et est proposé sous la forme d’un cours hybride avec un regroupement de démarrage (kick-off) organisé en présentiel.

C’est dans le cadre de ce module que cet article se propose de rendre compte des effets sur l’autodirection des étudiants d’un scénario de formation hybride à l’entrepreneuriat, fondé sur des situations de résolution de problèmes qui nécessitent de collaborer et de communiquer au moyen d’un forum électronique (Assen et al., 2016; Ng et al., 2012). Le but principal est d’enrichir les connaissances en pédagogie universitaire sur l’autodirection, d’une part, et sur les apports spécifiques d’une telle démarche, notamment dans le cadre d’une formation hybride, d’autre part.

Dans un premier temps, nous revenons sur l’utilisation du forum électronique et l’apprentissage par la résolution de problèmes à des fins d’amélioration de l’autodirection. Nous détaillons ensuite la méthodologie adoptée, qui repose essentiellement sur une enquête par questionnaire menée auprès de 295 participants. Nous présentons et discutons les résultats obtenus, qui confirment notamment l’intérêt de cette démarche axée sur la collaboration et l’utilisation d’un forum électronique pour le développement de l’autodirection. Plus précisément, nous mettons au jour le rôle du sentiment d’autoefficacité des étudiants en contexte d’apprentissage (Kim et Park, 2000) sur l’autodirection dans un module spécifique et en contexte d’apprentissage général (Fisher et King, 2010).

1. Cadre théorique

1.1 L’autodirection, une notion devenue centrale pour les formations à distance

La généralisation du numérique à l’université et dans les formations d’adultes non universitaires a considérablement élargi le champ d’étude de l’autodirection, en tant que compétence transversale qui se construit à travers des expériences singulières (Fisher et al., 2001), en l’étendant notamment à toutes les formes de formations ouvertes et à distance (Jézégou, 2008). L’autodirection a été définie depuis longtemps comme la capacité d’un sujet à mener ses propres apprentissages (Dynan et al., 2008). Pour Carré (2010), l’autodirection repose sur deux principales dimensions : l’autodétermination et l’autorégulation. Cet auteur y adjoint l’autoefficacité comme étant un élément commun à l’autodétermination et à l’autorégulation.

L’autodétermination rend compte de la liberté d’agir, de l’engagement et de la proactivité de l’apprenant (Deci et Ryan, 2000). Elle fait appel à l’aptitude d’un individu à se fixer des objectifs personnels et/ou à intérioriser des buts externes (Verzat et al., 2016). Pour Mailles-Viard Metz et al. (2015), le développement de l’autodétermination peut être soutenu par un environnement renforçant le sentiment de compétence.

L’autorégulation, quant à elle, concourt au contrôle des activités de l’apprenant mises en oeuvre aux fins de l’atteinte des objectifs (Carré et al., 2011). Cosnefroy (2013) inventorie quatre conditions requises pour le développement de l’autorégulation : 1) être suffisamment motivé pour persister dans une tâche, ce qui pourrait être lié au sentiment d’autoefficacité, lequel associe les stratégies pour réaliser une tâche et la confiance en sa capacité à surmonter des difficultés (Kim et Park, 2000); 2) avoir un objectif à atteindre qui sert de point de comparaison entre la situation vécue et les résultats du plan d’action mis en place; 3) disposer d’un répertoire de stratégies; 4) avoir un regard critique et une aptitude d’auto-observation de son propre fonctionnement.

Comme nous l’avons dit, l’autoefficacité intervient dans ces deux dimensions de l’autodirection et se manifeste par le sentiment de compétence. Il existe en outre une relation hiérarchique entre l’autoefficacité en contexte d’apprentissage général, qui renvoie au jugement global d’un individu sur sa capacité à s’organiser et à exécuter les actions nécessaires à la réalisation des tâches d’apprentissage, et l’autoefficacité spécifique à une matière, qui porte sur des éléments particuliers à un domaine d’étude (Kim et Park, 2000).

1.2 Le forum électronique en formation hybride

Le groupe Hy-Sup (Charlier et al., 2006) définit une formation hybride comme une stratégie d’enseignement, voire un dispositif de formation combinant enseignement en présence et à distance. Un certain nombre d’études ont depuis mis en évidence les effets positifs des formations hybrides sur tout un ensemble d’éléments, comme les interactions entre les étudiants et l’enseignant ou entre pairs qui sont encouragées (Deschryver et Letor, 2012), l’apprentissage collaboratif qui est favorisé (Ngouem, 2015), la participation active des étudiants qui est renforcée (Vaughan et al., 2013), la motivation qui est entretenue (Page et al., 2017) et, pour ce qui nous intéresse ici, le développement de l’autodirection dans l’apprentissage auquel elles sont susceptibles de concourir (Uz et Uzun, 2018).

Le phénomène à l’oeuvre dans le développement de l’autodirection repose vraisemblablement sur le fait que les interactions asynchrones réalisées dans un forum électronique permettent aux participants de prendre le temps de réfléchir et de mobiliser leur sens critique (Ritchie et Black, 2012). En effet, certains travaux ont montré que, plus les apprenants sont encouragés et ont la possibilité de collaborer, plus ils mobilisent leur pensée critique (Brebera et Bezdíčková, 2019; Nakayama et al., 2020; Thomas, 2002), qui ensuite participe au développement de l’autorégulation (Cosnefroy, 2013), elle-même favorisant l’autodirection dans l’apprentissage (Carré et al., 2011; Verzat et al., 2016).

Nous avons également pu montrer que la mise en place d’activités asynchrones sur le forum électronique et intégrées dans un scénario de formation hybride pouvait aussi favoriser le développement de l’autodirection des apprenants (Adinda et al., 2019). Toutefois, il est nécessaire de tenir compte des niveaux d’échanges sur le forum électronique pour voir s’opérer ce développement. Ng et al. (2012) distinguent à cet égard trois niveaux d’intensité des échanges : 1) un niveau d’interaction faible avec des échanges entre participants réalisés de manière indépendante sans véritable collaboration; 2) un niveau d’interaction moyen où les participants sont invités à publier un message en se référant aux commentaires des autres. À ce niveau, les interactions ne favorisent qu’assez peu la collaboration (Thomas, 2002); 3) un niveau d’interaction élevé où les activités proposées nécessitent d’interagir pour collaborer et requièrent un haut niveau de pensée critique (Thomas, 2002).

1.3 L’apprentissage par la résolution de problèmes et le développement de l’autodirection

Les démarches pédagogiques favorisant l’apprentissage dit « actif » recouvrent une multitude d’activités d’enseignement (Zachry et al., 2017). Parmi les activités mises en oeuvre dans les formations hybrides figure notamment l’apprentissage par la résolution de problèmes, qui invite les étudiants à traiter une situation professionnelle réelle ou simulée, notamment dans les études commerciales et entrepreneuriales (Bencherqui et al., 2018).

L’apprentissage par la résolution de problèmes a été adopté dès les années 1960 comme une nouvelle approche pour l’enseignement médical (Hayashi et al., 2013). Il a été établi depuis qu’il facilite aussi bien l’acquisition de connaissances que le développement de compétences, comme la compétence collaborative (Assen et al., 2016; Newman, 2004), qui rassemblent les capacités à travailler en équipe, à communiquer et à mobiliser la pensée critique (Hayashi et al., 2013).

Un autre effet positif connu de l’apprentissage par la résolution de problèmes est le développement de l’autodirection dans l’apprentissage (Assen et al., 2016). Celle-ci peut être développée au travers d’expériences d’apprentissage au cours desquelles les étudiants sont encouragés à prendre des initiatives lors des activités proposées (Kintu et al., 2017), ce qui favorise aussi la motivation à apprendre (Masson et Fenouillet, 2013; Wilson et Sipe, 2014).

1.4 L’apprentissage axé sur la collaboration

Considérée comme une des compétences-clés du XXIe siècle nécessaires pour favoriser l’agentivité humaine (Organisation de coopération et de développement économiques, 2018), la collaboration est un processus de construction de connaissances réalisé par deux personnes ou plus qui s’engagent dans l’élaboration d’actions pour répondre à un objectif (Cosnefroy et Lefeuvre, 2018). Toutefois, en situation d’apprentissage, c’est le terme de coopération qui est le plus employé, en particulier lorsqu’une démarche pédagogique impose aux étudiants de travailler ensemble. Pourtant, si ces deux activités collectives sont orientées vers une même direction, la différence est assez importante. Lorsqu’il s’agit de coopération, la production finale du groupe est le résultat de l’association des contributions des membres, à la suite d’une division du travail en sous-tâches. La collaboration, quant à elle, renvoie à des échanges d’informations et d’idées (Khalil et Ebner, 2017), ainsi qu’à une rencontre de points de vue divergents pour proposer une solution et entretenir une conception partagée du problème. C’est pourquoi nous préférons parler de collaboration, plutôt que de coopération.

1.5 Problématique

Il ressort de la littérature que l’autodirection, constituée de l’autodétermination et de l’autorégulation, elles-mêmes ayant en commun l’autoefficacité, repose sur des éléments qui sont mobilisés et qui sont développés dans les situations d’apprentissage par la résolution de problèmes (Assen et al., 2016; Hayashi et al., 2013), d’autant plus que ces situations requièrent de collaborer, et ce, à travers un forum de discussion. La littérature indique aussi que la collaboration dépend du niveau d’interaction dans un forum de discussion (Brebera et Bezdíčková, 2019; Nakayama et al., 2020; Thomas, 2002), lequel influence en retour l’autodirection (Adinda et al., 2019).

La figure 1 tente une synthèse de tous ces éléments en présentant les déterminants de l’autodirection et leur relation avec la résolution de problèmes, fondés sur la collaboration et l’utilisation d’un forum de discussion.

2. Hypothèses de recherche et méthodologie

2.1 Hypothèses

Aucune étude à notre connaissance ne s’est intéressée à la mise en place d’un scénario pédagogique, articulant l’utilisation d’un forum électronique et un scénario d’apprentissage par résolution de problèmes mobilisant la collaboration, pour développer l’autodirection des participants, notamment dans un contexte de formation hybride à l’entrepreneuriat, d’où l’intérêt de ce travail.

La recherche dont nous rendons compte ici poursuit deux objectifs :

  1. étudier les effets d’un scénario d’apprentissage collaboratif par la résolution de problèmes dans une formation hybride soutenue par l’utilisation du forum électronique sur le développement de l’autodirection;

  2. mieux comprendre comment l’autodirection, en tant que compétence transversale, peut s’exercer à la fois de façon générique et sur des contenus particuliers.

Figure 1

Déterminants de l’autodirection dans les situations d’apprentissage par la résolution de problèmes nécessitant l’utilisation d’un forum de discussion

Déterminants de l’autodirection dans les situations d’apprentissage par la résolution de problèmes nécessitant l’utilisation d’un forum de discussion

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Compte tenu des éléments que nous venons de voir, notre première hypothèse prévoit que l’intégration d’un forum électronique comme moyen de collaboration dans des situations d’apprentissage par la résolution de problèmes lors d’une formation hybride devrait favoriser le développement de l’autodirection dans le domaine étudié. Notre deuxième hypothèse prévoit que ce type de scénario contribue également à améliorer l’autodirection des étudiants en contexte d’apprentissage général. Notre troisième hypothèse prévoit que le sentiment d’autoefficacité des étudiants prédit le développement de l’autodirection dans le domaine étudié et en contexte général.

2.2 Dispositif étudié

La formation hybride étudiée est le master en sciences informatiques et en technologies de l’information offert par l’EIT Digital Academy, et plus particulièrement le module axé sur l’innovation et l’entrepreneuriat. Ce module se termine par l’organisation à Paris d’un regroupement qui est aussi celui de démarrage (kick-off) pour les nouveaux inscrits. L’hybridation consiste ici à proposer des activités d’apprentissage en ligne avant les jours en présentiel, et pour lesquelles les étudiants sont répartis en groupes. Ceux-ci ont pour tâche d’analyser un modèle d’entreprise en se référant à un grand acteur de l’économie numérique tel que Facebook, Twitter, Google, Spotify, Amazon, etc. L’objectif est de préparer un travail d’équipe sur un défi commercial qui sera réalisé en présentiel lors du regroupement. L’outil de communication mis à leur disposition est un forum de discussion.

Les enseignements reposent sur une démarche d’apprentissage par la résolution de problèmes (Bencherqui et al., 2018), pour deux principales raisons : 1) les bénéfices supposés répondent aux attentes du monde de l’entrepreneuriat; 2) le caractère hybride et le soutien à l’apprentissage apporté par la mise en place d’un forum électronique permettent à des étudiants résidant dans plusieurs pays différents de travailler ensemble.

Pour faciliter la discussion et favoriser l’apprentissage à distance, chaque groupe est encadré par un ou deux accompagnateurs présents en tant que modérateurs des discussions. Pour chaque défi commercial, des ressources en ligne sont à la disposition des étudiants (tableau 1), qui restent toutefois libres d’utiliser d’autres ressources afin de compléter les informations dont ils peuvent avoir besoin. Pour réaliser la tâche, les participants doivent réagir aux commentaires/analyses réalisés par les autres étudiants de leurs groupes, puisque l’objectif est de collaborer pour proposer une synthèse argumentée qui représente les idées des membres de l’équipe. Un nombre minimum de mots est requis pour encourager l’analyse approfondie des sujets étudiés et avoir une réponse développée à un commentaire ou une réaction des autres participants. Il est également possible de participer à la discussion et à l’analyse d’un sujet traité par un autre groupe. Le tableau 1 présente l’organisation générale des activités.

Tableau 1

Organisation générale des activités avant et pendant le regroupement

Organisation générale des activités avant et pendant le regroupement

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2.3 Observation et instruments de recueil des données

L’étude a porté sur les 295 participants inscrits au regroupement. Un courriel d’invitation à renseigner les questionnaires sur la base du volontariat leur a été envoyé avec le lien vers le questionnaire en ligne, dans lequel le formulaire de consentement était également présenté avant le démarrage du module, puis à la fin du module. Seuls 75 étudiants ont répondu de façon exploitable aux pré- et post-tests.

Trois instruments ont été utilisés dans le but de mettre nos hypothèses à l’épreuve. Le premier instrument a été conçu pour vérifier la disposition des étudiants à l’autodirection dans le module spécifique consacré à l’entrepreneuriat. Il est composé par 12 énoncés répartis sur trois indicateurs ou sous-échelles : l’autodétermination (4 items), l’autoefficacité (4 items) et l’autorégulation (4 items). Les participants doivent se positionner sur une échelle de Likert allant de « pas vrai du tout pour moi » à « tout à fait vrai pour moi ». L’alpha de Cronbach de cette échelle est de 0,86.

Pour évaluer l’autodirection des étudiants en contexte d’apprentissage général, nous avons eu recours à l’échelle de disposition à l’apprentissage autodirigé ou self-directed learning readiness scale (Fisher et al., 2001; Fisher et King, 2010). Cet instrument est composé de 29 énoncés répartis en trois sous-échelles : autogestion ou self-management (10 items), désir d’apprendre (9 items) et maîtrise de soi ou self-control (10 items). Pour répondre, les participants doivent aussi se positionner sur une échelle de Likert allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ». L’alpha de Cronbach de cette échelle est de 0,86.

Quant au sentiment d’autoefficacité, il a été mesuré au moyen de l’échelle d’autoefficacité en contexte d’apprentissage ou academic self-efficacy scale (Kim et Park, 2000). Cette échelle est composée de 25 énoncés de type échelle de Likert et répartis sur trois sous-échelles : la préférence pour les tâches difficiles (8 items), la confiance en soi (8 items) et l’efficacité en autorégulation (9 items). L’alpha de Cronbach de cette échelle est de 0,73.

Nous avons calculé les scores des participants à chaque échelle et sous-échelle et avons réalisé un test t apparié pour juger de l’éventuelle significativité de l’évolution des scores entre le pré- et le post-test. Des tests de corrélation de Pearson ont ensuite été réalisés pour mettre au jour le lien éventuel entre l’autodirection des participants dans le module suivi et leur disposition à l’apprentissage autodirigé en général. Une analyse par régression linéaire multiple a également été réalisée pour vérifier si l’autoefficacité était un prédicteur de l’autodirection dans le module étudié, ainsi que dans un contexte d’apprentissage plus général.

3. Résultats

3.1 Autodirection des étudiants dans le module d’entrepreneuriat

Les scores à l’échelle de disposition à l’autodirection dans le module d’entrepreneuriat augmentent de manière significative entre le pré-test et le post-test (t = 1,63; p < 0,10 à ddl = 74), la moyenne passant de 85,28 à 87,16.

Cette augmentation provient de deux des trois sous-échelles : celle de l’autodétermination, dont la moyenne passe de 26,87 à 28,19 (t = 2,68; p < 0,01 à ddl = 74) et qui englobe la liberté d’agir, l’engagement et la proactivité, et celle de l’autoefficacité, dont la moyenne passe de 27,16, à 28,29 (t = 2,15; p < 0,05 à ddl = 74) et qui renvoie au sentiment d’être capable de porter un regard critique et de réaliser des activités liées au module. Notre première hypothèse se trouve ainsi validée, par deux des trois sous-échelles.

3.2 Autodirection des étudiants en contexte d’apprentissage général

Les scores globaux des étudiants à l’échelle de disposition à l’apprentissage autodirigé ou self-directed learning readiness scale (Fisher et al., 2001; Fisher et King, 2010) augmentent entre le pré-test et le post-test, passant d’une moyenne de 118,3 à 119, sans que cette augmentation soit significative (t = 0,991; ns à ddl = 74).

Lorsque l’on s’intéresse à chacune des sous-échelles prises isolément, la compétence des étudiants à autogérer leur apprentissage augmente néanmoins de manière significative (t = 2,35; p < 0,05 à ddl = 74), la moyenne passant de 38,27 à 39,13. Cette compétence recouvre, entre autres, l’aptitude des étudiants à contrôler leurs activités, à réguler les stratégies et à persister dans une tâche. Ce résultat montre que le scénario pédagogique mis en oeuvre n’a pas vraiment réussi à améliorer la disposition des étudiants à l’apprentissage autodirigé. Notre deuxième hypothèse est donc invalidée.

3.3 Corrélations entre les sous-échelles de l’autodirection dans le module d’entrepreneuriat et en contexte d’apprentissage général

Ces premiers éléments montrent que l’autodirection des étudiants en entrepreneuriat a augmenté de façon plus importante que l’autodirection en contexte d’apprentissage général. Pour répondre à la question du lien entre ces deux aspects de l’autodirection, nous avons réalisé une série de tests de corrélation de Pearson qui montre que toutes les sous-échelles des deux instruments sont positivement corrélées (tableau 2). Au-delà des différences d’augmentation des scores entre l’autodirection en contexte particulier et en contexte général, il existe bien un lien entre chacune des sous-échelles de ces deux dimensions de l’autodirection.

Tableau 2

Résultats des tests de corrélation (R de Pearson) entre l’autodirection en entrepreneuriat et en contexte général

Résultats des tests de corrélation (R de Pearson) entre l’autodirection en entrepreneuriat et en contexte général

Tous les résultats sont significatifs à p < 0,001.

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3.4 Sentiment d’autoefficacité en contexte d’apprentissage

Le niveau d’autoefficacité des étudiants en contexte d’apprentissage est passé de 91,91 au pré-test à 93,05 au post-test, ce qui constitue une augmentation significative (t = 1,62; p < 0,10 à ddl = 74). Cette amélioration provient de la sous-échelle de l’efficacité en autorégulation, qui recouvre les aspects liés à la connaissance de son aptitude à réguler ses stratégies d’apprentissage et dont le score est passé de 33,72 à 34,40 (t = 2,37; p < 0,05 à ddl = 74).

Pour voir si l’autoefficacité en contexte d’apprentissage peut être considérée ou non comme prédictrice de l’autodirection des étudiants, une analyse par régression linéaire multiple a été réalisée entre l’autoefficacité et :

  1. la sous-échelle de l’autodirection dans le module d’entrepreneuriat qui a le plus augmenté au post-test, à savoir l’autodétermination;

  2. la sous-échelle de l’autogestion, qui a le plus augmenté au post-test dans l’échelle de disposition à l’apprentissage autodirigé en contexte général.

En ce qui concerne l’autodétermination, le coefficient de corrélation avec le score d’autoefficacité en contexte d’apprentissage général est de 0,520, avec un pourcentage de variance expliquée de 23,9 %. Le caractère prédicteur est significatif (F(3, 71) = 8,76; p < 0,001), l’effet provenant de la difficulté des tâches (tableau 3; p < 0,10) et de l’efficacité en autorégulation (tableau 3; p < 0,01).

Tableau 3

Prédiction de l’autodétermination par les sous-échelles de l’autoefficacité en contexte d’apprentissage

Prédiction de l’autodétermination par les sous-échelles de l’autoefficacité en contexte d’apprentissage

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S’agissant de l’autogestion en contexte général, le coefficient de corrélation avec le score d’autoefficacité en contexte d’apprentissage général est de 0,625, avec un pourcentage de variance expliquée de 36,5 %. Le caractère prédicteur est lui aussi significatif (tableau 4; F(3, 71) = 15,17; p < 0,001), l’effet provenant ici de la confiance en soi (p < 0,05) et de l’efficacité en autorégulation (p < 0,001).

Tableau 4

Prédiction de l’autogestion par les sous-échelles de l’autoefficacité en contexte d’apprentissage

Prédiction de l’autogestion par les sous-échelles de l’autoefficacité en contexte d’apprentissage

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Il apparaît que le sentiment d’autoefficacité dans l’apprentissage, à travers notamment les sous-échelles de difficulté des tâches et d’efficacité en autorégulation, permet de prédire l’autodétermination qui constitue un élément de l’autodirection en entrepreneuriat. En outre, ce même sentiment d’autoefficacité, à travers en particulier les sous-échelles de confiance en soi et d’efficacité en autorégulation, est aussi prédicteur de l’autodirection en contexte général d’apprentissage en agissant sur la sous-échelle d’autogestion. Cet ensemble de résultats valide notre troisième hypothèse.

4. Discussion

Nous avons souhaité étudier les effets de l’utilisation du forum électronique dans un scénario d’apprentissage par la résolution de problèmes collaboratifs en modalité hybride sur l’autodirection dans l’apprentissage. Nos résultats indiquent que la combinaison du recours au forum électronique et de la résolution de problèmes collaboratifs améliore significativement l’autodirection dans le contexte d’apprentissage spécifique de l’entrepreneuriat, mais pas en contexte d’apprentissage général.

Ce résultat oblige à nuancer les observations selon lesquelles l’utilisation bien contrôlée de médias socionumériques peut soutenir l’apprentissage autodirigé (Adinda et al., 2019; Bailly et al., 2013; Deccache et al., 2019). Cette nuance provient vraisemblablement du niveau d’interaction qui doit être relativement élevé (Ng et al., 2012) et qui, dans le cas du module hybride de formation à l’entrepreneuriat, n’a sans doute été finalement que moyen. Cela dit, ces interactions sur le forum ont tout de même donné lieu à une collaboration (Assen et al., 2016) qui a permis de développer l’autodétermination et l’autoefficacité dans le module d’entrepreneuriat, et la capacité à s’autogérer en contexte général d’apprentissage.

Par conséquent, les corrélations significatives entre toutes les sous-échelles de l’autodirection en entrepreneuriat et en contexte général nous font dire que le développement de l’autodirection en référence à un contenu précis précède celui de l’autodirection en général, ce qui est conforme aux observations de Fisher et al. (2001) dans un autre contexte de formation. L’autodirection reste une compétence transversale et se construit en contexte, mais qui ne se manifeste pas forcément à l’identique hors contexte.

Ce travail nous a également permis de constater que le sentiment d’autoefficacité est un bon prédicteur de l’autogestion et de l’autodétermination, qui sont des éléments constitutifs de l’autodirection. Ainsi, si le but d’un module de formation est d’améliorer l’autodirection, en plus du développement de compétences particulières ou de l’acquisition de connaissances spécifiques, il paraît utile de jouer sur le sentiment d’efficacité en autorégulation qui agit sur l’autodirection à la fois en et hors contexte. C’est d’autant plus intéressant que cet élément est constitutif de la motivation et de la capacité à collaborer (Cosnefroy et Lefeuvre, 2018).

Nous nous sommes limités aux effets de la mise en place d’un forum de discussion et d’un scénario d’apprentissage par la résolution de problèmes dans un module d’apprentissage spécifique à l’entrepreneuriat. Il n’est pas exclu que d’autres variables que nous n’avons pas contrôlées, comme le profil des participants, le rôle des coaches ou bien encore des matériels pédagogiques mis à la disposition des étudiants pendant la formation, aient pu jouer un rôle dans le développement de leur autodirection. Bien que plus difficiles à contrôler, ce sont les apports de ces aspects sur l’autodirection qui nous paraissent désormais intéressants à étudier, afin de mieux adapter les scénarios d’apprentissage visant à développer l’autodirection des apprenants.