Corps de l’article

Introduction

Depuis son apparition le 16 novembre 2019 à Wuhan en Chine, la pandémie de COVID-19 provoquée par le coronavirus SRAS-CoV-2 a bouleversé la vie du monde entier. Les États se sont activés non seulement pour la comprendre mais aussi pour limiter sa propagation. Soutenant les efforts des pays touchés par cette pandémie, le gouvernement camerounais a mis en place plusieurs mesures restrictives allant de la limitation des déplacements jusqu’à la fermeture des frontières et des établissements scolaires. D’un point de vue éducatif, le gouvernement chiffrait à 347 000 le nombre d’étudiants directement affectés par la fermeture des établissements universitaires à cause du coronavirus (UNESCO, 2020).

Devant l’ampleur de la pandémie, une seule question demeure : comment poursuivre les cours dans ce contexte de COVID-19? Cette crise qui sévit a contraint les enseignements à basculer vers les formations ouvertes et à distance (FOAD) pour non seulement assurer une continuité pédagogique mais aussi maintenir une relation éducative entre enseignants et étudiants afin d’éloigner le spectre d’une année blanche. Cette situation implique des environnements adaptés comme les plateformes d’apprentissage pour des activités pédagogiques, mais aussi des pratiques communicationnelles spécifiques aidées par les TIC (Audran et Garcin, 2011). Comme l’intégration des TIC est fonction du développement politique, économique et social (Depover, 1996; Fonkoua, 2008; Karsenti et Tchameni Ngamo, 2009), chaque pays a fait recours à ses ressources technologiques pour permettre aux étudiants d’être en contact avec leurs enseignants. Si les pays du Nord ont exploité les environnements numériques de travail, ceux du Sud et particulièrement le Cameroun ont encouragé l’usage des réseaux sociaux tels que WhatsApp (Béché et Djieufack, 2020; Mah, 2021). Dans cette circonstance, le présent article s’interroge sur l’application WhatsApp et ses spécificités quant à l’assurance d’une véritable continuité pédagogique.

1. Problématique

Avec l’avènement du numérique, les réseaux sociaux ont pris une place capitale dans le quotidien de nombreux jeunes (Naffi et Davidson, 2015). Il suffit de s’attarder sur leur popularité pour comprendre l’ampleur prise par ce phénomène. L’effervescence de l’adoption de ces technologies est telle que nul ne peut en ignorer l’importance dans le quotidien de nombreux jeunes. Les recherches réalisées par Boyd et Ellison (2007), Cardon (2008),Crompton (2013) ou encore Soep (2014), expliquent cette adoption de masse par le caractère instantané des interactions en ligne qui diffère des interactions directes ou « en face à face ». Alors que dans les interactions directes, les différentes sphères sociales (amis, famille et collègues) sont séparées les unes des autres par des contextes différents, sur les réseaux sociaux, elles se côtoient (Lampinen et al., 2009). À ces écrits, Petiau (2011) et Balbo (2020) ajoutent que ces réseaux sociaux offrent un grand potentiel de multiplication des relations sociales, ce qui, en réduisant virtuellement la distance entre les individus, permet à chacun de s’adresser à un groupe plus large.

Dans le monde universitaire, ces réseaux sociaux sont davantage présents. WhatsApp, par exemple, permet de créer des forums regroupant ainsi plusieurs participants d’une même spécialité, d’un même niveau d’études, d’un même cycle ou encore d’un même service administratif (Boyd, 2014; Naffi et Davidson, 2015). Fort de cela, ce réseau social a été sollicité durant la pandémie de COVID-19 par plusieurs établissements universitaires pour assurer la continuité pédagogique. Dans ce travail, nous cherchons à vérifier si l’usage de WhatsApp a assuré une formation à distance entre étudiants et enseignants pendant la pandémie. L’objectif de cette étude est d’analyser les échanges au sein des communautés virtuelles. Pour cela, notre question directrice est formulée de la façon suivante : de quoi parlent les étudiants dans des forums de discussion?

2. Cadre théorique

Nous reprenons ici le cadre théorique que nous avons adopté dans une étude précédente (Dounla, 2020). Le paradigme de l’apprentissage coopératif dans les groupes avancés par Bourgeois et Nizet (1997) nous semble intéressant pour servir de cadre théorique. Ces deux auteurs développent trois approches théoriques pour expliquer les échanges dans les communautés virtuelles : l’approche socioconstructiviste, l’approche socioculturelle et l’approche de la cognition distribuée.

Sur le plan de l’approche socioconstructiviste, la théorie de l’apprentissage coopératif met en avant les échanges entre individus en interaction dans une communauté virtuelle ou réelle. Les connaissances apportées par autrui lors d’une conversation peuvent favoriser la construction des compétences professionnelles chez tous les participants. Les facteurs tels que la composition du groupe, le rôle du tuteur et l’argumentation des points de vue de chacun sont indispensables pour créer l’apprentissage coopératif.

Adoptant l’axe socio-culturel, Bourgeois et Nizet (1997) mentionnent l’influence des travaux de Vygotsky qui a mis en avant la relation de cause à effet qui existe entre les interactions sociales et les développements cognitifs individuels. Ici, c’est l’étude de la zone proximale de développement qui le différencie de l’approche socioconstructiviste. Cette zone proximale de développement se définit comme la différence entre le niveau de développement réel d’un individu lorsque celui-ci résout seul un problème et son niveau de développement potentiel lorsqu’il résout un problème avec l’aide d’un adulte ou en collaboration avec des pairs plus expérimentés. C’est par l’interaction autour d’une activité que les compétences et les savoirs peuvent être explicités et que les membres d’un groupe peuvent dégager des stratégies pour atteindre des objectifs communs. L’apprentissage coopératif se met donc en évidence à partir d’un groupe qui partage un même savoir. Chaque participant donne du sens à l’action des autres en fonction de son cadre culturel de référence.

L’approche de la cognition distribuée considère l’apprentissage comme un processus d’enculturation et met en avant l’authenticité du contexte social et matériel dans lequel cet apprentissage est réalisé. Si les deux approches développées précédemment s’intéressent uniquement aux aspects individuels et interindividuels de l’apprentissage coopératif, le courant de la cognition distribuée intègre le groupe en insistant sur le fait qu’une culture de groupe naît d’un travail coopératif et que cette culture peut influencer considérablement le processus de coopération et donc le processus d’apprentissage.

L’analyse des trois approches ci-dessus portant sur l’apprentissage coopératif confirme le caractère important de cette théorie dans le cadre d’une étude sur les échanges entre individus en ligne. Dans le cadre de ce travail, ces orientations vont permettre d’élaborer trois niveaux de compréhension et d’analyse différents : individuel, interindividuel et social. Cette recherche montre que le processus de réflexion et d’action concerne le participant individuellement lorsqu’il contribue significativement à la communauté. Le niveau interindividuel est concerné par le partage ou l’échange, et le cadre social renvoie aux conditions d’entrée, de participation et d’apprentissage liées au fonctionnement de la communauté (Bourgeois et Nizet, 1997).

2.1 Le réseau social WhatsApp

Depuis 2010, WhatsApp est devenu l’un des réseaux sociaux les plus populaires et manipulés par les jeunes. Contrairement aux autres moyens de communication synchrones comme les vidéoconférences ou les espaces de clavardage qui nécessitent la connexion en plein temps, l’usager n’est pas obligé d’être sur le réseau pour communiquer dans ce réseau social (Kear, 2011). Comme le rappelle Cetinkaya (2017), WhatsApp, avec ses nombreux services, facilite la communication et la diffusion d’information. En outre, les échanges entre usagers peuvent être réalisés différemment en mettant l’accent sur la communication privée (clavardage) ou la communication publique (possibilité d’écrire des textes publics et de commenter les textes des autres). Les services de ce réseau social sont utilisés par les particuliers, les entreprises et les sociétés comme un outil de marketing permettant de toucher rapidement un grand nombre de consommateurs.

Dans le monde universitaire, de nombreux auteurs tels que Bouhnik et Deshen (2014) soulignent l’implication de ce réseau social dans l’éducation. Ces derniers expliquent cela par l’importance des interactions dans les groupes de discussion. Pour Aljaad (2017), la proximité qui se crée lors des échanges entre enseignants et apprenants est de nature à produire un climat de confiance entre les membres. En effet, comme l’indique Cetinkaya (2017), l’enseignant peut créer de nombreux forums où il regroupe ses apprenants afin de partager avec eux des textes, des images, des photos, de l’audio, de la vidéo, des liens et des documents. Il peut aussi, selon Mah (2021), décider de laisser le forum en accès libre où tous les participants peuvent écrire, exprimer leurs préoccupations en rapport avec le cours ou alors laisser uniquement aux administrateurs du forum la priorité d’écrire ou de poster des images à caractère pédagogique.

2.2 Enjeux de l’utilisation de WhatsApp en formation à distance

Dans les pays du Sud, les réseaux sociaux tels que WhatsApp pourraient offrir des avantages spécifiques. Du point de vue de Bouhnik et Deshen (2014), cette application propose un rythme de travail de proximité envers les couches défavorisées où l’accès à des ordinateurs n’est pas garanti, mais où en revanche le téléphone mobile est largement répandu. De leur côté, Valk et al. (2010) soulignent que ce réseau social pourrait permettre aux milliers d’étudiants de se former à distance et de concilier plus aisément leur vie privée et leur vie scolaire en évitant les temps de déplacement jusqu’aux établissements de formation.

Décrivant l’usage de ce réseau social en milieu universitaire, Aljaad (2017) et Mah (2021) précisent que celui-ci favorise le développement des relations interpersonnelles entre étudiants et enseignants lors d’une communication hors classe par la diffusion des supports, des vidéos, des sites Internet pour des recherches supplémentaires, etc. De même, Kumar et Leeman (2013) indiquent que cette collaboration peut être facilitée par l’interaction synchrone ou asynchrone en ligne dans les communautés virtuelles. D’ailleurs, à ce sujet, Preece et Maloney-Krichmar (2003) et Charnet (2018) notent que ces groupes virtuels constituent un excellent outil de partage de l’information et d’acquisition des compétences.

Bref, la littérature scientifique abonde sur la portée de WhatsApp dans le contexte de formation universitaire. Si les pays du Sud en font un outil privilégié de formation, c’est grâce aux attraits mentionnés ci-haut. Son usage est fortement corrélé avec le développement de compétences en technologies éducatives chez les enseignants et les étudiants (Bourgeois et Nizet, 1997; Daele, 2014; Diakhaté et Akam, 2015; Mian, 2012).

Nonobstant ces potentialités reconnues aux outils numériques, il est important de noter que les pays du Sud et spécifiquement le Cameroun connaissent des obstacles qui freinent leur intégration en milieu universitaire. Parmi ces obstacles, on cite entre autres la régularité des pannes électriques, le délestage intempestif, la mauvaise qualité de la bande passante, les équipements vétustes, la démotivation des enseignants vis-à-vis du numérique éducatif et l’indigence des étudiants. Durant la COVID-19, ces différents facteurs ont poussé de nombreuses universités à faire le choix du réseau social WhatsApp comme plateforme d’échange, une application gratuite, rapide, efficace et facile à utiliser.

3. Orientations méthodologiques

Le cadre d’appui de cet article étant la théorie de l’apprentissage coopératif, nous décidons de mener une recherche essentiellement exploratoire et qualitative. L’étude s’est déroulée durant le mois de juin 2020 dans la ville de Bafang qui abrite trois instituts universitaires, à savoir : l’Institut universitaire royal de Baboutcha-Nintcheu, l’Université internationale Jean-Paul II et l’Institut universitaire du golfe de Guinée. Comme nous voulons vérifier si WhatsApp a assuré une formation à distance, nous avons sélectionné deux établissements ayant effectivement utilisé ce réseau social à titre pédagogique notamment : l’Université internationale Jean-Paul II et l’Institut universitaire royal de Baboutcha-Nintcheu. Pour la collecte des données, nous avons fait recours à l’observation des traces numériques et à l’entretien.

En ce qui concerne les traces numériques, nous avons fait le choix de suivre un enseignant par université sur une durée d’un mois pendant la pandémie de COVID-19. Cette technique d’échantillonnage par intervalle de temps est, selon Herring (2004), plus appropriée pour la présente recherche, car adaptée pour des pratiques discursives. Le tableau 1 présente un aperçu général de notre corpus.

Pour être plus complet, nous avons mené des entretiens semi-directifs (verbatim des étudiants) pour recueillir les sentiments et les motivations des participants. Pour faciliter cette collecte des données, nous avons utilisé, d’une part, un magnétophone ainsi que nos notes personnelles et, d’autre part, nous avons été autorisé par les instances de l’Université à recevoir par transfert dans notre mobile les fils de discussion des différents forums.

Tableau 1

Aperçu général du corpus

Aperçu général du corpus

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Pour le traitement des données recueillies, nous avons fait le choix de l’analyse de contenu. Plus précisément, nous avons procédé à une analyse thématique manuelle selon Paillé et Mucchielli (2012), en opposition à une analyse mécanisée à l’aide d’un logiciel spécifique. Cela induit une lenteur du processus d’analyse, mais cette lenteur permet une sensorialité plus fine, plus attentive. De plus, selon ces auteurs, le travail artisanal permet un contact plus charnel avec les matériaux, et par conséquent des analyses bien incarnées. Le matériau ici représente le corpus obtenu à partir des entretiens semi-directifs réalisés avec 4 étudiants et 1 enseignant par université, soit un total de 10 entretiens. Pour ce qui est des forums, notamment des groupes WhatsApp créés pour favoriser la continuité pédagogique, nous avons choisi d’analyser les traces numériques. Dans les deux cas ci-dessus, nous avons effectué un découpage et un codage du contenu en unités de sens appelées « unités d’information » qui, selon Chartier (2003, p. 55), désignent une idée « provenant d’une source quelconque, mise en forme et acheminée par un média et comprise par des membres de son auditoire ». Il s’agit donc d’un contenu informatif circonscrit à l’intérieur d’une nouvelle. Nous avons ensuite réparti les unités d’information dans une grille d’analyse pour le corpus des entretiens et dans une trousse de codage pour le corpus issu des traces numériques. À partir de la compilation de données, nous avons utilisé le logiciel Microsoft Excel pour avoir des résultats sous forme de moyennes et de pourcentages ou représentés graphiquement par des histogrammes nécessaires à l’interprétation.

4. Résultats et discussions

Parmi les retombées de la COVID-19 susceptibles d’affecter directement les jeunes étudiants, on note le recul des apprentissages et une hausse du taux d’abandon scolaire. À ce stade de la crise sanitaire où on voit émerger de grandes inégalités qui caractérisent les familles dans le monde, les gouvernements des pays africains se sont vus obligés d’accentuer des mesures barrières pour lutter contre la déscolarisation et la déperdition scolaire. Si les universités publiques ont, par leurs ressources, opté pour des plateformes numériques de travail, celles du privé ont choisi d’exploiter les fonctionnalités qu’offrent aujourd’hui de nombreux réseaux sociaux tels que WhatsApp. Cette application donne la possibilité de créer des communautés virtuelles et de les utiliser à une fin quelconque.

4.1 Présentation des résultats issus des traces d’activités

Comme nous l’avons précisé au niveau de la méthodologie, les données collectées dans chaque groupe ont été classifiées en trois catégories de savoirs : cognitifs, socioaffectifs, culturels et politiques.

Le tableau 2 fait état de nos trois catégories avec leurs items respectifs. Dans notre étude, chaque fil de discussion est renvoyé à un item selon l’analyse de contenu que nous avons profilée au niveau de la méthodologie (Paillé et Mucchielli, 2012). Au total, nous avons dénombré 1 787 fils de discussion, soit respectivement 931 pour l’Institut universitaire royal de Baboutcha-Nintcheu et 856 pour l’Université internationale Jean-Paul II.

Tableau 2

Catégorisation des fils de discussion

Catégorisation des fils de discussion

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L’observation des échanges au sein des forums de discussion présente une forte représentativité des items suivants (figure 1) : questions/réponses, civilités, explications du cours, partage des exercices et travaux dirigés.

Figure 1

Aperçu des fils de discussion dans les groupes WhatsApp

Aperçu des fils de discussion dans les groupes WhatsApp

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Sur 1 787 traces numériques collectées, 532 ont porté sur le jeu de questions-réponses entre enseignants et étudiants, soit respectivement 274 pour l’Université internationale Jean-Paul II, matérialisé en bleu clair, et 258 pour l’Institut royal de Baboutcha-Nintcheu, matérialisé en bleu sombre. Après les civilités d’usage (168 et 201 fils), l’enseignant partage le cours (4 et 8 fils) puis continue avec des explications (187 et 236 fils). En ce qui concerne le partage des exercices et des travaux dirigés, on note respectivement 106 et 144 fils pour chaque école. Ce premier constat montre non seulement la dimension sociale par la fluidité des échanges, mais surtout la dimension pédagogique par le contenu des traces. Cela participe à ce que Depover et al. (2013) appellent l’« intelligence collective ». Par un exemple concret, ces auteurs montrent la capacité d’un groupe de personnes à s’organiser et à produire une oeuvre collective en exploitant la synergie dans un forum de discussion. Ayant des compétences complémentaires, se faisant confiance, réuni autour d’un projet commun aux objectifs partagés par tous, le groupe construit une coopération efficace.

Toujours selon la figure 1, les items se rapportant aux gratifications et aux frustrations faisant suite aux réponses des élèves ont été mentionnés. L’Université internationale Jean-Paul II a respectivement 72 et 8 fils et l’Institut royal de Baboutcha-Nintcheu 43 et 15 traces. Notons ici qu’il s’agit d’expressions telles que « Bien, Bravo, Félicitations, etc. » pour les gratifications et « médiocre, faible, nul, etc. » pour les frustrations. Les échanges liés aux questions de santé (13 et 21 fils), aux questions politiques (9 et 2 fils) et à la publication des vidéos et photos divertissantes (11 et 7 fils) successivement pour l’Université internationale Jean-Paul II et l’Institut royal de Baboutcha-Nintcheu ont également été observés. Cette deuxième partie des résultats que nous exposons met en lumière le côté social de ces forums basés sur les interactions socioaffectives entre les participants. Comme l’a démontré Kear (2011), les groupes de discussion participent à la fois à la manifestation de la détresse et à la construction d’une relation intime marquée par une connaissance et une satisfaction. L’application des renforcements lors des échanges permet d’animer le groupe et de rester fixé sur l’objet du cours. Somme toute, le récapitulatif des résultats par catégories présenté dans la figure 2 montre la forte dominance de la catégorie cognitive lors des échanges entre enseignants et apprenants.

Figure 2

Aperçu des fils de discussion par catégorie dans les deux universités

Aperçu des fils de discussion par catégorie dans les deux universités

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Les informations issues de la figure 2 montrent le rôle actif joué par l’usager au sein des communautés virtuelles. En posant des questions à l’enseignant ou en répondant aux siennes, l’étudiant devient un producteur qui participe activement à la création des contenus disciplinaires. Même si les bavardages, les petites nouvelles et les pensées personnelles se sont invités durant les cours, il n’en demeure pas moins que WhatsApp a été utilisé comme un instrument pédagogique. La catégorie réservée aux savoirs cognitifs pour les deux universités est largement au-dessus de la moyenne. Du côté de l’Université internationale Jean-Paul II, on a 575 fils (67,2 %), et pour celle de l’Institut universitaire royal de Baboutcha-Nintcheu, 642 fils (69,0 %). Ce score élevé montre que WhatsApp présente de nombreux avantages en contexte scolaire. D’abord un dispositif de divertissement, de téléchargement et de communication, il est davantage perçu comme une plateforme d’information et de formation en ligne (Bourgeois et Nizet, 1997). À cela, ajoutons les résultats des savoirs socioaffectifs, soit 248 (29,0 %) et 259 fils (27,8 %), et ceux des savoirs socioculturels, soit 33 (3,9 %) et 30 fils (3,2 %) respectivement pour chacune des universités ci-haut. Pour une utilisation pédagogique de ce réseau social, il est impératif que l’usage de WhatsApp soit conscient, transparent et réfléchi.

4.2 Présentation des résultats issus de l’entretien semi-directif

WhatsApp comme plateforme de formation à distance

Sur la question de la considération du réseau social WhatsApp comme un outil d’enseignement et d’apprentissage à distance, les étudiants interrogés affirment avoir bénéficié d’une communication aisée en temps réel et en distanciel entre eux puis avec leur enseignant. Cette application est présentée comme un outil capable de créer des contextes où l’on peut apprendre à distance, sans distance. De l’avis des étudiants, il y a « réactivité des participants », « pas de contrainte de temps », « liberté d’expression ». Avec sa messagerie instantanée et ses multiples fonctions (appels, vidéo…), WhatsApp offre des possibilités d’apprentissage qui, à bien des égards, n’auraient pas grand-chose à envier à des façons habituelles d’enseigner dans une salle de classe. Facile à installer et simple à utiliser, ce réseau social développe des pratiques communicationnelles hors classe. En effet, il offre la possibilité de créer des groupes fermés qui peuvent être utilisés comme des prolongements ou des compléments à une formation en présentiel. À ce titre, il constitue alors la partie en ligne d’une formation hybride. Dans un groupe, il est possible d’échanger de nombreux articles différents, de partager des ressources vidéo, audio…, de programmer des rencontres tel un système de gestion de l’apprentissage (learning management system).

WhatsApp : un espace de co-construction des connaissances

L’accès rapide aux échanges est incontestablement l’un des principaux avantages qu’offre le réseau social WhatsApp. Comme les étudiants sont à l’aise pour communiquer avec cet outil et que les réponses aux questions posées arrivent rapidement, le partage des savoirs et la possibilité d’avoir plusieurs avis sur un thème permettent un processus collaboratif de co-construction des connaissances. Selon les étudiants que nous avons interviewés, cette application permet « de développer l’esprit de curiosité » en élargissant les discussions entre les membres. Avant toute chose, c’est d’abord un espace de travail qui favorise non seulement une collaboration de proximité entre les différents participants, mais aussi une nouvelle manière d’apprendre par imprégnation. Il s’agit d’un environnement de travail totalement bénéfique pour l’apprentissage hors classe.

À partir des discours collectés grâce à notre grille d’entretien, on note une satisfaction totale vis-à-vis du dispositif WhatsApp. Les discussions, les clarifications du professeur à la suite du dépôt du cours et les interventions des participants sont entre autres des facteurs qui contribuent à faire émerger de nouvelles connaissances. Et par cette occasion, il se développe une pédagogie interactive au sein des communautés virtuelles, par exemple : apprentissage par problème, groupe d’échange de pratique, étude de cas, réalité virtuelle, jeu de rôle, simulation (Diakhaté et Akam, 2015; Mian, 2012). Allant dans ce sens, Bourgeois et Nizet (1997) avancent la notion du conflit sociocognitif. Quel que soit l’objet du groupe, les différents membres discutent et échangent leurs points de vue, ce qui confirme le caractère conflictuel de ces communautés virtuelles. Pour ces auteurs, ces situations d’échange favorisent une décentration. En conversant avec un partenaire, l’individu se rend compte de ses lacunes et reçoit explicitement de nouvelles connaissances qu’il n’aurait jamais obtenues dans une perspective solitaire.

WhatsApp : le tutorat de l’enseignant lors des échanges entre étudiants

Aujourd’hui, les enseignants sont obligés de s’arrimer de plus en plus aux pratiques discursives en ligne pour répondre aux attentes générales des étudiants actuels qualifiés d’enfants du numérique (digital natives). Si dans le contexte classique, certains se permettaient d’être réfractaires aux technologies, la fermeture des écoles imposée par le coronavirus leur impose de facto de nouvelles conduites. Dans les forums de discussion, l’enseignant occupe une place capitale lors des échanges. En plus d’être le principal modérateur, il joue un rôle d’accompagnateur lors des interactions. Dans le cadre de notre étude, l’analyse des verbatim fait ressortir une forte présence de l’enseignant au côté des élèves. Comme en témoigne cette étudiante : « Nous sommes suivis et aidés dans nos apprentissages et ses interventions montrent qu’il est plus présent que nous dans le forum. » L’objectif de l’enseignant est d’apporter une assistance aux différents membres dans le processus de construction de leurs savoirs. Il joue un rôle de tuteur, de guide du groupe pour lancer et diriger des sujets de discussion et pour assurer le respect des règles de politesse.

Cependant, au-delà de la capacité de WhatsApp à favoriser l’enseignement-apprentissage en ligne dans ces deux universités, il est important de souligner que de nombreuses activités pédagogiques ont été perturbées périodiquement par des coupures électriques prolongées. En plus, même si l’application est gratuite, il n’en demeure pas moins qu’elle nécessite que les étudiants achètent de la bande passante, aient un téléphone intelligent ou soient dans une zone couverte.

Conclusion et perspectives

La pandémie de COVID-19 a bouleversé les pratiques éducatives dans le monde. Tous les pays ont été obligés de s’arrimer aux nouvelles technologies de l’information et de la communication pour faire face au recul des apprentissages. Face aux barrières qui ont limité un accès permanent aux solutions numériques innovantes (cours en ligne ouverts à tous, formation ouverte et à distance), les universités ont exploité les réseaux sociaux comme outil de formation à distance. Dans le cadre de ce travail, nous avons examiné la capacité de WhatsApp comme dispositif technique pouvant assurer la continuité pédagogique durant la COVID-19. Les échanges partagés au sein des forums de discussion ont revêtu largement une connotation cognitive au détriment des savoirs socio-affectifs et culturels faiblement représentés. La proximité des relations entre membres créée par des interactions en ligne a favorisé la circulation des informations d’ordre pédagogique.

Aussi, les perceptions des étudiants liées à l’intégration de WhatsApp en milieu universitaire traduisent une réelle satisfaction. La COVID-19 a donc permis de mettre à nu de nombreux avantages des réseaux sociaux en milieu scolaire. Outre sa fonction de socialisation et de divertissement, cette étude présente WhatsApp comme un outil technique pouvant améliorer la productivité et la continuité de l’action éducative dans un contexte hors classe. Nonobstant ces prouesses, la rupture pédagogique a révélé de nombreuses limites technologiques qui caractérisent les universités camerounaises. Il est donc urgent que nos systèmes éducatifs connaissent une véritable mutation technologique afin de faire face aux crises futures. À ce titre, loin de présenter cette crise sanitaire comme une malédiction, nous y voyons une occasion de repenser l’école à l’ère du numérique (Cerisier, 2020). Ce défi est un impératif au regard des enjeux des TIC dans l’éducation.