Corps de l’article

Introduction

Les recherches en sciences sociales qui visent à mieux comprendre des problèmes sociaux tels que la pauvreté, les inégalités et la discrimination proposent, de manière explicite ou implicite, des pistes de solution afin de s’attaquer à ces problèmes (Prasad, 2018). Ces recherches utilisent différentes stratégies pour atteindre ce double objectif de compréhension et d’intervention sociale : elles offrent des contre-discours qui contribuent à la déstigmatisation des personnes et des communautés marginalisées, elles dénoncent les formes de violence structurelle auxquelles ces personnes et ces communautés sont soumises et elles réclament des changements dans les politiques publiques, parmi bien d’autres exemples (Collins et al., 2017; Hansen et al., 2013). L’approche ethnographique présente plusieurs avantages pour les chercheurs et chercheuses qui souhaitent favoriser le changement social avec leurs travaux. Les ethnographies peuvent mettre en lumière la complexité et l’humanité de personnes et de communautés qui s’en voient trop souvent privées par les discours dominants dans nos sociétés (Stuart, 2020), en reconnaissant pleinement leur expertise et le caractère multidimensionnel de leurs vies, de leurs préoccupations et de leurs aspirations (Shah, 2017). De plus, la forme narrative, l’adoption d’un style d’écriture accessible et l’attention portée aux récits et aux parcours de vie peuvent augmenter la capacité des recherches ethnographiques à interpeller des publics non universitaires (Gans, 2010), ce qui favorise en retour la participation des ethnographes au débat public et un changement potentiel des mentalités sur différents enjeux sociaux (Fassin, 2013; Wacquant, 2002).

Mon article se concentre sur l’impact social des ethnographies menées avec des populations marginalisées en examinant une stratégie de recherche promue par les anthropologues Nancy Scheper-Hughes et Philippe Bourgois, soit les « ethnographies suffisamment bonnes » (good-enough ethnographies). L’expression est apparue pour la première fois dans un ouvrage de Scheper-Hughes, Death without weeping: The violence of everyday life in Brazil (1992), qui portait sur la pauvreté, la faim et la mortalité infantile au nord-est du Brésil dans les années 1980. Les formes de privation extrêmes auxquelles Scheper-Hughes a été confrontée durant son terrain l’ont menée à affirmer que les ethnographes ne devraient pas se fixer comme objectif principal de produire des études exemptes de biais, ce qui les condamne trop souvent à un refus d’assumer des positions éthiques et politiques dans leurs travaux, mais devraient plutôt utiliser ces mêmes études afin de dénoncer les conditions précaires et violentes dans lesquelles les participants et participantes mènent leurs vies, ainsi que les forces sociales et les institutions qui contribuent à la reproduction de ces mêmes conditions (Scheper-Hughes, 1992). Le but n’est plus alors de proposer une ethnographie « parfaite » au regard de critères tels que l’objectivité ou la neutralité axiologique, mais plutôt une ethnographie suffisamment bonne pour contribuer à affronter les différents problèmes auxquels font face des personnes et des communautés qui sont laissées pour compte par les marchés, soumises à différentes formes de violence sexiste et raciste et réprimées par les États (Scheper-Hughes et al., 2021). Bourgois a ensuite utilisé l’expression à de nombreuses reprises, notamment dans ses recherches avec des usagers et usagères de drogues en situation d’itinérance à San Francisco (Bourgois & Schonberg, 2009; Schonberg & Bourgois, 2002), afin d’inviter les ethnographes à employer les outils de diffusion des savoirs auxquels ils et elles ont accès (lettres ouvertes, photos, conférences, expositions, etc.) pour mettre en lumière, dans une perspective critique, la souffrance imposée à des populations vulnérables, ainsi que les forces sociales qui participent à la reproduction de cette même souffrance (Bourgois, 2011). En définitive, l’approche « suffisamment bonne » vise à accroître l’impact social des ethnographies à partir de trois angles principaux, soit le travail de terrain, l’analyse des données et la diffusion des résultats de recherche. Mener une ethnographie suffisamment bonne suppose ainsi d’envisager le travail de terrain comme un croisement dynamique entre la collecte de données et un soutien direct aux participants et participantes, afin de les appuyer autant que possible, au cours des recherches, avec la résolution de différents problèmes auxquels ils et elles font face. Une analyse « suffisamment bonne » invite ensuite à mettre en lumière les formes de violence (structurelle, économique, symbolique, etc.) auxquelles les personnes et les communautés qui participent aux études sont soumises, afin de lutter contre une normalisation ou une banalisation de leur souffrance et des conditions dans lesquelles ils et elles mènent leurs vies. Cette approche implique finalement une utilisation des résultats de recherche axée sur la mobilisation auprès des autorités et la défense, dans l’espace public, de stratégies pour affronter les problèmes sociaux examinés dans les recherches ethnographiques (Bourgois, 1999; Scheper-Hughes, 1997; Scheper-Hughes & Bourgois, 2004).

La promotion par Scheper-Hughes et Bourgois des ethnographies suffisamment bonnes, par l’entremise desquelles les ethnographes agissent comme des témoins actifs et actives qui dénoncent et qui tentent, avec les divers moyens à leur disposition, de contrer les violences et les injustices observées sur le terrain plutôt que de simplement les analyser (Scheper-Hughes, 1995), peut être interprété entre autres comme une réaction à la crise qu’a traversée l’anthropologie au cours des années 1980, avec la remise en cause de l’« autorité ethnographique » et les critiques sévères portant sur le rôle des travaux anthropologiques dans la reproduction de l’ordre colonial et postcolonial, qui ont mené à une réflexion approfondie sur les buts et les usages de l’approche ethnographique (Fassin, 2008). Les ethnographies suffisamment bonnes peuvent également être associées à la place croissante occupée par la souffrance sociale comme objet d’étude en anthropologie, et plus largement en sciences sociales, depuis les quatre dernières décennies (Kleinman et al., 1997; Ortner, 2016). Cet accent mis sur la souffrance sociale, qui peut être définie comme le croisement entre la souffrance individuelle, tant physique que psychologique, et des forces sociales plus larges (Rousseau, 2000), a toutefois été critiqué par un certain nombre d’analystes qui y décèlent un risque que les chercheurs et chercheuses réduisent les participants et participantes aux désavantages et aux difficultés avec lesquels ils et elles doivent conjuguer au quotidien (Robbins, 2013). Pour éviter un tel risque, les chercheurs et chercheuses devraient aussi prêter attention aux stratégies employées par les participants et participantes afin de mener des vies épanouies, malgré les différentes formes de privation et de marginalisation qui caractérisent leurs trajectoires personnelles et collectives (Anjaria & Anjaria, 2020; Biehl & Locke, 2010; Millar, 2018).

Je souhaite contribuer ici aux réflexions théoriques et méthodologiques sur les ethnographies suffisamment bonnes, tout en prenant en compte les critiques qui ont été adressées aux études portant sur la violence structurelle et la souffrance sociale. Je commence par présenter les avantages propres aux recherches ethnographiques qui prennent les organisations comme unité d’analyse. De telles recherches aident à mieux comprendre les stratégies que peuvent utiliser les personnes et les communautés marginalisées afin d’affronter les défis auxquels elles sont confrontées (Marwell & McQuarrie, 2013). J’expose ensuite les grands principes de l’approche participative, qui permet à certains participants et à certaines participantes de contribuer à la définition des questions de recherche, ainsi qu’à l’analyse des données ou à d’autres étapes importantes de la recherche, tout en comportant à la fois des visées de production de connaissances et de transformation sociale (Guay & Godrie, 2020). La pertinence de ces deux stratégies de recherche, l’une théorique (l’analyse ethnographique des organisations) et l’autre méthodologique (l’approche participative), est illustrée à partir de mon projet doctoral, qui consiste en une ethnographie participative avec deux organisations dédiées à l’accès au logement pour les ménages à faible revenu de Parc-Extension, un quartier au centre-ouest de Montréal. Je conclus l’article en offrant une réflexion sur le rôle des ethnographes comme intermédiaires et comme créateurs et créatrices de liens entre différents mondes sociaux, et notamment entre le monde de la recherche universitaire, les différentes communautés qui prennent part à ce type d’études et les publics, tant universitaires que non universitaires, qui lisent et critiquent les publications basées sur ces études.

L’analyse ethnographique des organisations

Les sociologues Colin Jerolmack et Shamus Khan ont identifié trois niveaux d’explication qui peuvent être utilisés dans une recherche ethnographique, soit le niveau microsociologique, le niveau mésosociologique et le niveau macrosociologique (Jerolmack & Khan, 2017). Les ethnographies se situant au niveau microsociologique se concentrent généralement sur les dynamiques interactionnelles entre les acteurs et actrices dans un environnement donné, tandis que celles qui se situent au niveau macrosociologique visent plutôt à mettre en lumière les liens entre les structures sociales et les trajectoires personnelles (Guay, 2020). Les ethnographies situées au niveau mésosociologique prêtent attention, pour leur part, au rôle joué par les organisations dans la création de significations partagées et la coordination des activités au sein d’un ou de plusieurs mondes sociaux (Fine & Hallett, 2014).

Si des chercheurs et chercheuses désirent examiner les manières dont les acteurs et actrices dans un environnement donné peuvent résoudre différents problèmes sociaux, il vaut la peine de choisir les organisations comme unités d’analyse, puisqu’elles jouent un rôle déterminant dans l’identification de ces problèmes, de leurs causes et des solutions envisageables (Andrews et al., 2010; Chen et al., 2013). L’étude d’organisations qui élaborent et mettent en oeuvre des stratégies afin d’affronter les inégalités et la souffrance sociale peut contribuer tant à l’analyse de ces inégalités et de cette souffrance qu’à celle des formes d’action collective permettant de les atténuer et de les contrer (Ortner, 2016). Bien que Bourgois, Scheper-Hughes et Holmes – parmi d’autres chercheurs et chercheuses qui promeuvent les ethnographies suffisamment bonnes – aient pris part à des mobilisations dans le cadre de leurs recherches (Holmes, 2013; Messac et al., 2013; Scheper-Hughes, 2004), les stratégies d’organisation utilisées par les populations marginalisées afin d’affronter les différents problèmes auxquels elles font face méritent une attention plus soutenue dans les travaux qui s’inspirent de cette approche. De plus, une approche ethnographique présente des avantages particuliers pour étudier les organisations, puisqu’elle permet d’examiner leur fonctionnement quotidien, comment leurs membres structurent leurs activités autour de pratiques, de récits et de buts communs, ainsi que les manières dont ces mêmes membres conjuguent avec les défis, tant internes qu’externes, auxquels l’organisation fait face (Chen, 2018; Van Maanen, 1979). L’approche ethnographique constitue ainsi une stratégie de recherche particulièrement prometteuse pour examiner l’émergence, la reproduction et la transformation des cultures organisationnelles, des routines et des règles relatives aux interactions et à l’allocation des ressources dans une ou plusieurs organisations (Hirsch & Gellner, 2001). La présence soutenue des ethnographes dans une organisation, le développement de relations fortes avec les participantes et participants au sein de cette organisation et l’observation directe des pratiques dans une variété de contextes permettent de prendre part à plusieurs situations « d’arrière-scène » (Collins, 2010, p. 8-9) et facilitent une analyse processuelle de phénomènes tels que la répartition et la contestation du pouvoir, la production de significations partagées et la définition des identités personnelles et collectives, ce qui encourage l’élaboration de portraits plus complexes et nuancés des organisations avec lesquelles les ethnographes collaborent lors de leurs recherches (Garsten & Nyqvist, 2013). Mener des enquêtes situées à un niveau d’explication mésosociologique, qui prennent les organisations comme unité d’analyse, constitue donc un premier axe à partir duquel prolonger les ethnographies suffisamment bonnes.

L’approche participative

Les recherches participatives suscitent un intérêt de plus en plus marqué en sciences sociales, et particulièrement dans le cadre d’études menées avec des populations marginalisées (Nichols, 2019). Une telle approche s’articule généralement autour de deux pôles, soit le « faire avec » et le « faire pour », qui ont une incidence tant sur le processus de recherche – ce dernier devant alors être mené en dialogue avec des participants et participantes, suivant différentes modalités de collaboration établies conjointement – que sur les finalités d’une étude, qui devraient intégrer des priorités établies par les participants et participantes plutôt que de se limiter à un objectif de création de connaissances ou d’approfondissement théorique (Larouche et al., 2020). L’approche participative suppose ainsi l’inclusion de personnes ne provenant pas du monde de la recherche universitaire dans le processus d’identification des priorités de recherche, dans la collecte et l’interprétation des données, ou encore dans la diffusion des résultats. Cette approche invite également les chercheurs et chercheuses à entretenir des relations plus étroites avec les participants et participantes, et à prendre pleinement en compte les préoccupations de ceux-ci et celles-ci par rapport à leur présence sur le terrain et aux retombées de leurs études, au-delà de la simple production de savoirs (Comfort et al., 2015). L’anthropologue Luke Eric Lassiter souligne ainsi, dans ses travaux sur l’ethnographie collaborative, qu’une telle approche consiste d’abord et avant tout en une « entreprise éthique et morale » (2005, p. 79), qui repose sur un processus de négociation continue avec les participants et participantes à propos des relations que les ethnographes entretiennent avec eux et elles, ainsi que sur les finalités et les usages de leurs recherches.

Bien que les chercheurs et chercheuses qui mènent des ethnographies suffisamment bonnes aient souvent critiqué la distance hiérarchique entre eux et elles, d’une part, et les personnes dont les vies sont analysées dans les études ethnographiques d’autre part (Scheper-Hughes, 1995), peu ont adopté jusqu’à présent une approche explicitement participative, qui mènerait par exemple les participants et participantes à jouer un rôle actif dans le déroulement de la recherche ou dans l’élaboration d’un projet issu de cette même recherche (voir cependant Bourgois, 2011). Une explication plausible pour ce phénomène est que les recherches participatives requièrent généralement plus de temps et de ressources que les recherches conventionnelles, ce qui peut constituer un défi important dans un contexte marqué par un financement insuffisant ou instable pour les travaux qui, à l’instar des ethnographies suffisamment bonnes, se situent à la croisée de l’analyse critique et de l’intervention sociale (Braslow & Bourgois, 2019). Plusieurs raisons militent toutefois en faveur d’un plus grand nombre de recherches participatives parmi les études s’inspirant des ethnographies suffisamment bonnes. Une approche participative peut encourager le développement de liens de confiance plus forts avec les personnes et les organisations qui prennent part à une recherche, tout en permettant aux chercheurs et chercheuses de contribuer plus facilement au processus d’identification des pistes de solution qui peuvent être mises de l’avant par ces mêmes personnes et organisations afin d’affronter différents problèmes sociaux (Guay & Godrie, 2020). Ces liens de confiance plus forts peuvent également donner accès à des données qui seraient difficiles de collecter autrement, ce qui permet d’enrichir les analyses proposées dans le cadre de ces recherches (Shukla & Boeri, 2019). L’attention accrue aux préoccupations des participants et participantes réduit aussi le risque que ces derniers et dernières éprouvent une « fatigue liée à la recherche » (research fatigue) (Clark, 2008, p. 955-956) qui pourrait les mener à se désengager du projet, à défaut d’y voir un intérêt pour eux-mêmes et elles-mêmes ou pour les communautés et les organisations auxquelles ils et elles appartiennent (Clark, 2008). Une approche participative invite aussi les chercheurs et chercheuses à reconnaître les personnes avec lesquelles ils et elles interagissent comme des producteurs et productrices de connaissances à part entière, des théoriciens et théoriciennes qui offrent des grilles d’intelligibilité et des interprétations de leurs mondes sociaux qui doivent être prises en compte. Une telle perspective encourage notamment les chercheurs et chercheuses à dresser des portraits plus complexes des populations vulnérables ou marginalisées, qui ne les réduisent pas aux défis auxquels elles font face ou à leur souffrance (Damon et al., 2017). Les recherches ethnographiques qui adoptent une approche participative peuvent aussi contribuer à une démocratisation du processus de production et de diffusion des connaissances, en cherchant à accroître le nombre d’intervenantes et d’intervenants reconnus comme légitimes dans l’espace public et à réduire l’emprise qu’exercent les « hiérarchies de crédibilité » (Becker, 1967, p. 241)sur le partage de la parole dans nos sociétés. Opter pour une approche participative constitue donc un deuxième axe à partir duquel les ethnographes peuvent mener plus loin les ethnographies suffisamment bonnes dans leurs travaux.

Une ethnographie participative avec deux organisations basées à Parc-Extension

Les deux sections précédentes de l’article visaient à montrer qu’une analyse se concentrant sur les activités menées par des organisations et s’appuyant sur une approche participative représente une avenue prometteuse pour prolonger les ethnographies suffisamment bonnes. Je peux maintenant illustrer cette thèse à partir de mon projet doctoral, qui consiste en une ethnographie participative avec deux organisations basées à Parc-Extension, un quartier montréalais identifié à de nombreuses reprises, tant par des organismes communautaires que par des chercheurs et chercheuses, comme étant en processus de gentrification (Brique par brique, 2019; Comité d’action de Parc-Extension, 2013; Guay & Megelas, 2021; Reiser & Jolivet, 2018). Parmi les facteurs qui contribuent à ce phénomène, nous pouvons mentionner la pression sur le marché locatif qui a accompagné l’ouverture du Campus MIL de l’Université de Montréal à l’automne 2019, ainsi que l’établissement de l’Institut québécois d’intelligence artificielle et d’un bureau de la compagnie Microsoft à proximité du quartier (Renzi et al., 2020). La gentrification de Parc-Extension se manifeste entre autres par une augmentation importante des loyers et des évictions au cours des dernières années, dans un contexte où les taux d’inoccupation dans le quartier ont atteint en 2020 leur niveau le plus bas depuis quinze ans, ce qui contraint les locataires évincés à se reloger dans des quartiers où ils et elles ne retrouvent pas aisément les services auxquels ils et elles avaient accès auparavant (Projet de cartographie anti-éviction de Parc-Extension, 2020). Plusieurs facteurs contribuent à la vulnérabilité des résidents et résidentes du quartier quant au risque d’éviction couramment associé au processus de gentrification. Parc-Extension est effectivement l’un des quartiers les plus défavorisés au Canada, avec 79,2 % de sa population qui vit dans des logements locatifs (la moyenne montréalaise étant de 60,7 %), 43,5 % de la population du quartier qui a un revenu inférieur au seuil de pauvreté (la moyenne montréalaise étant de 24,6 %), 34,7 % des personnes âgées de quinze ans et plus qui sont sans diplôme (la moyenne montréalaise étant de 18,9 %) et un taux de chômage qui avoisine les 15 %, la moyenne montréalaise étant de 7,3 % en 2016. Il importe aussi de souligner que 60,5 % des résidents et résidentes du quartier sont issus de l’immigration, ce qui peut s’accompagner de différents facteurs (barrières linguistiques, difficultés d’accès aux services publics et sociaux, crainte de faire valoir ses droits à cause d’un statut d’immigration précaire, etc.) qui contribuent au déséquilibre de pouvoir face aux propriétaires sur le marché locatif (Beck et al., 2019).

C’est dans ce contexte marqué par une précarisation des locataires de Parc-Extension, qui faisaient déjà face à de nombreux défis et obstacles structurels, et par plusieurs mobilisations pour dénoncer cette précarisation que j’ai fait connaissance avec deux organisations dédiées à l’accès au logement pour les ménages à faible revenu du quartier, soit Brique par brique et le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE). Brique par brique a été créé en 2016 par des organisateurs et organisatrices communautaires et des professionnelles et professionnels racisés, afin de répondre aux besoins en logement social et abordable des locataires de Parc-Extension qui font face à la discrimination systémique sur le marché locatif. L’approche de Brique par brique est basée sur trois axes d’intervention principaux, soit l’habitation communautaire, l’organisation communautaire et la recherche communautaire (Brique par brique, 2020). Le CAPE a été formé en 1986 afin de coordonner des projets liés à la salubrité publique et à l’aménagement, puis il s’est concentré à partir de 1991 sur l’amélioration des conditions de logement des résidents et résidentes les plus démunis du quartier, en leur offrant différents services et en luttant pour leur droit à un logement sain et abordable (Comité d’action de Parc-Extension, 2020). J’ai entrepris une collaboration avec Brique par brique et le CAPE, dans le cadre de mon projet doctoral, en mai 2019, avec l’intention que mon projet puisse contribuer à la résolution de différents problèmes auxquels les locataires de Parc-Extension font face, notamment avec la gentrification du quartier. Parmi les tâches que j’ai été appelé à compléter pour chacune des organisations, depuis le début de ma recherche, figurent la rédaction de mémoires et d’articles, la participation à la planification et à la tenue d’activités publiques telles que des assemblées, des fêtes de quartier et des groupes de discussion, le soutien aux locataires avec la rédaction de mises en demeure et une présence à leurs audiences au Tribunal administratif du logement, ainsi que la rédaction de procès-verbaux durant les rencontres et un engagement soutenu dans la mobilisation de terrain pour la défense des droits des locataires et le développement de logements sociaux. Les participantes et participants principaux à mon projet sont les personnes, salariées ou non, qui assument des tâches courantes dans chaque organisation. J’interagis aussi avec des locataires du quartier et des membres d’autres organisations qui collaborent avec le CAPE et Brique par brique (Afrique au féminin, Coopérative Un Monde Uni, Regroupement en aménagement de Parc-Extension, etc.). Mon projet a été évalué et approuvé par le Comité d’éthique de la recherche pour les projets étudiants impliquant des êtres humains de la Faculté des sciences humaines de l’UQAM (CERPÉ FSH), et les participantes et participants identifiés dans cet article ont donné leur accord écrit pour que leur nom et celui de l’organisation dans laquelle elles et ils s’impliquent soient mentionnés dans les publications liées à mon projet doctoral.

Mon projet visait initialement à analyser les conséquences de la gentrification sur les locataires les plus précaires du quartier, ainsi que sur les organisations qui leur offrent différents services. Ma collaboration avec Brique par brique et le CAPE m’a toutefois permis de constater qu’une telle proposition ne constituait pas une contribution particulièrement originale du point de vue des personnes et des organisations actives dans le quartier. La coordonnatrice du CAPE, Amy Darwish, a ainsi mentionné, durant une discussion qui s’est déroulée tandis que nous préparions des affiches et des bannières pour une manifestation contre les évictions, que les locataires évincés ou faisant face à un risque d’éviction ont d’abord besoin de soutien pour demeurer dans leur logement, ou pour accéder à un autre logement avec un loyer abordable dans le quartier, et que le fait d’analyser les conséquences des évictions sur leurs vies ne suffit pas pour s’assurer que mon projet ait des retombées concrètes à l’extérieur du monde de la recherche universitaire. Elle l’a souligné elle-même avec une formule incisive :

Nous ne connaîtrons jamais une pénurie de chercheurs et de chercheuses qui veulent documenter la misère de personnes racisées et à faible revenu dans le quartier, mais nous aurons toujours besoin d’un coup de main pour mener à terme des initiatives qui visent à les soutenir.

La collaboration avec les deux organisations m’a ainsi mené à recentrer mon projet sur les stratégies et les plans d’action qui peuvent être développés par des groupes issus de la société civile, en partenariat avec les différents paliers de gouvernement et les institutions associées à l’économie sociale, afin de limiter les conséquences négatives associées à la gentrification de Parc-Extension et d’accroître l’offre de logements sociaux et abordables dans le quartier. Cette décision semblait d’autant plus justifiée par le fait que de nombreuses recherches ethnographiques ont déjà analysé le déroulement « naturel » du processus de gentrification, qui inclut le déplacement forcé de résidents et résidentes de longue date, des conflits entre ceux-ci et celles-ci et les nouveaux résidents et nouvelles résidentes à propos du bruit et de l’usage des espaces publics, ainsi que des changements dans l’offre de services privés, publics et communautaires (Hyra, 2008; Zukin, 2010). Il était alors préférable de concentrer mon attention sur les manières dont Brique par brique et le CAPE peuvent, avec leurs ressources et leurs mandats respectifs, contribuer à protéger l’accès au logement pour les ménages à faible revenu de Parc-Extension, dans un contexte où le quartier se gentrifie rapidement. En analysant les stratégies qui peuvent être utilisées par chaque organisation afin d’atteindre leurs buts, les questions qui sont pertinentes pour ma recherche ont de plus fortes probabilités de l’être également pour les deux organisations. De plus, ce nouvel objet de recherche encourage le partage de mes interprétations d’une manière qui s’intègre bien aux rencontres d’équipe, ce qui me permet de tenir les deux organisations informées des avancées de mon projet sur une base régulière sans les obliger à interrompre leurs activités ou leurs discussions. Le changement de mon objet de recherche et ma collaboration étroite avec les deux groupes m’ont aidé entre autres à identifier l’importance du travail relationnel, c’est-à-dire des pratiques qui permettent à une organisation d’entretenir des liens de confiance et de coopération avec ses membres et avec d’autres organisations appartenant aux mêmes champs d’activité, pour l’atteinte de leurs différents objectifs (Fligstein & McAdam, 2012; Zelizer, 2012). La documentation et l’étude des stratégies permettant d’entretenir et de renforcer les relations à l’intérieur du CAPE et de Brique par brique, et avec leurs organisations partenaires, figurent ainsi au coeur de mon travail de terrain et des analyses basées sur ce travail.

En m’inspirant des ethnographies suffisamment bonnes, j’ai aussi décidé d’offrir un soutien direct aux deux organisations dans leurs tâches quotidiennes (pour une stratégie de recherche apparentée dans une autre étude sur le logement, voir Breault, 2014), puis de contribuer à leurs efforts pour mettre en lumière les facteurs qui contribuent à la gentrification du quartier, dénoncer publiquement les conséquences de cette gentrification et proposer des solutions, notamment en aidant à rédiger des mémoires adressés à l’Office de consultation publique de Montréal (Brique par brique, 2019; Comité d’action de Parc-Extension, 2019) et un rapport publié conjointement par le CAPE et le projet de cartographie anti-éviction de Parc-Extension à propos de l’impact du Campus MIL sur la gentrification du quartier (Projet de cartographie anti-éviction de Parc-Extension, 2020). Ma contribution aux tâches quotidiennes du CAPE et de Brique par brique correspond non seulement à un principe central des ethnographies suffisamment bonnes, mais aussi à une tendance plus large, dans les recherches ethnographiques menées avec des communautés marginalisées ou avec des groupes qui leur offrent du soutien, à identifier des stratégies afin de répondre à certains de leurs besoins immédiats (Desmond & Western, 2018). Cette contribution mérite toutefois d’être complémentée par un engagement durable avec les deux organisations, ce qui a été mis en évidence par une série d’échanges par courriel avec Sophie Le-Phat Ho, gestionnaire de projets à Brique par brique, au courant du mois de mars 2020. Sophie a effectivement souligné dans ces échanges que même en adoptant une approche participative, par l’entremise de laquelle je contribue activement à la planification et à la tenue des activités menées par les deux organisations plutôt que de simplement les observer, je demeure le principal bénéficiaire de mon projet doctoral et des publications qui y sont associées. Il importe alors d’identifier des stratégies qui permettent de mener des études ethnographiques non seulement comme des chercheurs et chercheuses, mais aussi comme des compagnons et compagnes de route, des « companheiras » (Scheper-Hughes, 1995, p. 419) qui soutiennent de manière durable les organisations et les communautés avec lesquelles ils et elles collaborent, en prenant des engagements qui dépassent les obligations et les contextes liés strictement à leurs projets de recherche. Ma collaboration avec les deux organisations m’a mené par exemple à contribuer aux activités de la Coopérative Un Monde Uni, qui vise à développer des logements sociaux et coopératifs à Parc-Extension, ainsi qu’au Réseau de recherche-action communautaire de Parc-Extension (CBAR), qui se propose de favoriser le développement de projets de recherche qui répondent aux besoins et aux préoccupations des intervenants et intervenantes communautaires à Parc-Extension, ainsi que des résidents et résidentes du quartier. Je maintiendrai aussi un dialogue régulier avec chacune des organisations à propos des manières d’appuyer leurs activités après que mon projet doctoral aura pris fin, pour m’assurer que mon soutien perdure au-delà de la temporalité propre à ce projet. En définitive, l’adoption d’une approche participative et une analyse centrée sur le travail mené par des organisations m’aident à mener une recherche qui, en s’inspirant des ethnographies suffisamment bonnes, vise à la fois une meilleure compréhension de différents problèmes sociaux et une contribution à des formes d’action collective et d’intervention communautaire qui souhaitent affronter ces mêmes problèmes. Ma collaboration avec le CAPE et Brique par brique m’a permis de recentrer mon objet de recherche afin qu’il réponde mieux à leurs préoccupations et à leurs aspirations, tout en me menant à prioriser, lors de mon travail de terrain, un soutien direct pour des tâches quotidiennes et l’identification de stratégies pour entretenir une présence forte et durable dans chaque organisation, ainsi que dans l’environnement auquel elles appartiennent.

Conclusion

Mon article visait à mettre en lumière comment les recherches ethnographiques menées auprès de populations marginalisées, ainsi que celles qui sont menées en collaboration avec des organisations qui visent à répondre aux besoins de ces populations, peuvent à la fois examiner les formes prises par la souffrance sociale et aider à mieux faire comprendre comment les personnes et les communautés concernées peuvent s’organiser afin de changer les conditions dans lesquelles leurs vies se déroulent. J’ai ainsi présenté deux stratégies de recherche qui peuvent contribuer au prolongement des ethnographies suffisamment bonnes, soit l’analyse ethnographique des organisations, qui prête attention aux récits, aux pratiques, aux objectifs et aux défis qui structurent le quotidien d’une ou de plusieurs organisations, et l’approche participative, qui invite les chercheurs et chercheuses à s’assurer que leurs études prennent en compte les préoccupations des participants et participantes, leur permettent de contribuer à la détermination des priorités de recherche et au processus de recherche lui-même, tout en comportant à la fois des objectifs d’approfondissement des connaissances et de transformation sociale. J’ai ensuite illustré la pertinence de ces deux stratégies à partir de mon projet doctoral, en soulignant comment mon enquête de terrain a évolué à la lumière de mes échanges avec Brique par brique et le CAPE. Un changement dans mon objet de recherche et un recentrement de mon travail ethnographique vers un soutien direct pour les tâches quotidiennes des deux organisations et la coélaboration d’une stratégie d’engagement durable sont autant de décisions qui ont été influencées par l’approche participative et par l’analyse mésosociologique qui structurent mon projet doctoral, ainsi que par la sensibilité éthique et politique qui caractérise les ethnographies suffisamment bonnes (Scheper-Hughes et al., 2021).

Bien que les stratégies de recherche adoptées dans le cadre de mon projet doctoral comportent un certain nombre d’avantages, elles viennent également avec des limites qui méritent d’être examinées ici. Un défi majeur auquel je suis confronté, qui se manifeste régulièrement dans les études participatives (Godrie, 2015), est celui de l’inclusion des participants et participantes tout au long du processus de recherche, ainsi que la reconnaissance des asymétries entre les différentes personnes engagées dans ce processus. Comment assurer un droit de regard aux participants et aux participantes sur la recherche sans leur demander trop de temps, dans un contexte où je ne dispose pas d’un financement qui me permettrait de les rémunérer (pour consulter un projet de recherche où des participantes et participants sont rémunérés afin de faciliter leur contribution à son déroulement, voir Malenfant, 2020)? Une intégration aussi organique que possible de mon processus de recherche aux activités quotidiennes du CAPE et de Brique par brique est la stratégie employée pour conjuguer avec ce défi, mais cette stratégie soulève elle-même un certain nombre d’enjeux, notamment en ce qui concerne le maintien de ma capacité d’analyse indépendante en tant que chercheur (Stuart, 2018), ainsi que la mise en lumière des tensions et des conflits auxquels les deux organisations font face (Guay & Godrie, 2020). Il est aussi important de reconnaître que les intérêts de chaque organisation et mes intérêts comme chercheur ne se recoupent pas forcément, et qu’une collaboration mutuellement bénéfique ne peut s’établir qu’en maintenant un dialogue transparent sur nos intérêts et nos attentes respectives.

Il vaut la peine, plus largement, de prendre pleinement en compte la complexité des relations qui nous unissent, en tant que chercheurs et chercheuses, aux participants et participantes – qui deviennent en quelque sorte des collègues et avec qui nous développons, dans plusieurs cas, des liens d’amitié et de confidence, parmi d’autres types de relation qui ne correspondent pas strictement à notre identité de chercheur ou chercheuse –, tout en apprenant à négocier les sentiments ambivalents qui accompagnent notre présence sur le terrain, le mélange d’enthousiasme, de curiosité et de méfiance qui caractérise souvent les rapports entre les ethnographes, d’une part, et les participants et participantes d’autre part (Hammoudi & Borneman, 2009). Une « éthique attentive » (mindful ethics) (González-López, 2011, p. 450), qui m’invite à prêter une attention continue aux relations qui me lient aux participants et participantes, tout en prenant pleinement en compte leurs priorités et leurs préoccupations, et le maintien d’un dialogue étroit avec chaque organisation ont constitué des avenues prometteuses pour conjuguer avec les défis qui caractérisent mon projet de recherche.

Je peux maintenant conclure en proposant des réflexions sur le rôle des ethnographes comme intermédiaires et comme créateurs et créatrices de liens entre différents mondes sociaux. Le théoricien des organisations et ethnographe John Van Maanen a indiqué, dans son ouvrage Tales of the field: On writing ethnography, que les recherches ethnographiques se situent à la croisée de deux mondes, soit un premier monde qui inclut les ethnographes et les personnes qui lisent des ethnographies, puis un deuxième monde qui regroupe les personnes dont les pratiques et les récits sont analysés dans le cadre d’une recherche ethnographique (Van Maanen, 2011). Les ethnographies suffisamment bonnes invitent à problématiser la relation entre ces deux mondes, en évitant notamment que les recherches se limitent à exposer la souffrance des populations les plus marginalisées dans des publications destinées à un lectorat de classe moyenne, sans offrir une réflexion critique sur les conditions sociales, économiques et politiques qui permettent la reproduction de cette souffrance (Bourgois & Schonberg, 2009; Scheper-Hughes, 1995). Parmi les stratégies qui peuvent être employées pour conjuguer avec la « vacillation ethnographique » (Hage, 2009, p. 77) entre le monde de la recherche universitaire et les différents terrains dans lesquels les ethnographes sont engagés, nous pouvons mentionner l’adoption d’une posture réflexive et sensible aux rapports de pouvoir et aux contextes locaux (Shukla & Boeri, 2019), ainsi qu’une attention à la vie publique de ce type de recherches, c’est-à-dire à leur usage et leur diffusion une fois qu’elles sont publiées (Fassin, 2017).

Tout en assumant leur rôle d’intermédiaires et de créateurs et créatrices de liens entre différents mondes sociaux, les ethnographes doivent aussi reconnaître que les participants et participantes à leurs études jouent un tel rôle d’intermédiaire dans leurs vies respectives, et que les communautés et les mondes sociaux auxquels ils et elles se sentent redevables doivent également être pris en compte (Li, 2017). Tant les chercheurs et chercheuses que les participants et participantes peuvent ainsi être définis comme des traducteurs et traductrices entre différents mondes sociaux, qui rendent les demandes émanant d’un monde social intelligibles au sein d’un ou de plusieurs autres mondes sociaux (Gal, 2015; Li, 2019). Au cours de ma recherche doctorale, j’ai pu par exemple constater que les membres de Brique par brique et du CAPE définissent leurs priorités sur différents enjeux en collaboration avec des locataires de Parc-Extension et des organismes partenaires, puis portent ces revendications auprès de différentes instances, parmi lesquelles le conseil d’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, des bailleurs de fonds publics et privés et des groupes de ressources techniques, en adaptant les manières de présenter leurs revendications selon les attentes et les préoccupations propres à chacune de ces instances. La mise en lumière, dans nos recherches, de ces efforts de traduction entre différents mondes sociaux permet de reconnaître pleinement l’habileté sociale des participants et participantes, c’est-à-dire leur capacité à comprendre les besoins et les attentes des autres afin d’atteindre leurs objectifs organisationnels (Fligstein & McAdam, 2012). Des conversations avec Celia Dehouche, organisatrice communautaire au CAPE, m’ont également permis de reconnaître l’importance de traduire mes préoccupations théoriques, qui sont liées davantage à mon identité de chercheur, en enjeux concrets et directement liés aux réalités de terrain, afin d’encourager des échanges avec les participants et participantes qui répondent davantage à leurs propres préoccupations. Une telle approche permet de concevoir les recherches comme la mienne comme des coconstructions à la croisée de différents mondes sociaux, ou comme des projets d’entraide qui aspirent à codévelopper des connaissances et qui rejettent explicitement une attitude paternaliste de la part des chercheurs et chercheuses (Spade, 2020).

Il est profitable, enfin, que les chercheurs et chercheuses examinent les relations entre les différents mondes sociaux avec lesquels ils et elles interagissent dans le cadre de leurs travaux, qui incluent entre autres le monde de la recherche universitaire, les participants et participantes à leurs études ainsi que les publics qui lisent et qui critiquent les publications basées sur ces mêmes études. Deux concepts peuvent les aider à mieux cerner ces relations, en l’occurrence les communautés d’interrogation et les communautés de pratique. Les communautés d’interrogation désignent des ensembles de propositions théoriques qui visent à rendre compte d’une ou de plusieurs dimensions de la vie sociale et qui sont approfondies ou critiquées par l’entremise d’un processus de dialogue et de débat entre des chercheurs et chercheuses s’intéressant aux mêmes objets de recherche (Tavory & Timmermans, 2014), tandis que les communautés de pratique renvoient plutôt à des groupes auto-organisés de personnes avec des préoccupations communes, dont les interactions sont orientées vers des buts pratiques et des défis rencontrés sur le terrain, et qui « permettent la circulation de l’information et d’outils d’intervention, favorisent le partage de connaissances ainsi que le développement des compétences dans le cadre d’échanges à partir des enjeux de pratique et des expériences vécues » (Lachapelle, 2017, p. 128). Entretenir un rapport réflexif avec les différentes communautés d’interrogation et de pratique qui participent directement ou indirectement à leurs recherches constitue une stratégie prometteuse pour les chercheurs et chercheuses qui intègrent, dans leurs travaux respectifs, à la fois des objectifs d’approfondissement et de diffusion des connaissances et des objectifs de transformation des conditions dans lesquelles les participants et participantes mènent leurs vies (Guay & Godrie, 2020). Cette avenue de réflexion et d’intervention mérite sans doute d’être prolongée dans des travaux qui, à l’instar des ethnographies suffisamment bonnes, visent tant à mieux comprendre les problèmes sociaux contemporains qu’à identifier des solutions et des stratégies afin de contribuer à leur résolution et à la réduction des différentes formes de souffrance que ces problèmes provoquent.