Corps de l’article

Introduction

Dans le cadre de ce numéro thématique de la Revue, cet article présente des pratiques d’ordre épistémologique qui devraient sous-tendre les enquêtes qualitatives visant à lutter contre le racisme anti-Noir et à favoriser le bien-être des communautés noires avec, pour et par les personnes afrodescendantes. Alors que la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine bat son plein, le rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies indique que le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’afrophobie sont des problèmes sociaux qui affectent le bien-être et le développement des communautés afro-canadiennes (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 2017). Ce rapport comporte de multiples recommandations relatives aux droits de la personne des Afro-Canadiens et Afro-Canadiennes dans les domaines de la justice, de l’éducation, de la protection de l’enfance, de la santé, de l’immigration et du marché de l’emploi (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 2017). De plus, le décès de l’Afro-Américaine Breonna Taylor (13 mars 2020) et de l’Afro-Américain George Floyd (25 mai 2020) et des Afro-Canadiens et Afro-Canadiennes D’Andre Campbell (6 avril 2020), Regis Korchinski-Paquet (27 mai 2020) et Jean René Junior Olivier (1er août 2021) lors d’interventions policières ont donné lieu à des mobilisations qui renouvellent les revendications de différents mouvements sociaux pour plus de justice et d’équité raciale. Bref, cette conjoncture fait ressortir la problématique du racisme anti-Noir dans l’espace public et donne l’occasion d’explorer les approches épistémologiques des études qualitatives effectuées sur le terrain avec des communautés noires.

Comment la recherche qualitative peut-elle favoriser les aspirations transformatrices et émancipatrices des diverses communautés noires en faisant la promotion de leur bien-être et en accompagnant leurs luttes contre le racisme anti-Noir. Dans une approche épistémologique sociocritique et antiraciste, nous proposons un ensemble d’actions pour sous-tendre les recherches qualitatives à visées transformatrices et émancipatrices. Nous choisissons de miser sur des actions concrètes plutôt que sur des principes parce que nous souhaitons honorer et parachever ce que plusieurs générations d’Afro-Canadiennes et Afro-Canadiens ont entamé dès le 17e siècle en résistant entre autres à l’esclavage, aux ségrégations résidentielles et scolaires ainsi qu’au racisme anti-Noir sous toutes ses formes (Cooper, 2007; Flynn, 2018; McLaren, 2004). Il est donc urgent d’agir de manière concrète et nous soutenons qu’une approche épistémologique afroémancipatrice requiert : 1) de prendre appui sur des théories sociocritiques et le corpus d’intellectuelles et intellectuels noirs; 2) de pratiquer la réflexivité dès la conception du projet de recherche et jusqu’à la dissémination des résultats; 3) de reconnaître et d’intégrer la pluralité des savoirs des communautés noires. Cette liste d’actions n’exclut pas d’autres avenues et nous proposons cet article comme un point de départ pour entamer un virage dans la manière dont sont conduites les études qualitatives qui ont pour objectif le changement social auprès des communautés noires. Cet article innove en consolidant trois axes d’action parfois discutés séparément dans différents champs d’études pour proposer un modèle afroémancipateur en recherche qualitative. De plus, nous entamons une réflexion par rapport à un sujet jusque-là peu abordé dans le contexte de la francophonie : la recherche auprès des communautés afrodescendantes (Thésée, 2021). Cet article permet également de souligner qu’alors que certaines chercheuses et certains chercheurs peuvent avoir d’autres objectifs de recherche, la recherche à visée transformatrice ou émancipatrice ne se limite pas à la résolution d’un problème social spécifique ou d’une question de politique publique, mais priorise plutôt un processus qui facilite le pouvoir d’agir des populations historiquement exclues. Par conséquent, cet article souligne l’importance d’adopter une approche collaborative non hiérarchisée, de valoriser les contre-récits (counter-narratives) des populations noires, et de reconnaître la richesse de leurs savoirs par rapport à la mise en place de solutions.

Nous sommes des chercheuses afrodescendantes qui avons effectué du travail de terrain auprès de diverses communautés noires et nous comptons continuer à apprendre en collaborant avec elles. Nous reconnaissons que notre position de chercheuses nous accorde un privilège et un accès à certaines ressources. Par ailleurs, avec humilité, nous tentons d’être responsables devant les collectivités avec lesquelles nous travaillons en tenant compte de leurs parcours historiques spécifiques, des expériences passées d’exploitation et d’extraction avec des chercheurs et chercheuses universitaires, et en centrant la réciprocité et le développement de relations à long terme (Goodart-Durant et al., 2021). Afin de mieux situer les actions suggérées, nous présentons d’abord un bref portrait des communautés afrodescendantes et du racisme anti-Noir au Canada, pour expliquer ensuite les trois axes suggérés avant de formuler une conclusion.

Le racisme anti-Noir affecte les communautés afrodescendantes plurielles dans plusieurs sphères de la vie quotidienne

La catégorie sociale de la race n’est pas le fait d’une couleur de peau ou d’une différentiation génétique, mais bien le fruit d’une construction sociohistorique et politique ayant des conséquences symboliques et matérielles dans la vie réelle (Smedley & Smedley, 2005). Depuis l’époque de la colonisation et de la traite esclavagiste transatlantique, le processus de racialisation des Noirs et des Noires s’est constitué entre autres d’images et d’expressions du langage dégradantes et d’études pseudoscientifiques tentant d’inférioriser les Noirs et les Noires pour en justifier la déshumanisation, l’esclavage et le déni des droits civiques, et ce, au profit de l’idéologie de la suprématie blanche (Maynard, 2018; Owusu-Bempah, 2017; Thésée, 2021). Étant des constructions sociales, les processus de racialisation et la hiérarchisation des groupes racisés peuvent varier d’un contexte national ou régional à un autre. Néanmoins, il est important de reconnaître que « les phénomènes sociaux de racialisation sont transnationaux, transculturels et translinguistiques. Ils se déroulent aussi bien dans les contextes anglophones, hispanophones, lusophones et autres que dans les contextes francophones, au Québec, ailleurs au Canada et ailleurs dans la francophonie » (Thésée & Carr, 2014, p. 312).

En 2016, il y avait 1 198 540 individus qui s’identifiaient comme Noirs et qui représentaient 3,5 % de la population canadienne (Statistique Canada, 2019). Certaines communautés noires sont implantées depuis plusieurs générations, comme les Afro-Néo-Écossaises et Afro-Néo-Écossais, alors que d’autres sont issues de vagues d’immigration plus récentes, et il en résulte une diversité d’origine nationale, ethnique, religieuse, linguistique et culturelle (Statistique Canada, 2019). De plus, la majorité des communautés noires vivent en milieu urbain dans les villes de Toronto, Montréal, Ottawa-Gatineau, Oshawa, Edmonton, Calgary et Halifax (Statistique Canada, 2019). Alors que cette population est également plurielle en termes de classe socio-économique, de genre ou de sexualité par exemple, nous soutenons que les citoyennes et citoyens noirs ont en commun une origine ancestrale d’Afrique subsaharienne et le fait d’être affectés par le racisme anti-Noir à un moment ou un autre de leur vie, à petite ou à grande échelle. Le racisme anti-Noir peut être défini comme un racisme basé sur les traits physiques qui, depuis l’époque coloniale, comprend une idéologie, des préjugés, des stéréotypes, des représentations, des lois, des normes et des pratiques qui visent à subordonner spécifiquement les Noires et les Noirs, comme en témoignent l’esclavage et la ségrégation coercitive (Benjamin, 2003; James et al., 2010). Le racisme anti-Noir est une composante d’une hiérarchie de rapports sociaux de pouvoir et persiste aujourd’hui de manières subtile et diverse dans plusieurs sphères de la vie sociale.

Plusieurs études mettent l’accent sur l’intégration des immigrantes et immigrants noirs sans faire de lien avec l’histoire des Noires et des Noirs des générations précédentes de la même juridiction et parfois en portant peu ou pas d’attention aux processus de racialisation du contexte local ou régional. Cependant, jeter un regard sociohistorique sur les processus de racialisation des Noires et des Noirs et le racisme anti-Noir s’avérait nécessaire pour approfondir et contextualiser l’interprétation et l’analyse des données qualitatives. Les Noires et les Noirs ont quatre cents ans d’histoire au Canada, mais celle-ci est souvent reléguée aux notes de bas de page et dévalorisée, et par conséquent, demeure inconnue (Este, 2007; Williams, 2013). La propension à minimiser ou à ignorer le racisme anti-Noir se fait souvent en comparant les contextes canadiens et américains et ce contraste perpétuel nuit à l’étude des manifestations diverses du racisme et freine l’introduction de mesures antiracistes efficaces. Malgré l’histoire souvent répétée du chemin de fer clandestin (underground railroad), il y a eu des esclaves noires et noirs au Canada avant et après la conquête britannique et le racisme existe également ici (Cooper, 2007; Mullings et al., 2016). La désignation et la première célébration le 1er août 2021 du jour de l’Émancipation permettent d’entamer une prise de conscience à l’échelle nationale du passé esclavagiste du Canada et des contributions des Noires et des Noirs à travers leurs luttes et leurs accomplissements (Patrimoine Canadien, 2021).

Dans le contexte canadien, même après l’émancipation des Noires et des Noirs, leur simple présence dans l’espace public a été et continue d’être contestée par la violence spatiale (spatial violence) (Waldron, 2020). La violence spatiale contre les Noires et les Noirs s’est manifestée par la mise en place de la ségrégation coercitive, la destruction et les déplacements forcés des collectivités noires, le profilage racial dans les espaces publics et le racisme environnemental. Les Canadiennes et Canadiens noirs ont connu la ségrégation coercitive sur le plan géographique et scolaire (McLaren, 2004; Williams, 2013). La ségrégation scolaire coercitive a existé et a été combattue par des parents et des porte-parole des communautés noires à travers le pays à partir du 19e siècle jusque dans les années cinquante (McLaren, 2004; Saney, 1998; Williams, 2013). Dans les Maritimes, la ségrégation résidentielle coercitive a fait en sorte que les communautés historiques afro-néo-écossaises soient situées en périphérie des villes, dotées de peu d’infrastructure et loin des services publics (Nelson, 2011; Sehatzadeh, 2008). La ségrégation résidentielle s’est également accompagnée d’une ségrégation temporelle puisque la présence des Noires et des Noirs dans l’espace public après le coucher du soleil était interdite (Saney, 1998; Williams, 2013). La communauté d’Africville a été complètement détruite sans tenir compte des perspectives des résidentes et résidents forcés de déménager et elle est un exemple emblématique de la destruction et des déplacements de communautés historiques multigénérationnelles noires (Nelson, 2011; Remes, 2018). Une autre manifestation de la violence spatiale est le racisme environnemental que l’on constate avec le dépôt de déchets toxiques abandonnés dans l’arrière-cour de plusieurs communautés autochtones et noires en Nouvelle-Écosse sans consulter ou obtenir le consentement des résidents et résidentes (Waldron, 2018). En conséquence de ces déversements nocifs, ces communautés subissent encore aujourd’hui les conséquences néfastes pour leur santé et leur bien-être et luttent pour obtenir une forme de justice environnementale. De plus, le profilage racial, la profération d’épithètes racistes et l’usage excessif de la violence des représentants et représentantes des forces de l’ordre sont des problèmes qui persistent dans la communauté afro-néo-écossaise et dans d’autres communautés afro-canadiennes (Bundy, 2019; Maynard, 2018; Wortley, 2019).

En fait, bien que l’esclavage et les lois ségrégationnistes n’existent plus, le racisme anti-Noir persiste et se manifeste de différentes manières sur le plan national. Les problématiques de discrimination raciale à l’embauche et de conditions de travail différenciées perdurent depuis des décennies (Austin, 2010; Calliste, 1995; Flynn, 2018). Même aujourd’hui, les immigrantes et immigrants noirs continuent de faire face à des défis de taille, incluant la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger (Madibbo, 2014). En effet, Sall (2020) suggère qu’en Acadie, le discours d’intégration et d’accueil des immigrants et immigrantes peut occulter les rapports sociaux asymétriques basés sur le marqueur racial et les défis additionnels auxquels font face les immigrantes et immigrants noirs sur le marché de l’emploi. Les problématiques à l’échelle nationale telles que le profilage racial, l’utilisation excessive de la violence par les forces de l’ordre et la surreprésentation des Noires et des Noirs parmi la population carcérale ne peuvent être abordées efficacement qu’en analysant spécifiquement les données concernant les populations noires (Bernard & Smith, 2018; Bundy, 2019; Maynard, 2018; Williams, 2013). Par exemple, on constate qu’en Ontario, les jeunes contrevenantes et contrevenants noirs sont moins susceptibles de bénéficier des programmes de diversion ou de mesures restauratrices, même lorsqu’ils ont commis les mêmes infractions que leurs homologues d’autres groupes raciaux (Samuels-Wortley, 2019). Alors que les Noires et les Noirs continuent d’être perçus comme des instigatrices et investigateurs de crimes, on fait abstraction du fait que le premier motif des crimes haineux au pays est l’appartenance à un groupe racial ou ethnique et qu’entre 2010 et 2018 les Noires et les Noirs constituaient le groupe racisé le plus affecté par les crimes haineux rapportés à la police (Moreau, 2020). En éducation, des enjeux persistent tels que le racisme, le manque de contenu culturellement pertinent, ou encore le regard déficitaire que l’on porte sur les élèves et les familles noires (Jean-Pierre, 2021; Livingstone et al., 2014; Thésée & Carr, 2016). De plus, les Noires et les Noirs font également face au racisme anti-Noires et anti-Noirs dans le système de la santé (Agence de la santé publique du Canada, 2020). Les problématiques actuelles citées illustrent les limites des études de phénomènes sociaux à partir des catégories « minorités visibles », « immigrantes et immigrants », « minorités ethno-culturelles » ou « personnes racisées » parce qu’elles ne permettent pas de constater les disparités existantes entre divers groupes racisés et de capter le caractère singulier du racisme anti-Noirs et anti-Noires (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 2017, p. 17; Thésée & Carr, 2016). D’ailleurs, plusieurs chercheuses et chercheurs et spécialistes suggèrent depuis des années que la collecte de données désagrégées par les autorités publiques s’avère nécessaire pour identifier les écarts et les disparités afin de les rectifier (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 2017; Jean-Pierre & Collins, 2020; Millar & Owusu-Bempah, 2011).

Mobiliser des théories critiques intersectionnelles et du corpus d’intellectuelles et intellectuels noirs

Une approche méthodologique émancipatrice sous-tend une rupture vis-à-vis l’héritage colonial de la recherche visant à produire des connaissances à propos de « l’autre » dans une hiérarchie raciale où les Noires et les Noirs sont positionnés comme objets de recherche et subordonnés (Dei, 2017; Denzin et al., 2008). Il s’agit de contrer cet héritage de racisme scientifique (Thésée, 2021), de dévoiler l’influence du contexte sociohistorique et de transformer les réalités qui entravent le développement, le bien-être et les droits à l’égalité des communautés noires comme le prescrit la Charte canadienne des droits et libertés. À la lumière du caractère pluriel des communautés noires mis en évidence plus haut, on ne peut pas faire l’économie des théories qui s’inscrivent dans une perspective intersectionelle parmi les recherches concernant les Noires et les Noirs. Ainsi, parmi les nombreuses théories critiques, nous proposons comme outils la théorie décoloniale et l’afrocentrisme, la théorie antiraciste critique et la théorie féministe noire, qui s’inscrivent toutes dans une perspective intersectionelle, c’est-à-dire qu’elles appréhendent « la réalité sociale des femmes et des hommes, ainsi que les dynamiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui s’y rattachent comme étant multiples et déterminées simultanément et de façon interactive par plusieurs axes d’organisation sociale significatifs » [italiques de l’auteure] (Stasiulis, 1999, p. 345).

La théorie décoloniale et l’afrocentrisme

Pour les théoriciennes et théoriciens décoloniaux, c’est le projet colonial qui a donné naissance au racisme anti-Noir qui perdure jusqu’aujourd’hui à travers le monde. Ceci a été accompli à travers la traite d’êtres humains africains, suivi d’une conception d’identités et de représentations raciales fictives qui a permis aux empires européens de se supérioriser en tant que Blancs et de dégrader et déshumaniser les Noires et les Noirs dans presque tous les aspects de la vie, tels que la spiritualité, la santé, l’environnement, l’économie, et notamment sur les plans du pouvoir et du savoir scientifique (Thésée, 2021; Wynter, 2003). La théorie décoloniale cherche donc à exposer et à démonter cette monopolisation des savoirs enchâssant l’individualisme, l’universalisme, l’objectivisme, la marchandisation, la compétition et la dévalorisation de l’altérité dans la culture des institutions académiques et sociales. Par exemple, Tuck et Yang (2014) suggèrent que bien que la démarche d’enquête fasse partie intégrante des activités de la chercheuse ou du chercheur, elle constitue souvent une forme d’intrusion qui s’apparente à une extension du projet colonial en matière de production de connaissances et de marchandisation de la souffrance. Une approche décoloniale propose une prise de conscience de ces pratiques néfastes contraires à l’éthique, ainsi que l’adoption de stratégies centrées sur les rapports de pouvoir et de domination interpersonnels, sociaux et institutionnels plutôt que sur le vécu douloureux des groupes minorisés. De même, l’héritage du colonialisme et son lien avec la surreprésentation des enfants noirs dans le système de protection de la jeunesse ont incité un appel à la décolonisation des programmes de formation en travail social (Hackett, 2019; Johnstone, 2018). Une approche décoloniale comporterait l’historicisation, la dépathologisation et l’analyse des rapports de pouvoir qui influencent les expériences des communautés noires et mettrait en évidence le lien entre un regard colonial et la séparation sanctionnée par l’État de plusieurs familles noires (Hackett, 2019). Une approche décoloniale valorise et mise sur les savoirs, les connaissances et les capacités d’adaptation des familles afrodescendantes afin d’humaniser leurs expériences et leurs réalités (Hackett, 2019).

L’héritage colonial engendre le phénomène du « complexe du sauveur blanc » (ou white saviour complex), qui mène à concevoir la recherche dans une attitude missionnaire, humaniste et empreinte de bonnes intentions qui éclipse souvent le fait que l’on minimise l’agentivité, l’autonomie, les capacités et les savoirs des communautés racisées, comme les diasporas noires, dans le processus de recherche (Straubhaar, 2015). En contraste, une approche décolonisatrice comme envisagée par plusieurs chercheuses et chercheurs comprend la théorie afrocentrique qui vise à développer « une compréhension et un rapprochement en acceptant l’agentivité de la personne africaine comme unité d’analyse de base des situations sociales impliquant les personnes afrodescendantes » (Asante, 2000, p. 50). Cette théorie suggère que l’autodétermination et l’autogouvernance doivent incorporer les théories et les philosophies de l’Afrique et des diasporas noires. Il y a quatre dimensions importantes de l’afrocentricité : une interconnexion entre tous les êtres, la nature et le cosmos, la spiritualité, l’importance de l’identité collective et la reconnaissance des dimensions affectives du vécu (Este & Bernard, 2003). Mazama (2001) suggère que les Noires et les Noirs doivent exercer leur agentivité en orientant et en pilotant les solutions qui s’imposent aux problèmes sociaux, politiques et économiques actuels. La recherche décolonisatrice cherche donc à mettre de l’avant le bien-être et l’égalité de tous les êtres humains en soulignant la nécessité de décoloniser les approches de recherche pour y parvenir. La théorie afrocentrique offre une voie qui restaure et valorise les connaissances des communautés noires qui ont été délégitimées historiquement, tout en se centrant sur des savoirs pluriels et non oppressifs.

La théorie antiraciste critique

La théorie antiraciste critique s’appuie sur les théories décoloniales et anticoloniales dans le but de transformer les attitudes et les pratiques institutionnelles et sociales tout en contribuant à la création d’une société socialement juste et démocratique. En misant sur le contexte sociohistorique, l’intersectionnalité, la problématique du postracialisme et l’importance de la voix des personnes racisées, elle analyse la production et la transmission du racisme dans ses diverses formes et contextes (Calliste & Dei, 2000; Dei, 1996). Cette approche permet de comprendre comment les victimes du racisme sont affectées par les représentations, les discours et les stéréotypes en lien avec les hiérarchies raciales et comment les contrecarrer. Le racisme et la différence sociale sont plus étroitement liés à des questions de pouvoir et d’équité qu’à des questions de culture et de diversité (Dei, 2013; Thésée & Carr, 2016). C’est donc une réplique à la notion que le racisme est un phénomène du passé, que nous sommes au sein d’une société indifférente à la couleur de la peau et que l’identité raciale n’aurait plus d’effet significatif sur l’égalité des chances des individus. De plus, certaines théoriciennes et certains théoriciens antiracistes soulignent la spécificité du racisme anti-Noir qui se distingue d’autres formes de racisme par l’impossibilité de s’y soustraire en raison de l’hypervisibilité et de la déshumanisation perpétuelle des Noires et des Noirs (Dei, 2013; Owusu-Bempah, 2017; Thésée & Carr, 2016). Sous cet éclairage, toute posture daltonienne des rapports sociaux qui se base sur le soi-disant caractère égalitaire et harmonisant du multiculturalisme ou de l’interculturalisme est dénoncée comme constitutive du racisme anti-Noir. L’indifférence aux rapports inégalitaires basés sur le marqueur racial soutient le maintien et la reproduction de la blanchitude (whiteness) comme référent universel et normatif ainsi que l’illusion de l’équivalence de tous les racismes, tout en occultant ou en niant les spécificités liées au statut social précaire des Noires et des Noirs (Howard & James, 2019).

En éducation, la théorie antiraciste critique problématise la marginalisation des Noires et des Noirs. L’invalidation et l’exclusion de leurs connaissances, de leurs expériences et de leurs visions du monde ont des conséquences défavorables pour les enfants noirs qui évoluent dans le système scolaire (Dei, 2013; Ibrahim & Abdi, 2016). Thésée et Carr ont mobilisé la théorie antiraciste critique pour problématiser l’expérience scolaire des élèves québécois d’afrodescendance souvent appréhendée sous un angle interculturel. Ces chercheuses et chercheurs proposent une résistance épistémologique qui permettrait de s’éloigner d’une analyse qui inscrit ces élèves « dans des statuts d’immigrants de n-ième génération en contexte d’acculturation » (2016, p. 2) pour plutôt évoluer vers une méthode qui tient compte du contexte de racialisation et par conséquent l’historique colonial et la spécificité du statut des Noires et Noirs en tension avec l’interculturalisme. De même, à la lumière des effets néfastes du racisme sur la santé physique et mentale des individus et des communautés noires, des professionnels et professionnelles de la santé ont entrepris des démarches antiracistes pour faire des recommandations sur la prise en charge des patientes et patients noirs dans les pays occidentaux. Ces démarches comprennent la reconnaissance des problèmes raciaux, une approche humaniste à l’administration des médicaments ainsi qu’une évaluation et un traitement adaptés aux besoins réels et spécifiques des personnes noires (Cénat, 2020). Bref, la théorie antiraciste critique promeut un processus de décolonisation à travers la reconnaissance et la confrontation du racisme anti-Noir et la création d’une nouvelle compréhension des répercussions sociales et de la nature caméléon du racisme.

La théorie féministe noire

Tout comme la théorie décoloniale et la théorie antiraciste critique, la théorie féministe noire est une réponse aux théories féministes eurocentriques qui ne tiennent pas compte des réalités des femmes noires tout en marginalisant et en dévalorisant leurs savoirs et leurs voix. Au sens large, la théorie féministe noire s’intéresse aux savoirs collectifs des femmes noires, à la question de l’inégalité entre les sexes au sein de la communauté noire et à la problématisation de l’interconnexion du patriarcat, du capitalisme et de la suprématie blanche (Collins, 2008; Henry, 2005; Hooks, 1984, 1992). Inspirée de l’afrocentrisme, le féminisme noir se définit comme une théorie qui

englobe les multiples diversités parmi les personnes d’ascendance africaine. Elle englobe notre force, notre positivité en termes de race, de classe, d’orientation sexuelle, d’âge, de capacité et de sexe. Elle prête attention à mes homologues masculins parce que nous partageons leur histoire d’oppression et elle englobe les nationalités de tous les peuples africains… elle englobe ce qui manque au sein du féminisme dominant. C’est la somme totale de notre histoire et de nos expériences (Shades, une femme noire participant à une discussion)[1] [traduction libre]

Wane, 2009, p. 66

En cohérence avec la tradition de la pensée féministe noire qui englobe des interprétations théoriques de la réalité des femmes noires à partir des connaissances issues de leurs expériences concrètes (Collins, 2008), cette définition a été fournie par une participante à une recherche portant sur la théorisation féministe chez les femmes noires au Canada (Wane, 2009). Bien que la théorie féministe noire mette en évidence le caractère formidable des communautés noires, elle porte aussi attention à l’expérience de l’oppression raciale qui imprègne

la structure familiale, les institutions religieuses, la culture et la vie collective des Noires et des Noirs dans diverses parties de l’Afrique, des Caraïbes, de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord [...] en raison du colonialisme, de l’impérialisme, de l’esclavage, de l’apartheid et d’autres systèmes de domination raciale

Collins, 2008, p. 149

Les manières dont ces divers systèmes, structures et aspects identitaires s’imbriquent sont prises en compte grâce à la notion de l’intersectionnalité qui était fort connue et mobilisée par les mouvements féministes racisés (Collins, 2015) et a été introduite au monde académique par la féministe noire Kimberlé Crenshaw (1991). La méthodologie féministe intersectionnelle assure que les chercheuses et chercheurs portent attention au pouvoir dans le processus de recherche, à la fois du point de vue des participantes et participants et de celui des chercheuses et chercheurs. L’approche intersectionnelle encourage également ces dernières et derniers à prendre conscience de l’influence et de la malléabilité du pouvoir ainsi que de la nature située du savoir pour assurer une démarche éthique et réflexive (Hamilton, 2020). Une étude féministe noire avec une approche intersectionnelle sur le rôle parental de l’attachement a démontré comment les pratiques parentales des mères noires peuvent s’articuler en tension avec les lignes directrices de l’état sur ce sujet (Hamilton, 2017). À titre d’exemple, des agences canadiennes promeuvent des conseils parentaux dévalorisant et opposant des pratiques considérées ancestrales par les femmes noires, telles que le « cododo » (bed-sharing) et le portage (babywearing), pour des raisons dites sécuritaires. Les mères noires résistent à ce discours occidental en négociant les conseils parentaux produits par l’État et en déployant leur propre expertise maternelle qui priorise le bien-être de leurs enfants. Le caractère intersectionnel de l’étude a permis de tenir compte de la race, de la classe sociale, de l’ethnicité et du genre au sein des rapports avec les agences de l’état tout en centrant l’expérience vécue des mères noires.

Bien que nous ayons choisi de présenter ces théories individuellement, elles se chevauchent, se complètent et se renforcent mutuellement. Elles fournissent des fondements conceptuels critiques essentiels pour concevoir la recherche auprès des communautés noires pour promouvoir leur bien-être et lutter contre le racisme anti-Noir.

Pratiquer la réflexivité de la conceptualisation de l’étude à la mobilisation des connaissances

La réflexivité est une pratique déterminante, particulièrement dans le cadre d’études avec des collectivités historiquement marginalisées ou exclues. La réflexivité invite les chercheuses et chercheurs à s’examiner elles-mêmes et eux-mêmes comme objets d’analyse en incluant l’examen des rapports de pouvoir relatifs aux participantes et participants (Bourdieu & Wacquant, 1992) ainsi que le statut et les conséquences de faire partie ou non du groupe étudié (Berger, 2015).

La réflexivité permet de reconnaître et d’anticiper les rapports de pouvoir qui peuvent influer sur toutes les étapes de la recherche. En fait, il convient de reconnaître que les chercheuses et chercheurs exercent un pouvoir grâce à leur capacité d’effectuer des projets de recherche avec des titres de compétence reconnus et un accès à des ressources en vertu d’une affiliation universitaire et de réseaux institutionnels. Les chercheuses et chercheurs doivent également réfléchir à la manière dont certains marqueurs identitaires confèrent un statut social privilégié par rapport aux participantes et participants d’une étude telle que la classe sociale, le statut de citoyenne et citoyen, la race, l’ethnicité, la maîtrise d’une langue ou même le capital social. Examiner sa positionalité dès la conception du projet de recherche contribue à développer une certaine prudence par rapport aux a priori conceptuels, aux questions de recherche soulevées, aux approches analytiques et aux méthodes de mobilisation des résultats envisagées. Dans le contexte canadien, il est pertinent d’interroger sa position et son rôle en reconnaissant que les projets de recherche sont menés dans un contexte affecté par le colonialisme et le racisme sur les territoires de peuples autochtones.

Dans le cadre d’études effectuées avec les communautés noires, il est important de noter que le fait d’appartenir à un autre groupe social marginalisé ne fait pas en sorte que l’on comprenne ce qu’est l’expérience noire. Par exemple, le fait d’être une femme, d’avoir un handicap, d’avoir un statut d’immigrante, d’être racisée ou d’appartenir à une minorité sexuelle n’est pas analogue ou équivalent au fait d’être noire. De plus, le fait d’avoir des proches (conjoint ou conjointe ou enfants) ou des amies ou amis noirs ne signifie pas que l’on puisse se prévaloir d’une expertise quant aux expériences des communautés noires ou que l’on puisse parler en leur nom, puisque de toutes les manières, au quotidien, on ne vit pas dans la peau d’une personne noire. En fait, la réflexivité doit se nourrir de la prise de conscience qu’une certaine proximité avec des individus afrodescendants familiers ne signifie pas que l’on comprenne la portée ou la souffrance associée à la crainte de se voir stéréotyper (stereotype threat) ou au stress lié au racisme (racism-related stress) vécu par les Noires et Noirs dans différents contextes nationaux (Beagan et al., 2012; Harrell, 2000; James et al., 2010). Être Noire ou Noir au Canada, c’est être hypervisible dans l’espace public tout en essuyant des regards de suspicion et une surveillance accrue. Plusieurs études illustrent que des préjugés, des stéréotypes et des postulats racistes continuent d’affecter la vie des Afro-Canadiennes et Afro-Canadiens dans plusieurs sphères de leur vie et d’accroître le stress lié au racisme qu’ils vivent (Beagan & Etowa, 2009; Ibrahim & Abdi, 2016; James et al., 2010). Les chercheuses et chercheurs noirs s’engagent également dans la réflexivité, qu’ils fassent partie de la même communauté que les participantes ou participants ou qu’ils soient issus d’une autre communauté noire. Dans le cadre de la réflexivité, il est donc primordial de reconnaître les privilèges et les pouvoirs que confère notre identité, tout en ayant l’humilité de reconnaître qu’il y a des dimensions du vécu et des narrations des participantes et participants que nous ne pourrons pas saisir. Nous suggérons qu’il est essentiel de poser un regard différent sur les populations noires, ce qui exige la mise à l’écart d’a priori déficitaires et stéréotypés, tels que des idées préconçues répandues qui peuvent à première vue paraître « positives », mais qui circonscrivent et limitent les savoirs des Noires et Noirs aux arts, à la cuisine et à l’athlétisme. La reconnaissance de la richesse de la composition, des connaissances et des valeurs des populations noires est fondamentale à une approche de recherche afroémancipatrice.

Reconnaître la pertinence et la pluralité des savoirs des communautés noires

Avant même de conceptualiser une recherche qualitative à visée émancipatrice, il est indispensable de reconnaître que les membres des communautés noires sont porteurs de savoirs et de points de vue valables, et ce, peu importe leur origine nationale, leur classe sociale, leur niveau de scolarité ou leur maîtrise d’une langue officielle. Yosso (2005) soulève que les communautés marginalisées ont un capital culturel qui est souvent sous-estimé et dévalorisé. En fait, très souvent, les communautés historiquement exclues ne sont pas consultées et leurs conceptions des enjeux sociaux et politiques sont jugées insignifiantes et mises à l’écart. Même lorsque des forums de dialogue sont mis en place, c’est souvent sur une base consultative et les populations concernées sont souvent absentes des espaces où les décisions sont ultimement prises. Nous suggérons que toute la société gagne lorsque l’on mise sur la richesse du capital culturel des savoirs hétérogènes et multiples des communautés noires pour favoriser leur émancipation.

Nous ne pouvons appréhender les inégalités vécues par les populations noires sans négliger d’aborder d’autres questions importantes touchant l’immigration, les droits des femmes ou l’islamophobie, par exemple. Les communautés noires sont diverses et comprennent des immigrantes et immigrants de différentes générations (Sall, 2020), des femmes noires engagées dans des luttes féministes et antiracistes (Berthelot-Raffard, 2018; Flynn, 2014) et des musulmanes et musulmans noirs (Mugabo, 2016). Il n’est donc pas réducteur de poser des questions de société à partir de l’expérience des Canadiennes et Canadiens noirs puisque l’on peut ainsi examiner à la fois les dimensions plurielles du vécu social.

Waldron (2012) suggère que l’on pourrait mieux servir les besoins en santé mentale de diverses communautés noires en valorisant et en intégrant la vision du monde et les connaissances en matière de psychologie des diasporas noires. Des chercheuses suggèrent que l’on peut développer une compréhension globale et approfondie des facteurs propices et défavorables au succès scolaire des jeunes Noires et Noirs en utilisant des méthodologies participatives qui privilégient leur parole (Livingstone et al., 2014). De même, grâce à des entrevues et à des groupes de discussion, une étude qualitative a permis de dégager que l’on peut éviter d’exacerber le deuil des Afro-Canadiennes et Afro-Canadiens dont un proche a connu une mort violente en modifiant la manière d’interagir des policiers et policières auprès des proches d’une victime et en modifiant la représentation des personnes racisées victimes de crime dans les médias (Lawson, 2014).

Il est important de prendre conscience du fait que l’on peut adopter de manière non intentionnelle une posture privilégiant la voix de certains membres d’une communauté au détriment de celles des autres en vertu du statut social et des rapports de pouvoir intragroupes asymétriques. Cependant, il est possible d’adopter une démarche critique pour mitiger cet enjeu. Dans le cadre d’une démarche féministe, Namaste (2019) a délibérément mis en lumière les savoirs des femmes haïtiennes sur la crise du VIH à Montréal, des voix peu souvent entendues sur la place publique. Ce faisant, à la suite d’entretiens avec des infirmières, des travailleuses sociales et des femmes bénévoles, elle a dégagé des histoires, des savoirs créoles et des connaissances du terrain jusque-là non reconnus par les organismes de la lutte contre le sida, les médias ou des études antérieures sur les protagonistes et les évènements de cette époque (Namaste, 2019). Son étude exemplifie l’importance de prendre en compte l’hétérogénéité des acteurs en présence et de valoriser le capital culturel de tous les membres des communautés noires.

Par ailleurs, le travail acharné de plusieurs intellectuelles et intellectuels et chercheuses et chercheurs noirs qui ont pensé l’histoire et la condition sociale et politique des collectivités noires est souvent peu mobilisé. Récemment, un mouvement a même émergé pour encourager les académiciennes et académiciens à citer l’apport des intellectuelles noires dont le travail est souvent peu cité et reconnu (Cite Black Women, 2021; Craven, 2021). Les travaux de recherche effectués par des chercheuses et chercheurs canadiens noirs (dont plusieurs sont cités dans ce texte) devraient également informer les recensions des écrits de travaux de recherche, même lorsqu’il s’agit d’études qui ne portent pas exclusivement sur les Noires et les Noirs, mais qui comportent un sous-échantillon de participantes et participants afrodescendants. Ceci n’est pas un appel à l’exclusivité, mais bien un encouragement à porter attention au fait que même dans le monde académique, l’apport scientifique de chercheuses et chercheurs noirs est fréquemment dévalorisé, ignoré et invisibilisé. Une approche décoloniale et antiraciste qui sous-tend une démarche émancipatrice invite de manière intentionnelle à davantage d’inclusion des voix historiquement marginalisées et exclues.

Conclusion

Cet article a pour but d’étayer une approche épistémologique afroémancipatrice pour sous-tendre des études qualitatives à visées émancipatrices ou transformatrices. Nous suggérons que lors d’enquêtes qualitatives incluant des participantes et participants noirs dans le cadre d’une recherche à visée émancipatrice, au moins trois axes d’actions soient entrepris pour accompagner les communautés noires dans leurs luttes antiracistes et leurs aspirations de bien-être. Nous soutenons que les théories critiques et le corpus écrit par des intellectuelles et intellectuels noirs offrent des outils essentiels pour enrichir les cadres conceptuels des études. Nous encourageons les chercheurs et chercheuses à s’engager dans un processus réflexif du début du projet de recherche jusqu’à la dissémination des résultats. Alors que les deux premiers axes d’actions sont souvent abordés, nous avançons qu’il est important de reconnaître, de valoriser et d’intégrer la pluralité des savoirs des communautés noires.

Tel que le proposent les postulats de la théorie afrocentrique, valoriser les savoirs des diasporas noires, c’est centrer l’agentivité, les aspirations et la créativité des Noires et des Noirs dans les démarches de recherche initiées. C’est pourquoi nous encourageons les chercheuses et chercheurs à effectuer des recherches par, pour et avec les membres et les chercheuses et chercheurs des communautés noires. Cela ne requiert pas seulement la participation d’un comité-conseil ou d’une assistante ou d’un assistant de recherche noir, mais bien d’une collaboration qui implique la participation de chercheurs et chercheuses et des membres de la communauté noire lors des différentes étapes de la recherche. Cela peut nécessiter que l’on forme des chercheuses et chercheurs noirs aux études supérieures et dans la communauté pour faciliter une participation pleine et entière de chercheuses et chercheurs noirs dans la conception, la mise en oeuvre et la mobilisation des connaissances des études qualitatives.

Par ailleurs, il est important d’approcher un travail de recherche dans les communautés noires avec une certaine humilité culturelle et une ouverture aux narrations inattendues, contradictoires ou heurtant même les sentiments des chercheuses et chercheurs. Il est essentiel d’être à l’écoute, de ne pas minimiser ou rejeter d’un revers de la main les préoccupations, l’interprétation et les priorités divergentes des participantes et participants. Dans le cadre d’études sociocritiques à visées transformatrices, la démarche épistémologique afroémancipatrice proposée invite à abandonner les postures qui infèrent que les chercheuses et chercheurs mènent des populations historiquement exclues vers certains objectifs ou « leur salut ». La démarche épistémologique afroémancipatrice présentée incite les chercheuses et chercheurs à jouer un rôle d’accompagnement et à centrer l’agentivité, les capacités et l’autonomie des communautés noires pour déterminer les buts qui favorisent leur émancipation.

Néanmoins, nous ne prétendons pas que les études scientifiques à elles seules peuvent résoudre la problématique colossale du racisme anti-Noir ou des racismes en général. À l’occasion de ce numéro thématique, nous tentons de contribuer à une réflexion relativement récente aux approches de recherche auprès des populations afrodescendantes dans la francophonie qui va au-delà de la compréhension des enjeux et des conséquences des barrières structurelles existantes. Bien que les travaux portant sur « la diversité » en général puissent inciter des réflexions intéressantes concernant les groupes minorisés, ils sont aussi susceptibles de saper les spécificités de l’expérience noire. Suivant une démarche épistémologique afroémancipatrice, les études qualitatives futures peuvent contribuer à l’avancement des connaissances en examinant le rôle des croyances, des valeurs et des idéologies sociétales; des procédures et des mécanismes organisationnels; ainsi que le rôle du jugement discrétionnaire des acteurs et actrices de différents milieux au maintien et à la reproduction du racisme anti-Noir.