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Wu Wei, Klaas Hekman, Oostum Wind, Strotbrock, Strotbrock 021, mai 2021

Bien que la collaboration entre Wu Wei et Klaas Hekman, musicien néerlandais spécialiste du saxophone basse, ait débuté en 2013 au sein de l’ensemble The NOO Ones, Oostum Wind est leur premier enregistrement en duo. Cet album regroupe onze improvisations, captées en deux jours dans la chapelle romane d’Oostum, à l’occasion d’une invitation au 2020 Summer Jazz Bike Tour aux Pays-Bas. À la richesse des relations sonores offertes par la rencontre du sheng et du saxophone basse – deux instruments pourtant radicalement différents du point de vue de leur histoire, de leur répertoire et de leurs traditions musicales – s’ajoute l’intégration occasionnelle d’autres instruments, également joués par Wu Wei (banhu, erhu et bawu) et Klaas Hekman (shakuhachi).

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Les différentes improvisations réunies sur ce disque témoignent de la grande virtuosité instrumentale (néanmoins jamais démonstrative), de l’imagination et de la complicité qui unissent les deux musiciens. Leur musique, très spontanée et ludique, dévoile une variété impressionnante de timbres et de textures sonores qui se développent de manière intuitive, imprévisible mais toujours organique. Ces bifurcations inattendues, comme autant de changements d’humeur, renouvellent constamment le monde sonore de ces onze pistes, naviguant ainsi entre des tonalités inouïes d’inspiration bruitiste (les stridulations suraiguës dans Pewter Bowl, les rugissements de saxophone dans Howling, ou encore le timbre granuleux de l’erhu dans What is what, par exemple) et des moments plus contemplatifs, où les harmonies éthérées du sheng fusionnent avec les sons harmoniques du saxophone basse (First night in Oostum) ou du timbre du shakuhachi (Night).

L’impression de liberté qui se dégage de cet enregistrement est encore renforcée par certains emprunts, ponctuels, à des esthétiques musicales variées : depuis le jazz (dans le motif initial de About NooSphere, notamment), jusqu’à la musique traditionnelle chinoise (dans le paysage harmonique du sheng de Reed). Ces diverses influences stylistiques, issues des univers professionnels singuliers de ces deux artistes, s’intègrent néanmoins naturellement au sein d’un langage musical original, cohérent, à la créativité toujours renouvelée.

Wu Wei, Wu Man, Distant Mountains, Dreyer Gaido, dgcd21129, mai 2021

Virtuose du pipa, Wu Man possède une sensibilité musicale qui s’exprime aussi bien dans l’interprétation des musiques traditionnelles (notamment au sein du Silk Road Ensemble de Yo-Yo Ma) que dans la création musicale contemporaine. Distant Mountains est un enregistrement live de sa rencontre musicale avec Wu Wei, lors de leur premier concert au Morgenland Festival Osnabrück en 2018. Si le sheng et le pipa sont deux instruments fort importants de la musique traditionnelle chinoise, leur association en duo est en revanche plutôt rare du fait de leurs différentes provenances géographiques : le sheng est un instrument issu du nord de la Chine, tandis que le pipa provient des régions du sud. Par l’originalité de la combinaison de ces deux instruments, ainsi que par la pluralité des sonorités et des techniques instrumentales employées, les deux interprètes témoignent de la vivacité d’une approche libre et créative de la musique traditionnelle.

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En effet, Distant Mountains est une exploration résolument moderne du répertoire éclectique de la musique chinoise, de la musique de cour de la dynastie Tang jusqu’aux musiques de traditions populaires. Ce mélange d’improvisations, de compositions et d’arrangements d’airs traditionnels très inventifs met en évidence la finesse de l’interprétation des deux instrumentistes, aussi bien dans des moments de grande subtilité (les deux improvisations Reflexions on Tang Dynasty et Distant Mountains par exemple), que dans des moments de vélocité exaltée (Dragon Dance, Kazakh Style ii). Le dynamisme et la fluidité des différents arrangements nous permettent également de mesurer la grande polyvalence du sheng et du pipa, capables d’assurer tour à tour un rôle mélodique, accompagnateur (notamment dans la magnifique introduction de Song of Cao Yuan, où les harmoniques naturelles du pipa ponctuent la ligne mélodique du sheng), voire, parfois, un rôle plus percussif. Ainsi, l’interprétation variée et nuancée de Wu Man et Wu Wei donne une couleur particulière, unique, à chaque pièce — couleur sublimée, sur ce disque, par la superbe acoustique de l’église St Marien d’Osnabrück.

Alexandre Amat

Manabe Naoyuki, As It Flows : The Resonance of Shō, alm Records, alcd 9182, 2018

Shō player Manabe Naoyuki’s second album, Shōin mizu no gotoshi ~Manabe Naoyuki : Sakkyoku to shō no sekai (As It Flows : The Resonance of Shō), offers a glimpse into the artist’s multifaceted career as a composer, gagaku musician, and performer of contemporary music. The album contains six of Manabe’s compositions : three pieces for solo shō, a quartet for four koto, a trio for shō and two koto, and a duet for shō and sheng.

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While studying composition at the Senzoku Gakuen College of Music, Manabe began studying shō and dance with the Tokyo-based Ono Gagaku Kai ensemble, one of the oldest active gagaku ensembles outside of the Imperial Household Agency. Just one year after beginning formal studies on the shō, Manabe joined the inaugural class in the newly established degree program in Japanese instruments at Tokyo University of the Arts. In addition to composing and performing contemporary repertoire on the shō, Manabe remains heavily involved with gagaku as a member of Juni-on Kai, an ensemble comprised of current and former members of the Imperial Household Agency Music Department. He has also published textbooks on shō performance and has sought to expand the instrument’s reach beyond conventional gagaku and contemporary music scenes.

The album fearlessly explores new technical, melodic, and timbral possibilities for contemporary shō performance. Manabe’s instrumental virtuosity and sonic innovations are especially impressive in his three solo works : Kokyū iii (2003), Kokyū iv (2003), and Kokyū v (2006). Each iteration of Kokyū, the Japanese word for “breathing,” reflects Manabe’s playful experimentation with the shō’s sonic affordances as well as a recasting of classical elements. In Kokyū iii, for example, the first half of the piece showcases the wide expressive range of the flutter-tongue technique, while the second half presents a series of virtuosic passages characterized by constantly evolving textural profiles : pedal tones, contrapuntal lines, and melodic material punctured by chordal sonorities. While we might be tempted to focus primarily on Manabe’s fingering techniques, his tightly controlled breathing is equally indispensable, as evidenced by his ability to imbue two musical voices with different dynamics and phrasing. Kokyū iv takes a “neo-classical” approach by relying exclusively on gagaku performance techniques. Whereas Kokyū iii requires a customized shō—in which A4 is tuned to 440 hz and reeds for A#5 and F5 are added to two unused pipes—Kokyū iv is designed for classical gagaku instruments. As a result, the pitch language of Kokyū iv is largely diatonic. Employing a two-note texture throughout most of the piece, Kokyū iv evokes melodic gestures observed in classical chōshi preludes and suggests new directions for contemporary repertoire that do not require custom-made instruments.

Lastly, Trio (2005) and Taiji for shō and sheng (2012) each pair the shō with unlikely ensemble partners. In particular, Taiji brings the sheng, performed by Wu Wei, into direct conversation with the shō to explore collaborative possibilities between the instruments and draw attention to their unique but shared organological history. Crucially, Manabe’s album creates a space for the composer and performers to explore the sonic and expressive affordances of the shō without establishing Western instruments as normative points of reference.

Toru Momii