Corps de l’article

introduction

Lorsqu’en 2014, sous l’impulsion de la ministre de la Justice Chrisitiane Taubira et d’associatifs oeuvrant auprès des victimes et des auteurs, la justice restaurative (désormais JR) fut introduite dans le code de procédure pénale, cette notion était encore mal connue en France. Née outre-Atlantique[1], la JR tire ses principes et sa dynamique d’un triple héritage. Premièrement, elle s’inscrit dans des pratiques anciennes et cependant toujours expérimentées de justice communautaire (Lefranc, 2006). Deuxièmement, elle renvoie à des pratiques de contestation et de mobilisation face à des modèles de justice discriminatoires, accusés de désavantager des minorités. Contestations qui confèrent à la JR une acception d’alternative, voire de contestation (Lemonne et Claes, 2014 ; Van Ness et Heetderks-Strong, 2002). Troisièmement, la JR trouve sa place dans une culture juridique, celle de la common law[2], au sein de laquelle des pratiques reposant sur des dispositifs communicationnels comme la négociation ou la médiation constituent un usage courant dans la détermination de la peine[3]. Les pratiques de négociation n’y sont pas le fait d’acteurs périphériques du système judiciaire, mais font partie des cultures judiciaires qui ont vu se développer la JR.

De ce triple héritage, l’intégration de pratiques de JR à la justice pénale française ne peut retenir dans toutes leurs forces les dimensions de la communauté, de la contestation et de la négociation. D’abord parce que le modèle juridique français est historiquement et culturellement éloigné de ce modèle. Ensuite parce que, contrairement au modèle anglo-saxon, la justice française n’a pas eu à reconnaître des pratiques de JR existantes pour les intégrer dans son droit. Au contraire, elle a intégré dans son droit des principes de la JR pour que ses pratiques puissent s’y développer. C’est une différence fondamentale et trop peu souvent soulignée. Pour se développer en France, la JR ne peut compter ni sur la reconnaissance des communautés, ni sur la force de mouvements contestant la légitimité du système judiciaire, ni sur des pratiques de négociation ancrées et reconnues comme légitimes. De ce point de vue, il n’est pas surprenant qu’il ait fallu attendre trois ans, entre la loi de 2014 et la circulaire de 2017, pour que la JR trouve enfin une définition : « la justice restaurative, appelée également “justice réparatrice”, se définit comme un modèle de justice complémentaire du procès pénal, qui consiste à restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en oeuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société ».

Depuis 2014, l’institution judiciaire française a cherché à sensibiliser ses acteurs aux principes de la JR par l’information, la formation et l’appui aux expérimentations. Elle a aussi cherché à en évaluer les actions et à appréhender les freins et leviers de son développement. Cet article s’appuie sur les données produites entre 2014 et 2017 dans le cadre de l’étude « Freins et leviers de la JR »[4]. L’enquête conduite sur le territoire national français repose sur une phase exploratoire par entretiens semi-directifs et questionnaires, puis une phase de collecte de données par entretiens semi-directifs ; ateliers collectifs et questionnaires (Annexe 1). Sa principale limite est liée à la temporalité vis-à-vis de la diffusion de la JR. Démarrée essentiellement en 2015, la JR était largement méconnue des enquêtés, nécessitant qu’une définition et que des exemples leur soient présentés afin qu’ils puissent se positionner (Annexe 2). La majorité des pratiques de justice restaurative consiste concrètement en un processus visant à engager des échanges entre des victimes et des auteurs directs (une victime et la personne qui l’a agressée par exemple) ou indirects (des victimes de violences physiques et des auteurs de violences physiques qui ne sont pas en lien), ainsi que des personnes représentant des membres de la communauté (ou de la société) qui sont parties prenantes (du fait de l’infraction commise ou des formes de réparation possibles). Le plus souvent en France, ce processus comprend au moins trois auteurs et trois victimes (mais peut aussi ne concerner qu’un auteur et une victime, par exemple dans le cas d’une « médiation restaurative ») et se décompose en quatre étapes. La première est une phase d’élaboration d’un projet de pratiques restauratives où sont évalués l’adéquation entre les demandes et les besoins des différents acteurs (victimes, auteurs, représentants de la société civile, médiateurs, acteurs institutionnels — service de probation, association, service de police, etc.) et le type d’infraction. Suit une étape de préparation à travers plusieurs rencontres individuelles entre les médiateurs qui animeront les échanges et chaque auteur et victime. Cette deuxième étape vise à s’assurer des aptitudes psychologiques et sociologiques des candidats, de leur motivation et de leur compréhension du cadre et des règles fixées. La troisième étape est celle des rencontres proprement dites où se retrouvent auteurs, victimes, membres de la société civile et médiateurs qui sont garants de l’animation et du respect des règles. Généralement, il y a au moins trois rencontres sur deux à quatre mois mais cela dépend des conditions effectives de mise en oeuvre. La quatrième étape consiste en une rencontre permettant de faire un bilan et de clore le processus. Parmi les trois exemples retenus, la rencontre détenu—victime ou condamné—victime (RDV ou RDC) était la principale référence car la première à être organisée en France dès 2010 par la Fédération France Victime, la Maison centrale de Poissy et le Service pénitentiaire de probation et d’insertion des Yvelines. Depuis, notamment à la suite de la circulaire de 2017, les sessions de RDV se sont multipliées sur le territoire (Amadio et Sarg, 2021), d’autres types de pratiques ont été expérimentés, de plus en plus d’acteurs de justice et de la chaîne pénale ont été sensibilisés à la JR et des documentaires ont été diffusés sur les grandes chaînes de télévision. L’enquête repose donc sur les représentations des acteurs de la chaîne pénale et des acteurs de la société civile quant à l’introduction de pratiques restauratives méconnues. Si l’enquête a permis d’interroger des acteurs mettant en oeuvre des pratiques de JR, elle a aussi, du fait de leur caractère encore émergent, étudié leur réception dans les sous-cultures judiciaires (Cotterrell, 2006) des acteurs rencontrés (magistrats, policiers, avocats, travailleurs sociaux et associatifs, conseillers de probation et d’insertion). En questionnant leur réception de dispositions juridiques inscrites dans le droit mais peu connues et pratiquées, les acteurs ont été amenés à s’interroger sur les valeurs et normes auxquelles ils se réfèrent pour se positionner dans leur rapport au droit, au système judiciaire et à leurs propres pratiques.

Cet article poursuit ainsi une sociologie de la réception et de la diffusion des principes portés par la JR en France initiée notamment par Faget (2015) et s’inscrit dans la perspective des Legal Consciousness Studies (Ewick et Sibley, 1998 ; Commaille et Lacour, 2018). Son but est de montrer que la JR constitue moins une alternative au modèle punitif qu’une innovation (Strimmel, 2007) qui répond à des transformations socioculturelles du rapport au droit et au système judiciaire des acteurs sociaux et des professionnels de la justice. Ces transformations reposent sur la mise en oeuvre de dispositifs communicationnels (1) et sur des enjeux liés à une attention renouvelée à la dimension conflictuelle des litiges (2). La diffusion de la JR montre ainsi l’évolution des cultures professionnelles des acteurs de la chaîne pénale à l’égard de la figure de l’auteur et du conflit dans le traitement judiciaire.

1. la jr, une réponse à l’émergence de pratiques communicationnelles

Les pratiques de JR s’appuient sur le développement progressif d’une justice négociée (Milburn, 2004) qui modifie les liens et interactions entre les acteurs (Umbreit, Coates et Vos, 2007). Elle repose sur des pratiques qui nécessitent des motivations, des intérêts et des aptitudes capables de soutenir des interactions de type communicationnel (Snow et Sanger, 2010). Bien que présentes depuis les années 1980 (Gérard, Ost et Van De Kerchove, 1996 ; Mondon, 1995) et nettement plus développées dans des pays voisins comme l’Angleterre et la Belgique (Van de Kerchove, 2015), ces pratiques restent minoritaires en France. Leur développement traduit une évolution d’ordre culturel dans le mode de traitement traditionnel des litiges. L’enquête a fait ressortir que la nécessité de mises en relation entre les protagonistes, centraux ou périphériques, directs ou indirects, d’un litige judiciaire répond à des enjeux sociaux (lutte contre la récidive et maintien des liens et de la paix sociale), psychologiques (prise en compte des victimes et responsabilisation des auteurs) et économiques (désengorgement des tribunaux, accélération de la réponse judiciaire).

1.1 Le développement de pratiques communicationnelles déjà existantes dans les pratiques judiciaires en France

Du point de vue du droit civil, social et commercial, des pratiques comme la négociation, la conciliation et la médiation tendent à se développer depuis le milieu des années 1990[5] sous l’effet, notamment, de l’Union européenne[6] (Rambour, 2013), à travers le droit collaboratif, les procédures participatives et autres « MARD » pour « modes alternatifs de résolution des différents (décret de 2012) ». Dans le cadre de l’enquête « Freins et leviers de la JR » en France, plusieurs avocats généralistes qui se forment aux MARD ou les mettent déjà en oeuvre ont été interviewés. L’usage des termes « médiateur » ou « conciliateur » marquait une première spécificité d’ordre culturel : les avocats évitent l’usage du terme négociation, jugé trop péjoratif. Aussi, quel que soit le domaine juridique d’application (y compris la négociation commerciale), nombreux sont ceux qui préfèrent employer le terme de médiation. Leurs pratiques oscillent en réalité entre le bargaining ou la négociation raisonnée (centrée sur la recherche d’une solution) et la médiation transformative (centrée sur la relation entre les protagonistes) (Faget, 2010). C’est notamment par le biais de ces pratiques que les avocats rencontrés ont eu connaissance, dès 2015, de la notion de JR. Pour ces avocats généralistes et/ou spécialisés en matière pénale, la JR apparaît comme un nouvel outil s’inscrivant dans le développement des MARD en droit civil, social et commercial. Ils restent toutefois sceptiques quant à l’efficacité de ce type de pratiques dans les affaires pénales. D’aucuns font référence, pour appuyer leurs propos, au recul significatif du nombre de mesures de médiation pénale (Delcourt, 2017), à la difficulté de trouver des lieux pour accueillir des condamnés à des travaux d’intérêt général (Portelli, 2010), ou encore à l’essor difficile de la médiation familiale (Bastard, 2012 ; Amadio, 2015). Les avocats soulignent ainsi que, même institutionnalisées, ces pratiques s’imposent difficilement dans le système judiciaire français, particulièrement en matière pénale[7]. Cependant, ces exemples montrent aussi que, bien que sous-utilisées, les pratiques de type MARD font déjà partie du corpus législatif français. De ce point de vue, elles ne sont à proprement parler ni nouvelles ni tout à fait alternatives.

En ce sens, le développement de pratiques fondées sur des dispositifs communicationnels tient d’abord aux motivations et intérêts des acteurs du système judiciaire. Il ressort de notre enquête que, pour qu’elles soient utilisées, il convient que soient réunies trois conditions : que les acteurs de l’institution judiciaire en aient une connaissance empirique ; que leur contexte de travail les invite à y trouver des motifs d’action ; que les politiques judiciaires nationale et locale y soient favorables (a minima qu’elles n’y soient pas défavorables). Lorsque ces trois conditions sont réunies, des acteurs associatifs professionnels ou bénévoles, mais aussi professionnels de la justice se regroupent pour élaborer ensemble des projets de mise en oeuvre de pratiques de JR. Ces acteurs sont convaincus personnellement des principes de la JR et professionnellement de l’efficacité de dispositifs reposant sur des pratiques communicationnelles. Devenant des intermédiaires du droit (Pélisse, 2018), ils contribuent à l’articulation entre des cultures juridiques internes et externes[8].

Ces conditions rappellent qu’il faut se garder de toute lecture homogène des pratiques judiciaires car elles prennent sens au regard de références culturelles et de contextes internationaux, nationaux, locaux et professionnels spécifiques. Si l’ensemble des acteurs sont soumis aux effets des rationalisations budgétaires et des exigences gestionnaires, leurs pratiques professionnelles n’en sont pas moins différentes. Les magistrats rencontrés ont souligné que l’opportunité de mise en oeuvre de pratiques, peines et mesures complémentaires à la sanction pénale, dépend de la politique territoriale mise en oeuvre et de son adéquation à la politique pénale nationale. Parmi les magistrats ayant répondu qu’ils mettaient très souvent, souvent, assez souvent ou jamais, en oeuvre des mesures comme la médiation pénale (5 %, 12 %, 32 %, 20 %) et la composition pénale (12 %, 23 %, 24 %, 32 %), environ 15 % d’entre eux ont mis en avant, en réponse libre, le rôle de la politique pénale territoriale pour expliquer ces fréquences d’utilisation.

Si ces données doivent être prises avec précaution parce que nous ne disposons pas des effets de territoire quant aux ancrages géographiques des magistrats répondants, les entretiens effectués avec les magistrats et les avocats ont peut-être plus encore que l’enquête quantitative mis en lumière combien les pratiques des professionnels de justice sont façonnées par les politiques et cultures judiciaires locales. Les particularismes locaux apparaissent essentiellement à l’égard de mesures comme, par exemple, la médiation pénale, la composition pénale, la médiation familiale ou les alternatives aux poursuites (Aubert, 2009). Les expérimentations en matière pénale, notamment sur les nouvelles formes de sanction (Gautron et Retière, 2014), montrent que les acteurs locaux disposent de marges de manoeuvre qui leur permettent de se saisir d’opportunités de réseaux, de compétences et de mobilisations professionnelles pour expérimenter de nouvelles modalités de traitement judiciaire. La réponse pénale résulte de l’articulation entre des exigences ministérielles et une configuration sociale, économique et culturelle locale. À cet égard, nous avons été confrontés à la difficulté d’identifier et de saisir l’histoire de ces expérimentations pour en comprendre les échecs et les réussites. Il y a certainement là, pour la JR comme pour d’autres pratiques, matière à s’engager dans une recherche propre, visant à établir un état des lieux des expérimentations et innovations en matière de pratiques judiciaires, voire à implémenter des cellules de veille et des évaluations systématiques.

1.2 Des pratiques en continuité des évolutions du système judiciaire français

Plus l’arsenal judiciaire devient important et se complexifie, plus les modalités de mise en oeuvre de la justice deviennent dépendantes des politiques territoriales. C’est un des éléments caractérisant les évolutions contemporaines du système judiciaire français. Jacques Commaille a, dès 2007, montré que la justice française est confrontée à trois dynamiques : la détraditionnalisation, la néolibéralisation et la démocratisation (Commaille, 2007 : 295-317). Depuis, certains travaux ont montré que ces évolutions se sont accentuées et parfois diffusées à de nouveaux secteurs d’activité judiciaire (Lemonne et Claes, 2014 ; Vigour, 2017 ; Garapon et Lassègue, 2018). Les trois dynamiques dégagées par Commaille (Tableau 1) gardent ainsi leur pertinence et leur caractérisation offre un support pour comprendre comment les pratiques de JR viennent s’inscrire dans ces évolutions.

En effet, afin de préparer les questionnaires et les entretiens de l’enquête « Freins et leviers de la JR », nous avons construit une synthèse des objectifs qui peuvent être dévolus à la JR à partir de la littérature existante et de données recueillies lors d’une phase exploratoire (conduite par questionnaires et entretiens). Le Tableau 2 ci-dessous présente ces principaux objectifs regroupés en trois catégories : les objectifs visant les victimes, les objectifs visant les auteurs et les objectifs visant la société.

Tableau 1

Évolutions de la justice selon Commaille (2007)

Évolutions de la justice selon Commaille (2007)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Objectifs dévolus à la JR

Objectifs dévolus à la JR

-> Voir la liste des tableaux

En croisant les évolutions identifiées par Commaille et les objectifs dévolus à la JR, on remarque combien la JR, plutôt que de constituer une alternative ou une innovation aux traitements judiciaires existants, se lit comme la résultante d’évolutions latentes mais déjà ancrées par des pratiques existantes et de transformations culturelles qui concernent le rapport au droit et à l’institution judiciaire. Cette lecture d’une JR bénéficiant d’ancrages et de transformations culturelles existant dans le système judiciaire français est peu présente dans la littérature consacrée. Il est plus fréquent de voir la JR présentée comme une alternative innovante, en rupture avec les modalités traditionnelles et punitives des réponses judiciaires. Peut-être est-ce là un effet du fait que, parmi ceux qui étudient les pratiques de JR, certains en sont aussi promoteurs, à l’instar de Cario (2013), Cario et Mbanzoulou (2012) ou Walgrave et Zinsstag (2014).

Si l’on doit retenir un caractère alternatif à la JR en France, c’est plutôt dans sa participation à la redéfinition de ce que Dubet (2002) appelle le « programme institutionnel » de la justice qu’il faut le chercher. En effet, l’institution judiciaire française s’appuie sur une lecture de la loi et un exercice du droit où les finalités priment sur les moyens, où l’affirmation, dans une enceinte sacralisée, du pouvoir universel de la loi, appuyée sur un corpus substantiel de règles, compte plus que la force du pragmatisme et du caractère adapté de leurs usages. Avec le développement de pratiques communicationnelles, « le lieu privilégié de la mise en oeuvre du droit que représente la justice est, par voie de conséquence, susceptible d’être de plus en plus investi non plus comme lieu où se dit le droit avec des juges « bouches de la loi » mais comme espace où se construisent des arrangements provisoires […] » (Commaille, 2007 : 305). Ainsi, la JR s’inscrit dans une transformation du rapport à la justice qui n’est pas circonscrite à la matière pénale et encore moins nouvelle. Elle traduit, en même temps qu’elle accompagne, une évolution d’ordre culturel du rapport à la justice dans ses finalités, ses moyens et sa gouvernance.

Le Graphique 1, élaboré à partir des réponses libres formulées par les acteurs ayant motivé les raisons pour lesquelles ils se déclarent prêts à participer de manière active à des pratiques de JR, montre que les acteurs rencontrés se disent sensibles à l’idée de voir évoluer le système judiciaire et de pouvoir expérimenter de nouvelles formes de pratiques professionnelles, y compris ceux qui se déclarent a priori peu favorables à la JR.

Ces données varient bien entendu en fonction des intérêts des acteurs mais elles montrent surtout qu’ils ne sont pas rétifs à l’idée que le système judiciaire évolue. Si la JR ne constitue pas une innovation en soi, elle apparaît comme un support d’innovations en matière pénale et comme l’expression de transformations culturelles en matière judiciaire. On trouvera là, peut-être, une des raisons au soutien de son institutionnalisation par la puissance publique.

Plusieurs éléments concourent à cette représentation de la JR comme vectrice non pas tant d’alternatives au système judiciaire mais d’évolutions qui y ont déjà cours et d’une nécessité de le réformer. Ces éléments peuvent être analysés à travers les réponses apportées par les acteurs quant à l’intérêt qu’ils perçoivent de la JR pour la victime, l’auteur et la société.

Graphique 1

Motivations pour participer à des pratiques de JR

Motivations pour participer à des pratiques de JR

-> Voir la liste des figures

Graphique 2

Intérêt de la JR pour l’auteur, la victime et la société par catégorie

Intérêt de la JR pour l’auteur, la victime et la société par catégorie

-> Voir la liste des figures

Comme l’indique le Graphique 2, la majorité des acteurs interrogés estiment que la JR a d’abord un intérêt pour les auteurs d’infraction, ensuite pour les victimes et, enfin, pour la société.

Cette répartition est intéressante pour deux raisons. La première raison est qu’elle réinterroge l’association faite par les praticiens et les académiciens entre le développement de la victimologie (Cario, 2011) et celui des pratiques de JR. Certes, comme le souligne Dubois (2008 : 479), « les recherches en victimologie contribuent également à la reconnaissance des effets positifs de la médiation pour la victime […]. Les travaux autour de la médiation réparatrice offrent par conséquent aux victimologues, à travers la restorative justice, un espace intellectuel leur permettant de développer de nouvelles recherches et expériences. » La surreprésentation des acteurs de l’aide aux victimes parmi les catégories les plus favorables à la JR rejoint ce constat. Bien que certaines associations d’aide aux victimes se soient aussi engagées dans des actions d’accompagnement des auteurs (réinsertion, groupes de parole, hébergement), les données récoltées par entretien mettent en avant un intérêt plus soutenu des pratiques de JR pour les auteurs que pour les victimes. Les acteurs interrogés sont donc réceptifs non seulement à l’idée que des auteurs d’infractions pourraient y trouver parti, mais aussi que cela pourrait leur être plus utile qu’à des victimes, comme l’exprime ce psychologue salarié d’une association d’aide aux victimes : « Alors ça peut être positif pour les auteurs, je pense que pour les auteurs, ça ne peut pas aggraver leur situation si c’est mal fait, enfin, [par exemple] s’ils proposent la médiation pénale au lieu d’un procès d’assise effectivement ça ne va pas déranger les auteurs (…) donc c’est jamais négatif pour les auteurs, par contre ça peut l’être pour les victimes. »

Comment comprendre ce lien entre JR et auteur d’infraction ? On peut poser l’hypothèse que les objectifs de lutte contre la récidive et de responsabilisation des auteurs sont devenus des principes guidant à la fois les représentations (incarcérer ne suffit plus à protéger la société) et les actions (minimiser les risques de récidive et évaluer la dangerosité) (Hirschelmann, 2016). Or, la JR est souvent présentée comme une pratique concourant fortement à la responsabilisation des auteurs et à la lutte contre la récidive. En France, l’étude de la réception de la JR semble ainsi mettre en exergue l’intérêt de nouvelles réponses pénales non seulement pour la victime et l’auteur (dans le sillage des développements récents de la victimologie et de la criminologie), mais aussi pour la société. Les acteurs interrogés, à travers les associations qu’ils effectuent entre JR et auteurs, énoncent des objectifs sociétaux (lutte contre la récidive, réparation des liens sociaux, responsabilisation) qui renvoient à ce que Martuccelli (2005 : 144) nomme « le passage d’un commandement normatif à un commandement psychologique, la transition d’une logique d’assujettissement à une logique de responsabilisation ». Derrière le lien exprimé par les acteurs interrogés entre pratiques de JR et auteurs, on retrouverait ainsi la dimension « communauté », si difficilement identifiable dans le contexte français.

La deuxième raison est que cette répartition est d’autant plus marquée que les enquêtés se situent dans les catégories les moins favorables au développement de la JR, c’est-à-dire la police nationale et les surveillants pénitentiaires. Outre leur scepticisme quant à l’intérêt de la JR, ces deux catégories partagent le fait d’être au contact des auteurs et revendiquent cette proximité comme une caractéristique forte de leur activité. Cette position a un impact sur leurs représentations par rapport à la figure de l’auteur et marque fortement leur culture professionnelle et juridique. Confrontés à des situations à fortes charges émotionnelles, leur contexte d’intervention est plus marqué par l’urgence et par des césures communicationnelles que par une volonté résolutive. Les policiers sont plongés dans des cours d’action qui ne possèdent pas les attributs de distance temporelle et émotionnelle vis-à-vis du passage à l’acte comme pour le travail des magistrats, des conseillers d’insertion et de probation ou des médiateurs associatifs. Aussi, si certains estiment que la JR peut avoir un intérêt (Graphique 3), c’est d’abord en raison des limites qu’ils constatent dans leurs pratiques. Notamment pour trouver une réponse à leur sentiment d’impuissance devant « l’incapacité de la très grande majorité des auteurs à prendre conscience de leurs actes et même de reconnaître les victimes déjà comme des victimes mais encore plus comme leurs victimes » (entretien avec un surveillant pénitentiaire). Les pratiques de JR pourraient permettre aux policiers et aux surveillants pénitentiaires de faire face aux paradoxes qu’ils rencontrent dans leur profession (Darley et Lancelevée, 2016).

La JR pourrait constituer un vecteur de responsabilisation, sinon au moins l’occasion d’expérimenter de nouvelles méthodes permettant de redonner du sens à leurs pratiques professionnelles (Rostaing, 2009 ; Malochet, 2004), « ou au moins de faire face à l’usure qui nous guette tous tellement on est confronté à des gens qui franchement n’en ont rien à faire des dégâts qu’ils ont causés » (entretien avec un gardien de la paix en service de quart). Reste que les acteurs de l’exécution des peines et de la police ne se déclarent pas favorables au développement de la JR. Celle-ci leur apparaît comme contraire à leur culture professionnelle et à leur rapport au système judiciaire : ils craignent que le caractère imposé de la peine, voire la nécessité d’une sanction « couperet », puisse être remis en cause.

2. la reconnaissance du conflit dans le litige judiciaire : vers un changement de paradigme ?

La JR se caractérise par une diversité de pratiques mais aussi d’approches théoriques. Elle donne lieu à de nombreux débats qui se saisissent de notions trop floues pour constituer des concepts opératoires. La communauté, la restauration du lien social, la médiation, le conflit sont pourtant au coeur de ses différentes acceptions. Parmi elles, la notion de conflit est particulièrement prégnante. Peu d’auteurs ont interrogé la façon dont la notion de conflit est convoquée dans le champ de la JR, sa signification, ses attributions, ses limites et ses impacts. Pavlich (2005), Woolford (2009), Jaccoud (2007) et Strimmel (2015) ont montré que les promoteurs de la JR, tout en se déclarant en opposition au système pénal punitif, ne parviennent pas à s’en affranchir totalement parce qu’ils considèrent que la JR intervient au regard d’un crime lui-même identifié à partir des définitions que la justice pénale lui donne. De sorte que,

en considérant le crime comme point de départ de la réaction restauratrice, elles [les théories de la justice restauratrice] ne feraient en fait que reproduire les logiques pénales qu’elles critiquent […], en substituant au concept de crime celui de bris de relations ou de conflit, ils n’ont pas ôté au concept son caractère transgressif et l’ont juste transféré d’un registre juridique à un registre social, sans en interroger les racines plus profondes

Strimelle, 2015 : §22

Graphique 3

Effets positifs potentiels de la JR pour l’auteur

Effets positifs potentiels de la JR pour l’auteur

-> Voir la liste des figures

Certes, la JR s’inscrit dans une histoire internationale des mobilisations collectives contre des systèmes judiciaires inégalitaires. Mais, en France, c’est le système judiciaire lui-même qui promeut son développement. Doit-on pour autant conclure que les pratiques de JR n’ont pas d’impact sur ce que Noreau (1998 : 591) appelle « la superposition des conflits » dans l’espace judiciaire, l’existence simultanée de deux formes spécifiques de conflits et de résolutions, le litige et le conflit social ? Les données recueillies dans le cadre de l’enquête ont fait émerger trois enjeux (relationnel, sociétal et socioprofessionnel) qui renvoient à l’impact des pratiques de JR sur la diffusion d’une culture juridique dans laquelle les dimensions conflictuelle et communicationnelle sont importantes.

2.1 Un enjeu relationnel : la réappropriation du conflit par les parties en litige

Le premier enjeu est de nature relationnelle. Il s’agit de la réappropriation du litige par les parties en conflit. Cet enjeu est loin d’être nouveau. Il est renouvelé chaque fois que la place de la victime et la séparation entre action publique et action civile dans le procès pénal sont questionnées (Ribeyre, 2016). Cependant, le développement des pratiques de JR lui donne une nouvelle actualité. La prégnance de la figure de l’auteur lorsqu’on évoque la notion de JR renvoie à des enjeux de diffusion liés à des lectures différentes du « conflit judiciaire » qui noue les relations entre les parties prenantes, et ce, au-delà de la nature de ce dernier, du type ou de la gravité de l’infraction commise. L’un des arguments fréquemment avancés pour promouvoir le développement de la JR est que cette dernière permettrait à ses principaux protagonistes de se réapproprier « leur conflit ».

L’idée d’une confiscation du conflit par la justice a été développée par Christie (1977). Le système judiciaire introduirait une distance dans la façon dont il prend en charge le conflit entre les parties ; le parquet se substituant à la victime présumée en transformant le passage à l’acte qui porte préjudice à la victime en transgression de la norme qui porte atteinte à l’ordre social. De par cette distance, le système judiciaire serait incapable de prendre en compte la complexité du conflit, la profondeur des relations dans des cas de proximité familiale et/ou affective et de satisfaire les parties prenantes dans le traitement du litige. Incapacité redoublée du fait des enjeux de rationalisation budgétaire. L’arbitrage judiciaire, en établissant qui de l’auteur, qui de la victime, et à partir d’une vision distanciée du conflit, aboutirait à l’expression d’une sentence dont la victime se trouve exclue, voire stigmatisée. Le système judiciaire tendrait à subtiliser le conflit aux parties pour le réduire à un schéma adapté à ses modalités organisationnelles, empêchant par la même occasion des formes de résolution et de réparation. « On le voit, la critique des processus judiciaires se fonde sur l’idée que le litige confisqué, les parties affaiblies dans leur capacité à régler les litiges qu’elles vivent, se déroule une procédure étrangère tant aux réalités du litige qu’au vécu des protagonistes, pour déboucher sur une solution insatisfaisante. La contestation de l’hétéronomie judiciaire qui est à la base de l’idéal de la médiation amène donc à rechercher une nouvelle autonomie pour les parties. Celles-ci la trouveraient dans un processus participatif et consensuel leur permettant de reprendre conjointement le contrôle de la gestion de leur conflit afin d’en déterminer l’issue » (Mincke, 2006 : 645-466). Cependant, suivant le contexte socioculturel dans lequel est mise en oeuvre la justice restauratrice (Aertsen et Brunilda, 2017), la réappropriation du conflit par les protagonistes est susceptible de revêtir des formes très différentes, allant de la rencontre entre des victimes et des auteurs indirects ayant purgé leur peine, à la co-construction d’un accord de réparation et de règles communes pesant sur la décision du magistrat, voire s’y substituant. Ainsi, la JR pose aux acteurs enquêtés la question de son périmètre d’applicabilité et de la temporalité du traitement judiciaire (pré-sentenciel, sentenciel ou post-sentenciel), notamment vue sous l’angle de la victime.

Pour les acteurs les moins favorables, en mettant en avant une conception conflictuelle du traitement du litige judiciaire sans distinction préalable de nature et de gravité des infractions, la JR tendrait à rendre inintelligible la complexité des situations de victimes au profit d’un « vernis communicationnel ». Les victimes de violence (Hudson, 2002), menacées dans leur intégrité physique, psychique et/ou sexuelle, ne se reconnaissent pas nécessairement dans une lecture conflictuelle du litige judiciaire. Elles peuvent souhaiter construire une position d’extériorité pour faire face aux impacts traumatiques de l’infraction subie et du traitement judiciaire, comme le souligne le vice-procureur d’un tribunal de grande instance :

L’archétype de la victime est plutôt de tourner la page et de ne pas revoir la personne ! […] Dans les hypothèses de faits graves, autrement dit souvent criminels, je ne parle pas de celui qui ne peut plus être là pour s’exprimer mais en tout cas de ses proches ou de ceux, de celles qui ont vécu des viols par exemple, puisque l’exemple type d’affaire qu’on rencontre aux assises euh, généralement c’est plutôt l’idée qu’on ne veut plus rien avoir à faire avec l’auteur, […] la demande de réparation civile n’est pas un motif d’enrichissement, n’est pas sous-tendue par une volonté de s’enrichir euh, et quand on a par ailleurs ce processus de réparation civile qui peut d’ailleurs prolonger le procès pénal dans les intérêts civils, souvent les victimes ne sont d’ailleurs pas très, ne sont pas ravies parce qu’il faut retourner au tribunal, donc on ravive le, l’histoire et ce qui s’est produit euh, la manière dont elle est malmenée parce qu’on est malmené quand on est victime dans un procès non seulement à l’audience avec tous les effets de manche de la défense et l’audience mais vous avez certainement, vous savez ce que c’est que d’être victime d’une affaire quand on est, avant d’aller au tribunal : c’est la plainte, c’est le médecin, c’est éventuellement une nouvelle audition, c’est parfois même la confrontation avec l’auteur euh, et ça sur 48 heures ! Si on part de l’idée qu’on a affaire à un flagrant délit ou à un crime flagrant et donc pendant 48 heures, la vie des gens elle est complètement, elle est en stase et donc c’est violent pour eux, c’est-à-dire qu’on leur dit ben vous allez chez le toubib parce que la personne est en garde à vue, donc on ne peut pas attendre que vous passiez chez le médecin dans quinze jours sans compter que quinze jours plus tard, il n’y a plus de traces, donc il faut aller chez le médecin à point d’heure, on y passe une moitié de nuit et puis ensuite le lendemain matin, on est rappelé par la police parce que ben il faut encore faire une nouvelle audition et puis trois heures après on est souvent entrecoupés de, ce qu’on ne sait pas quand on est plaignant, mais d’avis des magistrats à la police, il faut venir parce que l’auteur conteste les faits et faire une confrontation, enfin donc on se retrouve face à lui et puis si on sait que c’est pas la première fois parce que si le dossier va ensuite au tribunal ou chez le juge d’instruction, si vous passez chez le juge d’instruction, vous avez quasiment donc dans beaucoup d’affaires de moeurs une confrontation, donc vous êtes face à votre agresseur, c’est euh, c’est épouvantable ! Je trouve que c’est assez épouvantable ! On fait subir aux gens des violences, bon, j’y mettrai quand même quelques guillemets parce que euh, on s’accordera sur le terme évidemment, mais on les malmène ! Alors que fondamentalement ils n’ont rien demandé à personne, au contraire !

De ce point de vue, la participation de la victime au processus judiciaire à travers des pratiques restauratives ne va pas de soi. Or, les promoteurs de la JR, notamment dans la perspective d’Howard Zehr (2012 ; voir aussi Cario, 2010), présentent cette capacité à mettre en relation auteur et victime à la fois comme un moyen et comme un objectif. En effet, les pratiques de JR s’inscrivent dans le cadre de dispositifs communicationnels portant sur la sphère intime et le travail psychologique des victimes et des auteurs. Du point de vue des enquêtés, deux conditions président à la pertinence de la JR pour les victimes : répondre à des besoins de reconstruction psychosociale bien identifiés ; impacter positivement la reconnaissance des droits des victimes. En la matière, la JR s’appuie pour partie sur le développement de la victimologie et dispute son originalité à d’autres approches, comme la justice transitionnelle (Hazan, 2008). Fait en effet consensus que les risques pour les victimes sont liés aux pratiques relationnelles inhérentes à la JR et à une lecture conflictuelle du litige judiciaire : le traitement du litige judiciaire sur le versant conflictuel rend la victime dépendante du bon vouloir de l’auteur, du caractère vertueux de sa participation au processus relationnel.

Ce qui est souvent présenté en France comme le parangon des pratiques de JR, à savoir la rencontre auteur-victime, cristallise ainsi toutes sortes d’inquiétudes qui n’en sont pas exclusives. Parmi ces inquiétudes, le risque lié à des asymétries de pouvoir dans la relation entre l’auteur et la victime et de victimisation secondaire (Wemmers, 2013) sont les plus retenus par les enquêtés. Ainsi s’interroge un chef de détention en maison centrale (détention de longues peines) :

Après, au niveau des auteurs, eh ben ça fait six ans que je côtoie une partie du gratin de nos grands criminels français… on a ici beaucoup d’affaires de moeurs euh, pour les avoir régulièrement en entretien et pour des fois pousser la discussion un peu plus loin, c’est clair que là, il y a aussi une grande sélection ! Parce qu’il y en a qui ne vont pas reconnaître les faits donc ça, on les enlève déjà du dispositif. Il y en a qui sont spécialistes dans la manipulation et qui vont parler et qui vont réussir à retourner la tête à des autres et à se poser en victime euh, y’en a quelques-uns qui vont être éventuellement sincères et reconnaître les faits, et bien souvent ils ne vont plus vouloir en parler […] donc les auteurs qui seraient prêts à faire ces démarches, voilà, je pense qu’il n’y en pas beaucoup !

Plus de 90 % des enquêtés estiment que les effets négatifs potentiels de pratiques de JR peuvent être liés au fait que l’auteur peut nier sa culpabilité ou manifester de la colère. Dans cette perspective, si d’un côté les textes de loi et les décrets permettent d’envisager toutes initiatives en la matière, d’un autre côté le flou des définitions et le manque d’évaluations objectives des dispositifs de JR laissent entrevoir des risques pour la victime. En dehors d’une lecture politique, morale ou spirituelle, rien n’assure alors de l’intérêt de la participation de la victime aux pratiques de JR. Sans arguments sociologiques, économiques ou psychologiques probants, c’est in fine sur des ressorts socioculturels que repose le développement de la JR.

2.2 Un enjeu sociétal : la reconnaissance des communautés ou groupes sociaux impactés

Le second enjeu est de nature sociétale. Il ne s’agit pas seulement de permettre la réappropriation du conflit mais de favoriser l’intervention et la représentation d’acteurs sociaux dans le traitement judiciaire. En effet, si la notion de JR met en perspective la dimension conflictuelle du litige judiciaire, elle introduit aussi celles et ceux qui sont affectés par l’infraction commise. La JR entend faire participer, au-delà des seuls protagonistes, des acteurs individuels et collectifs au processus de restauration du lien social. C’est la raison pour laquelle la notion de communauté est fondamentale parmi les principes de la JR (Rosenblatt, 2015). Comme le souligne Faget (2010 : 1) :

La JR a pris naissance dans des pays très fortement marqués par la colonisation […] dans lesquels la justice étatique postcoloniale fut incapable de solutionner autrement que par la répression l’inadaptation des peuples autochtones. Face à cette impasse la revalorisation de traditions normatives communautaires fut un moyen de faire droit aux revendications identitaires de ces peuples

Jaccoud, 2003

La JR met en avant la communauté non seulement en tant qu’assise mais aussi comme objectif. Mais en France, cet appui sur la notion de communauté s’avère extrêmement délicat, tant du point de vue de sa réception que de sa traduction. La question « communautaire » apparait comme celle qui marque le plus les enjeux soulevés par la JR en termes de legal transplants car elle touche directement à des normes culturelles fortes (Díaz et Navarro, 2020). Un vice-procureur de tribunal de grande instance formule ainsi l’hypothèse — par ailleurs étudiée par Bierbrauer (1994) — d’un lien entre normes culturelles individualiste ou collectiviste et justice négociée ou par contentieux :

J’ai aussi l’impression qu’on est dans une société, enfin la mentalité française n’est peut-être pas aussi adaptée, elle est, bon pour le dire sans doute très schématiquement, […] mais l’individualisme typiquement français euh, notamment fait qu’une nouvelle fois l’individu il est surtout dans des relations par rapport à l’autorité étatique et euh, la société me semble-t-il est moins, est moins riche dans le tissu, enfin c’est utopie, pardonnez-moi, c’est une utopie dans le texte, elle est moins riche socialement parlant que l’Amérique euh, en tout cas que le système anglo-saxon avec euh, évidemment les groupes, des groupes de communautés beaucoup plus restreints et des clubs, des associations, etc., etc.

Lors des entretiens exploratoires, l’emploi du terme communauté a suscité un rejet immédiat. Ce rejet reposait sur des représentations qui font écho à des questions sécuritaires et à des risques de communautarisme : certains y voient une menace pour la cohésion sociale ; les plus hardis expriment directement l’idée d’un risque lié aux communautés islamiques. Face à ces réactions, nous avons pris le parti de substituer le terme de société civile à celui de communauté. Ce choix a pour effet de dissoudre ce qui dans l’esprit anglo-saxon renvoie à des groupes d’individus liés entre eux par des relations de proximité, d’intérêt et d’affection, dans une notion vague où le collectif disparaît au profit d’une idée abstraite où se côtoient communauté nationale, vivre-ensemble, exercice de la citoyenneté, etc. Deux raisons ont présidé au choix de cette notion floue, dont Michel (2009) a analysé le succès auprès des acteurs de l’Union européenne à la recherche d’une légitimité politique et dont l’usage s’est étendu depuis. La première raison tient non seulement à l’acception péjorative faite par la majorité des acteurs, mais aussi au fait qu’ils n’en trouvaient pas de traduction : vers qui, concrètement, devrait-on s’adresser pour représenter la « communauté » ? Le terme ne leur semblait ni pertinent ni légitime. La seconde raison tient au fait que le terme communauté constitue, avec la victime et l’auteur, l’une des trois dimensions fondamentales de la JR, celle qui fait peut-être le plus son originalité. On ne pouvait se départir totalement de cette dimension, tout en sachant que sa réception difficile introduit un biais par rapport à leurs représentations des pratiques de JR. Conserver le terme de communauté aurait fait courir le risque d’un rejet spontané de la JR, sans que les acteurs ne cherchent à comprendre plus avant de quoi il retourne. Il fallait donc lui trouver un substituant plus adapté au contexte et à la culture française. D’autant que, nombre d’acteurs concevaient parfaitement que des collectifs permettraient de recréer des solidarités participant d’une restauration du lien social, tout en rejetant le terme de communauté. C’est particulièrement le cas des collectifs d’acteurs mobilisés sur leur territoire pour expérimenter des pratiques de JR, donc convaincus par cette dernière. Ces acteurs développent la JR dans une acception assez proche du commoning que Laval (2016 : 1-2) définit comme « ensemble de pratiques instituantes et d’institutions constituées répondant au principe selon lequel un groupe plus ou moins étendu s’engage dans une activité collective productrice de biens tangibles ou intangibles mis à la disposition des commoners ou d’une collectivité plus large, selon des règles démocratiques d’auto-organisation ». Ils créent par leur mobilisation des collectifs d’acteurs locaux, souvent institutionnels, et, par la mise en oeuvre de la JR, des liens de solidarité qui dépassent le collectif initial pour se diffuser à d’autres acteurs individuels et groupes sociaux.

Cependant, en dehors des acteurs les plus favorables à la JR, la dimension collective que recouvre la notion de société civile ne semble pas constituer une réalité sociale éprouvée (Amadio et Sarg, 2021). Lorsqu’on interroge les acteurs sur les impacts positifs potentiels de la JR sur la société, les réponses montrent des modalités qui renvoient à la responsabilisation et à la réintégration de l’auteur ainsi qu’à la réparation des victimes (Graphique 4).

Graphique 4

Effets positifs potentiels de la JR sur la société

Effets positifs potentiels de la JR sur la société

-> Voir la liste des figures

Par exemple, les acteurs de la police nationale se démarquent par le nombre de répondants ayant choisi la modalité « participation au processus de réparation des victimes ». On constate un intérêt marqué pour les victimes et leur droit à une réparation, c’est-à-dire à des formes de sanctions allant au-delà de l’emprisonnement. D’autant plus que les acteurs de la police nationale sont aussi ceux qui ont le moins retenu les modalités « responsabilisation de l’auteur » et « restauration de la paix sociale ». L’impact potentiel de la JR sur la restauration de la paix sociale retient surtout l’attention des acteurs de la justice et de l’aide aux victimes et de l’accompagnement des auteurs mais beaucoup moins des acteurs de la société civile et de l’exécution des peines. On peut ainsi s’interroger sur le lien qui apparaît entre le fait que les acteurs pour lesquels la JR traduit d’abord un intérêt et des impacts potentiels du point de vue de l’auteur sont aussi ceux qui pensent que la société n’en constitue pas un enjeu central. Ce lien se confirme au regard des réponses en matière d’effets négatifs potentiels sur la société présentés dans le Graphique 5.

Le risque d’instrumentalisation de la justice par l’auteur est retenu par la majorité des acteurs. Cette inquiétude partagée à l’égard des effets potentiellement délétères de la JR tant sur les victimes que sur l’ordre social et judiciaire laisse peu de place à l’éventualité d’une considération positive ou négative sur des collectifs impliqués dans les pratiques de JR. Il ressort que les représentations et les attendus quant à la JR restent avant tout marqués par la figure de l’auteur. La lutte contre la récidive, le désengorgement des prisons, l’efficacité du système judiciaire sont bien entendu aussi évoqués, mais dans une moindre mesure (Wood, 2015). Finalement, les attendus envers la JR renvoient soit à une perspective macrosociologique (politique), soit à une perspective microsociologique (l’auteur ou la victime). La perspective mésociologique, collectifs, communautés ou structures intermédiaires, est rarement mentionnée. La rencontre entre une réception et une traduction difficiles du terme communauté et le fait que le droit pénal laisse peu de place aux entités collectives qui, « […] échappent ou ont généralement échappé, et souvent complètement, au droit pénal » (Dumont, 2012 : 6) en constituent une explication et un frein au développement de la JR qui, amputée de cette dimension, perd une partie de son originalité et de sa pertinence.

2.3 Un enjeu socioprofessionnel : le risque d’un changement d’ethos professionnel

Le troisième enjeu est de nature socioprofessionnelle : une caractérisation du litige judiciaire tournée vers les dimensions sociale et relationnelle du conflit qu’il recouvre ouvre la voie vers des modes de traitement extrajudiciaire. Mais ces possibilités sont souvent ramenées vers un ethos professionnel commun aux acteurs du système judiciaire. Ce court extrait d’un échange entre une médiatrice d’une association d’aide aux victimes et une directrice de maison d’arrêt donne une illustration de la façon dont, à plusieurs reprises, les transformations envisagées sous l’effet de la JR se voient ramenées à des pratiques professionnelles connues et adaptées aux normes socioculturelles du cadre judiciaire français :

Médiatrice : On parle de la JR, après en France y’a une autre culture, d’autres spécificités culturelles, on a une culture de la sanction, mais l’acte pénal ou l’acte incriminé certes engendre un préjudice pour la victime, mais aussi au niveau du lien social qui est rompu, c’est là, à ce niveau, que je trouve que la JR pourra jouer un rôle.

Directrice MA : Je pense que l’esprit de la loi, c’est plutôt de venir en complément, en accompagnement et peut-être même instaurer des choses supplémentaires par rapport à ce qu’il y avait jusqu’à présent, moi je le vois surtout du côté post-sentenciel, une fois que le détenu est condamné, il est chez nous, donc la justice pénale a fait son oeuvre, la sanction a été prononcée, on est dans la phase de l’accompagnement vers la sortie, de l’aménagement de peine éventuel.

Graphique 5

Effets négatifs potentiels de la JR sur la société

Effets négatifs potentiels de la JR sur la société

-> Voir la liste des figures

Partageant une réaction similaire, certains avocats et magistrats interrogés estiment qu’ils courent le risque de voir leur échapper une partie de leur clientèle et de leur expertise sous l’effet d’un élargissement du panel de compétences attendu. Il s’agit notamment de compétences relationnelles et communicationnelles permettant d’accompagner les protagonistes d’un conflit vers sa résolution, également promue par des pratiques de médiation. De sorte qu’au développement de ces pratiques dans le système judiciaire correspond une diffusion et une reconnaissance accrues de ce type de compétences. Milburn (2002) a montré l’existence d’une « compétence relationnelle » partagée par les avocats et les médiateurs lors de la mise en oeuvre des pratiques de défense et de médiation pénale, sociale et familiale. Le développement des modes alternatifs de traitement des conflits et des pratiques de médiation depuis les années 1990 a contribué non seulement à la reconnaissance de cette compétence relationnelle parmi les acteurs judiciaires mais aussi, comme compétence partagée, à la possibilité de voir un certain nombre d’affaires subir un traitement extrajudiciaire ou complémentaire au système judiciaire. D’aucuns, à l’instar de Braithwaithe (2004 : 31) ou Olson et Dzur (2003), entendent développer par la JR une forme de « professionnalisme non dominant qui facilite l’engagement civique et l’assurance d’une forme de participation »[9]. Le traitement des conflits échapperait ainsi aux professions canoniques pour être mis en oeuvre par des praticiens du droit et de la médiation exerçant dans le domaine associatif ou en activité libérale. Ils craignent ainsi une mise en concurrence avec des acteurs extrajudiciaires qui les contraindrait à exercer leurs activités en dehors des cadres routiniers de l’institution judiciaire dont ils ont la maîtrise, une perte de professionnalité et de reconnaissance s’accompagnant d’une remise en cause de leur rémunération. D’autant plus que, souligne Milburn (2002 : 60-70), « le type de compétence relationnelle ainsi observé — et qui n’exclut pas l’existence d’autres formes — présente la particularité d’adosser sa légitimité non sur un statut ou un savoir mais sur sa reconnaissance par les interlocuteurs. L’autorité de l’intervenant sur l’usager, en l’occurrence, n’est pas fondée sur son statut professionnel ou institutionnel mais sur la validation de cette autorité par l’usager au cours même de l’échange. » Aussi assisterait-on à un renversement de perspective : ce ne serait plus tant l’institution judiciaire qui, en s’emparant du conflit qui oppose deux parties, déterminerait la nature et le traitement du litige, mais les protagonistes qui se tourneraient vers l’institution pour demander une modalité spécifique de traitement judiciaire.

Si cette perspective reste spéculative, elle traduit néanmoins les inquiétudes de professionnels quant au développement de pratiques de JR susceptibles d’appuyer des formes de « privatisation de la répression pénale » (Ratineau, 2017). En effet, les réponses apportées en matière d’effets négatifs potentiels pour la société montrent qu’une majorité d’acteurs interrogés sont préoccupés par les impacts de la JR sur le système judiciaire, notamment en ce qui concerne les garanties d’indépendance dans la décision de la sanction et d’exemplarité de cette dernière. Ainsi, un juge d’un tribunal de grande instance souligne-t-il un « paradoxe contemporain que d’un côté on ne cesse de réclamer de la part des juges professionnels un surcroît toujours croissant de professionnalisme et de compétences, qui est au demeurant parfaitement légitime, ne serait-ce que parce que le droit devient de plus en plus complexe, et dans les affaires les plus emblématiques, on confie finalement le sort de ceux qui y ont affaire aux gens les moins bien formés pour ça, autrement dit des gens qui ne sont pas juristes de formation ».

L’accent mis sur les risques d’instrumentalisation de la justice par l’auteur, de renoncement à la punition/sanction et de remise en cause de la place des professionnels de justice, met en perspective que le changement d’ethos professionnel qui peut accompagner la JR suscite un sentiment contrasté mêlé d’inquiétude et de conviction quant à la nécessité de ces changements. Les propos de cette juriste, médiatrice dans une association d’aide aux victimes, montrent que même les acteurs les plus favorables à l’idée d’une évolution du système judiciaire ne semblent pas prêts à remettre en cause une culture judiciaire fortement appuyée sur la prégnance de la sanction et l’attachement à la puissance étatique :

C’est un recul des droits de l’État et quand je… je sais pertinemment, c’est maintenant devenu automatique, quand on parle de recul des droits de l’État, renforcer le pouvoir de parties, de particuliers, ça me rappelle toujours les régimes libéraux au Canada, les régimes anglo-saxons et je dis c’est peut-être incompatible avec la tradition française ! […] et l’État doit garder toujours un rôle central pour protéger euh, le plus vulnérable parce que renforcer les dialogues entre des particuliers, c’est-à-dire diluer leurs garanties, parce qu’on est jamais égaux dans une relation de négociation, que ce soit dans le travail, dans le droit du travail ou même aussi peut-être dans le cadre des litiges entre particuliers.

On peut à cet égard noter que magistrats, avocats, personnels pénitentiaires, conseillers pénitentiaires d’insertion et probation (CPIP) et policiers ont mis en avant que leurs pratiques se sont considérablement modifiées sous l’effet des logiques gestionnaires et des objectifs de performances. De nombreux travaux tendent à montrer que la justice pénale se normalise autour de ces contraintes qui peuvent entrer en contradiction avec des lois promouvant l’individualisation des peines et la prise en compte des victimes (Vigour, 2007 ; Danet, 2013). De ce point de vue, la JR apparaît aux acteurs comme une utopie politique car ses exigences (temporalité adaptée, cas par cas, risques associés, difficulté à mesurer l’impact) semblent en contradiction avec l’orientation actuelle de leurs pratiques : la sélection et la préparation des participants, la formation des intervenants, la temporalité du processus sont autant de conditions permettant de minimiser les risques pour les victimes (Walters, 2015), mais ce sont aussi autant de contraintes financières, matérielles et humaines qui empêchent les acteurs d’imaginer le développement de ces pratiques dans leur quotidien. C’est aussi en partie la raison pour laquelle les professionnels de la chaîne pénale et judiciaire tiennent à ce que la JR soit mise en oeuvre par des intermédiaires du droit (Pélisse, 2018) suffisamment aguerris aux pratiques et arcanes du système judiciaire. Leur position s’inscrit dans ce que Milburn (2004 : 36-37) nomme une « négociation contrôlée, visant à maintenir un équilibre entre la puissance publique de l’action judiciaire et la responsabilité interindividuelle que suppose la négociation ». Cette position répond au sentiment contrasté que beaucoup éprouvent à l’égard de la JR, au souhait de voir l’appareil judiciaire français évoluer face à la perte de sens et aux demandes nouvelles des justiciables. In fine, on peut postuler que ce sentiment exprime le fait que les transformations professionnelles suscitées par la JR sont certes le produit de la mobilisation d’acteurs individuels et collectifs mais aussi d’évolutions socioculturelles du rapport des acteurs sociaux au droit et au système judiciaire, acteurs sociaux dont ils font également partie.

Conclusion : Au-delà du développement de pratiques communicationnelles déjà ancrées, la résurgence de l’auteur et du conflit dans le traitement judiciaire, vecteurs de transformations culturelles

Les pratiques de JR supposent l’intervention de façon supplémentaire, complémentaire ou parallèle au travail du magistrat, tiers juge et impartial si l’on s’en tient à « la rhétorique de l’autonomie, de la neutralité et de l’universalité » (Bourdieu, 1986 : 5), d’un tiers médiateur à même de permettre la résolution de la part (relationnelle) du conflit qui échapperait à la justice (Amadio et Sarg, 2021). Cette perspective interroge les valeurs et normes qui président aux cultures judiciaires des professionnels de la justice comme des acteurs sociaux en général car elle tend à imposer une lecture conflictuelle du litige judiciaire qui invite non seulement à modifier la nature de la relation entre l’auteur et la victime mais aussi à faire de cette relation un enjeu propre à son traitement dans le cadre judiciaire. En effet, lors du traitement pénal, la relation entre auteur et victime présumés est en grande partie captée par l’institution judiciaire qui, à travers ses normes, règles et codes, introduit une mise à distance de la conflictualité vécue par les acteurs, pour se concentrer sur le traitement du litige, à savoir, d’une part, la caractérisation de l’infraction, de sa gravité et des responsabilités des protagonistes impliqués (action publique) et, d’autre part, les préjudices subis et les conditions de réparation possibles (action civile). Ce mode de traitement favoriserait une justice plus impartiale et objective, dégagée du désir de vengeance et des expériences émotionnelles de la victime, que l’on suppose incapable de voir l’auteur présumé autrement que sous la figure de l’ennemi. Mais il aurait parallèlement pour conséquence de rendre l’auteur inaccessible à des demandes de réparation autres que matérielles, du ressort d’une restauration sociale ou psychologique.

Les promoteurs de la JR souhaitent mettre en oeuvre un autre mode de traitement judiciaire qui ne priverait ni l’auteur, ni la victime, ni la communauté de cette conflictualité vécue. C’est alors une autre figure qui surgit dans la relation de la victime à l’auteur : celle de l’adversaire. La figure de l’adversaire ramène vers une lecture en termes de conflictualité du litige judiciaire, où l’auteur redeviendrait accessible à des dispositifs communicationnels impliquant des pratiques relationnelles à partir desquelles une résolution régulée et adaptée à la complexité de la relation auteur—victime pourrait être trouvée. C’est un changement de perspective important qui nécessite de prendre en compte des évolutions culturelles du rapport au droit et au système judiciaire des acteurs sociaux et des professionnels de la justice qui ne sont pas encore totalement affirmées en France. Le présupposé quant à la nature de la relation entre la victime et l’auteur change : l’auteur n’est pas l’ennemi d’une victime aveuglée par son désir de vengeance, il est l’adversaire d’une victime qui réclame de restaurer les dégâts causés à travers la commission d’une infraction qui, désormais, les lie. L’auteur devient ainsi un interlocuteur indispensable dans un processus de restauration sociale, psychologique et matérielle. Ce processus repose sur des compétences relationnelles en émergence, notamment à travers la diffusion de pratiques de médiation, et nécessite une volonté d’engagement minimale des parties dans un dispositif régulé par une posture de tiers. Il constitue en ce sens un vecteur de changement d’ethos professionnel des acteurs de la justice qui peut les inquiéter. Il ressort ainsi qu’en matière de JR ce n’est pas tant le statut de la victime que les représentations envers l’auteur qui constituent un marqueur de positionnement socioculturel commun à l’ensemble des catégories enquêtées.