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Introduction

La notion de transition écologique est très largement imprégnée de l’idée que l’intervention à des échelles locales est nécessaire pour atteindre des objectifs aux niveaux macrosocial et macroéconomique. Les villes, en particulier, se positionnent de plus en plus comme des acteurs centraux de la transition écologique. Néanmoins, le terme local, dans les discours et dans la littérature, est flou et renvoie à des échelles fort différentes allant de l’arrondissement à la région, en passant par les villes et villages. Ainsi, en fonction du contexte considéré, une ou plusieurs instances de gouvernance « locale » peuvent être appelées à s’interroger à la fois sur le contenu de la transition écologique et sur les interventions publiques qu’elles promeuvent.

C’est d’ailleurs le sujet de la question exploratoire qui nous fut posée par notre partenaire de recherche, l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie (ci-après « l’Arrondissement »), lors des discussions visant à orienter notre collaboration en recherche : « Comment pourrait s’organiser une gouvernance de la transition écologique à une échelle inframunicipale comme les arrondissements montréalais ? » La question est d’autant plus complexe qu’elle implique une certaine division des rôles et responsabilités entre la Ville de Montréal et ses arrondissements, alors que la Ville commence à peine à institutionnaliser la transition écologique. À cela s’ajoute la difficulté de définir la transition écologique elle-même et son caractère polysémique (Audet, 2014). En effet, contrairement à d’autres notions comme le développement durable, la transition écologique n’a pas encore donné lieu à une définition normative. Alors que la Ville de Montréal promeut un leadership vert au travers de son Plan Climat 2020-2030 et accorde une place importante au rôle de ses arrondissements pour l’atteinte de ses objectifs, l’application de ces orientations à l’échelle inframunicipale est à construire. Réfléchir à l’organisation de la gouvernance de la transition écologique à l’échelle des arrondissements, comme nous le demandait notre partenaire de recherche, implique donc de s’intéresser à deux questions : d’une part, à la signification de la transition écologique à cette échelle inframunicipale et, d’autre part, à la nature des interventions permettant aux arrondissements d’accomplir quelque chose en matière de transition écologique.

Le présent article aborde ces deux volets de la question posée par l’Arrondissement. Pour ce faire, l’analyse d’un corpus de documents publics et internes fournis par notre partenaire nous a permis d’établir deux typologies qui renseignent sur le rôle et les défis de la gouvernance inframunicipale de la transition écologique. La première typologie identifie les thèmes d’intervention abordés par l’Arrondissement en faveur de la transition écologique. Les thèmes dominants mettent en évidence les domaines d’action privilégiés et permettent de mieux définir ce que pourrait être la transition écologique pour un arrondissement ou toute autre instance inframunicipale similaire. La deuxième typologie porte sur les instruments de l’action publique (Belley et Saint-Pierre, 2017 ; Lascoumes et Le Galès, 2005) utilisés par l’Arrondissement dans ses interventions eu égard aux différents thèmes recensés. Celle-ci permet d’identifier des tendances et des défis dans la mise en oeuvre de cette transition écologique. Les thèmes, les instruments et les défis ainsi mis en exergue sont à considérer dans le contexte plus large des divers mots d’ordre pour la transition écologique de la ville, que nous présentons dans un premier temps.

1. La transition écologique, la ville et la gouvernance inframunicipale

Du Rapport Brundtland en 1987 à l’Accord de Paris en 2015, le rôle marqué des villes pour lutter contre les changements climatiques et les crises environnementales a constamment été au centre des débats. En effet, bien qu’elles n’occupent que 3 % des terres mondiales, les villes représentent de 60 à 80 % de la consommation d’énergie et émettent au moins 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (Programme des Nations Unies pour le développement, 2021). De plus, les villes sont particulièrement vulnérables aux conséquences des changements climatiques (Marvuglia et al., 2020).

Depuis quelques années, on se réfère davantage aux défis des changements climatiques et aux enjeux de durabilité par l’expression transition écologique. Au-delà des principes, des bonnes pratiques et des plans d’action qui caractérisaient la mise en oeuvre du développement durable dans les politiques publiques (Audet et Gendron, 2012), la montée en puissance de la notion de transition écologique suggère des transformations plus profondes dans les institutions, dans la gouvernance et dans l’aménagement du territoire et les infrastructures (Amundsen et al., 2017 ; Araos et al., 2016). Dans cette perspective, les milieux urbains de différentes tailles (les agglomérations, les villes, les arrondissements, les quartiers, etc.) sont appelés à jouer un rôle crucial dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en plus de participer à la réduction de la vulnérabilité des populations et des territoires, tout en créant des milieux de vie désirables et inclusifs. Cela se produit alors même que la demande de participation citoyenne pour définir la transition écologique et y contribuer se fait de plus en plus sentir dans la population (Romero-Lankao et Dodman, 2011). Le plus souvent, les villes constituent l’instance décisionnelle bénéficiant de la plus grande proximité avec la population. Elles assument des compétences touchant à plusieurs types d’activités ayant une incidence directe sur la vie quotidienne des citoyens, comme le transport, le verdissement et l’offre de services publics. Les caractéristiques des milieux urbains en matière de gouvernance pourraient favoriser, selon plusieurs auteurs, la transition vers des villes plus inclusives et résilientes pouvant mettre en place des mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques (Betsill et Bulkeley, 2007 ; Marvuglia et al., 2020). En vertu des innovations et des expérimentations citoyennes porteuses de solutions climatiques et écologiques qui émergent localement dans les quartiers, certains soutiennent même qu’un plus grand arrimage des échelles locales aux stratégies de transition pourrait éventuellement pallier les insuccès des instances nationales et internationales à atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre (Bulkeley, 2010).

Or, si le contexte démontre l’importance des institutions municipales pour la transition écologique, paradoxalement, il ne permet pas de définir ce que veut dire la transition écologique. La transition écologique, comme le développement durable avant elle, demeure un « concept contestable » dans le discours public (Hajer, 1995), c’est-à-dire qu’il est toujours défini en fonction de la position sociale des acteurs, et donc souvent de manière stratégique, parfois contradictoire[5]. Ainsi, une pluralité d’approches de la transition écologique émergent à diverses échelles de gouvernance. À titre d’exemple, en 2020, le Gouvernement du Québec a adopté sa Politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques alors que la Ville de Montréal, après la création en 2019 de son Bureau de la transition écologique et de la résilience, présentait son Plan climat 2020-2030. Par leur contenu et leur forme, ces deux documents témoignent du fait que les décideurs et les institutions semblent enclins à se réclamer de la transition écologique (ou « énergétique », ou « climatique », etc.) tout en proposant des définitions et des approches diversifiées et adaptées à leurs objectifs propres. Si ces deux ordres de gouvernement ont en commun de se préoccuper de mobilité et de transport, le Gouvernement du Québec associe également la transition à un certain leadership en matière de technologies propres, à l’efficacité énergétique, à la balance commerciale et à l’économie verte (Gouvernement du Québec, 2020). La Ville de Montréal insiste davantage sur la mobilisation citoyenne et l’inclusion, la nature en ville, la qualité des milieux de vie, la gestion des déchets, la ville intelligente et l’efficacité énergétique des bâtiments (Ville de Montréal, 2020). Le Plan climat 2020-2030 de la Ville de Montréal reflète d’ailleurs assez bien l’étendue des enjeux pouvant relever de la transition écologique urbaine. Ce plan insiste notamment sur des aspects sociaux comme la solidarité, l’équité et l’inclusion ainsi que sur la gouvernance démocratique et participative, lesquels sont virtuellement absents de la Politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques (Ville de Montréal, 2020). En identifiant trois échelles d’intervention (la métropole, le quartier et l’humain), ce plan s’inscrit d’emblée dans une vision multiscalaire où différentes échelles jouent un rôle prépondérant. Or, bien que le Plan climat 2020-2030 prévoit « mobiliser la communauté montréalaise » et « élaborer une charte montréalaise des écoquartiers » (Ville de Montréal, 2020), il ne permet pas encore de comprendre le rôle concret pouvant être joué par les arrondissements en tant qu’instances de gouvernance inframunicipale de la transition écologique.

Notons également que l’Arrondissement a produit le Plan stratégique de transition écologique (Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie [Arrondissement RPP], 2020), dont la parution est postérieure à la rédaction du répertoire-synthèse présenté dans notre article. Dans ce plan, l’Arrondissement met l’accent sur l’échelle des « milieux de vie » comme niveau à privilégier pour atteindre ses objectifs de transition écologique, faisant la part belle aux expérimentations citoyennes et aux collaborations avec les acteurs locaux de la société civile. L’Arrondissement ajoute ainsi une nouvelle échelle pouvant, encore une fois, recevoir l’adjectif local.

Ces documents institutionnels provenant de trois échelles de gouvernance (province, ville, arrondissement) n’épuisent toutefois pas les significations de ce qui peut être considéré comme une gouvernance locale de la transition écologique. Les groupes citoyens sont de plus en plus nombreux à se dire « en transition » et promeuvent une transition écologique centrée sur la création de communautés locales plus autosuffisantes via la permaculture et l’agriculture urbaine, la gestion « en commun » des espaces publics et des ressources locales, l’expérimentation en matière de mobilité ou d’énergie ainsi que les principes d’inclusion et de justice sociale (Douglas, 2015 ; Poland et al., 2018). Les initiatives mises en place par ces groupes se basent sur la collaboration, l’expérimentation et l’innovation sociale (Grandin et Sareen, 2020). Elles sont notamment caractérisées par l’action volontaire des participantes et participants et leur autonomie, leur faiblesse institutionnelle et leur coordination décentralisée (Castán Broto et Bulkeley, 2013 ; Evans et Karvonen, 2014 ; Voytenko et al., 2016). Pour certains chercheurs, ces interventions sont des démonstrations de la volonté citoyenne de transformer et moduler l’espace urbain selon leurs besoins (Brazeau-Béliveau et Cloutier, 2021 ; Rabbiosi, 2016). Les appareils municipaux, quant à eux, peuvent soutenir ces initiatives en leur accordant du financement ou en mandatant un organisme tiers à titre de facilitateur (Nunbogu et Korah, 2017). Par exemple, dans l’Arrondissement, le projet Nos milieux de vie !, piloté par l’organisme Solon et la Chaire de recherche sur la transition écologique de 2016 à 2019, a donné lieu à l’aménagement participatif de deux espaces publics et a permis d’identifier des milieux de vie pilotes pour le déploiement d’un projet de partage de véhicules entre citoyens (Audet et al., 2019). En créant [TRADUCTION] « des cadres temporaires et des constellations de travail », les initiatives citoyennes expérimentent des formes de gouvernance de manière indépendante des institutions (Schmidt et al., 2014, p. 234). Pour les chercheurs s’intéressant à ces questions, elles favorisent la cohésion sociale ainsi que la confiance entre les citoyennes et  citoyens et les appareils municipaux, en plus d’améliorer la qualité de l’espace public en ville (Brazeau-Béliveau et Cloutier, 2021). De plus, les initiatives citoyennes élargissent et font progresser le concept de transition en insistant sur l’importance de la justice sociale à deux égards. D’une part, elles soulignent le besoin d’inclure toutes les résidentes et tous les résidents, peu importe leur statut social ou culturel, dans la recherche de solutions. D’autre part, ces initiatives revendiquent que ces solutions soient justes en elles-mêmes et qu’elles soient adaptées aux défis, aux ressources et aux infrastructures des communautés urbaines (Bazilian et al., 2021). Ces nouvelles pratiques citoyennes se posent bien souvent en réaction aux transformations rapides des milieux urbains ainsi qu’aux déséquilibres économiques et aux inégalités sociales engendrés par la défaillance de certaines politiques publiques, comme celles qui ont mené à une montée en flèche des prix des logements de toutes les villes d’importance au Canada (Rossi et Vanolo, 2015).

Évidemment, ces initiatives citoyennes ne passent pas inaperçues et sont souvent identifiées par les instances municipales comme des contributions originales à la transition écologique, comme en témoignent le Plan climat 2020-2030 de la Ville de Montréal et le Plan stratégique de transition écologique de l’Arrondissement (Arrondissement RPP, 2020). C’est pourquoi des auteurs soutiennent qu’elles permettent de catalyser le changement à l’échelle de la ville et d’influencer les trajectoires que peuvent prendre les transitions urbaines (Betsill et Bulkeley, 2007 ; Grandin et Sareen, 2020). Il n’en demeure pas moins que ces expérimentations citoyennes ne peuvent, à elles seules, répondre à tous les enjeux soulevés, d’où l’intérêt d’interroger les rôles spécifiques des instances inframunicipales dans la transition écologique et de documenter les instruments dont celles-ci disposent.

2. Méthode : le cas de l’Arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie

La Ville de Montréal représente un cas intéressant pour envisager une gouvernance inframunicipale de la transition écologique. Elle est reconnue pour sa vitalité citoyenne, son capital social et la bonne capacité de mobilisation de ses acteurs urbains (Durand Folco et L’Allier, 2019). L’organisation de sa gouvernance est, de fait, multiscalaire puisqu’elle se partage entre la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), l’agglomération de Montréal, la Ville (Montréal) et ses arrondissements en partie décentralisés. La CMM est un organisme de planification, de coordination et de financement qui regroupe 82 municipalités réparties sur un territoire d’environ 4 374 km2 exerçant, entre autres, certaines compétences en aménagement du territoire (CMM, 2020). L’agglomération de Montréal est une instance décisionnelle composée de la Ville de Montréal et des quatorze autres villes situées sur l’île de Montréal. Cette instance adopte certains documents et autorise des dépenses liées aux services s’adressant à tout le territoire de l’île, comme les logements sociaux, les services d’urgence et le transport collectif de personnes. Elle élabore et maintient également en vigueur un schéma d’aménagement comprenant différentes orientations et mesures influençant le cadre de vie des citoyens. La Ville de Montréal est, quant à elle, divisée en 19 arrondissements bénéficiant d’une autonomie partielle ou globale selon les compétences considérées. Sans entrer dans les détails, lorsqu’il est question d’agir sur les différents aspects de la transition écologique, la Ville et les arrondissements se partagent un certain nombre de compétences (services aux citoyens, parcs et espaces publics, développement communautaire et économique, etc.) en fonction des échelles considérées. Les actions combinées de ces deux paliers de gouvernance permettent d’assurer le développement de l’ensemble du territoire, tout en visant une certaine équité et une certaine uniformité à l’échelle de la ville.

Situé dans une position géographiquement centrale sur l’île de Montréal, l’Arrondissement couvre une superficie de 15,9 km2 et compte environ 139 590 personnes, ce qui représente 8,2 % de la population totale de la ville de Montréal (Ville de Montréal, 2018). Il abrite la plus grande densité de « ruelles vertes » parmi tous les arrondissements et comporte un riche réseau d’organisations communautaires et citoyennes qui expérimentent des initiatives de transition écologique. C’est aussi le premier arrondissement montréalais à s’être doté d’un plan d’action sur la transition écologique.

Depuis 2020, l’Arrondissement et la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM travaillent en partenariat pour accélérer la transition écologique sur ce territoire et améliorer les connaissances sur la gouvernance de la transition. C’est à la suite des premières discussions tenues avec ce partenaire que s’est organisé notre premier mandat de recherche : « Comment pourrait s’organiser une gouvernance de la transition écologique à Rosemont–La Petite-Patrie ? » Pour répondre à cette question, nous avons réalisé une analyse des actions menées par l’Arrondissement en matière de transition écologique en examinant à la fois les thématiques ou domaines de ses interventions (tableau 1) et les instruments mobilisés (tableau 2). Cela nous a menés à la rédaction du Répertoire-synthèse des interventions de l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie pour la transition écologique (Manon et al., 2021).

Nous avons établi la typologie thématique à partir de l’analyse de trois documents abordant une grande variété de thèmes, soit le Plan local de développement durable 2017-2020 (Arrondissement RPP, 2017), le document Réinventer ensemble des milieux de vie rassembleurs, Plan de développement social 2020-2024 (Arrondissement RPP, 2019) et un document de travail interne, le Plan de travail pour l’aménagement durable et la transition écologique (Arrondissement RPP, non-publié). Le choix de ces documents reposait, d’une part, sur le souhait de l’Arrondissement de travailler prioritairement sur son programme de développement local et ses compétences et, d’autre part, sur la relative homogénéité de leur format, qui assurait une plus grande validité interne à l’analyse de contenu. Grâce à l’utilisation du logiciel de traitement de données qualitatives NVivo, nous avons identifié les occurrences des différents thèmes abordés dans ces trois documents. C’est de cet exercice qu’est issue la typologie des enjeux thématiques de transition écologique ciblés par l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie (tableau 1). Cette typologie permet aussi de mieux documenter la vision de l’Arrondissement en matière de transition écologique.

Par la suite, nous avons utilisé un corpus de 38 documents pour y rechercher les types d’instruments sollicités par l’Arrondissement pour aborder ces enjeux et domaines thématiques (documents internes, sommaires décisionnels, plans directeurs et plans d’action, rapports de prestataires et de consultants externes). Ces documents ont été soumis à la Chaire de recherche sur la transition écologique par la Direction du développement du territoire et des études techniques de l’Arrondissement en fonction de leur pertinence pour la transition écologique, comprise au départ de manière large et intuitive. Depuis plusieurs années, la question des instruments de l’action publique (IAP) occupe une place importante dans la littérature scientifique cherchant à comprendre comment une administration publique agit sur un territoire donné. Bien qu’il existe plusieurs définitions possibles, les auteurs s’accordent généralement pour dire qu’un IAP « constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes et Le Galès, 2005, p. 13). D’ores et déjà, plusieurs typologies existent pour différencier les types d’IAP pouvant être utilisés (Belley et Saint-Pierre, 2017 ; Lascoumes et Le Galès, 2005 ; Lascoumes et Simard, 2011). Celles-ci étant généralement établies sans tenir compte d’un domaine en particulier et d’une échelle territoriale donnée, nous avons jugé préférable d’effectuer un exercice de caractérisation afin de les adapter à notre objet d’étude et ainsi d’en augmenter la précision. Pour ce faire, nous nous sommes notamment inspirés du guide La prise de décision en urbanisme (Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, 2018) et de l’expertise des membres de l’équipe en matière de gouvernance urbaine. Six catégories d’instruments utilisées par l’Arrondissement ont ainsi pu être identifiées. Ces catégories, présentées plus loin (tableau 2), concernent les plans et politiques, les projets et interventions, l’encadrement réglementaire, les mesures incitatives, la concertation et la participation citoyenne ainsi que les activités de sensibilisation. Chaque catégorie peut donner lieu à plusieurs dispositifs, modalités ou outils. Une fois ces catégories définies, nous avons à nouveau utilisé le logiciel NVivo pour y rechercher les différentes actions mises en oeuvre dans les 38 documents du corpus. Finalement, nous avons croisé cette deuxième typologie avec les enjeux et thématiques identifiés dans la première afin de produire un tableau à double entrée (tableau 2) qui permet de dégager des observations sur les tendances de la gouvernance inframunicipale de la transition écologique qui sont valides pour l’Arrondissement. Ce travail peut aussi guider la prise de décision pour d’autres arrondissements et instances inframunicipales tout en contribuant à une meilleure connaissance des pratiques actuelles et des défis qu’elles présentent.

3. Les enjeux thématiques de la transition écologique pour l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie

Le tableau 1 montre le nombre d’occurrences pour chacune des thématiques identifiées dans les documents de planification de l’Arrondissement. On y observe la prédominance de plusieurs thématiques qui sont, pour certaines, assez anciennes et qui se concrétisent dans toutes sortes de projets et d’actions sur le terrain. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les enjeux de verdissement, de mobilité verte et active, de gestion des matières résiduelles, de vitalité culturelle du territoire et d’agriculture urbaine ainsi que certains aspects du développement social (accessibilité et inclusion, logement).

Tableau 1

Typologie des enjeux thématiques de la transition écologique pour l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie

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Le thème du verdissement et de la préservation de la biodiversité est, de loin, le thème le plus évoqué dans les orientations et les projets mis en place par l’Arrondissement. Pionnier dans l’établissement du programme des ruelles vertes de Montréal, qui appuie les activités de plantation et d’aménagement de ces espaces par les riverains, l’Arrondissement a fait du verdissement sa marque de commerce, et ce, par différents moyens. Il vise ainsi à améliorer la qualité de vie de ses résidentes et résidents, notamment par l’embellissement et l’entretien des espaces publics, tout en répondant à des préoccupations de santé publique et de lutte contre les îlots de chaleur. Le verdissement de l’Arrondissement se concrétise en plusieurs projets et actions menés conjointement avec des organismes et des entreprises d’économie sociale du quartier autour de trois principaux sujets :

  • Le verdissement des espaces publics et privés par la mobilisation citoyenne ;

  • La mise en valeur et la préservation de la biodiversité ;

  • L’augmentation de la canopée et la création de forêts urbaines.

La mobilité est également un des thèmes phares de la transition écologique sur lequel l’Arrondissement a une position très affirmée. Sa vision en matière de mobilité s’inscrit dans un souci de préservation de l’environnement, mais également dans une volonté d’améliorer la qualité de vie des Rosepatriennes et Rosepatriens. Ainsi nous distinguons dans cette vision deux orientations principales, soit :

  • La réduction du recours à l’auto solo par le développement des modes de transport actif et collectif ;

  • L’apaisement de la circulation automobile afin de sécuriser les déplacements à pied et à vélo.

Nous retrouvons dans les plans directeurs et les plans d’action retenus pour analyse plusieurs cibles chiffrées traduisant ces orientations en termes de mobilité durable, comme : « Atteindre une part modale, à la pointe du matin, de 55 % pour les déplacements à pied, à vélo ou en transport en commun d’ici 2021 » ou encore « Diminuer les émissions de gaz à effet de serre de la collectivité de 30 % d’ici 2020 par rapport à 1990 et de 80 % d’ici 2050 » (Arrondissement RPP, 2017).

Bien que le thème « Milieu de vie » soit moins récurrent, il revêt une grande importance pour l’Arrondissement. Celui-ci adopte une stratégie transversale pour l’ensemble de ses actions de transition écologique, lesquelles reposent sur l’idée d’un développement de ses différents quartiers à l’échelle du milieu de vie. Cette approche se traduit par une volonté de relocalisation des services et des lieux de consommation, d’emploi, de divertissement et de loisirs ainsi que des lieux de socialisation et d’implication citoyenne à proximité des lieux de résidence. En fonction des documents consultés, la notion de milieu de vie prend différentes échelles : 250 mètres pour le rapport Vivre, travailler, se divertir à Rosemont–La Petite-Patrie en 2037 (Lab Ville Prospective, 2018) et 500 mètres et 24 milieux de vie pour le programme Projets participatifs citoyens (Arrondissement RPP, 2019). Il faut donc retenir de ces documents une volonté de transformer les modes de vie en limitant les déplacements hors des quartiers et en relocalisant l’ensemble des activités à proximité des résidences des Rosepatriennes et Rosepatriens.

L’identification des principaux thèmes d’intervention de l’Arrondissement est révélatrice de sa vision de la transition écologique. Cette vision est celle d’une transition écologique urbaine se réalisant par la mise en valeur de milieux de vie de petite taille au sein desquels les résidentes et résidents jouissent d’une grande qualité de vie et où ceux-ci portent des projets d’appropriation de l’espace public qui favorisent la création de liens sociaux et la solidarité. Idéalement, cela se traduirait par une meilleure accessibilité à une diversité de biens, de services et d’activités. L’Arrondissement tendrait ainsi vers un environnement visant la carboneutralité dans lequel la pollution est réduite et les déplacements, le plus souvent actifs ou collectifs. Les mesures d’adaptation aux changements climatiques proposées feraient des milieux de vie urbains des espaces résilients, largement déminéralisés, où la nature est proche et accessible au sein d’espaces verts où la biodiversité est protégée et valorisée.

Cette vision se concrétise aussi par des efforts de collaboration avec la société civile locale et le soutien à l’action citoyenne. En principe, elle semble ainsi compatible avec les nombreux projets d’expérimentation citoyenne qui ont lieu sur le territoire de l’Arrondissement. Elle se distingue également des approches technocentristes qui caractérisent bien souvent le discours gouvernemental sur la transition énergétique (Audet, 2015). Évidemment, la vision et les priorités de l’Arrondissement en matière de transition écologique sont inévitablement liées à sa sphère de responsabilité. En effet, il est plus naturel pour un arrondissement de mettre l’accent sur le verdissement ou la gestion des déchets que sur la consommation énergétique des entreprises ou l’innovation technologique. La même logique s’applique aux interventions. Étant donné les pouvoirs limités des arrondissements, celles-ci doivent respecter un cadre bien circonscrit. Toutefois, cela n’empêche pas que des choix puissent être faits à l’intérieur du champ d’action de l’Arrondissement quant aux thèmes à privilégier et aux éléments à mettre en oeuvre.

4. Les instruments de l’action publique utilisés à l’échelle inframunicipale

Pour mieux comprendre comment s’organise la gouvernance de la transition au sein de l’Arrondissement, il est nécessaire d’étudier les types d’instruments que celui-ci utilise pour atteindre les objectifs fixés ou réaliser les différents volets constituant sa vision. Comme il a été mentionné précédemment, six catégories d’instruments ont pu être identifiées. Celles-ci nous renseignent sur les modalités d’action d’une administration inframunicipale située entre les expérimentations et les projets citoyens réalisés dans les milieux de vie et le cadre de gouvernance général de la Ville. Chaque catégorie peut donner lieu à plusieurs dispositifs, modalités ou outils. Le tableau 2 illustre comment ces catégories sont déployées en fonction des enjeux thématiques auparavant définis. Outre la première catégorie d’instruments, les autres catégories ont été classées en tenant compte de leur aspect concret ou contraignant, et ce, sans jugement eu égard à leur efficacité.

Tableau 2

Typologie des instruments utilisés selon les enjeux thématiques et leur niveau de réalisation (en date du 1er septembre 2020)

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La première catégorie d’instruments est celle des plans et politiques. Ceux-ci précisent, dans des proportions variées, la vision souhaitée, les grandes orientations, les priorités d’action relatives à un secteur ou à un enjeu ainsi que certaines modalités pour les concrétiser. Cette catégorie est la première à être présentée puisque ces modalités de mise en oeuvre peuvent être de différentes natures et être liées aux autres catégories identifiées. Bien que les plans et politiques ne soient pas toujours considérés comme un instrument à part entière eu égard à certaines typologies, dont celle de Lascoumes et Le Galès (2005), leur importance en urbanisme ainsi que leur nature hybride combinant, de façon variable, des aspects légaux, informatifs et communicationnels justifient ce choix. À défaut d’en faire une catégorie à part, ils auraient été dilués dans les suivantes, créant ainsi un certain angle mort. Au sein de notre recherche, plusieurs plans posent les bases de la vision de la transition écologique portée par l’Arrondissement, comme le Plan local de développement durable 2017-2020[6] (Arrondissement RPP, 2017) ou le plan stratégique La transition écologique dans Rosemont–La Petite-Patrie : agir pour l’avenir ! (Arrondissement RPP, 2020), lancé à l’automne 2020. De ces orientations découlent une série d’actions et de projets visant l’atteinte des objectifs fixés. Certains de ces plans sont arrimés à des plans ou politiques de la Ville de Montréal.

Les instruments d’action directe visant à concrétiser physiquement, sur le territoire, la réponse souhaitée eu égard à un enjeu représentent notre deuxième catégorie. Pour plus de clarté, cette catégorie a été nommée projets et interventions. Il peut s’agir, par exemple, d’aménagement de corridors de biodiversité, de pistes cyclables, d’infrastructures de gestion des eaux de pluie, etc. L’Arrondissement affirme à plusieurs reprises sa volonté de développer des projets pour transformer les quartiers et améliorer la qualité de vie des Rosepatriennes et Rosepatriens. Ces projets peuvent être mis en place directement par l’Arrondissement ou délégués à des acteurs locaux. Pour tous les thèmes, à l’exception de la lutte contre les îlots de chaleur, nous avons trouvé des exemples de projets, planifiés ou déjà mis en oeuvre, par l’Arrondissement ou ses partenaires mandataires. À titre d’exemple, le verdissement est un thème faisant l’objet de nombreux projets et interventions sur le territoire de l’Arrondissement. Ceux-ci font largement appel à des partenaires associatifs (Écoquartier, Faites comme chez vous, Miel Montréal, etc.) ainsi qu’à la participation citoyenne. En ce qui concerne la gestion des matières résiduelles, l’Arrondissement a également été très proactif pour implanter la collecte de résidus alimentaires au sein des bureaux administratifs et des édifices commerciaux ainsi qu’une meilleure gestion des déchets lors de ses activités. Ces projets demandent l’implication des employées et employés municipaux et visent à favoriser une transformation des pratiques au sein de l’administration.

Les instruments de type réglementaire établissent, quant à eux, des normes ou des critères pour encadrer certaines interventions afin que celles-ci répondent à un enjeu donné. Cet encadrement réglementaire peut être d’ordre général ou établi au cas par cas, projet par projet. Il s’accompagne, dans certains cas, de mesures punitives ou coercitives. Ces normes ou critères sont généralement introduits dans la réglementation d’urbanisme. Ils peuvent également faire l’objet d’une entente signée entre l’Arrondissement et un promoteur. Au moment de l’analyse, plusieurs thèmes faisaient déjà l’objet de mesures d’encadrement réalisées ou planifiées, tels que l’agriculture urbaine, la lutte contre les îlots de chaleur, l’économie locale ou la mobilité. Les thèmes suivants semblaient néanmoins absents : la culture et le patrimoine, le milieu de vie, la gestion des matières résiduelles et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La quatrième catégorie d’instruments est celle rassemblant les mesures incitatives. Ce type d’instruments soutient, par différents programmes, les citoyennes, les citoyens et les acteurs locaux qui adoptent des pratiques souhaitées (usages de l’espace public, modes de déplacement, etc.). À titre d’exemple, l’Arrondissement met en oeuvre, en collaboration avec les acteurs locaux, un grand nombre de programmes visant à favoriser l’appropriation de l’espace public par les Rosepatriennes et Rosepatriens et la mise en place de projets de verdissement et d’agriculture urbaine. Les mesures incitatives proposées sont très variées. Elles peuvent être financières ou matérielles, ou se traduire par des programmes d’accompagnement. Ici, l’implication volontaire des citoyennes et des citoyens est au centre des décisions, et ce, contrairement aux instruments de type réglementaire et aux instruments d’action directe.

L’avant-dernière catégorie est celle des instruments de concertation et de participationcitoyenne. Ces instruments sont généralement utilisés pour identifier les interventions et les projets répondant le mieux aux besoins et aux aspirations des résidentes et résidents de l’Arrondissement. Ils ont également pour objectif de renforcer la démocratie locale en favorisant la participation du plus grand nombre aux décisions publiques. Ils peuvent s’appuyer sur des structures existantes ou nouvelles, comme des organismes locaux de mobilisation citoyenne, afin de poursuivre un objectif de consultation sur un thème, un projet ou un enjeu. Ils peuvent également se traduire par des actions collectives portées par les acteurs locaux, les citoyennes et les citoyens. Le programme Projets participatifs citoyens en est un exemple. Il a été mis en place par l’Arrondissement pour inciter les Rosepatriennes et Rosepatriens à développer des projets collectifs locaux pour améliorer la qualité de vie dans un milieu donné. Les Rosepatriennes et Rosepatriens sont accompagnés dans la gestion de leur projet par un organisme partenaire et se voient allouer une enveloppe budgétaire pour le réaliser. Dans le cadre de ce programme, l’Arrondissement met l’accent sur la concertation et le partenariat avec les organisations et les entreprises locales ainsi que sur la participation citoyenne. Plus largement, la concertation passe par la liaison avec d’autres ordres de gouvernement, comme la Ville de Montréal, et les acteurs provinciaux, fédéraux et internationaux. Le tableau 2 montre que certains thèmes ne sont pas couverts par de tels instruments, comme la lutte contre les îlots de chaleur, la gestion de l’eau et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’ils soient mentionnés dans le Plan local de développement durable 2017-2020 (Arrondissement RPP, 2017) et soient considérés comme prioritaires, nous n’avons identifié aucune mesure concrète de concertation ou de participation citoyenne se penchant sur ces enjeux.

Enfin, les instruments de sensibilisation visent à informer les citoyennes et les citoyens ainsi que les autres acteurs locaux pour promouvoir certains services, notamment auprès des populations vulnérables, ou pour encourager des changements de comportement. La responsabilité de ces activités peut être déléguée à un organisme externe, comme le démontre notre recherche, puisque la majorité des activités de sensibilisation sont mises en oeuvre par des organismes du milieu mandatés par l’Arrondissement. Une grande partie de ces actions touchent aux thèmes du verdissement, de la gestion de l’eau et de la gestion des matières résiduelles. Comparativement aux mesures incitatives, les instruments de sensibilisation ne se traduisent généralement pas par des aides financières, matérielles ou techniques directes. Bien que le tableau 2 indique une relativement faible utilisation de ce type d’instruments, soulignons toutefois que tous les autres types mentionnés peuvent indirectement jouer un rôle dans la sensibilisation des citoyennes et citoyens.

5. Les défis d’une gouvernance inframunicipale de la transition écologique

L’analyse combinée des thèmes et des types d’interventions reliés à la transition écologique à l’Arrondissement fait ressortir trois grands constats, lesquels peuvent être également perçus comme trois grands défis relatifs à la mise en place d’une gouvernance inframunicipale de la transition écologique.

Premier défi : Concilier l’approche par les milieux de vie et la transition juste

Le tableau 2 révèle un plus fort niveau d’intervention autour des thématiques marquantes pour l’identité de l’Arrondissement. En effet, certaines thématiques (verdissement et biodiversité, milieu de vie, mobilité, gestion des matières résiduelles, agriculture urbaine et sécurité alimentaire, développement social) se distinguent par la grande variété d’instruments qui leur est associée. Cette variété souligne les efforts de l’Arrondissement pour promouvoir et encourager auprès des Rosepatriennes et Rosepatriens un certain mode de vie laissant une grande place à l’agriculture urbaine et à l’appropriation de l’espace public, à la réduction des déchets, à la mobilité verte et active, à une ouverture à la démocratie locale et à la participation citoyenne dans les milieux de vie. En ce sens, nous voyons que l’Arrondissement s’inscrit dans la reconnaissance du mouvement des initiatives citoyennes de transition écologique et qu’il renforce, à travers ses interventions prioritaires, son orientation vers l’échelle du milieu de vie.

Par ailleurs, nous voyons que la vision de la transition sous-jacente dans les thèmes abordés par l’Arrondissement fait écho au concept de transition juste, c’est-à-dire une transition prenant en considération les inégalités sociales et économiques auxquelles sont confrontées certaines populations, et les effets néfastes des dégradations environnementales sur les populations les plus vulnérables (Wang et Lo, 2021). Par exemple, la transition écologique pour l’Arrondissement est liée à la question du logement abordable ou à celle des aînés. L’Arrondissement participe alors à la construction d’une définition plus sociale de la transition écologique : il définit le concept à l’usage en l’identifiant aux thèmes qu’il priorise et à certaines façons de faire qui donnent une couleur à sa gouvernance de la transition.

Ce processus de définition de la transition écologique n’est toutefois pas exempt de contradictions. L’aspect vertueux d’une transition verte, participative, localiste et citoyenne s’inscrit largement dans un mode de vie adopté en majorité par les classes moyennes éduquées des grandes villes occidentales. Or, il faut se demander à quel point ce mode de vie affecte la réalité sociodémographique de ce territoire qui a connu un fort embourgeoisement durant les dernières années (Bélanger et Fortin, 2018). Des recherches montrent que le verdissement et l’embellissement de l’espace public ont pour effet d’augmenter la valeur du foncier et des loyers, et de rendre les quartiers moins accessibles pour les populations les plus vulnérables (Lang et Rothenberg, 2017). Il existe donc un risque que l’identité forte de l’Arrondissement en matière de transition écologique aille à l’encontre de certains objectifs d’une transition juste, comme le développement social et la réponse aux besoins essentiels des populations les plus vulnérables.

Deuxième défi : Trouver des leviers pour les enjeux à responsabilité distribuée

L’étude des instruments d’action utilisés par l’Arrondissement montre l’importance de ses collaborations avec les acteurs locaux de la transition, en particulier les organismes environnementaux et les entreprises d’économie sociale. Par ailleurs, l’Arrondissement intègre le renforcement de la démocratie locale à sa définition de la transition écologique, comme le montre en particulier le programme Projets participatifs citoyens. L’Arrondissement semble vouloir mettre en place une forme de gouvernance collaborative autour de la transition écologique afin que les acteurs locaux contribuent activement au choix des actions et à leur mise en oeuvre. Il s’agit également d’un moyen de renforcer l’appropriation des transformations du territoire par les Rosepatriennes et Rosepatriens.

Néanmoins, nous observons que les thèmes qui sont associés à une moins grande variété d’instruments sont aussi ceux qui dépendent d’interventions à d’autres échelles de gouvernance, comme celle de la Ville de Montréal. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, assurer une meilleure gestion de l’eau et lutter contre les îlots de chaleurs sont, en particulier, des objectifs pour lesquels il est plus difficile pour l’Arrondissement de proposer des actions concrètes et de mobiliser l’ensemble des catégories d’instruments. Nous expliquons cela par le fait qu’une grande variété d’acteurs et d’instances décisionnelles interviennent de manières diverses sur ces enjeux, c’est-à-dire que la responsabilité d’intervenir est « distribuée ». Par exemple, aborder la réduction des émissions de gaz à effet de serre sous l’angle de la mobilité, comme le fait l’Arrondissement, nécessite d’intervenir non seulement dans le développement du réseau cyclable, mais aussi dans les modes de transports urbains (ce qui implique la Ville et la société de transport) et interurbains à l’échelle provinciale, voire internationale étant donné le trafic aéroportuaire à Montréal. Cela demande donc des actions et des financements publics allant au-delà des compétences et des capacités d’un seul arrondissement.

En outre, l’analyse du corpus démontre que si les acteurs concertés ont des expertises complémentaires et pertinentes, plusieurs d’entre eux ne détiennent ni les ressources, ni les leviers (pouvoirs et responsabilités) pour agir concrètement ou de façon approfondie sur certains thèmes. Nous faisons l’hypothèse que, pour ces enjeux à responsabilité distribuée, les modalités d’intervention à l’échelle inframunicipale sont moins connues ou sont encore à inventer. Elles pourraient donc se fonder dans la collaboration à d’autres échelles de gouvernance. Ainsi, le Plan Climat 2020-2030 de la Ville de Montréal reconnaît-il la place des arrondissements dans la gouvernance de la transition (Ville de Montréal, 2020), et l’Arrondissement tente pour sa part de faire rayonner ses initiatives locales et de participer à des instances de concertation municipales sur la transition écologique. Cela nous permet d’envisager une augmentation des collaborations entre ces deux paliers de gouvernance sur le thème de la transition et, éventuellement, sur des actions concertées touchant à ces thèmes à responsabilité distribuée. Ces thèmes à responsabilité distribuée pourraient aussi bénéficier du recours à des ressources et à des leviers complémentaires qui émanent des expérimentations citoyennes et de l’innovation sociale foisonnantes sur le territoire de l’Arrondissement, lesquelles sont de plus en plus associées à des thèmes comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la mobilité.

Troisième défi : Miser davantage sur les instruments réglementaires et incitatifs ainsi que sur la sensibilisation

Finalement, le tableau 2 permet de constater que certaines catégories d’instruments sont sous-utilisées alors qu’elles pourraient être mises à profit pour encourager des changements à l’échelle individuelle et territoriale. Si l’Arrondissement met en oeuvre un certain nombre de projets et d’interventions sur les thèmes qu’il priorise, il a relativement peu recours aux instruments réglementaires et incitatifs. Cela pourrait notamment s’expliquer par certaines craintes généralement associées à ces deux types d’instruments fortement balisés par des lois. Ces craintes n’ont pas été spécifiquement étudiées dans le cadre de notre recherche et pour ce territoire, mais il est notamment établi que plusieurs professionnels ne se sentent pas toujours outillés pour élaborer ces types d’instruments (Rochefort, 2019). De plus, les élus et les citoyens peuvent ne pas être enclins à promouvoir une approche qui pourrait manquer de flexibilité. Dans la mesure où le Plan climat 2020-2030 de la Ville de Montréal et le futur plan d’urbanisme et de mobilité semblent promouvoir un changement dans les pratiques d’encadrement des projets, une réflexion sur l’application d’un cadre réglementaire plus strict pourrait toutefois s’avérer nécessaire pour atteindre les cibles fixées par les orientations et objectifs de l’Arrondissement en matière de transition écologique. De plus, en matière de transition écologique, ces types d’instruments sont considérés comme efficaces pour induire des changements de comportements au sein de la population et des entreprises. À titre d’exemple, l’incitatif financier de remboursement des titres de transport est déjà connu comme un moyen efficace pour transformer les habitudes en mobilité des employés d’une entreprise ou d’une administration (Laviolette, 2020). Si ces types d’instruments étaient davantage utilisés, les actions de sensibilisation et les pratiques de concertation et de participation citoyenne pourraient prendre une importance accrue en vue d’en favoriser l’acceptabilité sociale.

Conclusion

À partir du cas précis de l’Arrondissement, nous avons identifié quelques caractéristiques d’une gouvernance de la transition à l’échelle inframunicipale. D’une part, le répertoire-synthèse produit dans notre étude permet de clarifier la vision d’ensemble des efforts de l’Arrondissement à l’égard de la transition écologique et d’accompagner la prise de décision au sein de son administration. Mais, d’autre part, il nous a aussi conduits à souligner des défis propres à l’échelle inframunicipale qui pourront être utiles à d’autres territoires. Ces défis sont : 1) le danger que des mesures visant à encourager l’amélioration des milieux de vie se répercutent dans l’accélération du processus d’embourgeoisement qui touche les arrondissements montréalais centraux ; 2) le problème de la responsabilité distribuée, qui fait en sorte que les leviers d’action relatifs à certains enjeux thématiques sont hors du contrôle de l’Arrondissement, bien que celui-ci ait la capacité d’influencer par l’exemple ou par des représentations auprès des niveaux de gouvernement plus élevés, ou encore par l’appui d’initiatives citoyennes en phase avec la transition écologique ; 3) le défi de mettre à contribution les instruments plus réglementaires et incitatifs tout en maintenant des pratiques de concertation et de participation citoyenne afin que ceux-ci reposent sur une vision partagée et citoyenne de la transition écologique.

En somme, notre article a mis en lumière l’influence des configurations multiscalaires comme celle de Montréal, où plusieurs paliers (région, ville, arrondissement) exercent des compétences souvent partagées, sur la manière d’aborder les enjeux de transition écologique en milieu urbain. Il démontre l’importance d’une collaboration étroite entre les différents paliers municipaux non seulement pour agir de façon efficace sur certains aspects de cette transition, mais également pour partager les ressources professionnelles, techniques et financières nécessaires pour instaurer certains changements, voire faire des représentations auprès des gouvernementsrégionaux et nationaux supérieurs. Cela apparaît particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la lutte aux inégalités sociales et territoriales liée au concept de transition juste ainsi qu’à la mise en place de nouveaux instruments réglementaires et incitatifs eu égard aux enjeux à responsabilité distribuée. Plusieurs réponses apportées pour répondre aux défis rencontrés par l’Arrondissement rappellent également l’importance des expérimentations citoyennes et d’une interface de gouvernance pouvant être qualifiée de proximité, rôle joué ici par l’Arrondissement, pour favoriser et concrétiser les innovations sociales. En ce sens, la gouvernance de la transition à l’échelle inframunicipale est parcourue par de forts enjeux démocratiques que l’Arrondissement tente de résoudre à partir d’une posture partenariale tant avec ses citoyennes et citoyens qu’avec les organisations de la société civile.

Pour le domaine de la recherche et des études sur la transition écologique, les trois défis peuvent également être considérés comme des constats qui permettent de documenter la complexité à la fois de la gouvernance multiscalaire à l’échelle municipale et des expérimentations citoyennes qui évoluent en marge des administrations locales. Si un seul cas ne permet pas de généraliser nos conclusions à toutes les instances inframunicipales, l’étude de la gouvernance de la transition écologique dans cet arrondissement favorise néanmoins la formulation de nouvelles hypothèses qui pourront être bonifiées par la comparaison avec d’autres arrondissements montréalais ainsi que par d’autres cas de gouvernance municipale multiscalaire au Québec, au Canada et à l’international.