Corps de l’article

Introduction

La Ville de Montréal a produit à l’automne 2020 son 20e budget depuis sa fusion initiale en 2002. Ce budget présente les prévisions des recettes et des dépenses de l’année 2021, une année électorale. Malgré le climat que suscite l’approche de l’élection, ce budget demeure semblable à ceux des années précédentes, ce qui témoigne d’une relative stabilité. Cela contraste avec les nombreux bouleversements des 20 dernières années qui ont posé d’importants défis pour la planification budgétaire.

Si le budget de 2021 de la Ville de Montréal se démarque peu des précédents, il se distingue toutefois grandement par son ampleur et sa complexité parmi les budgets des autres villes du Québec et du Canada. Le total des recettes de fonctionnement anticipées pour 2021 par la Ville de Montréal atteint 6,2 milliards $, soit le deuxième montant en importance parmi les villes canadiennes (derrière Toronto – 14 milliards $)[3]. La planification budgétaire se fait toutefois à plusieurs niveaux. La Ville de Montréal est divisée en 19 arrondissements dont l’administration repose sur un conseil et un maire élus par la population. Ces derniers peuvent décider des priorités de dépenses pour leur arrondissement. Ils disposent pour ce faire d’un budget qui leur est transféré par la Ville, mais également de pouvoirs fiscaux sur une portion de l’impôt foncier (taxe d’arrondissement) et sur certains tarifs applicables dans leur arrondissement (urbanisme, stationnement, etc.). Ainsi, sur les 944 millions $ dont les arrondissements disposent pour assurer les services à leur population en 2021, une part de 255 millions $ provient de leurs taxes d’arrondissement et autres tarifs (soit 27 %).

À la suite des défusions de 2006, le gouvernement du Québec a forcé le partage du financement de certains services entre la Ville de Montréal et les municipalités reconstituées de l’île de Montréal (villes défusionnées) par la création d’une nouvelle instance : l’agglomération. Dans son budget de 2021, la Ville de Montréal verse une quote-part de 2,1 milliards $ pour les services d’agglomération, mais ce versement n’est qu’une écriture comptable, puisque c’est la Ville elle-même qui assume les responsabilités de l’agglomération. Elle recevra pour cela des quotes-parts des municipalités reconstituées pour un montant de 438 millions $ (qui s’ajoutent aux 2,1 milliards $ de la Ville).

Les arrondissements de la Ville de Montréal ont été créés dans le but de favoriser une meilleure intégration des villes fusionnées en 2002 (Collin et Robertson, 2005 ; Tomàs, 2012). Ils servent aujourd’hui d’outils de décentralisation pour les services de proximité aux résidents (Meloche et Vaillancourt, 2015). À l’opposé, l’agglomération de Montréal est une instance supramunicipale dont l’objectif est de centraliser certaines fonctions qui débordent les frontières municipales (notamment la sécurité publique, le transport en commun et la gestion de l’eau). Si ce type d’instance supramunicipale est commun au Québec ou ailleurs dans le monde (communautés urbaines, communautés métropolitaines, municipalités régionales de comté, régies intermunicipales, etc.), les instances inframunicipales avec un rôle financier important comme les arrondissements représentent une caractéristique propre à la Ville de Montréal. Il existe certes des subdivisions inframunicipales ailleurs dans le monde, mais elles ne jouissent pas des pouvoirs fiscaux ou de l’autonomie budgétaire dont disposent les arrondissements de la Ville de Montréal (Hlepas et al., 2018 ; Lõhmus, 2008 ; Meloche, 2014). Cela fait de la Ville de Montréal un cas intéressant pour explorer les mécanismes de centralisation et de décentralisation des services municipaux.

À l’aube des 20 ans de la fusion ayant mené aux premiers exercices d’intégration fiscale des villes fusionnées au sein de la Ville de Montréal, il est intéressant de s’interroger sur la réussite de cette intégration. Comment la Ville de Montréal a-t-elle réussi à harmoniser les cadres budgétaires des municipalités fusionnées ? Dans quelle mesure est-ce que les taux de taxation ont su converger vers un taux unique pour l’ensemble des secteurs de la nouvelle ville ? À quel point les dotations budgétaires sont-elles équilibrées entre les arrondissements ? Et comment a évolué le partage des ressources entre la Ville de Montréal et les villes reconstituées au sein de l’agglomération ? Bref, comment ont évolué les processus de centralisation et de décentralisation financières au sein des structures centralisée (l’agglomération) et décentralisées (les arrondissements) de la Ville de Montréal au cours des vingt dernières années ?

Des études menées par Meloche et Vaillancourt (2015) et Meloche et Leblanc-Desgagné (2018) sur les finances municipales à Montréal ont permis de dégager les grands principes qui régissent la gouvernance infra- et supramunicipale depuis les fusions. Les premiers ont étudié les conditions ayant mené à la réforme du financement des arrondissement de 2013. Les seconds se sont penchés sur les inégalités financières à l’échelle de la Communauté métropolitaine de Montréal avant les fusions et après les défusions. Aucune étude ne s’attarde toutefois à l’évolution des données financières des arrondissements de Montréal et à la question de l’harmonisation fiscale depuis les fusions.

Pour approfondir cette question, nous proposons d’explorer les données issues des budgets de la Ville de Montréal et ses états financiers des vingt dernières années. Ces données permettent de mesurer l’évolution du niveau de décentralisation inframunicipale de la Ville de Montréal sur la période. Elles permettent aussi de mesurer l’évolution dans la distribution des dotations budgétaires et des taux de taxation des arrondissements. Par des mesures de convergence, on peut mesurer le degré d’harmonisation des cadres financiers. Suivant Meloche et Leblanc-Desgagné (2018), des données tirées des états financiers des municipalités sur la période 1996 à 2019 permettent également d’apprécier l’impact de la création de l’agglomération sur la fiscalité de la Ville de Montréal et des villes reconstituées. À la différence des études antérieures, l’analyse proposée ici se concentre sur l’agglomération de Montréal.

Avant d’aborder l’analyse des données financières, le présent article propose un survol des éléments conceptuels sur lesquels s’appuie la structure de gouvernance de la Ville de Montréal. La deuxième partie traite de la question de la décentralisation vers les arrondissements et de l’harmonisation fiscale au sein de la nouvelle ville unifiée. La troisième partie présente la question de la centralisation vers l’agglomération de Montréal et le partage des ressources fiscales entre les villes liées. La conclusion revient sur l’idée d’harmonisation fiscale et sur le juste partage des ressources et des coûts à la fois entre les arrondissements de la Ville de Montréal et les villes liées.

1. Fusions et décentralisation : éléments conceptuels

Le contexte historique au sein duquel se déroule le débat sur les fusions municipales au Québec s’inspire de deux écoles de pensée en matière de gouvernance urbaine : le régionalisme et les choix publics (Savitch et Vogel, 2009). L’évolution de ces écoles vers une sorte de compromis à travers les courants du nouveau régionalisme et du nouveau localisme offre un cadre de réflexion sur la gouvernance à paliers multiples et le degré de décentralisation des activités entre ces paliers. Dans le cas de la Ville de Montréal, cette réflexion porte sur la répartition des responsabilités entre l’agglomération, la ville et les arrondissements.

1.1 La fragmentation et les fusions municipales

En gouvernance urbaine, le courant du régionalisme prétend que les villes qui intègrent une large part de leur aire urbaine arrivent à mieux planifier les services dont les bénéfices débordent les limites des municipalités historiques. Ces grandes villes seraient également plus en mesure de tirer profit des économies d’échelle et de rayonner sur la scène internationale (Savitch et Vogel, 2009). C’est sur la base de ces idées que plusieurs gouvernements ont entrepris des fusions municipales au Canada et ailleurs dans le monde dans les années 1990 et 2000 (Dollery et al., 2008). Très peu d’études empiriques sur ces fusions ont toutefois permis de valider les gains escomptés (Jepson Jr., 2008 ; Tavares, 2018). Les fusions municipales peuvent contribuer à réduire les dépenses administratives, mais elles ont peu d’impact sur les dépenses totales (Cobban, 2019 ; Tavares, 2018).

L’école de pensée des choix publics s’appuie quant à elle sur le travail de Tiebout (1956), qui suppose que les citoyens peuvent « voter avec leurs pieds », c’est-à-dire qu’ils peuvent se déplacer vers les municipalités qui offrent les services municipaux et le niveau d’imposition qui correspondent le mieux à leurs préférences. Dans cet univers, les gouvernements fragmentés s’adaptent mieux aux préférences de leurs citoyens en proposant un large éventail de paniers de services locaux sur l’ensemble du territoire métropolitain. Selon la théorie des choix publics, ce processus d’appariement entre les choix de localisation des ménages et les services proposés génère des gains d’efficacité. Des travaux empiriques menés aux États-Unis montrent que la fragmentation des aires métropolitaines améliore effectivement l’efficacité de production des services publics locaux ou stimule la croissance économique locale (Grassmueck et Shields, 2010 ; Hendrick et al., 2011).

La fragmentation peut toutefois aussi générer des inégalités fiscales (Jimenez, 2016 ; Martin et Schiff, 2011 ; Meloche et Leblanc-Desgagné, 2018). Il s’agit d’une conséquence indirecte du mécanisme d’assortiment de Tiebout (1956). Une hypothèse fondamentale de ce modèle est que tous les ménages ont le même revenu. Or, en réalité, la répartition des ménages dans l’espace ne suit pas nécessairement leurs préférences, mais plutôt leur capacité financière. L’exclusion des ménages pauvres par le biais de réglementations de zonage peut préserver la capacité fiscale élevée de certaines municipalités (Rothwell et Massey, 2010 ; Ulfarsson et Carruthers, 2006), qui peuvent alors maintenir des taux d’imposition bas pour des niveaux de dépenses par habitant plus élevés. Dans ces circonstances, la fragmentation génère des inégalités en créant une ségrégation fiscale. Il s’agit là de l’une des principales justifications pour les grandes villes d’annexer les municipalités environnantes (Edwards, 2008 ; Heim, 2012).

1.2 La gouvernance locale à paliers multiples

L’absence de gains tangibles des fusions municipales a poussé les régionalistes à revoir leur modèle. L’idée des fusions contraignantes et difficiles à mettre en oeuvre est remplacée par la coopération à travers des structures supramunicipales plus flexibles. Ces mécanismes de coopération à paliers multiples s’insèrent dans ce qu’on appelle le « nouveau régionalisme » (Brenner, 2002 ; Norris, 2001). La création de l’agglomération de Montréal s’inscrit dans ce contexte.

À l’opposé, certains auteurs s’interrogent sur les opportunités de fragmentation des activités des grandes villes issues de fusions ou d’annexions par la création d’entités inframunicipales. Cette approche est qualifiée par certains de « nouveau localisme » (Lowndes et Sullivan, 2008 ; Pratchett, 2004 ; Stoker, 2004). Selon ce courant de pensée, les décisions et les ressources des grandes villes devraient être décentralisées vers les gestionnaires de première ligne ou vers des regroupements de citoyens ou des conseils élus à l’échelle des quartiers. La création des arrondissements de la Ville de Montréal constitue un exemple de ces entités inframunicipales.

Suivant Lowndes et Sullivan (2008), les motifs de décentralisation inframunicipale sont souvent politiques. Les unités inframunicipales offriraient plus d’occasions aux citoyens de participer aux décisions locales, améliorant ainsi l’engagement civique et les interactions sociales. La proximité permettrait également d’améliorer la responsabilité des élus (Van Assche et Dierickx, 2007). Les études empiriques sur cette question fournissent toutefois peu d’appui à ces prétentions (Bäck et al., 2005 ; Swianiewicz, 2014).

1.3 Les principes de la décentralisation financière

La création d’entités supramunicipales et inframunicipales permet aux municipalités d’avoir une plus grande flexibilité et de mieux s’adapter aux diverses échelles d’intervention requises pour une production efficiente des services publics locaux. La question de la décentralisation dans ce contexte devient toutefois cruciale. Comment s’assurer de bien répartir les responsabilités entre les divers paliers de gouvernance ? Le cadre de réflexion généralement utilisé dans ce contexte est celui du fédéralisme fiscal. Élaboré par Musgrave (1958) et raffiné par Oates (1972), ce cadre recense quatre forces majeures qui agissent sur le niveau optimal de décentralisation : la congestion, l’hétérogénéité des préférences, les externalités et les économies d’échelle.

Le cas de la congestion est implicite aux biens publics locaux tels que définis par Oates (1972). S’il y a congestion dans la consommation des services publics, la multiplication des points de service devient nécessaire. L’accroissement du nombre de points de service signifie l’augmentation de la fragmentation, dans le but de réduire la congestion à chaque point de service. L’argument de l’hétérogénéité des préférences renforce également le besoin de fragmentation. Si les communautés locales ont des goûts hétérogènes pour les services publics, les entités locales peuvent s’adapter plus facilement aux différences de goûts et ont un avantage informationnel pour cerner les préférences par rapport aux gouvernements centraux. Si les citoyens peuvent en plus, comme le prétend Tiebout (1956), « voter avec leurs pieds », leurs migrations généreront des gains d’efficacité dans une structure plus fragmentée.

Les deux autres éléments relevés par Oates (1972) sont considérés comme des forces favorisant la centralisation (ou les fusions). Le premier est celui des externalités. En présence d’externalités, les instances régionales ou les entités municipales fusionnées seront plus efficaces pour fournir les services, car elles pourront plus facilement internaliser les effets positifs et négatifs de ces externalités. Le dernier argument est celui des économies d’échelle. Si les économies d’échelle dans la production d’un bien ou d’un service public sont importantes, les municipalités les plus grandes le produiront plus efficacement, donc à plus bas coût, car elles pourront augmenter l’échelle de production. En présence d’économies d’échelle, la fusion de municipalités devrait donc accroître l’efficacité de production des services locaux (Jimenez et Hendrick, 2010).

Le cadre d’analyse proposé par Oates (1972) permet d’établir un niveau optimal de décentralisation pour chaque type de service. Il peut guider la réflexion sur la réallocation d’activités entre paliers de gouvernance, comme dans le cas de la réforme du financement des arrondissements de la Ville de Montréal (Meloche et Vaillancourt, 2012, 2015). Malgré une littérature relativement abondante, il n’y a toutefois pas de consensus sur les gains économiques potentiels issus de la décentralisation (Baskaran et al., 2016 ; Martínez-Vázquez et al., 2017). L’étude de Gemmell et al. (2013) montre cependant que ce n’est pas la décentralisation des dépenses qui est potentiellement bénéfique, mais la décentralisation des recettes, ce qui donne à penser que le gain d’efficacité dans la production décentralisée provient surtout de l’autonomie locale ou de la responsabilité des élus locaux. C’est ce que soutiennent également Ostaaijen et al. (2012), Fimreite et Aars (2007) et Meloche et al. (2004).

2. Regard sur les arrondissements : décentralisation et harmonisation fiscale

La création des arrondissements de la Ville de Montréal est le résultat d’un ensemble de compromis découlant des négociations en amont des fusions municipales de 2002 (Collin et Robertson, 2005). Selon Tomàs (2012), ce résultat s’explique surtout par les divisions linguistiques qui existaient sur le territoire au moment des fusions. Plusieurs municipalités à majorité anglophone voulaient alors conserver leur identité locale lorsque fusionnées à une municipalité à majorité francophone. La menace de défusions à partir de 2003 et leur concrétisation en 2006 n’ont fait que renforcer l’identité de ces arrondissements.

Les responsabilités dévolues aux arrondissements sont alors celles de l’entretien de la voirie locale, du déneigement, des parcs locaux et des infrastructures, de l’urbanisme, de l’entretien et l’animation des lieux de sport, loisir et culture, incluant les bibliothèques, ainsi que de la collecte des matières résiduelles. La Ville assume quant à elle les responsabilités liées à l’entretien des infrastructures d’eau, à la disposition des matières résiduelles, au développement économique, aux grands événements, à la coordination des activités et services interarrondissements, à la gestion des ressources humaines, au prélèvement des impôts et au stationnement.

La fusion de 2002 aura également exigé un effort important d’harmonisation des paramètres fiscaux des villes fusionnées au sein de la Ville de Montréal. Dans ce contexte, la création des arrondissements aura permis une transition en douceur. Plutôt que de tout effacer et repartir à zéro, les municipalités fusionnées ont pu maintenir en bonne partie leurs dépenses, sans que les taux d’imposition changent radicalement. Au gré des années et des réformes, et malgré la défusion de 2006, les taux de taxation et les niveaux de dépenses ont pu converger doucement.

L’objectif de la présente section est d’explorer les données budgétaires de la Ville de Montréal depuis la fusion de 2002 afin de mesurer l’évolution du poids des arrondissements dans les finances de la Ville et le degré de convergence fiscale entre les arrondissements.

2.1 Le poids des arrondissements

La décentralisation financière peut se mesurer de différentes manières. À l’échelle de la Ville de Montréal, le niveau de décentralisation peut se mesurer par la part du budget des arrondissements dans les recettes totales de la ville[4]. Dans le budget 2021 de la Ville de Montréal, ce ratio est de 16,5 %. En 2002, première année de la fusion, les budgets d’arrondissement occupaient plutôt 31,7 % des recettes de fonctionnement. L’importance des arrondissements aurait donc fondu de moitié depuis. La figure 1 présente l’évolution de l’importance des arrondissements dans les finances de la Ville de Montréal au cours de la période. On constate qu’un niveau très élevé de décentralisation a permis d’amortir le choc des fusions en 2002, mais que ce niveau a été réduit rapidement en 2003. On assiste depuis à une décroissance modérée de la part des budgets d’arrondissement dans les finances de la Ville. Une réforme menant à la centralisation des opérations de déneigement a fait chuter le niveau de décentralisation plus significativement en 2017.

Figure 1

Indicateurs de décentralisation financière, Ville de Montréal, 2002 2021 (%)

Indicateurs de décentralisation financière, Ville de Montréal, 2002 2021 (%)
Source : Données tirées des budgets de la Ville de Montréal 2002 à 2021

-> Voir la liste des figures

Comme mentionné précédemment, l’autonomie financière est une composante importante de la décentralisation. En 2021, la part de financement autonome des arrondissements, qui provient de leurs taxes et tarifs, compte pour 27,0 % de leur budget total. Cette proportion n’était que de 4,9 % en 2002 (voir figure 1). Les arrondissements ont donc acquis une grande autonomie de financement au cours de la période. Cette autonomie découle de deux décisions. La première est d’accorder aux arrondissements le droit d’emprunter pour leurs dépenses d’investissement à partir de 2005. Ces emprunts sont contractés par la Ville de Montréal, mais le remboursement est porté à la charge de l’arrondissement par une taxe spécifique. Puisqu’il y a un décalage de deux ans entre le moment des emprunts et le début des remboursements, l’impact de cette mesure n’apparaît qu’en 2007 (figure 1). L’effet est relativement stable par la suite.

La deuxième décision qui accroît l’autonomie financière des arrondissements découle de la réforme du financement de 2013. La Ville décide alors de transférer 5 % de l’espace fiscal sur l’impôt foncier aux arrondissements (accompagné d’un mécanisme de péréquation). Les arrondissements étaient autorisés depuis 2005 à prélever une taxe d’arrondissement à taux unique sur l’ensemble de leur richesse foncière (impôt prélevé par la Ville et versé aux arrondissements), mais très peu s’étaient alors prévalus de ce droit (jugeant leur dotation suffisante pour assumer leurs responsabilités). En 2013, la réforme introduite comme première étape d’une réforme plus générale du financement des arrondissements les force à prélever au moins une partie de leur financement à même cette taxe[5]. Leur autonomie financière bondit, passant alors de 10,8 % à 20,7 % de leur budget total. Les années subséquentes montrent que les arrondissements se sont approprié l’outil, puisque la part de leur financement provenant de la taxe d’arrondissement a augmenté (la diversité des taux de taxation applicables en 2021 apparaît dans l’annexe 1).

2.2 L’harmonisation fiscale

L’un des grands défis de la fusion de 2002 aura été d’harmoniser les pratiques fiscales des 28 municipalités fusionnées. Les pratiques étaient en 2001 très éclatées. Certaines municipalités avaient des taxes d’affaires, d’autres utilisaient l’impôt sur la valeur des propriétés commerciales. Certaines municipalités tarifaient la consommation d’eau au volume, d’autres appliquaient des tarifications forfaitaires par logement, alors que d’autres rapportaient la consommation d’eau sur l’impôt foncier (taux spécifique pour l’eau). Dans certaines municipalités, les taux d’imposition sur la valeur des bâtiments résidentiels variaient selon deux types de bâtiments (habitations de 5 logements et moins et habitations de 6 logements et plus), alors que d’autres appliquaient un taux unique à toutes les propriétés résidentielles. Tout n’a pas été transformé en 2002. Des mécanismes de convergence ont été mis en place, mais des différences persistent encore en 2021[6].

Le tableau 1 présente quelques données sur les arrondissements tirées du budget de 2021 de la Ville de Montréal. On y observe des divergences qui subsistent encore entre les arrondissements. Les deux premières colonnes du tableau présentent à titre indicatif la population et la part des valeurs résidentielles dans la richesse foncière uniformisée (RFU) totale de chacun des 19 arrondissements. Cela permet de constater que les arrondissements sont de tailles variées, allant d’une population de 19 688 habitants à L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève à une population de 175 560 habitants à Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, et que l’usage résidentiel est prédominant dans l’arrondissement de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, alors qu’il ne compte que pour 40,3 % de la richesse foncière dans l’arrondissement Ville-Marie.

Le tableau 1 contient trois indicateurs clés pour l’analyse financière : le taux de taxation foncière résidentielle[7], les recettes autonomes des arrondissements par habitant pondérées et les dépenses des arrondissements par habitant pondérées. Le mécanisme de pondération pour les recettes et les dépenses repose sur la combinaison des deux premières colonnes du tableau 1. Le calcul des recettes par habitant commanderait tout simplement de diviser les recettes autonomes des arrondissements par la population (première colonne du tableau 1). Or, parce que les arrondissements ne produisent pas des services que pour la population, mais aussi dans le but de soutenir l’activité économique, il faut tenir compte de la part résidentielle et non résidentielle des activités sur leur territoire. Pour ce faire, on multiplie les recettes par habitant par le ratio des valeurs foncières résidentielles dans les valeurs foncières totales (RFU). De cette manière, on obtient la part résidentielle des recettes par habitant, soit une approximation du fardeau fiscal des résidents de l’arrondissement. Cela constitue une donnée comparable d’un arrondissement à l’autre[8].

Tableau 1

Indicateurs financiers par arrondissements, Ville de Montréal, 2021

Indicateurs financiers par arrondissements, Ville de Montréal, 2021

Note : * Taux cumulé moyen total. ** Les recettes et dépenses par habitant pondérées correspondent aux recettes ou dépenses divisées par la population et multipliées par le ratio de RFU résidentielle sur RFU totale. *** Le taux résidentiel moyen varie sur la base des anciennes villes fusionnées. Il est différent à Sainte-Geneviève par rapport à L’Île-Bizard, et à Roxboro par rapport à Pierrefonds. À titre indicatif, ce sont les taux en vigueur à L’Île-Bizard et à Pierrefonds qui apparaissent au tableau. Le taux résidentiel moyen comprend à la fois la fiscalité de la ville-centre et celle des arrondissements.

Source : Données tirées du Budget 2021 de la Ville de Montréal

-> Voir la liste des tableaux

Lorsqu’on observe la colonne du taux de taxation résidentiel dans le tableau 1 (troisième colonne), on remarque que la charge fiscale des ménages n’est pas la même partout sur le territoire de la ville de Montréal en 2021. Le taux moyen le plus bas, dans l’arrondissement Ville-Marie, est de 0,7643 $ par 100 $ d’évaluation (présenté en pourcentage dans le tableau 1), alors qu’il atteint 0,9194 $ par 100 $ d’évaluation à Montréal-Nord (le taux le plus élevé). Appliqués sur une propriété résidentielle d’une valeur équivalente à la moyenne montréalaise, soit 425 000 $[9], ces taux génèrent un compte de taxes municipales de 3 248,28 $ dans Ville-Marie, mais de 3 907,45 $ dans l’arrondissement de Montréal-Nord, soit une différence de plus de 650 $[10]. Le tableau présenté dans l’annexe 1 permet de constater que cette différence s’explique essentiellement par la taxe d’arrondissement. Elle découlerait donc de choix politiques assumés par les élus d’arrondissement.

Les deux dernières colonnes du tableau 1 présentent des données sur le niveau de recettes autonomes par habitant et de dépenses par habitant pondérées par la part des activités résidentielles dans la richesse foncière uniformisée pour 2021. On constate à sa lecture que certains arrondissements prélèvent peu de recettes autonomes auprès de leurs résidents. C’est le cas de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, qui ne prélève que l’équivalent de 56,83 $ par habitant auprès de ses résidents en 2021, alors que ce montant atteint 218,94 $ dans l’arrondissement Outremont. Il faut dire que l’arrondissement d’Outremont est parmi ceux dont les dépenses par habitant pondérées sont les plus élevées, avec Ville-Marie et l’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, tandis que l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville est parmi ceux dont les dépenses sont les plus faibles, avec Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce (dernière colonne du tableau 1).

Dans une ville unifiée dont les pratiques fiscales convergent depuis une vingtaine d’années, ne devrait-on pas s’attendre à observer des données plus homogènes entre les arrondissements que ce que présente le tableau 1 ? En principe, il existe plusieurs raisons pour lesquelles les données financières ne sont pas au même niveau partout. La raison principale est que les arrondissements ont une certaine autonomie fiscale et budgétaire. Ils peuvent choisir d’accroître ou de réduire leurs dépenses et conséquemment leurs recettes de manière à satisfaire les priorités de leurs résidents, qui ne sont pas nécessairement les mêmes partout. Cela respecte les principes issus du cadre théorique présenté dans la section précédente.

Deux autres facteurs expliquent aussi les divergences. Le premier est que la Ville de Montréal a fait le choix de ne pas intégrer complètement les finances des municipalités fusionnées en 2002 en gardant à la charge des arrondissements les dettes historiques contractées par les anciennes municipalités qui les composent. Cette décision s’explique par le fait qu’il est commun de voir des municipalités s’endetter excessivement à l’approche d’une fusion de manière à renvoyer la charge de leur dette dans l’ensemble de la nouvelle ville (Hansen et al., 2014 ; Saarima et Tukiainen, 2015). Sachant qu’elles allaient devoir assumer leurs dettes après les fusions, les municipalités ne se sont pas lancées dans des investissements de dernière minute. Vingt ans plus tard, les dettes historiques ne sont toutefois pas encore payées ou harmonisées, ce qui crée une divergence persistante dans les taux de taxation pour les arrondissements.

Le dernier facteur est celui de la divergence dans la composition de l’assiette fiscale. Tous les arrondissements n’ont pas le même niveau de richesse foncière ni la même composition d’assiette en matière de typologie de bâtiment ou d’usage. Ainsi, des taux équivalents sur l’ensemble du territoire génèrent des divergences dans les recettes obtenues. Il faut ajouter le fait qu’une part des taux moyens cumulés présentés dans le tableau 1 ou l’annexe 1 repose sur des conversions de tarifs forfaitaires par logement en taux fonciers. Ces conversions peuvent entraîner des divergences dans les taux qui apparaissent au tableau 1 (et à l’annexe 1)[11].

2.3 La convergence des indicateurs

Le portrait tiré des données du budget de 2021 ne permet pas d’apprécier les efforts d’harmonisation qui ont été faits au cours des 20 dernières années. Pour y arriver, nous avons colligé les données sur les taux, les recettes et les dépenses des arrondissements de 2002 à 2021 afin de mesurer la convergence de ces indicateurs. L’analyse de convergence fiscale présentée ici s’inspire des travaux de Skidmore et Deller (2008) et d’Annala (2003) aux États-Unis ainsi que de Meloche et Leblanc-Desgagné (2018) sur Montréal[12]. La mesure de convergence utilisée est celle de la convergence-σ, fondée sur le coefficient de variation, c’est-à-dire le ratio de l’écart type sur la moyenne (Quah, 1993). Le coefficient de variation est directement proportionnel à la distribution autour de la moyenne. Par conséquent, une diminution d’une année sur l’autre indique une convergence.

La figure 2 présente la mesure de convergence-σ des taux de taxation résidentiels et non résidentiels sur la période 2002-2021 pour les arrondissements et municipalités fusionnées de la Ville de Montréal[13]. La définition de la Ville de Montréal utilisée ici est celle de 2006, ce qui veut dire que les municipalités ayant défusionné en 2006 ne sont pas incluses dans la distribution, même entre 2002 et 2005 (voir annexe 1 pour la liste des unités incluses). Comme on peut l’observer, la convergence des taux se produit sur les dix premières années d’existence de la ville fusionnée. Les écarts de taux résidentiels, qui varient dans une fourchette d’écart type de l’ordre de 11 % autour de la moyenne en 2002, se réduisent à moins de 4 % en 2011. Le taux non résidentiel présente des divergences encore plus grandes lors de la fusion, mais le coefficient de variation est réduit à une fourchette d’écart type de 2 % autour de la moyenne à partir de 2013[14].

Figure 2

Convergence-σ des taux de taxation résidentiels et non résidentiels* pour les arrondissements et anciennes villes fusionnées de la Ville de Montréal**, 2002-2021

Convergence-σ des taux de taxation résidentiels et non résidentiels* pour les arrondissements et anciennes villes fusionnées de la Ville de Montréal**, 2002-2021

Note : * La donnée de 2008 pour le taux non résidentiel a été lissée pour effacer une valeur aberrante causée par une redistribution de la tarification fiscale associée à l’eau dans les arrondissements de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et Sud-Ouest. ** La définition de la Ville de Montréal est celle de 2006. Les taux applicables aux villes ayant défusionné ne sont pas inclus dans la distribution de 2002 à 2005. La liste des unités incluses est celle de l’annexe 1.

Source : Données sur les taux moyens cumulés tirées des budgets de la Ville de Montréal 2002 à 2021

-> Voir la liste des figures

Lorsqu’on soustrait la portion des taxes d’arrondissement du taux résidentiel moyen, on obtient le taux associé aux services assumés par la Ville dans chaque arrondissement. Comme le montre la figure 2, la convergence-σ de ce taux sans les taxes d’arrondissement suit la même tendance que celle du taux résidentiel moyen jusqu’en 2007, soit l’année où sont introduits les taux d’arrondissement pour le financement des infrastructures. Les taux d’arrondissement génèrent alors de la divergence dans les taux de taxation résidentiels. On peut observer que cette divergence s’accentue avec la réforme du financement des arrondissements en 2013.

La figure 3 présente l’indice de convergence-σ pour les recettes par habitant pondérées et pour les dépenses par habitant pondérées pour les arrondissements de la Ville de Montréal de 2006 à 2021. Notre analyse débute en 2006 parce que les données sur les recettes et les dépenses sont produites sur la base des arrondissements (et non des anciennes villes fusionnées comme pour les taux de taxation) et que les territoires de plusieurs arrondissements ont été modifiés lors de la défusion de 2006 par rapport à ceux de 2002 (Pierrefonds-Roxboro, L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève et Rivière-des- Prairies–Pointe-aux-Trembles).

Figure 3

Convergence-σ des recettes autonomes par habitant pondérées et des dépenses par habitant pondérées pour les arrondissements de la Ville de Montréal, 2006-2021

Convergence-σ des recettes autonomes par habitant pondérées et des dépenses par habitant pondérées pour les arrondissements de la Ville de Montréal, 2006-2021
Source : Données sur les dotations et les affectations des arrondissements tirées des budgets de la Ville de Montréal 2006 à 2021

-> Voir la liste des figures

La figure 3 montre une certaine stabilité dans la distribution des dépenses par habitant pondérées entre les arrondissements. Ces dépenses varient dans une fourchette d’écart type d’à peu près 20 % autour de la moyenne sur toute la période. La Ville avait pourtant entrepris lors de la réforme du financement des arrondissements de 2013 de revoir ses transferts aux arrondissements pour les fonder sur des critères objectifs. La mise en place de ces critères a entraîné des variations significatives des dotations budgétaires à partir de 2014[15]. On constate effectivement une convergence des dépenses à partir de 2014, mais elle est très légère.

Du côté des recettes autonomes des arrondissements, la réforme du financement de 2013 a un effet qui peut paraître contradictoire par rapport aux conclusions tirées de la figure 2. S’il est vrai que la réforme du financement des arrondissements a généré de la divergence dans les taux de taxation entre les arrondissements, elle a permis une convergence dans les recettes autonomes (figure 3). Cela s’explique par le fait que les taxes d’arrondissement, mises à la disposition des arrondissements à partir de 2005, étaient très peu utilisées. Les dotations de la Ville étaient jugées satisfaisantes pour la majorité d’entre eux. Les arrondissements qui y avaient recours se distinguaient largement de ceux qui ne les utilisaient pas du tout. En transférant un espace fiscal de l’ordre de 5 % de l’assiette aux arrondissements en 2013, la Ville de Montréal a augmenté la moyenne de financement autonome, alors que l’écart type est demeuré stable. Cela a eu pour conséquence de faire diminuer le coefficient de variation, d’où l’effet de convergence. On peut alors conclure que la pratique des arrondissements en matière de fiscalité est plus uniforme après la réforme du financement des arrondissements qu’avant, même si l’un des objectifs de cette réforme est de permettre la divergence des pratiques à l’échelle des arrondissements. D’ailleurs, cette divergence réapparaît doucement après 2014 dans les recettes autonomes des arrondissements (figure 3).

3. Le partage des ressources supralocales au sein de l’agglomération

La création de l’agglomération, dans la foulée des défusions de 2006, n’a pas autant bouleversé les pratiques que la fusion et la création des arrondissements. Cela s’explique par le fait qu’une partie importante des responsabilités centralisées au sein de l’agglomération l’étaient déjà au sein de la Communauté urbaine de Montréal depuis les années 1970. Ces services étaient donc pour la plupart structurés à cette échelle, bien avant la période des fusions et défusions. Le changement qui survient avec la création de l’agglomération est plutôt dans la gouvernance de l’instance. La Ville de Montréal contrôle entièrement l’agglomération. Durant les trois premières années, elle fixait même les taux de taxation des villes liées pour le financement des activités d’agglomération. À partir de 2009, les municipalités reconstituées ont plutôt versé une quote-part à la Ville de Montréal pour les services d’agglomération.

Suivant le travail de Meloche et Leblanc-Desgagné (2018), l’objectif de la présente section est de mesurer l’évolution de certains indicateurs financiers des municipalités liées de l’agglomération de Montréal[16]. Pour ce faire, nous avons colligé des données qui débutent en 1996, soit six ans avant les fusions, de manière à suivre l’évolution des indicateurs dans la période qui précède les fusions (1996-2001) et celle qui suit les défusions (2006-2019). De cette façon, on peut tirer des conclusions sur l’impact potentiel de l’agglomération sur ces indicateurs. L’analyse repose ici sur des données tirées des rapports financiers plutôt que des budgets. Ces dernières sont plus faciles à colliger pour un ensemble de municipalités que les données budgétaires. Ces données couvrent la période 1996-2019 (les données de l’année 2020 n’étaient pas disponibles pour toutes les municipalités au moment de produire notre article). La municipalité de L’Île-Dorval a été exclue de l’analyse parce que sa taille ne permet pas de produire des données fiables (sa population officielle était de 5 habitants au recensement de 2016).

Le tableau 2 reprend les mêmes indicateurs sur les villes liées que ceux utilisés dans la section précédente sur les arrondissements. On constate à la lecture de ce tableau que les villes liées présentent des contrastes plus importants entre elles que les arrondissements de la Ville de Montréal. La plus petite ville étant Senneville, avec une population inférieure à 1 000 habitants, alors que la plus importante, la ville de Montréal, compte 1,8 million d’habitants. La ville de Hampstead est exclusivement résidentielle, alors que près des trois quarts des valeurs foncières de Montréal-Est proviennent des activités non résidentielles.

Les taux globaux de taxation uniformisés varient aussi beaucoup[17]. Le taux le plus élevé, celui de Montréal-Ouest, atteint presque le double de celui de Dorval, où il est le moins élevé. Quant aux dépenses par habitant pondérées, elles sont à peu près trois fois plus élevées à Westmount qu’elles ne le sont à Dollard-des Ormeaux. C’est à Montréal que la croissance des dépenses par habitant pondérées a été la plus importante entre 2001 et 2019. Son territoire a toutefois été modifié substantiellement sur cette période[18]. Dans les municipalités de Hampstead, Côte-Saint-Luc et Beaconsfield, la croissance des dépenses a été plus modeste.

Tableau 2

Indicateurs financiers, villes liées, agglomération de Montréal, 2019

Indicateurs financiers, villes liées, agglomération de Montréal, 2019

Note : * Les dépenses par habitant de Westmount ne tiennent pas compte des dépenses de Westmount Hydro. ** Les dépenses correspondent à la taille du budget consolidé, mesuré par les recettes totales. Elles incluent donc les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement supportées par les recettes courantes.

Source : Données tirées des rapports financiers municipaux déposés au MAMH

-> Voir la liste des tableaux

La part qu’occupent les dépenses de l’agglomération de Montréal dans les dépenses totales de fonctionnement des villes liées est relativement stable depuis les défusions de 2006. Elle s’élevait à près de 50 % en 2006 et s’est réduite très légèrement depuis (à 47 %). On peut donc dire que le niveau de centralisation des dépenses municipales est relativement stable au sein de l’agglomération.

La figure 4 présente des mesures de convergence-σ pour les deux principaux indicateurs financiers tirés du tableau 2, soit le taux global de taxation uniformisé (TGTU) et les dépenses par habitant pondérées. On constate, autant pour les dépenses que pour les taux de taxation, que les divergences dans la distribution au cours de la période qui précède les fusions sont légèrement plus élevées que celles de la période qui suit tout juste les défusions, mais que ces divergences semblent reprendre leur place avec le temps.

Figure 4

Convergence-σ du taux global de taxation uniformisé et des dépenses par habitant pondérées pour les villes de l’île de Montréal*, 1996-2019

Convergence-σ du taux global de taxation uniformisé et des dépenses par habitant pondérées pour les villes de l’île de Montréal*, 1996-2019

Note : * Le nombre de villes dans la distribution est de 28 entre 1996 et 2001 et de 15 entre 2006 et 2019. Ce ne sont donc pas les mêmes distributions.

Source : Données tirées des rapports financiers municipaux déposés au MAMH

-> Voir la liste des figures

Il faut spécifier toutefois que la forme que prennent les divergences financières avant la fusion n’est pas la même qu’après les défusions. La figure 5 présente l’évolution du taux global de taxation uniformisé pour la Ville de Montréal, les villes reconstituées et les villes non reconstituées entre 1996 et 2019. La définition de la Ville de Montréal n’est pas la même avant 2002 et après 2005 (où elle englobe les villes non reconstituées), ce qui peut expliquer en partie le changement, mais l’effet est tout de même saillant. Avant les fusions, le Ville de Montréal avait un taux global de taxation uniformisé parmi les plus élevés sur l’île de Montréal, ce qui contribuait à la divergence des taux. Après les défusions, la Ville de Montréal affiche un taux comparable à la moyenne des villes reconstituées ; c’est donc dire que la divergence des taux qui s’observe après les défusions provient davantage d’une divergence entre les villes reconstituées que d’une divergence par rapport à Montréal. Ce sont en fait les municipalités à forte teneur résidentielle de Montréal-Ouest, Côte-Saint-Luc et Hampstead, dont les niveaux de TGTU sont les plus élevés, qui s’éloignent de la moyenne.

Figure 5

Évolution du taux global de taxation uniformisé, Ville de Montréal et moyenne des villes reconstituées et non reconstituées*, 1996-2019

Évolution du taux global de taxation uniformisé, Ville de Montréal et moyenne des villes reconstituées et non reconstituées*, 1996-2019

Note : * La définition de la Ville de Montréal n’est pas la même avant 2002 et après 2005. Les villes non reconstituées en font partie sur la période 2006-2019. Les villes reconstituées sont les mêmes avant et après la période des fusions.

Source : Données tirées des rapports financiers municipaux déposés au MAMH

-> Voir la liste des figures

Il semble évident qu’une partie de l’écart dans le taux global de taxation uniformisé entre la Ville de Montréal et la moyenne des villes reconstituées s’explique par la fusion de 2002 et le maintien des villes non reconstituées au sein de la ville fusionnée après 2006. Cela dit, la figure 5 laisse supposer que d’autres transformations ont également permis à la Ville de Montréal de rejoindre la moyenne des villes reconstituées après 2006. Le partage du financement des services au sein de l’agglomération a probablement contribué à réduire cet écart. Ces observations viennent confirmer les résultats obtenus par Meloche et Leblanc-Desgagné (2018) à l’échelle de la Communauté métropolitaine.

Conclusion

Le regard porté dans cet article sur les données financières de la Ville de Montréal des 20 dernières années nous permet de saisir la complexité et l’ampleur de la tâche que les gestionnaires municipaux ont dû relever pour harmoniser les pratiques fiscales, apprivoiser l’espace de décentralisation des arrondissements et, ultimement, occuper l’espace fiscal supramunicipal engendré par la création de l’agglomération.

Notre analyse à l’échelle des arrondissements montre que l’harmonisation des taux de taxation a été relativement rapide au sein de la nouvelle ville. On peut s’interroger sur le chemin qu’il reste à parcourir. Est-il normal que les dettes des anciennes villes ne soient pas encore consolidées vingt ans après la fusion ? La tarification qui touche les services centraux ne devrait-elle pas tendre vers une certaine forme d’uniformisation ? Du même coup, on peut aussi conclure que la dispersion des taux relatifs aux activités de la Ville est très faible. Elle se situe dans une fourchette d’écart type de 2 % autour de la moyenne, ce qui n’engendre pas de grandes variations dans les comptes de taxes d’un bout à l’autre de la ville.

C’est sur le plan des taxes d’arrondissement que les écarts de taux sont les plus importants. Mais comme le font remarquer Meloche et Vaillancourt (2015), c’est expressément pour diversifier les pratiques fiscales que les arrondissements ont été incités à occuper cet espace fiscal. Il semble d’ailleurs que la généralisation du recours aux taxes d’arrondissement ait conduit à des pratiques mieux harmonisées entre les arrondissements. Le gain d’autonomie que cela procure permet en plus, selon la littérature, d’augmenter la responsabilité des élus d’arrondissement et ultimement d’améliorer l’efficacité de production des services de proximité sur le territoire de la ville de Montréal. On peut s’interroger en contrepartie sur la tendance des vingt dernières années à la recentralisation des responsabilités des arrondissements. Leur poids dans les finances de la Ville ne cesse de se rétrécir.

Compte tenu de la complexité de la tâche et du chemin parcouru, on peut conclure que la Ville de Montréal a su intégrer depuis 2002 la fiscalité des villes fusionnées afin de constituer une fiscalité relativement bien harmonisée sur l’ensemble de son territoire, et cela sans compromettre le caractère distinctif ni l’autonomie financière de ses arrondissements. Le système de taxation demeure complexe, impliquant une multitude de taux et de tarifs, mais il s’agit probablement du prix à payer pour éviter une fusion drastique qui aurait entraîné des coûts d’adaptation élevés et qui minerait les initiatives locales.

Les finances d’agglomération suivent quant à elles une trajectoire relativement stable depuis 2006. Il est étonnant de voir comment la situation de la Ville de Montréal s’est repositionnée par rapport aux autres municipalités de l’île de Montréal dans la période qui suit les défusions. La Ville de Montréal, telle qu’elle existait avant les fusions, semblait défavorisée par rapport aux autres, alors que depuis 2006, elle suit une trajectoire sensiblement comparable à celles des municipalités reconstituées. Il est difficile de départager l’effet des fusions de celui de l’agglomération à ce niveau, mais il semble que cette transformation ait permis un meilleur partage des ressources sur le territoire de l’île de Montréal.