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La publication du numéro thématique « Images de la préhistoire du Québec » en 1978 (vol. VII, nos 1-2) fait certainement partie de la petite histoire de l’archéologie au Québec. L’opportunité offerte aujourd’hui par les responsables d’un numéro commémoratif pour le 50e anniversaire de la revue est une incitation à raconter brièvement l’histoire de l’archéologie en tant que discipline en plein essor au moment de la parution du numéro thématique d’il y a plus de quarante ans. La pratique de l’archéologie préhistorique ne cessera d’évoluer, et cette discipline occupera de plus de plus d’espace dans la recherche scientifique au Québec. Malgré la tentation de produire un texte sur l’évolution de la discipline archéologique et ses nombreuses réalisations, je me concentrerai plutôt sur l’histoire de ce numéro tout en discutant brièvement des progrès de l’archéologie au Québec.

L’histoire du numéro

Je ne veux surtout pas en faire une histoire personnelle, étant donné qu’il s’agit d’un ouvrage collectif et que j’ai surtout assumé le rôle de rassembleur, mais je me dois d’expliquer comment je me suis retrouvé directeur de ce numéro thématique. Après avoir obtenu ma maîtrise en anthropologie en septembre 1976, j’ai été engagé en tant que professionnel en archéologie au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. C’était un nouveau poste créé pour aider à mettre sur pied une école de fouilles qui se tiendrait à la Pointe-du-Buisson à partir de 1977. Norman Clermont avait persuadé le Département de la nécessité de former les futurs archéologues québécois dans le cadre d’une école de fouilles. Mon engagement permettait alors de superviser dix stagiaires, conformément à la loi sur le patrimoine archéologique. Parmi mes tâches, en plus de seconder Clermont dans l’organisation et l’encadrement des étudiants, je devais l’assister dans la recherche. C’est ainsi que, dès 1977, après une première école de fouilles fructueuse, j’ai eu la chance d’accompagner Clermont à Ottawa pour y rencontrer plusieurs archéologues de la Commission archéologique du Canada travaillant au Musée national de l’Homme (qui deviendra plus tard le Musée canadien des civilisations, puis le Musée canadien de l’Histoire), et plus particulièrement James V. Wright. Cet archéologue, dont la mère était francophone, était un spécialiste de la préhistoire du Nord-Est américain et il s’intéressait à nos travaux. Durant nos échanges, il nous apprend qu’il entend publier un ouvrage synthèse sur la préhistoire du Québec à partir du modèle d’un ouvrage de vulgarisation sur la préhistoire de l’Ontario paru en 1972. De fil en aiguille, je me souviens d’un certain mécontentement chez plusieurs collègues qui ne voyaient pas d’un bon oeil la publication d’une première synthèse vulgarisée de la préhistoire du Québec par un archéologue de l’extérieur qui ne ferait que calquer son ouvrage sur la préhistoire de l’Ontario. Nouvellement membre du comité de rédaction de la revue Recherches amérindiennes au Québec et participant activement aux réunions mensuelles, je propose alors l’idée d’un numéro spécial sur la préhistoire du Québec avec comme objectif de vulgariser son contenu pour un plus large public. Le projet est accepté et, de mémoire, c’est Daniel Chevrier qui proposa le titre.

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La structure particulière du numéro

D’entrée de jeu, le numéro devait être l’équivalent d’un livre tout en étant considéré à l’interne comme un numéro double de la revue pour satisfaire les organismes subventionnaires. Durant les années 1970, l’archéologie se pratiquait dans plusieurs régions du Québec à un rythme accéléré. Tout en conservant l’objectif de rendre les données accessibles au grand public, le but ultime du numéro était de permettre aux archéologues les plus actifs de présenter les résultats de leurs récents travaux. C’est dans cette perspective que tout s’est organisé autour d’une couverture géographique élargie. Après deux chapitres introductifs, « Travailler en archéologie » par Norman Clermont et « L’historique de la recherche archéologique au Québec » par Charles A. Martijn, les autres chapitres sont regroupés en fonction d’un découpage géographique. La première région est celle de la Plaine laurentienne, et trois chapitres synthétisent ce que nous savions de ses occupants. Le peuplement est abordé par Serge-André Crête, le Sylvicole initial par Norman Clermont, et les premiers agriculteurs iroquoiens par Georges Barré et Laurent Girouard. Les autres régions couvertes sont la Gaspésie par José Benmouyal, le Bas-Saint-Laurent par Pierre Dumais, la Côte-Nord par Daniel Chevrier, la forêt boréale par Marcel Laliberté, le Nouveau-Québec par Patrick Plumet et la péninsule du Québec-Labrador par Gilles Samson. En tant que directeur de ce numéro spécial, j’ai signé une courte présentation d’une page dans laquelle je signalais l’absence de recherches archéologiques dans plusieurs régions telles que l’Abitibi, les Laurentides, la Beauce, l’Estrie, la Mauricie, l’Outaouais et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. J’ai aussi signé un court texte portant sur l’avenir de notre patrimoine archéologique en guise de conclusion.

Les efforts de vulgarisation dans ce numéro spécial relèvent surtout de l’apport d’illustrations variées, comme le souligne Bruce Trigger dans son compte rendu critique (Trigger 1978), et de textes assez courts complétés par un glossaire réalisé par Jean-François Moreau. Trigger considère cet ouvrage comme étant « … une étape importante dans le développement de l’archéologie québécoise » (ibid. : 165). Il se fait également prophète en soulignant que cette publication « … constitue un premier manuel scolaire pouvant être utilisé au secondaire comme au collégial pour enseigner l’archéologie du Québec et procurer aux archéologues d’ailleurs un excellent résumé de l’état de l’archéologie francophone au Québec » (ibid. : 165). La popularité de cet ouvrage dans les cours au collégial et dans les universités québécoises sera indéniable.

Quant aux régions absentes dans le numéro en 1978, il est utile de souligner que plusieurs font aujourd’hui belle figure sur le plan des connaissances acquises. Sans pouvoir s’étendre longuement sur ce sujet, soulignons le développement des recherches archéologiques en Abitibi (Côté 2004), en Estrie (Graillon et al. 2012 ; Chapdelaine et al. 2015 ; Chapdelaine et Graillon 2020), en Outaouais (Clermont et Chapdelaine 1998 ; Clermont et al. 2003 ; Ouellet 2017) et au Saguenay–Lac-St-Jean (Langevin et Plourde 2017 ; Gallo 2017).

raison et motivation derrière cette aventure

Cette publication sur la préhistoire du Québec a été motivée par le besoin d’offrir une version vulgarisée toute québécoise de nouvelles données récemment acquises. L’élément déclencheur a certes été le projet de publication du Musée national de l’Homme à Ottawa. C’est probablement un concours de circonstances qui a permis de réunir douze archéologues autour d’une même table et d’obtenir leur participation volontaire dans un projet accéléré par la parution éventuelle de l’ouvrage de James Wright.

Au-delà de ces raisons, je pense que le temps était propice pour offrir une première synthèse sur l’archéologie préhistorique au Québec. La conjoncture a aussi été favorable pour moi, car à cette époque, à l’automne 1977, j’étais un jeune archéologue ayant obtenu sa maîtrise en 1976 et qui travaillait en tant qu’archéologue professionnel au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Je travaillais en laboratoire et sur le terrain sous la supervision de Norman Clermont depuis septembre 1976. J’étais aussi membre du comité de rédaction de la revue Recherches amérindiennes au Québec depuis 1977. J’avais déjà publié mon premier article scientifique dans la revue en 1976, sur mes données soumises pour l’obtention de ma maîtrise. Je participais donc activement aux réunions du comité de rédaction et nous devions proposer des sujets pour de futurs numéros. Les numéros thématiques étaient déjà à la mode et l’idée de réunir les archéologues québécois les plus actifs et de leur demander de soumettre un article en favorisant une certaine vulgarisation des données a été retenue. L’objectif était de couvrir les principales régions de la province de Québec et d’obtenir ainsi une meilleure couverture que celle, plus globale et générale, envisagée par James Wright. Je pense que ma motivation venait de ma volonté d’organiser un numéro pour la revue et d’offrir une synthèse de la préhistoire du Québec aux Québécois par des Québécois. Cette volonté a été saluée dans les pages de la revue Québec Science en 1978 – qui a réservé une page complète à un compte rendu du numéro « Images de la Préhistoire du Québec », dans lequel l’auteur reconnaît les efforts des préhistoriens pour rejoindre le public (Picard 1978 : 41).

Le contexte de production du numéro

La revue Recherches amérindiennes au Québec, créée en 1971, est toujours dans une situation financière critique à cette époque. Il faut publier avec les moyens du bord. Les anthropologues sont les pionniers et les archéologues viennent appuyer les efforts pour maintenir la revue en vie et pour améliorer le contenu. En 1977, le Québec est alors pour la première fois de son histoire dirigé par un parti politique qui prône l’indépendance du Québec. Je me plais à penser, quarante-trois ans plus tard, que c’est le sentiment de fierté nationale qui m’habitait, et qui habitait aussi la communauté archéologique de l’époque, pour expliquer la mise en chantier et la réalisation de ce premier numéro thématique dans un laps de temps aussi court. Avec mes collègues du comité de rédaction de la revue, en particulier Daniel Chevrier, nous avions décidé que ce recueil pouvait avoir un impact dans l’enseignement au niveau collégial et universitaire. Nous avons alors pris la chance d’imprimer 1000 copies (en me fiant aux souvenirs de Daniel Chevrier) alors que le tirage de la revue était à l’époque d’environ 400 à 500 exemplaires. La réponse au niveau des ventes a dépassé nos attentes et, sans parler d’un « best-seller », le numéro s’est écoulé rapidement et nous avons dû procéder en février 1980 à un second tirage d’au moins 250 exemplaires selon Chevrier. Ces copies se vendront plus lentement, mais le numéro est définitivement épuisé en 1986. Il ne sera pas réimprimé pour des raisons que je présenterai plus loin dans ce texte, mais il est toujours accessible en format numérique.

La place de l’archéologie depuis le numéro thématique : des contributions étalées sur quarante-trois ans

Les années qui suivront la parution de cette synthèse en 1978 vont marquer à jamais la pratique de l’archéologie et assurer en quelque sorte l’avenir de son patrimoine, autant historique que préhistorique (Clermont 1982 ; Martijn 1998). Il faut comprendre ici que les décennies qui suivront la parution de la synthèse en 1978 seront marquées d’une explosion de la pratique archéologique. Les besoins de diffusion augmentent et la Société Recherches amérindiennes au Québec jouera un rôle déterminant qui se matérialise autant dans les pages de la revue que dans la mise en place de collections telles que « Signes des Amériques », qui voit le jour en 1982, et en 1993 « Paléo-Québec », une série de monographies du réseau de l’Université du Québec qui cède ensuite ses droits à Recherches amérindiennes au Québec.

Après ce numéro thématique, les numéros consacrés à l’archéologie se sont succédé à un rythme constant. J’ai recensé quinze numéros thématiques portant sur l’archéologie. Un bref survol est justifié pour montrer à quel point la Revue a été un outil de diffusion très important pour les recherches archéologiques portant sur les Autochtones du Québec et d’ailleurs. Signalons, entre autres numéros :

  • 1978 (VIII [1]), Disciplines auxiliaires à l’archéologie

  • 1980 (X [3]), Les Iroquoiens

  • 1982 (XII [3]), Échanges et interactions : Mésoamérique, Petites Antilles, nord-est de

  • l’Amérique

  • 1984 (XIV [1]), Ressources aquatiques : pêche, chasse et collecte

  • 1985 (XV [1-2]), La période Paléoindienne : Des éléphants, des caribous… et des hommes

  • 1987 (XVII [1-2]), La période Archaïque

  • 1989 (XIX [2-3]), En marche entre deux mondes : préhistoire récente au Québec, au Labrador et à Terre-Neuve

  • 1990 (XX [1]), Le temps des grands changements : le Sylvicole au Québec méridional

  • 1992 (XXII [4]), L’origine des Iroquoiens, un débat

  • 1993 (XXIII [4]), Transhumance, mobilité et sédentarité

  • 1994 (XXIV [1-2]), Les Autochtones de la période historique par l’archéologie : contact et interaction

  • 1998 (XXVIII [3]), Développements théoriques en archéologie

  • 1999 (XXIX [1]), Couleurs de l’identité en archéologie

  • 2002 (XXXII [3]), Aux marges de l’oekoumène, la période paléoindienne dans le Nord-Est

  • 2018 (XLVIII [3]), L’archéologie autochtone : des approches communautaires et collaboratives

De nombreux articles portant sur l’archéologie seront également publiés dans les pages de la revue sans faire partie d’un numéro thématique. L’importance de l’archéologie se remarque aussi dans la publication de monographies. Il y a la collection « Signes des Amériques » qui comprend seize titres, dont quatre sur l’archéologie. Quant à la collection « Paléo-Québec », elle porte exclusivement sur l’archéologie, et la Société Recherches amérindiennes au Québec en assure l’édition à partir du numéro 20, publié en 1993. La production de ces monographies est toujours active avec la diffusion du numéro 39 en décembre 2020. Cette série, sous la direction de Daniel Chevrier, compte au total 39 titres dont 19 ont été publiés par la Société Recherches amérindiennes au Québec. Paléo-Québec est sans l’ombre d’un doute la collection par excellence pour diffuser les résultats de recherches sur la préhistoire du Québec.

Une anecdote en guise de conclusion

Une petite anecdote à propos de la première synthèse sur la préhistoire du Québec se déroule au printemps 1979 dans le cadre de la rencontre annuelle de l’Association canadienne d’archéologie. C’était la première fois que cette association tenait sa réunion annuelle au Québec. La grande majorité des participants étaient anglophones et venaient des autres provinces canadiennes. La parution de cette synthèse, en 1978, avait été bien reçue, et l’idée de vendre cet ouvrage en français dans le cadre du colloque de Québec était une belle occasion de faire valoir notre produit et d’entrer en compétition avec le livre de Wright, en 1979. Malheureusement, ce duel n’a pas eu lieu, car le livre signé par notre collègue ontarien n’était pas encore sorti des presses de l’imprimeur au moment du colloque. « Images de la Préhistoire du Québec », sans créer un engouement monstre, a tout de même été vendu en grand nombre dans le cadre du colloque. C’est probablement la curiosité qui a incité les archéologues du Canada à acheter ce premier livre-synthèse en français sur la préhistoire du Québec. Il faut mentionner que ce numéro spécial de la revue déguisé en livre se vendait alors au coût de 6,00 $. Je n’ai jamais su s’ils avaient aimé cet ouvrage, mais je peux imaginer une certaine déception chez certains d’entre eux quand la synthèse vulgarisée de Wright fut disponible en anglais à l’automne 1979. Cette dernière comportait des planches couleur et son coût était très accessible à 6,95 $. Ce triomphe sans gloire de notre numéro thématique ne s’est pas arrêté là. Il a été accepté comme ouvrage de référence dans la majorité des cégeps où l’anthropologie était enseignée. Cet ouvrage fut mon seul « best-seller ».

Plus tard, au milieu des années 1980, des membres du comité de rédaction m’ont contacté pour me demander d’actualiser ou de refaire le numéro spécial sur la préhistoire du Québec, en m’accordant carte blanche dans le but de me persuader d’accepter. Je n’ai pas réfléchi longtemps pour décliner l’offre. J’étais déjà fort occupé en tant que nouveau professeur, et la synthèse des nouvelles données archéologiques, qui s’étaient accumulées à un rythme constant depuis 1978, faisait que le travail serait trop exigeant et difficile à manoeuvrer en restant dans le cadre d’un ouvrage collectif et d’un effort de vulgarisation. Mon idée était plutôt d’écrire cette synthèse avec un ou deux collaborateurs et d’en faire un ouvrage scientifique et non pas un ouvrage de vulgarisation. Aujourd’hui, à l’aube de mon entrée dans le groupe des septuagénaires, je ne vois pas encore dans mon agenda le temps que je pourrais consacrer à ce projet. Je n’ai plus ce rêve. Cette idée ne hante pas mon sommeil, car je me dis qu’un autre, plus jeune et plus fringant, s’attaquera un jour à ce projet exigeant. En attendant, le lecteur intéressé à découvrir les avancées dans le merveilleux monde de l’archéologie québécoise peut toujours explorer les magnifiques livres publiés par le Musée Pointe-à-Callière. L’archéologie du Québec y est racontée sur la base de quatre thèmes. Le premier porte sur l’air (Pintal et al. 2015), le second sur l’eau (Laroche et Plourde 2017), le troisième sur la terre (Balac et al. 2019) – et le quatrième portera sur le feu (Gates St-Pierre et Monette, sous presse). À cette collection s’ajoute un ouvrage intitulé Fragments d’humanité (Pothier 2016). Pour les amoureux de Montréal, n’hésitez pas à consulter un autre ouvrage, riche en informations sur ce que les archéologues ont déterré sous les rues de leur ville, publié dans la collection « Signes des Amériques » et intitulé Lumières sous la ville, quand l’archéologie raconte Montréal (Balac et Bélanger 2016) avec la collaboration déterminante d’Éric Chalifoux.

Finalement, si la publication du numéro thématique « Images de la Préhistoire du Québec » constitue un moment clé dans la diffusion des données archéologiques au Québec, il ne sera pas remplacé ni mis à jour. Le décalage est si grand entre l’état des connaissances en vigueur en 1978 et aujourd’hui que ce numéro est un document d’archives à utiliser avec précaution, car il est dépassé. Sur une note plus positive, en plus de la fierté d’avoir été associé à ce projet, je me réjouis encore de penser que notre effort de vulgarisation a suscité assez d’intérêt chez les cégépiens pour qu’ils s’inscrivent en anthropologie et, pour certains, s’investissent en archéologie.