Corps de l’article

Pour Recherches amérindiennes au Québec (RAQ), les anniversaires ont souvent été synonymes de bilans (voir Moreau 1976 ; Moreau 1981 ; Vincent et Mailhot 1997 ; Gélinas 2000). C’est dans cet esprit qu’à l’occasion du 30e anniversaire de RAQ Claude Gélinas (2000) avait publié une enquête statistique sur le contenu de la revue depuis sa fondation, c’est-à-dire pour les numéros des volumes 1 à 29. Cette enquête couvrait la langue des auteurs, leur lieu de travail, leur affiliation professionnelle mais aussi les disciplines et les aires géographiques représentées dans les textes publiés dans la revue. Il s’agissait alors de l’enquête la plus complète et la plus systématique à avoir été faite sur le contenu de Recherches amérindiennes au Québec. À l’occasion du 50e anniversaire de RAQ – et pour poursuivre la tradition des bilans –, l’idée d’actualiser l’enquête bibliométrique de Claude Gélinas (2000) s’est rapidement imposée. C’est en reprenant la méthode de cette enquête – tout en se permettant d’ajouter quelques nouveautés et ajustements – que sont ajoutées ici les données provenant des volumes 30 à 50. Notre principal objectif est, d’abord et avant tout, d’observer les tendances de la publication scientifique dans Recherches amérindiennes au Québec au cours de ses cinquante ans d’existence et de les mettre en dialogue avec les objectifs fondateurs de la revue.

Remarques méthodologiques

L’échantillon

Pour mettre à jour l’enquête de Claude Gélinas, chacun des numéros constituant l’échantillon a été consulté, c’est-à-dire tous les numéros allant du volume 30 jusqu’au volume 50 (y compris le présent numéro). Chaque texte comptabilisé a été catégorisé et compilé le mieux possible, comme nous le mentionnerons un peu plus loin. Par ailleurs, il est important de mentionner que la revue a publié différentes catégories de textes au fil de son histoire et que certains n’ont pas été pris en considération. Le corpus a été limité aux textes de réflexion, aux articles scientifiques, aux notes de recherche, aux chroniques juridiques ainsi qu’aux textes sur les actualités. Les comptes rendus de livres et de colloques, les témoignages, les hommages, les mots de la direction et les présentations des numéros n’ont pas été considérés dans l’échantillon. Ces dernières catégories de textes s’accordaient plutôt mal avec les catégories déjà définies et il était souvent difficile d’associer ces textes à une discipline ou à une aire géographique. De plus, pour faciliter la comparaison avec les données de Claude Gélinas, il était préférable de faire les mêmes choix quant à la détermination de l’échantillon.

Les aires géographiques

Mais, même en retirant ces textes, il était difficile de bien catégoriser tous les textes en fonction des catégories établies. C’est pourquoi aucune aire géographique n’a été attribuée aux textes à portée théorique et aux textes comparatifs, à moins que le cadre de la comparaison soit limité à une aire géographique catégorisable comme le Québec ou encore l’Amérique latine. Par contre, dans le tableau sur la répartition des Premières Nations du Québec, lorsqu’un texte compare deux ou plusieurs nations, aucune d’entre elles n’a été comptabilisée. C’est pourquoi, par exemple, il y a un plus grand nombre de textes sur le Canada que de textes pouvant être rattachés à une aire géographique canadienne. La plupart des textes sur le Canada traitent de droit, de politique fédérale, etc., et ne pouvaient donc pas être rattachés à une aire géographique canadienne particulière. Les Plaines ont aussi été ajoutées comme aire géographique du Canada, région qui n’était pas présente dans l’enquête de Claude Gélinas. On peut dire la même chose pour la région Centre-du-Québec et pour les régions administratives du Québec.

La catégorisation des auteurs

La catégorie « Expert autochtone » a été ajoutée au profil des auteurs pour rendre visible ce type particulier de collaborateur. Ont été considérés comme tels des Autochtones qui ne se présentent pas comme des chercheurs et qui ont signé un texte dans une catégorie entrant dans l’échantillon (actualité, article scientifique, réflexion, note de recherche et chronique juridique). Il peut s’agir ainsi d’aînés, de détenteurs de savoir, de politiciens, etc. Les Autochtones qui se présentent comme chercheurs ont été catégorisés selon leur affiliation institutionnelle (universitaire ou professionnelle). Cette décision a été prise principalement parce que certains chercheurs autochtones n’indiquent pas explicitement leur identité dans leur affiliation institutionnelle ou encore dans leur biographie. Il aurait ainsi fallu faire des recherches plus poussées pour chaque auteur, ce qui aurait été une tâche trop importante, considérant la taille du corpus.

Les domaines de recherche

Trois domaines de recherche supplémentaires ont été considérés afin de mieux comprendre l’évolution de la pluridisciplinarité de la revue dans les dernières décennies. En effet, les trois domaines qui ont été ajoutés à l’enquête – sciences politiques, arts, littératures et muséologie, et autres – sont désormais mieux représentés dans les pages de la revue que certaines disciplines qui en sont fondatrices, comme l’archéologie et la linguistique par exemple. Concernant la catégorie « autres », elle regroupe des disciplines très diverses – telles que la santé, la communication, la foresterie et la géographie – mais qui n’étaient pas suffisamment représentées pour faire l’objet d’une catégorie distincte. D’autre part, mentionnons que la catégorie « Ethnohistoire » – telle qu’elle était désignée dans l’enquête de Claude Gélinas – a été renommée au profit du terme « Histoire ». En effet, le terme « ethnohistoire » est de moins en moins courant et il va de soi, étant donné l’orientation de la revue, que les textes historiques concernent les Autochtones.

Autres remarques

Comme la catégorisation des textes demeure relativement subjective, il est possible qu’il y ait des disparités entre les données présentées par Claude Gélinas et celles qui figurent dans le présent article. En effet, ce ne sont peut-être pas exactement toujours les mêmes choix méthodologiques qui ont été faits même si, dans l’ensemble, les différences sont probablement très mineures. La comparaison entre les deux corpus de données doit donc se faire avec prudence. Néanmoins, il semble que l’ajout de ces nouvelles données statistiques permettra au lectorat de RAQ d’avoir un portrait global de l’évolution de la revue qui soit – malgré quelques disparités potentielles – assez représentatif de son contenu au cours de ses cinquante années de publication.

Analyse et présentation des données

Les auteurs

La répartition des auteurs selon leur lieu de travail fait apparaître une internationalisation à peu près constante des collaborateurs depuis la fondation de la revue (tab. 1). En effet, si au moment de la première décennie de la revue seulement 12,8 % des auteurs n’étaient pas basés au Québec – avec aussi peu que 2,9 % d’auteurs hors Canada –, le portrait est tout autre pour les dix dernières années, avec 29,5 % de collaborateurs hors Québec – dont la très vaste majorité est hors Canada (21,1 %). Il n’en demeure pas moins que, de tout temps, la grande majorité des auteurs étaient basés au Québec (avec en moyenne 76,2 % en cinquante ans d’activités). D’autre part, les statistiques ne le montrent pas, mais un nombre non négligeable de collaborateurs internationaux sont d’origine québécoise ou encore ont fait une partie importante de leurs études au Québec. Donc, on peut dire que le réseau de collaborateurs de la revue passe avant tout par le Québec et que cela ne semble pas avoir changé substantiellement au fil des décennies.

Dès lors, la question se pose : de quels coins du Québec ce réseau prend-il sa source ? On ne sera guère surpris que, sur cinq décennies, la grande majorité des auteurs soient basés à Montréal. En effet, cette ville est un centre névralgique de la recherche universitaire au Québec en raison de sa population importante, de ses nombreuses universités et groupes de recherche mais aussi d’un nombre important de firmes de consultants. La région de Québec se taille une place considérable avec une moyenne de 29,5 % d’auteurs de cette région depuis la parution du premier numéro de la revue (tab. 2). La ville de Québec est en effet un centre important de la recherche autochtone au Québec en raison de la présence de l’Université Laval et de ses centres de recherche longuement établis (pensons au Centre d’études nordiques et au Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones). De plus, la ville de Québec et la communauté voisine de Wendake accueillent de nombreux services et organismes autochtones dans lesquels ont travaillé certains collaborateurs de la revue. Cela fait donc 86,4 % des collaborateurs du Québec qui ont pour lieu de travail les villes de Québec et de Montréal. Les 13,6 % d’auteurs basés en dehors de ces deux villes sont généralement affiliés à des universités du réseau de l’Université du Québec – les plus représentées étant celles de Chicoutimi, de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue – ainsi qu’à l’Université de Sherbrooke. Mentionnons également la présence d’auteurs autochtones qui sont basés dans leurs propres communautés, ainsi que d’auteurs affiliés à des organisations autochtones ou encore à des firmes d’archéologie basées dans différentes régions du Québec.

Tableau 1

Répartition des auteurs selon leur lieu de travail (en pourcentage)

Répartition des auteurs selon leur lieu de travail (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Répartition des auteurs québécois selon leur lieu de travail

Répartition des auteurs québécois selon leur lieu de travail

* Les cases comportant un tiret correspondent à des catégories qui n’avaient pas été comptabilisées dans l’enquête de Claude Gélinas.

-> Voir la liste des tableaux

Pour ce qui est de la langue de travail des auteurs, le français reste largement dominant. Si on peut observer une légère baisse dans les années 1990 avec 70 % d’auteurs de langue française et 23,8 % de collaborateurs anglophones, le taux d’auteurs francophones dans la dernière décennie est revenu à peu près à celui de la première décennie de publication de la revue, soit à 83,8 % (tab. 3). Fait intéressant, la publication d’articles en français par des chercheurs québécois francophones est à la baisse au profit de l’anglais depuis le milieu des années 2000 (Gingras et Larivière 2005 ; Larivière 2019). La revue ne semble pas avoir été atteinte par cette baisse puisque le pourcentage et le nombre absolu de textes en français se sont à peu près maintenus dans le temps. Par contre, si dans les années 1970 les auteurs anglophones étaient pratiquement les seuls auteurs non francophones représentés dans les pages de la revue, la situation est bien différente aujourd’hui avec un pourcentage d’auteurs hispanophones de plus en plus important à travers le temps. Mentionnons que pour la dernière décennie on compte 3,8 % de collaborateurs qui parlent une autre langue que le français, l’anglais ou l’espagnol. Bien qu’ils ne soient pas les seuls, la majorité de ces collaborateurs travaillant dans une langue « autre » sont lusophones. Somme toute, bien que les champs d’intérêt de la revue se soient élargis au monde entier et que la revue ait publié de plus en plus de textes d’auteurs hors Québec, le réseau de collaborateurs de Recherches amérindiennes au Québec reste ancré dans un milieu majoritairement francophone dont le Québec demeure l’épicentre. Mentionnons finalement que le corollaire de l’accroissement de la représentation des francophones depuis les années 1990 est que la revue publie de moins en moins de traductions d’articles écrits par des non-francophones.

Tableau 3

Répartition des auteurs selon leur langue de travail

Répartition des auteurs selon leur langue de travail

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 4

Répartition des auteurs selon leur milieu de travail (en pourcentage)

Répartition des auteurs selon leur milieu de travail (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

En regardant la répartition des auteurs selon leur milieu de travail (tab. 4), on remarque que les collaborateurs de la revue sont majoritairement universitaires, avec un sommet historique de 78,4 % dans la dernière décennie. Si la présence des chercheurs professionnels s’est à peu près maintenue dans le temps avec un taux oscillant entre 13,4 % et 24,9 % selon les décennies – une variation qui semble ne pas avoir d’explication particulière –, c’est vraiment du côté du public que l’on observe une chute drastique, leur représentation passant de 30,2 % à 1,6 % entre 1990 et aujourd’hui. Avec ce déclin, on peut présumer que la revue s’adresse de plus en plus aux chercheurs ou aux professionnels qui souhaitent publier les résultats de leurs recherches. Mais la chute du taux d’auteurs provenant du public est également attribuable à deux facteurs statistiques. On constate tout d’abord que les experts autochtones ont été retranchés des membres du public dans la présente enquête afin de rendre visible leur contribution : ceux-ci avaient initialement été comptabilisés comme membres du public dans l’enquête de Claude Gélinas. D’autre part, les auteurs provenant du public étaient surtout cantonnés à la section « Actualités » de la revue, une catégorie qui a pratiquement disparu dans les dernières années (voir tab. 5 et 6). Finalement, concernant les auteurs considérés comme « experts autochtones », il est difficile de savoir si leur représentation a augmenté puisqu’ils n’ont pas été comptabilisés lors de l’enquête précédente. On note cependant une hausse entre les années 2000 et 2010. Mentionnons également que le taux global d’auteurs autochtones est plus élevé que celui des « experts autochtones » car les chercheurs autochtones affiliés à des universités ou à des groupes de recherche ont été comptabilisés comme universitaires. En effet, la catégorie « Expert autochtone » ne comptabilise que les membres des communautés autochtones qui ne sont pas affiliés à une université.

La représentation des domaines de recherche

La répartition des textes selon les domaines de recherche montre que les deux principales disciplines présentes dans les pages de la revue sont l’ethnologie (moyenne de 27,9 %) et l’histoire (moyenne de 21,8 %) [tab. 5]. L’archéologie, bien qu’elle ait eu une place prépondérante dans les premières années de la revue, occupe maintenant une place de plus en plus marginale. Il y a pourtant pratiquement toujours eu des archéologues dans le comité de rédaction de RAQ ; il ne s’agit donc pas d’un changement d’orientation de la part de la revue. La présence à la baisse de l’archéologie peut en partie s’expliquer par la création de deux autres médiums de diffusion des résultats de la recherche archéologique au Québec, soit la revue Archéologiques (1987) et la collection « Paléo-Québec » (1974).

On remarquera aussi deux catégories de textes qui ont déjà eu une place importante dans les pages de la revue mais qui ont pratiquement disparu depuis 2011, soit les textes sur le droit et les actualités. Pour ce qui est des textes sur le droit, il est inexact de dire qu’ils ont disparu : ce sont plutôt les chroniques juridiques – qui avaient été publiées pendant de nombreuses années – qui ont presque disparu dernièrement.

Quant aux actualités, on peut bel et bien dire qu’il s’agit d’un format en réel déclin : avec un taux de présence tournant autour de 20 % entre 1971 et 2010, les actualités ne représentent plus que 3,6 % des textes de la revue dans la dernière décennie. L’avènement des réseaux sociaux et de médias spécialisés sur les questions autochtones tels que Espaces autochtones et CBC Indigenous y est certainement pour quelque chose : l’actualité sur les peuples autochtones est aujourd’hui partagée instantanément et en continu et le public peut facilement y avoir accès par Internet plutôt que d’attendre plusieurs semaines pour s’informer dans les pages de RAQ. Fait intéressant, la disparition des Actualités a eu pour corollaire un net recul de la participation du public au contenu de la revue (voir tab. 4). Dès lors, on peut se demander si la revue répond toujours à son objectif fondateur – qui était de « s’adresser aux spécialistes et aussi à un public plus large » (RAQ 2021 : 5) – et si cet objectif est toujours le bon dans le contexte actuel marqué par l’information en continu et « l’hyper-connectivité ». Dans tous les cas, les actualités publiées trois fois par année ne sont certainement pas le meilleur moyen pour amener le public à s’intéresser à RAQ, et d’autres moyens devront être trouvés si la revue souhaite toujours intéresser le grand public.

Quant aux disciplines qui ont été comptabilisées ici mais qui ne l’étaient pas dans l’enquête de Claude Gélinas, il est difficile d’émettre un constat informé. Toutefois, à l’occasion du 25e anniversaire de RAQ, Sylvie Vincent et José Mailhot mentionnaient que les arts et la politique étaient des disciplines qui brillaient par leur absence dans la revue (1997 : 27), mais l’on voit bien aujourd’hui que ces disciplines sont de plus en plus présentes. Mentionnons par exemple que les textes classés comme « Arts, médias et muséologie » représentent 12,4 % des textes publiés par RAQ entre 2011 et 2021, ce qui est près de deux fois plus que les textes en archéologie pour la même période. Finalement, si l’on s’intéresse à la répartition des textes portant sur le Québec (voir tab. 6), on remarque sensiblement les mêmes dynamiques, mais avec une répartition un peu plus diversifiée. Par exemple, le pourcentage de textes classés « Autres » dans la dernière décennie est beaucoup plus élevé que celui du tableau 5 et s’élève à 17,2 %. La pondération plus ventilée du tableau 6 semble indiquer que lorsqu’il est question de recherche portant sur le Québec, la revue propose un contenu plus diversifié en termes de disciplines académiques. 

Tableau 5

Répartition des textes selon les domaines de recherche (en pourcentage)

Répartition des textes selon les domaines de recherche (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 6

Répartition des textes sur le Québec selon les domaines de recherche (en pourcentage)

Répartition des textes sur le Québec selon les domaines de recherche (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Les aires géographiques et culturelles

L’un des objectifs fondateurs de RAQ était de faire connaître la recherche à propos des peuples autochtones qui habitent le territoire du Québec, et l’on peut dire que cet objectif s’est maintenu dans le temps puisque le Québec y est la région du monde la mieux représentée avec une moyenne de 53,8 % au courant des cinquante dernières années (tab. 7). D’autre part, le reste du Canada est lui aussi assez bien représenté. Cela va de soi puisqu’il serait impossible de comprendre les peuples autochtones du territoire québécois sans envisager d’une façon ou d’une autre le cadre juridique et politique de l’État canadien. En effet, une part assez importante des textes concernant le Canada visent à mieux comprendre l’impact des politiques canadiennes sur les peuples autochtones du Canada. Par ailleurs, si le Québec et le Canada emportent la part du lion, mentionnons que le nombre de textes traitant des enjeux autochtones en Amérique latine a constamment augmenté depuis la fondation de la revue pour atteindre le sommet actuel de 20,8 % des textes publiés. Finalement, on peut aussi remarquer que les États-Unis n’ont occupé qu’une place très marginale dans les pages de la revue avec une moyenne de 3,3 %, et ce, malgré la proximité géographique de ce pays et l’existence de la chronique de Nelcya Delanoë « Et aux États-Unis… », qui a été publiée de façon récurrente pendant plusieurs années.

Dans les premières décennies de publication de la revue, la majeure partie des articles portant sur les Autochtones du Québec avaient tendance à porter sur des enjeux relatifs aux Eeyouch, aux Inuit et aux Innus (tab. 8). Si ces trois nations sont toujours parmi les mieux représentées dans la revue, on remarque cependant que la représentation générale des peuples autochtones du Québec est aujourd’hui beaucoup plus diversifiée que dans les premières années. Remarquons par exemple que les textes relatifs aux Atikamekw Nehirowisiwok, aux Anishinabeg et aux Hurons-Wendat – qui étaient pratiquement absents dans les premières décennies – occupent maintenant une place beaucoup plus importante. Il demeure cependant qu’en cinquante ans, la revue s’est très peu intéressée à certaines nations comme les Mi’gmaqs, les Wolastoqiyik et les Naskapis. Si les Inuit y occupaient une place très importante dans les années 1970 et 1980, ils tiennent une place moindre dans les années qui ont suivi. La mise sur pied de la revue Études/Inuit/Studies en 1977 y est certainement pour quelque chose et l’on imagine bien que les chercheurs spécialistes de ces questions au Québec ont préféré se tourner, dans une certaine mesure, vers ce nouveau médium de diffusion de leurs recherches. Mentionnons aussi l’intérêt momentané pour les Kanien’kehá:ka dans la décennie 1990 avec 26 % des articles portant sur le Québec : on comprend ici que la Crise d’Oka a eu un certain effet sur les chercheurs et les autres collaborateurs de RAQ, ce qui semble avoir eu des répercussions directes dans les pages de la revue.

Tableau 7

Répartition des textes selon les aires géographiques (en pourcentage)

Répartition des textes selon les aires géographiques (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 8

Répartition des textes selon les nations autochtones du Québec étudiées (en pourcentage)

Répartition des textes selon les nations autochtones du Québec étudiées (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Finalement, du côté des aires géographiques du Canada étudiées, on remarque un fort intérêt dans la revue pour le Subarctique oriental (Labrador et Ontario) et occidental (à l’ouest de l’Ontario) [tab. 9]. L’intérêt pour ces régions n’est pas surprenant puisqu’elles constituent en réalité la très grande majorité du territoire canadien : la majorité des nations autochtones du Canada habitent dans une région subarctique. On se doute également que le réseau de chercheurs associés à RAQ puisse s’intéresser aux Autochtones du Subarctique canadien puisque ces mêmes chercheurs, lorsqu’ils travaillent avec des nations autochtones au Québec, le font majoritairement avec des nations qui habitent un territoire subarctique, comme les Innus, les Eeyouch, les Atikamekw Nehirowisiwok, les Anishinabeg, etc. On pourrait dire la même chose pour les textes sur l’Arctique canadien puisque cette région est proportionnellement autant représentée, à l’échelle des aires géographiques canadiennes, que le sont les Inuit pour ce qui est du Québec. Viennent ensuite les régions de la Côte-Ouest, des Grands Lacs, des Maritimes et des Plaines qui, elles, sont beaucoup moins bien représentées. On se doute qu’il y a là un certain facteur linguistique : les chercheurs qui travaillent dans ces régions sont surtout des anglophones, et leurs recherches sont majoritairement publiées en anglais. Dans le cas de la Côte-Ouest et des Plaines, on pourrait aussi émettre l’hypothèse que ces régions plus éloignées suscitent moins l’intérêt des chercheurs associés à RAQ puisque les populations autochtones qui y habitent ont des modes de vie et des cultures relativement différentes de celles qu’on retrouve au Québec. En revanche, malgré cela, la Côte-Ouest demeure mieux représentée que des régions où des comparaisons seraient plus faciles, comme celle des Grands Lacs – où habitent de larges populations iroquoiennes et algonquiennes – ou des Maritimes – où la majorité des Premières Nations s’identifient comme Mi’gmaqs ou Wolastoqiyik. On remarquera aussi que les Mi’gmaqs et les Wolastoqiyik ont ainsi reçu très peu d’attention dans les pages de la revue au cours des cinquante dernières années.

Tableau 9

Répartition des textes selon les aires géographiques du Canada étudiées (en pourcentage)

Répartition des textes selon les aires géographiques du Canada étudiées (en pourcentage)

-> Voir la liste des tableaux

Conclusion

Dans de son enquête statistique, Claude Gélinas avait émis un certain nombre de constats sur « l’aventure » de Recherches amérindiennes au Québec, le premier étant que « les artisans de la revue sont toujours demeurés fidèles aux objectifs du départ, sans pour autant refuser de s’adapter aux tendances de la recherche anthropologique » (Gélinas 2000 : 193). En effet, à l’époque où Gélinas publiait son enquête, RAQ avait un réseau ancré au Québec – de langue française – et pouvait aussi compter sur une participation active d’un lectorat diversifié – et qui n’était pas limité au monde universitaire, ni au Québec d’ailleurs. Remarquons également que Vincent et Mailhot (1997) faisaient un constat similaire à l’occasion du 25e anniversaire de RAQ. Cependant, pour ce qui est de la participation des Autochtones, aux yeux de Gélinas la revue n’avait pas livré ses promesses fondatrices : « … malgré l’invitation constamment réitérée en ce sens, les Amérindiens ont dans l’ensemble très peu contribué au contenu de la revue, et particulièrement depuis une quinzaine d’années » (ibid. : 194). Gélinas soulignait également que, bien que la revue ait été établie hors des universités, « son contenu a toujours été produit par une majorité de chercheurs universitaires ». « En ce sens, continue-t-il, on peut dire que ce qu’elle présente, c’est principalement un reflet de la nature et de l’évolution de la recherche amérindianiste universitaire au Québec depuis 30 ans. » (ibid. : 200) En effet, pour toutes sortes de raisons, les chercheurs professionnels n’ont pas abondamment publié dans la revue – que ce soit par manque de temps ou de ressources, ou encore en raison d’ententes de confidentialité –, alors que leur production scientifique compte pour une partie très importante de ce qui se faisait à l’époque dans le champ des études amérindiennes au Québec. Malgré ce contexte, Gélinas souligne à juste titre que la création de RAQ a permis de « constituer une base documentaire francophone sur les Amérindiens qui allait servir aux générations de chercheurs suivantes » (ibid. : 200).

Qu’en est-il après cinquante ans de publication ? La mise à jour de l’enquête statistique de Claude Gélinas permet d’établir à une autre série de constats. Cinquante ans après la fondation de la revue, il apparaît que RAQ répond toujours – en grande partie – à ses objectifs de départ qui sont de donner un lieu d’expression pour les chercheurs francophones québécois, de contribuer à la connaissance des cultures autochtones – et particulièrement celles du Québec – et d’offrir un espace multidisciplinaire ouvert à tous et à toutes, particulièrement aux Autochtones. Certaines tendances observées par Gélinas sur l’internationalisation des collaborateurs, la diversification des aires géographiques abordées et la diversification des disciplines représentées se sont aussi confirmées et prolongées. Donc, sans renoncer à ses objectifs de départ, on peut dire que la revue n’a jamais cessé de diversifier son offre de contenu, ce qui est assurément pour le mieux. 

Par contre, quelques bémols s’imposent dans la comparaison des résultats obtenus par Claude Gélinas avec ceux qui sont présentés ici. Comme Gélinas n’a pas quantifié la participation des Autochtones, il est difficile de savoir s’il y a eu une augmentation de leurs contributions au fil des années. Il est cependant adéquat de dire que des efforts constants sont déployés pour assurer une plus grande participation autochtone dans la revue mais que ces efforts ne sont pas toujours accompagnés de résultats probants. Toutefois, la formation de nombreux nouveaux chercheurs autochtones dans les universités et les nombreuses initiatives de collaborations ethnographiques annoncent des jours plus heureux en ce qui a trait à la participation des Autochtones. D’autre part, la présente analyse montre que la participation du public aux pages de RAQ s’est pratiquement effondrée dans les dernières années, ce qui est probablement un signe des temps et plus particulièrement de l’avènement des réseaux sociaux. Si elle désire intéresser et faire participer le public, la revue devra trouver d’autres moyens de le faire que ceux préconisés historiquement par elle. Il appert donc que RAQ est plus universitaire que jamais, une tendance qui était déjà en place au moment où Gélinas publiait son enquête. Finalement, si les chercheurs professionnels ont assuré une présence relativement continue dans les pages de RAQ, le problème soulevé par Claude Gélinas sur l’accessibilité aux recherches professionnelles reste tout entier. Il y aurait tout un mouvement à amorcer dans le milieu des études autochtones au Québec pour assurer la diffusion, l’accessibilité et la pérennité des rapports, ainsi que des données et autres documents qui n’ont pas été publiés et/ou convenablement archivés. Il y a là un corpus colossal qui est sur le point de devenir un véritable patrimoine en danger, et ce, autant pour la communauté scientifique que pour les communautés autochtones. Cependant, il n’incombe certainement pas à RAQ – prochainement nommée Revue d’études autochtones – de porter l’entièreté de ce fardeau sur ses épaules, mais la revue aura certainement un rôle à jouer dans ce processus.