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INTRODUCTION

Le développement du langage oral occupe une place importante à l’éducation préscolaire 4 ans et 5 ans. En effet, le langage oral permet entre autres aux enfants d’exprimer leurs besoins et de communiquer avec leurs pairs et les adultes, il est un moyen privilégié pour favoriser l’ensemble des apprentissages et il est le socle sur lequel se développeront la lecture et l’écriture (Bianco, 2015; Daviault, 2011; Plessis-Bélair, 2010). Malgré le rôle important du langage oral à l’éducation préscolaire, certains résultats de recherches indiquent que, pendant la journée, le temps de parole est souvent plus grand pour l’adulte que pour les enfants (Doyon et Fisher, 2010; Dumais et Plessis-Bélair, 2017). Également, les pratiques de communication orale étant fort différentes d’un milieu familial à un autre, les enfants présentent des disparités importantes entre eux à l’éducation préscolaire en ce qui concerne le langage oral (Lentin, 2009; Simard et al., 2019). C’est sans compter les enfants qui arrivent à l’école maternelle sans connaître la langue de scolarisation ou qui en ont une connaissance très limitée (Dumais et Plessis-Bélair, 2017). Par conséquent, plusieurs enfants connaissent peu ou pas du tout les rudiments de base de la communication orale dont font partie les actes de parole (poser une question, faire part de ses besoins, etc.), ce qui crée entre autres des conflits, de l’insécurité et une interaction limitée ou difficile avec les pairs et l’adulte qui intervient auprès d’eux (Maurer, 2001, 2002). Cette méconnaissance des actes de parole aurait des conséquences directes sur la qualité du jeu des enfants, notamment en ce qui concerne les interactions orales entre les enfants et la capacité à planifier et à mettre en oeuvre des scénarios lors de jeux symboliques (Dumais et Plessis-Bélair, 2017). Des conclusions de recherches font état de la nécessité de s’intéresser aux actes de parole à l’éducation préscolaire afin de favoriser le développement du langage oral des enfants (De Grandpré, 2016; Dumais et Plessis-Bélair, 2017; Soucy, 2019). À ces différents constats s’ajoute une formation initiale et continue insuffisante en ce qui concerne le développement du langage des enfants de 4 ans et 5 ans, rendant difficiles les interventions du personnel enseignant pour favoriser le développement du langage oral (Dumais, 2019; Dumais et Soucy, 2020a). Étant donné ces différents constats et l’importance de développer le langage oral des enfants de 4 ans et 5 ans à l’éducation préscolaire, nous avons mené une recherche collaborative afin de répondre à la question générale de recherche suivante : comment favoriser le développement du langage oral des enfants de la maternelle 4 ans et 5 ans par l’entremise des actes de parole? Dans le cadre de cette contribution, nous nous intéressons aux deux objectifs de recherche suivants qui découlent de notre question de recherche : déterminer les actes de parole les plus pertinents à aborder avec les enfants à la maternelle 4 ans et 5 ans, et faire état de façons d’aborder les actes de parole avec les enfants de 4 ans et 5 ans. Puisqu’il s’agit d’une recherche collaborative, l’ajustement des pratiques des enseignantes, une retombée de ce type de recherche (Aurousseau et al., 2020), est également présenté ainsi que la coproduction issue de cette recherche.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Un acte de parole est un énoncé, réalisé par une locutrice ou un locuteur dans une situation donnée, qui permet d’agir sur autrui, d’entraîner une certaine modification de la situation interlocutive et de produire un certain effet (Searle, 1972). Autrement dit, il s’agit des actions réalisées par une personne, quand elle prend la parole, qui sont « porteuses de la dimension de faire qui existe dans le dire » (Maurer, 2001, p. 49). Les actes de parole sont gouvernés par les règles de la vie en société, en plus de faire appel au contexte culturel (Dumais, 2011; Maurer, 2001). Pour l’enfant dont le français est la langue première ou la langue seconde, le développement du langage oral passe par la maîtrise des actes de parole (Maurer, 2001). Ces derniers étant nombreux et variés (poser une question, féliciter, s’excuser, se présenter, saluer, etc.), ils peuvent être utilisés dans une multitude de situations. En effet, à l’éducation préscolaire, que ce soit au moment de la causerie[1], lors de situations de jeux, dans les déplacements, à la collation, etc., les enfants interagissent quotidiennement avec leurs pairs et les adultes qu’ils côtoient en utilisant des actes de parole. Plus les enfants connaissent d’actes de parole et plus ils les maîtrisent, plus ils sont susceptibles de se faire comprendre, d’entrer efficacement en relation avec les autres, d’entretenir des relations sociales positives et de voir leurs besoins entendus et comblés (Bouchard et al., 2010).

Les résultats de la recherche exploratoire de Dumais et Plessis-Bélair (2017) laissent entrevoir un fort potentiel des actes de parole pour favoriser le développement du langage oral de tous les enfants, notamment grâce au jeu symbolique, puisqu’il s’agirait d’un contexte idéal pour expérimenter des actes de parole et réfléchir à leurs répercussions. Marinova (2009) abonde dans le même sens en affirmant que la communication verbale dans le jeu ouvre la voie à différents apprentissages en lien avec le langage comme les formules de politesse, un élément qui compose les actes de parole (Maurer, 2001). Une intervention de l’adulte concernant les actes de parole serait donc à privilégier afin que les enfants développent leur langage oral et qu’ils apprennent et comprennent les pratiques langagières utilisées à l’école et dans les différents contextes de la vie quotidienne (De Grandpré, 2015; Dumais et Plessis-Bélair, 2017).

Pour que l’intervention de l’adulte soit efficace, la recherche nous apprend que certaines façons de faire sont plus susceptibles de favoriser le développement du langage oral des enfants. Tout d’abord, intervenir lors du jeu symbolique serait une façon efficace de favoriser le développement du langage, puisque l’adulte peut être un modèle et susciter certaines prises de parole (Marinova et al., 2020; Miller et Almon, 2009). Favoriser une approche multimodale aiderait également les enfants à développer leur langage oral, car l’utilisation d’images, de vidéos, de gestes, de mots, etc., donc de plusieurs modes, aiderait les enfants à mieux comprendre et favoriserait une meilleure rétention de l’information (Akbulut, 2007; Armand, 2016). L’utilisation de la littérature jeunesse soutiendrait entre autres cette multimodalité en plus de permettre aux enfants d’apprendre dans le plaisir (Dumais, 2011; Morin et Montésinos-Gelet, 2007; Myre-Bisaillon et al., 2017). Également, favoriser des contextes authentiques pour les apprentissages susciterait une meilleure compréhension et le transfert dans différentes situations de classe et hors de l’école (Bergeron, 2000). Enfin, pour Dalley (2008) et Plessis-Bélair (2012), le langage oral devrait se développer dans l’interaction et il importe que l’enfant joue un rôle actif dans ses apprentissages.

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

Pour répondre à la question de recherche énoncée précédemment, pendant deux ans, soit de 2017 à 2019, à raison de cinq rencontres par année, une recherche collaborative a été menée. Ce type de recherche « vise une médiation entre le monde de la recherche et celui de la pratique professionnelle, en vue d’étudier le savoir-faire qui sous-tend cette dernière dans le cadre d’une démarche de coconstruction » (Morrissette, 2013, p. 41). L’expertise d’enseignantes a donc été mise à contribution et ces dernières ont été des partenaires de la recherche. Les trois étapes de la recherche collaborative ont été respectées pour mener cette dernière : la cosituation, la coopération et la coproduction (Desgagné, 1998). Il convient de préciser, avec ce type de recherche, que « le projet, négocié avec les participants (cosituation), les amène à réfléchir sur des éléments de leur pratique (coopération); leur développement professionnel, la production de matériel pour leur classe ou encore des publications [sont] des retombées de la recherche (coproduction) » (Aurousseau et al., 2020, p. 135).

Les participantes de la recherche

La recherche a été menée par un chercheur et une chercheuse, avec une enseignante de la maternelle 4 ans et cinq enseignantes de la maternelle 5 ans provenant de cinq écoles différentes d’une commission scolaire du Québec, et ce, en collaboration avec une conseillère pédagogique de l’éducation préscolaire. Les enseignantes, qui avaient en moyenne 11,5 années d’expérience en enseignement à la maternelle, travaillaient majoritairement en milieu défavorisé (indice de défavorisation moyen de 9 sur 10) et avaient toutes dans leur classe des enfants n’ayant pas le français comme langue première. Elles ont été choisies parce qu’elles avaient un intérêt pour les actes de parole et pour le développement du langage oral des enfants de leur classe, et parce qu’elles étaient accessibles dans le milieu visé par la recherche (échantillonnage proximal) (Gaudreau, 2011). Précisons que, dès les premières rencontres de la recherche, la conseillère pédagogique qui intervenait à mi-temps comme titulaire auprès d’enfants de 4 ans s’est positionnée davantage comme une enseignante que comme une conseillère pédagogique dans le cadre de la recherche. Elle a donc été considérée comme une participante au même titre que les enseignantes et a fait part de ses pratiques auprès des enfants lors des rencontres. Pour cette raison, il est question de sept participantes dans cet article.

Le déroulement de la recherche

Lors de l’étape de la cosituation, le chercheur et la chercheuse ainsi que les participantes ont déterminé l’orientation de la recherche et les besoins des participantes ont été formulés. Le développement du langage oral de tous les enfants (ceux ayant le français comme langue première et ceux en apprentissage de cette nouvelle langue) a été choisi parmi les éléments à explorer. Plus précisément, les actes de parole ont été ciblés comme un élément à examiner. Les étapes de la coopération et de la coproduction ont eu lieu en concomitance. En effet, les participantes ont pris part à 10 journées de réflexion sur leur pratique, de formation donnée par le chercheur et la chercheuse, et de choix de mises en pratique. Ces journées leur ont permis d’échanger entre elles ainsi qu’avec le chercheur et la chercheuse à propos de différentes approches utilisées en classe pour développer le langage oral des enfants et à propos des actes de parole, ce qui partait des besoins réels qu’elles avaient verbalisés. À la suite de chacune des rencontres, les participantes établissaient ce qu’elles trouvaient pertinent de mettre en pratique dans leur classe. Les journées de rencontre suivantes permettaient à chaque enseignante de partager avec le groupe ses tentatives de mises en pratique et les résultats, en plus de mettre de l’avant ses réflexions. Au fur et à mesure des rencontres, des ressources se coconstruisaient avec les participantes, d’où le fait que ces deux étapes ont eu lieu en même temps.

La collecte des données

Premièrement, un questionnaire (de Singly, 2012) avec questions à développement, dont une partie concernait le langage oral, a été rempli par les participantes lors des première et dernière rencontres afin de comparer les réponses en vue de faire état de leurs connaissances et de l’ajustement de leurs pratiques. Ensuite, puisque les échanges entre les chercheuses et chercheurs et les participantes et participants contribuent à la production de connaissances en recherche collaborative (Vinatier et Morrissette, 2015), des discussions de groupe (Geoffrion, 2016) avec toutes les participantes, variant de 60 à 180 minutes, effectuées lors de chacune des 10 rencontres de la recherche, ont permis de recueillir les données relatives aux pratiques, aux réflexions et aux connaissances des enseignantes quant au langage oral et aux actes de parole. Celles-ci ont toutes été enregistrées et retranscrites. Enfin, des entrevues semi-dirigées (Savoie-Zajc, 2016) ont eu lieu à la toute fin de la recherche (rencontre 10) afin de mieux comprendre les réponses du questionnaire des participantes et de faire un bilan de la recherche.

L’analyse des données

Une analyse de contenu thématique inductive a été effectuée (Mucchielli, 2009). Nous devons cependant qualifier cette analyse inductive de « modérée » au sens de Savoie-Zajc (2018). En effet, le questionnaire et le canevas de l’entrevue semi-dirigée ayant été élaborés à partir du cadre de référence, il est nécessaire de reconnaître une certaine influence de ce dernier sur l’analyse inductive menée, et ce, même si le cadre conceptuel a été mis de côté le temps de l’analyse. Nous ne pouvons donc affirmer nous situer dans une logique purement inductive. L’analyse qui a été menée a permis de traiter le contenu provenant du questionnaire, des entrevues semi-dirigées et des discussions de groupe de manière à en découvrir les thèmes saillants et les tendances qui s’en dégagent (Fortin et Gagnon, 2016).

RÉSULTATS DE RECHERCHE

L’analyse de contenu thématique a permis de dégager plusieurs thèmes et sous-thèmes. Pour répondre aux objectifs de cet article, seulement deux thèmes (les actes de paroles et l’ajustement des pratiques des participantes) ainsi que certains sous-thèmes sont présentés ici. De plus, à la fin de cette section, les trois ressources coconstruites avec les participantes dans le cadre de cette recherche sont brièvement expliquées.

Les actes de parole

Les actes de parole sont apparus lors de l’analyse des données comme un thème central et important de la recherche. Cinq sous-thèmes sont présentés.

La nécessité d’aborder les actes de parole

Tout d’abord, les participantes ont mentionné une grande pertinence et une nécessité d’aborder les actes de parole avec les enfants. Elles considèrent qu’il s’agit de la base de la communication orale. Quatre participantes considèrent également qu’il s’agit d’un apprentissage qui n’est souvent pas fait à la maison et que c’est le rôle de l’école maternelle d’aborder les actes de parole avec les enfants, et ce, sans enseignement formel :

Si les parents, en partant, y s’excusent pas, y disent pas s’il vous plait, y disent pas merci, comment l’enfant va l’apprendre? L’enfant apprend au contact des autres. […] L’enfant va l’apprendre comment si y voit jamais son parent faire? Je pense que c’est la place de l’école si ça se fait pas à la maison (E2[2]).

Enfin, les participantes E1 et E3 mentionnent qu’aborder les actes de parole avec les enfants les amène à comprendre le poids des mots et les répercussions que cela peut avoir chez leurs pairs : « Ils voient l’impact que ça a justement chez les autres. » (E3) et « On est beaucoup dans le pourquoi au juste et dans la délicatesse de dire les choses-là » (E1).

Des actes de parole incontournables à l’éducation préscolaire

Un deuxième sous-thème ayant émergé de l’analyse concerne les actes de parole qui sont considérés comme incontournables à l’éducation préscolaire par les participantes, et ce, pour tous les enfants. Le tableau 1 montre 10 actes de parole considérés comme incontournables en ordre décroissant en fonction du nombre de participantes qui ont nommé chacun d’eux. Nous avons repris les expressions utilisées par les enseignantes pour désigner les actes de parole.

Tableau 1

Les actes de parole considérés comme incontournables par les participantes[3]

Les actes de parole considérés comme incontournables par les participantes3

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Bien que les participantes croient que tous les actes de parole peuvent être importants selon le contexte et la situation, ceux nommés sont ceux qu’elles jugent comme incontournables à aborder avec les enfants de 4 ans et 5 ans.

Des actes de parole plus susceptibles d’aider les enfants en apprentissage du français comme langue seconde

Pour les enfants en apprentissages du français comme langue seconde, les participantes ont mentionné que ce sont les mêmes actes de parole qui doivent être abordés que pour les enfants qui ont le français comme langue première : « Moi, ça serait les mêmes pour tous les enfants » (E5). Cependant, l’acte de parole « faire une demande » devient prioritaire pour les enfants en apprentissage du français comme langue seconde pour cinq participantes sur sept. Pour les participantes E2 et E4, il s’agit d’apprendre aux enfants à faire des demandes pour « leurs besoins vitaux » comme « aller aux toilettes » et pour « obtenir de l’aide ». Pour la participante E4, apprendre à faire des demandes revêt un enjeu de sécurité : « Les demandes d’autorisation pour sortir parce que tu peux chercher longtemps l’enfant. Tu veux pas chercher l’enfant. » De plus, pour les participantes E1 et E4, les actes de parole sont la clé pour permettre aux enfants en apprentissage du français d’interagir avec les autres : « Ça leur permet de s’associer à l’autre » (E1). Ils peuvent ainsi prendre la place qui leur revient au sein du groupe.

Les façons de déterminer les actes de parole à aborder

Au cours des rencontres, les participantes se sont questionnées afin de savoir quels sont les actes de parole à aborder avec les enfants, mais aussi comment faire pour les déterminer. L’analyse des données a permis d’établir deux façons de faire. Les participantes mentionnent qu’il est possible d’anticiper les actes de parole qui pourraient être utiles aux enfants : « On les connaît nos enfants, alors on est capables d’anticiper aussi avant que ça se produise les situations qui risquent d’arriver ou qui sont déjà arrivées […] » (E1). Elles mentionnent également que l’observation est un moyen qui permet de déterminer les actes de parole : « C’est selon ce qu’on remarque dans nos classes » (E2) et « J’ai observé mon groupe pis j’ai vu que ça, ça, ça c’était difficile. Je suis partie de mon groupe. En fonction des besoins de mon groupe » (E4). La participante E2 donne cet exemple concret :

Je coupe les pommes des enfants à la collation. Fait que y lèvent leur main si y’ont besoin de faire couper leur pomme, mais là si personne ne me dit merci ou si j’arrive à côté pis l’enfant me dit rien, ben je continue. « Eille madame [nom de l’enseignante], tu m’as pas coupé ma pomme! » « Ouais, mais moi j’attends des petits mots magiques. » « Ah s’il vous plait ». Bon ben là, on sait que le « s’il vous plait » pis le « merci » sont à travailler pis on y va selon.

Des façons d’aborder les actes de parole avec les enfants

En ce qui concerne les façons d’aborder les actes de parole avec les enfants, deux manières ont été déterminées. Tout d’abord, pour les participantes, il faut savoir profiter des occasions qui se présentent en classe, c’est-à-dire « les situations spontanées » (E1) au cours desquelles elles peuvent entendre une utilisation inadéquate d’un acte de parole ou l’absence d’un acte de parole alors que ce dernier aurait dû être utilisé (absence de remerciements par exemple). Également, elles considèrent qu’il est possible de planifier un travail sur les actes de parole (situations planifiées).

Plusieurs façons d’amener les enfants à découvrir des actes de parole et à apprendre à les utiliser ont pu être déterminées à la suite de l’analyse des données, et ce, tant lorsqu’une situation spontanée se présente que lorsque la situation est planifiée. Voici donc une liste d’activités que les participantes ont mentionné mettre en place lorsqu’elles souhaitent amener les enfants à connaître des actes de parole et à apprendre à les utiliser.

  • En posant des questions : « Je dis : “Ah ben ça, t’aurais-tu une autre façon de me le demander telle affaire?” ou “Comment t’aurais pu me le dire?” » (E5);

  • En engageant une discussion autour de l’acte de parole : « Des fois, on va se rassembler pis je vais leur dire : “Tu sais-tu quoi? J’ai remarqué quelque chose. Comment tu penses qu’on pourrait faire autrement? Qu’est-ce qu’on peut dire à ce moment-là?” » (E7);

  • En présentant une vidéo : « Les enfants ont pu voir comment faire pour demander des fleurs, pour commander » (E6);

  • En allant sur le terrain pour voir une vraie situation : « On est allés avec toute la classe chez un vrai fleuriste. Les enfants ont vu comment on était accueillis, comment on posait une question » (E3);

  • En décrivant une situation qui met en pratique un acte de parole : « Moi, je partais de mises en situation avec les enfants » (E4);

  • En faisant du renforcement positif : « C’est de dire : “Ah! j’ai donc aimé ta demande!” ou “Wow! la belle demande, bravo, mon champion!” quand un enfant fait bien l’acte de parole » (E2);

  • En en faisant une saynète pour illustrer l’acte de parole : « C’est de faire des exemples, des fois avec ma TES [technicienne en éducation spécialisée] ou des fois avec les amis qui sont là dans la situation » (E4);

  • En modelant l’acte de parole : « En donnant l’exemple, en le faisant bien nous-mêmes. En l’expliquant » (E2);

  • En utilisant une peluche : « Moi, j’ai une peluche qui s’appelle [nom de la peluche]. C’est elle qui vient leur raconter un épisode de sa vie qui, comme par hasard, colle pas mal à ce qui s’est passé ici. Des fois, c’est plus facile avec la peluche; [les enfants] s’adressent directement à [nom de la peluche] » (E7);

  • En reformulant : « On va reformuler [l’acte de parole] » (E2);

  • En ignorant : « Moi, j’y vais avec l’ignorance. Je fais semblant que j’ai pas entendu. T’sais, l’enfant y lève sa main, mais y met son pied comme ça [pour que j’attache son soulier]. Bon, je passe à l’autre enfant. Il me dit : “Madame [nom de l’enseignante], tu m’as pas attaché mes souliers!” “Ben est-ce que tu m’as fait une belle demande?” » (E2);

  • En utilisant des pictogrammes : « J’avais mes petits pictos, là. Ça illustre l’acte de parole pour l’enfant » (E4);

  • En jouant avec les enfants dans des jeux symboliques : « J’ai dit : “Ben là, t’as pas pris ma commande, tu m’as pas demandé ma commande. Comment tu peux le faire?” Il dit : “Est-ce que je peux prendre votre commande madame?” “Oui, je vais prendre ça” » (E4);

  • En utilisant des albums de littérature jeunesse : « [Maintenant], j’utilise tout le temps les livres pour amener les actes de parole » (E6).

Parmi ces 14 façons de faire relevées pour amener les enfants à découvrir des actes de parole et à apprendre à les utiliser, les participantes ont déclaré que c’est l’utilisation d’albums de littérature jeunesse qui a suscité le plus d’intérêt chez elles, mais également chez les enfants :

Avec les livres, ils étaient intéressés. C’est le moment où tout le monde écoutait, puis attentivement. Je pouvais passer plein de choses à travers la littérature. Je pense que ceux qui avaient quand même des difficultés étaient allumés par les livres, donc je pense que ça les aidait beaucoup, beaucoup, beaucoup (E6).

Plusieurs avantages ont été relevés. L’enseignante E1 considère que la littérature jeunesse permet de créer une distance pour l’enfant qui a de la difficulté avec un acte de parole, car il est question d’un personnage dans une histoire, et non de lui : « Ça distance le problème de l’enfant, alors ça dédramatise. Ça permet de ne pas stigmatiser l’enfant. C’est le personnage [qui n’utilise pas bien l’acte de parole], pas l’enfant, alors ça reste très correct je trouve » (E1). Cela permet également de montrer aux enfants qu’ils ne sont pas seuls à éprouver de la difficulté avec un acte de parole : « Y’a pas juste à toi que ça arrive, regarde dans l’histoire que je vais te lire. Voici qu’est-ce qu’il a fait, comment y s’est senti. Tu comprends-tu ce que je veux dire? » (E4). Pour cette même participante, les personnages des livres deviennent des références concrètes pour les enfants lorsqu’il est question de certains actes de parole. La participante E5 abonde dans le même sens : « [Les enfants] ont l’image en tête après. Fait que tu peux en reparler. Je trouve qu’y’ont des images [de l’acte de parole]. » Également, pour la participante E6, les enfants se réfèrent régulièrement aux personnages pour parler des actes de parole : « Ils font référence à des livres quand il y a des problèmes. Ils m’en ont beaucoup parlé. » De plus, selon la participante E3, grâce à la littérature jeunesse, les enfants voient des exemples concrets qu’ils peuvent refaire lors des jeux symboliques : « Avec la littérature jeunesse, les enfants aiment vraiment ça. Ça leur parle tellement. Ils jouent des personnages aussi après. » Enfin, pour la participante E6, les livres auraient deux avantages importants : « Les livres, je trouve que c’est un bon moyen pour les apprentissages sans que ce soit trop formel. » Ils seraient également aidant pour les enfants en apprentissage du français :

Le livre aide les enfants plurilingues parce que c’est imagé. Parce que juste parler comme ça, ils peuvent pas comprendre les mots qu’on dit, mais si on est capables de les montrer, de visualiser, bin pour eux, ils peuvent se référer peut-être plus facilement aux situations, aux [actes de parole].

L’ajustement des pratiques des participantes

Dans ce deuxième thème issu de l’analyse des données, il est question de l’ajustement des pratiques des participantes survenu lors de cette recherche collaborative.

Lors des entrevues, les participantes ont mentionné avoir pris conscience de l’importance d’accorder du temps de parole aux enfants : « Si on leur laisse pas prendre la parole, ils peuvent pas s’améliorer » (E1) et « Plus on va leur donner d’occasions de parler, plus y vont le développer [le langage oral] » (E2). Aussi, les participantes ont été unanimes quant au fait que cette recherche leur a permis de mieux comprendre comment elles peuvent intervenir pour développer le langage oral de tous les enfants de leurs classes. Elles comprennent mieux les bienfaits du jeu pour le développement du langage et y accordent plus de temps : « J’entends beaucoup de nouveaux mots dans la bouche de certains enfants et j’entends beaucoup, maintenant que je connais le terme, beaucoup d’actes de parole qui, tranquillement pas vite, s’installent chez certains enfants chez qui c’était peu présent » (E7). Elles affirment également mieux comprendre la place et le rôle des actes de parole dans le jeu symbolique : « Dans le jeu, y’a tellement d’actes de parole. Y’a tellement de choses qui se travaillent » (E4) et « Par le jeu symbolique, les enfants y pratiquent les actes de parole » (E5). Selon les participantes, ils sont utiles et nécessaires pour jouer, notamment pour alimenter les scénarios de jeux, pour réduire les conflits et pour permettre aux personnages d’interagir harmonieusement entre eux : « Les actes de parole supportent le jeu » (E1) et « Quand on arrive chez le fleuriste, c’est toujours des “Bonjour!” pis “S’il vous plait” […] On n’est pas à l’impératif, là : “Donne-moi une rose, là.” T’sais, c’est : “Je prendrais”. Ils utilisent vraiment le vocabulaire [appris] » (E3).

De plus, elles disent être maintenant en mesure de profiter des occasions spontanées qui se présentent à elles en classe et dans le jeu pour amener les enfants à découvrir des actes de parole et pour leur apprendre à les utiliser : « Je fais des interventions sur-le-champ dans divers moments de la journée » (E7) et « Tout cela se fait au quotidien selon les situations vécues » (E4). Elles affirment également qu’elles peuvent utiliser les albums de littérature jeunesse pour cela, ce qu’elles ne faisaient pas avant : « Ça va être de prendre un livre et de montrer l’acte de parole. Ça, c’est vraiment nouveau, là, sur l’acte de parole, t’sais travailler ça, l’acte de parole. » Elles ont réalisé également que par le passé, elles abordaient des actes de parole sans savoir qu’ils portaient ce nom et elles se limitaient à dire quoi dire et quoi ne pas dire sans donner d’explications, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui : « On a toujours fait ça, mais plus dans l’ordre de “Bin voyons, ça se dit pas ça” ou “Voyons, tu peux pas dire ça, vas t’excuser”. On n’était pas dans l’ordre de l’explication, mais dans l’ordre de la civilité » (E1).

La coproduction

La coproduction entre les chercheuses et chercheurs et les participantes et participants dans le cadre d’une recherche collaborative peut prendre plusieurs formes. « Elle se concrétise […] dans la construction de matériel pouvant être utilisé en classe, dans la diffusion d’articles dans des revues professionnelles ou encore dans la participation à des colloques professionnels où les enseignants vont pouvoir partager leurs pratiques » (Aurousseau et al., 2020, p. 145).

Dans le cadre de cette recherche, la coproduction a pris la forme de trois ressources qui ont été élaborées en collaboration avec les participantes. Tout d’abord, des enseignantes ont accepté d’être filmées dans leur classe lorsqu’elles abordaient des actes de parole avec les enfants et elles ont toutes accepté de réaliser de courtes entrevues filmées dans lesquelles elles témoignent de leurs pratiques. Cela a permis de créer des vidéos pour la formation initiale et continue des enseignantes et des enseignants de l’éducation préscolaire 4 ans et 5 ans qui sont utilisées dans des cours universitaires et lors de formations.

Ensuite, comme deuxième ressource, une démarche a été formalisée afin de guider les adultes qui interviennent auprès des enfants et qui souhaiteraient aborder les actes de parole avec eux. Sans être restrictive, cette démarche, issue de la mise en commun des expériences de chaque participante, se veut un guide en trois étapes : avant, pendant et après. La figure 1 résume cette démarche qui a été publiée dans une revue professionnelle en libre accès (Dumais et Soucy, 2020b) :

Figure 1

Démarche pour aborder les actes de parole avec les enfants de 4 ans et 5 ans

Démarche pour aborder les actes de parole avec les enfants de 4 ans et 5 ans

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Une autre ressource coconstruite avec les participantes est un répertoire d’actes de parole qu’elles considéraient comme incontournables à aborder avec les enfants à l’éducation préscolaire. Étant donné les bienfaits observés par l’utilisation de la littérature jeunesse, les participantes ainsi que le chercheur et la chercheuse ont repéré des albums qu’il est possible d’utiliser en classe pour aborder chacun des actes de parole ciblés : saluer, remercier, demander quelque chose et s’excuser. Cette ressource a également été publiée dans une revue professionnelle en libre accès qui s’adresse aux adultes intervenant auprès des enfants de 4 ans et 5 ans (Soucy et Dumais, 2020).

Pour les participantes, il était important que ces deux articles soient publiés et rendus accessibles facilement, car elles ont mentionné qu’il était difficile, en ce qui concerne le langage oral, d’avoir accès à des ressources simples, concrètes et réalisées par des gens du terrain avec l’appui de chercheuses et de chercheurs : « De voir qu’il y en a qui ont testé des choses clé en main, bien je pense que ça va être aidant pour tout le monde qui travaille au préscolaire. Juste de voir que ça a été fait dans de vrais milieux avec de vraies personnes, je pense que ça apporte un plus » (E6). Elles étaient très fières du travail accompli :

Je trouve que ce qu’on a construit là, depuis deux ans, ça débouche sur des trucs concrets, des trucs qu’on peut se servir, des trucs qui sont faciles à comprendre, faciles à intégrer dans notre pratique de tous les jours, pis après ça, qui vont servir aux enfants. Je trouve qu’on a du bon matériel (E7).

DISCUSSION

Les résultats présentés précédemment permettent de répondre à la question générale de recherche et plus précisément aux deux objectifs de cet article. Précisons tout d’abord, comme l’avait relevé la recherche exploratoire de Dumais et Plessis-Bélair (2017), que les résultats de cette recherche confirment le potentiel des actes de parole pour le développement du langage oral des enfants de 4 ans et 5 ans de l’éducation préscolaire. En effet, les participantes considèrent que les actes de parole sont un apprentissage de base pour les enfants, comme l’ont souligné d’autres recherches (Bouchard et al., 2010). Elles affirment également que les actes de parole sont un apprentissage nécessaire, essentiel et pertinent pour tous les enfants de l’éducation préscolaire, tant pour ceux qui ont le français comme langue première que pour ceux qui sont en apprentissage de cette langue. Cela est en adéquation avec les travaux de Maurer (2001) ainsi qu’avec ceux de Dumais et Plessis-Bélair (2017). De plus, en répondant au premier objectif, cette recherche a été l’occasion d’apporter des données de recherche novatrices en ce qui a trait aux actes de parole par la détermination d’actes de parole considérés comme les plus pertinents à aborder avec les enfants de la maternelle 4 ans et 5 ans, données qui étaient inconnues à ce jour selon plusieurs recensions d’écrits effectuées. Le deuxième objectif de recherche a permis de rendre accessibles des façons d’aborder les actes de parole avec les enfants de 4 ans et 5 ans issues de la pratique des participantes. Par la liste des activités relevées pour aborder les actes de parole, dont plus particulièrement l’utilisation d’albums de littérature jeunesse, les résultats de cette recherche sont en adéquation avec les travaux qui mettent de l’avant l’utilisation d’une approche multimodale et de la littérature jeunesse pour favoriser le développement du langage des enfants, ainsi que les travaux qui favorisent les activités authentiques (entre autres Akbulut, 2007; Armand, 2016; Myre-Bisaillon et al., 2017). Enfin, le jeu symbolique semble être un contexte favorable à la mise en pratique d’actes de parole et de la politesse, notamment en raison de l’interaction entre les enfants qu’il suscite, comme l’affirment entre autres Marinova (2009) ainsi que Dumais et Plessis-Bélair (2017).

Cette recherche présente cependant certaines limites. Les résultats concernent un nombre restreint de participantes provenant de cinq écoles différentes seulement. En outre, ils concernent principalement des milieux socioéconomiques défavorisés, et les enseignantes intervenaient en milieu plurilingue et pluriethnique, ce qui ne permet pas d’affirmer que les résultats auraient été les mêmes avec d’autres participantes et participants, et dans d’autres milieux. Également, les résultats présentés s’appuient principalement sur des pratiques déclarées, ce qui ne garantit pas que les propos rapportés soient exactement ceux vécus en classe. Malgré cela, nous pouvons affirmer que cette recherche collaborative a pu produire des connaissances scientifiques issues de la pratique en plus de répondre aux besoins des participantes tout en contribuant à leur développement professionnel, ce qui constitue des retombées et des finalités de la recherche collaborative (Hervé et al., 2018; Jacob et Charron, 2018; Van Nieuwenhoven et Colognesi, 2015).

CONCLUSION

Cette recherche collaborative a été l’occasion d’apporter un éclairage nouveau sur des façons de favoriser le développement du langage oral des enfants de la maternelle 4 ans et 5 ans par l’entremise des actes de parole, en plus de déterminer des actes de paroles considérés comme incontournables à aborder avec les enfants. Elle a aussi été l’occasion de coconstruire des ressources qui répondent aux besoins des participantes de la recherche. Précisons que les données de recherche présentées dans cet article ainsi que les ressources coconstruites seront d’autant plus importantes et signifiantes pour les enseignantes et les enseignants de la maternelle 4 ans et 5 ans du Québec, puisque le nouveau Programme-cycle de l’éducation préscolaire (Ministère de l’Éducation du Québec, 2021) inclut pour la première fois la notion d’« acte de parole » et que peu de chercheuses et de chercheurs se sont intéressés à cette dernière à l’éducation préscolaire. Cette recherche ouvre également la voie à des recherches à plus grande échelle et concernant des pratiques effectives à l’éducation préscolaire en ce qui a trait aux actes de parole. Il serait aussi utile de savoir comment les actes de parole sont abordés dans le milieu familial et dans les services de garde, et pourquoi certains ne le sont pas, ce qui apporterait un éclairage utile au personnel enseignant en plus de faciliter la transition vers l’éducation préscolaire. De plus, comme les actes de parole sont présents et nécessaires dans toutes les sphères de la vie d’une personne, il serait judicieux de poursuivre la recherche sur les actes de parole au primaire et au secondaire.