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INTRODUCTION

Le développement langagier, composé à la fois du langage oral et écrit, est déterminant pour la réussite éducative présente et ultérieure des enfants (Carr et al., 2019; Dickinson et Porche, 2011; Duncan et al., 2007; Pagani et Fitzpatrick, 2014). À cet effet, Duncan et ses collaborateurs (2007) ont réalisé une méta-analyse à partir de l’analyse des résultats de six études longitudinales qui avaient mesuré les compétences en numératie et en langage oral et écrit, la capacité d’attention et les comportements socioémotionnels d’enfants âgés de cinq à six ans. Cette méta-analyse a démontré que les compétences en langage oral et écrit des enfants se révèlent être le deuxième prédicteur de leur rendement scolaire en lecture, en écriture et en mathématiques en troisième année du primaire. Largement citée, celle-ci confirme l’importance de mettre en place des pratiques enseignantes à l’éducation préscolaire pour soutenir le développement langagier des enfants. Or, des recherches ont démontré que la qualité des pratiques enseignantes pour soutenir le développement du langage oral et écrit varie d’une classe d’éducation préscolaire à l’autre (Drainville et Charron, 2021; Pentimonti et Justice, 2010) et que ces pratiques pourraient ainsi être bonifiées.

Pour soutenir le personnel enseignant en exercice dans la bonification de ses pratiques enseignantes liées au développement langagier, des dispositifs de développement professionnel peuvent être mis en place. Pour que ces dispositifs répondent à un réel besoin professionnel du personnel enseignant, il y a lieu de s’intéresser préalablement aux pratiques de soutien au développement langagier des enfants qu’ils déploient dans leurs classes. Les interroger sur leurs pratiques enseignantes s’avère une avenue intéressante pour mieux comprendre leurs besoins en la matière. Dans cet article, nous nous pencherons sur les pratiques enseignantes pour soutenir le développement langagier, composé du langage oral et écrit.

Le développement langagier

Le développement langagier de l’enfant englobe son langage oral (parole et écoute) et son langage écrit (lecture et écriture). Le langage oral et le langage écrit comportent respectivement deux versants : le langage réceptif qui renvoie à ce que l’on entend, comprend ou lit, et le langage expressif, qui renvoie à ce que l’on produit à l’oral ou à l’écrit. Il existe différents modèles théoriques pour expliquer le développement du langage oral (pour plus d’informations, voir la synthèse des principaux modèles explicatifs du développement du langage oral de Sylvestre et al., 2002) et le développement du langage écrit (pour plus d’informations, voir la synthèse des approches et des perspectives théoriques du langage écrit de Drainville et al., 2020).

Le développement du langage oral pendant la petite enfance est primordial (Charron et al., 2022). Il se développe lorsque l’enfant est exposé à diverses expériences langagières et à du soutien des personnes qui l’entourent. En effet, le développement du langage oral joue un rôle important dans l’expression de la pensée de l’enfant, dans sa socialisation avec les autres, dans sa compréhension du monde. Par ailleurs, le développement du langage oral est le socle du développement de l’écrit (Bouchard et al., 2019; Pagani et al., 2010), lui-même composé de l’écriture et de la lecture. Encore une fois, on peut voir là l’importance de soutenir le développement langagier du jeune enfant, notamment en classe d’éducation préscolaire, largement fréquentée par les enfants au Québec.

Les pratiques enseignantes en matière de soutien au développement langagier

Selon Altet (2002), la pratique enseignante renvoie à une manière de faire qui est propre à une personne. En classe d’éducation préscolaire, le personnel enseignant déploie des pratiques enseignantes pour mettre en place un environnement éducatif favorable au soutien au développement langagier. Ces pratiques enseignantes peuvent être définies en deux catégories : les pratiques indirectes et directes. Les pratiques indirectes renvoient à l’organisation de l’environnement physique de la classe (p. ex. : les différentes aires, le mobilier) et à la mise en place du matériel mis à la disposition des enfants (p. ex. : les livres, les jeux, les accessoires), tandis que les pratiques directes concernent la mise en oeuvre de situations de développement et d’apprentissage par le personnel enseignant (p. ex. : accompagnement dans les jeux libres ou les ateliers) (Dynia et al., 2018; Guo et al., 2012; Morrow et al., 2019; Thériault, 2010). Les travaux de Dynia et al. (2018) et Guo et al. (2012) ont fait ressortir la nature interdépendante des pratiques directes et indirectes. Leur intégration assure une meilleure compréhension du soutien au développement langagier offert.

Les pratiques indirectes

En ce qui concerne les pratiques indirectes, l’organisation de l’environnement physique, dont les différentes aires de la classe, devrait être propice au soutien du développement langagier des enfants (Guo et al., 2012). De plus, il importe de mettre à leur disposition du matériel lié à l’oral (p. ex. : des jeux de société ou de coopération, un poste d’écoute pour des histoires et des chansons audio), du matériel lié à l’écrit (p. ex. : des livres, la charte de l’alphabet, les étiquettes des prénoms) et à l’écriture (p. ex. : des crayons, du papier, des enveloppes) (Boudreau et al., 2022; Dubois et al., 2019; Dynia et al., 2018), et ce, dans toutes les aires (p. ex. : l’aire des blocs et l’aire des arts; Charron et al., 2021; Gerde et al., 2015; Roskos et Christie, 2017). Il peut s’agir de mettre en place une aire de jeux symboliques susceptible de provoquer les échanges entre les enfants (p. ex. : les enfants pourront échanger pour développer leur scénario de jeu) et y insérer du matériel écrit et d’écriture leur permettant d’utiliser la lecture et l’écriture dans leur jeu (p. ex. : petits tableaux blancs, calepins, crayons et livres) (Dubois et al., 2019; Jacob, 2017).

Pour enrichir leurs pratiques indirectes, le personnel enseignant peut s’assurer que le matériel mis à la disposition des enfants soit accessible (p. ex. : offrir des accessoires pour alimenter le jeu des enfants, afficher la charte de l’alphabet à la hauteur des yeux des enfants, rendre accessibles aux enfants les livres en format papier et audio, et les jeux), varié, en quantité suffisante (Roskos et Neuman, 2011) et qu’il réponde à leurs besoins et à leurs intérêts. Or, des recherches ont démontré que peu de matériel écrit et d’écriture sont présents dans les classes de maternelle (Boudreau et Charron, 2015; Drainville et Charron, 2021; Thériault, 2010).

Quoique les pratiques indirectes sont importantes, elles sont insuffisantes à elles seules pour soutenir le développement langagier des enfants (Casbergue et al., 2008). Ce sont les pratiques indirectes, combinées à celles, directes, qui permettent d’accroître le développement langagier des enfants.

Les pratiques directes

En ce qui concerne les pratiques directes, la mise en oeuvre de situations de développement et d’apprentissage (p. ex. : la lecture de livres jeunesses, les chansons et les comptines, les causeries, les jeux libres) permet de contribuer au soutien du développement langagier (Beecher et al., 2017; Justice et al., 2018). Or, des recherches ont démontré que des pratiques enseignantes en matière de développement langagier en service de garde éducatif et à l’éducation préscolaire s’avèrent d’un faible niveau (Bergeron-Morin, 2021; Drainville et Charron, 2021). En effet, le personnel enseignant ne saisit pas toutes les occasions de soutenir le développement du langage oral et du langage écrit (Gerde et al., 2015; Guo et al., 2012) et il se questionne sur les pratiques enseignantes auxquelles recourir, notamment en situation de jeux symboliques (Bouchard et al., 2020).

Pour enrichir leurs pratiques directes, le personnel enseignant gagnerait, entre autres, à soutenir le développement langagier des enfants par sa présence dans des situations de symboliques (Bodrova et Leong, 2011; Bouchard et al., 2020; Jacob et al., 2015; Kirkham et al., 2013; Lillard et al., 2013; Marinova, 2015; Marinova et Drainville, 2019; Montie et al., 2006; Roskos et Christie, 2001), en lisant des histoires de manière interactive (Dupin de St-André, 2011), en réalisant des causeries (Doyon et Fisher, 2010; Fisher et Doyon, 2012) et en écrivant conjointement avec eux en contexte d’orthographes approchées ou d’écritures spontanées (Charron, 2006; Gerde et al., 2012; Guo et al., 2012; Lynch, 2011; Pelatti et al., 2014). Une recherche confirme une association significative entre la qualité des pratiques directes en classe d’éducation préscolaire, comme celles qui viennent d’être dévoilées, et les compétences relatives au développement du langage oral et du langage écrit des enfants sur les plans du vocabulaire réceptif, des concepts à propos de l’écrit et de la conscience phonologique (Abreu-Lima et al., 2013).

Pour mieux connaître ces pratiques directes et indirectes, il y a lieu de s’intéresser aux pratiques déclarées du personnel enseignant. L’intérêt pour cet objet permettrait aux chercheuses et chercheurs d’affiner leur compréhension des pratiques enseignantes en classe, à partir du point de vue du personnel enseignant, et, ultimement, de proposer des dispositifs de développement professionnel adapté à leurs besoins.

Les pratiques déclarées du personnel enseignant

Les pratiques déclarées réfèrent « aux intentions, aux choix et aux prises de décision de l’enseignant dans une situation donnée » (Lefebvre, 2005, p. 58) qu’il verbalise, sans quoi il ne serait pas possible d’y avoir accès (Altet, 2002). En d’autres mots, les pratiques déclarées sont « le dire sur le faire » (Clanet, 2001, p. 328) et « témoigneraient du processus d’activation des conceptions dans une situation précise » (Deaudelin et al., 2005, p. 97). Selon Clanet (2001), même si les dires du personnel enseignant ne sont pas en lien avec le faire réel, les pratiques déclarées demeurent importantes dans une visée compréhensive et explicative de leur pensée.

Bru (2002) suggère l’entretien afin de rendre accessible la pensée du personnel enseignant à propos de leurs pratiques, notamment. Dans le même sens, Clanet et Talbot (2012) précisent que les pratiques déclarées du personnel enseignant peuvent porter sur celles, passées ou futures, que leurs propos peuvent provenir d’un échange informel ou formel, à partir de questions formulées par l’équipe de recherche ou bien à partir du visionnement de leur propre activité. Quoi qu’il en soit, au-delà de permettre de bien circonscrire les besoins du personnel enseignant, les pratiques déclarées favorisent l’établissement d’un premier contact de confiance avec les membres de l’équipe de recherche, ce qui n’est pas négligeable dans le cadre de dispositifs de développement professionnel, tel qu’un dispositif sur les pratiques enseignantes pour soutenir le développement langagier (da Silveira et al., 2018).

OBJECTIF

Sur cette base, l’objectif de cet article consiste à documenter les pratiques déclarées du personnel enseignant à l’éducation préscolaire cinq ans en matière de soutien au développement langagier des enfants. Cet article s’inscrit dans une plus vaste étude dont l’un des objectifs consiste à mettre en oeuvre un dispositif de développement professionnel auprès de ces personnes afin de favoriser le soutien au développement langagier des enfants en situation de jeu symbolique. En ce sens, l’équipe de recherche a souhaité s’appuyer sur des pratiques déclarées dans l’objectif ultime de mieux répondre à leurs besoins en lien avec le soutien au développement langagier des enfants en situation de jeu symbolique.

MÉTHODOLOGIE

Cette section présente les participants, la procédure et l’outil de collecte ainsi que l’analyse des données.

Les personnes participantes

L’échantillon est composé de 17 personnes enseignantes (16 femmes et 1 homme) à l’éducation préscolaire cinq ans, réparti dans 11 écoles d’un centre de services scolaire (CSS) situé dans la région de Québec. Le recrutement a été assuré par la conseillère pédagogique à l’éducation préscolaire de ce CSS, en collaboration avec la chercheuse principale du projet, auprès d’un bassin de 150 enseignantes et enseignants à l’éducation préscolaire cinq ans. Les indices de milieu socioéconomique (IMSE) des écoles participantes varient de 1 à 10 et la moyenne est de 5,65 (E.T. = 3,72). L’âge moyen des personnes participantes est de 36,59 ans (E.T. = 6,37). Elles ont une moyenne de 7,59 ans (E.T. = 4,98) d’expérience à l’éducation préscolaire et 10,18 ans (E.T. = 5,43) en enseignement en général. Elles ont toute terminé un baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire, et cinq d’entre elles détiennent un diplôme de 2e cycle en éducation.

La procédure et l’outil de collecte

Afin de recueillir les pratiques déclarées en soutien au langage oral et écrit, un entretien semi-dirigé individuel d’une durée approximative de 40 minutes a été réalisé avec chaque personne avant leur participation au dispositif de développement professionnel. Les personnes participantes ont été invitées, volontairement, à y participer en début d’année scolaire et ont consenti à son enregistrement. L’entretien complet était composé de trois parties, dont l’une portait sur le langage oral et le langage écrit, plus précisément en lien avec la définition du langage oral et écrit en illustrant leurs propos par des situations vécues en classe, l’importance accordée au soutien au langage oral et écrit auprès des enfants et les pratiques enseignantes qui favorisent ce soutien. Dans le cadre de cet article, seules les réponses relatives à cette partie sont retenues, permettant ainsi de répondre à l’objectif de documenter les pratiques déclarées de personnel enseignant en matière de soutien au développement du langage oral et écrit.

L’analyse des données

L’ensemble des enregistrements audio a fait l’objet d’une transcription (verbatim). À partir des verbatim, des codes ont découlé logiquement par la catégorisation préalable des questions de l’entretien (Miles et al., 2019). Les codes ont été regroupés en trois catégories (Patton, 2002) : la définition du soutien au langage oral et écrit, l’importance accordée au développement du langage oral et écrit, ainsi que les pratiques enseignantes. Par la suite, une analyse de contenu conventionnelle (Hsieh et Shannon, 2005) a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner (Lewis et Maas, 2007). Puis, l’analyse des données s’est effectuée à partir du nombre d’occurrences calculé pour chaque code.

RÉSULTATS

Les résultats sont présentés par catégories (définitions, importance accordée et pratiques enseignantes directes et indirectes) et par objet (langage oral et écrit). Avant de présenter les pratiques déclarées du personnel enseignant en matière de soutien au développement du langage oral et écrit des enfants, nous nous intéresserons à leurs propos sur la manière dont elles définissent le soutien au langage oral et écrit, ainsi que l’importance accordée au soutien au langage oral et écrit auprès des enfants.

Les définitions du soutien au langage oral et écrit

Invitées à définir dans leurs mots ce qu’est le soutien au langage oral en illustrant leurs propos par des situations vécues en classe, les personnes participantes affirment corriger les erreurs à l’oral (16 occurrences), par exemple : « C’est plus en répétant doucement, en mettant dans d’autres phrases le mot mal dit » (E1). De plus, certaines d’entre elles disent avoir un rôle de modèle linguistique (11 occurrences), « d’être tout simplement un modèle au niveau langagier. D’utiliser des phrases complètes, d’utiliser le vocabulaire juste, de dire ce que l’on attend d’eux aussi » (E14).

Tout comme pour le langage oral, les personnes participantes ont défini le soutien au langage écrit par des exemples concrets de pratiques enseignantes en classe. Par exemple, le soutien au langage écrit a été défini en précisant que « ça passe beaucoup par la conscience phonologique, les syllabes, les sons, tout ça » (E8). Les personnes participantes ont mentionné que le soutien au langage écrit permet non seulement aux enfants de découvrir le principe alphabétique (8 occurrences), les fonctions de l’écrit (4 occurrences), le tracé des lettres (3 occurrences), la conscience phonologique (2 occurrences), mais aussi de développer leur intérêt face à l’écrit (5 occurrences). Elles affirmaient notamment : « Mon rôle c’est de donner le goût et je vais tout faire pour donner le goût » (E16). Il a aussi été question de l’importance de participer au jeu des enfants pour soutenir le langage écrit (5 occurrences) : « Le jeu devient un soutien à l’émergence de l’écrit » (E5). Cela n’avait pas été relevé dans le soutien au langage oral.

L’importance accordée au développement du langage oral et écrit des enfants

Questionnées sur l’importance accordée au développement du langage oral des enfants dans leur classe, les personnes participantes la justifient en énonçant différentes raisons qui sont présentées à la Figure 1.

Figure 1

Nombre d’occurrences relatives à l’importance attribuée au développement du langage oral des enfants

Nombre d’occurrences relatives à l’importance attribuée au développement du langage oral des enfants

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Certaines personnes ont affirmé que le langage oral permet d’outiller les enfants en vue de la première année du primaire, étant donné que l’apprentissage formel de la lecture et de l’écriture y a lieu (8 occurrences). En effet, celles-ci ont précisé que le langage oral « est le meilleur facteur de protection pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture » (E9) et que « mon travail, c’est de jeter les bases de la scolarisation pour qu’ils arrivent prêts pour la première année, le plus possible » (E14). D’autres personnes ont mentionné qu’il est nécessaire de travailler l’expression et la compréhension orale (7 occurrences) « parce que c’est notre outil; les enfants apprennent à s’exprimer, à formuler les phrases, ils apprennent de nouveaux mots, […] il faut enrichir leur vocabulaire » (E4). Tandis que d’autres ont fait allusion au fait que le langage oral est toujours présent au quotidien (7 occurrences) : « Le langage oral fait partie prenante de toute la vie de la classe » (E14).

Questionnées sur l’importance accordée au développement du langage écrit des enfants (Figure 2), plusieurs personnes disent qu’elles ont un rôle à jouer pour développer le goût de la lecture et de l’écriture chez les enfants (6 occurrences). À ce sujet, la personne 9 mentionne que, son rôle, « c’est justement d’initier pour leur donner le goût premièrement de le faire, d’être un modèle scripteur » (E9). Deux autres personnes précisent qu’elles veulent respecter les intérêts et le développement des enfants : « Je ne le forcerai pas à écrire s’il n’a pas le goût » (E3); et « En fait, je dis [que j’accorde] beaucoup d’importance, mais je vais avec l’intérêt des enfants » (E5).

À l’instar du langage oral, des personnes participantes affirment que le langage écrit à l’éducation préscolaire cinq ans est important pour préparer les enfants à l’apprentissage formel de la lecture et de l’écriture en première année du primaire (5 occurrences), par exemple : « […] je crois beaucoup au fait que le langage écrit se développe de la même façon que le langage oral, en faisant écrire les enfants » (E6).

D’autres personnes précisent qu’il est important de développer les compétences du programme d’éducation préscolaire (3 occurrences), dont font partie le développement du langage oral et écrit. En effet, certaines font même référence aux compétences que les enfants doivent développer à l’éducation préscolaire, par exemple : « Selon mon programme, c’est sûr que c’est l’enseignement de quelques lettres de l’alphabet » (E14); et « […] parce que je sais ce qui s’en vient en première année » (E5).

Figure 2

Nombre d’occurrences relatives à l’importance appropriée au développement de l’émergence de l’écrit des enfants

Nombre d’occurrences relatives à l’importance appropriée au développement de l’émergence de l’écrit des enfants

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Les pratiques déclarées de soutien au développement du langage oral

La Figure 3 présente le nombre d’occurrences relatives aux pratiques déclarées de soutien au développement du langage oral. Elles sont associées exclusivement à des pratiques directes, car aucune pratique indirecte n’a émergé des analyses en ce qui concerne le soutien au développement du langage oral.

Figure 3

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions directes déclarées en matière de soutien au développement du langage oral

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions directes déclarées en matière de soutien au développement du langage oral

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L’animation de lectures est la pratique directe la plus populaire (13 occurrences) en ce qui a trait au soutien du développement du langage oral, comme le témoigne la personne participante 8 :

« […] le matin, ils ont la lecture à deux. [Ils sont] ensemble et se [racontent] une histoire. Moi je me dis que c’est vraiment axé sur le langage oral, parce qu’ils ne savent pas lire. […] Je leur dis : “ Invente une histoire. ” Des fois, c’est l’histoire qu’on a lue, donc ils essaient comme de se rappeler, de relire l’histoire. Sinon, je les fais aussi des fois, ils viennent me lire l’histoire à moi […] » (E8).

De plus, plusieurs personnes rapportent utiliser les chansons (8 occurrences), comme dans l’exemple suivant : « […] c’est sûr qu’on l’utilise pour les chansons et les comptines. Par exemple, au lieu de dire [qu’on] fait une activité de rimes sur une feuille, bien on va le faire en jumelant des sons qu’on entend dans une chanson » (E11).

Ensuite, les autres pratiques directes présentent chacune cinq occurrences. Les périodes de jeux et d’ateliers sont citées comme des pratiques directes qui permettent au personnel enseignant de soutenir le développement du langage oral des enfants. À ce sujet, une personne mentionne que « dans les ateliers, je mets toujours un jeu de société pour qu’ils puissent justement interagir et développer des habiletés sociales et parler » (E17). De plus, une autre personne indique comme pratique directe le fait de présenter du vocabulaire aux enfants : « […] je trouve, un nouveau jeu de table, c’est enrichir le vocabulaire, soutenir » (E4). Une autre dit aussi reformuler les propos des enfants : « […] j’essaie de plus en plus de les reprendre, d’une bonne façon » (E11). La personne participante 6 explique qu’elle utilise « des interventions qui commencent souvent par “ce que tu veux dire, c’est…”, “ce que je comprends, c’est…”, “ce que tu penses, c’est…”, ça commence souvent comme ça quand je reformule ».

Les deux figures suivantes (Figures 4 et 5) présentent le nombre d’occurrences relatives aux pratiques indirectes et directes de soutien au développement du langage écrit, déclarées par les personnes enseignantes. Précisons que, contrairement aux pratiques déclarées de soutien au développement du langage oral, où seules des pratiques directes (voir Figure 3) ont été relevées, des pratiques indirectes (Figure 4) et directes (Figure 5) ont été relevées en lien avec le soutien au développement du langage écrit.

Sur le plan des pratiques indirectes, elles ont déclaré placer des affiches pour favoriser le développement du langage écrit (13 occurrences), et ont mentionné aménager une aire d’écriture (10 occurrences) et une aire de jeux symboliques (9 occurrences).

Figure 4

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions indirectes déclarées en matière de soutien au développement de l’émergence de l’écrit

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions indirectes déclarées en matière de soutien au développement de l’émergence de l’écrit

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Sur le plan des pratiques directes, les personnes participantes disent favoriser les écritures spontanées dans leur classe (19 occurrences) : « On fait beaucoup d’écriture, écrire des petits livres sur des feuilles blanches, les enfants dessinent, essaient d’écrire, dans le message du matin, le journal du matin aussi » (E12). Plusieurs mentionnent aussi faire des activités de conscience phonologique (13 occurrences) : « […] on joue beaucoup avec les sons, les syllabes, les premières lettres, les sons initiaux et finaux. Je les utilise, j’en refais dans les ateliers, j’ai un atelier de conscience phonologique » (E1). D’autres encore affirment réaliser des lectures de livres (8 occurrences) et le message du jour (8 occurrences) pour favoriser l’entrée dans l’écrit des enfants. Certaines personnes mentionnent qu’elles interviennent en étant elles-mêmes des scriptrices modèles devant les enfants (6 occurrences) et certaines soulignent l’importance des jeux libres (4 occurrences). Enfin, d’autres mentionnent que l’orthophoniste vient animer des activités en classe (2 occurrences).

Figure 5

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions directes déclarées de soutien au développement de l’émergence de l’écrit

Nombre d’occurrences relatives à la nature des interventions directes déclarées de soutien au développement de l’émergence de l’écrit

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DISCUSSION

Rappelons que l’objectif de cet article visait à documenter les pratiques déclarées du personnel enseignant à l’éducation préscolaire cinq ans en matière de soutien au développement langagier des enfants. Afin de mieux situer leurs pratiques déclarées, nous avons également interrogé les personnes participantes sur leur définition du soutien au développement du langage oral et écrit, et sur l’importance qu’elles y accordent. Nous discuterons donc des réponses obtenues en lien avec leurs définitions, de même que de l’importance qu’elles accordent au soutien au développement langagier des enfants, et finalement de leurs pratiques déclarées directes et indirectes.

En ce qui a trait à l’importance accordée au soutien du développement du langage oral et écrit, les résultats relèvent que le personnel enseignant accorde autant d’importance au soutien du développement du langage oral qu’à celui du langage écrit des enfants. Ce résultat porte à croire que les personnes enseignantes savent qu’il est important de consacrer autant d’importance au langage oral qu’à l’écrit. Pour appuyer leur réponse, des personnes participantes ont mentionné qu’il faut développer chez l’enfant autant l’oral réceptif qu’expressif, soit les deux volets du langage oral, et que le langage oral est un facteur de protection pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en première année. Ces résultats permettent d’avancer que le personnel enseignant est conscient que le langage oral est le socle du langage écrit, comme le soulignent plusieurs chercheuses (Bouchard et al., 2019; Duncan et al., 2007; Pagani et al., 2010). Or, le langage oral ne sert pas seulement à soutenir le développement du langage écrit. Il favorise également les interactions sociales, vecteur important pour permettre à l’enfant d’apprendre et de se développer à l’éducation préscolaire (Perlman et al., 2016). Dans le cadre des entretiens, les personnes interrogées n’ont pas abordé le lien entre le langage oral et les interactions sociales.

De plus, l’importance de participer au jeu a été relevée par les personnes participantes pour soutenir le langage écrit, mais elles n’ont pas associé le jeu lui-même au développement du langage oral, ce qui est pourtant souligné comme important dans différentes recherches (Bouchard et al., 2020; Marinova, 2015; Marinova et Drainville, 2019; Montie et al., 2006; Roskos et Christie, 2001). Ce résultat s’avère intéressant, car, dans le cadre de cette recherche-action, le dispositif de développement professionnel porte sur le soutien au développement langagier des enfants en situation de jeu symbolique.

Lorsque vient le temps de déclarer leurs pratiques enseignantes, des pratiques directes et indirectes sont nommées pour soutenir le développement du langage écrit, ce qui n’est pas le cas pour les pratiques en soutien au développement du langage oral, où seules des pratiques directes sont mentionnées. En ce qui concerne les pratiques indirectes en lien avec le langage écrit, les personnes participantes déclarent mettre en place différentes aires (p. ex. : aire de lecture, aire d’écriture, aire de jeu symbolique) et du matériel écrit (p. ex. : livres, charte de l’alphabet) et d’écriture (p. ex. : crayons, papiers, enveloppes), propices pour soutenir le développement du langage écrit, ce qui va dans le même sens que les recherches qui encouragent ce type de pratiques (Boudreau et al., 2019; Gerde et al., 2015; Roskos et Neuman, 2011). Bien que ces pratiques favorisent également le langage oral des enfants, aucune personne ne les nomme lorsqu’elles sont questionnées sur leurs pratiques de soutien au développement du langage oral. Il est ainsi possible de penser que les occasions de soutenir le développement du langage oral des enfants ne soient pas toutes saisies en classe, à l’instar de ce que démontrent les travaux de Gerde et al. (2015) et Guo et al. (2012).

Pour ce qui est des pratiques directes, des personnes participantes déclarent présenter aux enfants les lettres, les sons et le tracé des lettres, mais sans exiger que les enfants les connaissent toutes. Les pratiques enseignantes de soutien au langage oral et écrit rapportées ici semblent s’inscrire dans une approche développementale où le jeu est central, du moins dans ce que les personnes participantes déclarent (Conseil supérieur de l’éducation, 2012; Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017; Ministère de l’Éducation du Québec, 2001).

CONCLUSION

Cette étude a permis de documenter les pratiques déclarées de 17 personnes enseignantes à l’éducation préscolaire cinq ans en matière de soutien au développement langagier des enfants. Il en ressort qu’elles accordent autant d’importance au soutien du développement du langage oral qu’à celui du langage écrit des enfants. Toutefois, pour soutenir le développement du langage écrit, elles déclarent mettre en place des pratiques directes et indirectes, contrairement au langage oral où elles déclarent seulement des pratiques directes. Pourtant, plusieurs pratiques indirectes mentionnées pour soutenir le langage écrit (p. ex. : l’aménagement du coin de jeu symbolique, le matériel comme les jeux de société ou les livres) soutiennent aussi le développement du langage oral.

La présente recherche comporte quelques limites. L’échantillon n’est composé que de 17 personnes issues du même centre de services scolaire. Il serait souhaitable d’avoir un échantillon plus vaste et issu d’autres centres de services scolaire afin de pouvoir généraliser les résultats. Il est possible qu’il y ait un biais de désirabilité sociale de la part des personnes participantes qui souhaitent formuler des réponses pour se conformer aux attentes du programme d’éducation préscolaire ou pour plaire aux chercheuses avec qui elles participeront au dispositif de développement professionnel au sujet des pratiques enseignantes de soutien au développement langagier. Enfin, les données ont été recueillies en début d’année scolaire : les pratiques déclarées proviennent donc de leurs expériences antérieures ou sont anticipées pour l’année scolaire à venir.

Puisqu’il s’agit de pratiques déclarées, il peut aussi exister une différence entre celles-ci et les pratiques observées (Duval et al., 2016; Schön, 1983). Selon les travaux de Lee (2008), les pratiques déclarées correspondraient en général aux pratiques observées tandis que les travaux de Phipps et Borg (2009) démontrent plutôt qu’elles ne concordent pas. Néanmoins, les pratiques déclarées fournissent des données essentielles à la compréhension et à l’explication des pratiques du personnel enseignant à l’éducation préscolaire cinq ans en matière de pratiques enseignantes pour soutenir le développement du langage oral et écrit. Ces données permettent ensuite d’offrir un accompagnement adapté aux personnes participantes dans le cadre du dispositif de développement professionnel.

Pour répondre à cette limite, la présente recherche a prévu, dans un deuxième temps, d’observer et de filmer les personnes participantes en classe, et de réaliser des entretiens individuels d’autoconfrontation à partir de vidéos de leurs pratiques réelles en classe. Ces entretiens portant sur des situations vécues en classe sont susceptibles de favoriser une explicitation plus fine des pratiques enseignantes, permettant ensuite de mieux comprendre le soutien offert en classe en matière de développement langagier (Clanet, 2001; Theureau, 2006; Vermersch, 2011).

Les résultats de cet article sont néanmoins susceptibles d’engendrer des retombées, car ils contribuent à brosser un portrait de ce que des personnes enseignantes déclarent mettre en place en classe d’éducation préscolaire cinq ans pour soutenir le développement langagier des enfants. Ce portrait permet de mieux cerner les besoins du personnel enseignant en matière de soutien au développement langagier en vue de la mise en place d’un dispositif de développement professionnel. De fait, un dispositif aura des retombées plus significatives sur les personnes participantes si son contenu, le soutien du développement langagier, est présenté de manière cohérente avec leurs besoins, voire leurs pratiques déclarées (Desimone, 2018; Desimone et Pak, 2017).

Le portrait réalisé semble traduire que le personnel enseignant déclare davantage de pratiques en lien avec le développement du langage écrit. En formation initiale, il importe de présenter plus explicitement aux futures enseignantes et futurs enseignants des modèles théoriques du développement du langage oral et du langage écrit, leur interinfluence ainsi que les pratiques directes et indirectes qui soutiennent adéquatement leur développement.