Corps de l’article

La thèse du salarié « heureux au travail et performant » a été largement explorée par les chercheurs, notamment en psychologie du travail. Elle est d’ailleurs bien ancrée dans le sens commun et de nombreuses organisations, privées ou publiques, se laissent convaincre par ses bienfaits en cherchant à développer simultanément le bien-être et la performance de leurs salariés. Sur un plan scientifique, cette thèse du travailleur heureux et productif (Cropanzano et Wright, 2001) suscite, encore de nos jours, des débats et nécessite des approfondissements. La lecture de la littérature révèle que la majorité des travaux met en lumière une relation positive entre le bien-être et la performance (Bryson et al., 2017; Taris et Schaufeli, 2014) alors que les effets inverses de la performance sur le bien-être au travail sont très peu documentés (Leclerc et al., 2014). Ce questionnement s’exprime sous de multiples formes d’autant plus que les concepts de bien-être au travail et de performance recouvrent de nombreuses réalités et sont mesurés par des indicateurs extrêmement divers. Ces mesures plurielles complexifient la comparaison des résultats des recherches et nuisent à la compréhension du champ. Ainsi, le bien-être au travail, souvent associé à des concepts proches (affects positifs, satisfaction au travail, etc.) manque encore de clarté. Quant au concept de performance individuelle au travail, il souffre, lui aussi, de polémiques autour de sa définition et de sa mesure (Motowidlo, 2003) et devient au fil du temps un concept multidimensionnel. L’innovation, capitale pour la compétitivité des organisations (Anderson et al., 2014), constitue d’ailleurs aujourd’hui une dimension de la performance à part entière (Harari et al., 2016). Cette recherche se focalise sur cette dernière, car elle est rarement prise en compte par les chercheurs qui s’intéressent aux interactions entre la santé au travail et la performance (Leclerc, 2018). Plus encore, à la lecture des résultats des études empiriques antérieures, l’intensité des corrélations entre le bien-être au travail et la performance semble modérée (de 0,18 à 0,33 selon Ford et al., 2011). Ce constat révèle implicitement que les liens ne sont pas directs, mais qu’ils dépendent d’autres variables explicatives. Cette recherche se centre sur une d’entre elles, le capital psychologique dont nous testerons l’effet médiateur, car des travaux récents suggèrent que le niveau de bien-être et de performance est corrélé au capital psychologique sans pour autant établir clairement son rôle (Abbas et Raja, 2015; Choisay et al., 2021). Il est défini comme un état psychologique positif provenant d’un pool de ressources psychologiques de l’individu (Hobfoll, 2002; Luthans et Broad, 2020), caractérisé par des hauts degrés d’auto-efficacité, d’espoir, d’optimisme et de résilience (Luthans et Youssef-Morgan, 2017).

L’objectif de cette recherche est double. Le premier est de tester la relation réciproque entre le bien-être au travail et la performance innovante afin de renforcer la cohérence démontrée dans la littérature de la psychologie du travail entre le bien-être au travail et la performance des salariés. Le deuxième est d’apporter un éclairage sur les mécanismes explicatifs de ces relations en testant l’effet médiateur du capital psychologique. Autrement dit, il s’agit dans cet article de répondre à la question suivante : le capital psychologique a-t-il un effet médiateur sur les relations entre le bien-être au travail et la performance innovante des salariés ? Cette question de recherche peut être appréhendée par une variété de points de vue théoriques dont la majorité postule que la performance des individus est une conséquence de leur bien-être. Dans cette recherche, une lecture par les ressources est retenue, car elle permet de mieux saisir l’ensemble des comportements motivationnels des individus conduisant au bien-être ou à la performance (Hobfoll et al., 2018). Deux théories sont mobilisées, la théorie broaden-and-build (Fredrickson, 2001, 2004) qui décrit l’importance des mécanismes d’alimentation des ressources émotionnelles et cognitives et la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1989; Hobfoll et al., 2018) qui souligne l’interdépendance des ressources. Pour éclairer ces questionnements, notre choix de terrain s’est porté sur le contexte universitaire et ses enseignants-chercheurs. En effet, les universités françaises, sous l’impulsion du New Public Management (NPM), se transforment au gré des multiples réformes[1] et s’orientent vers une logique de performance plus marquée (Bessire et Fabre, 2014; Eyraud, 2020) tout en devant répondre à des enjeux de santé au travail[2]. Les attentes à l’égard des enseignants-chercheurs évoluent et exigent de plus en plus d’innovation, du point de vue de la recherche (course effrénée à la publication et aux dépôts de brevet etc.) et de l’enseignement (innovations pédagogiques, etc.) dans un contexte de travail qui tend à se dégrader (Ughetto, 2020). De plus, dans cet environnement contraint, marqué par une forte autonomie des acteurs, une étude antérieure montre que les enseignants-chercheurs dotés de ressources personnelles telles que le capital psychologique semblent plus enclins à surmonter les exigences de l’université à leur égard et à s’autoréguler pour développer leur bien-être (Nande, 2018).

Une analyse de la littérature est tout d’abord présentée. Par la suite, la méthodologie et les résultats d’une étude conduite auprès de 400 enseignants-chercheurs d’universités françaises sont exposés. Enfin, les résultats sont discutés en mettant en exergue leurs apports théoriques et managériaux.

Revue de la littérature, fondements théoriques et formulation des hypothèses

Cette section permet de définir le bien-être au travail, la performance innovante et le capital psychologique puis de présenter les liens qui les unissent.

Le bien-être au travail

Bien que les travaux scientifiques sur le sujet se soient développés depuis une quinzaine d’années et particulièrement en management, le bien-être au travail souffre d’un déficit de conceptualisation et ne fait pas l’objet d’un consensus. Encore aujourd’hui, sa définition reste floue et non stabilisée. Les chercheurs mobilisent d’ailleurs des terminologies différentes pour traduire le bien-être au travail comme le « bien-être psychologique au travail » (Dagenais-Desmarais et Privé, 2010), le « bien-être affectif au travail » (Daniels, 2000), le « bien-être subjectif au travail » (Bryson et al., 2017) ou encore le « bien-être au travail » (Biétry et Creusier, 2013). Il est également soumis à des visions contradictoires, construites autour du clivage entre les deux approches théoriques du bien-être, hédonique et eudémonique[3], remontant aux philosophes de la Grèce antique (Waterman, 1993). Néanmoins, les chercheurs s’accordent sur trois points. Le premier focalise sur le caractère spécifique du bien-être en contexte de travail. En raison des particularités du monde du travail et des émotions spécifiques qu’il suscite (émotions positives — épanouissement au travail, joie, etc. ou négatives — souffrance, stress au travail, etc.), il constitue un concept à part entière (Dagenais-Desmarais et Savoie, 2012; Gilbert et al., 2011). Les chercheurs se retrouvent alors dans l’obligation d’appréhender la dualité salarié / individu (Biétry et al., 2019; Robert, 2007), le bien-être au travail résultant d’une appréciation cognitive et affective par le salarié des évènements et expériences professionnels (Biétry et Creusier, 2013). Le deuxième concerne la multi dimensionnalité du concept. Les travaux en psychologie positive s’accordent sur la complémentarité des approches hédonique et eudémonique et sur la définition du bien-être comme un état psychologique positif (Seligman et al., 2005). Le troisième reconnait une contingence culturelle au bien-être (Christopher, 1999; Ryan et Deci, 2011) et dont la réalité est attestée par les travaux empiriques de Biétry et Creusier (2016). Ces derniers montrent une déclinaison différente du bien-être au travail dans le cas de cultures éloignées et une déclinaison identique dans les pays dotés d’une culture nationale proche.

À la lecture de la littérature, l’approche dominante semble être celle de Dagenais-Desmarais et Savoie (2012), qui opte pour une vision plutôt eudémonique du bien-être psychologique au travail. Il est alors défini comme une expérience subjective positive des salariés, constituée de cinq dimensions (l’adéquation interpersonnelle au travail, l’épanouissement au travail, le sentiment de compétences au travail, la reconnaissance au travail, l’engagement au travail). Dans le prolongement de ces travaux, le bien-être au travail est caractérisé par Bietry et Creusier (2013), comme « un état psychologique résultant d’un rapport positif aux autres, à soi, aux temps et à l’environnement physique du travail » (ibid, 2013, p.34), regroupant quatre composantes. Selon ses concepteurs, les deux premières traitent des relations au travail, confortant ainsi l’intuition de Robert (2007) selon laquelle le salarié en tant qu’individu doit être pris en compte et renvoient à une vision eudémonique. Elles évaluent ses attentes vis-à-vis des relations au travail (relation avec les collègues) et de l’évolution professionnelle (considération ressentie vis-à-vis du manager). La troisième fait référence aux différents temps sociaux (horaires de travail, équilibre travail-hors travail) et la quatrième à l’environnement physique de travail. Bietry et Creusier (2013) précisent que ces deux dernières composantes traduisent une « vision plus hédonique du bien-être, car il requiert un sentiment de pouvoir remplir correctement sa mission professionnelle » (ibid, 2013, p.35). Dans cette recherche, cette définition est retenue, car elle intègre les deux approches du bien-être au travail.

La performance innovante au travail

Au regard de la littérature, la définition de la performance individuelle au travail ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les chercheurs et s’est enrichie au fil du temps. Au même titre que les performances de rôle, contextuelles (Motowidlo, 2003) ou encore adaptatives (Pulakos et al., 2006), l’importance de la créativité et de l’innovation, adaptées aux exigences des organisations modernes (Anderson et al., 2014) oblige à considérer de nouvelles dimensions de la performance distinctes des traditionnelles typologies (Harari et al., 2016). Dans une première approche, les performances liées à la créativité et à l’innovation sont distinguées (Oldham et Cummings, 1996 ; Rank et al., 2004). La performance créative est centrée sur la créativité, la production par un individu d’idées nouvelles et utiles (Amabile, 1988 ; Shalley et al., 2004). Elle est définie comme « la génération des produits, des idées ou des procédés qui satisfont à deux conditions, la nouveauté ou l’originalité et leur utilité pour l’organisation » (Oldham et Cummings, 1996, p. 608). La performance innovante fait quant à elle, référence à l’innovation c’est-à-dire à la mise en oeuvre de ces idées au niveau organisationnel (Kanter, 1988 ; West et Farr, 1989). Autrement dit, la créativité est la capacité à générer des idées nouvelles, pouvant être utiles à l’organisation tandis que l’innovation implique l’application de ces idées (Hugues et al., 2018). Rank et al. (2014) précisent que la créativité et l’innovation diffèrent par le degré requis de nouveauté de l’idée et d’interaction sociale. La créativité est véritablement nouvelle, tandis que l’innovation peut être basée sur des idées adoptées à partir d’expériences antérieures ou d’autres organisations. La créativité sollicite davantage des processus cognitifs intra-individuels alors que l’innovation implique des processus sociaux inter-individuels. Ainsi, la créativité serait une condition nécessaire, quoiqu’insuffisante, à l’innovation (Amabile, 1988). La seconde approche suggère que les frontières entre les deux représentations ne sont pas aussi claires et adopte une vision plus large que nous retiendrons dans cette recherche (Janssen, 2000; Scott et Bruce, 1994). La performance innovante englobe l’ensemble des comportements créatifs et innovants (Abbas et Raja, 2015; Ayala et al., 2017; Leclerc et al., 2020) et se définit comme « la génération, l’implantation et la promotion d’idées nouvelles utiles à l’organisation » (Janssen, 2004, p. 202).

Le capital psychologique

Provenant du courant du comportement organisationnel positif, le capital psychologique repose sur la synergie entre quatre ressources psychologiques (auto-efficacité, espoir, optimisme et résilience) qui se combinent, interagissent entre elles pour aider les individus à surmonter des épreuves (Luthans et Youssef-Morgan, 2017). Par exemple, le sentiment d’auto-efficacité qui émerge de la théorie sociocognitive de Bandura (1986) renvoie à la conviction d’un individu en sa capacité à mobiliser ses ressources pour réaliser avec succès une tâche dans un contexte donné (Choisay et al., 2021; Stajkovic et Luthans, 1998). L’espoir se définit, quant à lui, par un état motivationnel positif qui permet à l’individu de se fixer des objectifs et des attentes réalistes et ambitieuses et d’y tendre grâce à sa motivation, son énergie, et sa perception de contrôle interne (Snyder et al., 1991). L’optimisme renvoie à l’attribution d’évènements positifs à des causes personnelles, permanentes et systématiques, et celle d’évènements négatifs, à des causes externes, temporaires et liées à une situation spécifique (Seligman, 1998). Enfin, la résilience est la capacité à rebondir ou à se remettre rapidement d’une épreuve, d’un conflit, d’un échec voire d’évènements positifs stimulants, tels que des responsabilités accrues (Luthans et Youssef-Morgan, 2017).

Après avoir défini les concepts, nous allons maintenant nous intéresser aux liens qui les unissent.

Bien-être au travail et performance innovante du salarié : une relation réciproque ?

Les résultats de la majorité des recherches indiquent que le bien-être au travail favorise la performance individuelle, fréquemment prise en compte dans sa globalité (Boivin et Malo, 2019; Peiró et al., 2019; Warr et Nielsen, 2018; Wright et Cropanzano, 2000). À l’inverse, la littérature sur les effets de la performance individuelle sur le bien-être au travail est émergente, et reste souvent au stade de proposition de modèles théoriques (Bezzaa, 2020; Helzer et Kim, 2019). À notre connaissance, seule la recherche de Leclerc et al. (2014) teste la bidirectionnalité entre le bien-être au travail (dit psychologique) et la performance individuelle. Les résultats de leur étude longitudinale indiquent qu’un niveau de bien-être élevé dans le temps conduit à de la performance au travail. Ils révèlent également qu’être performant dans le temps procure, dans une moindre mesure, du bien-être au travail. Ainsi, le bien-être au travail et la performance s’influenceraient mutuellement. Notre recherche se propose de continuer à explorer la réciprocité de ces liens, en se focalisant sur la performance innovante qui bénéficie encore de peu d’attention.

De multiples perspectives théoriques pourraient éclairer la compréhension des relations entre le bien-être au travail et la performance telles que par exemple, la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002) qui postule que le bien-être (défini par la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux) a un effet positif sur la performance. On peut également citer le modèle de Lawler et Porter (1967) qui, se basant sur la Path-Goal Theory, stipule que les conséquences positives provenant d’une performance élevée mènent à la satisfaction au travail. L’ancrage théorique choisi dans cette recherche repose sur deux théories complémentaires, orientées vers les ressources, la théorie broaden-and-build (Fredrickson, 2001) et la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1989). La théorie broaden-and-build est d’ailleurs couramment mobilisée pour soutenir la plausibilité d’une relation entre le bien-être au travail et la performance innovante (Leclerc, 2018). Elle postule que les émotions positives suscitées par des expériences de bien-être au travail élargiraient le répertoire de pensées et d’actions de l’individu, accéléreraient le développement de ses ressources personnelles et amélioreraient son « fonctionnement » sur le moyen terme. Le bien-être produirait alors des structures de pensées inhabituelles, flexibles, créatives et réceptives (Isen et al., 1987) favorables à l’expérimentation et à la performance (Fredrickson, 2004). Il a d’ailleurs été prouvé sur un plan empirique que l’état de bien-être facilite la résolution de problèmes et la créativité (Fredrickson et Branigan, 2005; Kazen et Kuhl, 2005). Récemment, les résultats des travaux de Leclerc (2018) abondent dans ce sens. Ils démontrent que le bien-être au travail psychologique développe la flexibilité cognitive et la performance innovante des collaborateurs. Cette théorie soutient également qu’une spirale positive peut se mettre en place : l’expérimentation, le succès et la performance qui découlent du bien-être (Fredrickson, 2003) seraient sources à leur tour d’un nouvel accroissement du bien-être (Biétry et al., 2020). La théorie de la conservation des ressources vient renforcer cette idée de cycle de gain. Le besoin de préserver, de développer et d’obtenir des ressources est au coeur des principes de cette théorie. Elle fournit un cadre d’analyse pour comprendre les processus liés au stress, mais également, de façon plus large, à l’ensemble des comportements motivationnels au travail (Halbesleben et al., 2014). Cette théorie stipule que les individus cherchent constamment à s’investir dans les activités qui leur permettent de protéger leurs ressources actuelles et/ou d’en capter de nouvelles. Ils alimentent ainsi leurs « réservoirs de ressources » afin de se prémunir contre des pertes potentielles (principe d’investissement des ressources) dont les effets sur la santé de l’individu sont plus importants que le gain de ressources (principe de la primauté de la perte). Ces ressources que les individus choisissent de préserver ou d’acquérir dépendent de la valeur qu’ils leur attribuent. Hobfoll (1998) précise que la valeur des ressources est profondément enracinée dans des significations sociales qui influencent la manière dont un acteur social évalue et interprète la portée, pour son bien-être, d’un événement (ibid, 1998, p. 45). Cette théorie postule également que la quantité des ressources détenues par les individus détermine leur vulnérabilité. Les individus vivant davantage d’émotions positives issues des expériences de bien-être au travail seront moins vulnérables à la perte de ressources, et seront mieux disposés pour générer de nouvelles ressources. Ces réserves de ressources permettent de mieux répondre aux exigences du travail et d’être plus performants en termes d’innovation (Huhtala et Parzefall, 2007). Ainsi, lorsque le travail procure un haut niveau de bien-être, nous postulons que l’individu y verra l’opportunité d’investir ses ressources personnelles sous forme d’énergie et d’efforts, source de performance innovante. De façon réciproque, lorsqu’il s’engage dans ce processus de développement de ressources appelé dans cette théorie spirale de gain de ressources, l’individu va éprouver un sentiment de bien-être (Gorgievski et Hobfoll, 2008). Ainsi, sur la base de ces éléments, les hypothèses suivantes peuvent alors être énoncées :

H1 : Le bien-être au travail a un effet positif sur la performance innovante du salarié

H2 : La performance innovante du salarié a un effet positif sur le bien-être au travail

Pour affiner la compréhension de ces relations, l’effet médiateur du capital psychologique va être à présent interrogé.

Bien-être au travail et performance innovante au travail : la médiation du capital psychologique ?

Les résultats des travaux sur les relations entre le capital psychologique et le bien-être au travail ou les différentes formes de performance convergent (Luthans et Youssef-Morgan, 2017; Peterson et al., 2011). Le capital psychologique est lié à des attitudes de travail positives, telles que la satisfaction au travail et l’engagement professionnel (De Hoe et Janssen, 2016), gage de bien-être et de performance (Avey et al., 2011; Sweetman et al., 2011). Les ressources psychologiques qu’il fournit, permettent de gérer les demandes liées au travail et d’amoindrir les niveaux de stress (Baron et al., 2016), contribuant ainsi au bien-être au travail. Dans la même lignée, des recherches indiquent que le capital psychologique fournit des ressources psychologiques aux individus, leur permettant d’innover (Abbas et Raja, 2015; Rego et al., 2012; Sweetman et al., 2011). La théorie broaden-and-build et celle de la conservation des ressources fournissent une grille d’analyse pour mieux appréhender l’effet médiateur du capital psychologique. En effet, selon la théorie broaden-and-build, les émotions positives issues de l’expérience du bien-être au travail peuvent faciliter la construction et la restauration des ressources psychologiques (Fredrickson 2001), y compris les ressources constitutives du capital psychologique (Luthans et Youssef-Morgan, 2017) et permettent ainsi l’élargissement des répertoires de pensée-action des individus, vecteurs de comportements innovants (Hsu et Chen, 2017). La théorie de la conservation des ressources (Wright et Hobfoll, 2004) apporte un éclairage complémentaire. Elle postule que les processus de développement des ressources au sein des réservoirs des individus ont tendance à créer des resource caravans (Hobfoll, 2014), les ressources s’agrégeant les unes aux autres. Les ressources psychologiques composant le capital psychologique constituent ainsi des ressources personnelles clés (Hobfoll, 2002) permettant à l’individu de capter ou de développer d’autres ressources, générant des comportements positifs en termes de bien-être et de performance au travail. L’auto-efficacité accroît la persévérance face à des obstacles (Bandura et Locke, 2003) et les innovations au travail (Bandura, 1986). L’espoir permet de capter d’autres ressources et génère des comportements créatifs (Luthans et al., 2007). L’optimisme améliore le bien-être général, apporte une meilleure résistance au stress (Hobfoll, 2002) et a un effet positif sur la performance (Sweetman et al., 2011). La résilience développe les émotions positives (Fredrickson, 2001), encourage les individus à s’adapter face à des situations incertaines (Coutu, 2002), contribue à capter d’autres ressources et facilite les comportements innovants (Peterson et al., 2011). En conséquence, comme en témoignent les travaux de Siu (2013), le capital psychologique est associé au processus d’accumulation des ressources. Il se retrouve dans un processus vertueux de gains où les ressources associées au bien-être au travail et à la performance innovante se développent mutuellement à l’aide de ressources clés (en l’occurrence les ressources constitutives du capital psychologique) au sein du « réservoir » de chaque individu. En nous appuyant sur ces théories, les hypothèses suivantes sont émises avec précaution.

H3 : Le capital psychologique des individus a un effet médiateur sur la relation entre leur bien-être au travail et leur performance innovante.

H4 : Le capital psychologique des individus a un effet médiateur sur la relation entre leur performance innovante et leur bien-être au travail.

La figure 1 présente le modèle de recherche testé dans cette recherche.

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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L’étude empirique auprès des enseignants-chercheurs

Après avoir exposé la méthodologie de la recherche, les résultats sont présentés et discutés.

Échantillon de l’étude et collecte des données

Une étude quantitative auprès d’un échantillon d’enseignants-chercheurs titulaires d’universités françaises est réalisée. Afin de collecter les données, un questionnaire est diffusé par voie électronique via le logiciel Eval&Go. Pour étendre sa diffusion, divers canaux (universités, associations académiques disciplinaires, syndicats, Conseil National des Universités/CNU) ont été mobilisés. Sur les 546 questionnaires collectés, 400 sont exploitables. L’échantillon est constitué de deux corps d’enseignants-chercheurs (Maîtres de conférences MCF et MCF-HDR — Assistant and Associate Professor, Professeurs d’universités/PU — Full Professor), représentant plus de 50 disciplines (ou sections CNU). 72,75 % des répondants occupent un poste de MCF (51 % de MCF et 21,75 % de MCF— HDR) contre 27,25 % de PU. 88,25 % sont rattachés à une université de région et 11,75 % à une université parisienne. 39 % des enseignants-chercheurs sont affiliés aux Sciences Sociales et Humaines et 61 % aux Sciences Expérimentales.

Traitement des données

La cohérence globale du modèle de mesure est testée dans les deux contextes, enseignement et recherche. Les calculs de l’alpha de Cronbach et du Rhô de Jöreskog permettent de vérifier la fiabilité des échelles mobilisées. Des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires sont effectuées pour vérifier la structure des concepts mobilisés dans la recherche (Roussel et al., 2002; Zheng et al., 2017). Sept indices, peu sensibles à la taille de l’échantillon, sont retenus[4]. La méthode d’estimation choisie est la CBSEM (Covariance-Based Structural Equation Modeling). En outre, la collecte des données auprès d’une même source peut poser des problèmes de biais communs de variance et d’endogénéité inextricables, résultant de la désirabilité sociale des répondants (Spector, 1987). Pour se prémunir contre ce type de biais, un test de Harman est effectué conformément aux conseils de Podsakoff et al. (2003). Par la suite, les tests des effets principaux[5] et de médiation sont réalisés dans les deux contextes de travail. Les effets principaux sont testés par des régressions. Puis, une analyse de régression suivie d’une analyse dite conditionnelle (Hayes, 2013) permet d’étudier l’effet médiateur du capital psychologique. Pour effectuer ces traitements statistiques, la macro de Hayes (2018) est utilisée[6]. Les traitements statistiques sont réalisés en utilisant les versions 26 des logiciels SPSS et AMOS.

Mesures et test de la qualité des outils de mesure

Les outils de mesure retenus dans cette recherche sont issus de la littérature en comportement organisationnel. La personne s’autoévalue sur des échelles de Likert en cinq échelons. Pour ceux n’ayant pas été mobilisés dans des contextes francophones, une traduction est réalisée selon la méthode de la traduction inversée[7], préconisée par Igalens et Roussel (1998). La sélection des échelles s’est effectuée selon deux critères : leur fiabilité au regard de la littérature et la pertinence des items par rapport au terrain de recherche. Pour ce dernier critère, plus subjectif, une étude préalable (Nande et Commeiras, 2020) a permis de reformuler certains items pour l’adapter au contexte de l’étude. Les enseignants-chercheurs évoluant dans deux contextes, l’enseignement et la recherche, le questionnaire a été structuré autour de ces deux volets, les échelles ayant été dupliquées.

Pour mesurer le bien-être au travail, l’échelle de Bietry et Creusier (2013) a été retenue pour deux raisons : elle est centrée sur la sphère de travail et ses qualités psychométriques sont satisfaisantes. Elles ont d’ailleurs été confirmées dans différents contextes nationaux (Bietry et Creusier, 2016) et notamment en France (Bietry et al., 2020; Reydet et Carsana, 2020), aux États-Unis et au Canada (Bietry et Creusier, 2016). Constituée de 12 items, elle regroupe quatre dimensions (le rapport aux collègues, le rapport à la hiérarchie de proximité, le rapport au temps et à l’environnement physique), conformément à leur définition du bien-être au travail. La performance innovante au travail a été évaluée par l’échelle de Janssen (2000). Composé de neuf items, répartis en trois dimensions (la génération, la promotion et la réalisation d’idées), cet outil a déjà démontré ses qualités métriques dans un contexte francophone (Leclerc, 2018) et anglophone (Abbas et Raja, 2015; Ayala et al., 2017). Le capital psychologique est opérationnalisé par l’échelle de vingt-quatre items de Luthans et al. (2007), évaluant ses quatre facettes (auto-efficacité, espoir, optimisme et résilience). Ses qualités psychométriques ont été testées dans de nombreux contextes anglophones (Luthans et al., 2007; Rego et al., 2012) et dans une moindre mesure francophone (Shi, 2013). Les résultats des tests des outils de mesure retenus sont exposés dans le tableau 1. En ce qui concerne leur structure factorielle, les résultats des analyses statistiques valident la multidimensionnalité de l’échelle du bien-être au travail. Un modèle de second ordre est retenu pour la performance innovante au travail, regroupant deux dimensions. La première fusionne les deux facettes de l’échelle (génération et réalisation d’idées) et la seconde traite de la promotion d’idées. Un modèle de second ordre, constitué de trois dimensions (auto-efficacité, espoir, résilience-optimisme) a également été retenu pour le capital psychologique. En outre, la qualité des outils de mesure dans les deux contextes de travail (enseignement et recherche) a été testé. Pour chacune des échelles mobilisées, l’ajustement aux données empiriques est de bonne qualité au regard des valeurs des indices d’ajustements sur les deux contextes d’activité. Il en est de même de leur fiabilité puisque les valeurs de l’alpha de Cronbach et du rhô de Jöreskog oscillent entre 0,70 et 0,86. La liste des items utilisés dans la recherche est fournie en annexe 1.

TABLEAU 1

Tests des échelles de mesure

Tests des échelles de mesure

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À l’instar des recherches portant sur la performance innovante et sur le bien-être au travail, les mesures se fondent sur des données auto-déclarées. Toutefois, les résultats du test d’Harman[8] révèlent l’existence de plusieurs axes expliquant la variance, sans que le premier de ces axes ne soit trop prégnant (17 % pour le contexte d’enseignement et 21 % pour la recherche). De plus, aucun des axes ne représente à lui seul plus de 50 % de la variance expliquée. Le biais de la source commune semble donc être réduit. En outre, pour contourner le biais de désirabilité sociale, la collecte de données a suivi les principes recommandés par Podsakoff et al. (2003) et notamment l’organisation aléatoire des items, la dissimulation de l’objet de la recherche et de la relation entre les questions.

Résultats de la recherche

Qualité du modèle global

Le modèle de recherche est testé dans les deux contextes de travail. La lecture du tableau 2 révèle des corrélations positives et significatives entre le bien-être au travail, la performance innovante et le capital psychologique. Ces résultats sont cohérents avec les hypothèses. Les valeurs des indices d’ajustement obtenues attestent de la qualité de l’ajustement du modèle de recherche. À l’exception du NFI qui n’atteint pas 0,9 (0,875 pour l’enseignement et 0,885 pour la recherche), la valeur de l’ensemble des indicateurs est conforme aux seuils requis dans les deux contextes (cf. tableau 3).

TABLEAU 2

Corrélations des concepts

Corrélations des concepts

Significativité : NS = Non Significatif ; * p-value < 0,050 ; ** p-value < 0,010 ; *** p-value < 0,001

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TABLEAU 3

Qualité du modèle global de mesure

Qualité du modèle global de mesure

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Test des effets principaux

Les effets principaux ont été testés par le biais d’une régression sans effet d’interaction (cf. tableau 4). L’effet principal du bien-être au travail sur la performance innovante est significatif et positif en contexte d’enseignement (β =0,116; t=2,247; p<0,050) et en contexte de recherche (β = 0,230; t= 4,275; p<0,001). L’hypothèse H1 est donc validée. Quant à l’effet principal de la performance innovante au travail sur le bien-être au travail, les résultats de l’étude indiquent également un effet positif et significatif dans les deux contextes de travail, l’enseignement (β = 0,108; t=2,247; p<0,050) et la recherche (β =0,191; t=4,275; p<0,001). L’hypothèse H2 est ainsi confirmée. Les résultats de la recherche démontrent un effet réciproque entre le bien-être au travail et la performance innovante.

TABLEAU 4

Effets principaux

Effets principaux

Légende : BET (bien-être au travail); PIC (performance innovante au travail)

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Test des effets médiateurs

Le tableau 5 synthétise les résultats des tests de médiation[9] du capital psychologique sur la relation entre le bien-être au travail et la performance. Les critères de significativité sont regroupés dans le tableau 7. L’effet du bien-être au travail sur le capital psychologique est significatif et positif (enseignement : a =0,25; t=6,10; p<0,001; recherche : a =0,32; t=8,30; p<0,001). Dans le même temps, l’effet du capital psychologique sur la performance innovante au travail est significatif et positif (enseignement : b =0,20; t=3,16; p<0,01; recherche : b =0,39; t=5,77; p<0,001). En outre, le résultat de l’estimation de l’effet indirect du bien-être au travail sur la performance innovante via le capital psychologique est positif et significatif (a x b = 0,05 pour l’enseignement et a x b = 0,12 pour la recherche) avec un intervalle de confiance de 95 % excluant 0 (enseignement : CI= [0,160; 0,087]; recherche : CI= [0,069; 0,185]). Quant à l’effet direct c du bien-être au travail sur la performance innovante, il est non significatif (enseignement : c =0,66; t=1,25; p= NS; recherche : c =0,11; t=1,89; p= NS). En conséquence, en contexte d’enseignement et de recherche, la relation entre le bien-être au travail et la performance innovante est médiatisée par le capital psychologique (médiation indirecte). En d’autres termes, un fort bien-être au travail permet d’augmenter le capital psychologique qui, à son tour, permet d’accroître la performance innovante. Cependant, il est à noter que l’effet du médiateur est moins fort dans le contexte de l’enseignement (0,05) que dans celui de la recherche (0,12). L’hypothèse H3 est donc validée. Par ailleurs, l’effet médiateur du capital psychologique sur la relation de causalité inverse est également testé (voir le tableau 6). L’effet de la performance innovante sur le capital psychologique est significatif et positif (enseignement : a =0,15; t=3,69; p<0,010; recherche : a =0,25; t=7,01; p<0,001). De plus, en contrôlant la variable performance innovante, l’effet du capital psychologique sur la variable bien-être au travail est significatif et positif (enseignement : b =0,33; t=5,77; p<0,001; recherche : b =0,42; t=7,23; p<0,001). Le résultat de l’estimation de l’effet indirect de la performance innovante sur le bien-être au travail via le capital psychologique est positif et significatif (a x b = 0,05 pour l’enseignement et a x b = 0,11 pour la recherche) avec un intervalle de confiance de 95 % excluant 0 (enseignement : IC= [0,020; 0,083]; recherche : IC= [0,064; 0,162]). L’effet direct c de la performance innovante sur le bien-être au travail est, quant à lui, non significatif (enseignement : =0,06; t=1,25; p= NS; recherche : =0,084; t=1,89; p=NS). En contexte d’enseignement et de recherche, la relation entre la performance innovante et le bien-être au travail est donc médiatisée par le capital psychologique (médiation indirecte). En d’autres termes, une forte performance innovante permet d’augmenter le capital psychologique qui, à son tour, permet d’augmenter le bien-être au travail. Cependant, il est à noter que cet effet est, là encore, moins important dans le contexte enseignement (0,05) que dans celui de la recherche (0,11). L’hypothèse H4 est ainsi confirmée.

TABLEAU 5

Test de médiation du capital psychologique sur l’effet du bien-être au travail sur la performance innovante

Test de médiation du capital psychologique sur l’effet du bien-être au travail sur la performance innovante

Significativité coefficients a, b, c : NS = Non Significatif ; * p-value < 0,050 ; ** p-value < 0,010 ; *** p-value < 0,001

Significativité a x b : 0 n’appartient pas à [LLCI ; ULCI] (intervalle de confiance avec borne inférieur et borne supérieure)

Légende : CPP (capital psychologique); BET (bien-être au travail); PIC (performance individuelle innovante),

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TABLEAU 6

Test de médiation du capital psychologique sur l’effet de la performance innovante sur le bien-être au travail

Test de médiation du capital psychologique sur l’effet de la performance innovante sur le bien-être au travail

Significativité coefficients a, b, c : NS = Non Significatif ; * p-value < 0,050 ; ** p-value < 0,010 ; *** p-value < 0,001

Significativité a x b : 0 n’appartient pas à [LLCI ; ULCI] (intervalle de confiance avec borne inférieur et borne supérieure)

Légende : CPP (capital psychologique); BET (bien-être au travail); PIC (performance innovante au travail),

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Tableau 7

Critères de significativité — (Cadario et al., 2017)

Critères de significativité — (Cadario et al., 2017)

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Discussion

Les résultats de la recherche indiquent que le bien-être au travail a un effet positif sur la performance innovante et inversement. En outre, ils contribuent à éclairer la compréhension de ces relations en montrant que le capital psychologique a un effet médiateur sur celles-ci, dans un contexte universitaire français d’enseignement et de recherche.

Le bien-être et la performance innovante au travail : des liens réciproques positifs

Les résultats des tests de régression montrent qu’il existe un lien significatif et positif entre le bien-être au travail des enseignants-chercheurs et leur performance innovante. Ils confirment ceux de la majorité des travaux qui s’intéressent aux effets du bien-être au travail sur la performance individuelle et plus spécifiquement innovante (Leclerc, 2018). En outre, cette recherche démontre que la performance innovante a un effet positif significatif sur le bien-être au travail. Ce résultat abonde dans le sens des propositions théoriques, émises par une littérature peu développée mettant en exergue l’influence de la performance individuelle sur le bien-être au travail (Bezzaa, 2020; Helzer et Kim, 2019). L’originalité de cette recherche réside dans la mise en avant du caractère réciproque de la relation entre le bien-être au travail et la performance innovante. Ce résultat corrobore et complète ceux des travaux empiriques de Leclerc et al. (2014) qui montrent qu’une relation bidirectionnelle entre la santé psychologique au travail (dont le bien-être psychologique) et la performance, se développe dans le temps. Lorsque les activités d’enseignement et de recherche procurent du bien-être, les enseignants-chercheurs développent leurs ressources dans le travail, sous forme d’efforts, d’engagement dans le travail, favorisant la performance innovante. De façon réciproque, plus la performance innovante d’un enseignant-chercheur est forte, plus son bien-être au travail est élevé. L’apport de ce résultat, en apparence paradoxal, peut s’expliquer par les théories mobilisées dans cette recherche. En effet, selon la théorie broaden-and build, la pensée d’une personne qui ressent un niveau de bien-être élevé est plus ouverte et plus adaptable, générant de la flexibilité cognitive et de la créativité, propice à la production scientifique et à l’innovation pédagogique. De façon réciproque, le succès et la performance (Fredrickson, 2003) sont susceptibles de développer des comportements et des états émotionnels positifs conduisant à un nouvel accroissement du bien-être (Biétry et al., 2020). En conformité avec la théorie de la conservation des ressources, lorsque les activités d’enseignement et de recherche procurent du bien-être, les enseignants-chercheurs seront moins vulnérables à la perte de ressources, seront mieux disposés pour générer de nouvelles ressources au sein de leur « réservoir » ce qui leur permettra de mieux répondre aux exigences du travail et d’être plus innovants (Boudrias et al., 2021). Une spirale de gain de ressources peut alors se créer générant à nouveau du bien-être au travail (Gorgievski et Hobfoll, 2008). La mise en avant du caractère réciproque de la relation entre le bien-être au travail et la performance innovante prend tout son sens dans le contexte universitaire français où les conditions de travail des enseignants-chercheurs sont décrites comme de plus en plus dégradées et où les questions de performance et de bien-être au travail sont traitées isolément. En effet, bien que disposant de libertés dans la pratique de leur métier, les résultats d’une enquête récente, menée par le sociologue Ughetto (2020), mettent en lumière la dégradation de leurs conditions de travail liée aux nouvelles exigences de travail sur les volets de l’enseignement et de la recherche, source de mal être au travail (Millet et al., 2015; Montgomery et al., 2010).

Le capital psychologique : un rôle médiateur confirmé

Les résultats de la recherche révèlent l’effet médiateur du capital psychologique sur les relations réciproques entre le bien-être au travail et la performance innovante. Ils confirment que le capital psychologique, ressource personnelle clé, constitue un prédicteur du bien-être au travail et de la performance individuelle innovante des enseignants-chercheurs, dans les deux contextes de travail. Ils corroborent ainsi les travaux qui ont décelé une relation positive entre le capital psychologique et le bien-être (Luthans et al., 2007; Okun, 2020) ou la performance innovante (Rego et al., 2012; Sweetman et al., 2011). Cependant, cette recherche apporte un éclairage nouveau, en mettant en évidence l’effet médiateur du capital psychologique. Ces résultats sont en conformité avec l’ancrage théorique retenu. Les émotions positives issues de l’expérience de bien-être au travail peuvent faciliter la construction et la restauration des ressources psychologiques constitutives du capital psychologique (Luthans et Youssef-Morgan, 2017) et conduire à des comportements innovants (Hsu et Chen, 2017). Cette théorie soutient également que l’expérimentation, la réussite et la performance qui découlent du bien-être (Fredrickson, 2003) pourraient à leur tour favoriser un nouvel accroissement du bien-être (Biétry et al., 2020). Ils sont également en accord avec le principe « de la spirale de gains de ressources » (Hobfoll et al., 2018). Plus un individu est en capacité de développer des ressources, moins il est affecté par les pertes (ou menace) de ressources, et plus il est disposé à investir ses ressources dans son travail pour en capter de nouvelles. Ses ressources clés, telles que le capital psychologique, au sein de resource caravans, vont l’aider à générer des comportements positifs en termes de bien-être et de performance au travail (Peterson et al., 2011). Il se retrouve alors dans un processus vertueux (spirale de gains de ressources), où le bien-être et à la performance se développent mutuellement. Toutefois, il est à noter que cet effet médiateur est plus fort dans le contexte de la recherche que dans celui de l’enseignement. Cette différence d’intensité peut s’expliquer par les exigences de travail des deux domaines d’activité. En effet, en milieu universitaire, le contexte de la recherche est aujourd’hui associé à de fortes attentes en termes de publications dans des revues classées, de dépôts de brevet ou encore de recherche de financements. Ces exigences peuvent contribuer à créer de la compétition et des tensions entre les chercheurs, et susciter un climat de travail délétère au sein d’un laboratoire de recherche (Ughetto, 2020). À cela s’ajoute l’importance des activités de recherche dans l’évolution des carrières des enseignants-chercheurs, et l’évaluation permanente des chercheurs par les pairs dans le cadre des soumissions d’articles ou de réponses à des appels d’offres ou encore d’évolutions de carrière. Confronté à ce contexte, un chercheur doté d’une forte capacité de résilience, d’optimisme, d’espérance et d’un sentiment d’auto-efficacité notable, et plus largement d’un capital psychologique élevé, sera plus enclin à répondre aux attentes de l’université, à faire face à des situations d’échecs (propositions d’articles refusées, promotions non obtenues, etc.) et à maintenir son bien-être et sa performance au travail. En revanche, la pression d’activité perçue par les enseignants-chercheurs est moindre dans la sphère d’enseignement (Commeiras et Georgescu, 2012).

Contributions théoriques

Cette recherche apporte un angle nouveau sur la compréhension des liens entre le bien-être au travail et la performance individuelle. Trois apports majeurs se dégagent. Premièrement, elle introduit la performance innovante dans les travaux qui s’intéressent à ces relations. Deuxièmement, ses résultats confirment ceux des travaux existants dans la littérature de la psychologie au travail, le bien-être au travail a un effet positif sur la performance. Troisièmement, son originalité réside dans la mise en exergue d’une influence réciproque entre le bien-être au travail et la performance innovante. Cette double relation représente un changement de paradigme. La course à la performance ne se fait plus au détriment du bien-être au travail et inversement la quête du bien-être au travail n’est pas incompatible avec un niveau élevé de performance. Les deux concepts étant interdépendants, ces résultats invitent les chercheurs à ne pas les opposer. Ce travail contribue également à apporter un éclairage sur les mécanismes explicatifs de ces relations. Il montre que le capital psychologique a un effet médiateur sur les relations réciproques entre le bien-être au travail et la performance innovante. Cette ressource personnelle de l’individu contribue ainsi au développement d’une spirale vertueuse du bien-être au travail et de la performance innovante.

Contributions managériales

Différentes implications managériales découlent des résultats de cette recherche. La relation de réciprocité entre le bien-être au travail et la performance innovante invite les organisations à les rechercher conjointement. Ainsi, les organisations seront plus enclines à veiller sur le bien-être de leurs salariés, prenant en considération son impact positif sur la performance individuelle au travail et plus spécifiquement innovante. En France, les actions mises en place par les organisations pour tendre vers le bien-être au travail se situent aujourd’hui plutôt dans le registre de la détente (relaxation, école du rire, sport, etc.) voire d’un meilleur équilibre travail-hors travail (télétravail, droit à la déconnexion, etc.), si l’on se réfère aux conclusions de l’enquête Sumer sur les risques professionnels (Memmi et al., 2019). L’activité du travail semble avoir été oubliée. Cette recherche pourrait ainsi contribuer à inciter les organisations et les managers publics à s’y intéresser. Dans la phase de numérisation actuelle sans précédent, accentuée par la crise sanitaire, l’articulation des questions de travail, de son organisation et de ses modalités d’exécution avec les besoins de performance notamment en termes d’innovation semblent être indispensables pour repenser les organisations publiques notamment les universités françaises. Les résultats de cette recherche les invitent à promouvoir une culture managériale et un environnement de travail (ressourcescaravans passageways) favorable à la préservation et/ou à l’acquisition des ressources des enseignants-chercheurs et plus largement à prendre soin de ses personnels. En effet, les facteurs de stress de cette population sont nombreux, d’autant plus que l’essence même de la science se construit sur la base d’échecs successifs, susceptibles de réduire son niveau de bien-être et de performance. Essuyer un échec et rebondir est parfois difficile, en particulier si cela se produit fréquemment (par exemple, difficultés d’expérimentation, rejet d’un article proposé à une revue, recherche en vain de financement lié à un projet). En outre, les enseignants-chercheurs sont, tout au long de leur carrière, évalués et jaugés par le regard des pairs, et notamment sur leur performance en termes de recherche (performance innovante). Il semble donc nécessaire de développer des actions ciblées, particulièrement dans le contexte de la recherche au vu des résultats de cette étude. Ces dernières leur permettraient de limiter la perte de ressources en cas d’échec ou d’en gagner. Plus spécifiquement, des dispositifs d’accompagnement renforcés tels que ceux liés aux reconversions thématiques, pourraient être valorisés lorsque l’enseignant-chercheur est confronté à de fortes difficultés dans sa thématique de recherche actuelle (perte de sens, moins de créativité, besoin de se relancer dans de nouvelles thématiques). Enfin, nos résultats ont montré l’importance du capital psychologique dans le développement du bien-être au travail et de la performance innovante. La présence (ou pas) de cette ressource chez les individus contribue à expliquer que, dans un environnement de travail où tous les salariés sont exposés au même niveau de ressources au travail, les conséquences sur le bien-être et la performance au travail sont différentes. Le caractère potentiellement développable du capital psychologique (Choisay et al., 2021) ouvre des pistes d’amélioration notamment en termes de partage d’expériences (positives ou négatives) ou encore de mise en place d’un mentorat institutionnalisé.

Limites et perspectives de recherche

Il convient de mentionner que cette recherche n’est qu’une étape dans la compréhension des relations réciproques entre le bien-être au travail et la performance innovante, et de l’effet médiateur du capital psychologique sur ces liens. Comme toute recherche, ce travail présente plusieurs limites qui ouvrent autant de perspectives de recherche. Notre étude s’intéresse exclusivement à des enseignants-chercheurs titulaires dans des universités françaises, ce qui pose un problème de validité externe. En effet, cette population et ce métier sont dotés de particularités (fortement diplômée; fonctionnaire; forte autonomie, système géré par l’évaluation par les pairs, etc.). L’impact des caractéristiques de l’emploi sur la relation entre la santé psychologique (et dont le bien-être) et la performance a d’ailleurs été évoqué par des chercheurs (Bryson et al., 2017) même s’ils ne l’ont pas testé empiriquement. Il serait intéressant de répliquer l’étude auprès d’autres organisations, de secteurs d’activités et de catégories d’emplois différents pour conforter les résultats de la recherche. En outre, le recours à des données auto-rapportées constitue une autre limite. En effet, autoévaluer sa propre performance innovante peut constituer un biais de mesure. Toutefois, ce biais de la source commune semble être réduit à la lecture des résultats du test d’Harman, mais il ne peut être totalement exclu. Pour l’éviter, une évaluation de la performance à 360 degrés (multi-sources) pourrait être mise en place. Elle permettrait ainsi d’intégrer les pairs, les responsables d’équipe de recherche ou de département dans la mesure de la performance. Des indicateurs plus quantitatifs, liés au nombre de publications (H Index par exemple) ou à la satisfaction des étudiants (en y intégrant des questions permettant d’évaluer selon eux le degré d’innovation du dispositif pédagogique de l’enseignant), pourraient également être proposés pour mesurer la performance individuelle au travail et plus spécifiquement la performance innovante. De plus, les échelles de mesure retenues dans cette recherche, choisies pour leurs qualités métriques, ont également des limites. En effet, le paradigme de Churchill (1979) mobilisé par les chercheurs pour construire un outil de mesure n’est pas exempt de faiblesses dont une est liée à la pertinence du choix des items issus de la phase qualitative et de la revue de la littérature. En outre, les seuils retenus pour garantir ses qualités psychométriques ne sont que des conventions par définition contestables (cf. les divergences de points de vue entre Nunnally, 1978 et Briggs et Cheek, 1986). En ce qui concerne la mesure du bien-être au travail, les outils de mesure, peu nombreux, souffrent de fragilités conceptuelles, sa définition n’étant pas encore stabilisée. Cependant, les travaux en psychologie positive s’accordent sur la complémentarité des approches hédonique et eudémonique et sur la définition du bien-être comme un état psychologique positif (Seligman et al., 2005). Ce consensus tend à écarter les mesures de la santé psychologique au travail qui articulent les aspects positifs et négatifs (telles que par exemple, l’échelle de Gilbert et al., 2011). À la lecture de la littérature, l’échelle de mesure de Bietry et Creusier (2013) paraît être la seule aujourd’hui qui tente de combiner les deux approches théoriques et qui est conçue dans un contexte français. Bien que ses qualités psychométriques soient largement reconnues en France voire dans des pays dotés de cultures nationales proches (Canada, Etats-Unis), cet outil repose sur leur proposition de définition du bien-être, qui peut être contestée. Le modèle de bien-être au travail conçu par Abord de Chatillon et Richard (2015), « Sens-Activité-Liens-Confort », paraît être une voie prometteuse, car il fait davantage référence à l’Activité de travail et au Sens du travail, tout en tenant compte des relations de travail (Liens) et de l’environnement de travail (Confort). Néanmoins à ce jour, aucune échelle de mesure n’a été proposée. La recherche sur le bien-être au travail et son opérationnalisation nécessitent d’être enrichis par de futurs travaux. Quant à la mesure du capital psychologique, les qualités psychométriques de l’échelle retenue sont satisfaisantes dans des contextes anglophones et méritent d’être confortées par d’autres recherches menées en France. Par ailleurs, les concepts mobilisés dans cette recherche sont appréhendés de façon globale. La prise en compte de leurs facettes ouvrirait de nouvelles perspectives.

Sur le plan méthodologique, l’approche transversale contribue à soutenir la pertinence des hypothèses testées, mais seule une approche longitudinale permettrait de confirmer la causalité des liens entre les variables étudiées. Plus encore, le recours à des études longitudinales permettrait de prendre en compte la dynamique du bien-être au travail mise en avant par les travaux de Biétry et al. (2019) et leurs effets sur la performance individuelle dans le temps.

En conclusion, les résultats de cette recherche démontrent l’interdépendance du bien-être au travail et de la performance innovante. Identifier les conditions de succès conduisant à un état de bien-être au travail (Senik, 2020) paraît être une voie de recherche prometteuse pour développer une spirale vertueuse entre le bien-être et la performance individuelle au travail. Si cette réciprocité est confirmée par de futurs travaux, il devient important de ne plus les opposer, mais de les rechercher de manière congruente. Ne faut-il pas alors converger vers un concept commun, à l’instar de l’OCDE qui a fait de la question du vivre mieux un indicateur de performance économique, le Better Life Index (ou Indicateur du Vivre Mieux) ?