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Lors de l’été 2021, le Musée Juif de Belgique (Bruxelles) a inauguré son nouvel espace, « Project Space », tourné vers les pratiques artistiques contemporaines et dédié à des projets expérimentaux portant un regard critique sur les thèmes abordés par l’institution, en proposant une exposition de groupe intitulée Ellis Island. Elle traitait de la question de l’exil et de la manière dont des artistes contemporains peuvent, selon les termes du texte de présentation, « confronter le monde en tant que lieu de dispersion, d’enfermement et d’errance » (s.a., 2021). L’exposition était présentée comme constituée à partir du livre de Georges Perec qui lui donnait son titre (alors même qu’il s’agit aussi d’un film, comme s’il était surtout question d’insister sur le caractère littéraire du modèle), inscrite « dans la suite » (s.a., 2021) de ce récit qui assurait la fonction de ferment imaginaire cardinal.

Gauthier d’Ydewalle, Walter Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit (2016), Composition photographique | 122 x 122 cm

© Gauthier d’Ydewalle

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Cette mobilisation de la littérature dans une exposition d’art contemporain n’est nullement isolée. En témoignent l’exposition collective Dépenses (2016-2017) présentée à Labanque de Béthune[1] et articulée autour de la figure et de l’oeuvre de Georges Bataille, l’exposition La Pente de la rêverieUn poème, une exposition (Maison de Victor Hugo, 2016-2017), dont le titre instaure un principe d’équivalence entre une forme poétique et une scénographie créant une « immersion sensible » (Royère, 2017) en phase avec l’esthétique de l’oeuvre hugolienne, ou encore, plus récemment, celle de Thao Nguyen Phan, Monsoon Melody, qui a occupé les salles du WIELS (Bruxelles) de février à avril 2020 et dont nombre d’oeuvres prennent sens à travers la mobilisation (par citations, allusions, narrativisation, etc.) de référents littéraires[2], pour se borner à trois exemples parmi bien d’autres possibles.

Nombreuses ces dernières années, ces expositions, qui assignent à la littérature une fonction d’objet, de matrice ou de modèle — de façon plus ou moins revendiquée — dans le cadre de propositions curatoriales issues du monde de l’art contemporain, s’inscrivent en réalité dans un essor de plus grande ampleur des expositions touchant à la littérature. Il semble en effet que les interactions entre le littéraire et l’univers des expositions et des musées au sens large a récemment connu un engouement considérable, sous des formes et des finalités diverses, qui se déclinent en deux orientations principales : l’une d’ordre patrimonial, visant à faire de la littérature un héritage culturel partagé; l’autre relevant davantage de la création et mobilisant les références littéraires comme un matériau susceptible de nourrir un projet artistique original.

La première orientation semble bien connue, et est peut-être celle qui vient le plus spontanément à l’esprit lorsque l’on songe aux rapports entre littérature et exposition. Quantité d’expositions se consacrent en effet à la littérature — écrivain·e·s, oeuvres, thématiques particulières —, d’une façon qui contribue à sa patrimonialisation (Bessière et Payen, 2015; Régnier, 2016; RIMELL, 2019). Selon un topos récurrent dans les discours des professionnel·le·s des musées, elles rencontrent toutefois une difficulté notable s’agissant de la nature et de la diversité des matériaux à exposer, dont l’essentiel (livres, manuscrits, échanges épistolaires, etc.) n’a pas été pensé pour être donné à voir dans des salles d’exposition[3]. Certain·e·s commissaires contournent le problème en mobilisant les arts visuels, comme l’illustrent un nombre important d’expositions qui mettent en jeu le point de vue d’un·e écrivain·e sur des oeuvres picturales[4].

Gauthier d’Ydewalle, Marguerite Duras, Moderato cantabile (2020), Composition photographique | 180 x 60 cm

© Gauthier d’Ydewalle

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Cependant, comme en toute rencontre entre des domaines distincts disposant de leurs propres traditions et systèmes de valeurs, les interactions entre un type de discours tel que la littérature et le medium de l’exposition ne se jouent nullement à sens unique. En effet, si elle est fréquemment sujette à exposition, la littérature a aussi été volontiers mobilisée dans le cadre d’expositions relevant d’autres domaines, celui des arts plastiques en particulier. En témoigne un projet tel que Bacon en toutes lettres, présenté au Centre Pompidou en 2019. Il s’agissait d’y donner à voir un ensemble de tableaux du peintre britannique en mettant en valeur ses lectures et leur impact sur sa création picturale. En somme, la littérature tenait, dans le propos de l’exposition et dans sa mise en oeuvre, une fonction analogue à celle dévolue au pictural dans certaines expositions organisées autour des rapports entretenus par un·e écrivain·e avec la peinture : celle d’adjuvant permettant d’orienter le regard, en faisant valoir ses sources d’inspiration livresques[5].

Si les arts visuels trouvent dans l’exposition l’un de leurs modes de diffusion privilégiés, ces oeuvres demandent une dénomination ainsi qu’un éventuel discours d’accompagnement, plus ou moins développé. Or, puisque la littérature continue de constituer l’un des discours les plus prestigieux, tout spécialement dans le domaine des arts, rien de surprenant à ce qu’elle apparaisse comme une ressource fréquente, pour les artistes aussi bien que pour les commissaires (les deux se confondant parfois d’ailleurs; voir Bawin, 2014), que ce soit sous la forme d’un modèle explicite ou, de façon plus diffuse, à titre de source d’inspiration.

Cette inclination de nombre d’artistes et de commissaires constitue une veine importante du phénomène des « littératures exposées » (Rosenthal et Ruffel, 2010 et 2018). Revêtant à l’occasion des formes relevant de ce que Magali Nachtergael a appelé la « néo-littérature » (2015), elle se caractérise par une « tentation littéraire de l’art contemporain » (Mougin, 2017), à la faveur de laquelle des expositions, jouant souvent du pouvoir d’attraction d’un·e auteur·e devenu·e culte, ou plus simplement de l’idée de littérature, prennent pour point de départ une oeuvre, un ensemble de textes, un modèle littéraire, afin de conférer à une exposition certaines de ses lignes de force. Cette mobilisation de modèles littéraires se situe à la croisée de domaines qui, certes, partagent certains modes de fonctionnement (l’importance de l’auctorialité, par exemple), mais dont, dans le même temps, les systèmes de valeurs, traditions et pratiques ne se recoupent pas forcément.

Ces disparités, et la dissymétrie entre les expositions d’art contemporain et les références littéraires qu’elles convoquent volontiers, soulèvent ainsi bien des interrogations. Quelles sont les motivations de ces recours à la littérature? Quels en sont les ressorts et formes privilégiées (focalisation sur un·e écrivain·e ou sur une oeuvre particulière?) et ouvrent-elles à des dispositifs novateurs? Dans quelle mesure de telles entreprises relèvent-elles d’une instrumentalisation de la littérature? Comment la dimension littéraire s’y trouve-t-elle non seulement redéployée, mais aussi justifiée, et dans certains cas mise en question? En définitive — et en adoptant la tournure d’un titre qui a connu son effet de mode il y a de cela quelques années —, il s’agit de se demander ce que la littérature fait à l’exposition d’art contemporain ou, plus précisément, ce que cette dernière fait de et avec la littérature.

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Les huit contributions rassemblées dans ce dossier[6], dont la signature visuelle est assurée par des oeuvres de l’artiste Gauthier d’Ydewalle, avancent des pistes de réponse à ces interrogations. Elles s’y emploient soit depuis une réflexion transversale (dans le cas d’Anne-Christine Royère, de Magali Nachtergael et de Jérôme Glicenstein), soit depuis des cas particuliers, analysés en profondeur, en l’occurrence et par ordre d’apparition dans le sommaire : une exposition revendiquant l’inspiration d’un roman de Roberto Bolaño (par Corentin Lahouste, David Martens et Perrine Estienne), l’appropriation par des commissaires de l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf (Hélène Orain), le travail du duo composé d’Alice Lescanne et de Sonia Derzypolski autour de la figure de Michel Houellebecq et de sa patrimonialisation « ante-mortem » (Marie-Clémence Régnier et Isabelle Roussel-Gillet), l’exposition mise sur pied par Jean-Philippe Toussaint au Musée du Louvre en 2012 (Claire Olivier) et l’exposition carte blanche conçue par Enrique Vila-Matas à la Whitechapel Gallery de Londres (Julie Bawin).

Gauthier d’Ydewalle, Borges, El Aleph (2012), Composition photographique | 98 x 180 cm

© Gauthier d’Ydewalle

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Anne-Christine Royère ouvre l’ensemble en infléchissant une perspective jadis adoptée par Jean-Max Colard portant sur le « “format” de l’exposition littéraire » (2015: 93-102) pour plutôt envisager quel pourrait être le format littérairede l’exposition. Examinant les pratiques d’Anne-James Chaton et de Jérôme Game, elle établit certaines des principales modalités de la relation critique que tissent les interactions contemporaines entre art et littérature en régime expositionnel. Il s’agit pour l’autrice de montrer comment le travail de transmédiation opéré en pareilles circonstances est susceptible de générer l’ouverture d’un espace à la fois critique et spéculatif pour la littérature et, plus spécifiquement, pour son régime poétique.

L’article de Corentin Lahouste, David Martens et Perrine Estienne, consacré à une exposition d’art contemporain, Amberes, montée en 2019 au M HKA d’Anvers et fondée sur le premier roman de l’auteur culte Roberto Bolaño, entend d’une tout autre manière la formule embrassée par Anne-Christine Royère. Il s’agit d’investir une de ses variations possibles : lorsque le geste curatorial est entièrement sous-tendu par une oeuvre littéraire qui en constitue l’élément matriciel et apparaît, de ce fait, comme une source d’inspiration plurifonctionnelle. L’approche met en avant les façons par lesquelles cette exposition a fait sienne la dimension aventureuse et nébuleuse du roman de l’écrivain chilien, dont le caractère erratique a servi de modèle non seulement pour la création de certaines oeuvres, mais aussi, plus globalement, pour l’élaboration de l’exposition dans son ensemble.

Avec le troisième texte du dossier, que l’on doit à Magali Nachtergael, on passe de la fiction littéraire inscrite au coeur du geste curatorial à la curation envisagée comme entreprise de fiction narrative, et partant comme lieu de création d’espaces d’immersion fictionnelle. Examinant un panorama d’expositions à forte charge narrative mises sur pied au cours des vingt-cinq dernières années (telles que Feux pâles [1990], Raconte-moi une histoire [1998], Stories [2002], ou encore Raconte-moi/Tell me [2005]), l’autrice en vient à montrer comment ces propositions soulèvent la question de l’éclatement du « grand récit muséal » au profit de « petites histoires et singularités » inscrites « dans un environnement artistique globalisé friand d’appropriations paradoxales ».

S’ensuivent deux contributions qui, à travers l’examen de cas de figure bien différents, mettent en perspective et donnent de l’ampleur à la notion de « narration curatoriale » proposée par Magali Nachtergael dans sa contribution. La première, due à Hélène Orain, analyse dans le détail cette dynamique narrativisante dans le cadre de deux expositions d’envergure ayant mis au coeur de leur propos des femmes artistes : elles @ centrepompidou (2009) et Qui a peur des femmes photographes? (2015). Elle fait valoir la manière dont Virginia Woolf et son fameux essai, Une chambre à soi — texte devenu paradigmatique dans le questionnement sur la création féminine et ses conditions de possibilité —, y sont saisis comme une entité-clé, exploitée diversement selon les projets et les artistes, afin d’explorer (et d’affermir) la place des créatrices dans l’histoire de l’art et au sein des institutions muséales.

Examinant également des processus institutionnels à travers la mise en lumière des expérimentations d’Alice Lescanne et Sonia Derzypolski, Marie-Clémence Régnier et Isabelle Roussel-Gillet montrent comment le duo d’artistes, en s’emparant de la figure de Michel Houellebecq, en vient à interroger de façon ludique — et quelque peu poil à gratter — la manière dont la culture littéraire et son pendant muséal patrimonialisent certain·e·s écrivain·e·s, allant jusqu’à leur conférer, de leur vivant parfois, une forme de gloire posthume (et donc nécessairement anticipée), en particulier pour celui dont l’exposition précisément intitulée Rester vivant, mise sur pied au Palais de Tokyo en 2016, était présentée comme un « scénario qui conduit le visiteur au travers des obsessions de l’écrivain » en offrant « une plongée dans le cerveau et le monde de ce créateur protéiforme » (s.a., 2016).

Dans le troisième et dernier article à vocation théorique et panoramique qui ponctue ce dossier, Jérôme Glicenstein soulève une question fondamentale, qui résulte du partage par les écrivain·e·s, les artistes et les commissaires d’un statut et d’une fonction distinctifs au sein d’un dispositif communicationnel : celui d’auteur·e. Est ainsi abordée l’invention, à partir des années 1960, de la figure du commissaire-auteur (mise en regard avec celle de l’artiste-commissaire) qui érige des « oeuvres-expositions » en s’appuyant volontiers, entre autres aspects, sur une série de ressorts fictionnels, et développant ainsi un type d’auctorialité bien spécifique, marqué par certains « symptômes de littérarité ».

Gauthier d’Ydewalle, Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (2020), Composition photographique | 110 x 142 cm

© Gauthier d’Ydewalle

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Dans le prolongement du questionnement de Jérôme Glicenstein sur l’auctorialité à l’oeuvre dans les expositions, les deux dernières contributions examinent une configuration particulière à la faveur de laquelle littérature et exposition se concentrent en (ou autour d’)un·e seul·e auteur·e : les commissariats d’exposition confiés à des écrivain·e·s[7]. Dans un premier temps, Claire Olivier se penche sur Livre/Louvre (2012), l’hommage visuel au livre que l’écrivain belge Jean-Philippe Toussaint a réalisé dans l’un des plus prestigieux musées du monde, en combinant des oeuvres des collections muséales, des oeuvres visuelles issues de sa propre production et des installations spécialement conçues pour l’événement, et en mettant qui plus est au point à cette occasion un ouvrage illustré, La main et le regard (2012), qui n’a rien du catalogue classique d’exposition, mais se présente plutôt comme un livre d’artiste à part entière.

Dans la contribution qui clôture le dossier, Julie Bawin analyse pour sa part l’exposition confiée à Enrique Vila-Matas par la Whitechapel Gallery de Londres en 2019. Elle souligne combien cette exposition, intitulée Cabinet d’amateur, an Oblique Novel, si elle est restreinte dans le nombre d’oeuvres retenues, n’en est pas moins élaborée par son commissaire comme une sorte d’autobiographie de sa propre création littéraire. Ainsi l’écrivain a-t-il, à l’instar de nombre d’autres auteur·e·s convié·e·s à concevoir une exposition, accompagné son intervention d’un texte qui s’emploie à en livrer la clé, sous une forme bien évidemment littéraire. Dans le prolongement de cette étude, l’ensemble se parachève par un entretien exclusif et inédit qu’Enrique Vila-Matas a accordé à Julie Bawin à propos de cette expérience curatoriale en Grande-Bretagne.

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Plusieurs expositions et installations, réunies dans la section Contrepoints, sous l’intitulé « Inclinations », étoffent de quelques exemples la palette présentée.

Matthias De Jonghe nous entretient ainsi en premier lieu des microgrammes de l’écrivain suisse Robert Walser, tels qu’ils ont été récemment exposés au Palais des Beaux-Arts de Paris dans le cadre de l’exposition Grosse kleine Welt/Grand petit monde (2018), en mettant en exergue le paradoxe qui consiste à placer sous les projecteurs ces écrits de peu — subalternes et qui frôlent l’inapparent —, tout autant que Walser lui-même, écrivain du modique qui, totalement étranger à l’ostentation mondaine, faisait de la discrétion et de l’effacement des valeurs phares.

Julien Jeusette traite pour sa part d’un artiste qui se situe à l’exact opposé de Walser dans la pratique qu’il met en place : Kenneth Goldsmith. Est ainsi mise en perspective l’installation HILLARY. The Hillary Clinton Emails composée par l’auteur du fameux Uncreative writing (2011) pour la Biennale de Venise en 2019, qui vient brasser les enjeux de gloire et de pouvoir pris en tension entre les sphères médiatique, politique et esthétique.

Gaëlle Debeaux revient ensuite sur l’exposition Juste un [mo], présentée au printemps 2021 à la galerie Art & Essai hébergée par l’Université Rennes 2, qui donne à appréhender des mots exposés, c’est-à-dire émancipés de la page et du livre à travers le geste de réappropriation plastique du matériau linguistique opéré par des artistes comme Christophe Viart, Sharon Kivland ou Valérie Mréjen.

Gauthier d’Ydewalle, Voltaire, Candide (2016), Composition photographique | 80 x 80 cm

© Gauthier d’Ydewalle

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David Martens examine in fine la déclinaison sous forme d’exposition, présentée en 2021 à la galerie Contretype à Bruxelles, d’un projet photographique de Federico Clavarino. Portant sur l’archipel du Frioul, en Méditerranée, ce travail combine à des événements historiques des références littéraires (dont Le Comte de Monte Cristo et Le Petit prince) qui permettent de donner sens à des photographies contemporaines d’un lieu qui semble marqué, au fil des âges, par le désir d’ailleurs en même temps que par celui de la réclusion.

Ces quelques échantillons confirment une nouvelle fois la vigueur actuelle des références littéraires dans le monde de la création artistique contemporaine, comme en témoignent de nombreuses expositions que nous avons découvertes, parfois incidemment, au cours de la préparation du dossier et où nous les avons trouvées mises en oeuvre de diverses façons : depuis Caen, où Jean-Michel Alberola a proposé une exploration des archives de l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) placée sous le signe de Franz Kafka[8], jusqu’à Oslo, où avec Fire hus. Fire kvinner. Beate Hølmebakks Virginia-serie (1995-2000) [Four houses. Four women. Beate Hølmebakk’s Virginia series (1995-2000)], c’est la figure de Virginia Woolf, décidément bien inspirante, qui s’est trouvée à nouveau mobilisée[9], en passant par Liège, avec le photographe Philippe Herbet qui fait des modèles qu’il présente des avatars de personnages féminins issus de la plume d’Ivan Tourgueniev[10].

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Dans les façons dont la création contemporaine se laisse imprégner par la littérature et met en oeuvre cette source d’inspiration, cette dernière apparaît comme une ressource ou un moyen, voire un prétexte, pour développer une logique qui relève cependant peu ou prou de l’art contemporain et de ses impératifs spécifiques, ainsi d’autres formes de créations actuelles qui trouvent place dans les musées. Dans cette perspective, la littérature tient lieu de modèle, de matrice, mais aussi, ce faisant, de cadre d’intelligibilité, voire de générateur de familiarité (fût-elle simplement postulée...), non seulement en raison de ce qu’elle incarne en termes de discours et de ce qui lui demeure de prestige dans l’ordre des pratiques culturelles, mais aussi à travers des oeuvres et des auteur·e·s singulier·ère·s, qui permettent de conférer son poids de sens à ce que les artistes et commissaires d’exposition donnent à voir.

Les formes du commerce entretenu par l’exposition avec la littérature, leurs diverses connivences, connaissent de constantes métamorphoses. Celles-ci affectent tant l’art contemporain que l’idée même de littérature, de même que l’image des écrivain·e·s et des oeuvres sollicitées dans ce contexte qui, à l’occasion, ne va pas sans une forme d’instrumentalisation. C’est à la fois le coût et le bénéfice symbolique d’une littérature (et des oeuvres, figures et récits divers qui lui sont rattachés) soumise, comme tout être culturel, à une trivialité (Jeanneret, 2014), soit à un principe de réappropriation potentiellement sans fin. Le littéraire s’y voit bien sûr exploité, comme n’importe quelle ressource ou matière première, mais à la différence des énergies fossiles, par exemple, qui sont quantitativement restreintes, il se trouve en quelque sorte revivifié par ces appropriations qui le confirment pour ce qu’il est : un patrimoine, certes, mais nullement inerte en ce qu’il constitue une source inépuisable de création, pour le temps présent comme pour l’avenir.